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Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?

Moi, sous le même toit, je trouve tour à tour
Trop prompt, trop long, le temps que peut durer un jour.
J'ai l'heure des regrets et l'heure du sourire,
J'ai des rêves divers que je ne puis redire ;
Et, roseau qui se courbe aux caprices du vent,
L'esprit calme ou troublé, je marche en hésitant.
Mais, du chemin je prends moins la fleur que l'épine,
Mon front se lève moins, hélas ! qu'il ne s'incline ;
Mon cœur, pesant la vie à des poids différents,
Souffre plus des hivers qu'il ne rit des printemps.

Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?

J'évoque du passé le lointain souvenir ;
Aux jours qui ne sont plus je voudrais revenir.
De mes bonheurs enfuis, il me semble au jeune agi
N'avoir pas à loisir savouré le passage,
Car la jeunesse croit qu'elle est un long trésor,
Et, si l'on a reçu, l'on attend plus encor.
L'avenir nous parait l'espérance éternelle,
Promettant, et restant aux promesses fidèle ;
On gaspille des biens que l'on rêve sans fin...
Mais, qu'on voudrait, le soir, revenir au matin !

Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?

De mes jours les plus doux je crains le lendemain,
Je pose sur mes yeux une tremblante main.
L'avenir est pour nous un mensonge, un mystère ;
N'y jetons pas trop tôt un regard téméraire.
Quand le soleil est pur, sur les épis fauchés
Dormons, et reposons longtemps nos fronts penchés ;
Et ne demandons pas si les moissons futures
Auront des champs féconds, des gerbes aussi mûres.
Bornons notre horizon.... Mais l'esprit insoumis
Repousse et rompt le frein que lui-même avait mis.

Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?

Souvent de mes amis j'imagine l'oubli :
C'est le soir, au printemps, quand le jour affaibli
Jette l'ombre en mon cœur ainsi que sur la terre ;
Emportant avec lui l'espoir et la lumière ;
Rêveuse, je me dis : « Pourquoi m'aimeraient-ils ?
De nos affections les invisibles fils
Se brisent chaque jour au moindre vent qui passe,
Comme on voit que la brise enlève au **** et casse
Ces fils blancs de la Vierge, errants au sein des cieux ;
Tout amour sur la terre est incertain comme eux ! »

Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?

C'est que, petit oiseau, tu voles **** de nous ;
L'air qu'on respire au ciel est plus pur et plus doux.
Ce n'est qu'avec regret que ton aile légère,
Lorsque les cieux sont noirs, vient effleurer la terre.
Ah ! que ne pouvons-nous, te suivant dans ton vol,
Oubliant que nos pieds sont attachés au sol,
Élever notre cœur vers la voûte éternelle,
Y chercher le printemps comme fait l'hirondelle,
Détourner nos regards d'un monde malheureux,
Et, vivant ici-bas, donner notre âme aux cieux !

Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?
Hirondelle ! hirondelle ! hirondelle !
Est-il au monde un coeur fidèle ?
Ah ! s'il en est un, dis-le moi,
J'irai le chercher avec toi.

Sous le soleil ou le nuage,
Guidée à ton vol qui fend l'air,
Je te suivrai dans le voyage
Rapide et haut comme l'éclair.
Hirondelle ! hirondelle ! hirondelle !
Est-il au monde un coeur fidèle ?
Ah ! s'il en est un, dis-le moi,
J'irai le chercher avec toi.

Tu sais qu'aux fleurs de ma fenêtre
Ton nid chante depuis trois ans,
Et quand tu viens le reconnaître
Mes droits ne te sont pas pesants.
Hirondelle ! hirondelle ! hirondelle !
Est-il au monde un coeur fidèle ?
Ah ! s'il en est un, dis-le moi,
J'irai le chercher avec toi.

Je ne rappelle rien, j'aspire
Comme un des tiens dans la langueur,
Dont la solitude soupire
Et demande un coeur pour un coeur.
Hirondelle ! hirondelle ! hirondelle !
Est-il au monde un coeur fidèle ?
Ah ! s'il en est un, dis-le moi,
J'irai le chercher avec toi.

Allons vers l'idole rêvée,
Au Nord, au Sud, à l'Orient :
Du bonheur de l'avoir trouvée
Je veux mourir en souriant.
Hirondelle ! hirondelle ! hirondelle !
Est-il au monde un coeur fidèle ?
Ah ! s'il en est un, dis-le moi !
J'irai le chercher avec toi !
L'hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,
Débris où n'est plus l'homme, où la vie est toujours ;
La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée,
La forêt sombre et fraîche et l'épaisse ramée,
La mousse, et, dans les noeuds des branches, les doux toits
Qu'en se superposant font les feuilles des bois.
Ainsi fait l'oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville,
Le coin désert, l'abri solitaire et tranquille.
Le seuil qui n'a pas d'yeux obliques et méchants,
La rue où les volets sont fermés ; dans les champs,
Nous cherchons le sentier du pâtre et du poète ;
Dans les bois, la clairière inconnue et muette
Où le silence éteint les bruits lointains et sourds.
L'oiseau cache son nid, nous cachons nos amours.

