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Le poète.

Du temps que j'étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s'asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Son visage était triste et beau :
À la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu'au lendemain,
Pensif, avec un doux sourire.

Comme j'allais avoir quinze ans
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d'un arbre vint s'asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Je lui demandai mon chemin ;
Il tenait un luth d'une main,
De l'autre un bouquet d'églantine.
Il me fit un salut d'ami,
Et, se détournant à demi,
Me montra du doigt la colline.

À l'âge où l'on croit à l'amour,
J'étais seul dans ma chambre un jour,
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s'asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Il était morne et soucieux ;
D'une main il montrait les cieux,
Et de l'autre il tenait un glaive.
De ma peine il semblait souffrir,
Mais il ne poussa qu'un soupir,
Et s'évanouit comme un rêve.

À l'âge où l'on est libertin,
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevais mon verre.
En face de moi vint s'asseoir
Un convive vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Il secouait sous son manteau
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile.
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma main débile.

Un an après, il était nuit ;
J'étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s'asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Ses yeux étaient noyés de pleurs ;
Comme les anges de douleurs,
Il était couronné d'épine ;
Son luth à terre était gisant,
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.

Je m'en suis si bien souvenu,
Que je l'ai toujours reconnu
À tous les instants de ma vie.
C'est une étrange vision,
Et cependant, ange ou démon,
J'ai vu partout cette ombre amie.

Lorsque plus ****, las de souffrir,
Pour renaître ou pour en finir,
J'ai voulu m'exiler de France ;
Lorsqu'impatient de marcher,
J'ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d'une espérance ;

À Pise, au pied de l'Apennin ;
À Cologne, en face du Rhin ;
À Nice, au penchant des vallées ;
À Florence, au fond des palais ;
À Brigues, dans les vieux chalets ;
Au sein des Alpes désolées ;

À Gênes, sous les citronniers ;
À Vevey, sous les verts pommiers ;
Au Havre, devant l'Atlantique ;
À Venise, à l'affreux Lido,
Où vient sur l'herbe d'un tombeau
Mourir la pâle Adriatique ;

Partout où, sous ces vastes cieux,
J'ai lassé mon cœur et mes yeux,
Saignant d'une éternelle plaie ;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M'a promené sur une claie ;

Partout où, sans cesse altéré
De la soif d'un monde ignoré,
J'ai suivi l'ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J'ai revu ce que j'avais vu,
La face humaine et ses mensonges ;

Partout où, le long des chemins,
J'ai posé mon front dans mes mains,
Et sangloté comme une femme ;
Partout où j'ai, comme un mouton,
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuder mon âme ;

Partout où j'ai voulu dormir,
Partout où j'ai voulu mourir,
Partout où j'ai touché la terre,
Sur ma route est venu s'asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
Je vois toujours sur mon chemin ?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
Que tu sois mon mauvais Destin.
Ton doux sourire a trop de patience,
Tes larmes ont trop de pitié.
En te voyant, j'aime la Providence.
Ta douleur même est sœur de ma souffrance ;
Elle ressemble à l'Amitié.

Qui donc es-tu ? - Tu n'es pas mon bon ange,
Jamais tu ne viens m'avertir.
Tu vois mes maux (c'est une chose étrange !)
Et tu me regardes souffrir.
Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
Et je ne saurais t'appeler.
Qui donc es-tu, si c'est Dieu qui t'envoie ?
Tu me souris sans partager ma joie,
Tu me plains sans me consoler !

Ce soir encor je t'ai vu m'apparaître.
C'était par une triste nuit.
L'aile des vents battait à ma fenêtre ;
J'étais seul, courbé sur mon lit.
J'y regardais une place chérie,
Tiède encor d'un baiser brûlant ;
Et je songeais comme la femme oublie,
Et je sentais un lambeau de ma vie
Qui se déchirait lentement.

Je rassemblais des lettres de la veille,
Des cheveux, des débris d'amour.

Tout ce passé me criait à l'oreille
Ses éternels serments d'un jour.
Je contemplais ces reliques sacrées,
Qui me faisaient trembler la main :
Larmes du cœur par le cœur dévorées,
Et que les yeux qui les avaient pleurées
Ne reconnaîtront plus demain !

J'enveloppais dans un morceau de bure
Ces ruines des jours heureux.
Je me disais qu'ici-bas ce qui dure,
C'est une mèche de cheveux.
Comme un plongeur dans une mer profonde,
Je me perdais dans tant d'oubli.
De tous côtés j'y retournais la sonde,
Et je pleurais, seul, **** des yeux du monde,
Mon pauvre amour enseveli.

J'allais poser le sceau de cire noire
Sur ce fragile et cher trésor.
J'allais le rendre, et, n'y pouvant pas croire,
En pleurant j'en doutais encor.
Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée,
Malgré toi, tu t'en souviendras !
Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ?
Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots, si tu n'aimais pas ?

Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ;
Mais ta chimère est entre nous.
Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures
Qui me sépareront de vous.
Partez, partez, et dans ce cœur de glace
Emportez l'orgueil satisfait.
Je sens encor le mien jeune et vivace,
Et bien des maux pourront y trouver place
Sur le mal que vous m'avez fait.

Partez, partez ! la Nature immortelle
N'a pas tout voulu vous donner.
Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle,
Et ne savez pas pardonner !
Allez, allez, suivez la destinée ;
Qui vous perd n'a pas tout perdu.
Jetez au vent notre amour consumée ; -
Eternel Dieu ! toi que j'ai tant aimée,
Si tu pars, pourquoi m'aimes-tu ?

Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre
Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre ;
Elle vient s'asseoir sur mon lit.
Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
Sombre portrait vêtu de noir ?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage ?
Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image
Que j'aperçois dans ce miroir ?

Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
Pèlerin que rien n'a lassé ?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
Assis dans l'ombre où j'ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs ?
Qu'as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?
Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
Qui n'apparais qu'au jour des pleurs ?

La vision.

- Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l'ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j'aime, je ne sais pas
De quel côté s'en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.

Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m'as nommé par mon nom
Quand tu m'as appelé ton frère ;
Où tu vas, j'y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j'irai m'asseoir sur ta pierre.

Le ciel m'a confié ton cœur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin ;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitude.
Paul d'Aubin Oct 2016
Peire-Roger, le Chevalier Faydit.

C'est Peire-Roger le Faydit
regardant la vie avec hauteur
Comme l'aigrette flottant
sur son heaume argenté.
Ses terres furent mises en proie
Par les prélats du Pape
Au profit de barons pillards.
Venus de Septentrion.
Il était Languedocien,
Par la langue et le cœur
Sa sœur Esclarmonde, était une «Cathare»,
l’une de ces chrétiens hétérodoxes,
Se vouant à l'Esprit,
Et disant rejeter ce mal
Qui corrompt l'esprit humain,
En colorant de sombre
Les œuvres terrestres.
Très jeune, les jeux de guerre
Furent, pour lui, comme un breuvage ardent.
Il éprouva l'amour brûlant
Pour de belles châtelaines,
Si dures à séduire,
Au jeu du «fin Amor».
Mais il était certes moins aimé
Pour ses vers d'ingénieux troubadour,
Que comme homme fort,
ayant belle prestance,
Et apparaissant triomphant,
dans ses courses au galop,
Et les grands coups
Qu'il donnait pour se frayer
Un passage dans la mêlée,
Dans les éclats, les étincelles
De l'entrechoc des épées.
Bien jeune, il vit son père
Spolié de sa seigneurie,
Confisquée au bénéfice
de la lignée maudite
De la maison de Montfort.
Il fut tout jeune humilié
par la tourbe des seigneurs pillards
Conduite par des fanatiques
Et masquant sous l'apparence
De religion, leur vile convoitise
Et leur voracité de loups.
Une fausse paix obligea son père
A rompre l'allégeance
Avec les comtes de Toulouse.
Alors que la persécution
Des «bonshommes» s'amplifiait,
Et que les libertés Toulousaines
Étaient sous le talon de fer.
Son père s'en vint en Aragon
Parmi tant d'autres hommes,
droits et valeureux,
Pour sauvegarder l'honneur,
Et préparer la reconquête
Des terres confisquées,
par l'avidité de ces nuées
De corbeaux et des loups
Venus faire bombance
De terres Languedociennes.
Comme plus ****,
les Lys viendraient agrandir,
Leurs fiefs pour le seul profit
De Paris la dominante et la vorace.
Sa jeunesse se passa à s'entraîner
Et à rêver au jour où
Il traverserait les cols
Pour la revanche de son sang
Et la mémoire de son père,
Mort en exil en Aragon.
Enfin les appels de Raymond VII de Toulouse,
De Trencavel et du peuple de Tolosa révolté,
Résonnèrent comme buccin
Dans tout le Languedoc sous le joug,
Et l'oriflamme de Tolosa fut levé
Qui embrasa plaines et collines.
Le temps était venu de combattre
Et ce fut une guerre
Aussi ardente que cruelle,
comme une chasse à courre,
Faite de sièges et d'escarmouches
Contre les troupes du Roi Louis VIII.
Peirce-Roger chevaucha et guerroya
Donnant tout son corps et son âme,
Et fut maintes fois blessé,
Mais il lui fallut bien du courage
Pour déposer les armes
Quand les chefs s'entendirent
Pour donner en mariage
Jeanne de Toulouse
A Alphonse de France.
Ce mariage funeste,
annonçait et scellait la perte,
Des libertés et de la tolérance
De la haute civilisation
des pays Tolédans et Languedociens.
Aussi Peire-Roger, l'esprit blessé
Plus encore que ses chairs
Meurtries et tailladées,
Décida de consacrer sa vie
Au soutien et a la protection,
Des «bonshommes» traqués,
Par cette infamie nommée l'inquisition,
Usant des pires moyens,
Dont la délation et la torture,
Pour extirper par les cordes,
les tenailles et le feu,
Ce que la Papauté ne pouvait obtenir
Du choix des consciences,
Par le libre débat et le consentement.
Peire-Roger vint à Montségur
Sur les hauteurs du Po
Transforme en abri, en refuge et en temple,
Sur les terres du comte de Foix.
Il admira Esclarmonde la pure, la parfaite,
Et la pureté de mœurs
De cette communauté de «Bonhommes»,
de Femmes et d'Hommes libres,
Bien divers, mais si fraternels,
Ayant choisi de vivre leur spiritualité.
Contrairement aux calomnies,
Qui les disait adorateurs du Diable,
Ils mettaient par-dessus tout
Leur vie spirituelle et leur idéal commun.
Et leurs autres vertus étaient
Le dépouillement et la simplicité.
Hélas vautours et corbeaux,
Planaient autour de l'altier Pog.
Alors que la bise des premiers froids
Se faisait sentir les matins.
C'est alors qu'un groupe d'inquisiteurs
Chevaucha jusqu'à Avignonet
pour y chercher des proies.
Cela embrasa de colère
nombre de Chevaliers Faydits,
Dont les parents avaient tant soufferts
Le feu de la vengeance l’emporta
Sur la prudente et sage patience.
Et Peire-Roger lui-même
Pris le commandement de la troupe.
Qui arriva de nuit à Avignonet
Pour punir la cruauté par le fer.
Le Bayle, Raymond d'Alfaro
Ouvrit les portes aux vengeurs,
Et un nouveau crime s'ajouta
Aux précédents crimes innombrables.
L’inquisiteur Guillaume Arnaud
Et Étienne de Saint Thibery,
furent massacres avec leurs compagnons.
Leurs cris d'épouvante et d'agonie
Résonnèrent dans cette Avignonet
Qui huma l'acre parfum du sang,
La peur semblait disparue
Et la vengeance rendue.
Mais la lune aussi pleura du sang
Dans le ciel blafard et blême
Vengeance fut ainsi accomplie
Pour les chairs et les âmes martyrisées.
Mais le sang répandu appelle
Toujours plus de sang encore.
Quelques mois après un ost
De plusieurs centaines de soldats,
Sous le commandement
D'Hugues des Arcis.
Vint en mai 1243,
Mettre le siège de la place fortifiée.
Peire-Roger se battit comme un Lion
Avec ses compagnons Faydits,
Ils accomplirent des prouesses
De courage et de vaillance
Furent données.
Mais lorsque de nuit par un chemin secret
Qui leur avait été révélé,
Les assaillant s'emparèrent
Du roc de la tour,
Et y posèrent une Perrière
Pour jeter des projectiles
Sur les fortifications et les assiégés.
L'espoir de Peire-Roger,
des défenseurs et des bonshommes,
Commença à fléchir.
Et une reddition fut conclue
Le 1er mars 1244 laissant aux cathares,
Le choix de la conversion ou de la mort dans les flammes.
Ce fut grand pitié ce 16 mars de voir
Plus de deux cent femmes et hommes bons et justes,
Choisir en conscience de ne pas renier leur choix et leur foi,
Préférant terminer leur vie
D'une manière aussi affreuse,
en ce début du printemps
Qui pointait ses lumières.
Et jusqu'à l'ignoble bûcher,
Leurs chants d'amour,
Furent entendus puis couvert,
Par leurs cris de douleur
Et les crépitements des buches.
Aussi; qu’une honte dans pareille
En retombe sur le Pape si mal nomme, Innovent III
Et sur le roi Louis IX, sanctifié par imposture,
Et sur l'archevêque de Narbonne, Pierre Amiel.
Que surtout vienne le temps
Où la Paix aux doux, aux justes
Et aux Pacifiques s'établisse.
Et qu'une honte et un remord sans fin
Punissent ceux et celles qui continuent
A se comporter en inquisiteurs
qu'elle qu'en soient les raisons et les circonstances.
Il semblerait sans aucune certitude
Que Peire-Roger, le chevalier Faydit
Témoin de ces temps de fer et de feu.
Soit allé, au ****, se retirer et prier
Dans une communauté de bonshommes
En Aragon ou en Lombardie.

Paul Arrighi
Le personnage de Peire-Vidal n'est pas imaginaire. Il a bien existe mais je rassemble en lui les qualités de plusieurs Chevaliers Faydits qui se battirent pour la sauvegarde de leurs terres et des libertés des pays d'Oc et du Languedoc face a l'avidité et au fanatisme - Paul Arrighi
Frères, je me confesse, et vais vous confier

Mon sort, pour vous instruire et vous édifier.


Un jour, je me sentis le désir de connaître

Ce qu'enfermait en soi le secret de mon être,

Ignorant jusque-là, je brûlai de savoir ;

J'examinai mon âme et j'eus peur à la voir.

Alors, et quand je l'eus à souhait regardée,

Que je la connus bien, il me vint à l'idée

De m'enquérir un peu pourquoi j'étais ainsi,

Et d'où je pouvais m'être à ce point endurci :

Car je ne pouvais pas me faire à la pensée

Qu'elle se fût si vite et si bas affaissée,

Car j'étais tout confus, car, en y bien cherchant,

Il me semblait à moi n'être pas né méchant.

En effet, je pouvais être bon. Mais j'espère

Que Dieu pardonne et fait miséricorde au père

Qui veut trop pour son fils, et lui fait désirer

Un sort où la raison lui défend d'aspirer !

Mon malheur vient de là, d'avoir pu méconnaître

L'humble condition où Dieu m'avait fait naître.

D'avoir tâché trop ****, et d'avoir prétendu

A m'élever plus haut que je ne l'aurais dû !

Hélas ! j'allai partout, chétif et misérable.

Traîner péniblement ma blessure incurable ;

Comme un pauvre à genoux au bord d'un grand chemin,

J'ai montré mon ulcère, et j'ai tendu la main ;

Malheureux matelot perdu dans un naufrage.

J'ai crié ; mais ma voix s'est mêlée à l'orage ;

Mais je n'ai rencontré personne qui voulût

Me plaindre, et me jeter la planche de salut.

Et moi, je n'allai point, libre et sans énergie.

Exhaler ma douleur en piteuse élégie.

Comme un enfant mutin pleure de ne pouvoir

Atteindre un beau fruit mûr qu'il vient d'apercevoir.

Je gardai mon chagrin pour moi, j'eus le courage

De renfermer ma haine et d'étouffer ma rage,

Personne n'entrevit ce que je ressentais.

Et l'on me crut joyeux parce que je chantais.

Tel s'est passé pour moi cet âge d'innocence

Où des songes riants bercent l'adolescence.

Sans jouir de la vie, et sans avoir jamais

Vu contenter un seul des vœux que je formais :

Jamais l'Illusion, jamais le doux Prestige,

Lutin capricieux qui rit et qui voltige,

Ne vint auprès de moi, dans son vol caressant,

Secouer sur mon front ses ailes en passant,

Et jamais voix de femme, harmonieuse et tendre,

N'a trouvé de doux mots qu'elle me fit entendre.

Une fois, une fois pourtant, sans le savoir,

J'ai cru naître à la vie, au bonheur, j'ai cru voir

Comme un éclair d'amour, une vague pensée

Qui vint luire à mon âme et qui l'a traversée,

A ce rêve si doux je crus quelques instants ;

- Mais elle est sitôt morte et voilà si longtemps !


Je me livrai dès lors à l'ardeur délirante

D'un cerveau maladif et d'une âme souffrante ;

J'entrepris de savoir tout ce que recelait

En soi le cœur humain de difforme et de laid ;

Je me donnai sans honte à ces femmes perdues

Qu'a séduites un lâche, ou qu'un père a vendues.

J'excitai dans leurs bras mes désirs épuisés,

Et je leur prodiguai mon or et mes baisers :

Près d'elles, je voulus contenter mon envie

De voir au plus profond des secrets de la vie.

J'allai, je descendis aussi **** que je pus

Dans les sombres détours de ces cœurs corrompus,

Trop heureux, quand un mot, un signe involontaire

D'un vice, neuf pour moi, trahissait le mystère,

Et qu'aux derniers replis à la fin parvenu,

Mon œil, comme leurs corps, voyait leur âme à nu.


Or, vous ne savez pas, combien à cette vie,

A poursuivre sans fin cette fatale envie

De tout voir, tout connaître, et de tout épuiser,

L'âme est prompte à s'aigrir et facile à s'user.

Malheur à qui, brûlant d'une ardeur insensée

De lire à découvert dans l'homme et sa pensée.

S'y plonge, et ne craint pas d'y fouiller trop souvent,

D'en approcher trop près, et d'y voir trop avant !

C'est ce qui m'acheva : c'est cette inquiétude

A chercher un cœur d'homme où mettre mon étude,

C'est ce mal d'avoir pu, trop jeune, apercevoir

Ce que j'aurais mieux fait de ne jamais savoir.

Désabusé de tout, je me suis vu ravie

La douce illusion qui fait aimer la vie,

Le riant avenir dont mon cœur s'est flétri,

Et ne pouvant plus croire à l'amour, j'en ai ri :

Et j'en suis venu là, que si, par occurrence,

- Je suis si jeune encore, et j'ai tant d'espérance !

- Une vierge aux doux yeux, et telle que souvent

J'en voyais autrefois m'apparaître en rêvant,

Simple, et croyant encore à la magie antique

De ces traditions du foyer domestique.

M'aimait, me le disait, et venait à son tour

Me demander sa part de mon âme en retour ;

Vierge, il faudrait me fuir, et faire des neuvaines

Pour arracher bientôt ce poison de tes veines,

Il faudrait me haïr, car moi, je ne pourrais

Te rendre cet amour que tu me donnerais,

Car je me suis damné, moi, car il faut te dire

Que je passe mes jours et mes nuits à maudire,

Que, sous cet air joyeux, je suis triste et nourris

Pour tout le genre humain le plus profond mépris :

Mais il faudrait me plaindre encore davantage

De m'être fait si vieux et si dur à cet âge,

D'avoir pu me glacer le cœur, et le fermer

A n'y laisser l'espoir ni la place d'aimer.
On lit dans les Annales de la propagation de la Foi :
« Une lettre de Hong-Kong (Chine), en date du 24 juillet
1832, nous annonce que M. Bonnard, missionnaire du
Tong-King, a été décapité pour la foi, le 1er mai dernier. »
Ce nouveau martyr était né dans le diocèse de Lyon et
appartenait à la Société des Missions étrangères. Il était
parti pour le Tong-King en 1849. »

I.

Ô saint prêtre ! grande âme ! oh ! je tombe à genoux !
Jeune, il avait encor de longs jours parmi nous,
Il n'en a pas compté le nombre ;
Il était à cet âge où le bonheur fleurit ;
Il a considéré la croix de Jésus-Christ
Toute rayonnante dans l'ombre.

Il a dit : - « C'est le Dieu de progrès et d'amour.
Jésus, qui voit ton front croit voir le front du jour.
Christ sourit à qui le repousse.
Puisqu'il est mort pour nous, je veux mourir pour lui ;
Dans son tombeau, dont j'ai la pierre pour appui,
Il m'appelle d'une voix douce.

« Sa doctrine est le ciel entr'ouvert ; par la main,
Comme un père l'enfant, il tient le genre humain ;
Par lui nous vivons et nous sommes ;
Au chevet des geôliers dormant dans leurs maisons,
Il dérobe les clefs de toutes les prisons
Et met en liberté les hommes.

« Or il est, **** de nous, une autre humanité
Qui ne le connaît point, et dans l'iniquité
Rampe enchaînée, et souffre et tombe ;
Ils font pour trouver Dieu de ténébreux efforts ;
Ils s'agitent en vain ; ils sont comme des morts
Qui tâtent le mur de leur tombe.

« Sans loi, sans but, sans guide, ils errent ici-bas.
Ils sont méchants, étant ignorants ; ils n'ont pas
Leur part de la grande conquête.
J'irai. Pour les sauver je quitte le saint lieu.
Ô mes frères, je viens vous apporter mon Dieu,
Je viens vous apporter ma tête ! » -

Prêtre, il s'est souvenu, calme en nos jours troublés,
De la parole dite aux apôtres : - Allez,  
Bravez les bûchers et les claies ! -
Et de l'adieu du Christ au suprême moment :
- Ô vivant, aimez-vous ! aimez. En vous aimant,
Frères, vous fermerez mes plaies. -

Il s'est dit qu'il est bon d'éclairer dans leur nuit
Ces peuples égarés **** du progrès qui luit,
Dont l'âme est couverte de voiles ;
Puis il s'en est allé, dans les vents, dans les flots,
Vers les noirs chevalets et les sanglants billots,
Les yeux fixés sur les étoiles.

II.

Ceux vers qui cet apôtre allait, l'ont égorgé.

III.

Oh ! tandis que là-bas, hélas ! chez ces barbares,
S'étale l'échafaud de tes membres chargé,
Que le bourreau, rangeant ses glaives et ses barres,
Frotte au gibet son ongle où ton sang s'est figé ;

Ciel ! tandis que les chiens dans ce sang viennent boire,
Et que la mouche horrible, essaim au vol joyeux,
Comme dans une ruche entre en ta bouche noire
Et bourdonne au soleil dans les trous de tes yeux ;

Tandis qu'échevelée, et sans voix, sans paupières,
Ta tête blême est là sur un infâme pieu,
Livrée aux vils affronts, meurtrie à coups de pierres,
Ici, derrière toi, martyr, on vend ton Dieu !

Ce Dieu qui n'est qu'à toi, martyr, on te le vole !
On le livre à Mandrin, ce Dieu pour qui tu meurs !
Des hommes, comme toi revêtus de l'étole,
Pour être cardinaux, pour être sénateurs,

Des prêtres, pour avoir des palais, des carrosses,
Et des jardins l'été riant sous le ciel bleu,
Pour argenter leur mitre et pour dorer leurs crosses,
Pour boire de bon vin, assis près d'un bon feu,

Au forban dont la main dans le meurtre est trempée,
Au larron chargé d'or qui paye et qui sourit,
Grand Dieu ! retourne-toi vers nous, tête coupée !
Ils vendent Jésus-Christ ! ils vendent Jésus-Christ !

Ils livrent au bandit, pour quelques sacs sordides,
L'évangile, la loi, l'autel épouvanté,
Et la justice aux yeux sévères et candides,
Et l'étoile du coeur humain, la vérité !

Les bons jetés, vivants, au bagne, ou morts, aux fleuves,
L'homme juste proscrit par Cartouche Sylla,
L'innocent égorgé, le deuil sacré des veuves,
Les pleurs de l'orphelin, ils vendent tout cela !

Tout ! la foi, le serment que Dieu tient sous sa garde,
Le saint temple où, mourant, tu dis :Introïbo,
Ils livrent tout ! pudeur, vertu ! - martyr, regarde,
Rouvre tes yeux qu'emplit la lueur du tombeau ; -

Ils vendent l'arche auguste où l'hostie étincelle !
Ils vendent Christ, te dis-je ! et ses membres liés !
Ils vendent la sueur qui sur son front ruisselle,
Et les clous de ses mains, et les clous de ses pieds !

Ils vendent au brigand qui chez lui les attire
Le grand crucifié sur les hommes penché ;
Ils vendent sa parole, ils vendent son martyre,
Et ton martyre à toi par-dessus le marché !

Tant pour les coups de fouet qu'il reçut à la porte !
César ! tant pour l'amen, tant pour l'alléluia !
Tant pour la pierre où vint heurter sa tête morte !
Tant pour le drap rougi que sa barbe essuya !

Ils vendent ses genoux meurtris, sa palme verte,
Sa plaie au flanc, son oeil tout baigné d'infini,
Ses pleurs, son agonie, et sa bouche entrouverte,
Et le cri qu'il poussa : Lamma Sabacthani !

Ils vendent le sépulcre ! ils vendent les ténèbres !
Les séraphins chantant au seuil profond des cieux,
Et la mère debout sous l'arbre aux bras funèbres,
Qui, sentant là son fils, ne levait pas les yeux !

Oui, ces évêques, oui, ces marchands, oui, ces prêtres
A l'histrion du crime, assouvi, couronné,
A ce Néron repu qui rit parmi les traîtres,
Un pied sur Thraséas, un coude sur Phryné,

Au voleur qui tua les lois à coups de crosse,
Au pirate empereur Napoléon dernier,
Ivre deux fois, immonde encor plus que féroce,
Pourceau dans le cloaque et loup dans le charnier,

Ils vendent, ô martyr, le Dieu pensif et pâle
Qui, debout sur la terre et sous le firmament,
Triste et nous souriant dans notre nuit fatale,
Sur le noir Golgotha saigne éternellement !

Du 5 au 8 novembre 1852, à Jersey
Paul d'Aubin Jan 2015
Dame Maladie lâchez moi donc un peu !

Dame Maladie vous fûtes une compagne,
Empressée, aux soins jaloux.
Souvent c'était le nez coulant, plus que nature.
qui  donnait  au sinus, brûlures de vinaigre.
Enfant c'était l'asthme, d'étouffements suivis,
M'empêchant de dormir, autrement qu'en fauteuil.

Puis dans les années ou tant de sots font carrière,
Ce fut la Melancholia et des longues angoisses,
La sensation terrible de ne pouvoir écrire,
En tout cas au rythme que l'on m'avait fixé,
et les conseil idiots, de tant de bien-portants,
souvent suivi de honte de me voir méprisé.

Puis vint cet eczéma comme une fournaise,
Faisant brûler la peau, comme de,  feu Nessus,
La tunique brûlante, puis l'envie de gratter,
Qui soulage la peine avant de l'aggraver.
et mon corps désormais, prenant peur du salé de la mer,
dont enfant j'aimais tant à chevaucher les vagues.

Quelques années plus ****, l'intestin, à son tour,
Vint s'occuper de moi et me tenir prostré,
Car riz, charbon et coing restaient insuffisants,
Pour stopper les coliques qui me tenaient chez moi,
la position couchée devenant un refuge,
et seule la lecture me tenait compagnie.

Certes la Médecine est une grande Dame.
Que j'appris a connaître au delà du commun.
Elle sait bien soulager mais rarement guérir.
Et sa fréquentation n'admet point le divorce.
Un jour, peut être, hélas, mes sens s'apaiseront.
Mais pour un long sommeil qui se nomme la Mort,

Paul Arrighi
I.

Ô vous, mes vieux amis, si jeunes autrefois,
Qui comme moi des jours avez porté le poids,
Qui de plus d'un regret frappez la tombe sourde,
Et qui marchez courbés, car la sagesse est lourde ;
Mes amis ! qui de vous, qui de nous n'a souvent,
Quand le deuil à l'œil sec, au visage rêvant,
Cet ami sérieux qui blesse et qu'on révère,
Avait sur notre front posé sa main sévère,
Qui de nous n'a cherché le calme dans un chant !
Qui n'a, comme une sœur qui guérit en touchant,
Laissé la mélodie entrer dans sa pensée !
Et, sans heurter des morts la mémoire bercée,
N'a retrouvé le rire et les pleurs à la fois
Parmi les instruments, les flûtes et les voix !

