Le Meurtre, d'une main violente, brise les liens
Les plus sacrés,
La Mort vient enlever le jeune homme florissant,
Et le Malheur s'approche comme un ennemi rusé
Au milieu des jours de fĂȘte.
Schiller.
I.
Modérons les transports d'une ivresse insensée ;
Le passage est bien court de la joie aux douleurs ;
La mort aime à poser sa main lourde et glacée
Sur des fronts couronnés de fleurs.
Demain, souillĂ©s de cendre, humbles, courbant nos tĂȘtes,
Le vain souvenir de nos fĂȘtes
Sera pour nous presque un remords ;
Nos jeux seront suivis des pompes sépulcrales ;
Car chez nous, malheureux ! l'hymne des saturnales
Sert de prélude au chant des morts.
II.
Fuis les banquets, fais trĂȘve Ă ton joyeux dĂ©lire,
Paris, triste cité ! détourne tes regards
Vers le cirque oĂč l'on voit aux accords de la lyre
S'unir les prestiges des arts.
ChĆurs, interrompez-vous ; cessez, danses lĂ©gĂšres ;
Qu'on change en torches funéraires
Ces feux purs, ces brillants flambeaux ; -
Dans cette enceinte, auprĂšs d'une couche sanglante,
J'entends un prĂȘtre saint dont la voix chancelante
Dit la priĂšre des tombeaux.
Sous ces lambris, frappés des éclats de la joie,
PrĂšs d'un lit oĂč soupire un mourant Ă©tendu,
D'une famille auguste, au désespoir en proie,
Je vois le cortÚge éperdu.
C'est un pĂšre Ă genoux, c'est un frĂšre en alarmes,
Une sĆur qui n'a point de larmes
Pour calmer ses sombres douleurs ;
Car ses affreux revers ont, dĂšs son plus jeune Ăąge,
Dans ses yeux, enflammés d'un si mùle courage,
Tari la source de ses pleurs.
Sur l'échafaud, aux cris d'un sénat sanguinaire,
Sa mÚre est morte en reine et son pÚre en héros ;
Elle a vu dans les fers périr son jeune frÚre,
Et n'a pu trouver des bourreaux.
Et, quand des rois ligués la main brisa ses chaßnes,
Longtemps, sur des rives lointaines,
Elle a fui nos bords désolés ;
Elle a revu la France, aprĂšs tant de misĂšres,
Pour apprendre, en rentrant au palais de ses pĂšres,
Que ses maux n'étaient pas comblés.
Plus ****, c'est une épouse... Oh ! qui peindra ses craintes,
Sa force, ses doux soins, son amour assidu ?
Hélas ! et qui dira ses lamentables plaintes,
Quand tout espoir sera perdu ?
Quels étaient nos transports, Î vierge de Sicile,
Quand naguĂšre Ă ta main docile
Berry joignit sa noble main !
Devais-tu donc, princesse, en touchant ce rivage,
Voir sitĂŽt succĂ©der le crĂȘpe du veuvage
Au chaste voile de l'***** ?
Berry, quand nous vantions ta paisible conquĂȘte,
Nos chants ont réveillé le dragon endormi ;
L'Anarchie en grondant a relevĂ© sa tĂȘte,
Et l'enfer mĂȘme en a frĂ©mi.
Elle a rugi ; soudain, du milieu des ténÚbres,
Clément poussa des cris funÚbres,
Ravaillac agita ses fers ;
Et le monstre, étendant ses deux ailes livides,
Aux applaudissements des ombres régicides,
S'envola du fond des enfers.
Le démon, vers nos bords tournant son vol funeste,
Voulut, brisant ces lys qu'il flétrit tant de fois,
Epuiser d'un seul coup le déplorable reste
D'un sang trop fertile en bons rois.
Longtemps le sbire obscur qu'il arma pour son crime,
RĂȘveur, autour de la victime
Promena ses affreux loisirs ;
Enfin le ciel permet que son vĆu s'accomplisse ;
Pleurons tous, car le meurtre a choisi pour complice
Le tumulte de nos plaisirs.
Le fer brille... un cri part : guerriers, volez aux armes !
C'en est fait ; la duchesse accourt en pĂąlissant ;
Son bras soutient Berry, qu'elle arrose de larmes,
Et qui l'inonde de son sang.
Dressez un lit funÚbre : est-il quelque espérance ?...
Hélas ! un lugubre silence
A condamné son triste époux.
