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Edna Sweetlove Apr 2015


Le Grand Restaurant Gastronomique
de Monsieur Merde


Rue Ordure des Anges 69
Conville-le-*****
96969 France


**************

NOTRE­ MENU DU JOUR

~ €500 par personne tout compris ~



LE COCKTAIL DE LA MAISON
"Champagne aux vomissements de chat"
[A giant flute of the finest Cristal champagne with a spoonful of puréed pedigree cat's *****, served with our unique world-famous warm amuse-gueule of fricasséed feline *****]
~

PREMIÈRE ENTRÉE À VOTRE CHOIX
"Le potage aux asperges extra spécial"
[Cream of over-ripe asparagus soup with roasted toads' eyeballs, served chilled, accompanied by our unique home-made nostril pickings "petits chips"]
ou
"Couilles pissées plein d'amour"
[Raw bulls' testicles from organically bred animals, removed whilst the creatures are still alive, thus ensuring none of the precious ******* juice is wasted, lovingly marinated by the head chef, in triple-concentrated bovine ***** from our own Charentais herd of rare endangered species ****** cattle]
~

DEUXIÈME ENTRÉE DU CHEF
"Flegme des Dieux"
[A classic "Monsieur Merde" dish: bite-size deep-frozen gobbets of fatally-ill consumptives' phlegm deep-fried in ape ******-flavoured batter, served in a priceless 19th century silver spittoon, with a loganberry coulis on the side]
ou
"Ravioli al vermi semi-freddo alla Pectinale"
[A rare Sicilian dish re-imagined by Monsieur Merde: each "raviolo" of home-made egg pasta contains a living lukewarm baby earthworm, served with our secret "Sauce Mongol stupide", on a bed of wilted coriander leaves and crispy fried freshly-harvested Sicilian ****** nuns' ***** hairs]*
~

LE GRAND PLAT DU M. MERDE
"Girafe à naître, Sauce utérus"
[Roasted whole unborn baby giraffe, with spicy womb-lining sauce, served with pommes purées with a touch of female rhino ***** and Dijon mustard]
~

NOTRE PLÂTEAU DES FROMAGES MALODORANTS
"Assortiment révoltant"
[Selected personally by M. Merde, guaranteed to contain a wide selection of pure-bred, hand-reared, green Géant Normandy maggots]
~

LE GRAND CHARIOT DE DESSERTS
"L'Héraut de la pompe stomicale"
[Including our signature dish "Crap Suzette", wafer-thin slices of vintage dried elephant dung flamed in 1895 VSO *** Napoleon Cognac]
~
LE CAFÉ et LES PETITS FOURS
"Sélection dysenterie tropicale"
~

Les prix comprennent nos vins selectionés "de la Maison de Merde":

Avec vos "starters" et les entrées: Château Pisse de Cheval 1994
[a full Chardonnay flavour with a hint of rampant stallion's ****]

Avec Le Grand Plat du M. Merde: Beaujolais Villages Supérieur 2006
[a powerful and fruity wine with a refreshing bouquet not unlike unwashed Olympic wrestlers' sweat-drenched armpits]

Avec les fromages: Château Foûtre 1988
[one of the most potent wines in oenological history, with a kick like a hippo's ****]

Et avec le dessert: 1946 Greek Muscat from the island of Shittos
[matured in Turkish goats' bladders to enhance its sweetness]

Bon Appétit!

*If our respected clients would like to sit near to the door to the toilets, please ask the Maître d'Hôtel for assistance, but please note there is a €25 surcharge per person for this much sought-after privilege and advance booking is normally necessary, so please be prepared to ******* if these seats are not available.
Hewasminemoon Jun 2014
We are a sickness sometimes.
It has never been so easy.
I spent hours staring at a tiny screen.
I couldn’t stop spilling.
These hands still trembling.
Six months since I saw you.
There is relief in this.
In this moment; this memory.
Tuesday never came, not really.
Tonight we breathed heavily and I listened to you laugh.
It lifted something off of me.
I am so afraid that time will tell me nothing but ’I told you so’
That winter will come, and we will melt away.
I can only remember harvest gold.
It won’t come back to me.

"I am drowning in negativism, self-hate, doubt, madness."
Quote by Sylvia Plath
Paul d'Aubin Oct 2013
Sonnet pour mon épagneul anglais Nils
De son smoking de noir vêtu,
mêmes quand il court dans les rues,
à un artiste de gala
il semble emprunter le pas

Ton ventre est blanc comme une hermine.
Sur ton museau blanc, une truffe
Son dos de noir tout habillé.
Sur le front, il se fait doré.

De « prince », il s’attire le nom
Tant sa démarche est altiere ;
mais de « Nils », il a le surnom,
Car autant qu’un jar, il est fier.

Assis, il paraît méditer,
Sur le monde sa vanité.
De ses yeux noirs il vous regarde,
Comme un reproche qui s’attarde.

Quand il court, parmi les genêts,
Il fend l’air comme un destrier ;
Et le panache de sa queue
En flottant, vous ravit les yeux.

Mon épagneul est très dormeur,
Et aux sofas, il fait honneur.
Mais lorsque se lève le jour,
A se promener, il accourt.

Quand il dort, il est écureuil,
mais jamais, il ne ferme l’œil.
Un léger murmure l’éveille
Tant aérien est son sommeil.
Il semble emprunter le pas

Lorsqu’un aboiement le réveille
De sa voix, il donne l’éveil.
Et les chats, les chiens maraudeurs,
Il met en fuite avec bonheur.

Lorsque dans mes bras, il vient,
Son pelage se fait câlin.
Et la douceur de sa vêture
Lui fait une jolie voilure.

Sur ma table, sa tête repose
Lorsque je taquine la prose,
Comme pour dire ; même par-là,
je veux que tu restes avec moi.

Sous ma caresse, il se blottit,
comme le ferait un petit.
De ma tristesse, il vient à bout,
tant le regard qu’il pose est doux.

Paul d’Aubin (Paul Arrighi), Toulouse.

                     *

Poème à ma chienne Laika dite «Caquine»

Tu as un gros museau,
Cocker chocolatine,
Des yeux entre amandes et noisettes
Teintés  d’une humeur suppliante.

Ta fourrure est quelque peu rêche
Mais prend l’éclat de la noisette
et le reflet du renard roux.
La caresse se fait satin.

Ma fille Célia t’appelle : «Caquine»
Pour des raisons que je ne peux
Au lecteur dévoiler ici,
Mais toute ta place tu tiens.

A ta maitresses adorée
Tu dresses ton gros museau
Et te blottis pour la garder
En menaçant ceux qui approchent.

Tu es peureuse comme un lézard,
Et sait ramper devant Célia.
Mais ton museau, sur mes genoux
Au petit déjeuner veille et guette.

Quand je te sors, tu tires en laisse
Jusqu’à m’en laisser essoufflé,
Après avoir d’énervement
Dans ta gueule, mes chaussons saisis.

Sur les sentiers de senteur,
Ton flair à humer se déploie.
Tu es, ma chienne, compagnie.
De mes longues après-midi.

Paul d’Aubin (Paul Arrighi), Toulouse.
Paul d'Aubin Aug 2014
Nos jeunesses avec Monsieur Snoopy


C'était le noble fils d'Isky
Yorkshire au caractère vif
Betty l'avait eu en cadeau
De Ginou, comme un joyau.
Dans ses jeunes ans, vêtu
d'un pelage noir et boucle.
Il semblait une variété
d'écureuil plutôt qu'un chien
Mais sa passion était de jouer
Et de mordiller aussi .
Mais ce chiot était déjà
Un jeune combattant téméraire.


Venu avec nous a Lille
Il apprit a courir les pigeons du Beffroi.
L'été prenant le cargo avec nous pour la Corse,
Il débarquait aphone ayant aboyé toute la nuit.
Dans l'île, ce chien anglais se portait comme un charme,
et se jouait des ronces du maquis.
Il dégotta même une ruche sauvage d'abeilles près du ruisseau le "Fiume".


Mais de caractère dominant
Et n'ayant pas appris les mœurs de la meurtre,
Il refusa la soumission au dogue de "Zeze"; "Fakir",
qui le prit dans sa gueule et le fit tournoyer sous la camionnette du boucher ambulant.
Il en fut quitte pour quelques jours de peur panique,
Puis ne manqua point de frétiller de sa queue pour saluer le chef de meute selon la coutume des chiens.


Rentrés a Lille, je vis un film de Claude Lelouch,
Ou un restaurateur avait entraîné un coq a saluer les clients,
Aussitôt, je m'efforcais de renouveler l'exploit avec Snoopy juche sur mon épaule ou l'appui tête de notre Fiat.
Mais ce chien indépendant et fougueux ne voulut rien entendre.
Las et envolées les idées de montreur de chien savant.


Le chien Snoopy n'aimait guère l'eau, ni douce, ni salée,
mais une fois plonge dans les flots,
de ses pattes il se faisait des nageoires pour rejoindre sa maîtresse se baignant dans les flots.


Âgé  de seize ans, la grande vieillesse venue,
dont le malheur veut qu'elle marque le cadrant de cinq fractions de vies d'hommes,
Une année fatidique le désormais vieux chien fut gardée à  Luchon par mes parents pour lui éviter le chenil du cargo,
Aussi un soir attablés au restaurant "La Stonda" nous apprimes l'affligeante nouvelle,
Le vivace Snoopy n'était plus, Je nous revois encore les yeux baignés de larmes comme si nous avions perdu, la meilleure partie de notre jeune âge.
Car il fut le premier chien de notre âge adulte,
Notre fille Celia mêla ses pleurs aux nôtres,
et cette nouvelle pourtant bien prévisible apporta une touche de chagrin à ce mois d'août d'ordinaire, si plein de Lumière et de soleil.