Qui de nous, quand sur lui quelque douleur s'écoule,
Ne s'est glissé, vibrant au souffle de la foule,
Dans le théâtre empli de confuses rumeurs !
Comme un soupir parfois se perd dans des clameurs,
Qui n'a jeté son âme, à ces âmes mêlée,
Dans l'orchestre où frissonne une musique ailée,
Où la marche guerrière expire en chant d'amour,
Où la basse en pleurant apaise le tambour !

II.

Écoutez ! écoutez ! du maître qui palpite,
Sur tous les violons l'archet se précipite.
L'orchestre tressaillant rit dans son antre noir.
Tout parle. C'est ainsi qu'on entend sans les voir,
Le soir, quand la campagne élève un sourd murmure,
Rire les vendangeurs dans une vigne mûre.
Comme sur la colonne un frêle chapiteau,
La flûte épanouie a monté sur l'alto.
Les gammes, chastes sœurs dans la vapeur cachées,
Vident et remplissent leurs amphores penchées,
Se tiennent par la main et chantent tour à tour.
Tandis qu'un vent léger fait flotter alentour,
Comme un voile folâtre autour d'un divin groupe,
Ces dentelles du son que le fifre découpe.
Ciel ! voilà le clairon qui sonne. À cette voix,
Tout s'éveille en sursaut, tout bondit à la fois.

La caisse aux mille échos, battant ses flancs énormes,
Fait hurler le troupeau des instruments difformes,
Et l'air s'emplit d'accords furieux et sifflants
Que les serpents de cuivre ont tordus dans leurs flancs.
Vaste tumulte où passe un hautbois qui soupire !
Soudain du haut en bas le rideau se déchire ;
Plus sombre et plus vivante à l'œil qu'une forêt,
Toute la symphonie en un hymne apparaît.
Puis, comme en un chaos qui reprendrait un monde,
Tout se perd dans les plis d'une brume profonde.
Chaque forme du chant passe en disant : Assez !
Les sons étincelants s'éteignent dispersés.
Une nuit qui répand ses vapeurs agrandies
Efface le contour des vagues mélodies,
Telles que des esquifs dont l'eau couvre les mâts ;
Et la strette, jetant sur leur confus amas
Ses tremblantes lueurs largement étalées,
Retombe dans cette ombre en grappes étoilées !

Ô concert qui s'envole en flamme à tous les vents !
Gouffre où le crescendo gonfle ses flots mouvants !
Comme l'âme s'émeut ! comme les cœurs écoutent !
Et comme cet archet d'où les notes dégouttent,
Tantôt dans le lumière et tantôt dans la nuit,
Remue avec fierté cet orage de bruit !

III.

Puissant Palestrina, vieux maître, vieux génie,
Je vous salue ici, père de l'harmonie,
Car, ainsi qu'un grand fleuve où boivent les humains,
Toute cette musique a coulé dans vos mains !
Car Gluck et Beethoven, rameaux sous qui l'on rêve,
Sont nés de votre souche et faits de votre sève !
Car Mozart, votre fils, a pris sur vos autels
Cette nouvelle lyre inconnue aux mortels,
Plus tremblante que l'herbe au souffle des aurores,
Née au seizième siècle entre vos doigts sonores !
Car, maître, c'est à vous que tous nos soupirs vont,
Sitôt qu'une voix chante et qu'une âme répond !

Oh ! ce maître, pareil au créateur qui fonde,
Comment dit-il jaillir de sa tête profonde
Cet univers de sons, doux et sombre à la fois,
Écho du Dieu caché dont le monde est la voix ?
Où ce jeune homme, enfant de la blonde Italie,
Prit-il cette âme immense et jusqu'aux bords remplie ?
Quel souffle, quel travail, quelle intuition,
Fit de lui ce géant, dieu de l'émotion,
Vers qui se tourne l'œil qui pleure et qui s'essuie,
Sur qui tout un côté du cœur humain s'appuie ?
D'où lui vient cette voix qu'on écoute à genoux ?
Et qui donc verse en lui ce qu'il reverse en nous ?

IV.

Ô mystère profond des enfances sublimes !
Qui fait naître la fleur au penchant des abîmes,
Et le poète au bord des sombres passions ?
Quel dieu lui trouble l'œil d'étranges visions ?
Quel dieu lui montre l'astre au milieu des ténèbres,
Et, comme sous un crêpe aux plis noirs et funèbres
On voit d'une beauté le sourire enivrant,
L'idéal à travers le réel transparent ?
Qui donc prend par la main un enfant dès l'aurore
Pour lui dire : - " En ton âme il n'est pas jour encore.
Enfant de l'homme ! avant que de son feu vainqueur
Le midi de la vie ait desséché ton cœur,
Viens, je vais t'entrouvrir des profondeurs sans nombre !
Viens, je vais de clarté remplir tes yeux pleins d'ombre !
Viens, écoute avec moi ce qu'on explique ailleurs,
Le bégaiement confus des sphères et des fleurs ;
Car, enfant, astre au ciel ou rose dans la haie,
Toute chose innocente ainsi que toi bégaie !
Tu seras le poète, un homme qui voit Dieu !
Ne crains pas la science, âpre sentier de feu,
Route austère, il est vrai, mais des grands cœurs choisies,
Que la religion et que la poésie
Bordent des deux côtés de leur buisson fleuri.
Quand tu peux en chemin, ô bel enfant chéri,
Cueillir l'épine blanche et les clochettes bleues,
Ton petit pas se joue avec les grandes lieues.
Ne crains donc pas l'ennui ni la fatigue. - Viens !
Écoute la nature aux vagues entretiens.
Entends sous chaque objet sourdre la parabole.
Sous l'être universel vois l'éternel symbole,
Et l'homme et le destin, et l'arbre et la forêt,
Les noirs tombeaux, sillons où germe le regret ;
Et, comme à nos douleurs des branches attachées,
Les consolations sur notre front penchées,
Et, pareil à l'esprit du juste radieux,
Le soleil, cette gloire épanouie aux cieux !

V.

Dieu ! que Palestrina, dans l'homme et dans les choses,
Dut entendre de voix joyeuse et moroses !
Comme on sent qu'à cet âge où notre cœur sourit,
Où lui déjà pensait, il a dans son esprit
Emporté, comme un fleuve à l'onde fugitive,
Tout ce que lui jetait la nuée ou la rive !
Comme il s'est promené, tout enfant, tout pensif,
Dans les champs, et, dès l'aube, au fond du bois massif,
Et près du précipice, épouvante des mères !
Tour à tour noyé d'ombre, ébloui de chimères,
Comme il ouvrait son âme alors que le printemps
Trempe la berge en fleur dans l'eau des clairs étangs,
Que le lierre remonte aux branches favorites,
Que l'herbe aux boutons d'or mêle les marguerites !

A cette heure indécise où le jour va mourir,
Où tout s'endort, le cœur oubliant de souffrir,
Les oiseaux de chanter et les troupeaux de paître,
Que de fois sous ses yeux un chariot champêtre,
Groupe vivant de bruit, de chevaux et de voix,
A gravi sur le flanc du coteau dans les bois
Quelque route creusée entre les ocres jaunes,
Tandis que, près d'une eau qui fuyait sous les aulnes,
Il écoutait gémir dans les brumes du soir
Une cloche enrouée au fond d'un vallon noir !

Que de fois, épiant la rumeur des chaumières,
Le brin d'herbe moqueur qui siffle entre deux pierres,
Le cri plaintif du soc gémissant et traîné,
Le nid qui jase au fond du cloître ruiné
D'où l'ombre se répand sur les tombes des moines,
Le champ doré par l'aube où causent les avoines
Qui pour nous voir passer, ainsi qu'un peuple heureux,
Se penchent en tumulte au bord du chemin creux,
L'abeille qui gaiement chante et parle à la rose,
Parmi tous ces objets dont l'être se compose,
Que de fois il rêva, scrutateur ténébreux,
Cherchant à s'expliquer ce qu'ils disaient entre eux !

Et chaque soir, après ses longues promenades,
Laissant sous les balcons rire les sérénades,
Quand il s'en revenait content, grave et muet,
Quelque chose de plus dans son cœur remuait.
Mouche, il avait son miel ; arbuste, sa rosée.
Il en vint par degrés à ce qu'en sa pensée
Tout vécut. - Saint travail que les poètes font ! -
Dans sa tête, pareille à l'univers profond,
L'air courait, les oiseaux chantaient, la flamme et l'onde
Se courbaient, la moisson dorait la terre blonde,
Et les toits et les monts et l'ombre qui descend
Se mêlaient, et le soir venait, sombre et chassant
La brute vers son antre et l'homme vers son gîte,
Et les hautes forêts, qu'un vent du ciel agite,
Joyeuses de renaître au départ des hivers,
Secouaient follement leurs grands panaches verts !

C'est ainsi qu'esprit, forme, ombre, lumière et flamme,
L'urne du monde entier s'épancha dans son âme !

VI.

Ni peintre, ni sculpteur ! Il fut musicien.
Il vint, nouvel Orphée, après l'Orphée ancien ;
Et, comme l'océan n'apporte que sa vague,
Il n'apporta que l'art du mystère et du vague !
La lyre qui tout bas pleure en chantant bien haut !
Qui verse à tous un son où chacun trouve un mot !
Le luth où se traduit, plus ineffable encore,
Le rêve inexprimé qui s'efface à l'aurore !
Car il ne voyait rien par l'angle étincelant,
Car son esprit, du monde immense et fourmillant
Qui pour ses yeux nageait dans l'ombre indéfinie,
Éteignait la couleur et tirait l'harmonie !
Ainsi toujours son hymne, en descendant des cieux,
Pénètre dans l'esprit par le côté pieux,
Comme un rayon des nuits par un vitrail d'église !
En écoutant ses chants que l'âme idéalise,
Il semble, à ces accords qui, jusqu'au cœur touchant,
Font sourire le juste et songer le méchant,
Qu'on respire un parfum d'encensoirs et de cierges,
Et l'on croit voir passer un de ces anges-vierges
Comme en rêvait Giotto, comme Dante en voyait,
Êtres sereins posés sur ce monde inquiet,
À la prunelle bleue, à la robe d'opale,
Qui, tandis qu'au milieu d'un azur déjà pâle
Le point d'or d'une étoile éclate à l'orient,
Dans un beau champ de trèfle errent en souriant !

VII.

Heureux ceux qui vivaient dans ce siècle sublime
Où, du génie humain dorant encor la cime,
Le vieux soleil gothique à l'horizon mourait !
Où déjà, dans la nuit emportant son secret,
La cathédrale morte en un sol infidèle
Ne faisait plus jaillir d'églises autour d'elle !
Être immense obstruée encore à tous degrés,
Ainsi qu'une Babel aux abords encombrés,
De donjons, de beffrois, de flèches élancées,
D'édifices construits pour toutes les pensées ;
De génie et de pierre énorme entassement ;
Vaste amas d'où le jour s'en allait lentement !
Siècle mystérieux où la science sombre
De l'antique Dédale agonisait dans l'ombre,
Tandis qu'à l'autre bout de l'horizon confus,
Entre Tasse et Luther, ces deux chênes touffus,
Sereine, et blanchissant de sa lumière pure
Ton dôme merveilleux, ô sainte Architecture,
Dans ce ciel, qu'Albert Düre admirait à l'écart,
La Musique montait, cette lune de l'art !

Le 29 mai 1837.
Paul d'Aubin Dec 2013
Ulysse, la Méditerranée et ses rapports avec les  Femmes.

Parti à contre cœur, ayant même contrefait le fou, pour se soustraire à la guerre et élever ton fils Télémaque, tu dus partir à Troie, et sus t'y montrer brave, mais surtout fin stratège.
La guerre fut bien longue, pas du tout comme celle que chantait les Aèdes. L'ennemi ressemblait tant à nos guerriers Achéens, courageux et aussi sûrs de leur droit que nous l'étions du notre. Que de sang, que de peine ! Tu vis périr Patrocle, ne pus sauver Achille ; et les morts aux corps déchiquetés par les épées se substituèrent aux coupes de ce vin si enivrant qu'est la rhétorique guerrière et à la funeste illusion d'une victoire facile. Ulysse tu eus l'idée de bâtir ce grand vaisseau dont la proue figurait une tête de cheval. Ainsi les Achéens purent entrer dans le port forteresse si bien gardé. Mais quand la nuit noire et le vin mêlés ôtèrent aux courageux Troyens leur vigilance et leur garde, vous sortirent alors des flancs du bateau et vous précipitèrent pour ouvrir grands les portes aux guerriers Achéens. La suite fut un grand carnage de guerriers Troyens mais aussi de non combattants et même de femmes. Et Troie, la fière, la courageuse ne fut plus ville libre et les survivants de son Peuple connurent l'esclavage. Aussi quand Troie fut conquise et que ses rue coulèrent rouges du sang vermeil de ses défenseur, mais aussi de nombreux civils, tu songeas à retourner chez toi, car tu étais roi, et ton fils Télémaque aurait besoin de toi et Pénélope t'aimait. Les souvenirs d'émois et de tendres caresses faisaient encore frissonner la harpe de ton corps de souvenirs très doux. C'est alors que tu dus affronter la Déesse Athéna et ton double, tous deux vigilants, à tester ta sincérité et ta constance. Oh, toi Homme volage et point encore rassasié de voyages et de conquêtes. L'étendue de la mer te fut donnée comme le théâtre même de ta vérité profonde. Après bien des voyages et avoir perdu nombre de tes compagnons, tu fus poussé dans l'île de la nymphe Calypso. Cette immortelle à la chevelure, si joliment bouclée se trouvait dans son île d'arbustes odoriférants. Aussi fit-elle tout pour te garder. Toi-même, tu lui trouvas de l'ardeur et des charmes même si durant le jour tu te laissais aller à la nostalgie d'Ithaque. La belle immortelle te proposas, pour te garder, de te donner cet attribut si recherché qui empêche à jamais de sombrer dans le sommeil perpétuel. Mais toi, Ulysse, tu préféras garder ton destin d'homme mortel et ton inguérissable blessure pour Ithaque. Après sept années d’une prison si douce, l'intervention d'Athéna te rendit aux aventures de la Mer. Tu accostas, avec tes compagnons sur la côte d’une île malfaisante. C'était la demeure des Cyclopes. Parmi ce Peuple de géants, le cyclope Polyphème habitait une grotte profonde d'où il faisait rentrer chaque soir son troupeau. Ulysse quelle folie traversa ton esprit et celui de tes compagnons que de vouloir pénétrer dans cette antre maudite, mû à la fois par la curiosité et la volonté de faire quelques larcins de chèvres ? Vous payèrent bien cher cette offense par la cruelle dévoration que fit l'infâme Polyphème de plusieurs de tes compagnons dont vous entendîtes craquer les os sous la mâchoire du sauvage. Aussi votre courage fut renforcé par votre haine lorsque vous lui plantèrent l'épieu dans son œil unique alors que sa vigilance venait d'être endormie par le vin. Les barques ayant mouillés dans l'île d'Aiaé, tes compagnons imprudents furent transformés en pourceaux par la belle et cruelle Magicienne Circée. Doté d'un contre poison à ses filtres, tu ne restas cependant pas insensible aux charmes de la belle Magicienne mais tu lui fis prononcer le grand serment avant de répondre à tes avances. Elle accepta pour faire de toi son amant de redonner leur forme humaine à tes compagnons, Et vos nuits furent tendres, sensuelles et magiques car la Magicienne excellait dans les arts de l'amour et il en naquit un fils. Toi le rusé et courageux Ulysse, tu espérais enfin voguer avec délice sur une mer d'huile parcourue par les reflets d'argent des poissons volants et te réjouir des facéties des dauphins, Mais c'était oublier et compter pour peu la rancune de Poséidon, le maître des eaux, rendu furieux par le traitement subi par son fils Polyphème. C'est pour cela qu'une masse d'eau compacte, haute comme une haute tour avançant au grand galop ébranla et engloutit ton solide radeau. Seul ton réflexe prompt de t'accrocher au plus grand des troncs te permis de plonger longuement au fonds des eaux en retenant longtemps ton souffle avant d’émerger à nouveaux. La troisième des belles que ton voyage tumultueux te fit rencontrer fut la jeune Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, Alcinoos. Celle-ci, dans la floraison de sa jeunesse, ardente et vive, ne cédait en rien à l'éclat des plus belles et subtiles fleurs. Guidée par la déesse Athéna, elle vint auprès du fleuve ou tu dormais laver les habits royaux avec ses suivantes. Les voix des jeunes filles t'éveillèrent. Dans ta détresse et ta nudité, tu jetas l'effroi parmi les jeunes filles. Seule Nausicaa eut le courage de ne pas fuir et d'écouter ta demande d'aide. Elle rappela ses suivantes et te fit vêtir après que ton corps ait été lavé par l'eau du fleuve et enduit d'huile fine. Tu retrouvas ta force et ta beauté. Aussi Nausicaa vit en toi l'époux qu'elle désirait. Mais, ta nostalgie d'Ithaque fut encore plus forte. Alors Nausicaa te pria seulement, en ravalant ses larmes, de ne point oublier qu'elle t'avait sauvé des flots. Amené tout ensommeillé dans le vaisseau mené par les rameurs Phéaciens si bien aguerris à leur tâche, tu étais comme bercé par le bruit régulier des rames et le mouvement profond d'une mer douce mais étincelante. C'était comme dans ces rêves très rares qui vous mènent sur l'Olympe. Jamais tu ne te sentis si bien avec ce goût d’embrun salé sur tes lèvres et ce bruit régulier et sec du claquement des rames sur les flots. Tu éprouvas la sensation de voguer vers un nouveau Monde. Ce fut, Ulysse, l'un des rares moments de félicité absolue dans une vie de combats, de feu et du malheur d'avoir vu périr tous tes valeureux compagnons. Ulysse revenu dans ton palais, déguisé en mendiants pour châtier les prétendants, tu triomphas au tir à l'arc. Mais l'heure de la vindicte avait sonné. La première de tes flèches perça la gorge d'Antinoos, buvant sa coupe. Nul ne put te fléchir Ulysse, pas même, l'éloquent Eurymaque qui t'offrait de t'apporter réparations pour tes provisions goulument mangés et tes biens dilapidés. Le pardon s'effaça en toi car l'offense faite à ta femme et à ton fils et à ton honneur était trop forte. Aussi tu n'eus pas la magnanimité de choisir la clémence et le sang coula dans ton palais comme le vin des outres. Pas un des prétendants ne fut épargné à l'exception du chanteur de Lyre, Phénios et du héraut Médon qui avait protégé Télémaque.
Mais Ulysse, tu ne fus pas grand en laissant condamner à la pendaison hideuse, douze servantes qui avaient outragé Pénélope et partagé leur couche avec les prétendants. Ulysse tu fus tant aimé des déesses, des nymphes et des femmes et souvent sauvé du pire par celles qui te donnèrent plaisir et descendance. Mais obsédé par tes roches d'Ithaque ne sus pas leur rendre l'amour qu'elles te portèrent. Tu ne fus pas non plus à la hauteur de la constance et de la fidélité de Pénélope. Mais Ulysse poursuivi par la fatalité de l'exil et de l'errance et la rancune de Poséidon, tu fus aussi le préféré de la déesse Athéna qui fit tant et plus pour te sauver maintes fois de ta perte. Cette déesse fut la vraie sauvegarde de ta vie aventureuse et les femmes qui te chérirent t'apportèrent maintes douceurs et consolations dans ta vie tumultueuse.

Paul Arrighi, Toulouse, (France) 2013.
Le poète

Le mal dont j'ai souffert s'est enfui comme un rêve.
Je n'en puis comparer le lointain souvenir
Qu'à ces brouillards légers que l'aurore soulève,
Et qu'avec la rosée on voit s'évanouir.

La muse

Qu'aviez-vous donc, ô mon poète !
Et quelle est la peine secrète
Qui de moi vous a séparé ?
Hélas ! je m'en ressens encore.
Quel est donc ce mal que j'ignore
Et dont j'ai si longtemps pleuré ?

Le poète

C'était un mal vulgaire et bien connu des hommes ;
Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le coeur,
Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,
Que personne avant nous n'a senti la douleur.

La muse

Il n'est de vulgaire chagrin
Que celui d'une âme vulgaire.
Ami, que ce triste mystère
S'échappe aujourd'hui de ton sein.
Crois-moi, parle avec confiance ;
Le sévère dieu du silence
Est un des frères de la Mort ;
En se plaignant on se console,
Et quelquefois une parole
Nous a délivrés d'un remord.

Le poète

S'il fallait maintenant parler de ma souffrance,
Je ne sais trop quel nom elle devrait porter,
Si c'est amour, folie, orgueil, expérience,
Ni si personne au monde en pourrait profiter.
Je veux bien toutefois t'en raconter l'histoire,
Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer.
Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoire
Au son de tes accords doucement s'éveiller.

La muse

Avant de me dire ta peine,
Ô poète ! en es-tu guéri ?
Songe qu'il t'en faut aujourd'hui
Parler sans amour et sans haine.
S'il te souvient que j'ai reçu
Le doux nom de consolatrice,
Ne fais pas de moi la complice
Des passions qui t'ont perdu,

Le poète

Je suis si bien guéri de cette maladie,
Que j'en doute parfois lorsque j'y veux songer ;
Et quand je pense aux lieux où j'ai risqué ma vie,
J'y crois voir à ma place un visage étranger.
Muse, sois donc sans crainte ; au souffle qui t'inspire
Nous pouvons sans péril tous deux nous confier.
Il est doux de pleurer, il est doux de sourire
Au souvenir des maux qu'on pourrait oublier.

La muse

Comme une mère vigilante
Au berceau d'un fils bien-aimé,
Ainsi je me penche tremblante
Sur ce coeur qui m'était fermé.
Parle, ami, - ma lyre attentive
D'une note faible et plaintive
Suit déjà l'accent de ta voix,
Et dans un rayon de lumière,
Comme une vision légère,
Passent les ombres d'autrefois.

Le poète

Jours de travail ! seuls jours où j'ai vécu !
Ô trois fois chère solitude !
Dieu soit loué, j'y suis donc revenu,
À ce vieux cabinet d'étude !
Pauvre réduit, murs tant de fois déserts,
Fauteuils poudreux, lampe fidèle,
Ô mon palais, mon petit univers,
Et toi, Muse, ô jeune immortelle,
Dieu soit loué, nous allons donc chanter !
Oui, je veux vous ouvrir mon âme,
Vous saurez tout, et je vais vous conter
Le mal que peut faire une femme ;
Car c'en est une, ô mes pauvres amis
(Hélas ! vous le saviez peut-être),
C'est une femme à qui je fus soumis,
Comme le serf l'est à son maître.
Joug détesté ! c'est par là que mon coeur
Perdit sa force et sa jeunesse ;
Et cependant, auprès de ma maîtresse,
J'avais entrevu le bonheur.
Près du ruisseau, quand nous marchions ensemble,
Le soir, sur le sable argentin,
Quand devant nous le blanc spectre du tremble
De **** nous montrait le chemin ;
Je vois encore, aux rayons de la lune,
Ce beau corps plier dans mes bras...
N'en parlons plus... - je ne prévoyais pas
Où me conduirait la Fortune.
Sans doute alors la colère des dieux
Avait besoin d'une victime ;
Car elle m'a puni comme d'un crime
D'avoir essayé d'être heureux.

La muse

L'image d'un doux souvenir
Vient de s'offrir à ta pensée.
Sur la trace qu'il a laissée
Pourquoi crains-tu de revenir ?
Est-ce faire un récit fidèle
Que de renier ses beaux jours ?
Si ta fortune fut cruelle,
Jeune homme, fais du moins comme elle,
Souris à tes premiers amours.

Le poète

Non, - c'est à mes malheurs que je prétends sourire.  
Muse, je te l'ai dit : je veux, sans passion,
Te conter mes ennuis, mes rêves, mon délire,
Et t'en dire le temps, l'heure et l'occasion.
C'était, il m'en souvient, par une nuit d'automne,
Triste et froide, à peu près semblable à celle-ci ;
Le murmure du vent, de son bruit monotone,
Dans mon cerveau lassé berçait mon noir souci.
J'étais à la fenêtre, attendant ma maîtresse ;
Et, tout en écoutant dans cette obscurité,
Je me sentais dans l'âme une telle détresse
Qu'il me vint le soupçon d'une infidélité.
La rue où je logeais était sombre et déserte ;
Quelques ombres passaient, un falot à la main ;
Quand la bise sifflait dans la porte entr'ouverte,
On entendait de **** comme un soupir humain.
Je ne sais, à vrai dire, à quel fâcheux présage
Mon esprit inquiet alors s'abandonna.
Je rappelais en vain un reste de courage,
Et me sentis frémir lorsque l'heure sonna.
Elle ne venait pas. Seul, la tête baissée,
Je regardai longtemps les murs et le chemin,
Et je ne t'ai pas dit quelle ardeur insensée
Cette inconstante femme allumait en mon sein ;
Je n'aimais qu'elle au monde, et vivre un jour sans elle
Me semblait un destin plus affreux que la mort.
Je me souviens pourtant qu'en cette nuit cruelle
Pour briser mon lien je fis un long effort.
Je la nommai cent fois perfide et déloyale,
Je comptai tous les maux qu'elle m'avait causés.
Hélas ! au souvenir de sa beauté fatale,
Quels maux et quels chagrins n'étaient pas apaisés !
Le jour parut enfin. - Las d'une vaine attente,
Sur le bord du balcon je m'étais assoupi ;
Je rouvris la paupière à l'aurore naissante,
Et je laissai flotter mon regard ébloui.
Tout à coup, au détour de l'étroite ruelle,
J'entends sur le gravier marcher à petit bruit...
Grand Dieu ! préservez-moi ! je l'aperçois, c'est elle ;
Elle entre. - D'où viens-tu ? Qu'as-tu fait cette nuit ?
Réponds, que me veux-tu ? qui t'amène à cette heure ?
Ce beau corps, jusqu'au jour, où s'est-il étendu ?
Tandis qu'à ce balcon, seul, je veille et je pleure,
En quel lieu, dans quel lit, à qui souriais-tu ?
Perfide ! audacieuse ! est-il encor possible
Que tu viennes offrir ta bouche à mes baisers ?
Que demandes-tu donc ? par quelle soif horrible
Oses-tu m'attirer dans tes bras épuisés ?
Va-t'en, retire-toi, spectre de ma maîtresse !
Rentre dans ton tombeau, si tu t'en es levé ;
Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse,
Et, quand je pense à toi, croire que j'ai rêvé !

La muse

Apaise-toi, je t'en conjure ;
Tes paroles m'ont fait frémir.
Ô mon bien-aimé ! ta blessure
Est encor prête à se rouvrir.
Hélas ! elle est donc bien profonde ?
Et les misères de ce monde
Sont si lentes à s'effacer !
Oublie, enfant, et de ton âme
Chasse le nom de cette femme,
Que je ne veux pas prononcer.

Le poète

Honte à toi qui la première
M'as appris la trahison,
Et d'horreur et de colère
M'as fait perdre la raison !
Honte à toi, femme à l'oeil sombre,
Dont les funestes amours
Ont enseveli dans l'ombre
Mon printemps et mes beaux jours !
C'est ta voix, c'est ton sourire,
C'est ton regard corrupteur,
Qui m'ont appris à maudire
Jusqu'au semblant du bonheur ;
C'est ta jeunesse et tes charmes
Qui m'ont fait désespérer,
Et si je doute des larmes,
C'est que je t'ai vu pleurer.
Honte à toi, j'étais encore
Aussi simple qu'un enfant ;
Comme une fleur à l'aurore,
Mon coeur s'ouvrait en t'aimant.
Certes, ce coeur sans défense
Put sans peine être abusé ;
Mais lui laisser l'innocence
Était encor plus aisé.
Honte à toi ! tu fus la mère
De mes premières douleurs,
Et tu fis de ma paupière
Jaillir la source des pleurs !
Elle coule, sois-en sûre,
Et rien ne la tarira ;
Elle sort d'une blessure
Qui jamais ne guérira ;
Mais dans cette source amère
Du moins je me laverai,
Et j'y laisserai, j'espère,
Ton souvenir abhorré !