Fontainebleau, juin 18...
smallhands Feb 2017
I changed my name to smallhands
when you commented on their smallness
delicate hands sculpt our world,
the rougher hold it up
I wanted to be an artist blamed for the
earth's utopian aesthetic
so along a swift edge I signed my name,
my new persona, and said,
"my hands are small but my ideas can
swallow nations"

-c.j.
There in FarBliss,
the land fed by dreams
where nothing spoofs amiss,
there are sauntering ThinkSees,
the children of ValleySeeps
who sip smiles
from TearsTheySeize.

In River ByeYou, they snare A-Sigh-For-A-Sou
and like to bathe in the sea LonelyBlue.
How they climb hazy Mount NothingTrue,
to pray the dour deity NothingButYou!

When they play,
they chase FireFlies
on the wings of ButterRhymes;
they skim the gleaming ImagePools,
under the bright moon LadyMoves,
then plunge into the lost lake LetLoose.

Their day-flight’s a FeatheryFrenzy
on a gull’s SillySyllableSpree;
to catch the lofty eagle HearMe,
they test the terrible talons TearMe.

They labor behind the FathomFalls,
spinning FrothyMusic from TumblingBoughs,
mulling melancholy in MoonlessGroves;

or, spin HeartStrings for all groans and grins,
dip them deep in dye in dongs and dings,
chirping dreams by star sipping streams,
struming the strings Nothing'sAsItSeems.

When the night comes
and you hear your HeartChimes,
let loose your rhymes
to catch your own fires...

‘cause like Time, FireFlies.

©️Hirondelle (01/12/2018)
I love my fire, keep it dear and write in rhyme, so it never flies.

I know it doesn’t sound like Hirondelle; he let loose the child inside to write this, and I dread the boy played it rampantly. I hope it’s not a disappointment...
Roule, roule ton flot indolent, morne Seine. -

Sur tes ponts qu'environne une vapeur malsaine

Bien des corps ont passé, morts, horribles, pourris,

Dont les âmes avaient pour meurtrier Paris.

Mais tu n'en traînes pas, en tes ondes glacées,

Autant que ton aspect m'inspire de pensées !


Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font

Monter le voyageur vers un passé profond,

Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes,

Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.

Le *** Guadalquivir rit aux blonds orangers

Et reflète, les soirs, des boléros légers,

Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive

Où vient faire son kief l'odalisque lascive.

Le Rhin est un burgrave, et c'est un troubadour

Que le Lignon, et c'est un ruffian que l'Adour.

Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies,

Berce de rêves doux le sommeil des momies.

Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés,

Charrie augustement ses îlots mordorés,

Et soudain, beau d'éclairs, de fracas et de fastes,

Splendidement s'écroule en Niagaras vastes.

L'Eurotas, où l'essaim des cygnes familiers

Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers,

Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète,

Rhythmique et caressant, chante ainsi qu'un poète.

Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants

Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents

En appareil royal, tandis qu'au **** la foule

Le long des temples va, hurlant, vivante houle,

Au claquement massif des cymbales de bois,

Et qu'accroupi, filant ses notes de hautbois,

Du saut de l'antilope agile attendant l'heure,

Le tigre jaune au dos rayé s'étire et pleure.

- Toi, Seine, tu n'as rien. Deux quais, et voilà tout,

Deux quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout

D'affreux bouquins moisis et d'une foule insigne

Qui fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne.

Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin

Les passants alourdis de sommeil ou de faim,

Et que le couchant met au ciel des taches rouges,

Qu'il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges

Et, s'accoudant au pont de la Cité, devant

Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent !

Les nuages, chassés par la brise nocturne,

Courent, cuivreux et roux, dans l'azur taciturne.

Sur la tête d'un roi du portail, le soleil,

Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.

L'Hirondelle s'enfuit à l'approche de l'ombre.

Et l'on voit voleter la chauve-souris sombre.

Tout bruit s'apaise autour. À peine un vague son

Dit que la ville est là qui chante sa chanson,

Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes ;

Et c'est l'aube des vols, des amours et des crimes.