Nous avions perdu notre premier chien et notre grand ami de ceux qui ne vous trahit jamais.
Snoopy fut pour nous notre premier amour de chien.
Solide cabot au poil argenté, aux oreilles en pointe dressées au moindre bruit.
Il accompagna nos jeunes années de couple, alors sans enfant,
et enjolivait notre vie par sa fantaisie et ses facéties.
Joli descendant des chiens de mineur du Yorkshire, il sut nous donner pour toute notre vie l'amour des chiens anglais.

Paul Arrighi
solenn fresnay May 2012
Dis, tu m'as aimée, au moins une fois, au moins un jour dans ta vie ?

Non, j' t'ai jamais aimée
J' t'ai juste baisée
Je n'ai juste fait que te baiser
Encore et encore
Un peu partout et n'importe où
Quand ta mère travaillait et niquait les Arabes, quand ton frère était à Londres, quand la ville s’endormait apaisée
Et puis t'as vu ta gueule
A part te baiser comme on égorge une truie, que veux-tu que l'on fasse de toi?

Je ne sais pas
Je veux juste que la nuit devienne un autre matin
Je n’ai jamais rien demandé de plus
J'étais juste assise sur un banc public en lisant Bukowski.
Riqui Holla Oct 2013
De jour de Nuit ... L'ennui m'envahit ...
Ici  Là-bas ... Seul au monde je suis ...
Parler avec un inconnu pour passer le temps ou bien pleurer dans un coin pour oublier le temps... deux choix pas un troisième...
Aimer ou haïr... chanter ou écrire... fermer ma gueule tout simplement...
Big Data comme titre ...   Write a poem comme objectif... et en fin de compte du n'importe quoi comme je l'aime... le désordre ...
Paul d'Aubin Jan 2016
Prolégomènes à un poème sur la disparition de notre Chienne cocker Laïka

Les Chiens et nous-mêmes
Je vous ferais parvenir le poème presque prémonitoire écrit, cet été à Letia en Corse , intitule «notre chien a onze ans»  (en fait elle en avait dix ans et demi).
Ayant déjà eu, un chien cocker de couleur noire; lors mon enfance passée en Kabylie, répondant au nom de «Bambi» (le Faon de la bande dessinée de Walt Disney) j'ai appris à adorer nos meilleurs compagnons avec les chevaux et compte désormais les temps de la vie humaine en durées moyennes de vie passée en compagnie avec ce merveilleux et surtout si fidèle compagnon et ami de l'homme.
C'est à dire que pour une durée de vie moyenne de soixante-quinze ans, au mieux, je considère qu'elle correspond à cinq temps possibles de compagnonnages et d'histoire d'amitié avec un chien (d'un âge maximal au mieux de 15 ans)
Par conséquent, cinq longs temps de bonheurs nous sont donnés par la Nature pour que nous puissions bénéficier des bienfaits et de la compagnie de cet «animal», souvent bien plus «humain» et «gentil» ;  hélas il faut bien l'avouer, que nombre de prétendus humains d'une cruauté inconnu dans la faune dite sauvage.
Nous allons demain et dans les jours qui viennent rechercher, un nouveau compagnon pour rester dans ce cycle de vie magique que je viens de vous révéler.

                                                          *
Notre chienne Cocker a déjà onze ans

Elle a parcouru onze ans de sa vie de Reine,
sans les soucis de l'étiquette et du labeur.
Notre chienne Laïka savoure sa quiétude,
mais se tient toujours près des valises et des sacs,
dès qu'elle observe un zéphyr de départ,
sa courte queue frétille devant sa laisse,
qu’elle prend dans sa gueule comme pour nous montrer le chemin,
car la « meute » doit se rendre ensemble sans jamais l'abandonner.
Ses deux pattes avec lesquelles elle se hisse sur les rebords de la table pour humer les plats.
Et son museau qu’elle love dans le coup de ta maîtresse pour lui signifier son amour.
Chère Laïka quand tes yeux attendrissants de cocker nous fixent je demande au Destin que tu puisses nous accompagner longtemps pour notre bonheur du présent et le demain de nos vies.
Seuls, ton museau blanchi et ta démarche moins vive, nous rappellent tes onze ans.

Paul Arrighi.
Si d'un mort qui pourri repose

Nature engendre quelque chose,

Et si la generation

Se fait de la corruption,

Une vigne prendra naissance

De l'estomac et de la pance

Du bon Rabelais, qui boivoit

Tousjours ce pendant qu'il vivoit

La fosse de sa grande gueule

Eust plus beu de vin toute seule

(L'epuisant du nez en deus cous)

Qu'un porc ne hume de lait dous,

Qu'Iris de fleuves, ne qu'encore

De vagues le rivage more.

Jamais le Soleil ne l'a veu

s Tant fût-il matin, qu'il n'eut beu,

Et jamais au soir la nuit noire

Tant fut ****, ne l'a veu sans boire.

Car, alteré, sans nul sejour

Le gallant boivoit nuit et jour.

Mais quand l'ardante Canicule

Ramenoit la saison qui brule,

Demi-nus se troussoit les bras,

Et se couchoit tout plat à bas

Sur la jonchée, entre les taces :

Et parmi des escuelles grasses

Sans nulle honte se touillant,

Alloit dans le vin barbouillant

Comme une grenouille en sa fange

Puis ivre chantoit la louange

De son ami le bon Bacus,

Comme sous lui furent vaincus

Les Thebains, et comme sa mere

Trop chaudement receut son pere,

Qui en lieu de faire cela

Las ! toute vive la brula.

Il chantoit la grande massue,

Et la jument de Gargantüe,

Son fils Panurge, et les païs

Des Papimanes ébaïs :

Et chantoit les Iles Hieres

Et frere Jan des autonnieres,

Et d'Episteme les combas :

Mais la mort qui ne boivoit pas

Tira le beuveur de ce monde,

Et ores le fait boire en l'onde

Qui fuit trouble dans le giron

Du large fleuve d'Acheron.

Or toi quiconques sois qui passes

Sur sa fosse repen des taces,

Repen du bril, et des flacons,

Des cervelas et des jambons,

Car si encor dessous la lame

Quelque sentiment a son ame,

Il les aime mieux que les Lis,

Tant soient ils fraichement cueillis.
I.

À présent que c'est fait, dans l'avilissement
Arrangeons-nous chacun notre compartiment
Marchons d'un air auguste et fier ; la honte est bue.
Que tout à composer cette cour contribue,
Tout, excepté l'honneur, tout, hormis les vertus.
Faites vivre, animez, envoyez vos foetus
Et vos nains monstrueux, bocaux d'anatomie
Donne ton crocodile et donne ta momie,
Vieille Égypte ; donnez, tapis-francs, vos filous ;
Shakespeare, ton Falstaff ; noires forêts, vos loups ;
Donne, ô bon Rabelais, ton Grandgousier qui mange ;
Donne ton diable, Hoffmann ; Veuillot, donne ton ange ;
Scapin, apporte-nous Géronte dans ton sac ;
Beaumarchais, prête-nous Bridoison ; que Balzac
Donne Vautrin ; Dumas, la Carconte ; Voltaire,
Son Frélon que l'argent fait parler et fait taire ;
Mabile, les beautés de ton jardin d'hiver ;
Le Sage, cède-nous Gil Blas ; que Gulliver
Donne tout Lilliput dont l'aigre est une mouche,
Et Scarron Bruscambille, et Callot Scaramouche.
Il nous faut un dévot dans ce tripot payen ;
Molière, donne-nous Montalembert. C'est bien,
L'ombre à l'horreur s'accouple, et le mauvais au pire.
Tacite, nous avons de quoi faire l'empire ;
Juvénal, nous avons de quoi faire un sénat.

II.

Ô Ducos le gascon, ô Rouher l'auvergnat,
Et vous, juifs, Fould Shylock, Sibour Iscariote,
Toi Parieu, toi Bertrand, horreur du patriote,
Bauchart, bourreau douceâtre et proscripteur plaintif,
Baroche, dont le nom n'est plus qu'un vomitif,
Ô valets solennels, ô majestueux fourbes,
Travaillant votre échine à produire des courbes,
Bas, hautains, ravissant les Daumiers enchantés
Par vos convexités et vos concavités,
Convenez avec moi, vous tous qu'ici je nomme,
Que Dieu dans sa sagesse a fait exprès cet homme
Pour régner sur la France, ou bien sur Haïti.
Et vous autres, créés pour grossir son parti,
Philosophes gênés de cuissons à l'épaule,
Et vous, viveurs râpés, frais sortis de la geôle,
Saluez l'être unique et providentiel,
Ce gouvernant tombé d'une trappe du ciel,
Ce césar moustachu, gardé par cent guérites,
Qui sait apprécier les gens et les mérites,
Et qui, prince admirable et grand homme en effet,
Fait Poissy sénateur et Clichy sous-préfet.

III.

Après quoi l'on ajuste au fait la théorie
« A bas les mots ! à bas loi, liberté, patrie !
Plus on s'aplatira, plus ou prospérera.
Jetons au feu tribune et presse, et cætera.

Depuis quatre-vingt-neuf les nations sont ivres.
Les faiseurs de discours et les faiseurs de livres
Perdent tout ; le poëte est un fou dangereux ;
Le progrès ment, le ciel est vide, l'art est creux,
Le monde est mort. Le peuple ? un âne qui se cabre !
La force, c'est le droit. Courbons-nous. Gloire au sabre !
À bas les Washington ! vivent les Attila ! »
On a des gens d'esprit pour soutenir cela.

Oui, qu'ils viennent tous ceux qui n'ont ni cœur ni flamme,
Qui boitent de l'honneur et qui louchent de l'âme ;
Oui, leur soleil se lève et leur messie est né.
C'est décrété, c'est fait, c'est dit, c'est canonné
La France est mitraillée, escroquée et sauvée.
Le hibou Trahison pond gaîment sa couvée.