Assistez-le, madame, en ce moment horrible ;
Les soins cruels de l'art le rendront plus terrible,
Les vĂŽtres le rendront plus doux.
Monarque en cheveux blancs, hĂąte-toi, le temps presse ;
Un Bourbon va rentrer au sein de ses aĂŻeux ;
Viens, accours vers ce fils, l'espoir de ta vieillesse ;
Car ta main doit fermer ses yeux !
Il a béni sa fille, à son amour ravie ;
Puis, des vanités de sa vie
Il proclame un noble abandon ;
Vivant, il pardonna ses maux Ă la patrie ;
Et son dernier soupir, digne du Dieu qu'il prie,
Est encore un cri de pardon.
Mort sublime ! ĂŽ regrets ! vois sa grande Ăąme et pleure,
Porte au ciel tes clameurs, Î peuple désolé !
Tu l'as trop peu connu ; c'est Ă sa derniĂšre heure
Que le héros s'est révélé.
Pour consoler la veuve, apportez l'orpheline ;
Donnez sa fille Ă Caroline,
La nature encore a ses droits.
Mais, quand périt l'espoir d'une tige féconde,
Qui pourra consoler, dans se terreur profonde,
La France, veuve de ses rois ?
à l'horrible récit, quels cris expiatoires
Vont poussez nos guerriers, fameux par leur valeur !
L'Europe, qu'ébranlait le bruit de leurs victoires,
Va retentir de leur douleur.
Mais toi, que diras-tu, chÚre et noble Vendée ?
Si longtemps de sang inondée,
Tes regrets seront superflus ;
Et tu seras semblable à la mÚre accablée,
Qui s'assied sur sa couche et pleure inconsolée,
Parce que son enfant n'est plus !
BientÎt vers Saint-Denis, désertant nos murailles,
Au bruit sourd des clairons, peuple, prĂȘtres, soldats,
Nous suivrons à pas lents le char des funérailles,
Entouré des chars des combats.
Hélas ! jadis souillé par des mains téméraires,
Saint-Denis, oĂč dormaient ses pĂšres,
A vu déjà bien des forfaits ;
Du moins, puisse, Ă l'abri des complots parricides,
Sous ces murs profanés, parmi ces tombes vides,
Sa cendre reposer en paix !
III.
D'Enghien s'étonnera, dans les célestes sphÚres,
De voir sitĂŽt l'ami, cher Ă ses jeunes ans,
Ă qui le vieux CondĂ©, prĂȘt Ă quitter nos terres,
Léguait ses devoirs bienfaisants.
à l'aspect de Berry, leur derniÚre espérance,
Des rois que révÚre la France
Les ombres frémiront d'effroi ;
Deux héros gémiront sur leurs races éteintes,
Et le vainqueur d'Ivry viendra mĂȘler ses plaintes
Aux pleurs du vainqueur de Rocroy.
Ainsi, Bourbon, au bruit du forfait sanguinaires,
On te vit vers d'Artois accourir désolé ;
Car tu savais les maux que laisse au cĆur d'un pĂšre
Un fils avant l'ùge immolé.
Mais bientĂŽt, chancelant dans ta marche incertaine,
L'affreux souvenir de Vincennes
Vint s'offrir à tes sens glacés ;
Tu pĂąlis ; et d'Artois, dans la douleur commune,
Sembla presque oublier sa récente infortune,
Pour plaindre tes revers passés.
Et toi, veuve éplorée, au milieu de l'orage
Attends des jours plus doux, espĂšre un sort meilleur ;
Prends ta sĆur pour modĂšle, et puisse ton courage
Etre aussi grand que ton malheur !
Tu porteras comme elle une urne funéraire ;
Comme elle, au sein du sanctuaire,
Tu gémiras sur un cercueil ;
L'hydre des factions, qui, par des morts célÚbres,
A marquĂ© pour ta sĆur tant d'Ă©poques funĂšbres,
Te fait aussi ton jour de deuil !
IV.
Pourtant, ĂŽ frĂȘle appui de la tige royale,
Si Dieu par ton secours signale son pouvoir,
Tu peux sauver la France, et de l'hydre infernale
Tromper encor l'affreux espoir.
Ainsi, quand le Serpent, auteur de tous les crimes,
Vouait d'avance aux noirs abĂźmes
L'homme que son forfait perdit,
Le Seigneur abaissa sa farouche arrogance ;
Une femme apparut, qui, faible et sans défense,
Brisa du pied son front maudit.
Février 1820.