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I


Les prêtres avaient dit : « En ce temps-là, mes frères,

On a vu s'élever des docteurs téméraires,

Des dogmes de la foi censeurs audacieux :

Au fond du Saint des saints l'Arche s'est refermée,

Et le puits de l'abîme a vomi la fumée

Qui devait obscurcir la lumière des cieux.


L'Antéchrist est venu, qui parcourut la terre :

Tout à coup, soulevant un terrible mystère,

L'impie a remué de profanes débats ;

Il a dressé la tête : et des voix hérétiques

Ont outragé la Bible, et chanté les cantiques

Dans le langage impur qui se parle ici-bas.


Mais si le ciel permet que l'Église affligée

Gémisse pour un temps, et ne soit point vengée ;

S'il lui plaît de l'abattre et de l'humilier :

Si sa juste colère, un moment assoupie.

Dans sa gloire d'un jour laisse dormir l'impie,

Et livre ses élus au bras séculier ;


Quand les temps sont venus, le fort qui se relève

Soudain de la main droite a ressaisi le glaive :

Sur les débris épars qui gisaient sans honneur

Il rebâtit le Temple, et ses armes bénites

Abattent sous leurs coups les vils Madianites,

Comme fait les épis la faux du moissonneur.


Allez donc, secondant de pieuses vengeances,

Pour vous et vos parents gagner les indulgences ;

Fidèles, qui savez croire sans examen,

Noble race d'élus que le ciel a choisie,

Allez, et dans le sang étouffez l'hérésie !

Ou la messe, ou la mort !» - Le peuple dit : Amen.


II


A l'hôtel de Soissons, dans une tour mystique,

Catherine interroge avec des yeux émus

Des signes qu'imprima l'anneau cabalistique

Du grand Michel Nostradamus.

Elle a devant l'autel déposé sa couronne ;

A l'image de sa patronne,

En s'agenouillant pour prier.

Elle a dévotement promis une neuvaine,

Et tout haut, par trois fois, conjuré la verveine

Et la branche du coudrier.


« Les astres ont parlé : qui sait entendre, entende !

Ils ont nommé ce vieux Gaspard de Châtillon :

Ils veulent qu'en un jour ma vengeance s'étende

De l'Artois jusqu'au Roussillon.

Les pieux défenseurs de la foi chancelante

D'une guerre déjà trop lente

Ont assez couru les hasards :

A la cause du ciel unissons mon outrage.

Périssent, engloutis dans un même naufrage.

Les huguenots et les guisards ! »


III


C'était un samedi du mois d'août : c'était l'heure

Où l'on entend de ****, comme une voix qui pleure,

De l'angélus du soir les accents retentir :

Et le jour qui devait terminer la semaine

Était le jour voué, par l'Église romaine.

A saint Barthélémy, confesseur et martyr.


Quelle subite inquiétude

A cette heure ? quels nouveaux cris

Viennent troubler la solitude

Et le repos du vieux Paris ?

Pourquoi tous ces apprêts funèbres,

Pourquoi voit-on dans les ténèbres

Ces archers et ces lansquenets ?

Pourquoi ces pierres entassées,

Et ces chaînes de fer placées

Dans le quartier des Bourdonnais ?


On ne sait. Mais enfin, quelque chose d'étrange

Dans l'ombre de la nuit se prépare et s'arrange.

Les prévôts des marchands, Marcel et Jean Charron.

D'un projet ignoré mystérieux complices.

Ont à l'Hôtel-de-Ville assemblé les milices,

Qu'ils doivent haranguer debout sur le perron.


La ville, dit-on, est cernée

De soldats, les mousquets chargés ;

Et l'on a vu, l'après-dînée.

Arriver les chevau-légers :

Dans leurs mains le fer étincelle ;

Ils attendent le boute-selle.

Prêts au premier commandement ;

Et des cinq cantons catholiques,

Sur l'Évangile et les reliques,

Les Suisses ont prêté serment.


Auprès de chaque pont des troupes sont postées :

Sur la rive du nord les barques transportées ;

Par ordre de la cour, quittant leurs garnisons,

Des bandes de soldats dans Paris accourues

Passent, la hallebarde au bras, et dans les rues

Des gens ont été vus qui marquaient des maisons.


On vit, quand la nuit fut venue,

Des hommes portant sur le dos

Des choses de forme inconnue

Et de mystérieux fardeaux.

Et les passants se regardèrent :

Aucuns furent qui demandèrent :

- Où portes-tu, par l'ostensoir !

Ces fardeaux persans, je te prie ?

- Au Louvre, votre seigneurie.

Pour le bal qu'on donne ce soir.


IV


Il est temps ; tout est prêt : les gardes sont placés.

De l'hôtel Châtillon les portes sont forcées ;

Saint-Germain-l'Auxerrois a sonné le tocsin :

Maudit de Rome, effroi du parti royaliste,

C'est le grand-amiral Coligni que la liste

Désigne le premier au poignard assassin.


- « Est-ce Coligni qu'on te nomme ? »

- « Tu l'as dit. Mais, en vérité,

Tu devrais respecter, jeune homme.

Mon âge et mon infirmité.

Va, mérite ta récompense ;

Mais, tu pouvais bien, que je pense,

T'épargner un pareil forfait

Pour le peu de jours qui m'attendent ! »

Ils hésitaient, quand ils entendent

Guise leur criant : « Est-ce fait ? »


Ils l'ont tué ! la tête est pour Rome. On espère

Que ce sera présent agréable au saint père.

Son cadavre est jeté par-dessus le balcon :

Catherine aux corbeaux l'a promis pour curée.

Et rira voir demain, de ses fils entourée,

Au gibet qu'elle a fait dresser à Montfaucon.


Messieurs de Nevers et de Guise,

Messieurs de Tavanne et de Retz,

Que le fer des poignards s'aiguise,

Que vos gentilshommes soient prêts.

Monsieur le duc d'Anjou, d'Entrague,

Bâtard d'Angoulême, Birague,

Faites armer tous vos valets !

Courez où le ciel vous ordonne,

Car voici le signal que donne

La Tour-de-l'horloge au Palais.


Par l'espoir du butin ces hordes animées.

Agitant à la main des torches allumées,

Au lugubre signal se hâtent d'accourir :

Ils vont. Ceux qui voudraient, d'une main impuissante,

Écarter des poignards la pointe menaçante.

Tombent ; ceux qui dormaient s'éveillent pour mourir.


Troupes au massacre aguerries,

Bedeaux, sacristains et curés,

Moines de toutes confréries.

Capucins, Carmes, Prémontrés,

Excitant la fureur civile,

En tout sens parcourent la ville

Armés d'un glaive et d'un missel.

Et vont plaçant des sentinelles

Du Louvre au palais des Tournelles

De Saint-Lazare à Saint-Marcel.


Parmi les tourbillons d'une épaisse fumée

Que répand en flots noirs la résine enflammée,

A la rouge clarté du feu des pistolets,

On voit courir des gens à sinistre visage,

Et comme des oiseaux de funeste présage,

Les clercs du Parlement et des deux Châtelets.


Invoquant les saints et les saintes,

Animés par les quarteniers,

Ils jettent les femmes enceintes

Par-dessus le Pont-aux-Meuniers.

Dans les cours, devant les portiques.

Maîtres, écuyers, domestiques.

Tous sont égorgés sans merci :

Heureux qui peut dans ce carnage,

Traversant la Seine à la nage.

Trouver la porte de Bussi !


C'est par là que, trompant leur fureur meurtrière,

Avertis à propos, le vidame Perrière,

De Fontenay, Caumont, et de Montgomery,

Pressés qu'ils sont de fuir, sans casque, sans cuirasse.

Échappent aux soldats qui courent sur leur trace

Jusque sous les remparts de Montfort-l'Amaury.


Et toi, dont la crédule enfance,

Jeune Henri le Navarrois.

S'endormit, faible et sans défense,

Sur la foi que donnaient les rois ;

L'espérance te soit rendue :

Une clémence inattendue

A pour toi suspendu l'arrêt ;

Vis pour remplir ta destinée,

Car ton heure n'est pas sonnée,

Et ton assassin n'est pas prêt !


Partout des toits rompus et des portes brisées,

Des cadavres sanglants jetés par les croisées,

A des corps mutilés des femmes insultant ;

De bourgeois, d'écoliers, des troupes meurtrières.

Des blasphèmes, des pleurs, des cris et des prières.

Et des hommes hideux qui s'en allaient chantant :


« Valois et Lorraine

Et la double croix !

L'hérétique apprenne

Le pape et ses droits !

Tombant sous le glaive.

Que l'impie élève

Un bras impuissant ;

Archers de Lausanne,

Que la pertuisane

S'abreuve de sang !


Croyez-en l'oracle

Des corbeaux passants,

Et le grand miracle

Des Saints-Innocents.

A nos cris de guerre

On a vu naguère,

Malgré les chaleurs,

Surgir une branche

D'aubépine franche

Couverte de fleurs !


Honni qui pardonne !

Allez sans effroi,

C'est Dieu qui l'ordonne,

C'est Dieu, c'est le roi !

Le crime s'expie ;

Plongez à l'impie

Le fer au côté

Jusqu'à la poignée ;

Saignez ! la saignée

Est bonne en été ! »


V


Aux fenêtres du Louvre, on voyait le roi. « Tue,

Par la mort Dieu ! que l'hydre enfin soit abattue !

Qu'est-ce ? Ils veulent gagner le faubourg Saint-Germain ?

J'y mets empêchement : et, si je ne m'abuse,

Ce coup est bien au droit. - George, une autre arquebuse,

Et tenez toujours prête une mèche à la main.


Allons, tout va bien : Tue ! - Ah. Cadet de Lorraine,

Allez-vous-en quérir les filles de la reine.

Voici Dupont, que vient d'abattre un Écossais :

Vous savez son affaire ? Aussi bien, par la messe,

Le cas était douteux, et je vous fais promesse

Qu'elles auront plaisir à juger le procès.


Je sais comment la meute en plaine est gouvernée ;

Comment il faut chasser, en quel temps de l'année.

Aux perdrix, aux faisans, aux geais, aux étourneaux ;

Comment on doit forcer la fauve en son repaire ;

Mais je n'ai point songé, par l'âme de mon père,

A mettre en mon traité la chasse aux huguenots ! »
brianna of space May 2017
J’aime les filles.
Ils sont merveilleuses.
Tous les filles sont jolies,
Mais vous savez quand vous trouvez cette fille parfait,
La fille qui allume la salle avec son sourire
Et qui vous laisse à bout de souffle?
Quand vous de céder à cette lumière
C’est comme elle vous a éclairé de l'intérieur et le monde vous donne la clé du bonheur.
Alors, si c’est la première fois,
La deuxième fois,
La centième fois,
Ne verrouillez-pas vous dans l'obscurité.
Lumière-vous, jusqu'à ce que vous brillez.
Permettez-vous prélasser dans la lumière parce que,
Ma jeune fille,
Vous aimez les filles aussi.
I love girls.
They are wonderful.
All girls are pretty,
But you know when you find that perfect girl,
The girl who lights up the room with her smile and who takes your breath away?
When you give in to that light
It’s like you are lit from within and the world has given you the key to happiness.
So, if this is the first time,
The second time,
The hundredth time,
Do not lock yourself in the dark.
Light yourself, until you shine.
Allow yourself to bask in the light because,
My young girl,
You love girls too.

(Apologies if the French is incorrect, it is not my first language.)
solenn fresnay Mar 2012
Avec mes premiers droits d’auteur je m’achèterai une vieille maison à retaper
Longeant une petite route déserte au milieu d’un champ immense
Je ne sais pas qui retapera ma maison
Je ne mentirai plus oh non jamais plus
Mais j’aimerais que l’ivresse me vienne plus vite
Comme ce mur blanc salement tacheté de jaune
Je voudrais tout couvrir, effacer toutes les traces
Ne plus penser à toi
Mais te dire à quel point tu m’as troué le cœur
Te tordre le cou devant un parterre de gens débiles
Oui
Je ne veux pas penser à la mort de mes parents
Encore moins à leur folie
Même si je sais, je sens qu’elle approche
Je me vois bien crever toute seule comme une vieille conne frigide entourée d’une centaine de cadavres de lapins dans cette vieille maison que j’aurais achetée avec mes droits d’auteur
Les gens je les déteste, ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils peuvent faire
Ne se rendent jamais compte de rien
Non
De rien du tout
Pourtant
Je sais que ces trous du cul ont mal eux aussi
Je sens d’ici leur souffrance
Sous leurs mensonges et leurs faux-semblant je sens leur douleur d’inexistence
Mais moi vous savez
Je ne sais pas pour vous
Mais moi
Je veux juste écrire
JUSTE ECRIRE
Que mes parents demeurent immortels
Et aussi un peu d’amour charnel
Juste
Une fois
De temps à autre.

                                                                           …/…

Avec mes premiers droits d’auteur je me suis achetée une vieille maison à retaper
Longeant une petite route déserte au milieu d’un champ immense
Mais comme mes parents sont morts et que je suis une vieille conne frigide qui n’aimera jamais un homme autre que son père
Personne n’a retapé ma maison
Vieille maison qui tombe à présent en ruine
Dans laquelle je m’effondre
Jour après jour
Minute
Après
Minute
I.

C'était une humble église au cintre surbaissé,
L'église où nous entrâmes,
Où depuis trois cents ans avaient déjà passé
Et pleuré bien des âmes.

Elle était triste et calme à la chute du jour,
L'église où nous entrâmes ;
L'autel sans serviteur, comme un cœur sans amour,
Avait éteint ses flammes.

Les antiennes du soir, dont autrefois saint Paul
Réglait les chants fidèles,
Sur les stalles du chœur d'où s'élance leur vol
Avaient ployé leurs ailes.

L'ardent musicien qui sur tous à pleins bords
Verse la sympathie,
L'homme-esprit n'était plus dans l'orgue, vaste corps
Dont l'âme était partie.

La main n'était plus là, qui, vivante et jetant
Le bruit par tous les pores,
Tout à l'heure pressait le clavier palpitant,
Plein de notes sonores,

Et les faisait jaillir sous son doigt souverain
Qui se crispe et s'allonge,
Et ruisseler le long des grands tubes d'airain
Comme l'eau d'une éponge.

L'orgue majestueux se taisait gravement
Dans la nef solitaire ;
L'orgue, le seul concert, le seul gémissement
Qui mêle aux cieux la terre !

La seule voix qui puisse, avec le flot dormant
Et les forêts bénies,
Murmurer ici-bas quelque commencement
Des choses infinies !

L'église s'endormait à l'heure où tu t'endors,
Ô sereine nature !
À peine, quelque lampe au fond des corridors
Étoilait l'ombre obscure.

À peine on entendait flotter quelque soupir,
Quelque basse parole,
Comme en une forêt qui vient de s'assoupir
Un dernier oiseau vole ;

Hélas ! et l'on sentait, de moment en moment,
Sous cette voûte sombre,
Quelque chose de grand, de saint et de charmant
S'évanouir dans l'ombre !

Elle était triste et calme à la chute du jour
L'église où nous entrâmes ;
L'autel sans serviteur, comme un cœur sans amour,
Avait éteint ses flammes.

Votre front se pencha, morne et tremblant alors,
Comme une nef qui sombre,
Tandis qu'on entendait dans la ville au dehors
Passer des voix sans nombre.

II.

Et ces voix qui passaient disaient joyeusement
« Bonheur ! gaîté ! délices !
À nous les coupes d'or pleines d'un vin charmant !
À d'autres les calices !

Jouissons ! l'heure est courte et tout fuit promptement
L'urne est vite remplie !
Le nœud de l'âme au corps, hélas ! à tout moment
Dans l'ombre se délie !

Tirons de chaque objet ce qu'il a de meilleur,
La chaleur de la flamme,
Le vin du raisin mûr, le parfum de la fleur,
Et l'amour de la femme !

Épuisons tout ! Usons du printemps enchanté
Jusqu'au dernier zéphire,
Du jour jusqu'au dernier rayon, de la beauté
Jusqu'au dernier sourire !

Allons jusqu'à la fin de tout, en bien vivant,
D'ivresses en ivresses,
Une chose qui meurt, mes amis, a souvent
De charmantes caresses !

Dans le vin que je bois, ce que j'aime le mieux
C'est la dernière goutte.
L'enivrante saveur du breuvage joyeux
Souvent s'y cache toute !

Sur chaque volupté pourquoi nous hâter tous,
Sans plonger dans son onde,
Pour voir si quelque perle ignorée avant nous
N'est pas sous l'eau profonde ?

Que sert de n'effleurer qu'à peine ce qu'on tient,
Quand on a les mains pleines,
Et de vivre essoufflé comme un enfant qui vient
De courir dans les plaines ?

Jouissons à loisir ! Du loisir tout renaît !
Le bonheur nous convie !
Faisons, comme un tison qu'on heurte au dur chenet,
Étinceler la vie !

N'imitons pas ce fou que l'ennui tient aux fers,
Qui pleure et qui s'admire.
Toujours les plus beaux fruits d'ici-bas sont offerts
Aux belles dents du rire !

Les plus tristes d'ailleurs, comme nous qui rions,
Souillent parfois leur âme.
Pour fondre ces grands cœurs il suffit des rayons
De l'or ou de la femme.

Ils tombent comme nous, malgré leur fol orgueil
Et leur vaine amertume ;
Les flots les plus hautains, dès que vient un écueil,
S'écroulent en écume !

Vivons donc ! et buvons, du soir jusqu'au matin,
Pour l'oubli de nous-même,
Et déployons gaîment la nappe du festin,
Linceul du chagrin blême !

L'ombre attachée aux pas du beau plaisir vermeil,
C'est la tristesse sombre.
Marchons les yeux toujours tournés vers le soleil ;
Nous ne verrons pas l'ombre !

Qu'importe le malheur, le deuil, le désespoir,
Que projettent nos joies,
Et que derrière nous quelque chose de noir
Se traîne sur nos voies !

Nous ne le savons pas. - Arrière les douleurs,
Et les regrets moroses !
Faut-il donc, en fanant des couronnes de fleurs,
Avoir pitié des roses ?

Les vrais biens dans ce monde, - et l'autre est importun !
C'est tout ce qui nous fête,
Tout ce qui met un chant, un rayon, un parfum,
Autour de notre tête !

Ce n'est jamais demain, c'est toujours aujourd'hui !
C'est la joie et le rire !
C'est un sein éclatant peut-être plein d'ennui,
Qu'on baise et qui soupire !

C'est l'orgie opulente, enviée au-dehors,
Contente, épanouie,
Qui rit, et qui chancelle, et qui boit à pleins bords,
De flambeaux éblouie ! »

III.

Et tandis que ces voix, que tout semblait grossir,
Voix d'une ville entière,
Disaient : Santé, bonheur, joie, orgueil et plaisir !
Votre œil disait : Prière !

IV.

Elles parlaient tout haut et vous parliez tout bas
- « Dieu qui m'avez fait naître,
Vous m'avez réservée ici pour des combats
Dont je tremble, ô mon maître !

Ayez pitié ! - L'esquif où chancellent mes pas
Est sans voile et sans rames.
Comme pour les enfants, pourquoi n'avez-vous pas
Des anges pour les femmes ?

Je sais que tous nos jours ne sont rien, Dieu tonnant,
Devant vos jours sans nombre.
Vous seul êtes réel, palpable et rayonnant ;
Tout le reste est de l'ombre.

Je le sais. Mais cette ombre où nos cœurs sont flottants,
J'y demande ma route.
Quelqu'un répondra-t-il ? Je prie, et puis j'attends !
J'appelle, et puis j'écoute !

Nul ne vient. Seulement par instants, sous mes pas,
Je sens d'affreuses trames.
Comme pour les enfants, pourquoi n'avez-vous pas
Des anges pour les femmes ?

Seigneur ! autour de moi, ni le foyer joyeux,
Ni la famille douce,
Ni l'orgueilleux palais qui touche presque aux cieux,
Ni le nid dans la mousse,

Ni le fanal pieux qui montre le chemin,
Ni pitié, ni tendresse,
Hélas ! ni l'amitié qui nous serre la main,
Ni l'amour qui la presse,

Seigneur, autour de moi rien n'est resté debout !
Je pleure et je végète,
Oubliée au milieu des ruines de tout,
Comme ce qu'on rejette !

Pourtant je n'ai rien fait à ce monde d'airain,
Vous le savez vous-même.
Toutes mes actions passent le front serein
Devant votre œil suprême.

Jusqu'à ce que le pauvre en ait pris la moitié,
Tout ce que j'ai me pèse.
Personne ne me plaint. Moi, de tous j'ai pitié.
Moi, je souffre et j'apaise !

Jamais de votre haine ou de votre faveur
Je n'ai dit : Que m'importe !
J'ai toujours au passant que je voyais rêveur
Enseigné votre porte.

Vous le savez. - Pourtant mes pleurs que vous voyez,
Seigneur, qui les essuie ?
Tout se rompt sous ma main, tout tremble sous mes pieds,
Tout coule où je m'appuie.

Ma vie est sans bonheur, mon berceau fut sans jeux.
Cette loi, c'est la vôtre !
Tous les rayons de jour de mon ciel orageux
S'en vont l'un après l'autre.

Je n'ai plus même, hélas ! le flux et le reflux
Des clartés et des ombres.
Mon esprit chaque jour descend de plus en plus
Parmi les rêves sombres.