IV.

Et partout le néant prévaut ; pour déchirer
Notre histoire, nos lois, nos droits, pour dévorer
L'avenir de nos fils et les os de nos pères,
Les bêtes de la nuit sortent de leurs repaires
Sophistes et soudards resserrent leur réseau
Les Radetzky flairant le gibet du museau,
Les Giulay, poil tigré, les Buol, face verte,
Les Haynau, les Bomba, rôdent, la gueule ouverte,
Autour du genre humain qui, pâle et garrotté,
Lutte pour la justice et pour la vérité ;
Et de Paris à Pesth, du Tibre aux monts Carpathes,
Sur nos débris sanglants rampent ces mille-pattes.

V.

Du lourd dictionnaire où Beauzée et Batteux
Ont versé les trésors de leur bon sens goutteux,
Il faut, grâce aux vainqueurs, refaire chaque lettre.
Ame de l'homme, ils ont trouvé moyen de mettre
Sur tes vieilles laideurs un tas de mots nouveaux,
Leurs noms. L'hypocrisie aux yeux bas et dévots
À nom Menjaud, et vend Jésus dans sa chapelle ;
On a débaptisé la honte, elle s'appelle
Sibour ; la trahison, Maupas ; l'assassinat
Sous le nom de Magnan est membre du Sénat ;
Quant à la lâcheté, c'est Hardouin qu'on la nomme ;
Riancey, c'est le mensonge, il arrive de Rome
Et tient la vérité renfermée en son puits ;
La platitude a nom Montlaville-Chapuis ;
La prostitution, ingénue, est princesse ;
La férocité, c'est Carrelet ; la bassesse
Signe Rouher, avec Delangle pour greffier.
Ô muse, inscris ces noms. Veux-tu qualifier
La justice vénale, atroce, abjecte et fausse ?
Commence à Partarieu pour finir par Lafosse.
J'appelle Saint-Arnaud, le meurtre dit : c'est moi.
Et, pour tout compléter par le deuil et l'effroi,
Le vieux calendrier remplace sur sa carte
La Saint-Barthélemy par la Saint-Bonaparte.

Quant au peuple, il admire et vote ; on est suspect
D'en douter, et Paris écoute avec respect
Sibour et ses sermons, Trolong et ses troplongues.
Les deux Napoléon s'unissent en diphthongues,
Et Berger entrelace en un chiffre hardi
Le boulevard Montmartre entre Arcole et Lodi.
Spartacus agonise en un bagne fétide ;
On chasse Thémistocle, on expulse Aristide,
On jette Daniel dans la fosse aux lions ;
Et maintenant ouvrons le ventre aux millions !

Jersey, novembre 1852.
Fable I, Livre IV.


Je n'aime pas ces paladins femelles
Désavoués de Vénus et de Mars,
Qui contre un heaume échangeaient leurs dentelles
Portaient rondache, et brassards et cuissards ;
Et, se jetant au milieu des hasards,
L'épée au poing, contre de vieux soudars
Ne craignaient pas de mesurer leurs lames ;
Par des brutaux se laissaient terrasser,
Ou, d'une main faite pour caresser,
Sabraient des sots, qui les croyaient des femmes.
Le prix du temps est mieux connu des dames,
Et de nos jours on sait mieux l'employer.
Que dis-je ? hélas! si Mars n'a plus d'amantes,
La plume en main, burlesques Bradamantes,
Ne voit-on pas les Sapho guerroyer ?
Ne voit-on pas plus d'une péronnelle,
Du dieu du goût soi-disant sentinelle,
Cuistre en cornette, et Zoïle en jupon,
De Despautère empoigner la férule,
Et de Boileau se déclarer émule,
Les doigts salis de l'encre de Gâcon ?
À ce métier qui les force à descendre ?
Quel est l'honneur, le bien qu'il leur promet ?
Par ce récit vous le pouvez apprendre,
Si votre temps, messieurs, vous le permet.

Follette avait été jolie en sa jeunesse,
Du moins le croyait-elle, et cela se conçoit :
On croit, et c'est encor la commune faiblesse,
Aux compliments que l'on reçoit
Bien plus qu'à ceux qu'on fait. Pardonnons à Follette,
Qui n'est qu'une pauvre levrette,
Un travers qu'il nous faut excuser tous les jours
Chez tant de personnes honnêtes,
Femmes d'esprit, parfois, à de pareils discours
Aussi crédules que des bêtes.
Sur une aile rapide incessamment porté,
Le temps entraîne tout en sa vitesse extrême ;
Et souvent l'âge heureux, qui tient lieu de beauté,
Fuit plus prompt que la beauté même.
Ce vernis de fraîcheur, sous lequel, à vingt ans,
La laideur même a quelque grâce,
Des charmes qu'on lui dut pendant quelques instants,
Emporte, en s'effaçant, jusqu'à la moindre trace.
Follette, en le perdant, parut ce qu'elle était.
Tel défaut qui passait avant pour un attrait,
Ne fut plus qu'un défaut : sa taille, en tout temps maigre,
Et qu'on disait légère, enfin prend son vrai nom ;
Son poil roux cesse d'être blond ;
Piquante auparavant, son humeur n'est plus qu'aigre.
De caresses sevrée, ainsi que de bonbons,
Follette, à ses jeunes rivales,
Voit, par des mains pour elle autrefois libérales,
La préférence offrir et prodiguer ses dons.
Son orgueil s'en indigne. « Et c'est à moi, dit-elle,
Qu'on refuse même un regard !
C'est moi qu'on traite, sans égard,
Comme mie vieille demoiselle !
Un tel scandale doit cesser ;
Bientôt tout rentrera dans l'ordre.
Je ne me faisais pas prier pour caresser,
Je me ferai prier bien moins encor pour mordre. »
Et puis, sans distinguer le maître, les valets,
Les grands et les petits, le garçon et la fille,
La voilà qui se rue à travers la famille :
À ceux-ci mordant les mollets ;
À ceux-là mordant la cheville.
Je vous laisse à penser quel fut l'étonnement !
Sur la cause du mal, dans le premier moment,
La compagnie est partagée :
« La levrette, dit l'un, est folle assurément ! »
« Non, dit l'autre, elle est enragée. »
« Il s'en faut assurer, ajoute le dernier,
Et prévenir la récidive. »
Follette cependant, en aboyant s'esquive ;
En trois sauts elle est au grenier.
Là vivait un ermite, un égoïste, un sage ;
Là vivait un vieux chat, animal casanier,
Vieil ennemi des rats, vieil ami du fromage,
Vieux courtisan du cuisinier.
Il demande, on lui dit le sujet du tapage.
« Maître Mitis, oui, ce fracas
« Me blesse moins que le silence.
« - Ainsi donc, tout ce bruit que l'on entend là-bas...
«  - C'est ma célébrité, mon ami, qui commence.
« - Pour être illustre, en ce bon temps,
« Suffit-il qu'on crie et qu'on gronde ?
« - Voyez Mouflard : Mouflard, si dur aux pauvres gens,
« Serait-il fameux à la ronde,
« S'il n'aboyait tous les passants,
« S'il ne montrait toujours les dents,
« S'il n'épouvantait tout le monde ?
« - Tu veux l'imiter aujourd'hui :
« Mais as-tu la gueule assez forte ?
« Mais, de plus, veux-tu qu'à la porte
« On t'envoie à côté de lui ?
« Qu'attrape-t-il là, des injures ;
« Pour lui répondre, on prend son ton ;
« Et, quand il mord, par le bâton
« Il est payé de ses morsures :
« Tels seront tes plus sûrs produits,
« Si tu prends son ton, son air rogue
« En dogue si tu te conduis,
« On t'étrillera comme un dogue. »
Fable XVII, Livre II.


À qui diable en veut cet Anglais ?
Il sort du lit avant l'aurore,
Laisse dormir sa femme, éveille ses valets,
Et court déjà les champs qu'il n'est pas jour encore.
Le silence a fui **** des bois ;
Comme ceux des murs où nous sommes,
Leur écho redit à la fois
Les jurements, les cris, les voix
Des chiens, des chevaux et des hommes.
Mais quoi ! le limier est lâché ;
Sur ses pas, en hurlant, le chien courant détale :
La queue en l'air, le nez à la terre attaché,
Des bassets suit la meute intrépide et bancale.
Un commun espoir les soutient.
On trotte, on court, on va, l'on vient ;
On se rejoint, on se sépare ;
On presse, on retient son essor,
Au gré des sons bruyants du cor,
Au caprice de la fanfare.
Point de repos : bêtes et gens,
À qui mieux mieux chacun s'excite.
Mais tombe enfin qui va si vite ;
Tout l'équipage est sur les dents.
Couvert d'écume et de fumée,
Le coursier du maître est rendu ;
Plus d'un chien haletant sur l'herbe est étendu,
Et de sa gueule en feu pend sa langue enflammée.
Milord, qui de chemise a besoin de changer,
Et lentement chez soi retourne à la nuit noire,
À passé le jour sans manger,
Et, qui pis est pour lui, sans boire !
Et pourquoi tant de bruit, tant de soins, tant de mal ?
Pour forcer un triste animal
Qui perd, aussitôt qu'on l'attrape,
Le prix qu'il semble avoir alors qu'il nous échappe ;
Et, **** de nous valoir ce qu'il nous a coûté,
N'offre à l'heureux vainqueur de tous ses stratagèmes,
Qu'un mets auquel deux fois on n'a jamais goûté,
Et dont les chiens à jeun ne veulent pas eux-mêmes !