La muse

Poète, c'est assez. Auprès d'une infidèle,
Quand ton illusion n'aurait duré qu'un jour,
N'outrage pas ce jour lorsque tu parles d'elle ;
Si tu veux être aimé, respecte ton amour.
Si l'effort est trop grand pour la faiblesse humaine
De pardonner les maux qui nous viennent d'autrui,
Épargne-toi du moins le tourment de la haine ;
À défaut du pardon, laisse venir l'oubli.
Les morts dorment en paix dans le sein de la terre :
Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints.
Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière ;
Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains.
Pourquoi, dans ce récit d'une vive souffrance,
Ne veux-tu voir qu'un rêve et qu'un amour trompé ?
Est-ce donc sans motif qu'agit la Providence
Et crois-tu donc distrait le Dieu qui t'a frappé ?
Le coup dont tu te plains t'a préservé peut-être,
Enfant ; car c'est par là que ton coeur s'est ouvert.
L'homme est un apprenti, la douleur est son maître,
Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert.
C'est une dure loi, mais une loi suprême,
Vieille comme le monde et la fatalité,
Qu'il nous faut du malheur recevoir le baptême,
Et qu'à ce triste prix tout doit être acheté.
Les moissons pour mûrir ont besoin de rosée ;
Pour vivre et pour sentir l'homme a besoin des pleurs ;
La joie a pour symbole une plante brisée,
Humide encor de pluie et couverte de fleurs.
Ne te disais-tu pas guéri de ta folie ?
N'es-tu pas jeune, heureux, partout le bienvenu ?
Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie,
Si tu n'avais pleuré, quel cas en ferais-tu ?
Lorsqu'au déclin du jour, assis sur la bruyère,
Avec un vieil ami tu bois en liberté,
Dis-moi, d'aussi bon coeur lèverais-tu ton verre,
Si tu n'avais senti le prix de la gaîté ?
Aimerais-tu les fleurs, les prés et la verdure,
Les sonnets de Pétrarque et le chant des oiseaux,
Michel-Ange et les arts, Shakspeare et la nature,
Si tu n'y retrouvais quelques anciens sanglots ?
Comprendrais-tu des cieux l'ineffable harmonie,
Le silence des nuits, le murmure des flots,
Si quelque part là-bas la fièvre et l'insomnie
Ne t'avaient fait songer à l'éternel repos ?
N'as-tu pas maintenant une belle maîtresse ?
Et, lorsqu'en t'endormant tu lui serres la main,
Le lointain souvenir des maux de ta jeunesse
Ne rend-il pas plus doux son sourire divin ?
N'allez-vous pas aussi vous promener ensemble
Au fond des bois fleuris, sur le sable argentin ?
Et, dans ce vert palais, le blanc spectre du tremble
Ne sait-il plus, le soir, vous montrer le chemin ?
Ne vois-tu pas alors, aux rayons de la lune,
Plier comme autrefois un beau corps dans tes bras,
Et si dans le sentier tu trouvais la Fortune,
Derrière elle, en chantant, ne marcherais-tu pas ?
De quoi te plains-tu donc ? L'immortelle espérance
S'est retrempée en toi sous la main du malheur.
Pourquoi veux-tu haïr ta jeune expérience,
Et détester un mal qui t'a rendu meilleur ?
Ô mon enfant ! plains-la, cette belle infidèle,
Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux ;
Plains-la ! c'est une femme, et Dieu t'a fait, près d'elle,
Deviner, en souffrant, le secret des heureux.
Sa tâche fut pénible ; elle t'aimait peut-être ;
Mais le destin voulait qu'elle brisât ton coeur.
Elle savait la vie, et te l'a fait connaître ;
Une autre a recueilli le fruit de ta douleur.
Plains-la ! son triste amour a passé comme un songe ;
Elle a vu ta blessure et n'a pu la fermer.
Dans ses larmes, crois-moi, tout n'était pas mensonge.
Quand tout l'aurait été, plains-la ! tu sais aimer.

Le poète

Tu dis vrai : la haine est impie,
Et c'est un frisson plein d'horreur
Quand cette vipère assoupie
Se déroule dans notre coeur.
Écoute-moi donc, ô déesse !
Et sois témoin de mon serment :
Par les yeux bleus de ma maîtresse,
Et par l'azur du firmament ;
Par cette étincelle brillante
Qui de Vénus porte le nom,
Et, comme une perle tremblante,
Scintille au **** sur l'horizon ;
Par la grandeur de la nature,
Par la bonté du Créateur,
Par la clarté tranquille et pure
De l'astre cher au voyageur.
Par les herbes de la prairie,
Par les forêts, par les prés verts,
Par la puissance de la vie,
Par la sève de l'univers,
Je te bannis de ma mémoire,
Reste d'un amour insensé,
Mystérieuse et sombre histoire
Qui dormiras dans le passé !
Et toi qui, jadis, d'une amie
Portas la forme et le doux nom,
L'instant suprême où je t'oublie
Doit être celui du pardon.
Pardonnons-nous ; - je romps le charme
Qui nous unissait devant Dieu.
Avec une dernière larme
Reçois un éternel adieu.
- Et maintenant, blonde rêveuse,
Maintenant, Muse, à nos amours !
Dis-moi quelque chanson joyeuse,
Comme au premier temps des beaux jours.
Déjà la pelouse embaumée
Sent les approches du matin ;
Viens éveiller ma bien-aimée,
Et cueillir les fleurs du jardin.
Viens voir la nature immortelle
Sortir des voiles du sommeil ;
Nous allons renaître avec elle
Au premier rayon du soleil !
Mark Sep 2019
There's now proof, that a Russian flesh-eating cannibal is in the good old US of A

He would offer you toxic ingredients, including gasoline and lighter fluid, I'd say

But, because its tell-tale scaly sores, are similar to another well known leacher

They initially played down concerns, saying, "they're not seeing signs of the creature"

My boyfriend had maggots coming out of his leg, after a recent foreign scare

I know people don't want to hear stuff like that, but it is really happening out there



Snap goes the toothless crocodile, one, two, three

Wangsta da Gangsta, had a great haul

Ring a ding a ling, 'cause they deliver the first for free

Jim and Joan went into da hood, to fetch nothin' much at all



They fall to the charlatans, that promise you a crystal ball

A little at first and then some more, that's for sure

It will make you snap, give you curls and dance you a little twirl

Star gazing thru the sun ray and day tripping into a wayward night

That's why if you use crocodile juice, it will do more than shake ya loose

Destroying our souls, creating huge holes and build mountains out of moles



Snap goes the toothless crocodile, one, two, three

Wangsta da Gangsta, had a great haul

Ring a ding a ling, 'cause they deliver the first for free

Jim and Joan went into da hood, to fetch nothin' much at all



Mr Jeffrey Vint has become less popular among his abusers

I say, "they're all losers", but I guess, beggars can't be choosers

Some mother's even gave birth with two thumbs, but those babies are now total ****

Others think the monster could be at large, maybe roaming your neighbourhood  

Put a stop to this croc's chomp, before it destroys everything in the swamp

Get your doctor to prescribe a stronger drug, to conquer that evil imposter  



Snap goes the toothless crocodile, one, two, three

Wangsta da Gangsta, had a great haul

Ring a ding a ling, 'cause they deliver the first for free

Jim and Joan went into da hood, to fetch nothin' much at all.
Paul d'Aubin Jul 2014
Ulysse adoré par les Femmes, les  Nymphes , protégé par Athéna et traqué par Poséidon.


Parti à contrecœur, ayant même contrefait le fou, pour se soustraire à la guerre et élever ton fils Télémaque, tu dus partir à Troie, et sus t'y montrer brave mais surtout fin stratège.
La guerre fut bien longue, pas du tout comme celle que chantaient les Aèdes. L'ennemi ressemblait tant à nos guerriers Achéens, courageux et aussi sûrs de leur droit que nous l'étions du notre.
Que de sang, que de peine ! Tu vis périr Patrocle, ne pus sauver Achille; et les morts aux corps déchiquetés par les épées se substituèrent aux coupes de ce vin si enivrant qu'est la rhétorique guerrière et à la funeste illusion d'une victoire facile.

Ulysse tu eus l'idée de bâtir ce grand vaisseau dont la proue figurait une tête de cheval. Ainsi les Achéens purent entrer dans le port forteresse si bien gardé. Mais quand la nuit noire et le vin mêlés ôtèrent aux courageux Troyens leur vigilance et leur garde, vous sortirent alors des flancs du bateau et vous précipitèrent pour ouvrir grands les portes aux guerriers Achéens.
La suite fut un grand carnage de guerriers Troyens mais aussi de non combattants et même de femmes. Et Troie, la fière, la courageuse ne fut plus ville libre et les survivants de son Peuple connurent l'esclavage.

Aussi quand Troie fut conquise et que ses rue coulèrent rouges du sang vermeil de ses défenseur, mais aussi de nombreux civils, tu songeas à retourner chez toi, car tu étais roi, et ton fils Télémaque aurait besoin de toi et Pénélope t'aimait. Les souvenirs d'émois et de tendres caresses faisaient encore frissonner la harpe de ton corps de souvenirs très doux.
C'est alors que tu dus affronter la Déesse Athéna et ton double, tous deux vigilants, a tester ta sincérité et ta constance. Oh, toi Homme volage et point encore rassasié de voyages et de conquêtes. L'étendue de la mer te fut donnée comme le théâtre même de ta vérité profonde.


Après bien des voyages et avoir perdu nombre de tes compagnons, tu fus poussé dans l'île de la nymphe Calypso.
Cette immortelle à la chevelure, si joliment bouclée se trouvait dans son île d'arbustes odoriférants. Aussi fit-elle tout pour te garder. Toi-même, tu lui trouvas de l'ardeur et des charmes même si durant le jour tu te laissais aller à la nostalgie d'Ithaque.
La belle immortelle te proposas, pour te garder, de te donner cet attribut si recherché qui empêche à jamais de sombrer dans le sommeil perpétuel.
Mais toi, Ulysse, tu préféras garder ton destin d'homme mortel et ton inguérissable blessure pour Ithaque.

Après sept années d’une prison si douce, l'intervention d'Athéna te rendit aux aventures de la Mer. Tu accostas, avec tes compagnons sur la côte d’une île malfaisante. C’était la demeure des Cyclopes. Parmi ce Peuple de géants, le cyclope Polyphème habitait une grotte profonde d'où il faisait rentrer chaque soir son troupeau.
Ulysse quelle folie traversa ton esprit et celui de tes compagnons que de vouloir pénétrer dans cette antre maudite, mû à la fois par la curiosité et la volonté de faire quelques larcins de chèvres ? Vous payèrent bien cher cette offense par la cruelle dévoration que fit l'infâme Polyphème de plusieurs de tes compagnons dont vous entendîtes craquer les os sous la mâchoire du sauvage. Aussi votre courage fut renforcé par votre haine lorsque vous lui plantèrent l'épieu dans son œil unique alors que sa vigilance venait d'être endormie par le vin.

Les barques ayant mouillés dans l'île d'Aiaé, tes compagnons imprudents furent transformés en pourceaux par la belle et cruelle Magicienne Circée.
Doté d'un contre poison à ses filtres, tu ne restas cependant pas insensible aux charmes de la belle Magicienne mais tu lui fis prononcer le grand serment avant de répondre à tes avances.
Elle accepta pour faire de toi son amant de redonner leur forme humaine à tes compagnons,
Et vos nuits furent tendres, sensuelles et magiques car la Magicienne excellait dans les arts de l'amour et il en naquit un fils.

Toi le rusé et courageux Ulysse, tu espérais enfin voguer avec délice sur une mer d'huile parcourue par les reflets d'argent des poissons volants et te réjouir des facéties des dauphins,
Mais c'était oublier et compter pour peu la rancune de Poséidon, le maître des eaux, rendu furieux par le traitement subi par son fils Polyphème.
C'est pour cela qu'une masse d'eau compacte, haute comme une haute tour avançant au grand galop ébranla et engloutit ton solide radeau.
Seul ton réflexe prompt de t'accrocher au plus grand des troncs te permis de plonger longuement au fonds des eaux en retenant longtemps ton souffle avant d’émerger à nouveaux.

La troisième des belles que ton voyage tumultueux te fit rencontrer fut la jeune Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, Alcinoos.
Celle-ci, dans la floraison de sa jeunesse, ardente et vive, ne cédait en rien à l'éclat des plus belles et subtiles fleurs. Guidée par la déesse Athéna, elle vint auprès du fleuve ou tu dormais laver les habits royaux avec ses suivantes. Les voix des jeunes filles t'éveillèrent. Dans ta détresse et ta nudité, tu jetas l'effroi parmi les jeunes filles. Seule Nausicaa eut le courage de ne pas fuir et d'écouter ta demande d'aide. Elle rappela ses suivantes et te fit vêtir après que ton corps ait été lavé par l'eau du fleuve et enduit d'huile fine. Tu retrouvas ta force et ta beauté. Aussi Nausicaa vit en toi l'époux qu'elle désirait. Mais, ta nostalgie d'Ithaque fut encore plus forte. Alors Nausicaa te pria seulement, en ravalant ses larmes, de ne point oublier qu'elle t'avait sauvé des flots.

Amené tout ensommeillé dans le vaisseau mené par les rameurs Phéaciens si bien aguerris à leur tâche, tu étais comme bercé par le bruit régulier des rames et le mouvement profond d'une mer douce mais étincelante. C'était comme dans ces rêves très rares qui vous mènent sur l'Olympe. Jamais tu ne te sentis si bien avec ce goût d’embrun salé sur tes lèvres et ce bruit régulier et sec du claquement des rames sur les flots. Tu éprouvas la sensation de voguer vers un nouveau Monde. Ce fut, Ulysse, l'un des rares moments de félicité absolue dans une vie de combats, de feu et du malheur d'avoir vu périr tous tes valeureux compagnons.

Ulysse revenu dans ton palais, déguisé en mendiants pour châtier les prétendants, tu triomphas au tir à l'arc. Mais l'heure de la vindicte avait sonné. La première de tes flèches perça la gorge d'Antinoüs, buvant sa coupe. Nul ne put te fléchir Ulysse, pas même, l'éloquent Eurymaque qui t'offrait de t'apporter réparations pour tes provisions goulument mangés et tes biens dilapidés. Le pardon s'effaça en toi car l'offense faite à ta femme et à ton fils et à ton honneur était trop forte. Aussi tu n'eus pas la magnanimité de choisir la clémence et le sang coula dans ton palais comme le vin des outres. Pas un des prétendants ne fut épargné à l'exception du chanteur de Lyre, Phénios et du héraut Médon qui avait protégé Télémaque. Mais Ulysse, tu ne fus pas grand en laissant condamner à la pendaison hideuse, douze servantes qui avaient outragé Pénélope et partagé leur couche avec les prétendants.

Ulysse tu fus tant aimé des déesses, des nymphes et des femmes et souvent sauvé du pire par celles qui te donnèrent plaisir et descendance. Mais obsédé par tes roches d'Ithaque ne sus pas leur rendre l'amour qu'elles te portèrent. Tu ne fus pas non plus à la hauteur de la constance et de la fidélité de Pénélope.
Mais Ulysse poursuivi par la fatalité de l'exil et de l'errance et la rancune de Poséidon, tu fus aussi le préféré de la déesse Athéna qui fit tant et plus pour te sauver maintes fois de ta perte. Cette déesse fut la vraie sauvegarde de ta vie aventureuse et les femmes qui te chérirent t'apportèrent maintes douceurs et consolations dans ta vie tumultueuse.

Paul Arrighi
The adventures of Ulysses in the Odyssey as beloved by Women and Nymphs protected by Athena and pursue by Poseidon
SE Reimer Feb 2014
fine
wine
or
raisin...
age
produces
one
or
the
other...
post script.

happy 10 W Tuesday, my HP friends
(: well it is still here on the west coast :)

inspiration and credit to Ann, who's poem got this crazy mind going and wondering, who decides how we age...  http://hellopoetry.com/poem/611311/age-well-10-word/
Un bon père cheval, veuf, et n'ayant qu'un fils,
L'élevait dans un pâturage
Où les eaux, les fleurs et l'ombrage
Présentaient à la fois tous les biens réunis.
Abusant pour jouir, comme on fait à cet âge,
Le poulain tous les jours se gorgeait de sainfoin,
Se vautrait dans l'herbe fleurie,
Galopait sans objet, se baignait sans envie,
Ou se reposait sans besoin.
Oisif et gras à lard, le jeune solitaire
S'ennuya, se lassa de ne manquer de rien ;
Le dégoût vint bientôt ; il va trouver son père :
Depuis longtemps, dit-il, je ne me sens pas bien ;
Cette herbe est malsaine et me tue,
Ce trèfle est sans saveur, cette onde est corrompue,
L'air qu'on respire ici m'attaque les poumons ;
Bref, je meurs si nous ne partons.
Mon fils, répond le père, il s'agit de ta vie,
À l'instant même il faut partir.
Sitôt dit, sitôt fait, ils quittent leur patrie.
Le jeune voyageur bondissait de plaisir :
Le vieillard, moins joyeux, allait un train plus sage ;
Mais il guidait l'enfant, et le faisait gravir
Sur des monts escarpés, arides, sans herbage,
Où rien ne pouvait le nourrir.
Le soir vint, point de pâturage ;
On s'en passa. Le lendemain,
Comme l'on commençait à souffrir de la faim,
On prit du bout des dents une ronce sauvage.
On ne galopa plus le reste du voyage ;
À peine, après deux jours, allait-on même au pas.
Jugeant alors la leçon faite,
Le père va reprendre une route secrète
Que son fils ne connaissait pas,
Et le ramène à sa prairie
Au milieu de la nuit. Dès que notre poulain
Retrouve un peu d'herbe fleurie,
Il se jette dessus : ah ! L'excellent festin !
La bonne herbe ! Dit-il : comme elle est douce et tendre !
Mon père, il ne faut pas s'attendre
Que nous puissions rencontrer mieux ;
Fixons-nous pour jamais dans ces aimables lieux :
Quel pays peut valoir cet asile champêtre ?
Comme il parlait ainsi, le jour vint à paraître :
Le poulain reconnaît le pré qu'il a quitté ;
Il demeure confus. Le père, avec bonté,
Lui dit : mon cher enfant, retiens cette maxime :
Quiconque jouit trop est bientôt dégoûté,
Il faut au bonheur du régime.
Paul d'Aubin Dec 2016
Des Cassandres incomprises ?


Elle maudissait encor le baiser refusé à celui qui aurait pu devenir son amant. Le bel et fier Apollon s’était vengé de son refus, en lui soufflant sur la bouche, afin que le don de divination, déjà donné, soit réduit à néant, et qu’elle ne fut jamais crue. Cruel sort qui la condamnait à connaître le futur, en restant incomprise aux yeux de toutes et de tous, parmi celles et ceux qu’elle chérissait, et auxquels elle voulait épargner le malheur. Aussi lorsque tu vis naître ton frère Pâris, tu informas ta mère des sombres présages que son devenir présentait pour la famille royale. Hélas, mal avisés, Priam et Hécube, après l’avoir éloigné finirent par lui donner une ambassade à Sparte. Ou il fut séduit et enleva Hélène la si belle. Puis vint ce jour funeste, quand tu vis, le port de Troie presque masqué par des milliers de voiles rouges, et autant de vaisseaux munis d’éperons. Tu ressentis, une peur panique, celle, de la mort, de toutes celles et ceux que tu aimais, et tu versas des larmes salées pour tous ces jeunes hommes qui allaient perdre la vie, dans des combats menés autours des remparts. Avant que les chevaux géants de bois, funestes, dont personne ne te crut pour le danger annoncé entrèrent dans la ville, alors que l’armée Achéenne faisait mine de se retirer. C’est ****, dans la nuit, qu’à la lueur des torches, les guerriers, sortirent des flancs des chevaux géants et jaillirent en hurlant, pour porter le malheur dans ta chère Troie. Glacée d’émotion et d’épouvante tu te réfugias auprès de l’autel sacre d’Athéna, Pour préserver ton corps gracieux des outrages de l’ennemi. Mais c’était sans compter sur Ajax le furieux, qui faisant fi de la protection sacrée que t’offrait le temple, te pris malgré tes cris et tes pleurs, déchira ta blanche tunique, te traina par les cheveux sur l’autel. Et violenta ton corps avec plus de brutalité que de désir. Tu aurais voulu mourir, mais Athéna, elle-même, insultée, comme Déesse, dans son propre temple, ne le voulut point. C’est le roi Agamemnon, qui te trouva déflorée, prostrée et en larmes, et te fit prisonnière, et te gardant en vie, pris la décision de te ramener à Mycènes. Tu le mis en garde contre la jalousie qu’allait éprouver sa femme, Clytemnestre Mais ce fut vain, et toi, déshonorée et prisonnière tu ne voulais plus vivre. Tu tendis ta gorge à cette jalouse implacable, peu après avoir débarqué Et son geste de mort fut ton soulagement, oh, toi devineresse, jamais crue.
Après Cassandre la Troyenne, il y eut d’autres fameuses Cassandre. Louise Michel, institutrice porta sa flamme aux Communards, Et faite prisonnière réclama une mort qu’on n’osa pas lui donner. Transformant sa peine de déportation en Nouvelle Calédonie, Ou elle refusa de faire chorus contre les canaques. Enfin libérée elle soutint ses sœurs et frères, les prolétaires, et brandit le drapeau noir des Libertaire, qui faisait si peur. Cette Femme admirable resta souvent incomprise, dans ses combats et sa soif d’un Monde plus humain. Cette solitude aussi doit être le sceau des Cassandre. De l’autre côté du Rhin, et même, en Pologne a Zamość, naquit une nouvelle Cassandre. Fière comme un aigle, pensive comme une colombe, elle avait pour prénom Rosa, mais pas de celles avec épines, Son nom était Luxemburg, et c’était vraiment un être de lumières. Une pensée étincelante, une volonté de duchesse Espagnole, et une lucidité aussi grande que les feux de ses passions. Rosa lutta, dès le début contre la guerre et la capitulation des esprits, devant ces monstres d’acier, de feu et de gaz moutarde. Qui allaient ravager l’Europe en fauchant des millions de vies. Mais dans cet empire si discipliné, elle fut emprisonnée, pour lui faire expier son opposition à cette guerre fratricide, et afin que les consciences restassent bien éteintes. Mais son courage était sans borne avec son amant Leo Jogiches, Et la force de conviction de Karl Liebknecht. Ayant passé la majeure partie de la guerre, emprisonnée, elle étudiait sans répit et faisait parvenir des articles, pour ses amis de la « ligue Spartacus ». Elle défendait la Liberté, comme le vrai diamant du socialisme à venir. Mais les États-majors militaires et politiques la haïssaient. Libérée par la chute du kaiser, elle reprit sa passion, de journaliste à la plume de feu à la «Rote Fahne.» Elle s’efforçait d’éclairer des masses trompées par des bergers par trop intéressés, timorés et menteurs. Elle rejetait aussi toute illusion de putsch et de violence armée. Hélas, elle ne fut pas écoutée par les irréfléchis à la parole haute, ni par les têtes remplies de vent et encor imprégnèes par les usages récents de tant de violences inoculées durant et par ces années de guerre et de tueries. Ces hâtifs et ces simplistes au verbe haut déclenchèrent l’émeute dans Berlin, qui allait devenir leur commun linceul. Elle décida cependant de ne pas se désolidariser des révoltés, D’ailleurs arrête-on sans digue un torrent furieux ? Rosa, refusa d’ajouter l’enjeu de sa survie et sa propre peur à la désorientation générale de ses camarades. Consciente de l’échec, Rosa écrivit son dernier article sur : « L’ordre règne à Berlin, L’ordre règne à Varsovie », « l’ordre règne à Paris », « l’ordre règne à Berlin ». Tous les demi-siècles, les gardiens de « l’ordre », lancent ainsi dans un des foyers de la lutte mondiale leurs bulletins de victoire Et ces « vainqueurs » qui exultent ne s’aperçoivent pas qu’un « ordre», qui a besoin d’être maintenu périodiquement par de sanglantes hécatombes, va inéluctablement à sa perte.» Puis Rosa, rentra chez elle, sans prendre de précaution ni se cacher vraiment. Nourrissait-elle quelconque illusion sur son ennemi, Gustav Noske? Lequel revendiqua, pour lui-même, le douteux honneur d’avoir tenu le rôle d’un « chien sanglant » Ou avait-elle, plutôt du mal à regarder l’horreur de la haine et les tréfonds de la barbarie ? Amenée par les soldats des corps francs elle fut interrogée et se tut. Puis, ce beau front pensif et cette tête bouillonnante d'avenirs reçut de violents coups de crosse, avant que les barbares ne lui tirent une balle dans la tête,
et ne la jettent inanimée dans le canal.
Une Cassandre de plus était victime de la froide cruauté,
et des peurs qu'inspiraient la création d'une société nouvelle.
Mais l'esprit des Cassandre survit dans les braises de la lucidité
Aujourd'hui, nous avons probablement des Cassandre parmi nous,
dans les braises de la vérité en marche, qu’il nous faut oser écouter en les aidant à dessiller nos yeux encore clos. dont l’esprit s’est forgé.

Paul Arrighi.
J'entrai dernièrement dans une vieille église ;

La nef était déserte, et sur la dalle grise,

Les feux du soir, passant par les vitraux dorés,

Voltigeaient et dansaient, ardemment colorés.

Comme je m'en allais, visitant les chapelles,

Avec tous leurs festons et toutes leurs dentelles,

Dans un coin du jubé j'aperçus un tableau

Représentant un Christ qui me parut très-beau.

On y voyait saint Jean, Madeleine et la Vierge ;

Leurs chairs, d'un ton pareil à la cire de cierge,

Les faisaient ressembler, sur le fond sombre et noir,

A ces fantômes blancs qui se dressent le soir,

Et vont croisant les bras sous leurs draps mortuaires ;

Leurs robes à plis droits, ainsi que des suaires,

S'allongeaient tout d'un jet de leur nuque à leurs pieds ;

Ainsi faits, l'on eût dit qu'ils fussent copiés

Dans le campo-Santo sur quelque fresque antique,

D'un vieux maître Pisan, artiste catholique,

Tant l'on voyait reluire autour de leur beauté,

Le nimbe rayonnant de la mysticité,

Et tant l'on respirait dans leur humble attitude,

Les parfums onctueux de la béatitude.


Sans doute que c'était l'œuvre d'un Allemand,

D'un élève d'Holbein, mort bien obscurément,

A vingt ans, de misère et de mélancolie,

Dans quelque bourg de Flandre, au retour d'Italie ;

Car ses têtes semblaient, avec leur blanche chair,

Un rêve de soleil par une nuit d'hiver.


Je restai bien longtemps dans la même posture,

Pensif, à contempler cette pâle peinture ;

Je regardais le Christ sur son infâme bois,

Pour embrasser le monde, ouvrant les bras en croix ;

Ses pieds meurtris et bleus et ses deux mains clouées,

Ses chairs, par les bourreaux, à coups de fouets trouées,

La blessure livide et béante à son flanc ;

Son front d'ivoire où perle une sueur de sang ;

Son corps blafard, rayé par des lignes vermeilles,

Me faisaient naître au cœur des pitiés nonpareilles,

Et mes yeux débordaient en des ruisseaux de pleurs,

Comme dut en verser la Mère de Douleurs.

Dans l'outremer du ciel les chérubins fidèles,

Se lamentaient en chœur, la face sous leurs ailes,

Et l'un d'eux recueillait, un ciboire à la main,

Le pur-sang de la plaie où boit le genre humain ;

La sainte vierge, au bas, regardait : pauvre mère

Son divin fils en proie à l'agonie amère ;

Madeleine et saint Jean, sous les bras de la croix

Mornes, échevelés, sans soupirs et sans voix,

Plus dégoutants de pleurs qu'après la pluie un arbre,

Étaient debout, pareils à des piliers de marbre.


C'était, certes, un spectacle à faire réfléchir,

Et je sentis mon cou, comme un roseau, fléchir

Sous le vent que faisait l'aile de ma pensée,

Avec le chant du soir, vers le ciel élancée.

Je croisai gravement mes deux bras sur mon sein,

Et je pris mon menton dans le creux de ma main,

Et je me dis : « O Christ ! Tes douleurs sont trop vives ;

Après ton agonie au jardin des Olives,

Il fallait remonter près de ton père, au ciel,

Et nous laisser à nous l'éponge avec le fiel ;

Les clous percent ta chair, et les fleurons d'épines

Entrent profondément dans tes tempes divines.