On dit que sur les cœurs, pleins de trouble et d'effroi,
Votre grâce s'épanche.
Soutenez-moi, Seigneur ! Seigneur, soutenez-moi,
Car je sens que tout penche ! »

V.

Et moi, je contemplais celle qui priait Dieu
Dans l'enceinte sacrée,
La trouvant grave et douce et digne du saint lieu,
Cette belle éplorée.

Et je lui dis, tâchant de ne pas la troubler,
La pauvre enfant qui pleure,
Si par hasard dans l'ombre elle entendait parler
Quelque autre voix meilleure,

Car au déclin des ans comme au matin des jours,
Joie, extase ou martyre,
Un autel que rencontre une femme a toujours
Quelque chose à lui dire !

VI.

« Ô madame ! pourquoi ce chagrin qui vous suit,
Pourquoi pleurer encore,
Vous, femme au cœur charmant, sombre comme la nuit,
Douce comme l'aurore ?

Qu'importe que la vie, inégale ici-bas
Pour l'homme et pour la femme,
Se dérobe et soit prête à rompre sous vos pas ?
N'avez-vous pas votre âme ?

Votre âme qui bientôt fuira peut-être ailleurs
Vers les régions pures,
Et vous emportera plus **** que nos douleurs,
Plus **** que nos murmures !

Soyez comme l'oiseau, posé pour un instant
Sur des rameaux trop frêles,
Qui sent ployer la branche et qui chante pourtant,
Sachant qu'il a des ailes ! »

Octobre 18...
À Mme de P*.

Il est pour la pensée une heure... une heure sainte,
Alors que, s'enfuyant de la céleste enceinte,
De l'absence du jour pour consoler les cieux,
Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux.
On voit à l'horizon sa lueur incertaine,
Comme les bords flottants d'une robe qui traîne,
Balayer lentement le firmament obscur,
Où les astres ternis revivent dans l'azur.
Alors ces globes d'or, ces îles de lumière,
Que cherche par instinct la rêveuse paupière,
Jaillissent par milliers de l'ombre qui s'enfuit
Comme une poudre d'or sur les pas de la nuit ;
Et le souffle du soir qui vole sur sa trace,
Les sème en tourbillons dans le brillant espace.
L'oeil ébloui les cherche et les perd à la fois ;
Les uns semblent planer sur les cimes des bois,
Tel qu'un céleste oiseau dont les rapides ailes
Font jaillir en s'ouvrant des gerbes d'étincelles.
D'autres en flots brillants s'étendent dans les airs,
Comme un rocher blanchi de l'écume des mers ;
Ceux-là, comme un coursier volant dans la carrière,
Déroulent à longs plis leur flottante crinière ;
Ceux-ci, sur l'horizon se penchant à demi,
Semblent des yeux ouverts sur le monde endormi,
Tandis qu'aux bords du ciel de légères étoiles
Voguent dans cet azur comme de blanches voiles
Qui, revenant au port, d'un rivage lointain,
Brillent sur l'Océan aux rayons du matin.

De ces astres brillants, son plus sublime ouvrage,
Dieu seul connaît le nombre, et la distance, et l'âge ;
Les uns, déjà vieillis, pâlissent à nos yeux,
D'autres se sont perdus dans les routes des cieux,
D'autres, comme des fleurs que son souffle caresse,
Lèvent un front riant de grâce et de jeunesse,
Et, charmant l'Orient de leurs fraîches clartés,
Etonnent tout à coup l'oeil qui les a comptés.
Dans la danse céleste ils s'élancent... et l'homme,
Ainsi qu'un nouveau-né, les salue, et les nomme.
Quel mortel enivré de leur chaste regard,
Laissant ses yeux flottants les fixer au hasard,
Et cherchant le plus pur parmi ce choeur suprême,
Ne l'a pas consacré du nom de ce qu'il aime ?
Moi-même... il en est un, solitaire, isolé,
Qui, dans mes longues nuits, m'a souvent consolé,
Et dont l'éclat, voilé des ombres du mystère,
Me rappelle un regard qui brillait sur la terre.
Peut-être ?... ah ! puisse-t-il au céleste séjour
Porter au moins ce nom que lui donna l'Amour !

Cependant la nuit marche, et sur l'abîme immense
Tous ces mondes flottants gravitent en silence,
Et nous-même, avec eux emportés dans leur cours
Vers un port inconnu nous avançons toujours !
Souvent, pendant la nuit, au souffle du zéphire,
On sent la terre aussi flotter comme un navire.
D'une écume brillante on voit les monts couverts
Fendre d'un cours égal le flot grondant des airs ;
Sur ces vagues d'azur où le globe se joue,
On entend l'aquilon se briser sous la proue,
Et du vent dans les mâts les tristes sifflements,
Et de ses flancs battus les sourds gémissements ;
Et l'homme sur l'abîme où sa demeure flotte
Vogue avec volupté sur la foi du pilote !
Soleils ! mondes flottants qui voguez avec nous,
Dites, s'il vous l'a dit, où donc allons-nous tous ?
Quel est le port céleste où son souffle nous guide ?
Quel terme assigna-t-il à notre vol rapide ?
Allons-nous sur des bords de silence et de deuil,
Echouant dans la nuit sur quelque vaste écueil,
Semer l'immensité des débris du naufrage ?
Ou, conduits par sa main sur un brillant rivage,
Et sur l'ancre éternelle à jamais affermis,
Dans un golfe du ciel aborder endormis ?

Vous qui nagez plus près de la céleste voûte,
Mondes étincelants, vous le savez sans doute !
Cet Océan plus pur, ce ciel où vous flottez,
Laisse arriver à vous de plus vives clartés ;
Plus brillantes que nous, vous savez davantage ;
Car de la vérité la lumière est l'image !
Oui : si j'en crois l'éclat dont vos orbes errants
Argentent des forêts les dômes transparents,
Qui glissant tout à coup sur des mers irritées,
Calme en les éclairant les vagues agitées ;
Si j'en crois ces rayons dont le sensible jour
Inspire la vertu, la prière, l'amour,
Et quand l'oeil attendri s'entrouvre à leur lumière,
Attirent une larme au bord de la paupière ;
Si j'en crois ces instincts, ces doux pressentiments
Qui dirigent vers nous les soupirs des amants,
Les yeux de la beauté, les rêves qu'on regrette,
Et le vol enflammé de l'aigle et du poète !
Tentes du ciel, Edens ! temples! brillants palais !
Vous êtes un séjour d'innocence et de paix !
Dans le calme des nuits, à travers la distance,
Vous en versez sur nous la lointaine influence !
Tout ce que nous cherchons, l'amour, la vérité,
Ces fruits tombés du ciel dont la terre a goûté,
Dans vos brillants climats que le regard envie
Nourrissent à jamais les enfants de la vie,
Et l'homme, un jour peut-être à ses destins rendu,
Retrouvera chez vous tout ce qu'il a perdu ?
Hélas ! combien de fois seul, veillant sur ces cimes
Où notre âme plus libre a des voeux plus sublimes,
Beaux astres ! fleurs du ciel dont le lis est jaloux,
J'ai murmuré tout bas : Que ne suis-je un de vous ?
Que ne puis-je, échappant à ce globe de boue,
Dans la sphère éclatante où mon regard se joue,
Jonchant d'un feu de plus le parvis du saint lieu,
Eclore tout à coup sous les pas de mon Dieu,
Ou briller sur le front de la beauté suprême,
Comme un pâle fleuron de son saint diadème ?

Dans le limpide azur de ces flots de cristal,
Me souvenant encor de mon globe natal,
Je viendrais chaque nuit, tardif et solitaire,
Sur les monts que j'aimais briller près de la terre ;
J'aimerais à glisser sous la nuit des rameaux,
A dormir sur les prés, à flotter sur les eaux ;
A percer doucement le voile d'un nuage,
Comme un regard d'amour que la pudeur ombrage :
Je visiterais l'homme ; et s'il est ici-bas
Un front pensif, des yeux qui ne se ferment pas,
Une âme en deuil, un coeur qu'un poids sublime oppresse,
Répandant devant Dieu sa pieuse tristesse ;
Un malheureux au jour dérobant ses douleurs
Et dans le sein des nuits laissant couler ses pleurs,
Un génie inquiet, une active pensée
Par un instinct trop fort dans l'infini lancée ;
Mon rayon pénétré d'une sainte amitié
Pour des maux trop connus prodiguant sa pitié,
Comme un secret d'amour versé dans un coeur tendre,
Sur ces fronts inclinés se plairait à descendre !
Ma lueur fraternelle en découlant sur eux
Dormirait sur leur sein, sourirait à leurs yeux :
Je leur révélerais dans la langue divine
Un mot du grand secret que le malheur devine ;
Je sécherais leurs pleurs ; et quand l'oeil du matin
Ferait pâlir mon disque à l'horizon lointain,
Mon rayon en quittant leur paupière attendrie
Leur laisserait encor la vague rêverie,
Et la paix et l'espoir ; et, lassés de gémir,
Au moins avant l'aurore ils pourraient s'endormir !

Et vous, brillantes soeurs! étoiles, mes compagnes,
Qui du bleu firmament émaillez les campagnes,
Et cadençant vos pas à la lyre des cieux,
Nouez et dénouez vos choeurs harmonieux !
Introduit sur vos pas dans la céleste chaîne,
Je suivrais dans l'azur l'instinct qui vous entraîne,
Vous guideriez mon oeil dans ce brillant désert,
Labyrinthe de feux où le regard se perd !
Vos rayons m'apprendraient à louer, à connaître
Celui que nous cherchons, que vous voyez peut-être !
Et noyant dans son sein mes tremblantes clartés,
Je sentirais en lui.., tout ce que vous sentez !
Vous êtes brune et pourtant blonde,
Vous êtes blonde et pourtant brune...
Aurais-je l'air, aux yeux du monde,
D'arriver tout droit de la lune ?

Et cependant, on peut m'en croire,
Vous êtes l'une et l'autre chose
Comme Vous êtes blanche et noire,
Des cheveux noire et de chair, rose.

Mais peut-on dire dans le monde,
La plaisanterie est commune :
« Si votre belle Amie est blonde,
Elle est blonde, elle n'est pas brune ».

À moins d'arriver de la lune,
Peut encor dire tout le monde :
« Si votre belle Amie est brune,
Elle est brune, elle n'est pas blonde ».

Pourtant ! le savez-vous mieux qu'Elle ?
Leur répondrai-je (Tu supposes)
Eh bien ! moi, je ne sais laquelle
Elle est le plus de ces deux choses.

Bien que personne n'y consente
Et qu'elle semble inconséquente,
C'est une brune languissante
Et c'est une blonde piquante.

Aurais-je la bonne fortune
De mettre d'accord tout le monde,
Concédez-moi donc qu'elle est brune,
Je vous accorde qu'elle est blonde.

Elle a, pour faire à tout le monde
Une concession encore,
Une longue mèche de blonde
Dans ces cheveux bruns, qui les dore.

Enfin, je vous dis qu'elle est brune,
Je vous répète qu'elle est blonde,
Et si j'arrive de la lune,
Je me moque de tout le monde !

Après tout, ce n'est pas ma faute
Si, sous ses longs cheveux... funèbres,
Le corps blanc dont votre âme est l'hôte
A du soleil... dans ses ténèbres.
(Sur le départ de Madame la marquise.)

Allez, belle marquise, allez en d'autres lieux
Semer les doux périls qui naissent de vos yeux.
Vous trouverez partout les âmes toutes prêtes
A recevoir vos lois et grossir vos conquêtes,
Et les cœurs à l'envi se jetant dans vos fers
Ne feront point de vœux qui ne vous soient offerts ;
Mais ne pensez pas tant aux glorieuses peines
De ces nouveaux captifs qui vont prendre vos chaînes,
Que vous teniez vos soins tout-à-fait dispensés
De faire un peu de grâce à ceux que vous laissez.
Apprenez à leur noble et chère servitude
L'art de vivre sans vous et sans inquiétude ;
Et, si sans faire un crime on peut vous en prier,
Marquise, apprenez-moi l'art de vous oublier.

En vain de tout mon cœur la triste prévoyance
A voulu faire essai des maux de votre absence ;
Quand j'ai cru le soustraire à des yeux si charmants,
Je l'ai livré moi-même à de nouveaux tourments :
Il a fait quelques jours le mutin et le brave,
Mais il revient à vous, et revient plus esclave,
Et reporte à vos pieds le tyrannique effet
De ce tourment nouveau que lui-même il s'est fait.

Vengez-vous du rebelle, et faites-vous justice ;
Vous devez un mépris du moins à son caprice ;
Avoir un si long temps des sentiments si vains,
C'est assez mériter l'honneur de vos dédains.
Quelle bonté superbe, ou quelle indifférence
A sa rébellion ôte le nom d'offense ?

Quoi ! vous me revoyez sans vous plaindre de rien ?
Je trouve même accueil avec même entretien ?
Hélas ! et j'espérais que votre humeur altière
M'ouvrirait les chemins à la révolte entière ;
Ce cœur, que la raison ne peut plus secourir,
Cherchait dans votre orgueil une aide à se guérir :
Mais vous lui refusez un moment de colère ;
Vous m'enviez le bien d'avoir pu vous déplaire ;
Vous dédaignez de voir quels sont mes attentats,
Et m'en punissez mieux ne m'en punissant pas.

Une heure de grimace ou froide ou sérieuse,
Un ton de voix trop rude ou trop impérieuse,
Un sourcil trop sévère, une ombre de fierté,
M'eût peut-être à vos yeux rendu la liberté.

J'aime, mais en aimant je n'ai point la bassesse
D'aimer jusqu'au mépris de l'objet qui me blesse ;
Ma flamme se dissipe à la moindre rigueur.
Non qu'enfin mon amour prétende cœur pour cœur :
Je vois mes cheveux gris : je sais que les années
Laissent peu de mérite aux âmes les mieux nées ;
Que les plus beaux talents des plus rares esprits,
Quand les corps sont usés, perdent bien de leur prix ;
Que, si dans mes beaux jours je parus supportable,
J'ai trop longtemps aimé pour être encore aimable,
Et que d'un front ridé les replis jaunissants
Mêlent un triste charme au prix de mon encens.
Je connais mes défauts ; mais après tout, je pense
Être pour vous encore un captif d'importance :

Car vous aimez la gloire, et vous savez qu'un roi
Ne vous en peut jamais assurer tant que moi.
Il est plus en ma main qu'en celle d'un monarque
De vous faire égaler l'amante de Pétrarque,
Et mieux que tous les rois je puis faire douter
De sa Laure ou de vous qui le doit emporter.

Aussi, je le vois trop, vous aimez à me plaire,
Vous vous rendez pour moi facile à satisfaire ;
Votre âme de mes feux tire un plaisir secret,
Et vous me perdriez sans honte avec regret.

Marquise, dites donc ce qu'il faut que je fasse :
Vous rattachez mes fers quand la saison vous chasse ;
Je vous avais quittée, et vous me rappelez
Dans le cruel instant que vous vous en allez.
Rigoureuse faveur, qui force à disparaître
Ce calme étudié que je faisais renaître,
Et qui ne rétablit votre absolu pouvoir
Que pour me condamner à languir sans vous voir !

Payez, payez mes feux d'une plus faible estime,
Traitez-les d'inconstants ; nommez ma fuite un crime ;
Prêtez-moi, par pitié, quelque injuste courroux ;
Renvoyez mes soupirs qui volent après vous ;
Faites-moi présumer qu'il en est quelques autres
A qui jusqu'en ces lieux vous renvoyez des vôtres,
Qu'en faveur d'un rival vous allez me trahir :
J'en ai, vous le savez, que je ne puis haïr ;
Négligez-moi pour eux, mais dites en vous-même :
« Moins il me veut aimer, plus il fait voir qu'il m'aime,
Et m'aime d'autant plus que son cœur enflammé
N'ose même aspirer au bonheur d'être aimé ;
Je fais tous ses plaisirs, j'ai toutes ses pensées,
Sans que le moindre espoir les ait intéressées. »

Puissé-je malgré vous y penser un peu moins,
M'échapper quelques jours vers quelques autres soins,
Trouver quelques plaisirs ailleurs qu'en votre idée,
Et voir toute mon âme un peu moins obsédée ;
Et vous, de qui je n'ose attendre jamais rien,
Ne ressentir jamais un mal pareil au mien !

Ainsi parla Cléandre, et ses maux se passèrent,
Son feu s'évanouit, ses déplaisirs cessèrent :
Il vécut sans la dame, et vécut sans ennui,
Comme la dame ailleurs se divertit sans lui.
Heureux en son amour, si l'ardeur qui l'anime
N'en conçoit les tourments que pour s'en plaindre en rime,
Et si d'un feu si beau la céleste vigueur
Peut enflammer ses vers sans échauffer son cœur !
Le poète.

Du temps que j'étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s'asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Son visage était triste et beau :
À la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu'au lendemain,
Pensif, avec un doux sourire.

Comme j'allais avoir quinze ans
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d'un arbre vint s'asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Je lui demandai mon chemin ;
Il tenait un luth d'une main,
De l'autre un bouquet d'églantine.
Il me fit un salut d'ami,
Et, se détournant à demi,
Me montra du doigt la colline.

À l'âge où l'on croit à l'amour,
J'étais seul dans ma chambre un jour,
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s'asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Il était morne et soucieux ;
D'une main il montrait les cieux,
Et de l'autre il tenait un glaive.
De ma peine il semblait souffrir,
Mais il ne poussa qu'un soupir,
Et s'évanouit comme un rêve.

À l'âge où l'on est libertin,
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevais mon verre.
En face de moi vint s'asseoir
Un convive vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Il secouait sous son manteau
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile.
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma main débile.

Un an après, il était nuit ;
J'étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s'asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Ses yeux étaient noyés de pleurs ;
Comme les anges de douleurs,
Il était couronné d'épine ;
Son luth à terre était gisant,
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.

Je m'en suis si bien souvenu,
Que je l'ai toujours reconnu
À tous les instants de ma vie.
C'est une étrange vision,
Et cependant, ange ou démon,
J'ai vu partout cette ombre amie.

Lorsque plus ****, las de souffrir,
Pour renaître ou pour en finir,
J'ai voulu m'exiler de France ;
Lorsqu'impatient de marcher,
J'ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d'une espérance ;

À Pise, au pied de l'Apennin ;
À Cologne, en face du Rhin ;
À Nice, au penchant des vallées ;
À Florence, au fond des palais ;
À Brigues, dans les vieux chalets ;
Au sein des Alpes désolées ;

À Gênes, sous les citronniers ;
À Vevey, sous les verts pommiers ;
Au Havre, devant l'Atlantique ;
À Venise, à l'affreux Lido,
Où vient sur l'herbe d'un tombeau
Mourir la pâle Adriatique ;

Partout où, sous ces vastes cieux,
J'ai lassé mon cœur et mes yeux,
Saignant d'une éternelle plaie ;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M'a promené sur une claie ;

Partout où, sans cesse altéré
De la soif d'un monde ignoré,
J'ai suivi l'ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J'ai revu ce que j'avais vu,
La face humaine et ses mensonges ;

Partout où, le long des chemins,
J'ai posé mon front dans mes mains,
Et sangloté comme une femme ;
Partout où j'ai, comme un mouton,
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuder mon âme ;

Partout où j'ai voulu dormir,
Partout où j'ai voulu mourir,
Partout où j'ai touché la terre,
Sur ma route est venu s'asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
Je vois toujours sur mon chemin ?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
Que tu sois mon mauvais Destin.
Ton doux sourire a trop de patience,
Tes larmes ont trop de pitié.
En te voyant, j'aime la Providence.
Ta douleur même est sœur de ma souffrance ;
Elle ressemble à l'Amitié.

Qui donc es-tu ? - Tu n'es pas mon bon ange,
Jamais tu ne viens m'avertir.
Tu vois mes maux (c'est une chose étrange !)
Et tu me regardes souffrir.
Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
Et je ne saurais t'appeler.
Qui donc es-tu, si c'est Dieu qui t'envoie ?
Tu me souris sans partager ma joie,
Tu me plains sans me consoler !

Ce soir encor je t'ai vu m'apparaître.
C'était par une triste nuit.
L'aile des vents battait à ma fenêtre ;
J'étais seul, courbé sur mon lit.
J'y regardais une place chérie,
Tiède encor d'un baiser brûlant ;
Et je songeais comme la femme oublie,
Et je sentais un lambeau de ma vie
Qui se déchirait lentement.

Je rassemblais des lettres de la veille,
Des cheveux, des débris d'amour.

Tout ce passé me criait à l'oreille
Ses éternels serments d'un jour.
Je contemplais ces reliques sacrées,
Qui me faisaient trembler la main :
Larmes du cœur par le cœur dévorées,
Et que les yeux qui les avaient pleurées
Ne reconnaîtront plus demain !

J'enveloppais dans un morceau de bure
Ces ruines des jours heureux.
Je me disais qu'ici-bas ce qui dure,
C'est une mèche de cheveux.
Comme un plongeur dans une mer profonde,
Je me perdais dans tant d'oubli.
De tous côtés j'y retournais la sonde,
Et je pleurais, seul, **** des yeux du monde,
Mon pauvre amour enseveli.