Toi qui possèdes la grandeur,
Et t'es éreinté sur sa trace,
S'il se peut, parle avec candeur ;
As-tu fait plus heureuse chasse ?
I


Las de ce calme plat où d'avance fanées,

Comme une eau qui s'endort, croupissent nos années ;

Las d'étouffer ma vie en un salon étroit,

Avec de jeunes fats et des femmes frivoles,

Echangeant sans profit de banales paroles ;

Las de toucher toujours mon horizon du doigt.


Pour me refaire au grand et me rélargir l'âme,

Ton livre dans ma poche, aux tours de Notre-Dame ;

Je suis allé souvent, Victor,

A huit heures, l'été, quand le soleil se couche,

Et que son disque fauve, au bord des toits qu'il touche,

Flotte comme un gros ballon d'or.


Tout chatoie et reluit ; le peintre et le poète

Trouvent là des couleurs pour charger leur palette,

Et des tableaux ardents à vous brûler les yeux ;

Ce ne sont que saphirs, cornalines, opales,

Tons à faire trouver Rubens et Titien pâles ;

Ithuriel répand son écrin dans les cieux.


Cathédrales de brume aux arches fantastiques ;

Montagnes de vapeurs, colonnades, portiques,

Par la glace de l'eau doublés,

La brise qui s'en joue et déchire leurs franges,

Imprime, en les roulant, mille formes étranges

Aux nuages échevelés.


Comme, pour son bonsoir, d'une plus riche teinte,

Le jour qui fuit revêt la cathédrale sainte,

Ébauchée à grands traits à l'horizon de feu ;

Et les jumelles tours, ces cantiques de pierre,

Semblent les deux grands bras que la ville en prière,

Avant de s'endormir, élève vers son Dieu.


Ainsi que sa patronne, à sa tête gothique,

La vieille église attache une gloire mystique

Faite avec les splendeurs du soir ;

Les roses des vitraux, en rouges étincelles,

S'écaillent brusquement, et comme des prunelles,

S'ouvrent toutes rondes pour voir.


La nef épanouie, entre ses côtes minces,

Semble un crabe géant faisant mouvoir ses pinces,

Une araignée énorme, ainsi que des réseaux,

Jetant au front des tours, au flanc noir des murailles,

En fils aériens, en délicates mailles,

Ses tulles de granit, ses dentelles d'arceaux.


Aux losanges de plomb du vitrail diaphane,

Plus frais que les jardins d'Alcine ou de Morgane,

Sous un chaud baiser de soleil,

Bizarrement peuplés de monstres héraldiques,

Éclosent tout d'un coup cent parterres magiques

Aux fleurs d'azur et de vermeil.


Légendes d'autrefois, merveilleuses histoires

Écrites dans la pierre, enfers et purgatoires,

Dévotement taillés par de naïfs ciseaux ;

Piédestaux du portail, qui pleurent leurs statues,

Par les hommes et non par le temps abattues,

Licornes, loups-garous, chimériques oiseaux,


Dogues hurlant au bout des gouttières ; tarasques,

Guivres et basilics, dragons et nains fantasques,

Chevaliers vainqueurs de géants,

Faisceaux de piliers lourds, gerbes de colonnettes,

Myriades de saints roulés en collerettes,

Autour des trois porches béants.


Lancettes, pendentifs, ogives, trèfles grêles

Où l'arabesque folle accroche ses dentelles

Et son orfèvrerie, ouvrée à grand travail ;

Pignons troués à jour, flèches déchiquetées,

Aiguilles de corbeaux et d'anges surmontées,

La cathédrale luit comme un bijou d'émail !


II


Mais qu'est-ce que cela ? Lorsque l'on a dans l'ombre

Suivi l'escalier svelte aux spirales sans nombre

Et qu'on revoit enfin le bleu,

Le vide par-dessus et par-dessous l'abîme,

Une crainte vous prend, un vertige sublime

A se sentir si près de Dieu !


Ainsi que sous l'oiseau qui s'y perche, une branche

Sous vos pieds qu'elle fuit, la tour frissonne et penche,

Le ciel ivre chancelle et valse autour de vous ;

L'abîme ouvre sa gueule, et l'esprit du vertige,

Vous fouettant de son aile en ricanant voltige

Et fait au front des tours trembler les garde-fous,


Les combles anguleux, avec leurs girouettes,

Découpent, en passant, d'étranges silhouettes

Au fond de votre œil ébloui,

Et dans le gouffre immense où le corbeau tournoie,

Bête apocalyptique, en se tordant aboie,

Paris éclatant, inouï !


Oh ! le cœur vous en bat, dominer de ce faîte,

Soi, chétif et petit, une ville ainsi faite ;

Pouvoir, d'un seul regard, embrasser ce grand tout,

Debout, là-haut, plus près du ciel que de la terre,

Comme l'aigle planant, voir au sein du cratère,

****, bien ****, la fumée et la lave qui bout !


De la rampe, où le vent, par les trèfles arabes,

En se jouant, redit les dernières syllabes

De l'hosanna du séraphin ;

Voir s'agiter là-bas, parmi les brumes vagues,

Cette mer de maisons dont les toits sont les vagues ;

L'entendre murmurer sans fin ;


Que c'est grand ! Que c'est beau ! Les frêles cheminées,

De leurs turbans fumeux en tout temps couronnées,

Sur le ciel de safran tracent leurs profils noirs,

Et la lumière oblique, aux arêtes hardies,

Jetant de tous côtés de riches incendies

Dans la moire du fleuve enchâsse cent miroirs.


Comme en un bal joyeux, un sein de jeune fille,

Aux lueurs des flambeaux s'illumine et scintille

Sous les bijoux et les atours ;

Aux lueurs du couchant, l'eau s'allume, et la Seine

Berce plus de joyaux, certes, que jamais reine

N'en porte à son col les grands jours.


Des aiguilles, des tours, des coupoles, des dômes

Dont les fronts ardoisés luisent comme des heaumes,

Des murs écartelés d'ombre et de clair, des toits

De toutes les couleurs, des résilles de rues,

Des palais étouffés, où, comme des verrues,

S'accrochent des étaux et des bouges étroits !


Ici, là, devant vous, derrière, à droite, à gauche,

Des maisons ! Des maisons ! Le soir vous en ébauche

Cent mille avec un trait de feu !

Sous le même horizon, Tyr, Babylone et Rome,

Prodigieux amas, chaos fait de main d'homme,

Qu'on pourrait croire fait par Dieu !


III


Et cependant, si beau que soit, ô Notre-Dame,

Paris ainsi vêtu de sa robe de flamme,

Il ne l'est seulement que du haut de tes tours.

Quand on est descendu tout se métamorphose,

Tout s'affaisse et s'éteint, plus rien de grandiose,

Plus rien, excepté toi, qu'on admire toujours.


Car les anges du ciel, du reflet de leurs ailes,

Dorent de tes murs noirs les ombres solennelles,

Et le Seigneur habite en toi.

Monde de poésie, en ce monde de prose,

A ta vue, on se sent battre au cœur quelque chose ;

L'on est pieux et plein de foi !


Aux caresses du soir, dont l'or te damasquine,

Quand tu brilles au fond de ta place mesquine,

Comme sous un dais pourpre un immense ostensoir ;

A regarder d'en bas ce sublime spectacle,

On croit qu'entre tes tours, par un soudain miracle,

Dans le triangle saint Dieu se va faire voir.


Comme nos monuments à tournure bourgeoise

Se font petits devant ta majesté gauloise,

Gigantesque sœur de Babel,

Près de toi, tout là-haut, nul dôme, nulle aiguille,

Les faîtes les plus fiers ne vont qu'à ta cheville,

Et, ton vieux chef heurte le ciel.


Qui pourrait préférer, dans son goût pédantesque,

Aux plis graves et droits de ta robe Dantesque,

Ces pauvres ordres grecs qui se meurent de froid,

Ces panthéons bâtards, décalqués dans l'école,

Antique friperie empruntée à Vignole,

Et, dont aucun dehors ne sait se tenir droit.


Ô vous ! Maçons du siècle, architectes athées,

Cervelles, dans un moule uniforme jetées,

Gens de la règle et du compas ;

Bâtissez des boudoirs pour des agents de change,

Et des huttes de plâtre à des hommes de fange ;

Mais des maisons pour Dieu, non pas !


Parmi les palais neufs, les portiques profanes,

Les parthénons coquets, églises courtisanes,

Avec leurs frontons grecs sur leurs piliers latins,

Les maisons sans pudeur de la ville païenne ;

On dirait, à te voir, Notre-Dame chrétienne,

Une matrone chaste au milieu de catins !
Le poète naïf, qui pense avant d'écrire,
S'étonne, en ce temps-ci, des choses qui font rire.
Au théâtre parfois il se tourne, et, voyant
La gaîté des badauds qui va se déployant,

Pour un plat calembour, des loges au parterre,
Il se sent tout à coup tellement solitaire
Parmi ces gros rieurs au ventre épanoui,
Que, le front lourd et l'œil tristement ébloui,

Il s'esquive, s'il peut, sans attendre la toile.
Enfin libre il respire, et, d'étoile en étoile,
Dans l'azur sombre et vaste il laisse errer ses yeux.
Ah ! Quand on sort de là, comme la nuit plaît mieux !

Qu'il fait bon regarder la Seine lente et noire
En silence rouler sous les vieux ponts sa moire,
Et les reflets tremblants des feux traîner sur l'eau
Comme les pleurs d'argent sur le drap d'un tombeau !

Ce deuil fait oublier ces rires qu'on abhorre.
Hélas ! Où donc la joie est-elle saine encore ?
Quel vice a donc en nous gâté le sang gaulois ?
Quand rirons-nous le rire honnête d'autrefois ?