Tu vas mourir, toi, Dieu, comme un homme. La mort

Recule épouvantée à ce sublime effort ;

Elle a peur de sa proie, elle hésite à la prendre,

Sachant qu'après trois jours il la lui faudra rendre,

Et qu'un ange viendra, qui, radieux et beau,

Lèvera de ses mains la pierre du tombeau ;

Mais tu n'en as pas moins souffert ton agonie,

Adorable victime entre toutes bénie ;

Mais tu n'en a pas moins avec les deux voleurs,

Étendu tes deux bras sur l'arbre de douleurs.


Ô rigoureux destin ! Une pareille vie,

D'une pareille mort si promptement suivie !

Pour tant de maux soufferts, tant d'absinthe et de fiel,

Où donc est le bonheur, le vin doux et le miel ?

La parole d'amour pour compenser l'injure,

Et la bouche qui donne un baiser par blessure ?

Dieu lui-même a besoin quand il est blasphémé,

Pour nous bénir encore de se sentir aimé,

Et tu n'as pas, Jésus, traversé cette terre,

N'ayant jamais pressé sur ton cœur solitaire

Un cœur sincère et pur, et fait ce long chemin

Sans avoir une épaule où reposer ta main,

Sans une âme choisie où répandre avec flamme

Tous les trésors d'amour enfermés dans ton âme.


Ne vous alarmez pas, esprits religieux,

Car l'inspiration descend toujours des cieux,

Et mon ange gardien, quand vint cette pensée,

De son bouclier d'or ne l'a pas repoussée.

C'est l'heure de l'extase où Dieu se laisse voir,

L'Angélus éploré tinte aux cloches du soir ;

Comme aux bras de l'amant, une vierge pâmée,

L'encensoir d'or exhale une haleine embaumée ;

La voix du jour s'éteint, les reflets des vitraux,

Comme des feux follets, passent sur les tombeaux,

Et l'on entend courir, sous les ogives frêles,

Un bruit confus de voix et de battements d'ailes ;

La foi descend des cieux avec l'obscurité ;

L'orgue vibre ; l'écho répond : Eternité !

Et la blanche statue, en sa couche de pierre,

Rapproche ses deux mains et se met en prière.

Comme un captif, brisant les portes du cachot,

L'âme du corps s'échappe et s'élance si haut,

Qu'elle heurte, en son vol, au détour d'un nuage,

L'étoile échevelée et l'archange en voyage ;

Tandis que la raison, avec son pied boiteux,

La regarde d'en-bas se perdre dans les cieux.

C'est à cette heure-là que les divins poètes,

Sentent grandir leur front et deviennent prophètes.


Ô mystère d'amour ! Ô mystère profond !

Abîme inexplicable où l'esprit se confond ;

Qui de nous osera, philosophe ou poète,

Dans cette sombre nuit plonger avant la tête ?

Quelle langue assez haute et quel cœur assez pur,

Pour chanter dignement tout ce poème obscur ?

Qui donc écartera l'aile blanche et dorée,

Dont un ange abritait cette amour ignorée ?

Qui nous dira le nom de cette autre Éloa ?

Et quelle âme, ô Jésus, à t'aimer se voua ?


Murs de Jérusalem, vénérables décombres,

Vous qui les avez vus et couverts de vos ombres,

Ô palmiers du Carmel ! Ô cèdres du Liban !

Apprenez-nous qui donc il aimait mieux que Jean ?

Si vos troncs vermoulus et si vos tours minées,

Dans leur écho fidèle, ont, depuis tant d'années,

Parmi les souvenirs des choses d'autrefois,

Conservé leur mémoire et le son de leur voix ;

Parlez et dites-nous, ô forêts ! ô ruines !

Tout ce que vous savez de ces amours divines !

Dites quels purs éclairs dans leurs yeux reluisaient,

Et quels soupirs ardents de leurs cœurs s'élançaient !

Et toi, Jourdain, réponds, sous les berceaux de palmes,

Quand la lune trempait ses pieds dans tes eaux calmes,

Et que le ciel semait sa face de plus d'yeux,

Que n'en traîne après lui le paon tout radieux ;

Ne les as-tu pas vus sur les fleurs et les mousses,

Glisser en se parlant avec des voix plus douces

Que les roucoulements des colombes de mai,

Que le premier aveu de celle que j'aimai ;

Et dans un pur baiser, symbole du mystère,

Unir la terre au ciel et le ciel à la terre.


Les échos sont muets, et le flot du Jourdain

Murmure sans répondre et passe avec dédain ;

Les morts de Josaphat, troublés dans leur silence,

Se tournent sur leur couche, et le vent frais balance

Au milieu des parfums dans les bras du palmier,

Le chant du rossignol et le nid du ramier.


Frère, mais voyez donc comme la Madeleine

Laisse sur son col blanc couler à flots d'ébène

Ses longs cheveux en pleurs, et comme ses beaux yeux,

Mélancoliquement, se tournent vers les cieux !

Qu'elle est belle ! Jamais, depuis Ève la blonde,

Une telle beauté n'apparut sur le monde ;

Son front est si charmant, son regard est si doux,

Que l'ange qui la garde, amoureux et jaloux,

Quand le désir craintif rôde et s'approche d'elle,

Fait luire son épée et le chasse à coups d'aile.


Ô pâle fleur d'amour éclose au paradis !

Qui répands tes parfums dans nos déserts maudits,

Comment donc as-tu fait, ô fleur ! Pour qu'il te reste

Une couleur si fraîche, une odeur si céleste ?

Comment donc as-tu fait, pauvre sœur du ramier,

Pour te conserver pure au cœur de ce bourbier ?

Quel miracle du ciel, sainte prostituée,

Que ton cœur, cette mer, si souvent remuée,

Des coquilles du bord et du limon impur,

N'ait pas, dans l'ouragan, souillé ses flots d'azur,

Et qu'on ait toujours vu sous leur manteau limpide,

La perle blanche au fond de ton âme candide !

C'est que tout cœur aimant est réhabilité,

Qu'il vous vient une autre âme et que la pureté

Qui remontait au ciel redescend et l'embrasse,

comme à sa sœur coupable une sœur qui fait grâce ;

C'est qu'aimer c'est pleurer, c'est croire, c'est prier ;

C'est que l'amour est saint et peut tout expier.


Mon grand peintre ignoré, sans en savoir les causes,

Dans ton sublime instinct tu comprenais ces choses,

Tu fis de ses yeux noirs ruisseler plus de pleurs ;

Tu gonflas son beau sein de plus hautes douleurs ;

La voyant si coupable et prenant pitié d'elle,

Pour qu'on lui pardonnât, tu l'as faite plus belle,

Et ton pinceau pieux, sur le divin contour,

A promené longtemps ses baisers pleins d'amour ;

Elle est plus belle encore que la vierge Marie,

Et le prêtre, à genoux, qui soupire et qui prie,

Dans sa pieuse extase, hésite entre les deux,

Et ne sait pas laquelle est la reine des cieux.


Ô sainte pécheresse ! Ô grande repentante !

Madeleine, c'est toi que j'eusse pour amante

Dans mes rêves choisie, et toute la beauté,

Tout le rayonnement de la virginité,

Montrant sur son front blanc la blancheur de son âme,

Ne sauraient m'émouvoir, ô femme vraiment femme,

Comme font tes soupirs et les pleurs de tes yeux,

Ineffable rosée à faire envie aux cieux !

Jamais lis de Saron, divine courtisane,

Mirant aux eaux des lacs sa robe diaphane,

N'eut un plus pur éclat ni de plus doux parfums ;

Ton beau front inondé de tes longs cheveux bruns,

Laisse voir, au travers de ta peau transparente,

Le rêve de ton âme et ta pensée errante,

Comme un globe d'albâtre éclairé par dedans !

Ton œil est un foyer dont les rayons ardents

Sous la cendre des cœurs ressuscitent les flammes ;

O la plus amoureuse entre toutes les femmes !

Les séraphins du ciel à peine ont dans le cœur,

Plus d'extase divine et de sainte langueur ;

Et tu pourrais couvrir de ton amour profonde,

Comme d'un manteau d'or la nudité du monde !

Toi seule sais aimer, comme il faut qu'il le soit,

Celui qui t'a marquée au front avec le doigt,

Celui dont tu baignais les pieds de myrrhe pure,

Et qui pour s'essuyer avait ta chevelure ;

Celui qui t'apparut au jardin, pâle encore

D'avoir dormi sa nuit dans le lit de la mort ;

Et, pour te consoler, voulut que la première

Tu le visses rempli de gloire et de lumière.


En faisant ce tableau, Raphaël inconnu,

N'est-ce pas ? Ce penser comme à moi t'est venu,

Et que ta rêverie a sondé ce mystère,

Que je voudrais pouvoir à la fois dire et taire ?

Ô poètes ! Allez prier à cet autel,

A l'heure où le jour baisse, à l'instant solennel,

Quand d'un brouillard d'encens la nef est toute pleine.

Regardez le Jésus et puis la Madeleine ;

Plongez-vous dans votre âme et rêvez au doux bruit

Que font en s'éployant les ailes de la nuit ;

Peut-être un chérubin détaché de la toile,

A vos yeux, un moment, soulèvera le voile,

Et dans un long soupir l'orgue murmurera

L'ineffable secret que ma bouche taira.
I


Que ces vallons déserts, que ces vastes prairies

Où j'allais promener mes tristes rêveries,

Que ces rivages frais, que ces bois, que ces champs,

Que tout prenne une voix et retrouve des chants

Et porte jusqu'au sein de Ta Toute Puissance

Un hymne de bonheur et de reconnaissance !

Celle, qui dans un chaste et pur embrassement,

A reçu mon amour et mon premier serment,

Celle à qui j'ai juré de consacrer ma vie

Par d'injustes parents m'avait été ravie ;

Ils avaient repoussé mes pleurs, et les ingrats

Avaient osé venir l'arracher de mes bras ;

Et jaloux de m'ôter la dernière espérance

Qui pût me soutenir et calmer ma souffrance,

Un message trompeur nous avait informés

Que sur un bord lointain ses yeux s'étaient fermés.

Celui qui fut aimé, celui qui put connaître

Ce bonheur enivrant de confondre son être,

De vivre dans un autre, et de ne plus avoir

Que son cœur pour sentir, et que ses yeux pour voir,

Celui-là pourra seul deviner et comprendre

Ce qu'une voix humaine est impuissante à rendre ;

Celui-là saura seul tout ce que peut souffrir

Un homme, et supporter de tourments sans mourir.

Mais la main qui sur moi s'était appesantie

Semble de mes malheurs s'être enfin repentie.

Leur cœur s'est attendri, soit qu'un pouvoir caché,

Que sais-je ? Ou que la voix du remords l'ait touché.

Celle que je pleurais, que je croyais perdue,

Elle vit ! elle vient ! et va m'être rendue !

Ne demandez donc plus, amis, pourquoi je veux

Qu'on mêle ces boutons de fleurs dans mes cheveux.

Non ! Je n'ai point souffert et mes douleurs passées

En cet heureux instant sont toutes effacées ;

Que sont tous mes malheurs, que sont tous mes ennuis.

Et ces rêves de deuil qui tourmentaient mes nuits ?

Et moi ! J'osais du ciel accuser la colère !

Je reconnais enfin sa bonté tutélaire.

Et je bénis ces maux d'un jour qui m'ont appris

Que mes yeux ne devaient la revoir qu'à ce prix !


II


Quel bonheur est le mien ! Pourtant - ces deux années

Changent bien des projets et bien des destinées ;

- Je ne puis me celer, à parler franchement,

Que ce retour me gêne un peu, dans ce moment.

Certes, le souvenir de notre amour passé

N'est pas un seul instant sorti de ma pensée ;

Mais enfin je ne sais comment cela s'est fait :

Invité cet hiver aux bals chez le préfet.

J'ai vu sa fille aînée, et par étourderie

Risqué de temps en temps quelque galanterie :

Je convins aux parents, et fus bientôt admis

Dans cette intimité qu'on réserve aux amis.

J'y venais tous les soirs, je faisais la lecture,

Je présentais la main pour monter en voiture ;

Dans nos réunions en petit comité,

Toujours près de la fille, assis à son côté.

Je me rendais utile à tout, j'étais son page.

Et quand elle chantait, je lui tournais la page.

Enfin, accoutumé chaque jour à la voir.

60 Que sais-je ? J'ai rendu, sans m'en apercevoir,

Et bien innocemment, des soins, que je soupçonne

N'être pas dédaignés de la jeune personne :

Si bien que je ne sais trop comment m'arranger :

On jase, et les parents pourront bien exiger

Que j'ôte ce prétexte à la rumeur publique,

Et, quelque beau matin, vouloir que je m'explique.

C'est ma faute, après tout, je me suis trop pressé,

Et, comme un débutant, je me suis avancé.

Mais, d'un autre côté, comment prévoir… ? N'importe,

Mes serments sont sacrés, et mon amour l'emporte,

J'irai demain trouver le père, et s'il vous plaît,-

Je lui raconterai la chose comme elle est.

- C'est bien ! - Mais que va-t-on penser, que va-t-on dire ?

Le monde est si méchant, et si prompt à médire !

- Je le brave ! et s'il faut, je verserai mon sang...

Oui : mais toujours est-il que c'est embarrassant.


III


Comme tout ici-bas se flétrit et s'altère,

Et comme les malheurs changent un caractère !

J'ai cherché vainement, et n'ai point retrouvé

Cette aimable candeur qui m'avait captivé.

Celle que j'avais vue autrefois si craintive.

Dont la voix résonnait si douce et si plaintive,

Hautaine, au parler bref, et parfois emporté,

A rejeté bien **** cette timidité.

A moi, qui n'ai vécu, n'ai souffert que pour elle.

Est-ce qu'elle n'a pas déjà cherché querelle ?

Jetant sur le passé des regards curieux,

Elle m'a demandé d'un air impérieux

Si, pendant tout ce temps que j'ai passé **** d'elle.

Mon cœur à sa mémoire était resté fidèle :

Et de quel droit, bon Dieu ? Nous n'étions point liés.

Et nous aurions très bien pu nous être oubliés !

J'avais juré, promis ! - Qu'est-ce que cela prouve ?

Tous les jours, en amour, on jure ; et lorsqu'on trouve

Quelque distraction, on laisse rarement

Perdre l'occasion de trahir son serment :

Il n'est pas défendu d'avoir un cœur sensible,

Et ce n'est point du "tout un crime irrémissible.

Et puis d'ailleurs, après ce que j'ai découvert.

Entre nous, soyons franc, parlons à cœur ouvert :

J'en avais fait mon deuil, et la pauvre exilée

S'est bien de son côté quelque peu consolée ;

Et si je persistais à demander sa main.

C'était par conscience, et par respect humain ;

Je m'étais étourdi. Mais elle a, la première.

Fait ouvrir, par bonheur, mes yeux à la lumière,

Et certes, j'aime mieux encore, à beaucoup près,

Qu'elle se soit ainsi montrée avant qu'après.

Car enfin, rien n'est fait, au moins, et le notaire

N'a point à nos serments prêté son ministère.

- Mais quels emportements ! quels pleurs ! car elle croit

Exiger une dette et réclamer un droit.

Or il faut en finir : quoi qu'elle dise ou fasse,

J'en ai pris mon parti ; j'irai lui dire en face,

- Quoi ? - Que son caractère est à n'y pas tenir.

- Elle avait bien besoin aussi de revenir !

Nous étions si bien tous, quand son humeur altière

Vint troubler le repos d'une famille entière !

On nous la disait morte ; et je croirais aussi

Qu'il vaudrait beaucoup mieux que cela fût ainsi.
Vois-tu comme le flot paisible
Sur le rivage vient mourir !
Vois-tu le volage zéphyr
Rider, d'une haleine insensible,
L'onde qu'il aime à parcourir !
Montons sur la barque légère
Que ma main guide sans efforts,
Et de ce golfe solitaire
Rasons timidement les bords.

**** de nous déjà fuit la rive.
Tandis que d'une main craintive
Tu tiens le docile aviron,
Courbé sur la rame bruyante
Au sein de l'onde frémissante
Je trace un rapide sillon.

Dieu ! quelle fraîcheur on respire !
Plongé dans le sein de Thétis,
Le soleil a cédé l'empire
A la pâle reine des nuits.
Le sein des fleurs demi-fermées
S'ouvre, et de vapeurs embaumées
En ce moment remplit les airs ;

Et du soir la brise légère
Des plus doux parfums de la terre
A son tour embaume les mers.

Quels chants sur ces flots retentissent ?
Quels chants éclatent sur ces bords ?
De ces deux concerts qui s'unissent
L'écho prolonge les accords.
N'osant se fier aux étoiles,
Le pêcheur, repliant ses voiles,
Salue, en chantant, son séjour.
Tandis qu'une folle jeunesse
Pousse au ciel des cris d'allégresse,
Et fête son heureux retour.

Mais déjà l'ombre plus épaisse
Tombe, et brunit les vastes mers ;
Le bord s'efface, le bruit cesse,
Le silence occupe les airs.
C'est l'heure où la mélancolie
S'assoit pensive et recueillie
Aux bords silencieux des mers,
Et, méditant sur les ruines,
Contemple au penchant des collines
Ce palais, ces temples déserts.

O de la liberté vieille et sainte patrie !
Terre autrefois féconde en sublimes vertus !
Sous d'indignes Césars maintenant asservie,
Ton empire est tombé ! tes héros ne sont plus !
Mais dans ton sein l'âme agrandie
Croit sur leurs monuments respirer leur génie,
Comme on respire encor dans un temple aboli
La majesté du dieu dont il était rempli.
Mais n'interrogeons pas vos cendres généreuses,
Vieux Romains ! fiers Catons ! mânes des deux Brutus !
Allons redemander à ces murs abattus
Des souvenirs plus doux, des ombres plus heureuses,

Horace, dans ce frais séjour,
Dans une retraite embellie
Par le plaisir et le génie,
Fuyait les pompes de la cour ;
Properce y visitait Cinthie,
Et sous les regards de Délie
Tibulle y modulait les soupirs de l'amour.
Plus ****, voici l'asile où vint chanter le Tasse,
Quand, victime à la fois du génie et du sort,
Errant dans l'univers, sans refuge et sans port,
La pitié recueillit son illustre disgrâce.
Non **** des mêmes bords, plus **** il vint mourir ;
La gloire l'appelait, il arrive, il succombe :
La palme qui l'attend devant lui semble fuir,
Et son laurier tardif n'ombrage que sa tombe.

Colline de Baya ! poétique séjour !
Voluptueux vallon qu'habita tour à tour
Tout ce qui fut grand dans le monde,
Tu ne retentis plus de gloire ni d'amour.
Pas une voix qui me réponde,
Que le bruit plaintif de cette onde,
Ou l'écho réveillé des débris d'alentour !

Ainsi tout change, ainsi tout passe ;
Ainsi nous-mêmes nous passons,
Hélas ! sans laisser plus de trace
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s'efface.
Nous fûmes dupes, vous et moi,

De manigances mutuelles,

Madame, à cause de l'émoi

Dont l'Été férut nos cervelles.


Le Printemps avait bien un peu

Contribué, si ma mémoire

Est bonne, à brouiller notre jeu,

Mais que d'une façon moins noire !


Car au printemps l'air est si frais

Qu'en somme les roses naissantes,

Qu'Amour semble entr'ouvrir exprès,

Ont des senteurs presque innocentes ;


Et même les lilas ont beau

Pousser leur haleine poivrée,

Dans l'ardeur du soleil nouveau,

Cet excitant au plus récrée,


Tant le zéphyr souffle, moqueur,

Dispersant l'aphrodisiaque

Effluve, en sorte que le cœur

Chôme et que même l'esprit vaque,


Et qu'émoustillés, les cinq sens

Se mettent alors de la fête,

Mais seuls, tout seuls, bien seuls et sans

Que la crise monte à la tête.


Ce fut le temps, sous de clairs ciels

(Vous vous en souvenez-vous, Madame ?),

Des baisers superficiels

Et des sentiments à fleur d'âme,


Exempts de folles passions,

Pleins d'une bienveillance amène.

Comme tous deux nous jouissions

Sans enthousiasme - et sans peine !


Heureux instants ! - mais vint l'Été :

Adieu, rafraîchissantes brises ?

Un vent de lourde volupté

Investit nos âmes surprises.


Des fleurs aux calices vermeils

Nous lancèrent leurs odeurs mûres,

Et partout les mauvais conseils

Tombèrent sur nous des ramures


Nous cédâmes à tout cela,

Et ce fut un bien ridicule

Vertigo qui nous affola

Tant que dura la canicule.


Rires oiseux, pleurs sans raisons,

Mains indéfiniment pressées,

Tristesses moites, pâmoisons,

Et que vague dans les pensées !


L'automne heureusement, avec

Son jour froid et ses bises rudes,

Vint nous corriger, bref et sec,

De nos mauvaises habitudes,


Et nous induisit brusquement

En l'élégance réclamée

De tout irréprochable amant

Comme de toute digne aimée...


Or, cet Hiver, Madame, et nos

Parieurs tremblent pour leur bourse,

Et déjà les autres traîneaux

Osent nous disputer la course.


Les deux mains dans votre manchon,

Tenez-vous bien sur la banquette

Et filons ! - et bientôt Fanchon

Nous fleurira quoiqu'on caquette !
Romance.


Dansez, fillettes du village,
Chantez vos doux refrains d'amour :
Trop vite, hélas ! un ciel d'orage
Vient obscurcir le plus beau jour.

En vous voyant, je me rappelle
Et mes plaisirs et mes succès ;
Comme vous, j'étais jeune et belle,
Et, comme vous, je le savais.
Soudain ma blonde chevelure
Me montra quelques cheveux blancs...
J'ai vu, comme dans la nature,
L'hiver succéder au printemps.

Dansez, fillettes du village,
Chantez vos doux refrains d'amour ;
Trop vite, hélas ! un ciel d'orage
Vient obscurcir le plus beau jour.

Naïve et sans expérience,
D'amour je crus les doux serments,
Et j'aimais avec confiance...
On croit au bonheur à quinze ans !
Une fleur, par Julien cueillie,
Était le gage de sa foi ;
Mais, avant qu'elle fût flétrie,
L'ingrat ne pensait plus à moi !

Dansez, fillettes du Village,
Chantez vos doux refrains d'amour ;
Trop vite, hélas ! un ciel d'orage
Vient obscurcir le plus beau jour.

À vingt ans, un ami fidèle
Adoucit mon premier chagrin ;
J'étais triste, mais j'étais belle,
Il m'offrit son cœur et sa main.
Trop tôt pour nous vint la vieillesse ;
Nous nous aimions, nous étions vieux...
La mort rompit notre tendresse...
Mon ami fut le plus heureux !

Dansez, fillettes du village,
Chantez vos doux refrains d'amour ;
Trop vite, hélas ! un ciel d'orage
Vient obscurcir le plus beau jour.

Pour moi, n'arrêtez pas la danse ;
Le ciel est pur, je suis au port,
Aux bruyants plaisirs de l'enfance
La grand-mère sourit encor.
Que cette larme que j'efface
N'attriste pas vos jeunes cœurs :
Le soleil brille sur la glace,
L'hiver conserve quelques fleurs.

Dansez, fillettes du village,
Chantez vos doux refrains d'amour,
Et, sous un ciel exempt d'orage,
Embellissez mon dernier jour !
IL semblait grelotter, car la bise était dure.
C'était, sous un amas de rameaux sans verdure,
Une pauvre statue, au dos noir, au pied vert,
Un vieux faune isolé dans le vieux parc désert,
Qui, de son front penché touchant aux branches d'arbre,
Se perdait à mi-corps dans sa gaine de marbre.

Il était là, pensif, à la terre lié,
Et, comme toute chose immobile, - oublié !

Des arbres l'entouraient, fouettés d'un vent de glace,
Et comme lui vieillis à cette même place ;
Des marronniers géants, sans feuilles, sans oiseaux
Sous leurs tailles brouillés en ténébreux réseaux,
Pâle, il apparaissait, et la terre était brune.
Une âpre nuit d'hiver, sans étoile et sans lune,
Tombait à larges pans dans le brouillard diffus.
D'autres arbres plus **** croisaient leurs sombres fûts ;
Plus **** d'autre encore, estompés par l'espace,
Poussaient dans le ciel gris où le vent du soir passe
Mille petits rameaux noirs, tordus et mêlés,
Et se posaient partout, l'un par l'autre voilés,
Sur l'horizon, perdu dans les vapeurs informes,
Comme un grand troupeau roux de hérissons énormes.

Rien de plus. Ce vieux faune, un ciel morne, un bois noir.

Peut-être dans la brume au **** pouvait-on voir
Quelque longue terrasse aux verdâtres assises,
Ou, près d'un grand bassin, des nymphes indécises,
Honteuses à bon droit dans ce parc aboli,
Autrefois des regards, maintenant de l'oubli.

Le vieux faune riait. - Dans leurs ombres douteuses
Laissant le bassin triste et les nymphes honteuses,
Le vieux faune riait, c'est à lui que je vins ;
Ému, car sans pitié tous ces sculpteurs divins
Condamnent pour jamais, contents qu'on les admire,
Les nymphes à la honte et les faunes au rire.

Moi, j'ai toujours pitié du pauvre marbre obscur.
De l'homme moins souvent, parce qu'il est plus dur.

Et, sans froisser d'un mot son oreille blessée,
Car le marbre entend bien la voix de la pensée,
Je lui dis : - Vous étiez du beau siècle amoureux.
Sylvain, qu'avez-vous vu quand vous étiez heureux ?
Vous étiez de la cour ? Vous assistiez aux fêtes ?
C'est pour vous divertir que ces nymphes sont faites.
C'est pour vous, dans ces bois, que de savantes mains
Ont mêlé les dieux grecs et les césars romains,
Et, dans les claires eaux mirant les vases rares,
Tordu tout ce jardin en dédales bizarres.
Quand vous étiez heureux, qu'avez-vous vu, Sylvain ?
Contez-moi les secrets de ce passé trop vain,
De ce passé charmant, plein de flammes discrètes,
Où parmi les grands rois croissaient les grands poètes.
Que de frais souvenirs dont encor vous riez !
Parlez-moi, beau Sylvain, comme vous parleriez
A l'arbre, au vent qui souffle, à l'herbe non foulée.
D'un bout à l'autre bout de cette épaisse allée,
Avez-vous quelquefois, moqueur antique et grec,
Quand près de vous passait avec le beau Lautrec
Marguerite aux yeux doux, la reine béarnaise,
Lancé votre œil oblique à l'Hercule Farnèse ?
Seul sous votre antre vert de feuillage mouillé,
Ô Sylvain complaisant, avez-vous conseillé,
Vous tournant vers chacun du côté qui l'attire,
Racan comme berger, Regnier comme satyre ?
Avez-vous vu parfois, sur ce banc, vers midi,
Suer Vincent de Paul à façonner Gondi ?
Faune ! avez-vous suivi de ce regard étrange
Anne avec Buckingham, Louis avec Fontange,
Et se retournaient-ils, la rougeur sur le front,
En vous entendant rire au coin du bois profond ?
Étiez-vous consulté sur le thyrse ou le lierre,
Lorsqu'en un grand ballet de forme singulière
La cour du dieu Phœbus ou la cour du dieu Pan
Du nom d'Amaryllis enivraient Montespan ?
Fuyant des courtisans les oreilles de pierre,
La Fontaine vint-il, les pleurs dans la paupière,
De ses nymphes de Vaux vous conter les regrets ?
Que vous disait Boileau, que vous disait Segrais,
A vous, faune lettré qui jadis dans l'églogue
Aviez avec Virgile un charmant dialogue,
Et qui faisiez sauter, sur le gazon naissant,
Le lourd spondée au pas du dactyle dansant ?
Avez-vous vu jouer les beautés dans les herbes,
Chevreuse aux yeux noyés, Thiange aux airs superbes ?
Vous ont-elles parfois de leur groupe vermeil
Entouré follement, si bien que le soleil
Découpait tout à coup, en perçant quelque nue,
Votre profil lascif sur leur gorge ingénue ?
Votre arbre a-t-il reçu sous son abri serein
L'écarlate linceul du pâle Mazarin ?
Avez-vous eu l'honneur de voir rêver Molière ?
Vous a-t-il quelquefois, d'une voix familière,
Vous jetant brusquement un vers mélodieux,
Tutoyé, comme on fait entre les demi-dieux ?
En revenant un soir du fond des avenues,
Ce penseur, qui, voyant les âmes toutes nues,
Ne pouvait avoir peur de votre nudité,
À l'homme en son esprit vous a-t-il confronté ?
Et vous a-t-il trouvé, vous le spectre cynique,
Moins triste, moins méchant, moins froid, moins ironique,
Alors qu'il comparait, s'arrêtant en chemin,
Votre rire de marbre à notre rire humain ? -

Ainsi je lui parlais sous l'épaisse ramure.
Il ne répondit pas même par un murmure.
J'écoutais, incliné sur le marbre glacé,
Mais je n'entendis rien remuer du passé.
La blafarde lueur du jour qui se retire
Blanchissait vaguement l'immobile satyre,
Muet à ma parole et sourd à ma pitié.
À le voir là, sinistre, et sortant à moitié
De son fourreau noirci par l'humide feuillée,
On eût dit la poignée en torse ciselée
D'un vieux glaive rouillé qu'on laisse dans l'étui.