J'allais poser le sceau de cire noire
Sur ce fragile et cher trésor.
J'allais le rendre, et, n'y pouvant pas croire,
En pleurant j'en doutais encor.
Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée,
Malgré toi, tu t'en souviendras !
Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ?
Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots, si tu n'aimais pas ?

Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ;
Mais ta chimère est entre nous.
Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures
Qui me sépareront de vous.
Partez, partez, et dans ce cœur de glace
Emportez l'orgueil satisfait.
Je sens encor le mien jeune et vivace,
Et bien des maux pourront y trouver place
Sur le mal que vous m'avez fait.

Partez, partez ! la Nature immortelle
N'a pas tout voulu vous donner.
Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle,
Et ne savez pas pardonner !
Allez, allez, suivez la destinée ;
Qui vous perd n'a pas tout perdu.
Jetez au vent notre amour consumée ; -
Eternel Dieu ! toi que j'ai tant aimée,
Si tu pars, pourquoi m'aimes-tu ?

Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre
Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre ;
Elle vient s'asseoir sur mon lit.
Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
Sombre portrait vêtu de noir ?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage ?
Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image
Que j'aperçois dans ce miroir ?

Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
Pèlerin que rien n'a lassé ?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
Assis dans l'ombre où j'ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs ?
Qu'as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?
Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
Qui n'apparais qu'au jour des pleurs ?

La vision.

- Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l'ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j'aime, je ne sais pas
De quel côté s'en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.

Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m'as nommé par mon nom
Quand tu m'as appelé ton frère ;
Où tu vas, j'y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j'irai m'asseoir sur ta pierre.

Le ciel m'a confié ton cœur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin ;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitude.
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au **** leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
Les papillons couleur de neige

Volent par essaims sur la mer ;

Beaux papillons blancs, quand pourrai-je

Prendre le bleu chemin de l'air ?


Savez-vous, ô belle des belles,

Ma bayadère aux yeux de jais,

S'ils me pouvaient prêter leurs ailes,

Dites, savez-vous où j'irais ?


Sans prendre un seul baiser aux roses,

À travers vallons et forêts,

J'irais à vos lèvres mi-closes,

Fleur de mon âme, et j'y mourrais.
Huit millisecondes
Huit infimes millisecondes
Voici tout ce que Muse
M'a laissé entrevoir
De sa vulve.
Etait-ce par inadvertance
Par bravade ou en toute innocence
Qu'elle m'a autorisé ce jour-là
A me rincer l 'oeil
A travers le trou de la serrure
De mon portable
Alors qu'elle finissait son bain
Et allait se sécher?
Huit millisecondes
De peep show
Qui ont effacé tous les nu non niet
Nee nein não no
Huit millisecondes
Que depuis j'essaie de visualiser à nouveau au ralenti.

En vain.
Rien n'y fait
Muse est de marbre de Carrare.
Inflexible. Intransigeante.
Décidément Muse n 'est pas exhibitionniste.

J 'ai pourtant tout fait pour l 'amadouer.
Je lui dis je veux j 'exige
je la supplie, je lui joue de ma cornemuse
je me mets à genoux, je boude
je lui promets l'enfer et le paradis
Je fais ma grosse voix
je suis saint Thomas
je ne crois que ce que je vois
J 'ai tout fait pour la convaincre.
C'est une chatte comme toutes les chattes, me dit-elle
et moi je lui réponds : non c'est une sainte chatte diablesse
Elle me parle de foi et me jure qu'on ne voit bien qu'avec le coeur.
et pas avec la queue.
Fort bien. J 'ai donc décidé
De regarder la chatte de Muse avec le coeur
Aveugle et scientifique
Au ralenti de mon télescope électronique .
Et savez-vous ce que j 'ai découvert ?
Je vous le donne en mille.
La vulve de ma muse est un vrai diaporama !
La vulve de ma muse est écomorphe !
En un mot pour faire court
La vulve de ma muse a 88 nuances de vulve !
Du mons ***** aux ***** minora
Des ***** majora au *******
des glandes de Bartholin à l 'introïtus
Ma muse c'est quatre-vingt-huit vulves en une !
Toutes de la même espèce rare de vulvae anolis
Mais aux niches, couleurs, mucus et formes fort différents
En fonction de leur environnement et de leurs prédateurs.

Quand je fais l 'iguane
et que je m'approche trop d'elle
La vulve de Muse se perche
Dans les hautes sphères de la canopée
elle est verte alors et se confond avec le feuillage
Tel un zandoli vert
bien malin qui pourrait la voir.

Lors des grosses canicules elle devient marron
elle a soif , se faufile dans le tronc des arbres
A la recherche de la fraîcheur
et s'alimente de la maigre pitance
Du latex des sapotilliers

Et quand elle fait sa sieste
Elle est blanche et noire à la fois
fantomatique et phosphorescente
et elle se pend aux branches
Et est si vulnérable
offerte à tous vents
qu'on peut la capturer
l 'identifier
la mesurer la peser la baguer
et la photographier sous toutes les coutures
avant de la relâcher dans le flot de ses rêves.

Huit millisecondes
C 'est peu pour satisfaire
Même avec les yeux du coeur
Le désir du ******
Mais c'est assez pour alimenter
Les constellations de l 'écriture
Et n 'est-ce pas cela en fait la raison d'être des Muses :
Alimenter , nourrir, susciter l 'envie...d'avoir envie ?
J'entrai dernièrement dans une vieille église ;

La nef était déserte, et sur la dalle grise,

Les feux du soir, passant par les vitraux dorés,

Voltigeaient et dansaient, ardemment colorés.

Comme je m'en allais, visitant les chapelles,

Avec tous leurs festons et toutes leurs dentelles,

Dans un coin du jubé j'aperçus un tableau

Représentant un Christ qui me parut très-beau.

On y voyait saint Jean, Madeleine et la Vierge ;

Leurs chairs, d'un ton pareil à la cire de cierge,

Les faisaient ressembler, sur le fond sombre et noir,

A ces fantômes blancs qui se dressent le soir,

Et vont croisant les bras sous leurs draps mortuaires ;

Leurs robes à plis droits, ainsi que des suaires,

S'allongeaient tout d'un jet de leur nuque à leurs pieds ;

Ainsi faits, l'on eût dit qu'ils fussent copiés

Dans le campo-Santo sur quelque fresque antique,

D'un vieux maître Pisan, artiste catholique,

Tant l'on voyait reluire autour de leur beauté,

Le nimbe rayonnant de la mysticité,

Et tant l'on respirait dans leur humble attitude,

Les parfums onctueux de la béatitude.


Sans doute que c'était l'œuvre d'un Allemand,

D'un élève d'Holbein, mort bien obscurément,

A vingt ans, de misère et de mélancolie,

Dans quelque bourg de Flandre, au retour d'Italie ;

Car ses têtes semblaient, avec leur blanche chair,

Un rêve de soleil par une nuit d'hiver.


Je restai bien longtemps dans la même posture,

Pensif, à contempler cette pâle peinture ;

Je regardais le Christ sur son infâme bois,

Pour embrasser le monde, ouvrant les bras en croix ;

Ses pieds meurtris et bleus et ses deux mains clouées,

Ses chairs, par les bourreaux, à coups de fouets trouées,

La blessure livide et béante à son flanc ;

Son front d'ivoire où perle une sueur de sang ;

Son corps blafard, rayé par des lignes vermeilles,

Me faisaient naître au cœur des pitiés nonpareilles,

Et mes yeux débordaient en des ruisseaux de pleurs,

Comme dut en verser la Mère de Douleurs.

Dans l'outremer du ciel les chérubins fidèles,

Se lamentaient en chœur, la face sous leurs ailes,

Et l'un d'eux recueillait, un ciboire à la main,

Le pur-sang de la plaie où boit le genre humain ;

La sainte vierge, au bas, regardait : pauvre mère

Son divin fils en proie à l'agonie amère ;

Madeleine et saint Jean, sous les bras de la croix

Mornes, échevelés, sans soupirs et sans voix,

Plus dégoutants de pleurs qu'après la pluie un arbre,

Étaient debout, pareils à des piliers de marbre.


C'était, certes, un spectacle à faire réfléchir,

Et je sentis mon cou, comme un roseau, fléchir

Sous le vent que faisait l'aile de ma pensée,

Avec le chant du soir, vers le ciel élancée.

Je croisai gravement mes deux bras sur mon sein,

Et je pris mon menton dans le creux de ma main,

Et je me dis : « O Christ ! Tes douleurs sont trop vives ;

Après ton agonie au jardin des Olives,

Il fallait remonter près de ton père, au ciel,

Et nous laisser à nous l'éponge avec le fiel ;

Les clous percent ta chair, et les fleurons d'épines

Entrent profondément dans tes tempes divines.

Tu vas mourir, toi, Dieu, comme un homme. La mort

Recule épouvantée à ce sublime effort ;

Elle a peur de sa proie, elle hésite à la prendre,

Sachant qu'après trois jours il la lui faudra rendre,

Et qu'un ange viendra, qui, radieux et beau,

Lèvera de ses mains la pierre du tombeau ;

Mais tu n'en as pas moins souffert ton agonie,

Adorable victime entre toutes bénie ;

Mais tu n'en a pas moins avec les deux voleurs,

Étendu tes deux bras sur l'arbre de douleurs.


Ô rigoureux destin ! Une pareille vie,

D'une pareille mort si promptement suivie !

Pour tant de maux soufferts, tant d'absinthe et de fiel,

Où donc est le bonheur, le vin doux et le miel ?

La parole d'amour pour compenser l'injure,

Et la bouche qui donne un baiser par blessure ?

Dieu lui-même a besoin quand il est blasphémé,

Pour nous bénir encore de se sentir aimé,

Et tu n'as pas, Jésus, traversé cette terre,

N'ayant jamais pressé sur ton cœur solitaire

Un cœur sincère et pur, et fait ce long chemin

Sans avoir une épaule où reposer ta main,

Sans une âme choisie où répandre avec flamme

Tous les trésors d'amour enfermés dans ton âme.


Ne vous alarmez pas, esprits religieux,

Car l'inspiration descend toujours des cieux,

Et mon ange gardien, quand vint cette pensée,

De son bouclier d'or ne l'a pas repoussée.

C'est l'heure de l'extase où Dieu se laisse voir,

L'Angélus éploré tinte aux cloches du soir ;

Comme aux bras de l'amant, une vierge pâmée,

L'encensoir d'or exhale une haleine embaumée ;

La voix du jour s'éteint, les reflets des vitraux,

Comme des feux follets, passent sur les tombeaux,

Et l'on entend courir, sous les ogives frêles,

Un bruit confus de voix et de battements d'ailes ;

La foi descend des cieux avec l'obscurité ;

L'orgue vibre ; l'écho répond : Eternité !

Et la blanche statue, en sa couche de pierre,

Rapproche ses deux mains et se met en prière.

Comme un captif, brisant les portes du cachot,

L'âme du corps s'échappe et s'élance si haut,

Qu'elle heurte, en son vol, au détour d'un nuage,

L'étoile échevelée et l'archange en voyage ;

Tandis que la raison, avec son pied boiteux,

La regarde d'en-bas se perdre dans les cieux.

C'est à cette heure-là que les divins poètes,

Sentent grandir leur front et deviennent prophètes.


Ô mystère d'amour ! Ô mystère profond !

Abîme inexplicable où l'esprit se confond ;

Qui de nous osera, philosophe ou poète,

Dans cette sombre nuit plonger avant la tête ?

Quelle langue assez haute et quel cœur assez pur,

Pour chanter dignement tout ce poème obscur ?

Qui donc écartera l'aile blanche et dorée,

Dont un ange abritait cette amour ignorée ?

Qui nous dira le nom de cette autre Éloa ?

Et quelle âme, ô Jésus, à t'aimer se voua ?


Murs de Jérusalem, vénérables décombres,

Vous qui les avez vus et couverts de vos ombres,

Ô palmiers du Carmel ! Ô cèdres du Liban !

Apprenez-nous qui donc il aimait mieux que Jean ?

Si vos troncs vermoulus et si vos tours minées,

Dans leur écho fidèle, ont, depuis tant d'années,

Parmi les souvenirs des choses d'autrefois,

Conservé leur mémoire et le son de leur voix ;

Parlez et dites-nous, ô forêts ! ô ruines !

Tout ce que vous savez de ces amours divines !

Dites quels purs éclairs dans leurs yeux reluisaient,

Et quels soupirs ardents de leurs cœurs s'élançaient !

Et toi, Jourdain, réponds, sous les berceaux de palmes,

Quand la lune trempait ses pieds dans tes eaux calmes,

Et que le ciel semait sa face de plus d'yeux,

Que n'en traîne après lui le paon tout radieux ;

Ne les as-tu pas vus sur les fleurs et les mousses,

Glisser en se parlant avec des voix plus douces

Que les roucoulements des colombes de mai,

Que le premier aveu de celle que j'aimai ;

Et dans un pur baiser, symbole du mystère,

Unir la terre au ciel et le ciel à la terre.


Les échos sont muets, et le flot du Jourdain

Murmure sans répondre et passe avec dédain ;

Les morts de Josaphat, troublés dans leur silence,

Se tournent sur leur couche, et le vent frais balance

Au milieu des parfums dans les bras du palmier,

Le chant du rossignol et le nid du ramier.


Frère, mais voyez donc comme la Madeleine

Laisse sur son col blanc couler à flots d'ébène

Ses longs cheveux en pleurs, et comme ses beaux yeux,

Mélancoliquement, se tournent vers les cieux !

Qu'elle est belle ! Jamais, depuis Ève la blonde,

Une telle beauté n'apparut sur le monde ;

Son front est si charmant, son regard est si doux,

Que l'ange qui la garde, amoureux et jaloux,

Quand le désir craintif rôde et s'approche d'elle,

Fait luire son épée et le chasse à coups d'aile.


Ô pâle fleur d'amour éclose au paradis !

Qui répands tes parfums dans nos déserts maudits,

Comment donc as-tu fait, ô fleur ! Pour qu'il te reste

Une couleur si fraîche, une odeur si céleste ?

Comment donc as-tu fait, pauvre sœur du ramier,

Pour te conserver pure au cœur de ce bourbier ?

Quel miracle du ciel, sainte prostituée,

Que ton cœur, cette mer, si souvent remuée,

Des coquilles du bord et du limon impur,

N'ait pas, dans l'ouragan, souillé ses flots d'azur,

Et qu'on ait toujours vu sous leur manteau limpide,

La perle blanche au fond de ton âme candide !

C'est que tout cœur aimant est réhabilité,

Qu'il vous vient une autre âme et que la pureté

Qui remontait au ciel redescend et l'embrasse,

comme à sa sœur coupable une sœur qui fait grâce ;

C'est qu'aimer c'est pleurer, c'est croire, c'est prier ;

C'est que l'amour est saint et peut tout expier.


Mon grand peintre ignoré, sans en savoir les causes,

Dans ton sublime instinct tu comprenais ces choses,

Tu fis de ses yeux noirs ruisseler plus de pleurs ;

Tu gonflas son beau sein de plus hautes douleurs ;

La voyant si coupable et prenant pitié d'elle,

Pour qu'on lui pardonnât, tu l'as faite plus belle,

Et ton pinceau pieux, sur le divin contour,

A promené longtemps ses baisers pleins d'amour ;

Elle est plus belle encore que la vierge Marie,

Et le prêtre, à genoux, qui soupire et qui prie,

Dans sa pieuse extase, hésite entre les deux,

Et ne sait pas laquelle est la reine des cieux.


Ô sainte pécheresse ! Ô grande repentante !

Madeleine, c'est toi que j'eusse pour amante

Dans mes rêves choisie, et toute la beauté,

Tout le rayonnement de la virginité,

Montrant sur son front blanc la blancheur de son âme,

Ne sauraient m'émouvoir, ô femme vraiment femme,

Comme font tes soupirs et les pleurs de tes yeux,

Ineffable rosée à faire envie aux cieux !

Jamais lis de Saron, divine courtisane,

Mirant aux eaux des lacs sa robe diaphane,

N'eut un plus pur éclat ni de plus doux parfums ;

Ton beau front inondé de tes longs cheveux bruns,

Laisse voir, au travers de ta peau transparente,

Le rêve de ton âme et ta pensée errante,

Comme un globe d'albâtre éclairé par dedans !

Ton œil est un foyer dont les rayons ardents

Sous la cendre des cœurs ressuscitent les flammes ;

O la plus amoureuse entre toutes les femmes !

Les séraphins du ciel à peine ont dans le cœur,

Plus d'extase divine et de sainte langueur ;

Et tu pourrais couvrir de ton amour profonde,

Comme d'un manteau d'or la nudité du monde !

Toi seule sais aimer, comme il faut qu'il le soit,

Celui qui t'a marquée au front avec le doigt,

Celui dont tu baignais les pieds de myrrhe pure,

Et qui pour s'essuyer avait ta chevelure ;

Celui qui t'apparut au jardin, pâle encore

D'avoir dormi sa nuit dans le lit de la mort ;

Et, pour te consoler, voulut que la première

Tu le visses rempli de gloire et de lumière.


En faisant ce tableau, Raphaël inconnu,

N'est-ce pas ? Ce penser comme à moi t'est venu,

Et que ta rêverie a sondé ce mystère,

Que je voudrais pouvoir à la fois dire et taire ?

Ô poètes ! Allez prier à cet autel,

A l'heure où le jour baisse, à l'instant solennel,

Quand d'un brouillard d'encens la nef est toute pleine.

Regardez le Jésus et puis la Madeleine ;

Plongez-vous dans votre âme et rêvez au doux bruit

Que font en s'éployant les ailes de la nuit ;

Peut-être un chérubin détaché de la toile,

A vos yeux, un moment, soulèvera le voile,

Et dans un long soupir l'orgue murmurera

L'ineffable secret que ma bouche taira.
Madrigal.

Mes deux mains a l'envi disputent de leur gloire,
Et dans leurs sentiments jaloux
Je ne sais ce que j'en dois croire.
Philis, je m'en rapporte à vous,
Réglez mon amour par le vôtre :
Vous savez leurs honneurs divers,
La droite a mis au jour un million de vers ;
Mais votre belle bouche a daigné baiser l'autre ;  
Adorable Philis, peut-on mieux décider,
Que la droite lui doit céder ?

(Réponse de Mademoiselle Serment.)

Si vous parlez sincèrement
Lorsque vous préférez la main gauche à la droite,
De votre jugement je suis mal satisfaite.
Le baiser le plus doux ne dure qu'un moment ;
Un million de vers dure éternellement,
Quand ils sont beaux comme les vôtres :
Mais vous parlez comme un amant,
Et peut-être comme un Normand ;
Vendez vos coquilles à d'autres.
Place de la Gare, à Charleville.

Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

- L'orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.

Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînant leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;

Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : " En somme !..."

Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d'où le tabac par brins
Déborde - vous savez, c'est de la contrebande ; -

Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes...

- Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.

J'ai bientôt déniché la bottine, le bas...
- Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
- Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres.
Vous aviez mon coeur,
Moi, j'avais le vôtre :
Un coeur pour un coeur ;
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre,
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur :

Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,

Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'amour ?

Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde ;
Vous appellerez,
Et vous songerez !...

Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte ;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.

Et l'on vous dira :
« Personne !... elle est morte. »
On vous le dira ;
Mais qui vous plaindra ?
La muse

Depuis que le soleil, dans l'horizon immense,
A franchi le Cancer sur son axe enflammé,
Le bonheur m'a quittée, et j'attends en silence
L'heure où m'appellera mon ami bien-aimé.
Hélas ! depuis longtemps sa demeure est déserte ;
Des beaux jours d'autrefois rien n'y semble vivant.
Seule, je viens encor, de mon voile couverte,
Poser mon front brûlant sur sa porte entr'ouverte,
Comme une veuve en pleurs au tombeau d'un enfant.

Le poète

Salut à ma fidèle amie !
Salut, ma gloire et mon amour !
La meilleure et la plus chérie
Est celle qu'on trouve au retour.
L'opinion et l'avarice
Viennent un temps de m'emporter.
Salut, ma mère et ma nourrice !
Salut, salut consolatrice !
Ouvre tes bras, je viens chanter.

La muse

Pourquoi, coeur altéré, coeur lassé d'espérance,
T'enfuis-tu si souvent pour revenir si **** ?
Que t'en vas-tu chercher, sinon quelque hasard ?
Et que rapportes-tu, sinon quelque souffrance ?
Que fais-tu **** de moi, quand j'attends jusqu'au jour ?
Tu suis un pâle éclair dans une nuit profonde.
Il ne te restera de tes plaisirs du monde
Qu'un impuissant mépris pour notre honnête amour.
Ton cabinet d'étude est vide quand j'arrive ;
Tandis qu'à ce balcon, inquiète et pensive,
Je regarde en rêvant les murs de ton jardin,
Tu te livres dans l'ombre à ton mauvais destin.
Quelque fière beauté te retient dans sa chaîne,
Et tu laisses mourir cette pauvre verveine
Dont les derniers rameaux, en des temps plus heureux,
Devaient être arrosés des larmes de tes yeux.
Cette triste verdure est mon vivant symbole ;
Ami, de ton oubli nous mourrons toutes deux,
Et son parfum léger, comme l'oiseau qui vole,
Avec mon souvenir s'enfuira dans les cieux.