Ce ne sont aujourd'hui qu'absurdes bacchanales ;
Farces au masque impur sur des planches banales ;
Vil patois qui se fraye impudemment accès
Parmi le peuple illustre et cher des mots français ;

Couplets dont les refrains changent la bouche en gueule ;
Romans hideux, miroir de l'abjection seule,
Commérage où le fiel assaisonne des riens :
Feuilletons à voleurs, drames à galériens,

Funestes aux cœurs droits qui battent sous les blouses ;
Vaudevilles qui font, corrupteurs des épouses,
Un ridicule impie à l'affront des maris ;
Spectacles où la chair des femmes, mise à prix,

Comme aux crocs de l'étal exhibée en guirlande,
Allèche savamment la luxure gourmande ;
Parades à décors dont les fables sans art
N'esquivent le sifflet qu'en soûlant le regard ;

Coups d'archets polissons sur la lyre d'Homère,
Et tous les jeux maudits d'un amour éphémère
Qui va se dégradant du caprice au métier :
Voilà ce qui ravit un peuple tout entier !

Bêtise, éternel veau d'or des multitudes,
Toi dont le culte aisé les plie aux servitudes
Et complice du joug les y soumet sans bruit,
Monstre cher à la force et par la ruse instruit

À bafouer la libre et sévère pensée,
Règne ! Mais à ton tour, brute, qu'à la risée,
Au comique mépris tu serves de jouet !
Que sur toi le bon sens fasse claquer son fouet,

Qu'il se lève, implacable à son tour, et qu'il rie,
Et qu'il raille à son tour l'inepte raillerie,
Et qu'il fasse au soleil luire en leur nudité
Ta grotesque laideur et ta stupidité !

Molière, dresse-toi ! Debout, Aristophane !
Allons ! Faites entendre au vulgaire profane
L'hymne de l'idéal au fond du rire amer,
Du grand rire où, pareil au cliquetis du fer,

Sonne le choc rapide et franc des pensers justes,
Du beau rire qui sied aux poitrines robustes,
Vengeur de la sagesse, héroïque moqueur,
Où vibre la jeunesse immortelle du cœur !
Vos premières saisons à peine sont écloses,

Enfant, et vous avez déjà vu plus de choses

Qu'un vieillard qui trébuche au seuil de son tombeau.

Tout ce que la nature a de grand et de beau,

Tout ce que Dieu nous fit de sublimes spectacles,

Les deux mondes ensemble avec tous leurs miracles.

Que n'avez-vous pas vu ? Les montagnes, la mer,

La neige et les palmiers, le printemps et l'hiver,

L'Europe décrépite et la jeune Amérique ;

Car votre peau cuivrée aux ardeurs du tropique,

Sous le soleil en flamme et les cieux toujours bleus,

S'est faite presque blanche à nos étés frileux.

Votre enfance joyeuse a passé comme un rêve

Dans la verte savane et sur la blonde grève ;

Le vent vous apportait des parfums inconnus ;

Le sauvage Océan baisait vos beaux pieds nus,

Et comme une nourrice au seuil de sa demeure

Chante et jette un hochet au nouveau-né qui pleure,

Quand il vous voyait triste, il poussait devant vous

Ses coquilles de moire et son murmure doux.

Pour vous laisser passer, jam-roses et lianes

Écartaient dans les bois leurs rideaux diaphanes ;

Les tamaniers en fleurs vous prêtaient des abris ;

Vous aviez pour jouer des nids de colibris ;

Les papillons dorés vous éventaient de l'aile ;

L'oiseau-mouche valsait avec la demoiselle ;

Les magnolias penchaient la tête en souriant ;

La fontaine au flot clair s'en allait babillant ;

Les bengalis coquets, se mirant à son onde,

Vous chantaient leur romance ; et, seule et vagabonde,

Vous marchiez sans savoir par les petits chemins,

Un refrain à la bouche et des fleurs dans les mains !

Aux heures du midi, nonchalante créole,

Vous aviez le hamac et la sieste espagnole,

Et la bonne négresse aux dents blanches qui rit

Chassant les moucherons d'auprès de votre lit.

Vous aviez tous les biens, heureuse créature,

La belle liberté dans la belle nature ;

Et puis un grand désir d'inconnu vous a pris,

Vous avez voulu voir et la France et Paris.

La brise a du vaisseau fait onder la bannière,

Le vieux monstre Océan, secouant sa crinière

Et courbant devant vous sa tête de lion,

Sur son épaule bleue, avec soumission,

Vous a jusques aux bords de la France vantée,

Sans rugir une fois, fidèlement portée.

Après celles de Dieu, les merveilles de l'art

Ont étonné votre âme avec votre regard :

Vous avez vu nos tours, nos palais, nos églises,

Nos monuments tout noirs et nos coupoles grises,

Nos beaux jardins royaux, où, de Grèce venus,

Étrangers comme vous, frissonnent les dieux nus,

Notre ciel morne et froid, notre horizon de brume,

Où chaque maison dresse une gueule qui fume.

Quel spectacle pour vous, ô fille du soleil,

Vous toute brune encore de son baiser vermeil.

La pluie a ruisselé sur vos vitres jaunies,

Et, triste entre vos sœurs au foyer réunies,

En entendant pleurer les bûches dans le feu,

Vous avez regretté l'Amérique au ciel bleu,

Et la mer amoureuse avec ses tièdes lames

Qui se brodent d'argent et chantent sous les rames ;

Les beaux lataniers verts, les palmiers chevelus,

Les mangliers traînant leurs bras irrésolus ;

Toute cette nature orientale et chaude,

Où chaque herbe flamboie et semble une émeraude ;

Et vous avez souffert, votre cœur a saigné,

Vos yeux se sont levés vers ce ciel gris baigné

D'une vapeur étrange et d'un brouillard de houille,

Vers ces arbres chargés d'un feuillage de rouille ;

Et vous avez compris, pâle fleur du désert,

Que **** du sol natal votre arôme se perd,

Qu'il vous faut le soleil et la blanche rosée

Dont vous étiez là-bas toute jeune arrosée ;

Les baisers parfumés des brises de la mer,

La place libre au ciel, l'espace et le grand air ;

Et, pour s'y renouer, l'hymne saint des poètes

Au fond de vous trouva des fibres toutes prêtes ;

Au chœur mélodieux votre voix put s'unir ;

Le prisme du regret dorant le souvenir

De cent petits détails, de mille circonstances,

Les vers naissaient en foule et se groupaient par stances.

Chaque larme furtive échappée à vos yeux

Se condensait en perle, en joyau précieux ;

Dans le rythme profond votre jeune pensée

Brillait plus savamment, chaque jour enchâssée ;

Vous avez pénétré les mystères de l'art.

Aussi, tout éplorée, avant votre départ,

Pour vous baiser au front, la belle poésie

Vous a parmi vos sœurs avec amour choisie ;

Pour dire votre cœur vous avez une voix,

Entre deux univers Dieu vous laissait le choix ;

Vous avez pris de l'un, heureux sort que le vôtre !

De quoi vous faire aimer et regretter dans l'autre.
(Mort le 31 décembre 1829.)

Hélas ! que fais-tu donc, ô Rabbe, ô mon ami,
Sévère historien dans la tombe endormi !

Je l'ai pensé souvent dans mes heures funèbres,
Seul près de mon flambeau qui rayait les ténèbres,
Ô noble ami, pareil aux hommes d'autrefois,
Il manque parmi nous ta voix, ta forte voix
Pleine de l'équité qui gonflait ta poitrine,
Il nous manque ta main qui grave et qui burine,
Dans ce siècle où par l'or les sages sont distraits,
Où l'idée est servante auprès des intérêts,
Temps de fruits avortés et de tiges rompues,
D'instincts dénaturés, de raisons corrompues,
Où, dans l'esprit humain tout étant dispersé,
Le présent au hasard flotte sur le passé !

Si parmi nous ta tête était debout encore,
Cette cime où vibrait l'éloquence sonore,
Au milieu de nos flots tu serais calme et grand.
Tu serais comme un pont posé sur ce courant.

Tu serais pour chacun la voix haute et sensée
Qui fait que tout brouillard s'en va de la pensée,
Et que la vérité, qu'en vain nous repoussions,
Sort de l'amas confus des sombres visions !

Tu dirais aux partis qu'ils font trop de poussière
Autour de la raison pour qu'on la voie entière ;
Au peuple, que la loi du travail est sur tous
Et qu'il est assez fort pour n'être pas jaloux ;
Au pouvoir, que jamais le pouvoir ne se venge,
Et que pour le penseur c'est un spectacle étrange
Et triste quand la loi, figure au bras d'airain,
Déesse qui ne doit avoir qu'un front serein,
Sort à de certains jours de l'urne consulaire
L'œil hagard, écumante et folle de colère !