Je secouai la tête et m'éloignai de lui.
Alors des buissons noirs, des branches desséchées
Comme des sœurs en deuil sur sa tête penchées,
Et des antres secrets dispersés dans les bois,
Il me sembla soudain qu'il sortait une voix,
Qui dans mon âme obscure et vaguement sonore
Éveillait un écho comme au fond d'une amphore.

- Ô poète imprudent, que fais-tu ? laisse en paix
Les faunes délaissés sous les arbres épais !
Poète ! ignores-tu qu'il est toujours impie
D'aller, aux lieux déserts où dort l'ombre assoupie,
Secouer, par l'amour fussiez-vous entraînés,
Cette mousse qui pend aux siècles ruinés,
Et troubler, du vain bruit de vos voix indiscrètes,
Le souvenir des morts dans ses sombres retraites ! -

Alors dans les jardins sous la brume enfouis
Je m'enfonçai, rêvant aux jours évanouis,
Tandis que les rameaux s'emplissaient de mystère,
Et que derrière moi le faune solitaire,
Hiéroglyphe obscur d'un antique alphabet,
Continuait de rire à la nuit qui tombait.

J'allais, et contemplant d'un regard triste encore
Tous ces doux souvenirs, beauté, printemps, aurore,
Dans l'air et sous mes pieds épars, mêlés, flottants,
Feuilles de l'autre été, femmes de l'autre temps,
J'entrevoyais au ****, sous les branchages sombres,
Des marbres dans le bois, dans le passé des ombres !

Le 19 mars 1837.
Paul d'Aubin Dec 2016
Ce si long chemin des Mages

Ils se mirent en route juchés sur leurs chameaux,
pour accomplir les prophéties prolongées par leurs subtils calculs.
C'étaient de fameux astrologues et des savants emplis de bonté, de sagesse et de savoir.
Ils n'avaient pu dresser du Cosmos et du chemin à parcourir que des cartes incomplètes mais se mirent d’accord pour suivre cette étoile nouvellement apparue, déjà annoncée dans les écrits anciens.
Cette étoile se manifesta à leurs longues scrutations du cosmos en brillant avec une clarté particulière dans le ciel des comètes.
Deux Mages partirent de Chaldée, le troisième vint des hautes sources du Nil.
Ils se rejoignirent à Jérusalem dans le palais du roi Hérode.
Leur entretien fut marqué par des échanges de présents, de paroles, de miel et d'observations méfiantes  mutuelles.
Cependant, Hérode, s'enquit avec cautèles du motif d'un si long voyage et demanda s'il était en lien avec cette étrange prophétie annonçant la naissance d'un nouveau-né destiné à devenir un jour le probable roi des Juifs.
Puis il demanda qu'ils veuillent bien lui faire connaître l'endroit exact où était tenu ce nouveau futur roi pour l’honorer à son tour.
Les Mages hochèrent la tête avec gravité et évitèrent de se prononcer sur la demande pressante qui leur était faite.
Puis les Mages prirent congé du Tyran Hérode en l'incitant à préférer la pratique de la sagesse plus que de verser dans l' « hubris » que blâmaient tant les philosophes Grecs.
Dès qu'ils eurent repris leur étrange voyage, le roi cruel rongé, par la peur, ordonna à ses espions de suivre les Mages jusqu'à leur probable découverte.
Bien sûr, les Mages furent suivis par de nombreux espions à cheval mais ils dormaient rarement dans des auberges ou des caravansérails.
Pour éloigner leurs suiveurs, les Mages voyageaient souvent de nuit car les suivre devenait alors difficile.
Et, eux seuls, connaissaient l'étoile messagère.
Plusieurs fois, ils perdirent leur chemin s'égarant entre les monts et le fleuve Jourdain.
C'est ainsi qu'ils finirent par égarer les espions.
Avant de s'endormir ils discutaient des sujets inépuisables des science mais surtout de cet enfant à naître promis à tant d'espoirs, du moins l'interprétaient-ils ainsi.
Ils ne savaient pas exactement quel nourrisson, ils allaient trouver, et qui et ou, étaient et résidaient ses parents.
Puis ils pénétrèrent dans un pays d'éleveurs, de rochers et de grottes.
Certains ont dit que c'était le pays de Bethléem de la tribu de David, d'autres ont rapporté que c'était le hameau lui aussi nommé Bethléem mais proche de Nazareth ou Joseph avait son atelier.
Mais le doute est resté tant les témoignages sont souvent bien difficiles à interpréter.
Ce qui est sûr, c'est que l'étoile messagère devint soudain rouge feu et projeta sa clarté tombante sur la terrasse d'une modeste auberge emplie de voyageurs.
Ils se firent connaître de l'hôtelier et demandèrent que leur soit présenté un nouveau-né qui serait abrité ici.
Jésus, fils de Joseph et de Marie, avait été placé dans une mangeoire servant de berceau dans une chambrette bien chèrement louée.
Mais le nourrisson dormait, le plus souvent, et parfois tétait comme tous les bébés de son âge.
Les Mages furent éblouis par tant de simplicité et d'innocence pour celui qui avait été annoncé par tant de prophéties lui annonçant un si grand destin.
Les Mages se présentèrent aux parents, firent connaître la prophétie, leur donnèrent les présents variés; l'or, l'encens et la myrrhe et incitèrent vivement Joseph à se défier du perfide Hérode mais aussi d'un roi criminel de Cœlé-Syrie nommé Cheb Bachar el-Assad et de son complice, le Boyard au visage anguleux et aux yeux froids d'esturgeon, vêtu d'une Chapka et d'un Kaftan et leur commun admirateur et complice Celte, « Fourbix Fillonix » à la triste figure.
Avec l'or qu'ils leurs avaient donné les parents pourraient se rendre aussi discrètement, le plus tôt possible, dans « le pays des pharaons. »
Ils ne pourraient revenir que lorsque la froideur et la rigidité des membres auraient saisi le corps du Tyran qui avait déjà fait périr sa magnifique femme Mariamne, l’Hasmonéenne et deux de ses propres enfants.

Les Mages comprirent alors que le sens profond de leur voyage était de mettre, à l’ abri, pour le futur ; eux, les hommes de savoir, une famille dont le nouveau-né était déjà, en quelque sorte, déjà un « réfugié politique » avant que d'avoir pu marcher et parler.
Car de tout temps le vrai savoir fut souvent l'un des rares secours des Peuples opprimés par ces tyrans ne vivant qu'entre peur et crimes, selon la très ancienne malédiction de ceux qui usent de ce pouvoir immodérément.
Joseph et Marie, avertis par les Mages et de surcroît par un songe fuirent avec discrétion en Egypte dans le pays de Pharaon mettre Jésus à l’abri de la folie sanguinaire de celui qui transmutait sa propre peur en sang. Plus de deux mille ans après,  les questions presque insolubles de la tyrannie et de l’accaparement de l'argent, de la liberté des consciences et religieuses et du pouvoir ne sont toujours pas réglées.

Paul Arrighi
Le prêtre portera l'étole blanche et noire
Lorsque les saints flambeaux pour vous s'allumeront.
Et de leurs longs cheveux voilant leurs fronts d'ivoire
Les jeunes filles pleureront.
A. Guiraud.

I.

Pourquoi m'apportez-vous ma lyre,
Spectres légers ? - que voulez-vous ?
Fantastiques beautés, ce lugubre sourire
M'annonce-t-il votre courroux ?
Sur vos écharpes éclatantes
Pourquoi flotte à longs plis ce crêpe menaçant ?
Pourquoi sur des festons ces chaînes insultantes,
Et ces roses, teintes de sang ?

Retirez-vous : rentrez dans les sombres abîmes...
Ah ! que me montrez-vous ?... quels sont ces trois tombeaux ?
Quel est ce char affreux, surchargé de victimes ?
Quels sont ces meurtriers, couverts d'impurs lambeaux ?
J'entends des chants de mort, j'entends des cris de fête.
Cachez-moi le char qui s'arrête !...
Un fer lentement tombe à mes regards troublés ; -
J'ai vu couler du sang... Est-il bien vrai, parlez,
Qu'il ait rejailli sur ma tête ?

Venez-vous dans mon âme éveiller le remord ?
Ce sang... je n'en suis point coupable !
Fuyez, vierges ; fuyez, famille déplorable :
Lorsque vous n'étiez plus, je n'étais pas encor.
Qu'exigez-vous de moi ? J'ai pleuré vos misères ;
Dois-je donc expier les crimes de mes pères ?
Pourquoi troublez-vous mon repos ?
Pourquoi m'apportez-vous ma lyre frémissante ?
Et des remords à vos bourreaux ?

II.

Sous les murs entourés de cohortes sanglantes,
Siège le sombre tribunal.
L'accusateur se lève, et ses lèvres tremblante
S'agitent d'un rire infernal.
C'est Tainville : on le voit, au nom de la patrie,
Convier aux forfaits cette horde flétrie
D'assassins, juges à leur tour ;
Le besoin du sang le tourmente ;
Et sa voix homicide à la hache fumante
Désigne les têtes du jour.

Il parle : ses licteurs vers l'enceinte fatale
Traînent les malheureux que sa fureur signale ;
Les portes devant eux s'ouvrent avec fracas ;
Et trois vierges, de grâce et de pudeur parées,
De leurs compagnes entourées,
Paraissent parmi les soldats.
Le peuple, qui se tait, frémit de son silence ;
Il plaint son esclavage en plaignant leurs malheurs,
Et repose sur l'innocence
Ses regards las du crime et troublés par ses pleurs.

Eh quoi ! quand ces beautés, lâchement accusées,
Vers ces juges de mort s'avançaient dans les fers,
Ces murs n'ont pas, croulant sous leurs voûtes brisées,
Rendu les monstres aux enfers !
Que faisaient nos guerriers ?... Leur vaillance trompée
Prêtait au vil couteau le secours de l'épée ;
Ils sauvaient ces bourreaux qui souillaient leurs combats.
Hélas ! un même jour, jour d'opprobre et de gloire,
Voyait Moreau monter au char de la victoire.
Et son père au char du trépas !

Quand nos chefs, entourés des armes étrangères,
Couvrant nos cyprès de lauriers,
Vers Paris lentement reportaient leurs bannières,
Frédéric sur Verdun dirigeait ses guerriers.
Verdun, premier rempart de la France opprimée,
D'un roi libérateur crut saluer l'armée.
En vain tonnaient d'horribles lois ;
Verdun se revêtit de sa robe de fête,
Et, libre de ses fers, vint offrir sa conquête
Au monarque vengeur des rois.

Alors, vierges, vos mains (ce fut là votre crime !)
Des festons de la joie ornèrent les vainqueurs.
Ah ! pareilles à la victime,
La hache à vos regards se cachait sous des fleurs.
Ce n'est pas tout ; hélas ! sans chercher la vengeance,
Quand nos bannis, bravant la mort et l'indigence,
Combattaient nos tyrans encor mal affermis,
Vos nobles cœurs ont plaint de si nobles misères ;
Votre or a secouru ceux qui furent nos frères
Et n'étaient pas nos ennemis.

Quoi ! ce trait glorieux, qui trahit leur belle âme,
Sera donc l'arrêt de leur mort !
Mais non, l'accusateur, que leur aspect enflamme,
Tressaille d'un honteux transport.
Il veut, vierges, au prix d'un affreux sacrifice,
En taisant vos bienfaits, vous ravir au supplice ;
Il croit vos chastes cœurs par la crainte abattus.
Du mépris qui le couvre acceptez le partage,
Souillez-vous d'un forfait, l'infâme aréopage
Vous absoudra de vos vertus.

Répondez-moi, vierges timides ;
Qui, d'un si noble orgueil arma ces yeux si doux ?
Dites, qui fit rouler dans vos regards humides
Les pleurs généreux du courroux ?
Je le vois à votre courage :
Quand l'oppresseur qui vous outrage
N'eût pas offert la honte en offrant son bienfait,
Coupables de pitié pour des français fidèles,
Vous n'auriez pas voulu, devant des lois cruelles,
Nier un si noble forfait !

C'en est donc fait ; déjà sous la lugubre enceinte
A retenti l'arrêt dicté par la fureur.
Dans un muet murmure, étouffé par la crainte,
Le peuple, qui l'écoute, exhale son horreur.
Regagnez des cachots les sinistres demeures,
O vierges ! encor quelques heures...
Ah ! priez sans effroi, votre âme est sans remord.
Coupez ces longues chevelures,
Où la main d'une mère enlaçait des fleurs pures,
Sans voir qu'elle y mêlait les pavots de la mort !

Bientôt ces fleurs encor pareront votre tête ;
Les anges vous rendront ces symboles touchants ;
Votre hymne de trépas sera l'hymne de fête
Que les vierges du ciel rediront dans leurs chants.
Vous verrez près de vous, dans ces chœurs d'innocence,
Charlotte, autre Judith, qui vous vengea d'avance ;
Cazotte ; Elisabeth, si malheureuse en vain ;
Et Sombreuil, qui trahit par ses pâleurs soudaines
Le sang glacé des morts circulant dans ses veines ;
Martyres, dont l'encens plaît au Martyr divin !

III.

Ici, devant mes yeux erraient des lueurs sombres ;
Des visions troublaient mes sens épouvantés ;
Les spectres sur mon front balançaient dans les ombres
De longs linceuls ensanglantés.
Les trois tombeaux, le char, les échafauds funèbres,
M'apparurent dans les ténèbres ;
Tout rentra dans la nuit des siècles révolus ;
Les vierges avaient fui vers la naissante aurore ;
Je me retrouvai seul, et je pleurais encor
Quand ma lyre ne chantait plus !

Octobre 1818.
Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.

J'étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres
Son oeil semblait dire : " Après ? "

La rosée offrait ses perles,
Le taillis ses parasols ;
J'allais ; j'écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.

Moi, seize ans, et l'air morose ;
Elle, vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.

Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches
Je ne vis pas son bras blanc.

Une eau courait, fraîche et creuse,
Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.

Rose défit sa chaussure,
Et mit, d'un air ingénu,
Son petit pied dans l'eau pure
Je ne vis pas son pied nu.

Je ne savais que lui dire ;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.

Je ne vis qu'elle était belle
Qu'en sortant des grands bois sourds.
" Soit ; n'y pensons plus ! " dit-elle.
Depuis, j'y pense toujours.

Paris, juin 1831.
Marbre de Paros.

Un jour, au doux rêveur qui l'aime,
En train de montrer ses trésors,
Elle voulut lire un poème,
Le poème de son beau corps.

D'abord, superbe et triomphante
Elle vint en grand apparat,
Traînant avec des airs d'infante
Un flot de velours nacarat :

Telle qu'au rebord de sa loge
Elle brille aux Italiens,
Ecoutant passer son éloge
Dans les chants des musiciens.

Ensuite, en sa verve d'artiste,
Laissant tomber l'épais velours,
Dans un nuage de batiste
Elle ébaucha ses fiers contours.

Glissant de l'épaule à la hanche,
La chemise aux plis nonchalants,
Comme une tourterelle blanche
Vint s'abattre sur ses pieds blancs.

Pour Apelle ou pour Cléoméne,
Elle semblait, marbre de chair,
En Vénus Anadyomène
Poser nue au bord de la mer.

De grosses perles de Venise
Roulaient au lieu de gouttes d'eau,
Grains laiteux qu'un rayon irise,
Sur le frais satin de sa peau.

Oh ! quelles ravissantes choses,
Dans sa divine nudité,
Avec les strophes de ses poses,
Chantait cet hymne de beauté !

Comme les flots baisant le sable
Sous la lune aux tremblants rayons,
Sa grâce était intarissable
En molles ondulations.

Mais bientôt, lasse d'art antique,
De Phidias et de Vénus,
Dans une autre stance plastique
Elle groupe ses charmes nus.

Sur un tapis de Cachemire,
C'est la sultane du sérail,
Riant au miroir qui l'admire
Avec un rire de corail ;

La Géorgienne indolente,
Avec son souple narguilhé,
Etalant sa hanche opulente,
Un pied sous l'autre replié.

Et comme l'odalisque d'Ingres,
De ses reins cambrant les rondeurs,
En dépit des vertus malingres,
En dépit des maigres pudeurs !

Paresseuse odalisque, arrière !
Voici le tableau dans son jour,
Le diamant dans sa lumière ;
Voici la beauté dans l'amour !

Sa tête penche et se renverse ;
Haletante, dressant les seins,
Aux bras du rêve qui la berce,
Elle tombe sur ses coussins.

Ses paupières battent des ailes
Sur leurs globes d'argent bruni,
Et l'on voit monter ses prunelles
Dans la nacre de l'infini.

D'un linceul de point d'Angleterre
Que l'on recouvre sa beauté :
L'extase l'a prise à la terre ;
Elle est morte de volupté !

Que les violettes de Parme,
Au lieu des tristes fleurs des morts
Où chaque perle est une larme,
Pleurent en bouquets sur son corps !

Et que mollement on la pose
Sur son lit, tombeau blanc et doux,
Où le poète, à la nuit close,
Ira prier à deux genoux.
À Stéphane Mallarmé


Il parle italien avec un accent russe.

Il dit : « Chère, il serait précieux que je fusse

Riche, et seul, tout demain et tout après-demain.

Mais riche à paver d'or monnayé le chemin

De l'Enfer, et si seul qu'il vous va falloir prendre

Sur vous de m'oublier jusqu'à ne plus entendre

Parler de moi sans vous dire de bonne foi :

Qu'est-ce que ce monsieur Félice ? Il vend de quoi ? »


Cela s'adresse à la plus blanche des comtesses.


Hélas ! toute grandeurs, toutes délicatesses,

Cœur d'or, comme l'on dit, âme de diamant,

Riche, belle, un mari magnifique et charmant

Qui lui réalisait toute chose rêvée,

Adorée, adorable, une Heureuse, la Fée,

La Reine, aussi la Sainte, elle était tout cela,

Elle avait tout cela.

Cet homme vint, vola

Son cœur, son âme, en fit sa maîtresse et sa chose

Et ce que la voilà dans ce doux peignoir rose

Avec ses cheveux d'or épars comme du feu,

Assise, et ses grands yeux d'azur tristes un peu.


Ce fut une banale et terrible aventure

Elle quitta de nuit l'hôtel. Une voiture

Attendait. Lui dedans. Ils restèrent six mois

Sans que personne sût où ni comment. Parfois

On les disait partis à toujours. Le scandale

Fut affreux. Cette allure était par trop brutale

Aussi pour que le monde ainsi mis au défi

N'eût pas frémi d'une ire énorme et poursuivi

De ses langues les plus agiles l'insensée.

Elle, que lui faisait ? Toute à cette pensée,

Lui, rien que lui, longtemps avant qu'elle s'enfuît,

Ayant réalisé son avoir (sept ou huit

Millions en billets de mille qu'on liasse

Ne pèsent pas beaucoup et tiennent peu de place.)

Elle avait tassé tout dans un coffret mignon

Et le jour du départ, lorsque son compagnon

Dont du rhum bu de trop rendait la voix plus tendre

L'interrogea sur ce colis qu'il voyait pendre

À son bras qui se lasse, elle répondit : « Ça

C'est notre bourse. »

Ô tout ce qui se dépensa !

Il n'avait rien que sa beauté problématique

(D'autant pire) et que cet esprit dont il se pique

Et dont nous parlerons, comme de sa beauté,

Quand il faudra... Mais quel bourreau d'argent ! Prêté,

Gagné, volé ! Car il volait à sa manière,

Excessive, partant respectable en dernière

Analyse, et d'ailleurs respectée, et c'était

Prodigieux la vie énorme qu'il menait

Quand au bout de six mois ils revinrent.


Le coffre

Aux millions (dont plus que quatre) est là qui s'offre

À sa main. Et pourtant cette fois - une fois

N'est pas coutume - il a gargarisé sa voix

Et remplacé son geste ordinaire de prendre

Sans demander, par ce que nous venons d'entendre.

Elle s'étonne avec douceur et dit : « Prends tout

Si tu veux. »

Il prend tout et sort.


Un mauvais goût

Qui n'avait de pareil que sa désinvolture

Semblait pétrir le fond même de sa nature,

Et dans ses moindres mots, dans ses moindres clins d'yeux,

Faisait luire et vibrer comme un charme odieux.

Ses cheveux noirs étaient trop bouclés pour un homme,

Ses yeux très grands, tout verts, luisaient comme à Sodome.

Dans sa voix claire et lente un serpent s'avançait,

Et sa tenue était de celles que l'on sait :

Du vernis, du velours, trop de linge, et des bagues.

D'antécédents, il en avait de vraiment vagues

Ou pour mieux dire, pas. Il parut un beau soir,

L'autre hiver, à Paris, sans qu'aucun pût savoir

D'où venait ce petit monsieur, fort bien du reste

Dans son genre et dans son outrecuidance leste.

Il fit rage, eut des duels célèbres et causa

Des morts de femmes par amour dont on causa.

Comment il vint à bout de la chère comtesse,

Par quel philtre ce gnome insuffisant qui laisse

Une odeur de cheval et de femme après lui

A-t-il fait d'elle cette fille d'aujourd'hui ?

Ah, ça, c'est le secret perpétuel que berce

Le sang des dames dans son plus joli commerce,

À moins que ce ne soit celui du Diable aussi.

Toujours est-il que quand le tour eut réussi

Ce fut du propre !


Absent souvent trois jours sur quatre,

Il rentrait ivre, assez lâche et vil pour la battre,

Et quand il voulait bien rester près d'elle un peu,

Il la martyrisait, en manière de jeu,

Par l'étalage de doctrines impossibles.


· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·


Mia, je ne suis pas d'entre les irascibles,

Je suis le doux par excellence, mais, tenez,

Ça m'exaspère, et je le dis à votre nez,

Quand je vous vois l'œil blanc et la lèvre pincée,

Avec je ne sais quoi d'étroit dans la pensée

Parce que je reviens un peu soûl quelquefois.

Vraiment, en seriez-vous à croire que je bois

Pour boire, pour licher, comme vous autres chattes,

Avec vos vins sucrés dans vos verres à pattes

Et que l'Ivrogne est une forme du Gourmand ?

Alors l'instinct qui vous dit ça ment plaisamment

Et d'y prêter l'oreille un instant, quel dommage !

Dites, dans un bon Dieu de bois est-ce l'image

Que vous voyez et vers qui vos vœux vont monter ?

L'Eucharistie est-elle un pain à cacheter

Pur et simple, et l'amant d'une femme, si j'ose

Parler ainsi consiste-t-il en cette chose

Unique d'un monsieur qui n'est pas son mari

Et se voit de ce chef tout spécial chéri ?

Ah, si je bois c'est pour me soûler, non pour boire.

Être soûl, vous ne savez pas quelle victoire

C'est qu'on remporte sur la vie, et quel don c'est !

On oublie, on revoit, on ignore et l'on sait ;

C'est des mystères pleins d'aperçus, c'est du rêve

Qui n'a jamais eu de naissance et ne s'achève

Pas, et ne se meut pas dans l'essence d'ici ;

C'est une espèce d'autre vie en raccourci,

Un espoir actuel, un regret qui « rapplique »,

Que sais-je encore ? Et quant à la rumeur publique,

Au préjugé qui hue un homme dans ce cas,

C'est hideux, parce que bête, et je ne plains pas

Ceux ou celles qu'il bat à travers son extase,

Ô que nenni !


· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·


« Voyons, l'amour, c'est une phrase

Sous un mot, - avouez, un écoute-s'il-pleut,

Un calembour dont un chacun prend ce qu'il veut,

Un peu de plaisir fin, beaucoup de grosse joie

Selon le plus ou moins de moyens qu'il emploie,

Ou pour mieux dire, au gré de son tempérament,

Mais, entre nous, le temps qu'on y perd ! Et comment !

Vrai, c'est honteux que des personnes sérieuses

Comme nous deux, avec ces vertus précieuses

Que nous avons, du cœur, de l'esprit, - de l'argent,

Dans un siècle que l'on peut dire intelligent

Aillent !... »


· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·


Ainsi de suite, et sa fade ironie

N'épargnait rien de rien dans sa blague infinie.

Elle écoutait le tout avec les yeux baissés

Des cœurs aimants à qui tous torts sont effacés,

Hélas !

L'après-demain et le demain se passent.

Il rentre et dit : « Altro ! Que voulez-vous que fassent

Quatre pauvres petits millions contre un sort ?

Ruinés, ruinés, je vous dis ! C'est la mort

Dans l'âme que je vous le dis. »

Elle frissonne

Un peu, mais sait que c'est arrivé.

- « Ça, personne,

« Même vous, diletta, ne me croit assez sot

Pour demeurer ici dedans le temps d'un saut

De puce. »

Elle pâlit très fort et frémit presque,

Et dit : « Va, je sais tout. » - « Alors c'est trop grotesque

Et vous jouez là sans atouts avec le feu.

- « Qui dit non ? » - « Mais je suis spécial à ce jeu. »

- « Mais si je veux, exclame-t-elle, être damnée ? »

- « C'est différent, arrange ainsi ta destinée,

« Moi, je sors. » « Avec moi ! » - « Je ne puis aujourd'hui. »

Il a disparu sans autre trace de lui

Qu'une odeur de soufre et qu'un aigre éclat de rire.


Elle tire un petit couteau.

Le temps de luire

Et la lame est entrée à deux lignes du cœur.

Le temps de dire, en renfonçant l'acier vainqueur :

« À toi, je t'aime ! » et la justice la recense.