Le poète

Quand j'ai passé par la prairie,
J'ai vu, ce soir, dans le sentier,
Une fleur tremblante et flétrie,
Une pâle fleur d'églantier.
Un bourgeon vert à côté d'elle
Se balançait sur l'arbrisseau ;
Je vis poindre une fleur nouvelle ;
La plus jeune était la plus belle :
L'homme est ainsi, toujours nouveau.

La muse

Hélas ! toujours un homme, hélas ! toujours des larmes !
Toujours les pieds poudreux et la sueur au front !
Toujours d'affreux combats et de sanglantes armes ;
Le coeur a beau mentir, la blessure est au fond.
Hélas ! par tous pays, toujours la même vie :
Convoiter, regretter, prendre et tendre la main ;
Toujours mêmes acteurs et même comédie,
Et, quoi qu'ait inventé l'humaine hypocrisie,
Rien de vrai là-dessous que le squelette humain.
Hélas ! mon bien-aimé, vous n'êtes plus poète.
Rien ne réveille plus votre lyre muette ;
Vous vous noyez le coeur dans un rêve inconstant ;
Et vous ne savez pas que l'amour de la femme
Change et dissipe en pleurs les trésors de votre âme,
Et que Dieu compte plus les larmes que le sang.

Le poète

Quand j'ai traversé la vallée,
Un oiseau chantait sur son nid.
Ses petits, sa chère couvée,
Venaient de mourir dans la nuit.
Cependant il chantait l'aurore ;
Ô ma Muse, ne pleurez pas !
À qui perd tout, Dieu reste encore,
Dieu là-haut, l'espoir ici-bas.

La muse

Et que trouveras-tu, le jour où la misère
Te ramènera seul au paternel foyer ?
Quand tes tremblantes mains essuieront la poussière
De ce pauvre réduit que tu crois oublier,
De quel front viendras-tu, dans ta propre demeure,
Chercher un peu de calme et d'hospitalité ?
Une voix sera là pour crier à toute heure :
Qu'as-tu fait de ta vie et de ta liberté ?
Crois-tu donc qu'on oublie autant qu'on le souhaite ?
Crois-tu qu'en te cherchant tu te retrouveras ?
De ton coeur ou de toi lequel est Le poète ?
C'est ton coeur, et ton coeur ne te répondra pas.
L'amour l'aura brisé ; les passions funestes
L'auront rendu de pierre au contact des méchants ;
Tu n'en sentiras plus que d'effroyables restes,
Qui remueront encor, comme ceux des serpents.
Ô ciel ! qui t'aidera ? que ferai-je moi-même,
Quand celui qui peut tout défendra que je t'aime,
Et quand mes ailes d'or, frémissant malgré moi,
M'emporteront à lui pour me sauver de toi ?
Pauvre enfant ! nos amours n'étaient pas menacées,
Quand dans les bois d'Auteuil, perdu dans tes pensées,
Sous les verts marronniers et les peupliers blancs,
Je t'agaçais le soir en détours nonchalants.
Ah ! j'étais jeune alors et nymphe, et les dryades
Entr'ouvraient pour me voir l'écorce des bouleaux,
Et les pleurs qui coulaient durant nos promenades
Tombaient, purs comme l'or, dans le cristal des eaux.
Qu'as-tu fait, mon amant, des jours de ta jeunesse ?
Qui m'a cueilli mon fruit sur mon arbre enchanté ?
Hélas ! ta joue en fleur plaisait à la déesse
Qui porte dans ses mains la force et la santé.
De tes yeux insensés les larmes l'ont pâlie ;
Ainsi que ta beauté, tu perdras ta vertu.
Et moi qui t'aimerai comme une unique amie,
Quand les dieux irrités m'ôteront ton génie,
Si je tombe des cieux, que me répondras-tu ?

Le poète

Puisque l'oiseau des bois voltige et chante encore
Sur la branche où ses oeufs sont brisés dans le nid ;
Puisque la fleur des champs entr'ouverte à l'aurore,
Voyant sur la pelouse une autre fleur éclore,
S'incline sans murmure et tombe avec la nuit,

Puisqu'au fond des forêts, sous les toits de verdure,
On entend le bois mort craquer dans le sentier,
Et puisqu'en traversant l'immortelle nature,
L'homme n'a su trouver de science qui dure,
Que de marcher toujours et toujours oublier ;

Puisque, jusqu'aux rochers tout se change en poussière ;
Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ;
Puisque c'est un engrais que le meurtre et la guerre ;
Puisque sur une tombe on voit sortir de terre
Le brin d'herbe sacré qui nous donne le pain ;

Ô Muse ! que m'importe ou la mort ou la vie ?
J'aime, et je veux pâlir ; j'aime et je veux souffrir ;
J'aime, et pour un baiser je donne mon génie ;
J'aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie
Ruisseler une source impossible à tarir.

J'aime, et je veux chanter la joie et la paresse,
Ma folle expérience et mes soucis d'un jour,
Et je veux raconter et répéter sans cesse
Qu'après avoir juré de vivre sans maîtresse,
J'ai fait serment de vivre et de mourir d'amour.

Dépouille devant tous l'orgueil qui te dévore,
Coeur gonflé d'amertume et qui t'es cru fermé.
Aime, et tu renaîtras ; fais-toi fleur pour éclore.
Après avoir souffert, il faut souffrir encore ;
Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé.
« Vraiment, ma chère, vous me fatiguez sans mesure et sans pitié ; on dirait, à vous entendre soupirer, que vous souffrez plus que les glaneuses sexagénaires et que les vieilles mendiantes qui ramassent des croûtes de pain à la porte des cabarets.

« Si au moins vos soupirs exprimaient le remords, ils vous feraient quelque honneur ; mais ils ne traduisent que la satiété du bien-être et l'accablement du repos. Et puis, vous ne cessez de vous répandre en paroles inutiles : « Aimez-moi bien ! j'en ai tant besoin ! Consolez-moi par-ci, caressez-moi par-là ! » Tenez, je veux essayer de vous guérir ; nous en trouverons peut-être le moyen, pour deux sols, au milieu d'une fête, et sans aller bien ****.

« Considérons bien, je vous prie, cette solide cage de fer derrière laquelle s'agite, hurlant comme un damné, secouant les barreaux comme un orang-outang exaspéré par l'exil, imitant, dans la perfection, tantôt les bonds circulaires du tigre, tantôt les dandinements stupides de l'ours blanc, ce monstre poilu dont la forme imite assez vaguement la vôtre.

« Ce monstre est un de ces animaux qu'on appelle généralement « mon ange ! » c'est-à-dire une femme. L'autre monstre, celui qui crie à tue-tête, un bâton à la main, est un mari. Il a enchaîné sa femme légitime comme une bête, et il la montre dans les faubourgs, les jours de foire, avec permission des magistrats, cela va sans dire.

« Faites bien attention ! Voyez avec quelle voracité (non simulée peut-être !) elle déchire des lapins vivants et des volailles pialliantes que lui jette son cornac. « Allons, dit-il, il ne faut pas manger tout son bien en un jour, » et, sur cette sage parole, il lui arrache cruellement la proie, dont les boyaux dévidés restent un instant accrochés aux dents de la bête féroce, de la femme, veux-je dire.

« Allons ! un bon coup de bâton pour la calmer ! car elle darde des yeux terribles de convoitise sur la nourriture enlevée. Grand Dieu ! le bâton n'est pas un bâton de comédie, avez-vous entendu résonner la chair, malgré le poil postiche ? Aussi les yeux lui sortent maintenant de la tête, elle hurle plus naturellement. Dans sa rage, elle étincelle tout entière, comme le fer qu'on bat.

« Telles sont les mœurs conjugales de ces deux descendants d'Ève et d'Adam, ces œuvres de vos mains, ô mon Dieu ! Cette femme est incontestablement malheureuse, quoique après tout, peut-être, les jouissances titillantes de la gloire ne lui soient pas inconnues. Il y a des malheurs plus irrémédiables, et sans compensation. Mais dans le monde où elle a été jetée, elle n'a jamais pu croire que la femme méritât une autre destinée.

« Maintenant, à nous deux, chère précieuse ! À voir les enfers dont le monde est peuplé, que voulez-vous que je pense de votre joli enfer, vous qui ne reposez que sur des étoffes aussi douces que votre peau, qui ne mangez que de la viande cuite, et pour qui un domestique habile prend soin de découper les morceaux ?

« Et que peuvent signifier pour moi tous ces petits soupirs qui gonflent votre poitrine parfumée, robuste coquette ? Et toutes ces affectations apprises dans les livres, et cette infatigable mélancolie, faite pour inspirer au spectateur un tout autre sentiment que la pitié ? En vérité, il me prend quelquefois envie de vous apprendre ce que c'est que le vrai malheur.

« À vous voir ainsi, ma belle délicate, les pieds dans la fange et les yeux tournés vaporeusement vers le ciel, comme pour lui demander un roi, on dirait vraisemblablement une jeune grenouille qui invoquerait l'idéal. Si vous méprisez le soliveau (ce que je suis maintenant, comme vous savez bien), gare la grue qui vous croquera, vous gobera et vous tuera à son plaisir !

« Tant poète que je sois, je ne suis pas aussi dupe que vous voudriez le croire, et si vous me fatiguez trop souvent de vos precieuses pleurnicheries, je vous traiterai en femme sauvage, ou le vous jetterai par la fenêtre, comme une bouteille vide. »
Frères, je me confesse, et vais vous confier

Mon sort, pour vous instruire et vous édifier.


Un jour, je me sentis le désir de connaître

Ce qu'enfermait en soi le secret de mon être,

Ignorant jusque-là, je brûlai de savoir ;

J'examinai mon âme et j'eus peur à la voir.

Alors, et quand je l'eus à souhait regardée,

Que je la connus bien, il me vint à l'idée

De m'enquérir un peu pourquoi j'étais ainsi,

Et d'où je pouvais m'être à ce point endurci :

Car je ne pouvais pas me faire à la pensée

Qu'elle se fût si vite et si bas affaissée,

Car j'étais tout confus, car, en y bien cherchant,

Il me semblait à moi n'être pas né méchant.

En effet, je pouvais être bon. Mais j'espère

Que Dieu pardonne et fait miséricorde au père

Qui veut trop pour son fils, et lui fait désirer

Un sort où la raison lui défend d'aspirer !

Mon malheur vient de là, d'avoir pu méconnaître

L'humble condition où Dieu m'avait fait naître.

D'avoir tâché trop ****, et d'avoir prétendu

A m'élever plus haut que je ne l'aurais dû !

Hélas ! j'allai partout, chétif et misérable.

Traîner péniblement ma blessure incurable ;

Comme un pauvre à genoux au bord d'un grand chemin,

J'ai montré mon ulcère, et j'ai tendu la main ;

Malheureux matelot perdu dans un naufrage.

J'ai crié ; mais ma voix s'est mêlée à l'orage ;

Mais je n'ai rencontré personne qui voulût

Me plaindre, et me jeter la planche de salut.

Et moi, je n'allai point, libre et sans énergie.

Exhaler ma douleur en piteuse élégie.

Comme un enfant mutin pleure de ne pouvoir

Atteindre un beau fruit mûr qu'il vient d'apercevoir.

Je gardai mon chagrin pour moi, j'eus le courage

De renfermer ma haine et d'étouffer ma rage,

Personne n'entrevit ce que je ressentais.

Et l'on me crut joyeux parce que je chantais.

Tel s'est passé pour moi cet âge d'innocence

Où des songes riants bercent l'adolescence.

Sans jouir de la vie, et sans avoir jamais

Vu contenter un seul des vœux que je formais :

Jamais l'Illusion, jamais le doux Prestige,

Lutin capricieux qui rit et qui voltige,

Ne vint auprès de moi, dans son vol caressant,

Secouer sur mon front ses ailes en passant,

Et jamais voix de femme, harmonieuse et tendre,

N'a trouvé de doux mots qu'elle me fit entendre.

Une fois, une fois pourtant, sans le savoir,

J'ai cru naître à la vie, au bonheur, j'ai cru voir

Comme un éclair d'amour, une vague pensée

Qui vint luire à mon âme et qui l'a traversée,

A ce rêve si doux je crus quelques instants ;

- Mais elle est sitôt morte et voilà si longtemps !


Je me livrai dès lors à l'ardeur délirante

D'un cerveau maladif et d'une âme souffrante ;

J'entrepris de savoir tout ce que recelait

En soi le cœur humain de difforme et de laid ;

Je me donnai sans honte à ces femmes perdues

Qu'a séduites un lâche, ou qu'un père a vendues.

J'excitai dans leurs bras mes désirs épuisés,

Et je leur prodiguai mon or et mes baisers :

Près d'elles, je voulus contenter mon envie

De voir au plus profond des secrets de la vie.

J'allai, je descendis aussi **** que je pus

Dans les sombres détours de ces cœurs corrompus,

Trop heureux, quand un mot, un signe involontaire

D'un vice, neuf pour moi, trahissait le mystère,

Et qu'aux derniers replis à la fin parvenu,

Mon œil, comme leurs corps, voyait leur âme à nu.


Or, vous ne savez pas, combien à cette vie,

A poursuivre sans fin cette fatale envie

De tout voir, tout connaître, et de tout épuiser,

L'âme est prompte à s'aigrir et facile à s'user.

Malheur à qui, brûlant d'une ardeur insensée

De lire à découvert dans l'homme et sa pensée.

S'y plonge, et ne craint pas d'y fouiller trop souvent,

D'en approcher trop près, et d'y voir trop avant !

C'est ce qui m'acheva : c'est cette inquiétude

A chercher un cœur d'homme où mettre mon étude,

C'est ce mal d'avoir pu, trop jeune, apercevoir

Ce que j'aurais mieux fait de ne jamais savoir.

Désabusé de tout, je me suis vu ravie

La douce illusion qui fait aimer la vie,

Le riant avenir dont mon cœur s'est flétri,

Et ne pouvant plus croire à l'amour, j'en ai ri :

Et j'en suis venu là, que si, par occurrence,

- Je suis si jeune encore, et j'ai tant d'espérance !

- Une vierge aux doux yeux, et telle que souvent

J'en voyais autrefois m'apparaître en rêvant,

Simple, et croyant encore à la magie antique

De ces traditions du foyer domestique.

M'aimait, me le disait, et venait à son tour

Me demander sa part de mon âme en retour ;

Vierge, il faudrait me fuir, et faire des neuvaines

Pour arracher bientôt ce poison de tes veines,

Il faudrait me haïr, car moi, je ne pourrais

Te rendre cet amour que tu me donnerais,

Car je me suis damné, moi, car il faut te dire

Que je passe mes jours et mes nuits à maudire,

Que, sous cet air joyeux, je suis triste et nourris

Pour tout le genre humain le plus profond mépris :

Mais il faudrait me plaindre encore davantage

De m'être fait si vieux et si dur à cet âge,

D'avoir pu me glacer le cœur, et le fermer

A n'y laisser l'espoir ni la place d'aimer.
Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme !
Au gré des envieux la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous ! - vous m'avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d'eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m'occupent tout un jour.
La contemplation m'emplit le cœur d'amour.
Vous m'avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l'esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l'oeil dans l'herbe profonde,
L'étude d'un atome et l'étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m'avez vu fuir l'homme et chercher Dieu !
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent sème au **** les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s'élance,
Je suis plein d'oubli comme vous de silence !
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, - je vous atteste, ô bois aimés du ciel ! -
J'ai chassé **** de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère !

Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds,
Ravins où l'on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives !
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m'entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu'un de grand qui m'écoute et qui m'aime !

Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt ! c'est dans votre ombre et dans votre mystère,
C'est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m'endormirai.

Juin 1843.
C'était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or Je croyais voir
Ses patientes mains calmer un incendie
C'était au beau milieu de notre tragédie

Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit
C'était au beau milieu de notre tragédie
Qu'elle jouait un air de harpe sans y croire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir

Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit
Qu'elle martyrisait à plaisir sa mémoire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
À ranimer les fleurs sans fin de l'incendie
Sans dire ce qu'une autre à sa place aurait dit

Elle martyrisait à plaisir sa mémoire
C'était au beau milieu de notre tragédie
Le monde ressemblait à ce miroir maudit
Le peigne partageait les feux de cette moire
Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire

C'était un beau milieu de notre tragédie
Comme dans la semaine est assis le jeudi

Et pendant un long jour assise à sa mémoire
Elle voyait au **** mourir dans son miroir

Un à un les acteurs de notre tragédie
Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit

Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits
Et ce que signifient les flammes des longs soirs

Et ses cheveux dorés quand elle vient s'asseoir
Et peigner sans rien dire un reflet d'incendie.
Et vous, l'ancienne esclave à la caresse amère,
Vous le bétail des temps antiques et charnels,
Vous, femmes, dont Jésus fit la Vierge et la Mère,
D'après Celle qui porte en ses yeux maternels
Le reflet le plus grand des rayons éternels,

Aimez ces grands enfants pendus à votre robe,
Les hommes, dont la lèvre est ivre encore du lait
De vos mamelles d'or qu'un linge blanc dérobe ;
Aimez l'homme, il est bon ; aimez-le, s'il est laid.
S'il est déshérité, c'est ainsi qu'il vous plaît.

Les hommes sont vos fruits : partagez-leur votre âme
Votre âme est comme un lait qui ne doit pas tarir,
Ô femmes, pour ces fils douloureux de la femme
Que vous faites pour vivre, hélas ! et pour souffrir ;
Que seul, le Fils de l'homme empêche de mourir !

L'enfant c'est le mystère avec lequel tu joues,
C'est l'inconnu sacré que tu portes neuf mois,
Pendant que la douleur te baise sur les joues,
Mère qui fais des gueux et toi qui fais des rois,
Vous qui tremblez toujours et mourez quelquefois.

Comme autrefois les flancs d'Eve en pleurs sous les branches,
Au jardin favorable où depuis l'amour dort,
Ton labeur est maudit ! Ceux sur qui tu te penches,
Vois, mère, le plus doux, le plus beau, le plus fort,
Il apprend l'amertume et connaîtra la mort.

C'est toi la source, ô femme, écoute, ô mère folle
D'Ésope qui boitait, de Caïn qui griffait,
Vois le fruit noir tombé de ton baiser frivole,
Savoure-le pourtant, comme un divin effet,
En noyant dans l'amour l'horreur de l'avoir fait.

Pour l'amour, tout s'enchante en sa clarté divine.
Aimez comme vos fils les hommes ténébreux ;
Leur cœur, si vous voulez, votre cœur le devine :
Le plus graves au fond sont des enfants peureux ;
Le plus digne d'amour, c'est le plus malheureux.

Eclairez ces savants, ô vous les clairvoyantes,
Ne les avez-vous pas bercés sur vos genoux,
Tout petits ? Vous savez leurs âmes défaillantes ;
Quand ils tombent, venez ; ils sont francs, ils sont doux ;
S'ils deviennent méchants, c'est à cause de vous.

C'est à cause de vous que la discorde allume
Leurs yeux, et c'est pour vous, pour vous plaire un moment
Qu'ils font couler une encre impure sous leur plume.
Cet homme si loyal, ce héros si charmant,
S'il vous adore, il tue, et sur un signe il ment.

L'heure sonne, écoutez, c'est l'heure de la femme ;
Car les temps sont venus, où, tout vêtu de noir,
L'homme, funèbre, a l'air d'être en deuil de son âme
Ah ! rendez-lui son âme, et, comme en un miroir,
Qu'il regarde en la vôtre et qu'il aime à s'y voir.

Au lieu de le tenter, comme un démon vous tente,
Au lieu de garrotter ses membres las, au lieu
De tondre sur son front sa toison éclatante,
Vous, qui foulez son cœur, et vous faites un jeu
De piétiner sa mère, et d'en dissiper Dieu,

Ôtez-lui le vin rouge où son orgueil se grise ;
Retirez-lui l'épée où se crispe sa main ;
Montrez-lui les sentiers qui mènent à l'église,
Parmi l'œillet, le lys, la rose et le jasmin ;
Faites-lui voir le vice un banal grand chemin.

Dites à ces enfants qu'il n'est pas raisonnable
De poursuivre le ciel ailleurs que dans les cieux,
De rêver d'un amour qui cesse d'être aimable,
De se rire du Maître en s'appelant des dieux,
Et de nier l'enter quand ils l'ont dans les yeux.

Cependant l'homme est roi ; s'il courbe son échine
Sur le sillon amer qu'il creuse avec ennui,
S'il traîne ses pieds lourds, le sceau de l'origine
Céleste à son front reste, où l'amour même a lui ;
Et comme il sort de Dieu, femme, tu sors de lui.

Cette paternité brille dans sa faiblesse
Autant que dans sa force ; il a l'autorité.
N'en faites pas un maître irrité qui vous blesse ;
Dans la sombre forêt de l'âpre humanité
L'homme est le chêne, et Dieu lui-même l'a planté.

Respectez ses rameaux, redoutez sa colère,
Car Dieu mit votre sort aux mains de ce proscrit.
Voyez d'abord ce blanc porteur de scapulaire,
Ce moine, votre père auprès de Jésus-Christ :
Il montre dans ses yeux le feu du Saint-Esprit.

En faisant de l'amour leur éternelle étude
Les moines sont heureux à l'ombre de la Croix ;
Ils peuplent avec Dieu leur claire solitude ;
L'étang bleu qui se mêle à la paix des grands bois,
Voilà leur cœur limpide où s'éveillent des voix.

