Eh bien ! que fais-tu donc, รด Mรฉmoire infidรจle ?
Tu ne sais plus ces vers, poรฉsie immortelle,
Consacrรฉs par la gloire et redits en tous lieux !
Ces sublimes accents au rythme harmonieux,
Oรน d'un poรจte aimรฉ le gรฉnie รฉtincelle,
Mรฉmoire, que fuis-tu, si tu ne les retiens ?
ยซ Je me souviens !
ยซ Mais, passant ร travers les grands bruits de la terre,
Qui doit se souvenir, hรฉlas ! a trop ร faire.
Contre moi, chaque jour, combat l'oubli jaloux :
Je ne puis tout garder, et je choisis pour vous.
Du rayon qui donna la plus fraรฎche lumiรจre,
D'un suave parfum, de sons รฉoliens,
Je me souviens.
ยซ Souvent, abandonnant au burin de l'histoire,
Tout ce qui tient en main le sceptre de la gloire,
Je laisse ร tout hasard, au ****, errer mes pas,
Dans des sentiers obscurs oรน l'on chante tout bas.
Plus attentive alors, moi, pauvre humble Mรฉmoire,
D'espoirs, de doux pensers, rรชves aรฉriens,
Je me souviens.
ยซ Si parfois un ami, triste et rempli d'alarme,
Vient chercher prรจs de vous quelque espoir qui le charme ;
Sa main dans votre main, quand s'entr'ouvre son cลur,
- Le cลur, qui sait si bien parler de la douleur ! -
Du mal de votre ami, d'un regard, d'une larme,
De tout ce qui s'รฉchappe en vos longs entretiens,
Je me souviens.
ยซ ร tout ce qui gรฉmit et pleure dans la vie,
Je prรชte, en cheminant, une oreille attendrie ;
J'รฉcoute mieux encor ceux qui ne parlent plus,
Les amis d'autrefois au tombeau descendus :
Je fais revivre en moi l'รขme qui s'est enfuie ;
Des nลuds qui sont rompus rattachant les liens,
Je me souviens !
ยซ Assez d'autres sans moi garderont souvenance
De ces vers tant aimรฉs ; qu'importe mon silence !
Quand la gloire a parlรฉ, mes soins sont superflus. ยป
- C'est bien ! je suis contente, et ne veux rien de plus
Si, n'oubliant jamais ni bonheur ni souffrance,
Lorsque je vois s'enfuir les plus chers de mes biens,
Tu te souviens !