- Puis, tout à coup, ainsi qu'un ténor effaré

Lançant dans l'air bruni son cri désespéré,

Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie,

Éclate en quelque coin l'orgue de Barbarie :

Il brame un de ces airs, romances ou polkas,

Qu'enfants nous tapotions sur nos harmonicas

Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes,

Vibrer l'âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.

C'est écorché, c'est faux, c'est horrible, c'est dur,

Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr ;

Ces rires sont traînés, ces plaintes sont hachées ;

Sur une clef de sol impossible juchées,

Les notes ont un rhume et les do sont des la,

Mais qu'importe ! l'on pleure en entendant cela !

Mais l'esprit, transporté dans le pays des rêves,

Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves ;

La pitié monte au cœur et les larmes aux yeux,

Et l'on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux,

Et dans une harmonie étrange et fantastique

Qui tient de la musique et tient de la plastique,

L'âme, les inondant de lumière et de chant,

Mêle les sons de l'orgue aux rayons du couchant !


- Et puis l'orgue s'éloigne, et puis c'est le silence,

Et la nuit terne arrive et Vénus se balance

Sur une molle nue au fond des cieux obscurs :

On allume les becs de gaz le long des murs.

Et l'astre et les flambeaux font des zigzags fantasques

Dans le fleuve plus noir que le velours des masques ;

Et le contemplateur sur le haut garde-fou

Par l'air et par les ans rouillé comme un vieux sou

Se penche, en proie aux vents néfastes de l'abîme.

Pensée, espoir serein, ambition sublime,

Tout, jusqu'au souvenir, tout s'envole, tout fuit,

Et l'on est seul avec Paris, l'Onde et la Nuit !


- Sinistre trinité ! De l'ombre dures portes !

Mané-Thécel-Pharès des illusions mortes !

Vous êtes toutes trois, ô Goules de malheur,

Si terribles, que l'Homme, ivre de la douleur

Que lui font en perçant sa chair vos doigts de spectre,

L'Homme, espèce d'Oreste à qui manque une Électre,

Sous la fatalité de votre regard creux

Ne peut rien et va droit au précipice affreux ;

Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses

De tuer et d'offrir au grand Ver des épouses

Qu'on ne sait que choisir entre vos trois horreurs,

Et si l'on craindrait moins périr par les terreurs

Des Ténèbres que sous l'Eau sourde, l'Eau profonde,

Ou dans tes bras fardés, Paris, reine du monde !


- Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant,

Tu traînes dans Paris ton cours de vieux serpent,

De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres

Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres !
I.

L'ÉGLISE est vaste et haute. À ses clochers superbes
L'ogive en fleur suspend ses trèfles et ses gerbes ;
Son portail resplendit, de sa rose pourvu ;
Le soir fait fourmiller sous la voussure énorme
Anges, vierges, le ciel, l'enfer sombre et difforme,
Tout un monde effrayant comme un rêve entrevu.

Mais ce n'est pas l'église, et ses voûtes, sublimes,
Ses porches, ses vitraux, ses lueurs, ses abîmes,
Sa façade et ses tours, qui fascinent mes yeux ;
Non ; c'est, tout près, dans l'ombre où l'âme aime à descendre
Cette chambre d'où sort un chant sonore et tendre,
Posée au bord d'un toit comme un oiseau joyeux.

Oui, l'édifice est beau, mais cette chambre est douce.
J'aime le chêne altier moins que le nid de mousse ;
J'aime le vent des prés plus que l'âpre ouragan ;
Mon cœur, quand il se perd vers les vagues béantes,
Préfère l'algue obscure aux falaises géantes.
Et l'heureuse hirondelle au splendide océan.

II.

Frais réduit ! à travers une claire feuillée
Sa fenêtre petite et comme émerveillée
S'épanouit auprès du gothique portail.
Sa verte jalousie à trois clous accrochée,
Par un bout s'échappant, par l'autre rattachée,
S'ouvre coquettement comme un grand éventail.

Au-dehors un beau lys, qu'un prestige environne,
Emplit de sa racine et de sa fleur couronne
- Tout près de la gouttière où dort un chat sournois -
Un vase à forme étrange en porcelaine bleue
Où brille, avec des paons ouvrant leur large queue,
Ce beau pays d'azur que rêvent les Chinois.

Et dans l'intérieur par moments luit et passe
Une ombre, une figure, une fée, une grâce,
Jeune fille du peuple au chant plein de bonheur,
Orpheline, dit-on, et seule en cet asile,
Mais qui parfois a l'air, tant son front est tranquille,
De voir distinctement la face du Seigneur.

On sent, rien qu'à la voir, sa dignité profonde.
De ce cœur sans limon nul vent n'a troublé l'onde.
Ce tendre oiseau qui jase ignore l'oiseleur.
L'aile du papillon a toute sa poussière.
L'âme de l'humble vierge a toute sa lumière.
La perle de l'aurore est encor dans la fleur.