Les apôtres menteurs et les faux capitaines
Qui soumettent les cœurs, mais que Satan soumet,
Vous les reconnaîtrez à des tares certaines :
La luxure a Luther ; l'orgueil tient Mahomet ;
Saint Jean, lui, marchait pur, aussi Jésus l'aimait.

Plus haut que les guerriers, plus haut que les poètes,
Peuple sur lequel souffle un vent mystérieux,
Dominant jusqu'au trône ébloui par les fêtes
Des empereurs blanchis aux regards soucieux,
Et par-dessus la mer des peuples furieux,

À l'ombre de sa belle et haute basilique,
Dans Rome, où vous vivez, cendres du souvenir,
Gouvernant avec fruit sa douce République,
Qu'il mène vers le seul, vers l'unique avenir,
Jaloux de ne lever la main que pour bénir,

Le prêtre luit, vêtu de blanc, comme les marbres,
Dédoublement sans lin du Christ mystérieux,
Berger, comme Abraham qui campe sous les arbres ;
Toute la vérité vieille au fond de ses yeux.
Et maintenant, paissez, long troupeau, sous les cieux.
Dieu ! créez à sa vie un objet plein de charmes,
Une voix qui réponde aux secrets de sa voix !
Donnez-lui du bonheur, Dieu ! donnez-lui des larmes ;
Du bonheur de le voir j'ai pleuré tant de fois !

J'ai pleuré : mais ma voix se tait devant la sienne ;
Mais tout ce qu'il m'apprend, lui seul l'ignorera ;
Il ne dira jamais : « Soyons heureux, sois mienne ! »
L'aimera-t-elle assez, celle qui l'entendra ?

Celle à qui sa présence ira porter la vie,
Qui sentira son cœur l'atteindre et la chercher,
Qui ne fuira jamais, bien qu'à jamais suivie,
Et dont l'ombre à la sienne osera s'attacher ?

Ils ne feront qu'un seul ! et ces ombres heureuses
Dans les clartés du soir se confondront toujours ;
Ils ne sentiront pas d'entraves douloureuses
Désenchaîner leurs nuits, désenchanter leurs jours !

Qu'il la trouve demain ! Qu'il m'oublie et l'adore !
Demain : à mon courage il reste peu d'instants.
Pour une autre aujourd'hui je peux prier encore ;
Mais . . . Dieu ! vous savez tout : vous savez s'il est temps !
Dan Bolens Sep 2013
Il ya une rose je sais
Présent uniquement dans le plus beau jardin
La tige longue et mince, pas d'épines
Les pétales doux comme de la soie
L'arôme, un matin de printemps
La plus belle rose
Dans le plus beau jardin

Cependant, une telle rose ne pouvait pas aimer une fleur comme moi
La fleur qui ne vit pas dans le plus beau jardin
La fleur avec une tige dentelée et pétales manquants
La fleur qui ne fait jamais assez de soleil
La fleur qui ne veut rien de plus que d'être planté à côté de celle plus belle rose

Vous voyez, la fleur aime que plus belle rose
Mais la rose ne saura jamais

Je t'aime
Je voudrais pouvoir vous dire
Et savez vous aimeriez moi

S'il vous plaît ne pas aller
Rester un peu plus longtemps
Il a parlé. Prévoyante ou légère,
Sa voix cruelle et qui m'était si chère
A dit ces mots qui m'atteignaient tout bas :
« Vous qui savez aimer, ne m'aimez pas !

« Ne m'aimez pas si vous êtes sensible,
« Jamais sur moi n'a plané le bonheur.
« Je suis bizarre et peut-être inflexible ;
« L'amour veut trop : l'amour veut tout un coeur
« Je hais ses pleurs, sa grâce ou sa colère ;
« Ses fers jamais n'entraveront mes pas. »

Il parle ainsi, celui qui m'a su plaire...  
Qu'un peu plus tôt cette voix qui m'éclaire
N'a-t-elle dit, moins flatteuse et moins bas :
« Vous qui savez aimer, ne m'aimez pas !

« Ne m'aimez pas ! l'âme demande l'âme.
« L'insecte ardent brille aussi près des fleurs :
« Il éblouit, mais il n'a point de flamme ;
« La rose a froid sous ses froides lueurs.
« Vaine étincelle échappée à la cendre,
« Mon sort qui brille égarerait vos pas. »

Il parle ainsi, lui que j'ai cru si tendre.
Ah ! pour forcer ma raison à l'entendre,
Il dit trop ****, ou bien il dit trop bas :
« Vous qui savez aimer, ne m'aimez pas. »
À Armand Silvestre


Un cachot. Une femme à genoux, en prière.

Une tête de mort est gisante par terre,

Et parle, d'un ton aigre et douloureux aussi.

D'une lampe au plafond tombe un rayon transi.


« Dame Reine. - Encor toi, Satan ! - Madame Reine.

- « Ô Seigneur, faites mon oreille assez sereine

« Pour ouïr sans l'écouter ce que dit le Malin ! »

- « Ah ! ce fut un vaillant et galant châtelain

« Que votre époux ! Toujours en guerre ou bien en fête,

« (Hélas ! j'en puis parler puisque je suis sa tête.)

« Il vous aima, mais moins encore qu'il n'eût dû.

« Que de vertu gâtée et que de temps perdu

« En vains tournois, en cours d'amour **** de sa dame

Qui belle et jeune prit un amant, la pauvre âme ! » -

- « Ô Seigneur, écartez ce calice de moi ! » -

- « Comme ils s'aimèrent ! Ils s'étaient juré leur foi

De s'épouser sitôt que serait mort le maître,

Et le tuèrent dans son sommeil d'un coup traître. »

- « Seigneur, vous le savez, dès le crime accompli,

J'eus horreur, et prenant ce jeune homme en oubli,

Vins au roi, dévoilant l'attentat effroyable,

Et pour mieux déjouer la malice du diable,

J'obtins qu'on m'apportât en ma juste prison

La tête de l'époux occis en trahison :

Par ainsi le remords, devant ce triste reste,

Me met toujours aux yeux mon action funeste,

Et la ferveur de mon repentir s'en accroît,

Ô Jésus ! Mais voici : le Malin qui se voit

Dupe et qui voudrait bien ressaisir sa conquête

S'en vient-il pas loger dans cette pauvre tête

Et me tenir de faux propos insidieux ?

Ô Seigneur, tendez-moi vos secours précieux ! »

- « Ce n'est pas le démon, ma Reine, c'est moi-même,

Votre époux, qui vous parle en ce moment suprême,

Votre époux qui, damné (car j'étais en mourant

En état de péché mortel), vers vous se rend,

Ô Reine, et qui, pauvre âme errante, prend la tête

Qui fut la sienne aux jours vivants pour interprète

Effroyable de son amour épouvanté. »

- « Ô blasphème hideux, mensonge détesté !

Monsieur Jésus, mon maître adorable, exorcise

Ce chef horrible et le vide de la hantise

Diabolique qui n'en fait qu'un instrument

Où souffle Belzébuth fallacieusement

Comme dans une flûte on joue un air perfide ! »

- « Ô douleur, une erreur lamentable te guide,

Reine, je ne suis pas Satan, je suis Henry ! » -

- « Oyez, Seigneur, il prend la voix de mon mari !

À mon secours, les Saints, à l'aide, Notre Dame ! » -

- « Je suis Henry, du moins, Reine, je suis son âme

Qui, par sa volonté, plus forte que l'enfer,

Ayant su transgresser toute porte de fer

Et de flamme, et braver leur impure cohorte,

Hélas ! vient pour te dire avec cette voix morte

Qu'il est d'autres amours encor que ceux d'ici,

Tout immatériels et sans autre souci

Qu'eux-mêmes, des amours d'âmes et de pensées.

Ah, que leur fait le Ciel ou l'enfer. Enlacées,

Les âmes, elles n'ont qu'elles-mêmes pour but !

L'enfer pour elles c'est que leur amour mourût,

Et leur amour de son essence est immortelle !

Hélas ! moi, je ne puis te suivre aux cieux, cruelle

Et seule peine en ma damnation. Mais toi,

Damne-toi ! Nous serons heureux à deux, la loi

Des âmes, je te dis, c'est l'alme indifférence

Pour la félicité comme pour la souffrance

Si l'amour partagé leur fait d'intimes cieux.

Viens afin que l'enfer jaloux, voie, envieux,

Deux damnés ajouter, comme on double un délice,

Tous les feux de l'amour à tous ceux du supplice,

Et se sourire en un baiser perpétuel ! »

« - Âme de mon époux, tu sais qu'il est réel

Le repentir qui fait qu'en ce moment j'espère

En la miséricorde ineffable du Père

Et du Fils et du Saint-Esprit ! Depuis un mois

Que j'expie, attendant la mort que je te dois,

En ce cachot trop doux encor, nue et par terre,

Le crime monstrueux et l'infâme adultère

N'ai-je pas, repassant ma vie en sanglotant,

Ô mon Henry, pleuré des siècles cet instant

Où j'ai pu méconnaître en toi celui qu'on aime ?

Va, j'ai revu, superbe et doux, toujours le même,

Ton regard qui parlait délicieusement

Et j'entends, et c'est là mon plus dur châtiment,

Ta noble voix, et je me souviens des caresses !

Or si tu m'as absoute et si tu t'intéresses

À mon salut, du haut des cieux, ô cher souci,

Manifeste-toi, parle, et démens celui-ci

Qui blasphème et ***** d'affreuses hérésies ! » -

- « Je te dis que je suis damné ! Tu t'extasies

En terreurs vaines, ô ma Reine. Je te dis

Qu'il te faut rebrousser chemin du Paradis,

Vain séjour du bonheur banal et solitaire

Pour l'amour avec moi ! Les amours de la terre

Ont, tu le sais, de ces instants chastes et lents :

L'âme veille, les sens se taisent somnolents,

Le cœur qui se repose et le sang qui s'affaisse

Font dans tout l'être comme une douce faiblesse.

Plus de désirs fiévreux, plus d'élans énervants,

On est des frères et des sœurs et des enfants,

On pleure d'une intime et profonde allégresse,

On est les cieux, on est la terre, enfin on cesse

De vivre et de sentir pour s'aimer au delà,

Et c'est l'éternité que je t'offre, prends-la !

Au milieu des tourments nous serons dans la joie,

Et le Diable aura beau meurtrir sa double proie,

Nous rirons, et plaindrons ce Satan sans amour.

Non, les Anges n'auront dans leur morne séjour

Rien de pareil à ces délices inouïes ! » -


La Comtesse est debout, paumes épanouies.

Elle fait le grand cri des amours surhumains,

Puis se penche et saisit avec ses pâles mains

La tête qui, merveille ! a l'aspect de sourire.

Un fantôme de vie et de chair semble luire

Sur le hideux objet qui rayonne à présent

Dans un nimbe languissamment phosphorescent.

Un halo clair, semblable à des cheveux d'aurore

Tremble au sommet et semble au vent flotter encore

Parmi le chant des cors à travers la forêt.

Les noirs orbites ont des éclairs, on dirait

De grands regards de flamme et noirs. Le trou farouche

Au rire affreux, qui fut, Comte Henry, votre bouche

Se transfigure rouge aux deux arcs palpitants

De lèvres qu'auréole un duvet de vingt ans,

Et qui pour un baiser se tendent savoureuses...

Et la Comtesse à la façon des amoureuses

Tient la tête terrible amplement, une main

Derrière et l'autre sur le front, pâle, en chemin

D'aller vers le baiser spectral, l'âme tendue,

Hoquetant, dilatant sa prunelle perdue

Au fond de ce regard vague qu'elle a devant...

Soudain elle recule, et d'un geste rêvant

(Ô femmes, vous avez ces allures de faire !)

Elle laisse tomber la tête qui profère

Une plainte, et, roulant, sonne creux et longtemps :

- « Mon Dieu, mon Dieu, pitié ! Mes péchés pénitents

Lèvent leurs pauvres bras vers ta bénévolence,

Ô ne les souffre pas criant en vain ! Ô lance

L'éclair de ton pardon qui tuera ce corps vil !

Vois que mon âme est faible en ce dolent exil

Et ne la laisse pas au Mauvais qui la guette !

Ô que je meure ! »

Avec le bruit d'un corps qu'on jette,

La Comtesse à l'instant tombe morte, et voici :

Son âme en blanc linceul, par l'espace éclairci

D'une douce clarté d'or blond qui flue et vibre

Monte au plafond ouvert désormais à l'air libre

Et d'une ascension lente va vers les cieux.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


La tête est là, dardant en l'air ses sombres yeux

Et sautèle dans des attitudes étranges :

Telle dans les Assomptions des têtes d'anges,

Et la bouche ***** un gémissement long,

Et des orbites vont coulant des pleurs de plomb.
À Madame *.

Il est donc vrai, vous vous plaignez aussi,
Vous dont l'oeil noir, *** comme un jour de fête,
Du monde entier pourrait chasser l'ennui.
Combien donc pesait le souci
Qui vous a fait baisser la tête ?
C'est, j'imagine, un aussi lourd fardeau
Que le roitelet de la fable ;
Ce grand chagrin qui vous accable
Me fait souvenir du roseau.
Je suis bien **** d'être le chêne,
Mais, dites-moi, vous qu'en un autre temps
(Quand nos aïeux vivaient en bons enfants)
J'aurais nommée Iris, ou Philis, ou Climène,
Vous qui, dans ce siècle bourgeois,
Osez encor me permettre parfois
De vous appeler ma marraine,
Est-ce bien vous qui m'écrivez ainsi,
Et songiez-vous qu'il faut qu'on vous réponde ?
Savez-vous que, dans votre ennui,
Sans y penser, madame et chère blonde,
Vous me grondez comme un ami ?
Paresse et manque de courage,
Dites-vous ; s'il en est ainsi,
Je vais me remettre à l'ouvrage.
Hélas ! l'oiseau revient au nid,
Et quelquefois même à la cage.
Sur mes lauriers on me croit endormi ;
C'est trop d'honneur pour un instant d'oubli,
Et dans mon lit les lauriers n'ont que faire ;
Ce ne serait pas mon affaire.
Je sommeillais seulement à demi,
À côté d'un brin de verveine
Dont le parfum vivait à peine,
Et qu'en rêvant j'avais cueilli.
Je l'avouerai, ce coupable silence,
Ce long repos, si maltraité de vous,
Paresse, amour, folie ou nonchalance,
Tout ce temps perdu me fut doux.
Je dirai plus, il me fut profitable ;
Et, si jamais mon inconstant esprit
Sait revêtir de quelque fable
Ce que la vérité m'apprit,
Je vous paraîtrai moins coupable.
Le silence est un conseiller
Qui dévoile plus d'un mystère ;
Et qui veut un jour bien parler
Doit d'abord apprendre à se taire.
Et, quand on se tairait toujours,
Du moment qu'on vit et qu'on aime,
Qu'importe le reste ? et vous-même,
Quand avez-vous compté les jours ?
Et puisqu'il faut que tout s'évanouisse,
N'est-ce donc pas une folle avarice,
De conserver comme un trésor
Ce qu'un coup de vent nous enlève ?
Le meilleur de ma vie a passé comme un rêve
Si léger, qu'il m'est cher encor.
Mais revenons à vous, ma charmante marraine.
Vous croyez donc vous ennuyer ?
Et l'hiver qui s'en vient, rallumant le foyer,
A fait rêver la châtelaine.
Un roman, dites-vous, pourrait vous égayer ;
Triste chose à vous envoyer !
Que ne demandez-vous un conte à La Fontaine ?
C'est avec celui-là qu'il est bon de veiller ;
Ouvrez-le sur votre oreiller,
Vous verrez se lever l'aurore.
Molière l'a prédit, et j'en suis convaincu,
Bien des choses auront vécu
Quand nos enfants liront encore
Ce que le bonhomme a conté,
Fleur de sagesse et de gaieté.
Mais quoi ! la mode vient, et tue un vieil usage.
On n'en veut plus, du sobre et franc langage
Dont il enseignait la douceur,
Le seul français, et qui vienne du cœur ;
Car, n'en déplaise à l'Italie,
La Fontaine, sachez-le bien,
En prenant tout n'imita rien ;
Il est sorti du sol de la patrie,
Le vert laurier qui couvre son tombeau ;
Comme l'antique, il est nouveau.
Ma protectrice bien-aimée,
Quand votre lettre parfumée
Est arrivée à votre. enfant gâté,
Je venais de causer en toute liberté
Avec le grand ami Shakespeare.
Du sujet cependant Boccace était l'auteur ;
Car il féconde tout, ce charmant inventeur ;
Même après l'autre, il fallait le relire.
J'étais donc seul, ses Nouvelles en main,
Et de la nuit la lueur azurée,
Se jouant avec le matin,
Etincelait sur la tranche dorée
Du petit livre florentin ;
Et je songeais, quoi qu'on dise ou qu'on fasse,
Combien c'est vrai que les Muses sont sœurs ;
Qu'il eut raison, ce pinceau plein de grâce,
Qui nous les montre au sommet du Parnasse,
Comme une guirlande de fleurs !
La Fontaine a ri dans Boccace,
Où Shakespeare fondait en pleurs.
Sera-ce trop que d'enhardir ma muse
Jusqu'à tenter de traduire à mon tour
Dans ce livre amoureux une histoire d'amour ?
Mais tout est bon qui vous amuse.
Je n'oserais, si ce n'était pour vous,
Car c'est beaucoup que d'essayer ce style
Tant oublié, qui fut jadis si doux,
Et qu'aujourd'hui l'on croit facile.