Elle ne savait pas que l'Enfer c'est l'absence.
(À M. de la Mennais)

Oui, mon âme se plaît à secouer ses chaînes :
Déposant le fardeau des misères humaines,
Laissant errer mes sens dans ce monde des corps,
Au monde des esprits je monte sans efforts.
Là, foulant à mes pieds cet univers visible,
Je plane en liberté dans les champs du possible,
Mon âme est à l'étroit dans sa vaste prison :

Il me faut un séjour qui n'ait pas d'horizon.
Comme une goutte d'eau dans l'Océan versée,
L'infini dans son sein absorbe ma pensée ;
Là, reine de l'espace et de l'éternité,
Elle ose mesurer le temps, l'immensité,
Aborder le néant, parcourir l'existence,
Et concevoir de Dieu l'inconcevable essence.
Mais sitôt que je veux peindre ce que je sens,
Toute parole expire en efforts impuissants.
Mon âme croit parler, ma langue embarrassée
Frappe l'air de vingt sons, ombre de ma pensée.
Dieu fit pour les esprits deux langages divers :
En sons articulés l'un vole dans les airs ;
Ce langage borné s'apprend parmi les hommes,
Il suffit aux besoins de l'exil où nous sommes,
Et, suivant des mortels les destins inconstants
Change avec les climats ou passe avec les temps.
L'autre, éternel, sublime, universel, immense,
Est le langage inné de toute intelligence :
Ce n'est point un son mort dans les airs répandu,
C'est un verbe vivant dans le coeur entendu ;
On l'entend, on l'explique, on le parle avec l'âme ;
Ce langage senti touche, illumine, enflamme ;
De ce que l'âme éprouve interprètes brûlants,
Il n'a que des soupirs, des ardeurs, des élans ;
C'est la langue du ciel que parle la prière,
Et que le tendre amour comprend seul sur la terre.
Aux pures régions où j'aime à m'envoler,
L'enthousiasme aussi vient me la révéler.
Lui seul est mon flambeau dans cette nuit profonde,
Et mieux que la raison il m'explique le monde.
Viens donc ! Il est mon guide, et je veux t'en servir.
A ses ailes de feu, viens, laisse-toi ravir !
Déjà l'ombre du monde à nos regards s'efface,
Nous échappons au temps, nous franchissons l'espace.
Et dans l'ordre éternel de la réalité,
Nous voilà face à face avec la vérité !
Cet astre universel, sans déclin, sans aurore,
C'est Dieu, c'est ce grand tout, qui soi-même s'adore !
Il est ; tout est en lui : l'immensité, les temps,
De son être infini sont les purs éléments ;
L'espace est son séjour, l'éternité son âge ;
Le jour est son regard, le monde est son image ;
Tout l'univers subsiste à l'ombre de sa main ;
L'être à flots éternels découlant de son sein,
Comme un fleuve nourri par cette source immense,
S'en échappe, et revient finir où tout commence.
Sans bornes comme lui ses ouvrages parfaits
Bénissent en naissant la main qui les a faits !
Il peuple l'infini chaque fois qu'il respire ;
Pour lui, vouloir c'est faire, exister c'est produire !
Tirant tout de soi seul, rapportant tout à soi,
Sa volonté suprême est sa suprême loi !
Mais cette volonté, sans ombre et sans faiblesse,
Est à la fois puissance, ordre, équité, sagesse.
Sur tout ce qui peut être il l'exerce à son gré ;
Le néant jusqu'à lui s'élève par degré :
Intelligence, amour, force, beauté, jeunesse,
Sans s'épuiser jamais, il peut donner sans cesse,
Et comblant le néant de ses dons précieux,
Des derniers rangs de l'être il peut tirer des dieux !
Mais ces dieux de sa main, ces fils de sa puissance,
Mesurent d'eux à lui l'éternelle distance,
Tendant par leur nature à l'être qui les fit ;
Il est leur fin à tous, et lui seul se suffit !
Voilà, voilà le Dieu que tout esprit adore,
Qu'Abraham a servi, que rêvait Pythagore,
Que Socrate annonçait, qu'entrevoyait Platon ;
Ce Dieu que l'univers révèle à la raison,
Que la justice attend, que l'infortune espère,
Et que le Christ enfin vint montrer à la terre !
Ce n'est plus là ce Dieu par l'homme fabriqué,
Ce Dieu par l'imposture à l'erreur expliqué,
Ce Dieu défiguré par la main des faux prêtres,
Qu'adoraient en tremblant nos crédules ancêtres.
Il est seul, il est un, il est juste, il est bon ;
La terre voit son oeuvre, et le ciel sait son nom !
Heureux qui le connaît ! plus heureux qui l'adore !
Qui, tandis que le monde ou l'outrage ou l'ignore,
Seul, aux rayons pieux des lampes de la nuit,
S'élève au sanctuaire où la foi l'introduit
Et, consumé d'amour et de reconnaissance,
Brûle comme l'encens son âme en sa présence !
Mais pour monter à lui notre esprit abattu
Doit emprunter d'en haut sa force et sa vertu.
Il faut voler au ciel sur des ailes de flamme :
Le désir et l'amour sont les ailes de l'âme.
Ah ! que ne suis-je né dans l'âge où les humains,
Jeunes, à peine encore échappés de ses mains,
Près de Dieu par le temps, plus près par l'innocence,
Conversaient avec lui, marchaient en sa présence ?
Que n'ai-je vu le monde à son premier soleil ?
Que n'ai-je entendu l'homme à son premier réveil ?
Tout lui parlait de toi, tu lui parlais toi-même ;
L'univers respirait ta majesté suprême ;
La nature, sortant des mains du Créateur,
Etalait en tous sens le nom de son auteur ;
Ce nom, caché depuis sous la rouille des âges,
En traits plus éclatants brillait sur tes Ouvrages ;
L'homme dans le passé ne remontait qu'à toi ;
Il invoquait son père, et tu disais : C'est moi.
Longtemps comme un enfant ta voix daigna l'instruire,
Et par la main longtemps tu voulus le conduire.
Que de fois dans ta gloire à lui tu t'es montré,
Aux vallons de Sennar, aux chênes de Membré,
Dans le buisson d'Horeb, ou sur l'auguste cime
Où Moïse aux Hébreux dictait sa loi sublime !
Ces enfants de Jacob, premiers-nés des humains,
Reçurent quarante ans la manne de tes mains
Tu frappais leur esprit par tes vivants oracles !
Tu parlais à leurs yeux par la voix des miracles !
Et lorsqu'ils t'oubliaient, tes anges descendus
Rappelaient ta mémoire à leurs coeurs éperdus !
Mais enfin, comme un fleuve éloigné de sa source,
Ce souvenir si pur s'altéra dans sa course !
De cet astre vieilli la sombre nuit des temps
Eclipsa par degrés les rayons éclatants ;
Tu cessas de parler ; l'oubli, la main des âges,
Usèrent ce grand nom empreint dans tes ouvrages ;
Les siècles en passant firent pâlir la foi ;
L'homme plaça le doute entre le monde et toi.
Oui, ce monde, Seigneur, est vieilli pour ta gloire ;
Il a perdu ton nom, ta trace et ta mémoire
Et pour les retrouver il nous faut, dans son cours,
Remonter flots à flots le long fleuve des jours !
Nature ! firmament ! l'oeil en vain vous contemple ;
Hélas ! sans voir le Dieu, l'homme admire le temple,
Il voit, il suit en vain, dans les déserts des cieux,
De leurs mille soleils le cours mystérieux !
Il ne reconnaît plus la main qui les dirige !
Un prodige éternel cesse d'être un prodige !
Comme ils brillaient hier, ils brilleront demain !
Qui sait où commença leur glorieux chemin ?
Qui sait si ce flambeau, qui luit et qui féconde,
Une première fois s'est levé sur le monde ?
Nos pères n'ont point vu briller son premier tour
Et les jours éternels n'ont point de premier jour.
Sur le monde moral, en vain ta providence,
Dans ces grands changements révèle ta présence !
C'est en vain qu'en tes jeux l'empire des humains
Passe d'un sceptre à l'autre, errant de mains en mains ;
Nos yeux accoutumés à sa vicissitude
Se sont fait de ta gloire une froide habitude ;
Les siècles ont tant vu de ces grands coups du sort :
Le spectacle est usé, l'homme engourdi s'endort.
Réveille-nous, grand Dieu ! parle et change le monde ;
Fais entendre au néant ta parole féconde.
Il est temps ! lève-toi ! sors de ce long repos ;
Tire un autre univers de cet autre chaos.
A nos yeux assoupis il faut d'autres spectacles !
A nos esprits flottants il faut d'autres miracles !
Change l'ordre des cieux qui ne nous parle plus !
Lance un nouveau soleil à nos yeux éperdus !
Détruis ce vieux palais, indigne de ta gloire ;
Viens ! montre-toi toi-même et force-nous de croire !
Mais peut-être, avant l'heure où dans les cieux déserts
Le soleil cessera d'éclairer l'univers,
De ce soleil moral la lumière éclipsée
Cessera par degrés d'éclairer la pensée ;
Et le jour qui verra ce grand flambeau détruit
Plongera l'univers dans l'éternelle nuit.
Alors tu briseras ton inutile ouvrage :
Ses débris foudroyés rediront d'âge en âge :
Seul je suis ! hors de moi rien ne peut subsister !
L'homme cessa de croire, il cessa d'exister !
Adam était fort amoureux.
Maigre comme un clou, les yeux creux ;
Son Ève était donc bien heureuse
D'être sa belle Ève amoureuse,
Mais... fiez-vous donc à demain !
Un soir, en promenant sa main
Sur le moins beau torse du monde,
Ah !... sa surprise fut profonde !
Il manquait une côte... là.
Tiens ! Tiens ! que veut dire cela ?
Se dit Ève, en baissant la tête.
Mais comme Ève n'était pas bête,
Tout d'abord Ève ne fit rien
Que s'en assurer bel et bien.
« Vous, Madame, avec cette mine ?
Qu'avez-vous donc qui vous chagrine ? »
Lui dit Adam, le jour suivant.
« Moi, rien... dit Ève... c'est... le vent. »
Or, le vent donnait sous la plume,
Contrairement à sa coutume.
Un autre eût été dépité,
Mais comme il avait la gaieté
Inaltérable de son âge,
Il s'en fut à son jardinage
Tout comme si de rien n'était.

Cependant, Ève s'em...bêtait
Comme s'ennuie une Princesse.
« Il faut, nom de Dieu ! que ça cesse »,
Se dit Ève, d'un ton tranchant.
« Je veux le voir, oui, sur-le-champ »,
Je dirai : « Sire, il manque à l'homme
Une côte, c'est sûr ; en somme,
En général, ça ne fait rien,
Mais ce général, c'est le mien.
Il faut donc la lui donner vite.
Moi, j'ai mon compte, ça m'évite
De vous importuner ; mais lui,
N'a pas le sien, c'est un ennui.
Ce détail me gâte la fête.
Puisque je suis toute parfaite,
J'ai bien droit au mari parfait.
Il ne peut que dire : en effet »,
Ici la Femme devint... rose,

« Et s'il dit, prenant mal la chose :
« Ton Adam n'est donc plus tout nu !
Que lui-même il n'est pas venu ?
A-t-il sa langue dans sa poche ?
Sur la mèche où le cœur s'accroche,
La casquette à n'en plus finir ?
Est-il en train de devenir...
Soutenu ?... » Que répliquerai-je ?
La Femme ici devint... de neige.

Sitôt qu'Adam fut de retour
Ève passa ses bras autour
Du cou, le plus fort de son monde,
Et, renversant sa tête blonde,
Reçut deux grands baisers joyeux ;
Puis fermant à demi les yeux,
Pâmée au rire de sa bouche,
Elle l'attira vers sa couche,
Où, commençant à s'incliner,
L'on se mit à se lutiner.
Soudain : « Ah ! qu'as-tu là ? » fit Ève.
Adam parut sortir d'un rêve.
« Là... mais, rien... », dit-il. « Justement,
Tu n'as rien, comme c'est charmant !
Tu vois, il te manque une côte.
Après tout, ce n'est pas ta faute,
Tu ne dois pas te tourmenter ;
Mais sur l'heure, il faut tout quitter,
Aller voir le Prince, et lui dire
Ce qu'humblement ton cœur désire ;
Que tu veux ta côte, voilà.
Or, pour lui, qu'est-ce que cela ?
Moins que rien, une bagatelle. »
Et prenant sa voix d'Immortelle :
« Allons ! Monsieur... tout de ce pas. »
Ève changea de ritournelle,
Et lorsqu'Adam était... sur elle,
Elle répétait d'un ton las :
« Pourquoi, dis, que tu m'aimes pas ? »
« Mais puisque ça ne se voit pas »,
Dit Adam. « Ça se sent », dit Ève,
Avec sa voix sifflante et brève.

Adam partit à contrecœur,
Car dans le fond il avait peur
De dire, en cette conjoncture,
À l'Auteur de la créature :
Vous avez fait un pas de clerc
En ratant ma côte, c'est clair.
Sa démarche impliquait un blâme.
Mais il voulait plaire à sa femme.

Ève attendit une heure vingt
Bonnes minutes ; il revint
Souriant, la mine attendrie,
Et, baisant sa bouche fleurie,
L'étreignant de son bras musclé :
« Je ne l'ai pas, pourtant je l'ai.
Je la tiens bien puisque je t'aime,
Sans l'avoir, je l'ai tout de même. »

Ève, sentant que ça manquait
Toujours, pensa qu'il se moquait ;
Mais il lui raconta l'histoire
Qu'il venait d'apprendre, il faut croire,
De l'origine de son corps,
Qu'Ève était sa côte, et qu'alors...
La chose...

« Ah ! c'est donc ça..., dit-elle,
Que le jour, oui, je me rappelle,
Où nous nous sommes rencontrés
Dans les parterres diaprés,
Tu m'as, en tendant tes mains franches,
Dit : « Voici la fleur de mes branches,
Et voilà le fruit de ma chair ! »
« En effet, ma chère ! »

« Ah !... mon cher !
J'avais pris moi cette parole
Au figuré... Mais j'étais folle ! »

« Je t'avais prise au figuré
Moi-même », dit Adam, paré
De sa dignité fraîche éclose
Et qui lui prêtait quelque chose
Comme un ton de maître d'hôtel,
Déjà suffisamment mortel ;
« L'ayant dit un peu comme on tousse.
Vois, quand la vérité nous pousse,
Il faut la dire, malgré soi. »

« Je ne peux pas moi comme toi »,
Fut tout ce que répondit Ève.

La nuit s'en va, le jour se lève,
Adam saisit son arrosoir,
Et : « Ma belle enfant, à ce soir ! »
Sa belle enfant ! pauvre petite !
Elle, jadis sa... favorite,
Était son enfant, à présent.
Quoi ? Ce n'était pas suffisant
Qu'Adam n'eût toujours pas sa côte,
À présent c'était de sa faute !
Elle en avait les bras cassés !
Et ce n'était encore assez.
Il fallait cette côte absente
Qu'elle en parût reconnaissante !

Doux Jésus !
Tout fut bien changé.

Ève prit son air affligé,
Et lorsqu'Adam parmi les branches
Voyait bouder ses... formes blanches
Et que, ne pouvant s'en passer,
Il accourait, pour l'embrasser,
Tout rempli d'une envie affreuse :
« Ah ! que je suis donc malheureuse ! »
Disait Ève, qui s'affalait.

Enfin, un jour qu'Adam parlait
D'une voix trop brusque et trop haute :
« Pourquoi, dis, que t'as pas ta côte ? »

« Voyons ! vous vous... fichez de moi !
Tu le sais bien,... comment, c'est toi,
Toi, ma côte, qui se réclame ! »
« Ça n'empêche pas, dit la Femme,
À ta place, j'insisterais. »

« Si je faisais de nouveaux frais,
Dit Adam, j'aurais trop de honte.
Nous avons chacun notre compte,
Toi comme moi, tu le sais bien,
Et le Prince ne nous doit rien ;
Car nul en terme de boutique
Ne tient mieux son arithmétique. »
Ce raisonnement était fort,
Ève pourtant n'avait pas tort.

Sur ces entrefaites, la femme
S'en vint errer, le vague à l'âme,
Autour de l'arbre défendu.
Le serpent s'y trouvait pendu
Par la queue, il leva la tête.
« Ève, comme vous voilà faite ! »
Dit-il, en la voyant venir.

La pauvre Ève n'y put tenir ;
Elle lui raconta sa peine,
Et même fit voir... une veine.
Le bon Vieux en parut navré.
« Tiens ! Tiens ! dit-il ; c'est pourtant vrai.
Eh ! bien ! moi : j'ai votre remède ;
Et je veux vous venir en aide,
Car je sais où tout ça conduit.
Écoute-moi, prends de ce fruit. »
« Oh ! non ! » dit Ève « Et la défense ? »
« Ton prince est meilleur qu'il ne pense
Et ne peut vous faire mourir.
Prends cette pomme et va l'offrir
À ton mari, pour qu'il en mange,
Et, dit, entr'autres choses, l'Ange,
Parfaits alors, comme des Dieux,
En lui, plus de vide odieux !
Vois quelle épine je vous ôte.
Ce pauvre Adam aura sa côte. »
C'était tout ce qu'Ève voulait.
Le fruit était là qui parlait,
Ève étendît donc sa main blanche
Et le fit passer de la branche
Sous sa nuque, dans son chignon.

Ève trouva son compagnon
Qui dormait étendu sur l'herbe,
Dans une pose peu superbe,
Le front obscurci par l'ennui.

Ève s'assit auprès de lui,
Ève s'empara de la pomme,
Se tourna du côté de l'Homme
Et la plaçant bien sous son nez,
**** de ses regards étonnés :
« Tiens ! regarde ! la belle pêche ! »
- « Pomme », dit-il d'une voix sèche.
« Pêche ! Pêche ! » - « Pomme. » - « Comment ?
Ce fruit d'or, d'un rose charmant,
N'est pas une pomme bien ronde ?
Voyons !... demande à tout le monde ? »
- « Qui, tout le monde ? » Ève sourit :
« J'ai dit tout le monde ? » et reprit,
Lui prenant doucement la tête :
« Eh ! oui, c'est une pomme, bête,
Qui ne comprends pas qu'on voulait
T'attraper... Ah ! fi ! que c'est laid !
Pour me punir, mon petit homme,
Je vais t'en donner, de ma pomme. »
Et l'éclair de son ongle luit,
Qui se perd dans la peau du fruit.

On était au temps des cerises,
Et justement l'effort des brises,
Qui soufflait dans les cerisiers,
En fit tomber une à leurs pieds !

« Malheureuse ! que vas-tu faire ? »
Crie Adam, rouge de colère,
Qui soudain a tout deviné,
Veut se saisir du fruit damné,
Mais l'homme avait trouvé son maître.
« Je serai seule à la commettre »,
Dit Ève en éloignant ses bras,
Si hautaine... qu'il n'osa pas.

Puis très tranquillement, sans fièvres,
Ève met le fruit sur ses lèvres,
Ève le mange avec ses dents.

L'homme baissa ses yeux ardents
Et de ses mains voila sa face.

« Moi, que voulez-vous que j'y fasse ?
Dit Ève ; c'est mon bon plaisir ;
Je n'écoute que mon désir
Et je le contente sur l'heure.
Mieux que vous... qu'a-t-il donc ? il pleure !
En voulez-vous ?
Non, et pourquoi ?
Vous voyez, j'en mange bien, moi.
D'ailleurs, songez qu'après ma faute
Nous ne vivrons plus côte à côte,
On va nous séparer... c'est sûr,
On me l'a dit, par un grand mur.
En voulez-vous ? »
Lui, tout en larmes,
S'enfonçait, songeant à ses charmes,
Dans le royaume de Sa voix.
Enfin, pour la dernière fois
Prenant sa tête qu'Ève couche,
« En veux-tu, dis ? Ouvre ta bouche ! »

Et c'est ainsi qu'Adam mangea
À peu près tout, Ève déjà
N'en ayant pris qu'une bouchée ;
Mais Ève eût été bien fâchée
Du contraire, pour l'avenir.
Il a besoin de devenir
Dieu, bien plus que moi, pensait-Elle.

Quand l'homme nous l'eut baillé belle,
Tu sais ce qui lors arriva ;
Le pauvre Adam se retrouva
Plus bête qu'avant, par sa faute.
Car s'il eût su plaindre sa côte,
Son Ève alors n'eût point péché ;
De plus, s'il se fût attaché
À son Prince, du fond de l'âme,
S'il n'eût point écouté sa femme,
Ton cœur a déjà deviné
Que le Seigneur eût pardonné,
Le motif d'Ève, au fond valable,
N'ayant pas eu pour détestable
Suite la faute du mari.

Lequel plus **** fut bien chéri
Et bien dorloté par « sa chère »,
Mais quand, mécontent de la chère,
Il disait : « Je suis trop bon, moi !
- Sans doute, disait Ève, toi,
T'es-un-bon-bonhomme, sur terre,
Mais... tu n'as pas de caractère ! »
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

- Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !

II

Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son cors Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

III

Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !

- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.

Ô ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...

IV

Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens  
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur,
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire,
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !

Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au **** dans une longue extase...
C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini !

Le 29 avril 1870.
Sonnet.

Dans la salle à manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m'épatais dans mon immense chaise.

En mangeant, j'écoutais l'horloge, - heureux et coi.
La cuisine s'ouvrit avec une bouffée,
- Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement coiffée

Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,
En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,

Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m'aiser ;
- Puis, comme ça, - bien sûr, pour avoir un baiser, -
Tout bas : " Sens donc, j'ai pris 'une' froid sur la joue..."
Tandis que l'étoile inodore
Que l'été mêle aux blonds épis
Emaille de son bleu lapis
Les sillons que la moisson dore,
Avant que, de fleurs dépeuplés,
Les champs aient subi les faucilles,
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

Entre les villes andalouses,
Il n'en est pas qui sous le ciel
S'étende mieux que Peñafiel
Sur les gerbes et les pelouses,
Pas qui dans ses murs crénelés
Lève de plus fières bastilles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

Il n'est pas de cité chrétienne,
Pas de monastère à beffroi,
Chez le Saint-Père et chez le Roi,
Où, vers la Saint-Ambroise, il vienne
Plus de bons pèlerins hâlés,
Portant bourdon, gourde et coquilles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

Dans nul pays, les jeunes femmes,
Les soirs, lorsque l'on danse en rond,
N'ont plus de roses sur le front,
Et n'ont dans le cœur plus de flammes ;
Jamais plus vifs et plus voilés
Regards n'ont lui sous les mantilles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

La perle de l'Andalousie,
Alice, était de Peñafiel,
Alice qu'en faisant son miel
Pour fleur une abeille eût choisie.
Ces jours, hélas ! sont envolés !
On la citait dans les familles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

Un étranger vint dans la ville,
Jeune, et parlant avec dédain.
Etait-ce un maure grenadin ?
Un de Murcie ou de Séville ?
Venait-il des bords désolés
Où Tunis a ses escadrilles ?...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

On ne savait. - La pauvre Alice
En fut aimée, et puis l'aima.
Le doux vallon du Xarama
De leur doux péché fut complice.
Le soir, sous les cieux étoilés,
Tous deux erraient par les charmilles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

La ville était lointaine et sombre ;
Et la lune, douce aux amours,
Se levant derrière les tours
Et les clochers perdus dans l'ombre,
Des édifices dentelés
Découpait en noir les aiguilles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

Cependant, d'Alice jalouses,
En rêvant au bel étranger,
Sous l'arbre à soie et l'oranger
Dansaient les brunes andalouses ;
Les cors, aux guitares mêlés,
Animaient les joyeux quadrilles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

L'oiseau dort dans le lit de mousse
Que déjà menace l'autour ;
Ainsi dormait dans son amour
Alice confiante et douce.
Le jeune homme aux cheveux bouclés,
C'était don Juan, roi des Castilles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

Or c'est péril qu'aimer un prince.
Un jour, sur un noir palefroi
On la jeta de par le roi ;
On l'arracha de la province ;
Un cloître sur ses jours troublés
De par le roi ferma ses grilles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Cueillir des bleuets dans les blés !

Le 13 avril 1828.
À Madame *.

Il est donc vrai, vous vous plaignez aussi,
Vous dont l'oeil noir, *** comme un jour de fête,
Du monde entier pourrait chasser l'ennui.
Combien donc pesait le souci
Qui vous a fait baisser la tête ?
C'est, j'imagine, un aussi lourd fardeau
Que le roitelet de la fable ;
Ce grand chagrin qui vous accable
Me fait souvenir du roseau.
Je suis bien **** d'être le chêne,
Mais, dites-moi, vous qu'en un autre temps
(Quand nos aïeux vivaient en bons enfants)
J'aurais nommée Iris, ou Philis, ou Climène,
Vous qui, dans ce siècle bourgeois,
Osez encor me permettre parfois
De vous appeler ma marraine,
Est-ce bien vous qui m'écrivez ainsi,
Et songiez-vous qu'il faut qu'on vous réponde ?
Savez-vous que, dans votre ennui,
Sans y penser, madame et chère blonde,
Vous me grondez comme un ami ?
Paresse et manque de courage,
Dites-vous ; s'il en est ainsi,
Je vais me remettre à l'ouvrage.
Hélas ! l'oiseau revient au nid,
Et quelquefois même à la cage.
Sur mes lauriers on me croit endormi ;
C'est trop d'honneur pour un instant d'oubli,
Et dans mon lit les lauriers n'ont que faire ;
Ce ne serait pas mon affaire.
Je sommeillais seulement à demi,
À côté d'un brin de verveine
Dont le parfum vivait à peine,
Et qu'en rêvant j'avais cueilli.
Je l'avouerai, ce coupable silence,
Ce long repos, si maltraité de vous,
Paresse, amour, folie ou nonchalance,
Tout ce temps perdu me fut doux.
Je dirai plus, il me fut profitable ;
Et, si jamais mon inconstant esprit
Sait revêtir de quelque fable
Ce que la vérité m'apprit,
Je vous paraîtrai moins coupable.
Le silence est un conseiller
Qui dévoile plus d'un mystère ;
Et qui veut un jour bien parler
Doit d'abord apprendre à se taire.
Et, quand on se tairait toujours,
Du moment qu'on vit et qu'on aime,
Qu'importe le reste ? et vous-même,
Quand avez-vous compté les jours ?
Et puisqu'il faut que tout s'évanouisse,
N'est-ce donc pas une folle avarice,
De conserver comme un trésor
Ce qu'un coup de vent nous enlève ?
Le meilleur de ma vie a passé comme un rêve
Si léger, qu'il m'est cher encor.
Mais revenons à vous, ma charmante marraine.
Vous croyez donc vous ennuyer ?
Et l'hiver qui s'en vient, rallumant le foyer,
A fait rêver la châtelaine.
Un roman, dites-vous, pourrait vous égayer ;
Triste chose à vous envoyer !
Que ne demandez-vous un conte à La Fontaine ?
C'est avec celui-là qu'il est bon de veiller ;
Ouvrez-le sur votre oreiller,
Vous verrez se lever l'aurore.
Molière l'a prédit, et j'en suis convaincu,
Bien des choses auront vécu
Quand nos enfants liront encore
Ce que le bonhomme a conté,
Fleur de sagesse et de gaieté.
Mais quoi ! la mode vient, et tue un vieil usage.
On n'en veut plus, du sobre et franc langage
Dont il enseignait la douceur,
Le seul français, et qui vienne du cœur ;
Car, n'en déplaise à l'Italie,
La Fontaine, sachez-le bien,
En prenant tout n'imita rien ;
Il est sorti du sol de la patrie,
Le vert laurier qui couvre son tombeau ;
Comme l'antique, il est nouveau.
Ma protectrice bien-aimée,
Quand votre lettre parfumée
Est arrivée à votre. enfant gâté,
Je venais de causer en toute liberté
Avec le grand ami Shakespeare.
Du sujet cependant Boccace était l'auteur ;
Car il féconde tout, ce charmant inventeur ;
Même après l'autre, il fallait le relire.
J'étais donc seul, ses Nouvelles en main,
Et de la nuit la lueur azurée,
Se jouant avec le matin,
Etincelait sur la tranche dorée
Du petit livre florentin ;
Et je songeais, quoi qu'on dise ou qu'on fasse,
Combien c'est vrai que les Muses sont sœurs ;
Qu'il eut raison, ce pinceau plein de grâce,
Qui nous les montre au sommet du Parnasse,
Comme une guirlande de fleurs !
La Fontaine a ri dans Boccace,
Où Shakespeare fondait en pleurs.
Sera-ce trop que d'enhardir ma muse
Jusqu'à tenter de traduire à mon tour
Dans ce livre amoureux une histoire d'amour ?
Mais tout est bon qui vous amuse.
Je n'oserais, si ce n'était pour vous,
Car c'est beaucoup que d'essayer ce style
Tant oublié, qui fut jadis si doux,
Et qu'aujourd'hui l'on croit facile.

