C'Ă©tait l'heure chantante oĂč, plus doux que l'aurore,
Le jour en expirant semble sourire encore,
Et laisse le zéphyr dormant sous les rameaux
En descendre avec l'ombre et flotter sur les eaux ;
La cloche dans la tour, lentement ébranlée,
Roulait ses longs soupirs de vallée en vallée,
Comme une voix du soir qui, mourant sur les flots,
Rappelle avant la nuit la nature au repos.
Les villageois, Ă©pars autour de leurs chaumiĂšres,
Cadençaient à ses sons leurs rustiques priÚres,
Rallumaient en chantant la flamme des foyers,
Suspendaient les filets aux troncs des peupliers,
Ou, déliant le joug de leurs taureaux superbes,
RĂ©pandaient devant eux l'or savoureux des gerbes ;
Puis, assis en silence au seuil de leurs séjours,
Attendaient le sommeil, ce doux prix de leurs jours.
Deux enfants du hameau, l'un pasteur du bocage,
L'autre jeune pĂȘcheur de l'orageuse plage,
Consacrant Ă l'amour l'heure oisive du soir,
A l'ombre du mĂȘme arbre Ă©taient venus s'asseoir ;
Là , pour goûter le frais au pied du sycomore,
Chacun avait conduit la vierge qu'il adore :
NĂ©aere et Naela, deux jeunes sĆurs, deux lis
Que sur la mĂȘme tige un seul souffle a cueillis.
Les deux amants, couchés aux genoux des bergÚres,
Les regardaient tresser les tiges des fougĂšres.
Un tertre de gazon, d'anémones semé,
Ătendait sous la pente un tapis parfumĂ© ;
La mer le caressait de ses vagues plaintives ;
Douze chĂȘnes, courbant leurs vieux troncs sur ses rives,
Ne laissaient sous leurs feuilles entrevoir qu'Ă demi
Le bleu du firmament dans son flot endormi.
Un arbre dont la vigne enlaçait le feuillage
Leur versait la fraĂźcheur de son mobile ombrage ;
Et non **** derriÚre eux, dans un champ déjà mûr,
OĂč le pampre et l'Ă©rable entrelaçaient leur mur,
Ils entendaient le bruit de la brise inégale
Tomber, se relever, gémir par intervalle,
Et, ranimant les airs par le jour assoupis,
Glisser en bruissant entre l'or des Ă©pis.
Ils disputaient entre eux des doux soins de leur vie ;
Chacun trouvait son sort le plus digne d'envie :
L'humble berger vantait les doux soins des troupeaux,
Le pĂȘcheur sa nacelle et le charme des eaux ;
Quand un vieillard leur dit avec un doux sourire :
- Chantez ce que les champs ou l'onde vous inspire !
Chantez ! Celui des deux dont la touchante voix
Saura mieux faire aimer les vagues ou les bois,
Des mais de la maĂźtresse Ă qui sa voix est chĂšre
Recevra le doux prix de ses accords: NĂ©aere,
Offrant Ă son amant le prix des moissonneurs,
A sa derniĂšre gerbe attachera des fleurs ;
Et Naela, tressant les roses qu'elle noue,
De l'esquif du pĂȘcheur couronnera la proue,
Et son mĂąt tout le jour, aux yeux des matelots,
De ses bouquets flottants parfumera les flots.
Ainsi dit le vieillard. On consent en silence :
Le beau pĂȘcheur mĂ©dite, et le pasteur commence.
LE PASTEUR.
Quand l'astre du printemps, au berceau d'un jour pur,
LÚve à moitié son front dans la changeant azur ;
Quand l'aurore, exhalant sa matinale haleine,
Ăpand les doux parfums dont la vallĂ©e est pleine,
Et, faisant incliner le calice des fleurs,
De la nuit sur les prés laisse épancher les pleurs,
Alors que du matin la vive messagĂšre,
L'alouette, quittant son lit dans la fougĂšre,
Et modulant des airs gais comme le réveil,
Monte, plane et gazouille au-devant du soleil :
Saisissant mes taureaux par leur corne glissante,
Je courbe sous le joug leur tĂȘte mugissante,
Par des nĆuds douze fois sur leurs fronts redoublĂ©s,
J'attache au bois polis leurs membres accouplés ;
L'anneau brillant d'acier au timon les enchaĂźne,
J'entrelace Ă leur joug de longs festons de chĂȘne,
Dont la feuille mobile et les flottants rameaux
De l'ardeur du midi protĂšgent leurs naseaux.