Il fut donc, dans notre cité,
Selon ce qu'on nous a conté
(Boccace parle ainsi ; la cité, c'est Florence),
Un gros marchand, riche, homme d'importance,
Qui de sa femme eut un enfant ;
Après quoi, presque sur-le-champ,
Ayant mis ordre à ses affaires,
Il passa de ce monde ailleurs.
La mère survivait ; on nomma des tuteurs,
Gens loyaux, prudents et sévères ;
Capables de se faire honneur
En gardant les biens d'un mineur.
Le jouvenceau, courant le voisinage,
Sentit d'abord douceur de cœur
Pour une fille de son âge,
Qui pour père avait un tailleur ;
Et peu à peu l'enfant devenant homme,
Le temps changea l'habitude en amour,
De telle sorte que Jérôme
Sans voir Silvia ne pouvait vivre un jour.
À son voisin la fille accoutumée
Aima bientôt comme elle était aimée.
De ce danger la mère s'avisa,
Gronda son fils, longtemps moralisa,
Sans rien gagner par force ou par adresse.
Elle croyait que la richesse
En ce monde doit tout changer,
Et d'un buisson peut faire un oranger.
Ayant donc pris les tuteurs à partie,
La mère dit : « Cet enfant que voici,
Lequel n'a pas quatorze ans, Dieu merci !
Va désoler le reste de ma vie.
Il s'est si bien amouraché
De la fille d'un mercenaire,
Qu'un de ces jours, s'il n'en est empêché,
Je vais me réveiller grand'mère.
Soir ni matin, il ne la quitte pas.
C'est, je crois, Silvia qu'on l'appelle ;
Et, s'il doit voir quelque autre dans ses bras,
Il se consumera pour elle.
Il faudrait donc, avec votre agrément,
L'éloigner par quelque voyage ;
Il est jeune, la fille est sage,
Elle l'oubliera sûrement ;
Et nous le marierons à quelque honnête femme. »
Les tuteurs dirent que la dame
Avait parlé fort sagement.
« Te voilà grand, dirent-ils à Jérôme,
Il est bon de voir du pays.
Va-t'en passer quelques jours à Paris,
Voir ce que c'est qu'un gentilhomme,
Le bel usage, et comme on vit là-bas ;
Dans peu de temps tu reviendras. »
À ce conseil, le garçon, comme on pense,
Répondit qu'il n'en ferait rien,
Et qu'il pouvait voir aussi bien
Comment l'on vivait à Florence.
Là-dessus, la mère en fureur
Répond d'abord par une grosse injure ;
Puis elle prend l'enfant par la douceur ;
On le raisonne, on le conjure,
À ses tuteurs il lui faut obéir ;
On lui promet de ne le retenir
Qu'un an au plus. Tant et tant on le prie,
Qu'il cède enfin. Il quitte sa patrie ;
Il part, tout plein de ses amours,
Comptant les nuits, comptant les jours,
Laissant derrière lui la moitié de sa vie.
L'exil dura deux ans ; ce long terme passé,
Jérôme revint à Florence,
Du mal d'amour plus que jamais blessé,
Croyant sans doute être récompensé.
Mais. c'est un grand tort que l'absence.
Pendant qu'au **** courait le jouvenceau,
La fille s'était mariée.
En revoyant les rives de l'Arno,
Il n'y trouva que le tombeau
De son espérance oubliée.
D'abord il n'en murmura point,
Sachant que le monde, en ce point,
Agit rarement d'autre sorte.
De l'infidèle il connaissait la porte,
Et tous les jours il passait sur le seuil,
Espérant un signe, un coup d'oeil,
Un rien, comme on fait quand on aime.
Mais tous ses pas furent perdus
Silvia ne le connaissait plus,
Dont il sentit une douleur extrême.
Cependant, avant d'en mourir,
Il voulut de son souvenir
Essayer de parler lui-même.
Le mari n'était pas jaloux,
Ni la femme bien surveillée.
Un soir que les nouveaux époux
Chez un voisin étaient à la veillée,
Dans la maison, au tomber de la nuit,
Jérôme entra, se cacha près du lit,
Derrière une pièce de toile ;
Car l'époux était tisserand,
Et fabriquait cette espèce de voile
Qu'on met sur un balcon toscan.
Bientôt après les mariés rentrèrent,
Et presque aussitôt se couchèrent.
Dès qu'il entend dormir l'époux,
Dans l'ombre vers Silvia Jérôme s'achemine,
Et lui posant la main sur la poitrine,
Il lui dit doucement : « Mon âme, dormez-vous ?
La pauvre enfant, croyant voir un fantôme,
Voulut crier ; le jeune homme ajouta
« Ne criez pas, je suis votre Jérôme.
- Pour l'amour de Dieu, dit Silvia,
Allez-vous-en, je vous en prie.
Il est passé, ce temps de notre vie
Où notre enfance eut loisir de s'aimer,
Vous voyez, je suis mariée.
Dans les devoirs auxquels je suis liée,
Il ne me sied plus de penser
À vous revoir ni vous entendre.
Si mon mari venait à vous surprendre,
Songez que le moindre des maux
Serait pour moi d'en perdre le repos ;
Songez qu'il m'aime et que je suis sa femme. »
À ce discours, le malheureux amant
Fut navré jusqu'au fond de l'âme.
Ce fut en vain qu'il peignit son tourment,
Et sa constance et sa misère ;
Par promesse ni par prière,
Tout son chagrin ne put rien obtenir.
Alors, sentant la mort venir,
Il demanda que, pour grâce dernière,
Elle le laissât se coucher
Pendant un instant auprès d'elle,
Sans bouger et sans la toucher,
Seulement pour se réchauffer,
Ayant au cœur une glace mortelle,
Lui promettant de ne pas dire un mot,
Et qu'il partirait aussitôt,
Pour ne la revoir de sa vie.
La jeune femme, ayant quelque compassion,
Moyennant la condition,
Voulut contenter son envie.
Jérôme profita d'un moment de pitié ;
Il se coucha près de Silvie.
Considérant alors quelle longue amitié
Pour cette femme il avait eue,
Et quelle était sa cruauté,
Et l'espérance à tout jamais perdue,
Il résolut de cesser de souffrir,
Et rassemblant dans un dernier soupir
Toutes les forces de sa vie,
Il serra la main de sa mie,
Et rendit l'âme à son côté.
Silvia, non sans quelque surprise,
Admirant sa tranquillité,
Resta d'abord quelque temps indécise.
« Jérôme, il faut sortir d'ici,
Dit-elle enfin, l'heure s'avance. »
Et, comme il gardait le silence,
Elle pensa qu'il s'était endormi.
Se soulevant donc à demi,
Et doucement l'appelant à voix basse,
Elle étendit la main vers lui,
Et le trouva froid comme glace.
Elle s'en étonna d'abord ;
Bientôt, l'ayant touché plus fort,
Et voyant sa peine inutile,
Son ami restant immobile,
Elle comprit qu'il était mort.
Que faire ? il n'était pas facile
De le savoir en un moment pareil.
Elle avisa de demander conseil
À son mari, le tira de son somme,
Et lui conta l'histoire de Jérôme,
Comme un malheur advenu depuis peu,
Sans dire à qui ni dans quel lieu.
« En pareil cas, répondit le bonhomme,
Je crois que le meilleur serait
De porter le mort en secret
À son logis, l'y laisser sans rancune,
Car la femme n'a point failli,
Et le mal est à la fortune.
- C'est donc à nous de faire ainsi, »
Dit la femme ; et, prenant la main de son mari
Elle lui fit toucher près d'elle
Le corps sur son lit étendu.
Bien que troublé par ce coup imprévu,
L'époux se lève, allume sa chandelle ;
Et, sans entrer en plus de mots,
Sachant que sa femme est fidèle,
Il charge le corps sur son dos,
À sa maison secrètement l'emporte,
Le dépose devant la porte,
Et s'en revient sans avoir été vu.
Lorsqu'on trouva, le jour étant venu,
Le jeune homme couché par terre,
Ce fut une grande rumeur ;
Et le pire, dans ce malheur,
Fut le désespoir de la mère.
Le médecin aussitôt consulté,
Et le corps partout visité,
Comme on n'y vit point de blessure,
Chacun parlait à sa façon
De cette sinistre aventure.
La populaire opinion
Fut que l'amour de sa maîtresse
Avait jeté Jérôme en cette adversité,
Et qu'il était mort de tristesse,
Comme c'était la vérité.
Le corps fut donc à l'église porté,
Et là s'en vint la malheureuse mère,
Au milieu des amis en deuil,
Exhaler sa douleur amère.
Tandis qu'on menait le cercueil,
Le tisserand qui, dans le fond de l'âme,
Ne laissait pas d'être inquiet :
« Il est bon, dit-il à sa femme,
Que tu prennes ton mantelet,
Et t'en ailles à cette église
Où l'on enterre ce garçon
Qui mourut hier à la maison.
J'ai quelque peur qu'on ne médise
Sur cet inattendu trépas,
Et ce serait un mauvais pas,
Tout innocents que nous en sommes.
Je me tiendrai parmi les hommes,
Et prierai Dieu, tout en les écoutant.
De ton côté, prends soin d'en faire autant
À l'endroit qu'occupent les femmes.
Tu retiendras ce que ces bonnes âmes
Diront de nous, et nous ferons
Selon ce que nous entendrons. »
La pitié trop **** à Silvie
Etait venue, et ce discours lui plut.
Celui dont un baiser eût conservé la vie,
Le voulant voir encore, elle s'en fut.
Il est étrange, il est presque incroyable
Combien c'est chose inexplicable
Que la puissance de l'amour.
Ce cœur, si chaste et si sévère,
Qui semblait fermé sans retour
Quand la fortune était prospère,
Tout à coup s'ouvrit au malheur.
À peine dans l'église entrée,
De compassion et d'horreur
Silvia se sentit pénétrée ;
L'ancien amour s'éveilla tout entier.
Le front baissé, de son manteau voilée,
Traversant la triste assemblée,
Jusqu'à la bière il lui fallut aller ;
Et là, sous le drap mortuaire
Sitôt qu'elle vit son ami,
Défaillante et poussant un cri,
Comme une sœur embrasse un frère,
Sur le cercueil elle tomba ;
Et, comme la douleur avait tué Jérôme,
De sa douleur ainsi mourut Silvia.
Cette fois ce fut au jeune homme
A céder la moitié du lit :
L'un près de l'autre on les ensevelit.
Ainsi ces deux amants, séparés sur la terre,
Furent unis, et la mort fit
Ce que l'amour n'avait pu faire.
Fable III, Livre I.


D'Actéon, mes amis, vous savez l'aventure ;
Vous savez qu'un peu cher il paya des transports
Où la seule Diane a pu voir une injure.
Aux mots qu'en son courroux cette ***** murmure,
Sans trop cacher pourtant ses pudiques trésors,
Notre indiscret, d'un cerf dix cors
À tout à coup pris l'encolure.
Un pied fourchu s'ajuste à sa jambe, à son bras ;
Ses cheveux en rameaux se dressent sur sa tête ;
Jusqu'au bout de son nez qui s'allonge, un poil rat
Court habiller notre homme en bête.
Peu content de voir sur son front
Ce qui paraît moins sur le nôtre,
Le nouveau quadrupède à décamper fut prompt.
Mais, hélas ! un malheur vient-il jamais sans l'autre ?
Ses bassets, un peu trop ardents,
Et, comme nous, enclins à juger sur la mine,
Le suivent en jappant dans la forêt voisine,
Où, tout en pleurs, bientôt il périt sous leurs dents.
Aucun d'eux cependant n'était ingrat ou traître,
Aucun du moins ne croyait l'être,
Lorsque dans son sang même ils se désaltéraient ;
Ce n'était pas leur pauvre maître,
C'était un cerf qu'ils déchiraient.
Vous qui d'écrire avez l'audace ou la faiblesse,
Si haut que soit le rang où vous plaça le sort,
Au destin d'Actéon résignez-vous d'abord,
Et surtout oubliez vos titres de noblesse.
Bien qu'au pied du Parnasse il soit plus d'un flatteur
La critique et sa meute y fixent leur retraite :
Quand vous vous donnez pour auteur,
En auteur souffrez qu'on vous traite.
Mark Ball Dec 2014
Je vais à la fête
pour boire.
Mais, vous savez
que c'est ma
bête noire.
I miss studying french.
Près du pêcheur qui ruisselle,
Quand tous deux, au jour baissant,
Nous errons dans la nacelle,
Laissant chanter l'homme frêle
Et gémir le flot puissant ;

Sous l'abri que font les voiles
Lorsque nous nous asseyons,
Dans cette ombre où tu te voiles
Quand ton regard aux étoiles
Semble cueillir des rayons ;

Quand tous deux nous croyons lire
Ce que la nature écrit,
Réponds, ô toi que j'admire,
D'où vient que mon cœur soupire ?
D'où vient que ton front sourit ?

Dis ? d'où vient qu'à chaque lame,
Comme une coupe de fiel,
La pensée emplit mon âme ?
C'est que moi je vois la rame
Tandis que tu vois le ciel !

C'est que je vois les flots sombres,
Toi, les astres enchantés !
C'est que, perdu dans leurs nombres,
Hélas, je compte les ombres
Quand tu comptes les clartés !

Chacun, c'est la loi suprême,
Rame, hélas ! jusqu'à la fin.
Pas d'homme, ô fatal problème !
Qui ne laboure ou ne sème
Sur quelque chose de vain !

L'homme est sur un flot qui gronde.
L'ouragan tord son manteau.
Il rame en la nuit profonde,
Et l'espoir s'en va dans l'onde
Par les fentes du bateau.

Sa voile que le vent troue
Se déchire à tout moment,
De sa route l'eau se joue,
Les obstacles sur sa proue
Écument incessamment !

Hélas ! hélas ! tout travaille
Sous tes yeux, ô Jéhovah !
De quelque côté qu'on aille,
Partout un flot qui tressaille,
Partout un homme qui va !

Où vas-tu ? - Vers la nuit noire.
Où vas-tu ? - Vers le grand jour.
Toi ? - Je cherche s'il faut croire.
Et toi ? - Je vais à la gloire.
Et toi ? - Je vais à l'amour.

Vous allez tous à la tombe !
Vous allez à l'inconnu !
Aigle, vautour, ou colombe,
Vous allez où tout retombe
Et d'où rien n'est revenu !

Vous allez où vont encore
Ceux qui font le plus de bruit !
Où va la fleur qu'avril dore !
Vous allez où va l'aurore !
Vous allez où va la nuit !

À quoi bon toutes ces peines ?
Pourquoi tant de soins jaloux ?
Buvez l'onde des fontaines,
Secouez le gland des chênes,
Aimez, et rendormez-vous !

Lorsque ainsi que des abeilles
On a travaillé toujours ;
Qu'on a rêvé des merveilles ;
Lorsqu'on a sur bien des veilles
Amoncelé bien des jours ;

Sur votre plus belle rose,
Sur votre lys le plus beau,
Savez-vous ce qui se pose ?
C'est l'oubli pour toute chose,
Pour tout homme le tombeau !

Car le Seigneur nous retire
Les fruits à peine cueillis.
Il dit : Échoue ! au navire.
Il dit à la flamme : Expire !
Il dit à la fleur : Pâlis !

Il dit au guerrier qui fonde :
- Je garde le dernier mot.
Monte, monte, ô roi du monde !
La chute la plus profonde
Pend au sommet le plus haut. -

Il a dit à la mortelle :
- Vite ! éblouis ton amant.
Avant de mourir sois belle.
Sois un instant étincelle,
Puis cendre éternellement ! -

Cet ordre auquel tu t'opposes
T'enveloppe et t'engloutit.
Mortel, plains-toi, si tu l'oses,
Au Dieu qui fit ces deux choses,
Le ciel grand, l'homme petit !

Chacun, qu'il doute ou qu'il nie,
Lutte en frayant son chemin ;
Et l'éternelle harmonie
Pèse comme une ironie
Sur tout ce tumulte humain !

Tous ces faux biens qu'on envie
Passent comme un soir de mai.
Vers l'ombre, hélas ! tout dévie.
Que reste-t-il de la vie,
Excepté d'avoir aimé !

----

Ainsi je courbe ma tête
Quand tu redresses ton front.
Ainsi, sur l'onde inquiète,
J'écoute, sombre poète,
Ce que les flots me diront.

Ainsi, pour qu'on me réponde,
J'interroge avec effroi ;
Et dans ce gouffre où je sonde
La fange se mêle à l'onde... -
Oh ! ne fais pas comme moi !

Que sur la vague troublée
J'abaisse un sourcil hagard ;
Mais toi, belle âme voilée,
Vers l'espérance étoilée
Lève un tranquille regard !

Tu fais bien. Vois les cieux luire.
Vois les astres s'y mirer.
Un instinct là-haut t'attire.
Tu regardes Dieu sourire ;
Moi, je vois l'homme pleurer !

Le 9 septembre 1836.
Fable XVII, Livre V.


Polichinelle, à toi nous voilà revenus.
J'y reviens volontiers, c'est un ami d'enfance ;
Garçon d'esprit d'ailleurs, dans son extravagance,
Fertile en mots profonds, des badauds retenus ;
Garçon d'humeur toujours égale,
Non pas comme un quidam que nous avons connu,
Du matin jusqu'au soir plus mauvais que la gale ;
Mais toujours avenant, mais partout bien venu,
Trinquant avec qui le régale,
Et point fier, quoique parvenu.
Rien n'est indifférent dans un homme aussi rare.
Sachez donc, mes amis, quelle ingénuité
En son accoutrement, qui vous paraît bizarre,
Lui fait joindre aux galons, dont le riche se pare,
Les sabots de la pauvreté.
La fortune en tout temps ne lui fut pas prospère.
Il eut un bûcheron pour père ;
Bon homme, en qui l'amour paternel décroissait
Juste dans la mesure où son fils grandissait ;
Et qui disait parfois : « Je crois, Dieu me pardonne,
Que j'aimais mieux l'enfant quand il était petit.
Dieu fait bien ce qu'il fait ; mais d'où vient qu'il me donne
Un fils de si bon appétit ? »
Il est vrai que ce fils, encore à la lisière,
Si j'en crois un voisin qui l'a vu de ses yeux,
Coûtait plus à lui seul que sa famille entière,
Ne faisait rien qui vaille, et n'en mangeait que mieux.
Sur la nature enfin l'avarice l'emporte.
L'indigent est cruel comme l'ambitieux.
Lassé d'une charge aussi forte,
Le bon père, un beau jour, met son fils à la porte.
Voilà Polichinelle à la grâce de Dieu ;
Ce qui, dans le siècle où nous sommes,
Veut dire abandonné des hommes,
Et n'ayant pain, ni feu, ni lieu.
Il ne lui reste rien au monde,
Que deux chemises sans jabots,
Une panse un peu large, une échine un peu ronde,
Un vieil habit et des sabots.
Au surplus, ne sachant rien faire,
Sinon boire et manger, talent assez commun ;
Il apprit vingt métiers, mais il n'en sait pas un :
Comment sortira-t-il d'affaire ?
Il y pense en pleurant. Cet heureux don des pleurs,
Qui dans le cœur d'autrui fait passer nos douleurs,
Bien qu'au cerf rarement l'épreuve en soit utile,
A servi quelquefois l'homme et le crocodile.
Il a sauvé Sinon, je l'ai lu dans Virgile ;
Il sauva notre ami : non pas qu'en larmoyant
Il ait produit l'effet que je viens de décrire,
Au contraire ; on pleurait peut-être en le voyant,
Mais c'était à force de rire.
Cet effet singulier lui tint lieu de talent
Près du sieur Brioché, si fameux dans l'histoire.
« Voilà, dit ce grand homme, un paillasse excellent
Pour mon théâtre de la Foire.
En place de mon grimacier,
Dont le public paraît ne plus se soucier,
Si j'engageais ce bon apôtre ? »
Polichinelle accepte ; il faut gagner son pain.
Hélas ! il serait mort de faim
S'il avait pleuré comme un autre.
Il débute ; en dehors d'abord il se montra,
Et puis en dedans il entra.
Or vous savez, messieurs, mesdames,
Dans son métier s'il prospéra,
S'il fut charmant dans l'opéra,
S'il fut excellent dans les drames.
Auprès de Melpomène il perdit son procès ;
Mais il fit sa fortune en faisant la culbute.
Que d'acteurs contre sa chute
Voudraient changer leurs succès !
Dans son heureux caractère
Rentré pour n'en plus sortir,
Grâce à l'argent des sots qu'il a su divertir,
Il est capitaliste, il est propriétaire.
C'est presque un seigneur, vraiment !
Au reste, employant gaîment
Le bien que gaîment il gagne,
Il a maison de ville et maison de campagne,
Et, ce point-là surtout ne doit pas être omis,
Bonne table pour ses amis.
Aussi, comme il en a ! Bravant mode et coutume,
Chacun sait qu'à sa guise il s'est fait un costume
Où, sans être obligé de se déboutonner,
Il boit, mange et rit tout à l'aise.
Cet habit vaut le nôtre , il l'a fait galonner.
En jabot de dentelle il a changé sa fraise.
Mais quand tout devrait l'inviter
A quitter les sabots, il veut, ne vous déplaise,
Il veut ne les jamais quitter.
La raison qu'il en donne au reste est fort honnête.
« Souvent les parvenus se sont trop oubliés ;
Quand l'orgueil me porte à la tête,
Dit-il, je regarde à mes pieds.
Ils me rappellent tout ; mes parents, leur misère,
La détresse où j'étais quand Brioché me prit. »
« - Polichinelle, en tout le sort te soit prospère !
C'est le fait d'un bon cœur, comme d'un bon esprit
De ne point rougir de son père. »
Batya Mar 2014
Je suis votre reine,
et vous savez que je t'aime.
C'est la raison pour laquelle je vous poignarde
avec des mots  meurtrières dans une belle langue.
Je suis une reine,
J'aime vous montrer le royaume- qui est votre frère.
Parfois, je le partage,
et parfois j'aime régner avec une poigne de fer
et le ramener sur votre cou.
Je suis une reine,
aussi ridicule que Antoinnete.
Je suis une reine
qui est menacée par sa princesse.
Brenna Martin Mar 2016
Articulation;
The act of grasping a fleeting idea
and fitting it to symbols and sounds
Of which can be comprehended
par les autres.
Mais et si je commence parler dans une langue
que vous ne savez pas?
Well, you're out of luck, I suppose.
Then, my ideas, of which are still transformed into the same alphabet,
are no longer of any meaning to you.
Ça c'est le problème avec l'amérique, par exemple--
nous sommes trop occupés avec nous-mêmes.
Il y a trop des idées que nous ne saurons jamais
simplement parce que nous parle seule l'anglais.
But sometimes, a language barrier is a good thing--
I can't understand the crude remarks from the kitchen staff at work.
(Fragment)

Ni ce moine rêveur, ni ce vieux charlatan,
N'ont deviné pourquoi Mariette est mourante.
Elle est frappée au cœur, la belle indifférente ;
Voilà son mal, - elle aime. - Il est cruel pourtant
De voir entre les mains d'un cafard et d'un âne,
Mourir cette superbe et jeune courtisane.
Mais chacun a son jour, et le sien est venu ;
Pour moi, je ne crois guère à ce mal inconnu.
Tenez, - la voyez-vous, seule, au pied de ces arbres,
Chercher l'ombre profonde et la fraîcheur des marbres,
Et plonger dans le bain ses membres en sueur ?
Je gagerais mes os qu'elle est frappée au cœur.
Regardez : - c'est ici, sous ces longues charmilles,
Qu'hier encor, dans ses bras, **** des rayons du jour,
Ont pâli les enfants des plus nobles familles.
Là s'exerçait dans l'ombre un redoutable amour ;
Là, cette Messaline ouvrait ses bras rapaces
Pour changer en vieillards ses frêles favoris,
Et, répandant la mort sous des baisers vivaces,
Buvait avec fureur ses éléments chéris,
L'or et le sang. -
Hélas ! c'en est fait, Mariette,
Maintenant te voilà solitaire et muette.
Tu te mires dans l'eau ; sur ce corps si vanté
Tes yeux cherchent en vain ta fatale beauté.
Va courir maintenant sur les places publiques.
Tire par les manteaux tes amants magnifiques.
Ceux qui, l'hiver dernier, t'ont bâti ton palais,
T'enverront demander ton nom par leurs valets.
Le médecin s'éloigne en haussant les épaules ;
Il soupire, il se dit que l'art est impuissant.
Quant au moine stupide, il ne sait que deux rôles,
L'un pour le criminel, l'autre pour l'innocent ;
Et, voyant une femme en silence s'éteindre,
Ne sachant s'il devait ou condamner ou plaindre,
D'une bouche tremblante il les a dits tous deux.
Maria ! Maria ! superbe créature,
Tu seras ce chasseur imprudent que les dieux
Aux chiens qu'il nourrissait jetèrent en pâture.
Sous le tranquille abri des citronniers en fleurs,
L'infortunée endort le poison qui la mine ;
Et, comme Madeleine, on voit sur sa poitrine
Ruisseler les cheveux ensemble avec les pleurs.