Il fut donc, dans notre cité,
Selon ce qu'on nous a conté
(Boccace parle ainsi ; la cité, c'est Florence),
Un gros marchand, riche, homme d'importance,
Qui de sa femme eut un enfant ;
Après quoi, presque sur-le-champ,
Ayant mis ordre à ses affaires,
Il passa de ce monde ailleurs.
La mère survivait ; on nomma des tuteurs,
Gens loyaux, prudents et sévères ;
Capables de se faire honneur
En gardant les biens d'un mineur.
Le jouvenceau, courant le voisinage,
Sentit d'abord douceur de cœur
Pour une fille de son âge,
Qui pour père avait un tailleur ;
Et peu à peu l'enfant devenant homme,
Le temps changea l'habitude en amour,
De telle sorte que Jérôme
Sans voir Silvia ne pouvait vivre un jour.
À son voisin la fille accoutumée
Aima bientôt comme elle était aimée.
De ce danger la mère s'avisa,
Gronda son fils, longtemps moralisa,
Sans rien gagner par force ou par adresse.
Elle croyait que la richesse
En ce monde doit tout changer,
Et d'un buisson peut faire un oranger.
Ayant donc pris les tuteurs à partie,
La mère dit : « Cet enfant que voici,
Lequel n'a pas quatorze ans, Dieu merci !
Va désoler le reste de ma vie.
Il s'est si bien amouraché
De la fille d'un mercenaire,
Qu'un de ces jours, s'il n'en est empêché,
Je vais me réveiller grand'mère.
Soir ni matin, il ne la quitte pas.
C'est, je crois, Silvia qu'on l'appelle ;
Et, s'il doit voir quelque autre dans ses bras,
Il se consumera pour elle.
Il faudrait donc, avec votre agrément,
L'éloigner par quelque voyage ;
Il est jeune, la fille est sage,
Elle l'oubliera sûrement ;
Et nous le marierons à quelque honnête femme. »
Les tuteurs dirent que la dame
Avait parlé fort sagement.
« Te voilà grand, dirent-ils à Jérôme,
Il est bon de voir du pays.
Va-t'en passer quelques jours à Paris,
Voir ce que c'est qu'un gentilhomme,
Le bel usage, et comme on vit là-bas ;
Dans peu de temps tu reviendras. »
À ce conseil, le garçon, comme on pense,
Répondit qu'il n'en ferait rien,
Et qu'il pouvait voir aussi bien
Comment l'on vivait à Florence.
Là-dessus, la mère en fureur
Répond d'abord par une grosse injure ;
Puis elle prend l'enfant par la douceur ;
On le raisonne, on le conjure,
À ses tuteurs il lui faut obéir ;
On lui promet de ne le retenir
Qu'un an au plus. Tant et tant on le prie,
Qu'il cède enfin. Il quitte sa patrie ;
Il part, tout plein de ses amours,
Comptant les nuits, comptant les jours,
Laissant derrière lui la moitié de sa vie.
L'exil dura deux ans ; ce long terme passé,
Jérôme revint à Florence,
Du mal d'amour plus que jamais blessé,
Croyant sans doute être récompensé.
Mais. c'est un grand tort que l'absence.
Pendant qu'au **** courait le jouvenceau,
La fille s'était mariée.
En revoyant les rives de l'Arno,
Il n'y trouva que le tombeau
De son espérance oubliée.
D'abord il n'en murmura point,
Sachant que le monde, en ce point,
Agit rarement d'autre sorte.
De l'infidèle il connaissait la porte,
Et tous les jours il passait sur le seuil,
Espérant un signe, un coup d'oeil,
Un rien, comme on fait quand on aime.
Mais tous ses pas furent perdus
Silvia ne le connaissait plus,
Dont il sentit une douleur extrême.
Cependant, avant d'en mourir,
Il voulut de son souvenir
Essayer de parler lui-même.
Le mari n'était pas jaloux,
Ni la femme bien surveillée.
Un soir que les nouveaux époux
Chez un voisin étaient à la veillée,
Dans la maison, au tomber de la nuit,
Jérôme entra, se cacha près du lit,
Derrière une pièce de toile ;
Car l'époux était tisserand,
Et fabriquait cette espèce de voile
Qu'on met sur un balcon toscan.
Bientôt après les mariés rentrèrent,
Et presque aussitôt se couchèrent.
Dès qu'il entend dormir l'époux,
Dans l'ombre vers Silvia Jérôme s'achemine,
Et lui posant la main sur la poitrine,
Il lui dit doucement : « Mon âme, dormez-vous ?
La pauvre enfant, croyant voir un fantôme,
Voulut crier ; le jeune homme ajouta
« Ne criez pas, je suis votre Jérôme.
- Pour l'amour de Dieu, dit Silvia,
Allez-vous-en, je vous en prie.
Il est passé, ce temps de notre vie
Où notre enfance eut loisir de s'aimer,
Vous voyez, je suis mariée.
Dans les devoirs auxquels je suis liée,
Il ne me sied plus de penser
À vous revoir ni vous entendre.
Si mon mari venait à vous surprendre,
Songez que le moindre des maux
Serait pour moi d'en perdre le repos ;
Songez qu'il m'aime et que je suis sa femme. »
À ce discours, le malheureux amant
Fut navré jusqu'au fond de l'âme.
Ce fut en vain qu'il peignit son tourment,
Et sa constance et sa misère ;
Par promesse ni par prière,
Tout son chagrin ne put rien obtenir.
Alors, sentant la mort venir,
Il demanda que, pour grâce dernière,
Elle le laissât se coucher
Pendant un instant auprès d'elle,
Sans bouger et sans la toucher,
Seulement pour se réchauffer,
Ayant au cœur une glace mortelle,
Lui promettant de ne pas dire un mot,
Et qu'il partirait aussitôt,
Pour ne la revoir de sa vie.
La jeune femme, ayant quelque compassion,
Moyennant la condition,
Voulut contenter son envie.
Jérôme profita d'un moment de pitié ;
Il se coucha près de Silvie.
Considérant alors quelle longue amitié
Pour cette femme il avait eue,
Et quelle était sa cruauté,
Et l'espérance à tout jamais perdue,
Il résolut de cesser de souffrir,
Et rassemblant dans un dernier soupir
Toutes les forces de sa vie,
Il serra la main de sa mie,
Et rendit l'âme à son côté.
Silvia, non sans quelque surprise,
Admirant sa tranquillité,
Resta d'abord quelque temps indécise.
« Jérôme, il faut sortir d'ici,
Dit-elle enfin, l'heure s'avance. »
Et, comme il gardait le silence,
Elle pensa qu'il s'était endormi.
Se soulevant donc à demi,
Et doucement l'appelant à voix basse,
Elle étendit la main vers lui,
Et le trouva froid comme glace.
Elle s'en étonna d'abord ;
Bientôt, l'ayant touché plus fort,
Et voyant sa peine inutile,
Son ami restant immobile,
Elle comprit qu'il était mort.
Que faire ? il n'était pas facile
De le savoir en un moment pareil.
Elle avisa de demander conseil
À son mari, le tira de son somme,
Et lui conta l'histoire de Jérôme,
Comme un malheur advenu depuis peu,
Sans dire à qui ni dans quel lieu.
« En pareil cas, répondit le bonhomme,
Je crois que le meilleur serait
De porter le mort en secret
À son logis, l'y laisser sans rancune,
Car la femme n'a point failli,
Et le mal est à la fortune.
- C'est donc à nous de faire ainsi, »
Dit la femme ; et, prenant la main de son mari
Elle lui fit toucher près d'elle
Le corps sur son lit étendu.
Bien que troublé par ce coup imprévu,
L'époux se lève, allume sa chandelle ;
Et, sans entrer en plus de mots,
Sachant que sa femme est fidèle,
Il charge le corps sur son dos,
À sa maison secrètement l'emporte,
Le dépose devant la porte,
Et s'en revient sans avoir été vu.
Lorsqu'on trouva, le jour étant venu,
Le jeune homme couché par terre,
Ce fut une grande rumeur ;
Et le pire, dans ce malheur,
Fut le désespoir de la mère.
Le médecin aussitôt consulté,
Et le corps partout visité,
Comme on n'y vit point de blessure,
Chacun parlait à sa façon
De cette sinistre aventure.
La populaire opinion
Fut que l'amour de sa maîtresse
Avait jeté Jérôme en cette adversité,
Et qu'il était mort de tristesse,
Comme c'était la vérité.
Le corps fut donc à l'église porté,
Et là s'en vint la malheureuse mère,
Au milieu des amis en deuil,
Exhaler sa douleur amère.
Tandis qu'on menait le cercueil,
Le tisserand qui, dans le fond de l'âme,
Ne laissait pas d'être inquiet :
« Il est bon, dit-il à sa femme,
Que tu prennes ton mantelet,
Et t'en ailles à cette église
Où l'on enterre ce garçon
Qui mourut hier à la maison.
J'ai quelque peur qu'on ne médise
Sur cet inattendu trépas,
Et ce serait un mauvais pas,
Tout innocents que nous en sommes.
Je me tiendrai parmi les hommes,
Et prierai Dieu, tout en les écoutant.
De ton côté, prends soin d'en faire autant
À l'endroit qu'occupent les femmes.
Tu retiendras ce que ces bonnes âmes
Diront de nous, et nous ferons
Selon ce que nous entendrons. »
La pitié trop **** à Silvie
Etait venue, et ce discours lui plut.
Celui dont un baiser eût conservé la vie,
Le voulant voir encore, elle s'en fut.
Il est étrange, il est presque incroyable
Combien c'est chose inexplicable
Que la puissance de l'amour.
Ce cœur, si chaste et si sévère,
Qui semblait fermé sans retour
Quand la fortune était prospère,
Tout à coup s'ouvrit au malheur.
À peine dans l'église entrée,
De compassion et d'horreur
Silvia se sentit pénétrée ;
L'ancien amour s'éveilla tout entier.
Le front baissé, de son manteau voilée,
Traversant la triste assemblée,
Jusqu'à la bière il lui fallut aller ;
Et là, sous le drap mortuaire
Sitôt qu'elle vit son ami,
Défaillante et poussant un cri,
Comme une sœur embrasse un frère,
Sur le cercueil elle tomba ;
Et, comme la douleur avait tué Jérôme,
De sa douleur ainsi mourut Silvia.
Cette fois ce fut au jeune homme
A céder la moitié du lit :
L'un près de l'autre on les ensevelit.
Ainsi ces deux amants, séparés sur la terre,
Furent unis, et la mort fit
Ce que l'amour n'avait pu faire.
À Paul Léautaud.

Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s'il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.


Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte

Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon

Que tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimée
Je suis le souverain d'Égypte
Sa sœur-épouse son armée
Si tu n'es pas l'amour unique

Au tournant d'une rue brûlant
De tous les feux de ses façades
Plaies du brouillard sanguinolent
Où se lamentaient les façades
Une femme lui ressemblant

C'était son regard d'inhumaine
La cicatrice à son cou nu
Sortit saoule d'une taverne
Au moment où je reconnus
La fausseté de l'amour même

Lorsqu'il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Près d'un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu'il revînt

L'époux royal de Sacontale
Las de vaincre se réjouit
Quand il la retrouva plus pâle
D'attente et d'amour yeux pâlis
Caressant sa gazelle mâle

J'ai pensé à ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infidèles
Me rendirent si malheureux

Regrets sur quoi l'enfer se fonde
Qu'un ciel d'oubli s'ouvre à mes vœux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre

J'ai hiverné dans mon passé
Revienne le soleil de Pâques
Pour chauffer un cœur plus glacé
Que les quarante de Sébaste
Moins que ma vie martyrisés

Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir

Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s'éloigne
Avec celle que j'ai perdue
L'année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus

Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nébuleuses

Je me souviens d'une autre année
C'était l'aube d'un jour d'avril
J'ai chanté ma joie bien-aimée
Chanté l'amour à voix virile
Au moment d'amour de l'année.
Naguiere chanter je voulois
Comme Francus au bord Gaulois
Avecq' sa troupe vint descendre,
Mais mon luc pinçé de mon doi,
Ne vouloit en dépit de moi
Que chanter Amour, et Cassandre.

Je pensoi pource que toujours
J'avoi dit sur lui mes amours,
Que ses cordes par long usage
Chantoient d'amour, et qu'il faloit
En mettre d'autres, s'on vouloit
Luy aprendre un autre langage.

Et pour ce faire, il n'y eut fust,
Archet, ne corde, qui ne fust
Echangée en d'autres nouvelles :
Mais apres qu'il fut remonté,
Plus haut que davant a chanté
Comme il souloit, les damoyselles.

Or adieu doncq' pauvre Francus,
Ta gloire, sous tes murs veinqus,
Se cachera toujours pressée,
Si, à ton neveu, nostre Roi,
Tu ne dis qu'en l'honneur de toi,
Il face ma Lyre crossée.
I.

Quand la terre engloutit les cités qui la couvrent,
Que le vent sème au **** un poison voyageur,
Quand l'ouragan mugit, quand des monts brûlants s'ouvrent,
C'est le réveil du Dieu vengeur.
Et si, lassant enfin les clémences célestes,
Le monde à ces signes funestes
Ose répondre en les bravant,
Un homme alors, choisi par la main qui foudroie,
Des aveugles fléaux ressaisissant la proie,
Paraît, comme un fléau vivant !

Parfois, élus maudits de la fureur suprême,
Entre les nations des hommes sont passés,
Triomphateurs longtemps armés de l'anathème,
Par l'anathème renversés.
De l'esprit de Nemrod héritiers formidables,
Ils ont sur les peuples coupables
Régné par la flamme et le fer ;
Et dans leur gloire impie, en désastres féconde,
Ces envoyés du ciel sont apparus au monde,
Comme s'ils venaient de l'enfer !

II.

Naguère, de lois affranchis,
Quand la reine des nations
Descendit de la monarchie,
Prostituée aux factions,
On vit, dans ce chaos fétide
Naître de l'hydre régicide
Un despote, empereur d'un camp.
Telle souvent la mer qui gronde
Dévore une plaine féconde
Et ***** un sombre volcan.

D'abord, troublant du Nil les hautes catacombes,
Il vint, chef populaire, y combattre en courant,
Comme pour insulter des tyrans dans leurs tombes,
Sous sa tente de conquérant. -
Il revint pour régner sur ses compagnons d'armes.
En vain l'auguste France en larmes
Se promettait des jours plus beaux ;
Quand des vieux pharaons il foulait la couronne,
Sourd à tant de néant, ce n'était qu'un grand trône
Qu'il rêvait sur leurs grands tombeaux.

Un sang royal teignit sa pourpre usurpatrice ;
Un guerrier fut frappé par ce guerrier sans foi ;
L'anarchie, à Vincennes, admira son complice,
Au Louvre elle adora son roi.
Il fallut presque un Dieu pour consacrer cet homme.
Le Prêtre-Monarque de Rome
Vint bénir son front menaçant ;
Car, sans doute en secret effrayé de lui-même,
Il voulait recevoir son sanglant diadème
Des mains d'où le pardon descend.

III.

Lorsqu'il veut, le Dieu secourable,
Qui livre au méchant les pervers,
Brise le jouet formidable
Dont il tourmentait l'univers.
Celui qu'un instant il seconde
Se dit le seul maître du monde ;
Fier, il s'endort dans son néant ;
Enfin, bravant la loi commune,
Quand il croit tenir sa fortune,
Le fantôme échappe au géant.

IV.

Dans la nuit des forfaits, dans l'éclat des victoires,
Cet homme, ignorant Dieu qui l'avait envoyé,
De cités en cités promenant ses prétoires,
Marchait, sur sa gloire appuyé.
Sa dévorante armée avait, dans son passage,
Asservi les fils de Pélage
Devant les fils de Galgacus ;
Et, quand dans leurs foyers il ramenait ses braves
Aux fêtes qu'il vouait à ces vainqueurs esclaves,
Il invitait les rois vaincus !

Dix empires conquis devinrent ses provinces.
Il ne fut pas content dans son orgueil fatal.
Il ne voulait dormir qu'en une cour de princes,
Sur un trône continental.
Ses aigles, qui volaient sous vingt cieux parsemées,
Au nord, de ses longues armées
Guidèrent l'immense appareil ;
Mais là parut l'écueil de se course hardie,
Les peuples sommeillaient : un sanglant incendie
Fut l'aurore du grand réveil.

Il tomba roi ; - puis, dans sa route,
Il voulut, fantôme ennemi,
Se relever, afin sans doute
De ne plus tomber à demi.
Alors, **** de sa tyrannie,
Pour qu'une effrayante harmonie
Frappât l'orgueil anéanti,
On jeta ce captif suprême
Sur un rocher, débris lui-même
De quelque ancien monde englouti !

Là, se refroidissant comme un torrent de lave,
Gardé par ses vaincus, chassé de l'univers,
Ce reste d'un tyran, en s'éveillant esclave,
N'avait fait que changer de fers.
Des trônes restaurés écoutant la fanfare,
Il brillait de **** comme un phare,
Montrant l'écueil au nautonier.
Il mourut. - Quand ce bruit éclata dans nos villes,
Le monde respira dans les fureurs civiles,
Délivré de son prisonnier.

Ainsi l'orgueil s'égare en sa marche éclatante,
Colosse né d'un souffle et qu'un regard abat.
Il fit du glaive un sceptre, et du trône une tente.
Tout son règne fut un combat.
Du fléau qu'il portait lui-même tributaire,
Il tremblait, prince de la terre ;
Soldat, on vantait sa valeur.
Retombé dans son cœur comme dans un abîme,
Il passa par la gloire, il passa par le crime,
Et n'est arrivé qu'au malheur.

V.

Peuples, qui poursuivez d'hommages
Les victimes et les bourreaux,
Laissez-le fuir seul dans les âges ; -
Ce ne sont point là les héros.
Ces faux dieux, que leur siècle encense,
Dont l'avenir hait la puissance,
Vous trompent dans votre sommeil ;
Tels que ces nocturnes aurores
Où passent de grands météores,
Mais que ne suit pas le soleil.

Mars 1822.
Psyché dans ma chambre est entrée,
Et j'ai dit à ce papillon :
- « Nomme-moi la chose sacrée.
« Est-ce l'ombre ? est-ce le rayon ?

« Est-ce la musique des lyres ?
« Est-ce le parfum de la fleur ?
« Quel est entre tous les délires
« Celui qui fait l'homme meilleur ?

« Quel est l'encens ? quelle est la flamme ?
« Et l'organe de l'avatar,
« Et pour les souffrants le dictame,
« Et pour les heureux le nectar ?

« Enseigne-moi ce qui fait vivre,
« Ce qui fait que l'oeil brille et voit !
« Enseigne-moi l'endroit du livre
« Où Dieu pensif pose son doigt.

« Qu'est-ce qu'en sortant de l'Érèbe
« Dante a trouvé de plus complet ?
« Quel est le mot des sphinx de Thèbe
« Et des ramiers du Paraclet ?

« Quelle est la chose, humble et superbe,
« Faite de matière et d'éther,
« Où Dieu met le plus de son verbe
« Et l'homme le plus de sa chair ?

« Quel est le pont que l'esprit montre,
« La route de la fange au ciel,
« Où Vénus Astarté rencontre
« À mi-chemin Ithuriel ?

« Quelle est la clef splendide et sombre,
« Comme aux élus chère aux maudits,
« Avec laquelle on ferme l'ombre
« Et l'on ouvre le paradis ?

« Qu'est-ce qu'Orphée et Zoroastre,
« Et Christ que Jean vint suppléer,
« En mêlant la rose avec l'astre,
« Auraient voulu pouvoir créer ?

« Puisque tu viens d'en haut, déesse,
« Ange, peut-être le sais-tu ?
« Ô Psyché ! quelle est la sagesse ?
« Ô Psyché ! quelle est la vertu ?

« Qu'est-ce que, pour l'homme et la terre,
« L'infini sombre a fait de mieux ?
« Quel est le chef-d'oeuvre du père ?
« Quel est le grand éclair des cieux ? »

Posant sur mon front, sous la nue,
Ses ailes qu'on ne peut briser,
Entre lesquelles elle est nue,
Psyché m'a dit : C'est le baiser.
Elle ne connaissait ni l'orgueil ni la haine ;
Elle aimait ; elle était pauvre, simple et sereine ;
Souvent le pain qui manque abrégeait son repas.
Elle avait trois enfants, ce qui n'empêchait pas
Qu'elle ne se sentît mère de ceux qui souffrent.
Les noirs événements qui dans la nuit s'engouffrent,
Les flux et les reflux, les abîmes béants,
Les nains, sapant sans bruit l'ouvrage des géants,
Et tous nos malfaiteurs inconnus ou célèbres,
Ne l'épouvantaient point ; derrière ces ténèbres,
Elle apercevait Dieu construisant l'avenir.
Elle sentait sa foi sans cesse rajeunir
De la liberté sainte elle attisait les flammes
Elle s'inquiétait des enfants et des femmes ;
Elle disait, tendant la main aux travailleurs :
La vie est dure ici, mais sera bonne ailleurs.
Avançons ! - Elle allait, portant de l'un à l'autre
L'espérance ; c'était une espèce d'apôtre
Que Dieu, sur cette terre où nous gémissons tous,
Avait fait mère et femme afin qu'il fût plus doux ;
L'esprit le plus farouche aimait sa voix sincère.
Tendre, elle visitait, sous leur toit de misère,
Tous ceux que la famine ou la douleur abat,
Les malades pensifs, gisant sur leur grabat,
La mansarde où languit l'indigence morose ;
Quand, par hasard moins pauvre, elle avait quelque chose,
Elle le partageait à tous comme une sœur ;
Quand elle n'avait rien, elle donnait son cœur.
Calme et grande, elle aimait comme le soleil brille.
Le genre humain pour elle était une famille
Comme ses trois enfants étaient l'humanité.
Elle criait : progrès ! amour ! fraternité !
Elle ouvrait aux souffrants des horizons sublimes.

Quand Pauline Roland eut commis tous ces crimes,
Le sauveur de l'église et de l'ordre la prit
Et la mit en prison. Tranquille, elle sourit,
Car l'éponge de fiel plaît à ces lèvres pures.
Cinq mois, elle subit le contact des souillures,
L'oubli, le rire affreux du vice, les bourreaux,
Et le pain noir qu'on jette à travers les barreaux,
Edifiant la geôle au mal habituée,
Enseignant la voleuse et la prostituée.
Ces cinq mois écoulés, un soldat, un bandit,
Dont le nom souillerait ces vers, vint et lui dit
- Soumettez-vous sur l'heure au règne qui commence,
Reniez votre foi ; sinon, pas de clémence,
Lambessa ! choisissez. - Elle dit : Lambessa.
Le lendemain la grille en frémissant grinça,
Et l'on vit arriver un fourgon cellulaire.
- Ah ! voici Lambessa, dit-elle sans colère.
Elles étaient plusieurs qui souffraient pour le droit
Dans la même prison. Le fourgon trop étroit
Ne put les recevoir dans ses cloisons infâmes
Et l'on fit traverser tout Paris à ces femmes
Bras dessus bras dessous avec les argousins.
Ainsi que des voleurs et que des assassins,
Les sbires les frappaient de paroles bourrues.
S'il arrivait parfois que les passants des rues,
Surpris de voir mener ces femmes en troupeau,
S'approchaient et mettaient la main à leur chapeau,
L'argousin leur jetait des sourires obliques,
Et les passants fuyaient, disant : filles publiques !
Et Pauline Roland disait : courage, sœurs !
L'océan au bruit rauque, aux sombres épaisseurs,
Les emporta. Durant la rude traversée,
L'horizon était noir, la bise était glacée,
Sans l'ami qui soutient, sans la voix qui répond,
Elles tremblaient. La nuit, il pleuvait sur le pont
Pas de lit pour dormir, pas d'abri sous l'orage,
Et Pauline Roland criait : mes soeurs, courage !
Et les durs matelots pleuraient en les voyant.
On atteignit l'Afrique au rivage effrayant,
Les sables, les déserts qu'un ciel d'airain calcine,
Les rocs sans une source et sans une racine ;
L'Afrique, lieu d'horreur pour les plus résolus,
Terre au visage étrange où l'on ne se sent plus
Regardé par les yeux de la douce patrie.
Et Pauline Roland, souriante et meurtrie,
Dit aux femmes en pleurs : courage, c'est ici.
Et quand elle était seule, elle pleurait aussi.
Ses trois enfants ! **** d'elle ! Oh ! quelle angoisse amère !
Un jour, un des geôliers dit à la pauvre mère
Dans la casbah de Bône aux cachots étouffants :
Voulez-vous être libre et revoir vos enfants ?
Demandez grâce au prince. - Et cette femme forte
Dit : - J'irai les revoir lorsque je serai morte.
Alors sur la martyre, humble cœur indompté,
On épuisa la haine et la férocité.
Bagnes d'Afrique ! enfers qu'a sondés Ribeyrolles !
Oh ! la pitié sanglote et manque de paroles.
Une femme, une mère, un esprit ! ce fut là
Que malade, accablée et seule, on l'exila.
Le lit de camp, le froid et le chaud, la famine,
Le jour l'affreux soleil et la nuit la vermine,
Les verrous, le travail sans repos, les affronts,
Rien ne plia son âme ; elle disait : - Souffrons.
Souffrons comme Jésus, souffrons comme Socrate. -
Captive, on la traîna sur cette terre ingrate ;
Et, lasse, et quoiqu'un ciel torride l'écrasât,
On la faisait marcher à pied comme un forçat.
La fièvre la rongeait ; sombre, pâle, amaigrie,
Le soir elle tombait sur la paille pourrie,
Et de la France aux fers murmurait le doux nom.
On jeta cette femme au fond d'un cabanon.
Le mal brisait sa vie et grandissait son âme.
Grave, elle répétait : « Il est bon qu'une femme,
Dans cette servitude et cette lâcheté,
Meure pour la justice et pour la liberté. »
Voyant qu'elle râlait, sachant qu'ils rendront compte,
Les bourreaux eurent peur, ne pouvant avoir honte
Et l'homme de décembre abrégea son exil.
« Puisque c'est pour mourir, qu'elle rentre ! » dit-il.
Elle ne savait plus ce que l'on faisait d'elle.
L'agonie à Lyon la saisit. Sa prunelle,
Comme la nuit se fait quand baisse le flambeau,
Devint obscure et vague, et l'ombre du tombeau
Se leva lentement sur son visage blême.
Son fils, pour recueillir à cette heure suprême
Du moins son dernier souffle et son dernier regard,
Accourut. Pauvre mère ! Il arriva trop ****.
Elle était morte ; morte à force de souffrance,
Morte sans avoir su qu'elle voyait la France
Et le doux ciel natal aux rayons réchauffants
Morte dans le délire en criant : mes enfants !
On n'a pas même osé pleurer à ses obsèques ;
Elle dort sous la terre. - Et maintenant, évêques,
Debout, la mitre au front, dans l'ombre du saint lieu,
Crachez vos Te Deum à la face de Dieu !

Jersey, le 12 mars 1853.
Au mois d'avril, quand l'an se renouvelle,
L'aube ne sort si fraîche de la mer :
Ni hors des flots la déesse (1) d'aimer
Ne vint à Cypre en sa conque si belle,

Comme je vis la beauté que j'appelle
Mon astre saint, au matin s'éveiller,
Rire le ciel, la terre s'émailler,
Et les Amours voler à l'entour d'elle.

Amour, Jeunesse, et les Grâces qui sont
Filles du ciel lui pendaient sur le front :
Mais ce qui plus redoubla mon service (2),

C'est qu'elle avait un visage sans art.
La femme laide est belle d'artifice,
La femme belle est belle sans du fard.


1. Vénus, née de l'écume de la mer.
2. M'assujettit davantage à son service.
O horrible ! o horrible ! most horrible !
Shakespeare, Hamlet.

On a cru devoir réimprimer cette ode telle qu'elle a été composée et publiée
en juin 1826, à l'époque du désastre de Missolonghi. Il est important de se rappeler,
en la lisant, que tous les journaux d'Europe annoncèrent alors la mort de Canaris,
tué dans son brûlot par une bombe turque, devant la ville qu'il venait secourir.
Depuis, cette nouvelle fatale a été heureusement démentie.


I.

Le dôme obscur des nuits, semé d'astres sans nombre,
Se mirait dans la mer resplendissante et sombre ;
La riante Stamboul, le front d'étoiles voilé,
Semblait, couchée au bord du golfe qui l'inonde,
Entre les feux du ciel et les reflets de l'onde,
Dormir dans un globe étoilé.

On eût dit la cité dont les esprits nocturnes
Bâtissent dans les airs les palais taciturnes,
À voir ses grands harems, séjours des longs ennuis,
Ses dômes bleus, pareils au ciel qui les colore,
Et leurs mille croissants, que semblaient faire éclore
Les rayons du croissant des nuits.

L'œil distinguait les tours par leurs angles marquées,
Les maisons aux toits plats, les flèches des mosquées,
Les moresques balcons en trèfles découpés,
Les vitraux, se cachant sous des grilles discrètes,
Et les palais dorés, et comme des aigrettes
Les palmiers sur leur front groupés.

Là, de blancs minarets dont l'aiguille s'élance
Tels que des mâts d'ivoire armés d'un fer de lance ;
Là, des kiosques peints ; là, des fanaux changeants ;
Et sur le vieux sérail, que ses hauts murs décèlent,
Cent coupoles d'étain, qui dans l'ombre étincellent
Comme des casques de géants !

II.

Le sérail...! Cette nuit il tressaillait de joie.
Au son des gais tambours, sur des tapis de soie,
Les sultanes dansaient sous son lambris sacré ;
Et, tel qu'un roi couvert de ses joyaux de fête,
Superbe, il se montrait aux enfants du prophète,
De six mille têtes paré !

Livides, l'œil éteint, de noirs cheveux chargés,
Ces têtes couronnaient, sur les créneaux rangées,
Les terrasses de rose et de jasmins en fleur :
Triste comme un ami, comme lui consolante,
La lune, astre des morts, sur leur pâleur sanglante
Répandait sa douce pâleur.