Et ces jeunes esprits, à qui tu souriais,
Et que leur âge livre aux rêves inquiets,
Tu leurs dirais : « Amis, nés pour des temps prospères,
Oh ! n'allez pas errer comme ont erré vos pères !
Laissez mûrir vos fronts ! gardez-vous, jeunes gens,
Des systèmes dorés aux plumages changeants
Qui dans les carrefours s'en vont faire la roue !
Et de ce qu'en vos cœurs l'Amérique secoue,
Peuple à peine essayé, nation de hasard,
Sans tige, sans passé, sans histoire et sans art !
Et de cette' sagesse impie, envenimée,
Du cerveau de Voltaire éclose toute armée,
Fille de l'ignorance et de l'orgueil, posant
Les lois des anciens jours sur les mœurs d'à présent,
Qui refait un chaos partout où fut un monde,
Qui rudement enfonce, ô démence profonde !
Le casque étroit de Sparte au front du vieux Paris,
Qui dans les temps passés, mal lus et mal compris,
Viole effrontément tout sage pour lui faire
Un monstre qui serait la terreur de son père !
Si bien que les héros antiques tout tremblants
S'en sont voilé la face, et qu'après trois mille ans,
Par ses embrassements réveillé sous la pierre,
Lycurgue qu'elle épouse enfante Robespierre !  »

Tu nous dirais à tous : « Ne vous endormez pas !
Veillez, et soyez prêts ! car déjà pas à pas
La main de l'oiseleur dans l'ombre s'est glissée
Partout où chante un nid couvé par la pensée !
Car les plus nobles cœurs sont vaincus ou sont las !
Car la Pologne aux fers ne peut plus même, hélas !
Mordre le pied du czar appuyé sur sa gorge !
Car on voit chaque jour s'allonger dans la forge
La chaîne que les rois, craignant la liberté,
Font pour cette géante endormie à côté !
Ne vous endormez pas ! travaillez sans relâche !
Car les grands ont leur œuvre et les petits leur tâche,
Chacun a son ouvrage à faire. Chacun met
Sa pierre à l'édifice encor **** du sommet.
Qui croit avoir fini pour un roi qu'on dépose
Se trompe. Un roi qui tombe est toujours peu de chose.
Il est plus difficile et c'est un plus grand poids
De relever les mœurs que d'abattre les rois.
Rien chez vous n'est complet. La ruine ou l'ébauche.
L'épi n'est pas formé que votre main le fauche !
Vous êtes encombrés de plans toujours rêvés
Et jamais accomplis. Hommes, vous ne savez
Tant vous connaissez peu ce qui convient aux âmes,
Que faire des enfants ni que faire des femmes !
Où donc en êtes-vous ? Vous vous applaudissez
Pour quelques blocs de lois au hasard entassés !
Ah : l'heure du repos pour aucun n'est venue.
Travaillez ! Vous cherchez une chose inconnue,
Vous n'avez pas de foi, vous n'avez pas d'amour,
Rien chez vous n'est encore éclairé du vrai jour !
Crépuscule et brouillards que vos plus clairs systèmes !
Dans vos lois, dans vos mœurs, et dans vos esprits mêmes
Partout l'aube blanchâtre ou le couchant vermeil !
Nulle part le midi ! nulle part le soleil !  »

Tu parlerais ainsi dans des livres austères,
Comme parlaient jadis les anciens solitaires,
Comme parlent tous ceux devant qui l'on se tait,
Et l'on t'écouterait comme on les écoutait.
Et l'on viendrait vers toi dans ce siècle plein d'ombre
Où, chacun se heurtant aux obstacles sans nombre
Que faute de lumière on tâte avec la main,
Le conseil manque à l'âme et le guide au chemin !

Hélas ! à chaque instant des souffles de tempêtes
Amassent plus de brume et d'ombre sur nos têtes.
De moment en moment l'avenir s'assombrit.
Dans le calme du cœur, dans la paix de l'esprit,
Je t'adressais ces vers où mon âme sereine
N'a laissé sur ta pierre écumer nulle haine,
À toi qui dors couché dans le tombeau profond,
À toi qui ne sais plus ce que les hommes font !
Je t'adressais ces vers pleins de tristes présages.
Car c'est bien follement que nous nous croyions sages !
Le combat furieux recommence à gronder
Entre le droit de croître et le droit d'émonder ;
La bataille où les lois attaquent les idées
Se mêle de nouveau sur des mers mal sondées ;
Chacun se sent troublé comme l'eau sous le vent ;
Et moi-même, à cette heure, à mon foyer rêvant,
Voilà, depuis cinq ans qu'on oubliait Procuste,
Que j'entends aboyer au seuil du drame auguste
La censure à l'haleine immonde, aux ongles noirs,
Cette chienne au front bas qui suit tous les pouvoirs,
Vile, et mâchant toujours dans sa gueule souillée,
Ô muse ! quelque pan de ta robe étoilée !

Hélas ! que fais-tu donc, ô Rabbe, ô mon ami,
Sévère historien dans la tombe endormi !

Le 14 septembre 1835.
On en veut trop aux courtisans ;
On va criant partout qu'à l'état inutiles
Pour leur seul intérêt ils se montrent habiles :
Ce sont discours de médisants.
J'ai lu, je ne sais où, qu'autrefois en Syrie
Ce fut un courtisan qui sauva sa patrie.
Voici comment : dans le pays
La peste avait été portée,
Et ne devait cesser que quand le dieu Protée
Dirait là-dessus son avis.
Ce dieu, comme l'on sait, n'est pas facile à vivre :
Pour le faire parler il faut longtemps le suivre,
Près de son antre l'épier,
Le surprendre, et puis le lier,
Malgré la figure effrayante
Qu'il prend et quitte à volonté.
Certain vieux courtisan, par le roi député,
Devant le dieu marin tout-à-coup se présente.
Celui-ci, surpris, irrité,
Se change en noir serpent ; sa gueule empoisonnée
Lance et retire un dard messager du trépas,
Tandis que, dans sa marche oblique et détournée,
Il glisse sur lui-même et d'un pli fait un pas.
Le courtisan sourit : je connais cette allure,
Dit-il, et mieux que toi je sais mordre et ramper.
Il court alors pour l'attraper :
Mais le dieu change de figure ;
Il devient tour-à-tour loup, singe, lynx, renard.
Tu veux me vaincre dans mon art,
Disait le courtisan : mais, depuis mon enfance,
Plus que ces animaux avide, adroit, rusé,
Chacun de ces tours-là pour moi se trouve usé.
Changer d'habit, de mœurs, même de conscience ;
Je ne vois rien là que d'aisé.
Lors il saisit le dieu, le lie,
Arrache son oracle, et retourne vainqueur.
Ce trait nous prouve, ami lecteur,
Combien un courtisan peut servir la patrie.
Le lion dort, seul sous sa voûte.
Il dort de ce puissant sommeil
De la sieste, auquel s'ajoute,
Comme un poids sombre, le soleil.

Les déserts, qui de **** écoutent,
Respirent ; le maître est rentré.
Car les solitudes redoutent
Ce promeneur démesuré.

Son souffle soulève son ventre ;
Son oeil de brume est submergé,
Il dort sur le pavé de l'antre,
Formidablement allongé.

La paix est sur son grand visage,
Et l'oubli même, car il dort.
Il a l'altier sourcil du sage
Et l'ongle tranquille du fort.

Midi sèche l'eau des citernes ;
Rien du sommeil ne le distrait ;
Sa gueule ressemble aux cavernes,
Et sa crinière à la forêt.

Il entrevoit des monts difformes,
Des Ossas et des Pélions,
À travers les songes énormes
Que peuvent faire les lions.

Tout se tait sur la roche plate
Où ses pas tout à l'heure erraient.
S'il remuait sa grosse patte,
Que de mouches s'envoleraient !
À travers la forêt de folles arabesques

Que le doigt du sommeil trace au mur de mes nuits,

Je vis, comme l'on voit les Fortunes des fresques,

Un jeune homme penché sur la bouche d'un puits.


Il jetait, par grands tas, dans cette gueule noire

Perles et diamants, rubis et sequins d'or,

Pour faire arriver l'eau jusqu'à sa lèvre, et boire ;

Mais le flot flagellé ne montait pas encore.


Hélas ! Que d'imprudents s'en vont aux puits, sans corde,

Sans urne pour puiser le cristal souterrain,

Enfouir leur trésor afin que l'eau déborde,

Comme fit le corbeau dans le vase d'airain !


Hélas ! Et qui n'a pas, épris de quelque femme,

Pour faire monter l'eau du divin sentiment,

Jeté l'or de son cœur au puits sans fond d'une âme,

Sur l'abîme muet penché stupidement !
Sur la rive du Nil un jour deux beaux enfants
S'amusaient à faire sur l'onde,
Avec des cailloux plats, ronds, légers et tranchants,
Les plus beaux ricochets du monde.
Un crocodile affreux arrive entre deux eaux,
S'élance tout-à-coup, happe l'un des marmots,
Qui crie et disparaît dans sa gueule profonde,
L'autre fuit, en pleurant son pauvre compagnon.
Un honnête et digne esturgeon,
Témoin de cette tragédie,
S'éloigne avec horreur, se cache au fond des flots ;
Mais bientôt il entend le coupable amphibie
Gémir et pousser des sanglots :
Le monstre a des remords, dit-il : ô providence,
Tu venges souvent l'innocence ;
Pourquoi ne la sauves-tu pas ?
Ce scélérat du moins pleure ses attentats ;
L'instant est propice, je pense,
Pour lui prêcher la pénitence :
Je m'en vais lui parler. Plein de compassion,
Notre saint homme d'esturgeon
Vers le crocodile s'avance :
Pleurez, lui cria-t-il, pleurez votre forfait ;
Livrez votre âme impitoyable
Au remords, qui des dieux est le dernier bienfait,
Le seul médiateur entre eux et le coupable.
Malheureux, manger un enfant !
Mon cœur en a frémi ; j'entends gémir le vôtre...
Oui, répond l'assassin, je pleure en ce moment
De regret d'avoir manqué l'autre.
Tel est le remords du méchant.
II.

Oh ! vers ces vétérans quand notre esprit s'élève,
Nous voyons leur front luire et resplendir leur glaive,
Fertile en grands travaux.
C'étaient là les anciens. Mais ce temps les efface !
France, dans ton histoire ils tiennent trop de place.
France, gloire aux nouveaux !

Oui, gloire à ceux d'hier ! ils se mettent cent mille,
Sabres nus, vingt contre un, sans crainte, et par la ville
S'en vont, tambours battants.
À mitraille ! leur feu brille, l'obusier tonne,
Victoire ! ils ont tué, carrefour Tiquetonne,
Un enfant de sept ans !

Ceux-ci sont des héros qui n'ont pas peur des femmes
Ils tirent sans pâlir, gloire à ces grandes âmes !
Sur les passants tremblants.
On voit, quand dans Paris leur troupe se promène,
Aux fers de leurs chevaux de la cervelle humaine
Avec des cheveux blancs !