Etait-ce un connaisseur en matière de femme,
Cet écrivain qui dit que, lorsqu'elle sourit,
Elle vous trompe; elle a pleuré toute la nuit ?
Ah ! s'il est vrai qu'un oeil plein de joie et de flamme,
Une bouche riante, et de légers propos,
Cachent des pleurs amers et des nuits de sanglots ;
S'il est vrai que l'acteur ait l'âme déchirée
Quand le masque est fardé de joyeuses couleurs,
Qu'est-ce donc quand la joue est ardente et plombée,
Quand le masque lui-même est inondé de pleurs ?
Je ne sais si jamais l'éternelle justice
A du plaisir des dieux fait un plaisir permis ;
Mais, s'il m'était donné de dire à quel supplice
Je voudrais condamner mon plus fier ennemi,
C'est toi, pâle souci d'une amour dédaignée,
Désespoir misérable et qui meurs ignoré,
Oui, c'est toi, ce serait ta lame empoisonnée
Que je voudrais briser dans un cœur abhorré !
Savez-vous ce que c'est que ce mal solitaire ?
Ce qu'il faut en souffrir seulement pour s'en taire ?
Pour que toute une mer d'angoisses et de maux
Demeure au fond du crâne, entre deux faibles os ?...

Et comment voudrait-il, l'insensé, qu'on le plaigne ?
Sois méprisé d'un seul, c'est à qui t'oubliera.
D'ailleurs, l'inexorable orgueil n'est-il pas là ?
L'orgueil, qui craint les yeux, et, sur son flanc qui saigne,
Retient, comme César, jusque sous le couteau,
De ses débiles mains les plis de son manteau.

.......................................................­......

Sur les flots engourdis de ces mers indolentes,
Le nonchalant Octave, insolemment paré,
Ferme et soulève, au bruit des valses turbulentes,
Ses yeux, ses beaux yeux bleus, qui n'ont jamais pleuré.
C'est un chétif enfant ; - il commence à paraître,
Personne jusqu'ici ne l'avait aperçu.
On raconte qu'un jour, au pied de sa fenêtre,
La belle Mariette en gondole l'a vu.
Une vieille ce soir l'arrête à son passage :
« Hélas ! a-t-elle dit d'une tremblante voix,
Elle voudrait vous voir une dernière fois. »
Mais Octave, à ces mots, découvrant son visage,  
A laissé voir un front où la joie éclatait :
« Mariette se meurt ! est-on sûr qu'elle meure ?
Dit-il. - Le médecin lui donne encore une heure.
- Alors, réplique-t-il, porte-lui ce billet. »
Il écrivit ces mots du bout de son stylet :
« Je suis femme, Maria ; tu m'avais offensée.
Je puis te pardonner, puisque tu meurs par moi.
Tu m'as vengée ! adieu. - Je suis la fiancée
De Petruccio Balbi qui s'est noyé pour toi. »
Simplement, comme on verse un parfum sur une flamme

Et comme un soldat répand son sang pour la patrie,

Je voudrais pouvoir mettre mon cœur avec mon âme

Dans un beau cantique à la sainte Vierge Marie.


Mais je suis, hélas ! un pauvre pécheur trop indigne,

Ma voix hurlerait parmi le chœur des voix des justes :

Ivre encor du vin amer de la terrestre vigne,

Elle pourrait offenser des oreilles augustes.


Il faut un cœur pur comme l'eau qui jaillit des roches,

Il faut qu'un enfant vêtu de lin soit notre emblème,

Qu'un agneau bêlant n'éveille en nous aucuns reproches,

Que l'innocence nous ceigne un brûlant diadème,


Il faut tout cela pour oser dire vos louanges,

Ô vous Vierge Mère, ô vous Marie Immaculée,

Vous blanche à travers les battements d'ailes des anges,

Qui posez vos pieds sur notre terre consolée.


Du moins je ferai savoir à qui voudra l'entendre

Comment il advint qu'une âme des plus égarées,

Grâce à ces regards cléments de votre gloire tendre,

Revint au bercail des Innocences ignorées.


Innocence, ô belle après l'Ignorance inouïe,

Eau claire du cœur après le feu vierge de l'âme,

Paupière de grâce sur la prunelle éblouie,

Désaltèrement du cerf rompu d'amour qui brame !


Ce fut un amant dans toute la force du terme :

Il avait connu toute la chair, infâme ou vierge,

Et la profondeur monstrueuse d'un épiderme,

Et le sang d'un cœur, cire vermeille pour son cierge !


Ce fut un athée, et qui poussait **** sa logique

Tout en méprisant les fadaises qu'elle autorise,

Et comme un forçat qui remâche une vieille chique

Il aimait le jus flasque de la mécréantise.


Ce fut un brutal, ce fut un ivrogne des rues,

Ce fut un mari comme on en rencontre aux barrières ;

Bon que les amours premières fussent disparues,

Mais cela n'excuse en rien l'excès de ses manières.


Ce fut, et quel préjudice ! un Parisien fade,

Vous savez, de ces provinciaux cent fois plus pires

Qui prennent au sérieux la plus sotte cascade,

Sans s'apercevoir, ô leur âme, que tu respires ;


Race de théâtre et de boutique dont les vices

Eux-mêmes, avec leur odeur rance et renfermée,

Lèveraient le cœur à des sauvages leurs complices,

Race de trottoir, race d'égout et de fumée !


Enfin un sot, un infatué de ce temps bête

(Dont l'esprit au fond consiste à boire de la bière)

Et par-dessus tout une folle tête inquiète,

Un cœur à tous vents, vraiment mais vilement sincère.


Mais sans doute, et moi j'inclinerais fort à le croire,

Dans quelque coin bien discret et sûr de ce cœur même,

Il avait gardé comme qui dirait la mémoire

D'avoir été ces petits enfants que Jésus aime.


Avait-il, - et c'est vraiment plus vrai que vraisemblable,

Conservé dans le sanctuaire de sa cervelle

Votre nom, Marie, et votre titre vénérable,

Comme un mauvais prêtre ornerait encor sa chapelle ?


Ou tout bonnement peut-être qu'il était encore,

Malgré tout son vice et tout son crime et tout le reste,

Cet homme très simple qu'au moins sa candeur décore

En comparaison d'un monde autour que Dieu déteste.


Toujours est-il que ce grand pécheur eut des conduites

Folles à ce point d'en devenir trop maladroites

Si bien que les tribunaux s'en mirent, - et les suites !

Et le voyez-vous dans la plus étroite des boîtes ?


Cellules ! Prisons humanitaires ! Il faut taire

Votre horreur fadasse et ce progrès d'hypocrisie...

Puis il s'attendrit, il réfléchit. Par quel mystère,

Ô Marie, ô vous, de toute éternité choisie ?


Puis il se tourna vers votre Fils et vers Sa Mère,

Ô qu'il fut heureux, mais, là, promptement, tout de suite !

Que de larmes, quelle joie, ô Mère ! et pour vous plaire,

Tout de suite aussi le voilà qui bien vite quitte


Tout cet appareil d'orgueil et de pauvres malices,

Ce qu'on nomme esprit et ce qu'on nomme la Science,

Et les rires et les sourires où tu te plisses,

Lèvre des petits exégètes de l'incroyance !


Et le voilà qui s'agenouille et, bien humble, égrène

Entre ses doigts fiers les grains enflammés du Rosaire,

Implorant de Vous, la Mère, et la Sainte, et la Reine,

L'affranchissement d'être ce charnel, ô misère !


Ô qu'il voudrait bien ne plus savoir plus rien du monde

Q'adorer obscurément la mystique sagesse,

Qu'aimer le cœur de Jésus dans l'extase profonde

De penser à vous en même temps pendant la Messe.


Ô faites cela, faites cette grâce à cette âme,

Ô vous, Vierge Mère, ô vous, Marie Immaculée,

Toute en argent parmi l'argent de l'épithalame,

Qui posez vos pieds sur notre terre consolée.
Hôtes de ce séjour d'angoisse et de souffrance,

Où Satan sur le seuil a mis : Plus d'espérance !

Qui vous brisez le front contre ses murs de fer,

Et vîntes échanger, dans cette fange immonde,

La perpétuité des peines de ce monde

Pour l'éternité de l'enfer !


Ô vous, bandits, larrons d'Italie ou d'Espagne,

Hôtes des grands chemins, qui courez la campagne

De Tarente à Venise, et de Rome au Simplon ;

Et vous, concitoyens, voleurs de ma patrie.

Qui, les cheveux rasés et l'épaule flétrie.

Ramiez dans Brest ou dans Toulon !


Et vous qui, franchissant les monts et les cascades,

Imploriez la madone, et braviez les alcades,

Castillans, Grenadins ! et vous qui, sourdement,

Sous le ciel de l'Écosse, alliez dans les ténèbres

Ressusciter les morts dans leurs linceuls funèbres

Avant le jour du jugement !


Filles de joie, ô vous qu'on voyait dans la rue.

Autour d'un mauvais lieu, faire le pied de grue.

Dont l'amour fut mortel, et le baiser fatal ;

Vous tous, morts dans le crime et dans l'impénitence,

Spectres, qu'ont ainsi faits la roue ou la potence,

La guillotine ou l'hôpital !


Vous tous, mes vieux damnés, races de Dieu maudites,

Approchez-vous ici, parlez-nous, et nous dites

Aux gouffres de Satan combien a rapporté

Chaque péché mortel qui damne l'autre vie ;

Combien l'Orgueil, combien l'Avarice ou l'Envie,

Combien surtout la Pauvreté ?


C'est Elle qui flétrit une âme encor novice,

L'enlace, et la conduit au crime par le vice.

Courbant les plus hauts fronts avec sa main de fer ;

Qui mêle le poison et qui tire l'épée :

Elle, la plus féconde et la mieux occupée

Des pourvoyeuses de l'enfer !


Pauvreté ! vaste mot. Puissances de la terre,

Qui portez de vos noms l'orgueil héréditaire,

Savez-vous ce que c'est qu'avoir soif, avoir faim :

L'hiver, dans un grabat juché sous la toiture,

Passer le jour sans feu, la nuit sans couverture ;

Ce que c'est que le pauvre, enfin ?


- C'est un homme qui va, sur les places publiques,

Colporter, tout perclus, une boîte à reliques ;

Un aveugle en haillons, qu'on voit par les chemins

Accompagné d'un chien qui porte une sébile,

Agenouillé par terre, et qui chante, immobile,

Un cantique, en joignant les mains :


C'est un homme qui veille au seuil la nuit entière,

Et vient, sortants du bal, vous ouvrir la portière,

Recommandant sa peine aux cœurs compatissants ;

C'est une femme en pleurs qui voile son visage

Et tient à ses côtés deux enfants en bas-âge

Dressés à suivre les passants.


C'est cela : rien de plus. D'ailleurs, c'est une classe,

Les pauvres : il faut bien que chacun ait sa place ;

Dieu seul sait comme tout ici doit s'ordonner :

Il a mis la santé près de la maladie,

Le riche près du pauvre : il faut que l'un mendie

Pour que l'autre puisse donner.


Et quand, lassés de voir qu'on vous suit à la trace,

Vous vous êtes saignés, à grand'peine, et par grâce,

Du denier qu'un laquais insolent a jeté :

Grands seigneurs, financiers, belles dames, duchesses.

Vous vous tenez contenus, et croyez vos richesses

Quittes envers la pauvreté !


Mais il en est une autre, une autre cent fois pire,

Qui n'a point de haillons, celle-là, qui n'inspire

Ni pitié, ni dégoût, qui se pare de fleurs :

Qui ne se montre point, mendiante et quêteuse,

Mais, sous de beaux habits, cache, toute honteuse.

Ses ulcères et ses douleurs.


Elle vient au concert, et chante : au bal, et danse :

Jamais, jamais un geste, un mot dont l'imprudence

Trahirait des tourments qui ne sont point compris ;

C'est un combat sans fin, une longue détresse,

Une fièvre qui mine, un cauchemar qui presse

Et tue en étouffant vos cris.


C'est ce mal qui travaille une âme bien placée,

Qui s'indigne du rang où le sort l'a laissée ;

Qui demeure toujours triste au sein des plaisirs,

Parce qu'elle en sait bien le terme, et s'importune

De n'égaler jamais ses vœux à sa fortune,

Ni son espoir à ses désirs.


C'est le fléau du siècle, et cette maladie

Gagne de proche en proche, ainsi qu'un incendie :

Le monde dans son sein porte un hôte inconnu :

C'est un ver dans le cœur, c'est le cheval de Troie,

D'où les Grecs tout armés tomberont sur leur proie

Quand le moment sera venu.


Or, quand cela se voit, c'est une marque sûre

Qu'il s'est fait au-dedans une grande blessure.

Enseignement certain, par où Dieu nous apprend

Qu'une société vieillie et décrépite

S'émeut au plus profond de sa base, et palpite

Du dernier râle d'un mourant.


Je vous en avertis, riches ; prenez-y garde !

L'édifice est usé : si quelqu'un par mégarde

Passe trop chargé d'or sur ses planchers pourris,

- Un grain de blé suffit pour combler la mesure :

Au choc le plus léger cette vieille masure

Vous étouffe sous ses débris.


Peu de jours sont passés depuis qu'en sa colère

Lyon a vu rugir le monstre populaire :

Vous aviez cru le voir arriver en trois bonds,

Le sang dans les regards, le feu dans les narines.

Et vous aviez serré votre or sur vos poitrines.

Pâles comme des moribonds.


S'il n'a pas cette fois encor, rompu sa chaîne,

Si la porte est de fer et la cage de chêne,

Pourtant n'approchez pas des barreaux trop souvent.

Car sa force s'accroît, et sa rage, en silence ;

Et gare qu'un beau jour il les brise, et s'élance

Libre enfin, et les crins au vent !
Seigneur, vous m'avez laissé vivre

Pour m'éprouver jusqu'à la fin.

Vous châtiez cette chair ivre,

Par la douleur et par la faim !

Et Vous permîtes que le diable

Tentât mon âme misérable

Comme l'âme forte de Job,

Puis Vous m'avez envoyé l'ange

Qui gagea le combat étrange

Avec le grand aïeul Jacob


Mon enfance, elle fut joyeuse :

Or je naquis choyé, béni

Et je crûs, chair insoucieuse,

Jusqu'au temps du trouble infini

Qui nous prend comme une tempête,

Nous poussant comme par la tête

Vers l'abîme et prêts à tomber ;

Quant à moi, puisqu'il faut le dire.

Mes sens affreux et leur délire

Allaient me faire succomber,


Quand Vous parûtes, Dieu de grâce

Qui savez tout bien arranger,

Qui Vous mettez bien à la place,

L'auteur et l'ôteur du danger,

Vous me punîtes par moi-même

D'un supplice cru le suprême

(Oui, ma pauvre âme le croyait)

Mais qui n'était au fond rien qu'une

Perche tendue, ô qu'opportune !

A mon salut qui se noyait.


Comprises les dures délices,

J'ai marché dans le droit sentier,

Y cueillant sous des cieux propices

Pleine paix et bonheur entier,

Paix de remplir enfin ma tâche,

Bonheur de n'être plus un lâche

Épris des seules voluptés

De l'orgueil et de la luxure,

Et cette fleur, l'extase pure

Des bons projets exécutés,


C'est alors que la mort commence

Son œuvre inexpiable ? Non,

Mais qui me saisit de démence

Bien qu'encor criant Votre nom.

L'Ami me meurt, aussi la Mère,

Une rancune plus qu'amère

Me piétine en ce dur moment

Et me cantonne en la misère,

Dans la littérale misère,

Du froid, et du délaissement !


Tout s'en mêle : la maladie

Vient en aide à l'autre fléau.

Le guignon, comme un incendie

Dans un pays où manque l'eau,

Ravage et dévaste ma vie,

Traînant à sa suite l'envie,

L'ordre, l'obsèque trahison,

La sale pitié dérisoire,

Jusqu'à cette rumeur de gloire

Comme une insulte à la raison !


Ces mystères, je les pénètre ;

Tous les mystères, je les connais,

Oui, certes, Vous êtes le maître

Dont les rigueurs sont les bienfaits.

Mais, ô Vous, donnez-moi la force,

Donnez, comme à l'arbre l'écorce.

Comme l'instinct à l'animal,

Donnez à ce cœur votre ouvrage,

Seigneur, la force et le courage

Pour le bien et contre le mal.


Mais, hélas ! je ratiocine

Sur mes fautes et mes douleurs,

Espèce de mauvais Racine

Analysant jusqu'à mes pleurs.

Dans ma raison mal assagie,

Je fais de la psychologie

Au lieu d'être un cœur pénitent

Tout simple et tout aimable en somme.

Sans plus l'astuce du vieil homme

Et sans plus l'orgueil protestant...


Je crois en l'Église romaine,

Catholique, apostolique et

La seule humaine qui nous mène

Au but que Jésus indiquait,

La seule divine qui porte

Notre croix jusques à la porte

Des libres cieux enfin ouverts.

Qui la porte par vos bras même,

O grand Crucifié suprême

Donnant pour nous vos maux soufferts.


Je crois en la toute-présense,

A la messe de Jésus-Christ,

Je crois à la toute-puissance

Du Sang que pour nous il offrit

Et qu'il offre au seul Juge encore

Par ce mystère que j'adore

Qui fait qu'un homme vain, menteur,

Pourvu qu'il porte le vrai signe

Qui le consacre entre tous digne,

Puisse créer le Créateur.


Je confesse la Vierge unique,

Reine de la neuve Sion,

Portant aux plis de sa tunique

La grâce et l'intercession.

Elle protège l'innocence,

Accueille la résipiscence,

Et debout quand tous à genoux,

Impêtre le pardon du Père

Pour le pécheur qui désespère...

Mère du fils, priez pour nous !
Depuis qu'Adam, ce cruel homme,
A perdu son fameux jardin,
Où sa femme, autour d'une pomme,
Gambadait sans vertugadin,
Je ne crois pas que sur la terre
Il soit un lieu d'arbres planté
Plus célébré, plus visité,
Mieux fait, plus joli, mieux hanté,
Mieux exercé dans l'art de plaire,
Plus examiné, plus vanté,
Plus décrit, plus lu, plus chanté,
Que l'ennuyeux parc de Versailles.
Ô dieux ! ô bergers ! ô rocailles !
Vieux Satyres, Termes grognons,
Vieux petits ifs en rangs d'oignons,
Ô bassins, quinconces, charmilles !
Boulingrins pleins de majesté,
Où les dimanches, tout l'été,
Bâillent tant d'honnêtes familles !
Fantômes d'empereurs romains,
Pâles nymphes inanimées
Qui tendez aux passants les mains,
Par des jets d'eau tout enrhumées !
Tourniquets d'aimables buissons,
Bosquets tondus où les fauvettes
Cherchent en pleurant leurs chansons,
Où les dieux font tant de façons
Pour vivre à sec dans leurs cuvettes !
Ô marronniers ! n'ayez pas peur ;
Que votre feuillage immobile,
Me sachant versificateur,
N'en demeure pas moins tranquille.
Non, j'en jure par Apollon
Et par tout le sacré vallon,
Par vous, Naïades ébréchées,
Sur trois cailloux si mal couchées,
Par vous, vieux maîtres de ballets,
Faunes dansant sur la verdure,
Par toi-même, auguste palais,
Qu'on n'habite plus qu'en peinture,
Par Neptune, sa fourche au poing,
Non, je ne vous décrirai point.
Je sais trop ce qui vous chagrine ;
De Phoebus je vois les effets :
Ce sont les vers qu'on vous a faits
Qui vous donnent si triste mine.
Tant de sonnets, de madrigaux,
Tant de ballades, de rondeaux,
Où l'on célébrait vos merveilles,
Vous ont assourdi les oreilles,
Et l'on voit bien que vous dormez
Pour avoir été trop rimés.

En ces lieux où l'ennui repose,
Par respect aussi j'ai dormi.
Ce n'était, je crois, qu'à demi :
Je rêvais à quelque autre chose.
Mais vous souvient-il, mon ami,
De ces marches de marbre rose,
En allant à la pièce d'eau
Du côté de l'Orangerie,
À gauche, en sortant du château ?
C'était par là, je le parie,
Que venait le roi sans pareil,
Le soir, au coucher du soleil,
Voir dans la forêt, en silence,
Le jour s'enfuir et se cacher
(Si toutefois en sa présence
Le soleil osait se coucher).
Que ces trois marches sont jolies !
Combien ce marbre est noble et doux !
Maudit soit du ciel, disions-nous,
Le pied qui les aurait salies !
N'est-il pas vrai ? Souvenez-vous.
- Avec quel charme est nuancée
Cette dalle à moitié cassée !
Voyez-vous ces veines d'azur,
Légères, fines et polies,
Courant, sous les roses pâlies,
Dans la blancheur d'un marbre pur ?
Tel, dans le sein robuste et dur
De la Diane chasseresse,
Devait courir un sang divin ;
Telle, et plus froide, est une main
Qui me menait naguère en laisse.
N'allez pas, du reste, oublier
Que ces marches dont j'ai mémoire
Ne sont pas dans cet escalier
Toujours désert et plein de gloire,
Où ce roi, qui n'attendait pas,
Attendit un jour, pas à pas,
Condé, lassé par la victoire.
Elles sont près d'un vase blanc,
Proprement fait et fort galant.
Est-il moderne ? est-il antique ?
D'autres que moi savent cela ;
Mais j'aime assez à le voir là,
Étant sûr qu'il n'est point gothique.
C'est un bon vase, un bon voisin ;
Je le crois volontiers cousin
De mes marches couleur de rose ;
Il les abrite avec fierté.
Ô mon Dieu ! dans si peu de chose
Que de grâce et que de beauté !

