Adieu, puisqu'il le faut ; adieu, belle nuit blanche,
Nuit d'argent, plus sereine et plus douce qu'un jour !
Ton page noir est lĂ , qui, le poing sur la hanche,
Tient ton cheval en bride et t'attend dans la cour.
Aurora, dans le ciel que brunissaient tes voiles,
Entrouvre ses rideaux avec ses doigts rosés ;
O nuit, sous ton manteau tout parsemé d'étoiles,
Cache tes bras de nacre au vent froid exposés.
Le bal s'en va finir. Renouez, heures brunes,
Sur vos fronts parfumés vos longs cheveux de jais,
N'entendez-vous pas l'aube aux rumeurs importunes,
Qui halĂšte Ă la porte et souffle son air frais.
Le bal est enterré. Cavaliers et danseuses,
Sur la tombe du bal, jetez Ă pleines mains
Vos colliers défilés, vos parures soyeuses,
Vos dahlias flétris et vos pùles jasmins.
Maintenant c'est le jour. La veille aprĂšs le rĂȘve ;
La prose aprĂšs les vers : c'est le vide et l'ennui ;
C'est une bulle encore qui dans les mains nous crĂšve,
C'est le plus triste jour de tous ; c'est aujourd'hui.
Ă Temps ! Que nous voulons tuer et qui nous tues,
Vieux porte-faux, pourquoi vas-tu traĂźnant le pied,
D'un pas lourd et boiteux, comme vont les tortues,
Quand sur nos fronts blĂȘmis le spleen anglais s'assied.
Et lorsque le bonheur nous chante sa fanfare,
Vieillard malicieux, dis-moi, pourquoi cours-tu
Comme devant les chiens court un cerf qui s'effare,
Comme un cheval que fouille un Ă©peron pointu ?
Hier, j'Ă©tais heureux. J'Ă©tais. Mot doux et triste !
Le bonheur est l'Ă©clair qui fuit sans revenir.
HĂ©las ! Et pour ne pas oublier qu'il existe,
Il le faut embaumer avec le souvenir.
J'Ă©tais. Je ne suis plus. Toute la vie humaine
Résumée en deux mots, de l'onde et puis du vent.
Mon Dieu ! N'est-il donc pas de chemin qui ramĂšne
Au bonheur d'autrefois regretté si souvent.
DerriĂšre nous le sol se crevasse et s'effondre.
Nul ne peut retourner. Comme un maigre troupeau
Que l'on mĂšne au boucher, ne pouvant plus le tondre,
La vieille Mob nous pousse Ă grand train au tombeau.
Certes, en mes jeunes ans, plus d'un bal doit Ă©clore,
Plein d'or et de flambeaux, de parfums et de bruit,
Et mon cĆur effeuillĂ© peut refleurir encore ;
Mais ce ne sera pas mon bal de l'autre nuit.
Car j'Ă©tais avec toi. Tous deux seuls dans la foule,
Nous faisant dans notre Ăąme une chaste Oasis,
Et, comme deux enfants au bord d'une eau qui coule,
Voyant onder le bal, l'un contre l'autre assis.
Je ne pouvais savoir, sous le satin du masque,
De quelle passion ta figure vivait,
Et ma pensée, au vol amoureux et fantasque,
RĂ©alisait, en toi, tout ce qu'elle rĂȘvait.
Je nuançais ton front des pùleurs de l'agate,
Je posais sur ta bouche un sourire charmant,
Et sur ta joue en fleur, la pourpre délicate
Qu'en s'envolant au ciel laisse un baiser d'amant.
Et peut-ĂȘtre qu'au fond de ta noire prunelle,
Une larme brillait au lieu d'Ă©clair joyeux,
Et, comme sous la terre une onde qui ruisselle,
S'Ă©coulait sous le masque invisible Ă mes yeux.
Peut-ĂȘtre que l'ennui tordait ta lĂšvre aride,
Et que chaque baiser avait mis sur ta peau,
Au lieu de marque rose, une tache livide
Comme on en voit aux corps qui sont dans le tombeau.
Car si la face humaine est difficile Ă lire,
Si déjà le front nu ment à la passion,
Qu'est-ce donc, quand le masque est double ? Comment dire
Si vraiment la pensĂ©e est sĆur de l'action ?
Et cependant, malgré cette pensée amÚre,
Tu m'as laissé, cher bal, un souvenir charmant ;
Jamais rĂȘve d'Ă©tĂ©, jamais blonde chimĂšre,
Ne m'ont entre leurs bras bercé plus mollement.
Je crois entendre encore tes rumeurs étouffées,
Et voir devant mes yeux, sous ta blanche lueur,
Comme au sortir du bain, les péris et les fées,
Luire des seins d'argent et des cols en sueur.
Et je sens sur ma bouche une amoureuse haleine,
Passer et repasser comme une aile d'oiseau,
Plus suave en odeur que n'est la marjolaine
Ou le muguet des bois, au temps du renouveau.
Ă nuit ! Aimable nuit ! SĆur de Luna la blonde,
Je ne veux plus servir qu'une déesse au ciel,
Endormeuse des maux et des soucis du monde,
J'apporte Ă ta chapelle un pavot et du miel.
Nuit, mÚre des festins, mÚre de l'allégresse,
Toi qui prĂȘtes le pan de ton voile Ă l'amour,
Fais-moi, sous ton manteau, voir encore ma maĂźtresse,
Et je brise l'autel d'Apollo, dieu du jour.