Ils montent à l'assaut des lois ; sur la patrie
Ils s'élancent ; chevaux, fantassins, batterie,
Bataillon, escadron,
Gorgés, payés, repus, joyeux, fous de colère,
Sonnant la charge, avec Maupas pour vexillaire
Et Veuillot pour clairon.

Tout, le fer et le plomb, manque à nos bras farouches,
Le peuple est sans fusils, le peuple est sans cartouches,
Braves ! c'est le moment !
Avec quelques tribuns la loi demeure seule.
Derrière vos canons chargés jusqu'à la gueule
Risquez-vous hardiment !

Ô soldats de décembre ! ô soldats d'embuscades
Contre votre pays ! honte à vos cavalcades
Dans Paris consterné !
Vos pères, je l'ai dit, brillaient comme le phare ;
Ils bravaient, en chantant une haute fanfare,
La mort, spectre étonné ;

Vos pères combattaient les plus fières armées,
Le prussien blond, le russe aux foudres enflammées,
Le catalan bruni,
Vous, vous tuez des gens de bourse et de négoce.
Vos pères, ces géants, avaient pris Saragosse,
Vous prenez Tortoni !

Histoire, qu'en dis-tu ? les vieux dans les batailles
Couraient sur les canons vomissant les mitrailles ;
Ceux-ci vont, sans trembler,
Foulant aux pieds vieillards sanglants, femmes mourantes
Droit au crime. Ce sont deux façons différentes
De ne pas reculer.

Jersey, du 7 au 13 janvier 1853.
Je suis pédéraste dans l'âme,
Je le dis tout haut et debout.
Assis, je changerais de gamme,
Et, couché sur un lit, Madame,
Je ne le dirais plus du tout.

La pédérastie est un vice :
C'est l'avis de mon médecin.
Je le crois, il n'est pas novice
Quand il soutient que l'exercice
Le plus naturel, le plus sain,

Sain, comme la mer et son hâle,
L'honneur même de la maison,
Qui fait le regard le moins pâle,
Le plus magnifiquement mâle,
Sans aucune comparaison,

Le plus ravissant sur la terre,
C'est de froisser le traversin
D'une femme qu'on... désaltère,
Quand elle serait adultère,
Quand elle n'aurait qu'un seul sein.

C'est là le sentiment intime
De tous les peuples sous le ciel ;
Et je me fous, pour la maxime,
Que l'Exception règne ou rime
Même d'un air spirituel ;

De tous, oui, autant que nous sommes,
Aussi bien du Chinois charmant
Que du Français, peintre de pommes ;
Et c'est l'opinion des hommes
Qui furent des hommes, vraiment,

Plus forts que ceux dont leur église
Met les cercueils an Panthéon ;
Ce sont ceux-là qu'on poétise,
Par exemple... Abraham... Moïse,
Et, si tu veux... Napoléon.

C'est l'opinion du plus sage
Chez les Slaves au regard clair,
Chez les Germains au doux visage,
Chez les Latins au beau langage,
Et chez les Bretons au cœur fier.

C'est la tienne, Aimée, et la nôtre ;
C'est celle de tout bon cerveau,
Qui n'a contre elle qu'un... apôtre,
Un monsieur pourtant comme un autre,
Son nom ?... devra rimer en veau.

- Son nom, voyons ? - Comment, Madame
Son nom ? mais puisqu'il n'est pas pur,
Il souillerait, ce nom infâme,
Tes chastes oreilles de femme ;
Et puis, moi, je n'en suis pas sûr.

Si c'était une calomnie
Qu'une apparence aide à courir,
Je ferais une vilenie ;
Son nom ? Ah ! jamais de la vie !
J'aimerais cent fois mieux mourir !

La jolie école qu'il fonde,
Sans ce nom-là, pourra planer
Dans une obscurité profonde ;
La plus belle fille du monde
Comme l'on dit, ne peut donner...

D'ailleurs, Madame, cette école
Ne fait pas beaucoup d'adhérents :
Il n'ont pas de porte-parole ;
Et c'est comme une offre un peu molle
Qui rit à des indifférents.

Cependant, sa présence agace
Ceux qui la soupçonnent dans l'air ;
Car ce soupçon va, se déplace,
Et finalement vous enlace
Comme la vague dans la mer.

Ces messieurs lisent la gazette,
Dînent en ville assez bien mis ;
Quelquefois courtisent Lisette ;
J'approuve cela, mais, mazette !
Je n'en... gueule pas mes amis.

Oui, ce vilain soupçon nous gêne
Et pourrait submerger un jour,
Près de la niche, avec la chaîne,
L'Amitié, cette belle chienne,
Qui hurle à sa lune d'amour.

Pour moi, vous remarquerez comme
J'ai quelque grâce à protester :
Passant pour la moitié d'un homme,
N'aurais-je pas le droit, en somme,
De chercher à me compléter ?

Bien mieux, tiens ! je ne suis pas large,
Mais le plus raide des paris
Qu'on me le tienne, et je me charge
Sous les yeux du public, en marge,
Du plus vieux mouchard de Paris !

Or, je ne suis pas pédéraste ;
Que serait-ce si je l'étais !
Voyez, Madame, quel contraste !
Ah ! par la perruque d'Éraste !
Et maintenant... si je pétais !
Hier il m'a semblé (sans doute j'étais ivre)

Voir sur l'arche d'un pont un choc de cavaliers

Tout cuirassés de fer, tout imbriqués de cuivre,

Et caparaçonnés de harnais singuliers.


Des dragons accroupis grommelaient sur leurs casques,

Des Méduses d'airain ouvraient leurs yeux hagards

Dans leurs grands boucliers, aux ornements fantasques,

Et des nœuds de serpents écaillaient leurs brassards.


Par moments, du rebord de l'arcade géante,

Un cavalier blessé perdant son point d'appui,

Un cheval effaré tombait dans l'eau béante,

Gueule de crocodile entr'ouverte sous lui.


C'était vous, mes désirs, c'était vous, mes pensées,

Qui cherchiez à forcer le passage du pont,

Et vos corps tout meurtris sous leurs armes faussées

Dorment ensevelis dans le gouffre profond.
Le bruit des cabarets, la fange du trottoir,

Les platanes déchus s'effeuillant dans l'air noir,

L'omnibus, ouragan de ferraille et de boues,

Qui grince, mal assis entre ses quatre roues,

Et roule ses yeux verts et rouges lentement,

Les ouvriers allant au club, tout en fumant

Leur brûle-gueule au nez des agents de police,

Toits qui dégouttent, murs suintants, pavé qui glisse,

Bitume défoncé, ruisseaux comblant l'égout,

Voilà ma route - avec le paradis au bout.
Le poète ne se reconnaît
Ni dieu ni maître ni loi
Seul lui importe l'abandon aux sirènes des muses
La seule Justice qui vaille à ses oreilles.
Pour ne pas paraphraser Césaire
Et avant lui Perse
Et bien d'autres encore laminaires
Il y a autant de muses que de volcans
Certaines meurent  de petite mort
D'autres demeurent de mort certaine à petit feu consommé
Remplacez volcans par muses
Accordez  les adjectifs et les pronoms
Ce qui vaut pour les volcans
Vaut pour les muses aux dorsales Bossales comme abyssales.
Dixit Césaire :

" Il y a des volcans qui se meurent

il y a des volcans qui demeurent

il y a des volcans qui ne sont là que pour le vent

il y a des volcans fous

il y a des volcans ivres à la dérive

il y a des volcans qui vivent en meutes et patrouillent

il y a des volcans dont la gueule émerge de temps en temps

véritables chiens de la mer

il y a des volcans qui se voilent la face

toujours dans les nuages

il y a des volcans vautrés comme des rhinocéros fatigués

dont on peut palper la poche galactique

il y a des volcans pieux qui élèvent des monuments

à la gloire des peuples disparus

il y a des volcans vigilants

des volcans qui aboient

montant la garde au seuil du Kraal des peuples endormis

il y a des volcans fantasques qui apparaissent

et disparaissent

(ce sont jeux lémuriens)

il ne faut pas oublier ceux qui ne sont pas les moindres

les volcans qu’aucune dorsale n’a jamais repérés

et dont de nuit les rancunes se construisent

il y a des volcans dont l’embouchure est à la mesure

exacte de l’antique déchirure."

« Dorsale bossale » in Moi, laminaire..
Polynice, Etéocle, Abel, Caïn ! ô frères !
Vieille querelle humaine ! échafauds ! lois agraires !
Batailles ! ô drapeaux, ô linceuls ! noirs lambeaux !
Ouverture hâtive et sombre des tombeaux !
Dieu puissant ! quand la mort sera-t-elle tuée ?
Ô sainte paix !

La guerre est la prostituée ;
Elle est la concubine infâme du hasard.
Attila sans génie et Tamerlan sans art
Sont ses amants ; elle a pour eux des préférences ;
Elle traîne au charnier toutes nos espérances,
Egorge nos printemps, foule aux pieds nos souhaits,
Et comme elle est la haine, ô ciel bleu, je la hais !
J'espère en toi, marcheur qui viens dans les ténèbres,
Avenir !

Nos travaux sont d'étranges algèbres ;
Le labyrinthe vague et triste où nous rôdons
Est plein d'effrois subits, de pièges, d'abandons ;
Mais toujours dans la main le fil obscur nous reste.
Malgré le noir duel d'Atrée et de Thyeste,
Malgré Léviathan combattant Béhémoth,
J'aime et je crois. L'énigme enfin dira son mot.
L'ombre n'est pas sur l'homme à jamais acharnée.
Non ! Non ! l'humanité n'a point pour destinée
D'être assise immobile au seuil froid des tombeaux,
Comme Jérôme, morne et blême, dans Ombos,
Ou comme dans Argos la douloureuse Electre.