Dites-nous, marches gracieuses,
Les rois, les princes, les prélats,
Et les marquis à grands fracas,
Et les belles ambitieuses,
Dont vous avez compté les pas ;
Celles-là surtout, j'imagine,
En vous touchant ne pesaient pas.
Lorsque le velours ou l'hermine
Frôlaient vos contours délicats,
Laquelle était la plus légère ?
Est-ce la reine Montespan ?
Est-ce Hortense avec un roman,
Maintenon avec son bréviaire,
Ou Fontange avec son ruban ?
Beau marbre, as-tu vu la Vallière ?
De Parabère ou de Sabran
Laquelle savait mieux te plaire ?
Entre Sabran et Parabère
Le Régent même, après souper,
Chavirait jusqu'à s'y tromper.
As-tu vu le puissant Voltaire,
Ce grand frondeur des préjugés,
Avocat des gens mal jugés,
Du Christ ce terrible adversaire,
Bedeau du temple de Cythère,
Présentant à la Pompadour
Sa vieille eau bénite de cour ?
As-tu vu, comme à l'ermitage,
La rondelette Dubarry
Courir, en buvant du laitage,
Pieds nus, sur le gazon fleuri ?
Marches qui savez notre histoire,
Aux jours pompeux de votre gloire,
Quel heureux monde en ces bosquets !
Que de grands seigneurs, de laquais,
Que de duchesses, de caillettes,
De talons rouges, de paillettes,
Que de soupirs et de caquets,
Que de plumets et de calottes,
De falbalas et de culottes,
Que de poudre sous ces berceaux,
Que de gens, sans compter les sots !
Règne auguste de la perruque,
Le bourgeois qui te méconnaît
Mérite sur sa plate nuque
D'avoir un éternel bonnet.
Et toi, siècle à l'humeur badine,
Siècle tout couvert d'amidon,
Ceux qui méprisent ta farine
Sont en horreur à Cupidon !...
Est-ce ton avis, marbre rose ?
Malgré moi, pourtant, je suppose
Que le hasard qui t'a mis là
Ne t'avait pas fait pour cela.
Aux pays où le soleil brille,
Près d'un temple grec ou latin,
Les beaux pieds d'une jeune fille,
Sentant la bruyère et le thym,
En te frappant de leurs sandales,
Auraient mieux réjoui tes dalles
Qu'une pantoufle de satin.
Est-ce d'ailleurs pour cet usage
Que la nature avait formé
Ton bloc jadis vierge et sauvage
Que le génie eût animé ?
Lorsque la pioche et la truelle
T'ont scellé dans ce parc boueux,
En t'y plantant malgré les dieux,
Mansard insultait Praxitèle.
Oui, si tes flancs devaient s'ouvrir,
Il fallait en faire sortir
Quelque divinité nouvelle.
Quand sur toi leur scie a grincé,
Les tailleurs de pierre ont blessé
Quelque Vénus dormant encore,
Et la pourpre qui te colore
Te vient du sang qu'elle a versé.

Est-il donc vrai que toute chose
Puisse être ainsi foulée aux pieds,
Le rocher où l'aigle se pose,
Comme la feuille de la rose
Qui tombe et meurt dans nos sentiers ?
Est-ce que la commune mère,
Une fois son oeuvre accompli,
Au hasard livre la matière,
Comme la pensée à l'oubli ?
Est-ce que la tourmente amère
Jette la perle au lapidaire
Pour qu'il l'écrase sans façon ?
Est-ce que l'absurde vulgaire
Peut tout déshonorer sur terre
Au gré d'un cuistre ou d'un maçon ?
Enfants ! - Oh ! revenez ! Tout à l'heure, imprudent,
Je vous ai de ma chambre exilés en grondant,
Rauque et tout hérissé de paroles moroses.
Et qu'aviez-vous donc fait, bandits aux lèvres roses ?
Quel crime ? quel exploit ? quel forfait insensé ?
Quel vase du Japon en mille éclats brisé ?
Quel vieux portrait crevé ? Quel beau missel gothique
Enrichi par vos mains d'un dessin fantastique ?
Non, rien de tout cela. Vous aviez seulement,
Ce matin, restés seuls dans ma chambre un moment,
Pris, parmi ces papiers que mon esprit colore,
Quelques vers, groupe informe, embryons près d'éclore,
Puis vous les aviez mis, prompts à vous accorder,
Dans le feu, pour jouer, pour voir, pour regarder
Dans une cendre noire errer des étincelles,
Comme brillent sur l'eau de nocturnes nacelles,
Ou comme, de fenêtre en fenêtre, on peut voir
Des lumières courir dans les maisons le soir.

Voilà tout. Vous jouiez et vous croyiez bien faire.

Belle perte, en effet ! beau sujet de colère !
Une strophe, mal née au doux bruit de vos jeux,
Qui remuait les mots d'un vol trop orageux !
Une ode qui chargeait d'une rime gonflée
Sa stance paresseuse en marchant essoufflée !
De lourds alexandrins l'un sur l'autre enjambant
Comme des écoliers qui sortent de leur banc !
Un autre eût dit : - Merci ! Vous ôtez une proie
Au feuilleton méchant qui bondissait de joie
Et d'avance poussait des rires infernaux
Dans l'antre qu'il se creuse au bas des grands journaux.
Moi, je vous ai grondés. Tort grave et ridicule !

Nains charmants que n'eût pas voulu fâcher Hercule,
Moi, je vous ai fait peur. J'ai, rêveur triste et dur,
Reculé brusquement ma chaise jusqu'au mur,
Et, vous jetant ces noms dont l'envieux vous nomme,
J'ai dit : - Allez-vous-en ! laissez-moi seul ! - Pauvre homme !
Seul ! le beau résultat ! le beau triomphe ! seul !
Comme on oublie un mort roulé dans son linceul,
Vous m'avez laissé là, l'oeil fixé sur ma porte,
Hautain, grave et puni. - Mais vous, que vous importe !
Vous avez retrouvé dehors la liberté,
Le grand air, le beau parc, le gazon souhaité,
L'eau courante où l'on jette une herbe à l'aventure,
Le ciel bleu, le printemps, la sereine nature,
Ce livre des oiseaux et des bohémiens,
Ce poème de Dieu qui vaut mieux que les miens,
Où l'enfant peut cueillir la fleur, strophe vivante,
Sans qu'une grosse voix tout à coup l'épouvante !
Moi, je suis resté seul, toute joie ayant fui,
Seul avec ce pédant qu'on appelle l'ennui.
Car, depuis le matin assis dans l'antichambre,
Ce docteur, né dans Londres, un dimanche, en décembre,
Qui ne vous aime pas, ô mes pauvres petits,
Attendait pour entrer que vous fussiez sortis.
Dans l'angle où vous jouiez il est là qui soupire,
Et je le vois bâiller, moi qui vous voyais rire !

Que faire ? lire un livre ? oh non ! - dicter des vers ?
A quoi bon ? - Emaux bleus ou blancs, céladons verts,
Sphère qui fait tourner tout le ciel sur son axe,
Les beaux insectes peints sur mes tasses de Saxe,
Tout m'ennuie, et je pense à vous. En vérité,
Vous partis, j'ai perdu le soleil, la gaîté,
Le bruit joyeux qui fait qu'on rêve, le délire
De voir le tout petit s'aider du doigt pour lire,
Les fronts pleins de candeur qui disent toujours oui,
L'éclat de rire franc, sincère, épanoui,
Qui met subitement des perles sur les lèvres,
Les beaux grands yeux naïfs admirant mon vieux Sèvres,
La curiosité qui cherche à tout savoir,
Et les coudes qu'on pousse en disant : Viens donc voir !

Oh ! certes, les esprits, les sylphes et les fées
Que le vent dans ma chambre apporte par bouffées,
Les gnomes accroupis là-haut, près du plafond,
Dans les angles obscurs que mes vieux livres font,
Les lutins familiers, nains à la longue échine,
Qui parlent dans les coins à mes vases de Chine.
Tout l'invisible essaim de ces démons joyeux
A dû rire aux éclats, quand là, devant leurs yeux,
Ils vous ont vus saisir dans la boîte aux ébauches
Ces hexamètres nus, boiteux, difformes, gauches,
Les traîner au grand jour, pauvres hiboux fâchés,
Et puis, battant des mains, autour du feu penchés,
De tous ces corps hideux soudain tirant une âme,
Avec ces vers si laids faire une belle flamme !

Espiègles radieux que j'ai fait envoler,
Oh ! revenez ici chanter, danser, parler,
Tantôt, groupe folâtre, ouvrir un gros volume,
Tantôt courir, pousser mon bras qui tient ma plume,
Et faire dans le vers que je viens retoucher
Saillir soudain un angle aigu comme un clocher
Qui perce tout à coup un horizon de plaines.
Mon âme se réchauffe à vos douces haleines.
Revenez près de moi, souriant de plaisir,
Bruire et gazouiller, et sans peur obscurcir
Le vieux livre où je lis de vos ombres penchées,
Folles têtes d'enfants ! gaîtés effarouchées !

J'en conviens, j'avais tort, et vous aviez raison.
Mais qui n'a quelquefois grondé hors de saison ?
Il faut être indulgent. Nous avons nos misères.
Les petits pour les grands ont tort d'être sévères.
Enfants ! chaque matin, votre âme avec amour
S'ouvre à la joie ainsi que la fenêtre au jour.
Beau miracle, vraiment, que l'enfant, *** sans cesse,
Ayant tout le bonheur, ait toute la sagesse !
Le destin vous caresse en vos commencements.
Vous n'avez qu'à jouer et vous êtes charmants.
Mais nous, nous qui pensons, nous qui vivons, nous sommes
Hargneux, tristes, mauvais, ô mes chers petits hommes !
On a ses jours d'humeur, de déraison, d'ennui.
Il pleuvait ce matin. Il fait froid aujourd'hui.
Un nuage mal fait dans le ciel tout à l'heure
A passé. Que nous veut cette cloche qui pleure ?
Puis on a dans le coeur quelque remords. Voilà
Ce qui nous rend méchants. Vous saurez tout cela,
Quand l'âge à votre tour ternira vos visages,
Quand vous serez plus grands, c'est-à-dire moins sages.

J'ai donc eu tort. C'est dit. Mais c'est assez punir,
Mais il faut pardonner, mais il faut revenir.
Voyons, faisons la paix, je vous prie à mains jointes.
Tenez, crayons, papiers, mon vieux compas sans pointes,
Mes laques et mes grès, qu'une vitre défend,
Tous ces hochets de l'homme enviés par l'enfant,
Mes gros chinois ventrus faits comme des concombres,
Mon vieux tableau trouvé sous d'antiques décombres,
Je vous livrerai tout, vous toucherez à tout !
Vous pourrez sur ma table être assis ou debout,
Et chanter, et traîner, sans que je me récrie,
Mon grand fauteuil de chêne et de tapisserie,
Et sur mon banc sculpté jeter tous à la fois
Vos jouets anguleux qui déchirent le bois !
Je vous laisserai même, et gaîment, et sans crainte,
Ô prodige ! en vos mains tenir ma bible peinte,
Que vous n'avez touchée encor qu'avec terreur,
Où l'on voit Dieu le père en habit d'empereur !

Et puis, brûlez les vers dont ma table est semée,
Si vous tenez à voir ce qu'ils font de fumée !
Brûlez ou déchirez ! - Je serais moins clément
Si c'était chez Méry, le poète charmant,
Que Marseille la grecque, heureuse et noble ville,
Blonde fille d'Homère, a fait fils de Virgile.
Je vous dirais : - " Enfants, ne touchez que des yeux
A ces vers qui demain s'envoleront aux cieux.
Ces papiers, c'est le nid, retraite caressée,
Où du poète ailé rampe encor la pensée.
Oh ! n'en approchez pas ! car les vers nouveau-nés,
Au manuscrit natal encore emprisonnés,
Souffrent entre vos mains innocemment cruelles.
Vous leur blessez le pied, vous leur froissez les ailes ;
Et, sans vous en douter, vous leur faites ces maux
Que les petits enfants font aux petits oiseaux. "

Mais qu'importe les miens ! - Toute ma poésie,
C'est vous, et mon esprit suit votre fantaisie.
Vous êtes les reflets et les rayonnements
Dont j'éclaire mon vers si sombre par moments.
Enfants, vous dont la vie est faite d'espérance,
Enfants, vous dont la joie est faite d'ignorance,
Vous n'avez pas souffert et vous ne savez pas,
Quand la pensée en nous a marché pas à pas,
Sur le poète morne et fatigué d'écrire
Quelle douce chaleur répand votre sourire !
Combien il a besoin, quand sa tête se rompt,
De la sérénité qui luit sur votre front ;
Et quel enchantement l'enivre et le fascine,
Quand le charmant hasard de quelque cour voisine,
Où vous vous ébattez sous un arbre penchant,
Mêle vos joyeux cris à son douloureux chant !

Revenez donc, hélas ! revenez dans mon ombre,
Si vous ne voulez pas que je sois triste et sombre,
Pareil, dans l'abandon où vous m'avez laissé,
Au pêcheur d'Etretat, d'un long hiver lassé,
Qui médite appuyé sur son coude, et s'ennuie
De voir à sa fenêtre un ciel rayé de pluie.
Le ciel... prodigue en leur faveur les miracles.
La postérité de Joseph rentre dans la terre de Gessen ;
Et cette conquête, due aux larmes des vainqueurs,
Ne coûte pas une larme aux vaincus.
Chateaubriand, Martyrs.

I.

Savez-vous, voyageur, pourquoi, dissipant l'ombre,
D'innombrables clartés brillent dans la nuit sombre ?
Quelle immense vapeur rougit les cieux couverts ?
Et pourquoi mille cris, frappant la nue ardente,
Dans la ville, au **** rayonnante,
Comme un concert confus, s'élèvent dans les airs ?

II.

Ô joie ! ô triomphe ! ô mystère !
Il est né, l'enfant glorieux,
L'ange que promit à la terre
Un martyr partant pour les cieux :
L'avenir voilé se révèle.
Salut à la flamme nouvelle
Qui ranime l'ancien flambeau !
Honneur à ta première aurore,
Ô jeune lys qui viens d'éclore,
Tendre fleur qui sors d'un tombeau !

C'est Dieu qui l'a donné, le Dieu de la prière.
La cloche, balancée aux tours du sanctuaire,
Comme aux jours du repos, y rappelle nos pas.
C'est Dieu qui l'a donné, le Dieu de la victoire !
Chez les vieux martyrs de la gloire
Les canons ont tonné, comme au jour des combats.

Ce bruit, si cher à ton oreille,
Joint aux voix des temples bénis,
N'a-t-il donc rien qui te réveille,
Ô toi qui dors à Saint-Denis ?
Lève-toi ! Henri doit te plaire
Au sein du berceau populaire ;
Accours, ô père triomphant !
Enivre sa lèvre trompée,
Et viens voir si ta grande épée
Pèse aux mains du royal enfant.

Hélas ! il est absent, il est au sein des justes.
Sans doute, en ce moment, de ses aïeux augustes
Le cortège vers lui s'avance consolé :
Car il rendit, mourant sous des coups parricides,
Un héros à leurs tombes vides,
Une race de rois à leur trône isolé.

Parmi tous ces nobles fantômes,
Qu'il élève un front couronné,
Qu'il soit fier dans les saints royaumes,
Le père du roi nouveau-né !
Une race longue et sublime
Sort de l'immortelle victime ;
Tel un fleuve mystérieux,
Fils d'un mont frappé du tonnerre,
De son cours fécondant la terre,
Cache sa source dans les cieux.

Honneur au rejeton qui deviendra la tige !
Henri, nouveau Joas, sauvé par un prodige,
À l'ombre de l'autel croîtra vainqueur du sort ;
Un jour, de ses vertus notre France embellie,
À ses sœurs, comme Cornélie,
Dira : « Voilà mon fils, c'est mon plus beau trésor. »

III.

Ô toi, de ma pitié profonde
Reçois l'hommage solennel,
Humble objet des regards du monde
Privé du regard paternel !
Puisses-tu, né dans la souffrance,
Et de ta mère et de la France
Consoler la longue douleur !
Que le bras divin, t'environne,
Et puisse, ô Bourbon ! la couronne
Pour toi ne pas être un malheur !

Oui, souris, orphelin, aux larmes de ta mère !
Ecarte, en te jouant, ce crêpe funéraire
Qui voile ton berceau des couleurs du cercueil ;
Chasse le noir passé qui nous attriste encore ;
Sois à nos yeux comme une aurore !
Rends le jour et la joie à notre ciel en deuil !

Ivre d'espoir, ton roi lui-même,
Consacrant le jour où tu nais,
T'impose, avant le saint baptême,
Le baptême du Béarnais.
La veuve t'offre à l'orpheline ;
Vers toi, conduit par l'héroïne,
Vient ton aïeul en cheveux blancs ;
Et la foule, bruyante et fière,
Se presse à ce Louvre, où naguère,
Muette, elle entrait à pas lents.

Guerriers, peuple, chantez ; Bordeaux, lève ta tête,
Cité qui, la première, aux jours de la conquête,
Rendue aux fleurs de lys, as proclamé ta foi.
Et toi, que le martyr aux combats eût guidée,
Sors de ta douleur, ô Vendée !
Un roi naît pour la France, un solda naît pour toi.

IV.

Rattachez la nef à la rive :
La veuve reste parmi nous,
Et de sa patrie adoptive
Le ciel lui semble enfin plus doux.
L'espoir à la France l'enchaîne ;
Aux champs où fut frappé le chêne
Dieu fait croître un frêle roseau.
L'amour retient l'humble colombe ;
Il faut prier sur une tombe,
Il faut veiller sur un berceau.

Dis, qu'irais-tu chercher au lieu qui te vit naître,
Princesse ? Parthénope outrage son vieux maître :
L'étranger, qu'attiraient des bords exempts d'hivers
Voit Palerme en fureur, voit Messine en alarmes,
Et, plaignant la Sicile en armes,
De ce funèbre éden fuit les sanglantes mers.

Mais que les deux volcans s'éveillent !
Que le souffle du Dieu jaloux
Des sombres géants qui sommeillent
Rallume enfin l'ardent courroux ;
Devant les flots brûlants des laves
Que seront ces hautains esclaves,
Ces chefs d'un jour, ces grands soldats ?
Courage ! ô vous, vainqueurs sublimes !
Tandis que vous marchez aux crimes,
La terre tremble sous vos pas !

Reste au sein des français, ô fille de Sicile !
Ne fuis pas, pour des bords d'où le bonheur s'exile,
Une terre où le lys se relève immortel ;
Où du peuple et des rois l'union salutaire
N'est point cet ***** adultère
Du trône et des partis, des camps et de l'autel.

V.

Nous, ne craignons plus les tempêtes !
Bravons l'horizon menaçant !
Les forfaits qui chargeaient nos têtes
Sont rachetés par l'innocent !
Quand les nochers, dans la tourmente,
Jadis, voyaient l'onde écumante
Entr'ouvrir leurs frêle vaisseau,
Sûrs de la clémence éternelle,
Pour sauver la nef criminelle
Ils y suspendaient un berceau.

Octobre 1820.
Fable XII, Livre V.


LA LOUVE.

Rarement à changer on gagne.
Pourquoi veux-tu courir les champs ?
Crois-moi, reste sur la montagne.
J'aime ces bois, j'aime les chants
Que ce vieux pâtre y fait entendre.
Son chien n'est pas des plus méchants.
Plus prompt à fuir qu'à se défendre,
S'il aboie, il ne mord jamais ;
On n'y vit que de chevreau ; mais,
S'il n'est gras, du moins est-il tendre.

LE LOUP.

Qui ? moi ! rester dans ces déserts
Pour n'ouïr que les mêmes airs
Sur des pipeaux toujours plus aigres ?
Qui ? moi ! rester sur ce rocher
Pour jeûner ou pour n'accrocher
Que des chevreaux toujours plus maigres
À ce mets borner mon espoir,
Et d'agneaux quand la plaine abonde,
N'en pas tâter, n'en pas plus voir
Que s'il n'en était point au monde ?
Ah ! fuyons **** de ce canton,
Théâtre obscur pour mon courage !
Vous le savez : dès mon jeune âge,
J'aimai la gloire et le mouton.
J'y retourne : en un frais bocage
Qu'environnent des prés fleuris,
Où sont rassemblés et nourris
Les doux agneaux du voisinage,
Demain, ce soir, je m'établis
Tout au beau milieu des brebis.
Défrayé par droit de conquête,
Comme un héros russe ou prussien,
J'engraisse là sans craindre rien ;
Car est-il ou berger ou chien
Assez fort pour me faire tête ?

LA LOUVE.

Sur ce point je suis sans effroi.
Pris séparément, ce me semble,
Aucun d'eux n'est plus fort que toi ;
Mais si l'intérêt les rassemble,
Mon fils, crois-tu de bonne foi
Être aussi fort qu'eux tous ensemble ?

— The End —