Dominant le sérail, de la porte fatale
Trois d'entre elles marquaient l'ogive orientale ;
Ces têtes, que battait l'aile du noir corbeau,
Semblaient avoir reçu l'atteinte meurtrière,
L'une dans les combats, l'autre dans la prière,
La dernière dans le tombeau.

On dit qu'alors, tandis qu'immobiles comme elles,
Veillaient stupidement les mornes sentinelles,
Les trois têtes soudain parlèrent ; et leurs voix
Ressemblaient à ces chants qu'on entend dans les rêves,
Aux bruits confus du flot qui s'endort sur les grèves,
Du vent qui s'endort dans les bois !

III.

La première voix.

« Où suis-je...? mon brûlot ! à la voile ! à la rame !
Frères, Missolonghi fumante nous réclame,
Les Turcs ont investi ses remparts généreux.
Renvoyons leurs vaisseaux à leurs villes lointaines,
Et que ma torche, ô capitaines !
Soit un phare pour vous, soit un foudre pour eux !

« Partons ! Adieu Corinthe et son haut promontoire,
Mers dont chaque rocher porte un nom de victoire,
Écueils de l'Archipel sur tous les flots semés,
Belles îles, des cieux et du printemps chéries,
Qui le jour paraissez des corbeilles fleuries,
La nuit, des vases parfumés !

« Adieu, fière patrie, Hydra, Sparte nouvelle !
Ta jeune liberté par des chants se révèle ;
Des mâts voilent tes murs, ville de matelots !
Adieu ! j'aime ton île où notre espoir se fonde,
Tes gazons caressés par l'onde,
Tes rocs battus d'éclairs et rongés par les flots !

« Frères, si je reviens, Missolonghi sauvée,
Qu'une église nouvelle au Christ soit élevée.
Si je meurs, si je tombe en la nuit sans réveil,
Si je verse le sang qui me reste à répandre,
Dans une terre libre allez porter ma cendre,
Et creusez ma tombe au soleil !

« Missolonghi ! - Les Turcs ! - Chassons, ô camarades,
Leurs canons de ses forts, leurs flottes de ses rades.
Brûlons le capitan sous son triple canon.
Allons ! que des brûlots l'ongle ardent se prépare.
Sur sa nef, si je m'en empare,
C'est en lettres de feu que j'écrirai mon nom.

« Victoire ! amis...! - Ô ciel ! de mon esquif agile
Une bombe en tombant brise le pont fragile...
Il éclate, il tournoie, il s'ouvre aux flots amers !
Ma bouche crie en vain, par les vagues couverte !
Adieu ! je vais trouver mon linceul d'algue verte,
Mon lit de sable au fond des mers.

« Mais non ! Je me réveille enfin...! Mais quel mystère ?
Quel rêve affreux...! mon bras manque à mon cimeterre.
Quel est donc près de moi ce sombre épouvantail ?
Qu'entends-je au ****...? des chœurs... sont-ce des voix de femmes ?
Des chants murmurés par des âmes ?
Ces concerts...! suis-je au ciel ? - Du sang... c'est le sérail ! »

IV.

La deuxième voix.

« Oui, Canaris, tu vois le sérail et ma tête
Arrachée au cercueil pour orner cette fête.
Les Turcs m'ont poursuivi sous mon tombeau glacé.
Vois ! ces os desséchés sont leur dépouille opime :
Voilà de Botzaris ce qu'au sultan sublime
Le ver du sépulcre a laissé !

« Écoute : Je dormais dans le fond de ma tombe,
Quand un cri m'éveilla : Missolonghi succombe !
Je me lève à demi dans la nuit du trépas ;
J'entends des canons sourds les tonnantes volées,
Les clameurs aux clameurs mêlées,
Les chocs fréquents du fer, le bruit pressé des pas.

« J'entends, dans le combat qui remplissait la ville,
Des voix crier : « Défends d'une horde servile,
Ombre de Botzaris, tes Grecs infortunés ! »
Et moi, pour m'échapper, luttant dans les ténèbres,
J'achevais de briser sur les marbres funèbres
Tous mes ossements décharnés.

« Soudain, comme un volcan, le sol s'embrase et gronde... -
Tout se tait ; - et mon œil ouvert pour l'autre monde
Voit ce que nul vivant n'eût pu voir de ses yeux.
De la terre, des flots, du sein profond des flammes,
S'échappaient des tourbillons d'âmes
Qui tombaient dans l'abîme ou s'envolaient aux cieux !

« Les Musulmans vainqueurs dans ma tombe fouillèrent ;
Ils mêlèrent ma tête aux vôtres qu'ils souillèrent.
Dans le sac du Tartare on les jeta sans choix.
Mon corps décapité tressaillit d'allégresse ;
Il me semblait, ami, pour la Croix et la Grèce
Mourir une seconde fois.

« Sur la terre aujourd'hui notre destin s'achève.
Stamboul, pour contempler cette moisson du glaive,
Vile esclave, s'émeut du Fanar aux Sept-Tours ;
Et nos têtes, qu'on livre aux publiques risées,
Sur l'impur sérail exposées,
Repaissent le sultan, convive des vautours !

« Voilà tous nos héros ! Costas le palicare ;
Christo, du mont Olympe ; Hellas, des mers d'Icare ;
Kitzos, qu'aimait Byron, le poète immortel ;
Et cet enfant des monts, notre ami, notre émule,
Mayer, qui rapportait aux fils de Thrasybule
La flèche de Guillaume Tell !

« Mais ces morts inconnus, qui dans nos rangs stoïques
Confondent leurs fronts vils à des fronts héroïques,
Ce sont des fils maudits d'Eblis et de Satan,
Des Turcs, obscur troupeau, foule au sabre asservie,
Esclaves dont on prend la vie,
Quand il manque une tête au compte du sultan !

« Semblable au Minotaure inventé par nos pères,
Un homme est seul vivant dans ces hideux repaires,
Qui montrent nos lambeaux aux peuples à genoux ;
Car les autres témoins de ces fêtes fétides,
Ses eunuques impurs, ses muets homicides,
Ami, sont aussi morts que nous.

« Quels sont ces cris...? - C'est l'heure où ses plaisirs infâmes
Ont réclamé nos sœurs, nos filles et nos femmes.
Ces fleurs vont se flétrir à son souffle inhumain.
Le tigre impérial, rugissant dans sa joie,
Tour à tour compte chaque proie,
Nos vierges cette nuit, et nos têtes demain ! »

V.

La troisième voix.

« Ô mes frères ! Joseph, évêque, vous salue.
Missolonghi n'est plus ! À sa mort résolue,
Elle a fui la famine et son venin rongeur.
Enveloppant les Turcs dans son malheur suprême,
Formidable victime, elle a mis elle-même
La flamme à son bûcher vengeur.

« Voyant depuis vingt jours notre ville affamée,
J'ai crié : « Venez tous ; il est temps, peuple, armée !
Dans le saint sacrifice il faut nous dire adieu.
Recevez de mes mains, à la table céleste,
Le seul aliment qui nous reste,
Le pain qui nourrit l'âme et la transforme en dieu ! »

« Quelle communion ! Des mourants immobiles,
Cherchant l'hostie offerte à leurs lèvres débiles,
Des soldats défaillants, mais encor redoutés,
Des femmes, des vieillards, des vierges désolées,
Et sur le sein flétri des mères mutilées
Des enfants de sang allaités !

« La nuit vint, on partit ; mais les Turcs dans les ombres
Assiégèrent bientôt nos morts et nos décombres.
Mon église s'ouvrit à leurs pas inquiets.
Sur un débris d'autel, leur dernière conquête,
Un sabre fit rouler ma tête...
J'ignore quelle main me frappa : je priais.

« Frères, plaignez Mahmoud ! Né dans sa loi barbare,
Des hommes et de Dieu son pouvoir le sépare.
Son aveugle regard ne s'ouvre pas au ciel.
Sa couronne fatale, et toujours chancelante,
Porte à chaque fleuron une tête sanglante ;
Et peut-être il n'est pas cruel !

« Le malheureux, en proie, aux terreurs implacables,
Perd pour l'éternité ses jours irrévocables.
Rien ne marque pour lui les matins et les soirs.
Toujours l'ennui ! Semblable aux idoles qu'ils dorent,
Ses esclaves de **** l'adorent,
Et le fouet d'un spahi règle leurs encensoirs.

« Mais pour vous tout est joie, honneur, fête, victoire.
Sur la terre vaincus, vous vaincrez dans l'histoire.
Frères, Dieu vous bénit sur le sérail fumant.
Vos gloires par la mort ne sont pas étouffées :
Vos têtes sans tombeaux deviennent vos trophées ;
Vos débris sont un monument !

« Que l'apostat surtout vous envie ! Anathème
Au chrétien qui souilla l'eau sainte du baptême !
Sur le livre de vie en vain il fut compté :
Nul ange ne l'attend dans les cieux où nous sommes ;
Et son nom, exécré des hommes,
Sera, comme un poison, des bouches rejeté !

« Et toi, chrétienne Europe, entends nos voix plaintives.
Jadis, pour nous sauver, saint Louis vers nos rives
Eût de ses chevaliers guidé l'arrière-ban.
Choisis enfin, avant que ton Dieu ne se lève,
De Jésus et d'Omar, de la croix et du glaive,
De l'auréole et du turban. »

VI.

Oui, Botzaris, Joseph, Canaris, ombres saintes,
Elle entendra vos voix, par le trépas éteintes ;
Elle verra le signe empreint sur votre front ;
Et soupirant ensemble un chant expiatoire,
À vos débris sanglants portant leur double gloire,
Sur la harpe et le luth les deux Grèces diront :

« Hélas ! vous êtes saints et vous êtes sublimes,
Confesseurs, demi-dieux, fraternelles victimes !
Votre bras aux combats s'est longtemps signalé ;
Morts, vous êtes tous trois souillés par des mains viles.
Voici votre Calvaire après vos Thermopyles ;
Pour tous les dévouements votre sang a coulé !

« Ah ! si l'Europe en deuil, qu'un sang si pur menace,
Ne suit jusqu'au sérail le chemin qu'il lui trace,
Le Seigneur la réserve à d'amers repentirs.
Marin, prêtre, soldat, nos autels vous demandent ;
Car l'Olympe et le Ciel à la fois vous attendent,
Pléiade de héros ! Trinité de martyrs ! »

Juin 1826.
À Catulle Mendès


La petite marquise Osine est toute belle,

Elle pourrait aller grossir la ribambelle

Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs

Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs

Parisienne en tout, spirituelle et bonne

Et mauvaise à ne rien redouter de personne,

Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit,

C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit,

Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes.


Vingt soupirants, brûlés du feu des meilleurs zèles

Avaient en vain quêté leur main à ses seize ans,

Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans

Comme il avait quitté son escadron, vint faire

Escale au Jockey ; vous connaissez son affaire

Avec la grosse Emma de qui - l'eussions-nous cru ?

Le bon garçon était absolument féru,

Son désespoir après le départ de la grue,

Le duel avec Gontran, c'est vieux comme la rue ;

Bref il vit la petite un jour dans un salon,

S'en éprit tout d'un coup comme un fou ; même l'on

Dit qu'il en oublia si bien son infidèle

Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle.

Temps et mœurs ! La petite (on sait tout aux Oiseaux)

Connaissait le roman du cher, et jusques aux

Moindres chapitres : elle en conçut de l'estime.

Aussi quand le marquis offrit sa légitime

Et sa main contre sa menotte, elle dit : Oui,

Avec un franc parler d'allégresse inouï.

Les parents, voyant sans horreur ce mariage

(Le marquis était riche et pouvait passer sage)

Signèrent au contrat avec laisser-aller.

Elle qui voyait là quelqu'un à consoler

Ouït la messe dans une ferveur profonde.


Elle le consola deux ans. Deux ans du monde !


Mais tout passe !

Si bien qu'un jour qu'elle attendait

Un autre et que cet autre atrocement tardait,

De dépit la voilà soudain qui s'agenouille

Devant l'image d'une Vierge à la quenouille

Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni,

Demandant à Marie, en un trouble infini,

Pardon de son péché si grand, - si cher encore

Bien qu'elle croie au fond du cœur qu'elle l'abhorre.


Comme elle relevait son front d'entre ses mains

Elle vit Jésus-Christ avec les traits humains

Et les habits qu'il a dans les tableaux d'église.

Sévère, il regardait tristement la marquise.

La vision flottait blanche dans un jour bleu

Dont les ondes voilant l'apparence du lieu,

Semblaient envelopper d'une atmosphère élue

Osine qui tremblait d'extase irrésolue

Et qui balbutiait des exclamations.

Des accords assoupis de harpes de Sions

Célestes descendaient et montaient par la chambre

Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre

Fluaient, et le parquet retentissait des pas

Mystérieux de pieds que l'on ne voyait pas,

Tandis qu'autour c'était, en cadences soyeuses,

Un grand frémissement d'ailes mystérieuses

La marquise restait à genoux, attendant,

Toute admiration peureuse, cependant.


Et le Sauveur parla :

« Ma fille, le temps passe,

Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce.

Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous. »


La vision cessa.

Oui certes, il est doux

Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie,

C'est un jeune coureur à la première haie.

C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal.

Quelque chose d'étonnamment matutinal.

On sort du mariage habitueux. C'est comme

Qui dirait la lueur aurorale de l'homme

Et les baisers parmi cette fraîche clarté

Sonnent comme des cris d'alouette en été,

Ô le premier amant ! Souvenez-vous, mesdames !

Vagissant et timide élancement des âmes

Vers le fruit défendu qu'un soupir révéla...

Mais le second amant d'une femme, voilà !

On a tout su. La faute est bien délibérée

Et c'est bien un nouvel état que l'on se crée,

Un autre mariage à soi-même avoué.

Plus de retour possible au foyer bafoué.

Le mari, débonnaire ou non, fait bonne garde

Et dissimule mal. Déjà rit et bavarde

Le monde hostile et qui sévirait au besoin.

Ah, que l'aise de l'autre intrigue se fait **** !

Mais aussi cette fois comme on vit ; comme on aime,

Tout le cœur est éclos en une fleur suprême.

Ah, c'est bon ! Et l'on jette à ce feu tout remords,

On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts.

On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie,

Ce sera pour après la vie, et l'on défie

Les lois humaines et divines, car on est

Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaît

Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime !


Or cet amant était justement le deuxième

De la marquise, ce qui fait qu'un jour après,

- Ô sans malice et presque avec quelques regrets -

Elle le revoyait pour le revoir encore.

Quant au miracle, comme une odeur s'évapore,

Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement.


Un matin, elle était dans son jardin charmant,

Un matin de printemps, un jardin de plaisance.

Les fleurs vraiment semblaient saluer sa présence,

Et frémissaient au vent léger, et s'inclinaient

Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient

L'aubade d'un timide et délicat ramage

Et les petits oiseaux, volant à son passage,

Pépiaient à plaisir dans l'air tout embaumé

Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai.

Elle pensait à lui ; sa vue errait, distraite,

À travers l'ombre jeune et la pompe discrète

D'un grand rosier bercé d'un mouvement câlin,

Quand elle vit Jésus en vêtements de lin

Qui marchait, écartant les branches de l'arbuste

Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste

Pleurait. Et tout en un instant s'évanouit.


Elle se recueillait.

Soudain un petit bruit

Se fit. On lui portait en secret une lettre,

Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être

Un rendez-vous.


Elle ne put la déchirer.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer

Au chevet de ce lit de blanche mousseline ?

Elle est malade, bien malade.

« Sœur Aline,

A-t-elle un peu dormi ? »

- « Mal, monsieur le marquis. »

Et le marquis pleurait.

« Elle est ainsi depuis

Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire

De la nuit ? Ah, monsieur le marquis, quel délire !

Elle vous appelait, vous demandait pardon

Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon

De sa sonnette. »

Et le marquis frappait sa tête

De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette

Marchait à grands pas sourds sur les tapis épais

(Dès qu'elle fut malade, elle n'eut pas de paix

Qu'elle n'eût avoué ses fautes au pauvre homme

Qui pardonna.) La sœur reprit pâle : « Elle eut comme

Un rêve, un rêve affreux. Elle voyait Jésus,

Terrible sur la nue et qui marchait dessus,

Un glaive dans la main droite, et de la main gauche

Qui ramait lentement comme une faux qui fauche,

Écartant sa prière, et passait furieux. »


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Un prêtre, saluant les assistants des yeux,

Entre.

Elle dort.

Ô ses paupières violettes !

Ô ses petites mains qui tremblent maigrelettes !

Ô tout son corps perdu dans les draps étouffants !


Regardez, elle meurt de la mort des enfants.

Et le prêtre anxieux, se penche à son oreille.

Elle s'agite un peu, la voilà qui s'éveille,

Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort

Plus pâle.

Et le marquis : « Est-ce déjà la mort ? »

Et le docteur lui prend les deux mains, et sort vite.


On l'enterrait hier matin. Pauvre petite !
Un arabe à Marseille autrefois m'a conté
Qu'un pacha turc dans sa patrie
Vint porter certain jour un coffret cacheté
Au plus sage dervis qui fût en Arabie.
Ce coffret, lui dit-il, renferme des rubis,
Des diamants d'un très grand prix :
C'est un présent que je veux faire
À l'homme que tu jugeras
Être le plus fou de la terre.
Cherche bien, tu le trouveras.
Muni de son coffret, notre bon solitaire
S'en va courir le monde. Avait-il donc besoin
D'aller **** ?
L'embarras de choisir était sa grande affaire :
Des fous toujours plus fous venaient de toutes parts
Se présenter à ses regards.
Notre pauvre dépositaire
Pour l'offrir à chacun saisissait le coffret :
Mais un pressentiment secret
Lui conseillait de n'en rien faire,
L'assurait qu'il trouverait mieux.
Errant ainsi de lieux en lieux,
Embarrassé de son message,
Enfin, après un long voyage,
Notre homme et le coffret arrivent un matin
Dans la ville de Constantin.
Il trouve tout le peuple en joie :
Que s'est-il donc passé ? Rien, lui dit un iman ;
C'est notre grand vizir que le sultan envoie,
Au moyen d'un lacet de soie,
Porter au prophète un firman.
Le peuple rit toujours de ces sortes d'affaires ;
Et, comme ce sont des misères,
Notre empereur souvent lui donne ce plaisir.
- Souvent ? - Oui. - C'est fort bien ; votre nouveau vizir
Est-il nommé ? - Sans doute : et le voilà qui passe.
Le dervis, à ces mots, court, traverse la place,
Arrive, et reconnaît le pacha son ami.
Bon ! Te voilà ! Dit celui-ci :
Et le coffret ? - Seigneur, j'ai parcouru l'Asie ;
J'ai vu des fous parfaits, mais sans oser choisir :
Aujourd'hui ma course est finie ;
Daignez l'accepter, grand vizir.
PAUVRE femme ! son lait à sa tête est monté.
Et, dans ses froids salons, le monde a répété,
Parmi les vains propos que chaque jour emporte,
Hier, qu'elle était folle, aujourd'hui, qu'elle est morte ;
Et, seul au champ des morts, je foule ce gazon,
Cette tombe où sa vie a suivi sa raison !

Folle ! morte ! pourquoi ? Mon Dieu ! pour peu de chose !
Pour un fragile enfant dont la paupière est close,
Pour un doux nouveau-né, tête aux fraîches couleurs,
Qui naguère à son sein, comme une mouche aux fleurs,
Pendait, riait, pleurait, et, malgré ses prières,
Troublant tout leur sommeil pendant des nuits entières,
Faisait mille discours, pauvre petit ami !
Et qui ne dit plus rien, car il est endormi.

Quand elle vit son fils, le soir d'un jour bien sombre,
Car elle l'appelait son fils, cette vaine ombre !
Quand elle vit l'enfant glacé dans sa pâleur,
- Oh ! ne consolez point une telle douleur ! -
Elle ne pleura pas. Le lait avec la fièvre
Soudain troubla sa tête et fit trembler sa lèvre ;
Et depuis ce jour-là, sans voir et sans parler,
Elle allait devant elle et regardait aller.
Elle cherchait dans l'ombre une chose perdue,
Son enfant disparu dans la vague étendue ;
Et par moments penchait son oreille en marchant,
Comme si sous la terre elle entendait un chant.

Une femme du peuple, un jour que dans la rue
Se pressait sur ses pas une foule accourue,
Rien qu'à la voir souffrir devina son malheur.
Les hommes, en voyant ce beau front sans couleur,
Et cet œil froid toujours suivant une chimère,
S'écriaient : Pauvre folle ! Elle dit : Pauvre mère !

Pauvre mère, en effet ! Un soupir étouffant
Parfois coupait sa voix qui murmurait : L'enfant !
Parfois elle semblait, dans la cendre enfouie,
Chercher une lueur au ciel évanouie ;
Car la jeune âme enfuie, hélas ! de sa maison
Avait en s'en allant emporté sa raison !

On avait beau lui dire, en parlant à voix basse,
Que la vie est ainsi ; que tout meurt, que tout passe ;
Et qu'il est des enfants, - mères, sachez-le bien !
Que Dieu, qui prête tout et qui ne donne rien,
Pour rafraîchir nos fronts avec leurs ailes blanches,
Met comme des oiseaux pour un jour sur nos branches !
On avait beau lui dire, elle n'entendait pas.
L'œil fixe, elle voyait toujours devant ses pas
S'ouvrir les bras charmants de l'enfant qui l'appelle.
Elle avait des hochets fait une humble chapelle.
Car rien n'est plus puissant que ces petits bras morts
Pour tirer promptement les mères dans la tombe.
Où l'enfant est tombé bientôt la femme tombe.
Qu'est-ce qu'une maison dont le seuil est désert ?
Qu'un lit sans un berceau ? Dieu clément ! à quoi sert
Le regard maternel sans l'enfant qui repose ?
A quoi bon ce sein blanc sans cette bouche rose ?

Après avoir longtemps, le cœur mort, les yeux morts,
Erré sur le tombeau comme étant en dehors,
- Longtemps ! ce sont ici des paroles humaines,
Hélas ! il a suffi de bien peu de semaines ! -
Malheureuse ! en deux mois tout s'est évanoui.
Hier elle était folle, elle est morte aujourd'hui !

Il suffit qu'un oiseau vienne sur une rive
Pour qu'un deuxième oiseau tout en hâte l'y suive.
Sur deux il en est un toujours qui va devant.
Après avoir à peine ouvert son aile au vent,
Il vint, le bel enfant, s'abattre sur la tombe ;
Elle y vint après lui, comme une autre colombe.

On a creusé la terre, et là, sous le gazon,
On a mis la nourrice auprès du nourrisson.

Et moi je dis : - Seigneur ! votre règne est austère !
Seigneur ! vous avez mis partout un noir mystère,
Dans l'homme et dans l'amour, dans l'arbre et dans l'oiseau,
Et jusque dans ce lait que réclame un berceau,
Ambroisie et poison, doux miel, liqueur amère,
Fait pour nourrir l'enfant ou pour tuer la mère !

Le 17 février 1837.
L'empereur vit, un soir, le soleil s'en aller ;
Il courba son front triste, et resta sans parler.
Puis, comme il entendit ses horloges de cuivre,
Qu'il venait d'accorder, d'un pied boiteux se suivre,
Il pensa qu'autrefois, sans avoir réussi,
D'accorder les humains il avait pris souci.
- Seigneur, Seigneur ! dit-il, qui m'en donna l'envie ?
J'ai traversé la mer onze fois dans ma vie ;
Dix fois les Pays-Bas ; l'Angleterre trois fois ;
Ai-je assez fait la guerre à ce pauvre François !
J'ai vu deux fois l'Afrique et neuf fois l'Allemagne,
Et voici que je meurs sujet du roi d'Espagne !
Eh ! que faire à régner ? je n'ai plus d'ennemi ;
Chacun s'est dans la tombe, à son tour, endormi.
Comme un chien affamé, l'oubli tous les dévore ;
Déjà le soir d'un siècle à l'autre sert d'aurore.
Ai-je donc, plus habile à plus longtemps souffrir,
Seul parmi tant de rois, oublié de mourir ?
Ou, dans leurs doigts roidis quand la coupe fut pleine,
Quand le glaive de Dieu, pour niveler la plaine,
Décima les grands monts, étais-je donc si bas,
Que l'archange, en passant, alors ne me vit pas ?
M'en vais-je donc vieillir à compter mes campagnes,
Comme un pasteur ses bœufs descendant des montagnes,
Pour qu'on lise en mon cœur les leçons du passé,
Comme en un livre pâle et bientôt effacé ?
Trop avant dans la nuit s'allonge ma journée.
Dieu sait à quels enfants l'Europe s'est donnée !
Sur quels bras va poser tout ce vieil univers,
Qu'avec ses cent Etats, avec ses quatre mers,
Je portais dans mon sein et dans ma tête chauve !
Philippe !... que saint Just de ses crimes le sauve !
Car du jour qu'héritier de son père, il sentit
Que pour sa grande épée il était trop petit,
N'a-t-il pas échangé le ciel contre la terre,
Contre un bourreau masqué son confesseur austère ?
La France !... oh ! quel destin, en ses jeux si profond,
Mit la duègne orgueilleuse aux mains d'un roi bouffon,
Qui s'en va, rajustant son pourpoint à sa taille,
Aux oisifs carrousels se peindre une bataille !
Ah ! quand mourut François, quel sage s'est douté
Que du seul Charles-Quint il mourait regretté ?
Avec son dernier cri sonna ma dernière heure.
Où trouver maintenant personne qui me pleure ?
Mon fils me laisse ici m'achever ; car enfin
Qui lui dira si c'est de vieillesse ou de faim ?
Il me donne la mort pour prix de sa naissance !
Mes bienfaits l'ont guéri de sa reconnaissance.
Il s'en vient me pousser lorsque j'ai trébuché. -
C'est bien. - Je vais tomber. - Le soleil s'est couché !
Ô terre ! reçois-moi ; car je te rends ma cendre !
Je vins nu de ton sein, nu j'y vais redescendre.

C'est ainsi que parla cet homme au cœur de fer ;
Puis, se voyant dans l'ombre, il eut peur de l'enfer !
- Ô mon Dieu ! si, cherchant un pardon qui m'efface,
Je trouvais la colère écrite sur ta face,
Comme ce soir, mon œil, cherchant le jour qui fuit,
Dans le ciel dépeuplé ne trouve que la nuit !
Quoi ! pas un rêve, un signe, un mot dit à l'oreille,
Dont l'écho formidable alors ne se réveille !
Non ! - Rien à vous, Seigneur, ne peut être caché.
Kyrie eleison ! car j'ai beaucoup péché ! »

Alors, avec des pleurs il disait sa prière,
Les genoux tout tremblants et le front sur la pierre.
Tout à coup il s'arrête, il se lève, et ses yeux
Se clouaient à la terre et sa pensée aux cieux.

Voici que, sur l'autel couvert de draps funèbres,
Les lugubres flambeaux ont rompu les ténèbres
Et les prêtres debout, comme de noirs cyprès,
S'assemblent, étonnés des sinistres apprêts.
Et les vieux serviteurs disaient : - Qui donc va naître
Ou mourir ? - et pourtant priaient sans le connaître ;
Car les sombres clochers s'agitaient à grand bruit,
Et semblaient deux géants qui pleurent dans la nuit.
Tous frappaient leur poitrine et respiraient à peine.
Sous les larmes d'argent le sépulcre d'ébène
S'ouvrait, lit nuptial par la mort apprêté,
Où la vie en ses bras reçoit l'éternité.
Alors un spectre vint, se traînant aux murailles,
Livide, épouvanter les mornes funérailles.
Maigre et les yeux éteints, et son pied, sur le seuil
De granit, chancelait dans les plis d'un linceul.
- Qui d'entre vous, dit-il, me respecte et m'honore ?
(Et sa voix sur l'écho de la voûte sonore
Frappait comme le pas d'un hardi cavalier.)
Qu'il s'en vienne avec moi dormir sous un pilier !
Je m'y couche, et j'attends que m'y suive qui m'aime.
Pour ceux qui m'ont haï, je les suivrai mot-même ;
Ils y sont. - Prions donc pour mes crimes passés ;
Pleurons et récitons l'hymne des trépassés !
Il marcha vers sa tombe, et pâlit : - Qui m'arrête,
Dit-il ? Ne faut-il pas un cadavre à la fête ?

Et le cercueil cria sous ses membres glacés,
Puis le chœur entonna l'hymne des trépassés.

— The End —