Un jour, moi qui ne crains l'approche d'aucun spectre,
J'allai voir le lion de Waterloo. Je vins
Jusqu'à la sombre plaine à travers les ravins ;
C'était l'heure où le jour chasse le crépuscule ;
J'arrivai ; je marchai droit au noir monticule.
Indigné, j'y montai ; car la gloire du sang,
Du glaive et de la mort me laisse frémissant.
Le lion se dressait sur la plaine muette ;
Je regardais d'en bas sa haute silhouette ;
Son immobilité défiait l'infini ;
On sentait que ce fauve, au fond des cieux banni,
Relégué dans l'azur, fier de sa solitude,
Portait un souvenir affreux sans lassitude ;
Farouche, il était là, ce témoin de l'affront.
Je montais, et son ombre augmentait sur mon front.
Et tout en gravissant vers l'âpre plate-forme,
Je disais : Il attend que la terre s'endorme ;
Mais il est implacable ; et, la nuit, par moment
Ce bronze doit jeter un sourd rugissement ;
Et les hommes, fuyant ce champ visionnaire,
Doutent si c'est le monstre ou si c'est le tonnerre.
J'arrivai jusqu'à lui, pas à pas m'approchant...

J'attendais une foudre et j'entendis un chant.

Une humble voix sortait de cette bouche énorme.
Dans cette espèce d'antre effroyable et difforme
Un rouge-gorge était venu faire son nid ;
Le doux passant ailé que le printemps bénit,
Sans peur de la mâchoire affreusement levée,
Entre ces dents d'airain avait mis sa couvée ;
Et l'oiseau gazouillait dans le lion pensif.
Le mont tragique était debout comme un récif
Dans la plaine jadis de tant de sang vermeille ;
Et comme je songeais, pâle et prêtant l'oreille,
Je sentis un esprit profond me visiter,
Et, peuples, je compris que j'entendais chanter
L'espoir dans ce qui fut le désespoir naguère,
Et la paix dans la gueule horrible de la guerre.
Tout beau, fauve grondeur, demeure dans ton antre,

Il n'est pas temps encore ; couche-toi sur le ventre ;

De ta queue aux crins roux flagelle-toi les flancs,

Comme un sphinx accroupi dans les sables brûlants,

Sur l'oreiller velu de tes pattes croisées

Pose ton mufle énorme, aux babines froncées ;

Dors et prends patience, ô lion du désert ;

Demain, César le veut, de ton cachot ouvert,

Demain tu sauteras dans la pleine lumière,

Au beau milieu du Cirque, aux yeux de Rome entière,

Et de tous les côtés les applaudissements

Répondront comme un chœur à tes grommèlements.

On te tient en réserve une vierge chrétienne,

Plus blanche mille fois que la Vénus païenne ;

Tu pourras à loisir, de tes griffes de fer,

Rayer ce dos d'ivoire et cette belle chair ;

Tu boiras ce sang pur, vermeil comme la rose :

Ne frotte plus ton nez contre la grille close,

Songe, sous ta crinière, au plaisir de ronger

Un beau corps tout vivant, et de pouvoir plonger

Dans le gouffre béant de ta gueule qui fume,

Une tête où déjà l'auréole s'allume.


Le Belluaire ainsi gourmande son lion,

Et le lion fait trêve à sa rébellion.


Mais toi, sauvage amour, qui, la prunelle en flamme,

Rugis affreusement dans l'antre de mon âme,

Je n'ai pas de victime à promettre à ta faim,

Ni d'esclave chrétienne à te jeter demain ;

Tâche de t'apaiser, ou je m'en vais te clore

Dans un lieu plus profond et plus sinistre encore ;

A quoi bon te débattre et grincer et hurler ?

Le temps n'est pas venu de te démuseler.

En attendant le jour de revoir la lumière,

Silencieusement, à l'angle d'une pierre,

Ou contre les barreaux de ton noir souterrain,

Aiguise le tranchant de tes ongles d'airain.
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Nul troupeau n'erre ni ne broute ;
Le berger s'allonge à l'écart ;
La poussière dort sur la route,
Le charretier sur le brancard.

Le forgeron dort dans la forge ;
Le maçon s'étend sur un banc ;
Le boucher ronfle à pleine gorge,
Les bras rouges encor de sang.

La guêpe rôde au bord des jattes ;
Les ramiers couvrent les pignons ;
Et, la gueule entre les deux pattes,
Le dogue a des rêves grognons.

Les lavandières babillardes
Se taisent. Non **** du lavoir,
En plein azur, sèchent les hardes
D'une blancheur blessante à voir.

La férule à peine surveille
Les écoliers inattentifs ;
Le murmure épars d'une abeille
Se mêle aux alphabets plaintifs...

Un vent chaud traîne ses écharpes
Sur les grands blés lourds de sommeil,
Et les mouches se font des harpes
Avec des rayons de soleil.

Immobiles devant les portes
Sur la pierre des seuils étroits,
Les aïeules semblent des mortes
Avec leurs quenouilles aux doigts.

C'est alors que de la fenêtre
S'entendent, tout en parlant bas,
Plus libres qu'à minuit peut-être,
Les amants, qui ne dorment pas.
À LORD BYRON, EN 1811.

Yo contra todos y todos contra yo.
ROMANCE DEL VIEJO ARIAS.

I.

Qui peut savoir combien de jalouses pensées,
De haines, par l'envie en tous lieux ramassées,
De sourds ressentiments, d'inimitiés sans frein,
D'orages à courber les plus sublimes têtes,
Combien de passions, de fureurs, de tempêtes,
Grondent autour de toi, jeune homme au front serein !

Tu ne le sais pas, toi ! - Car tandis qu'à ta base
La gueule des serpents s'élargit et s'écrase,
Tandis que ces rivaux, que tu croyais meilleurs,
Vont t'assiégeant en foule, ou dans la nuit secrète
Creusent maint piège infâme à ta marche distraite,
Pensif, tu regardes ailleurs !

Ou si parfois leurs cris montent jusqu'à ton âme,
Si ta colère, ouvrant ses deux ailes de flamme,
Veut foudroyer leur foule acharnée à ton nom,
Avant que le volcan n'ait trouvé son issue,
Avant que tu n'aies mis la main à ta massue,
Tu te prends à sourire et tu dis : À quoi bon ?

Puis voilà que revient ta chère rêverie,
Famille, enfant, amour, Dieu, liberté, patrie ;
La lyre à réveiller ; la scène à rajeunir ;
Napoléon, ce dieu dont tu seras le prêtre ;
Les grands hommes, mépris du temps qui les voit naître,
Religion de l'avenir !

II.

Allez donc ! ennemis de son nom ! foule vaine !
Autour de son génie épuisez votre haleine !
Recommencez toujours ! ni trêve, ni remord.
Allez, recommencez, veillez, et sans relâche
Roulez votre rocher, refaites votre tâche,
Envieux ! - Lui poète, il chante, il rêve, il dort.

Votre voix, qui s'aiguise et vibre comme un glaive,
N'est qu'une voix de plus dans le bruit qu'il soulève.
La gloire est un concert de mille échos épars,
Chœurs de démons, accords divins, chants angéliques,
Pareil au bruit que font dans les places publiques
Une multitude de chars.

Il ne vous connaît pas. - Il dit par intervalles
Qu'il faut aux jours d'été l'aigre cri des cigales,
L'épine à mainte fleur ; que c'est le sort commun ;
Que ce serait pitié d'écraser la cigale ;
Que le trop bien est mal ; que la rose au Bengale
Pour être sans épine est aussi sans parfum.

Et puis, qu'importe ! amis, ennemis, tout s'écroule.
C'est au même tombeau que va toute la foule.
Rien ne touche un esprit que Dieu même a saisi.
Trônes, sceptres, lauriers, temples, chars de victoire,
On ferait à des rois des couronnes de gloire
De tout ce qu'il dédaigne ici !

Que lui font donc ces cris où votre voix s'enroue ?
Que sert au flot amer d'écumer sur la proue ?
Il ignore vos noms, il n'en a point souci,
Et quand, pour ébranler l'édifice qu'il fonde,
La sueur de vos fronts ruisselle et vous inonde,
Il ne sait même pas qui vous fatigue ainsi !

III.

Puis, quand il le voudra, scribes, docteurs, poètes,
Il sait qu'il peut, d'un souffle, en vos bouches muettes
Éteindre vos clameurs,
Et qu'il emportera toutes vos voix ensemble
Comme le vent de mer emporte où bon lui semble
La chanson des rameurs !

En vain vos légions l'environnent sans nombre,
Il n'a qu'à se lever pour couvrir de son ombre
À la fois tous vos fronts ;
Il n'a qu'à dire un mot pour couvrir vos voix grêles,
Comme un char en passant couvre le bruit des ailes
De mille moucherons !

Quand il veut, vos flambeaux, sublimes auréoles
Dont vous illuminez vos temples, vos idoles,
Vos dieux, votre foyer,
Phares éblouissants, clartés universelles,
Pâlissent à l'éclat des moindres étincelles
Du pied de son coursier !

Avril 1830.
La Gueule parle : « L'or, et puis encore l'or,

Toujours l'or, et la viande, et les vins, et la viande,

Et l'or pour les vins fins et la viande, on demande

Un trou sans fond pour l'or toujours et l'or encor ! »


La Panse dit : « À moi la chute du trésor !

La viande, et les vins fins, et l'or, toute provende,

À moi ! Dégringolez dans l'outre toute grande

Ouverte du Seigneur Nabuchodonosor ! »


L'œil est de pur cristal dans les suifs de la face :

Il brille, net et franc, près du vrai, rouge et faux,

Seule perfection parmi tous les défauts.


L'Âme attend vainement un remords efficace,

Et dans l'impénitence agonise de faim

Et de soif, et sanglote en pensant à La Fin

— The End —