À l'obscure mansarde il semble que l'œil voie
Aboutir doucement tout un monde de joie,
La place, les passants, les enfants, leurs ébats,
Les femmes sous l'église à pas lents disparues,
Des fronts épanouis par la chanson des rues,
Mille rayons d'en haut, mille reflets d'en bas.

Fille heureuse ! autour d'elle ainsi qu'autour d'un temple,
Tout est modeste et doux, tout donne un bon exemple.
L'abeille fait son miel, la fleur rit au ciel bleu,
La tour répand de l'ombre, et, devant la fenêtre,
Sans faute, chaque soir, pour obéir au maître,
L'astre allume humblement sa couronne de feu.

Sur son beau col, empreint de virginité pure,
Point d'altière dentelle ou de riche guipure ;
Mais un simple mouchoir noué pudiquement.
Pas de perle à son front, mais aussi pas de ride,
Mais un œil chaste et vif, mais un regard limpide.
Où brille le regard que sert le diamant ?

III.

L'angle de la cellule abrite un lit paisible.
Sur la table est ce livre où Dieu se fait visible,
La légende des saints, seul et vrai panthéon.
Et dans un coin obscur, près de la cheminée,
Entre la bonne Vierge et le buis de l'année,
Quatre épingles au mur fixent Napoléon.

Cet aigle en cette cage ! - et pourquoi non ? dans l'ombre
De cette chambre étroite et calme, où rien n'est sombre,
Où dort la belle enfant, douce comme son lys,
Où tant de paix, de grâce et de joie est versée,
Je ne hais pas d'entendre au fond de ma pensée
Le bruit des lourds canons roulant vers Austerlitz.

Et près de l'empereur devant qui tout s'incline,
- Ô légitime orgueil de la pauvre orpheline ! -
Brille une croix d'honneur, signe humble et triomphant,
Croix d'un soldat, tombé comme tout héros tombe,
Et qui, père endormi, fait du fond de sa tombe
Veiller un peu de gloire auprès de son enfant.

IV.

Croix de Napoléon ! joyau guerrier ! pensée !
Couronne de laurier de rayons traversée !
Quand il menait ses preux aux combats acharnés,
Il la laissait, afin de conquérir la terre,
Pendre sur tous les fronts durant toute la guerre ;
Puis, la grande œuvre faite, il leur disait : Venez !

Puis il donnait sa croix à ces hommes stoïques,
Et des larmes coulaient de leurs yeux héroïques ;
Muets, ils admiraient leur demi-dieu vainqueur ;
On eût dit qu'allumant leur âme avec son âme,
En touchant leur poitrine avec son doigt de flamme,
Il leur faisait jaillir cette étoile du cœur !

V.

Le matin elle chante et puis elle travaille,
Sérieuse, les pieds sur sa chaise de paille,
Cousant, taillant, brodant quelques dessins choisis ;
Et, tandis que, songeant à Dieu, simple et sans crainte,
Cette vierge accomplit sa tâche auguste et sainte,
Le silence rêveur à sa porte est assis.

Ainsi, Seigneur, vos mains couvrent cette demeure.
Dans cet asile obscur, qu'aucun souci n'effleure,
Rien qui ne soit sacré, rien qui ne soit charmant !
Cette âme, en vous priant pour ceux dont la nef sombre,
Peut monter chaque soir vers vous sans faire d'ombre
Dans la sérénité de votre firmament !

Nul danger ! nul écueil ! - Si ! l'aspic est dans l'herbe !
Hélas ! hélas ! le ver est dans le fruit superbe !
Pour troubler une vie il suffit d'un regard.
Le mal peut se montrer même aux clartés d'un cierge.
La curiosité qu'a l'esprit de la vierge
Fait une plaie au cœur de la femme plus ****.

Plein de ces chants honteux, dégoût de la mémoire,
Un vieux livre est là-haut sur une vieille armoire,
Par quelque vil passant dans cette ombre oublié ;
Roman du dernier siècle ! œuvre d'ignominie !
Voltaire alors régnait, ce singe de génie
Chez l'homme en mission par le diable envoyé.

VI.

Epoque qui gardas, de vin, de sang rougie,
Même en agonisant, l'allure de l'orgie !
Ô dix-huitième siècle, impie et châtié !
Société sans dieu, par qui Dieu fus frappée !
Qui, brisant sous la hache et le sceptre et l'épée,
Jeune offensas l'amour, et vieille la pitié !

Table d'un long festin qu'un échafaud termine !
Monde, aveugle pour Christ, que Satan illumine !
Honte à tes écrivains devant les nations !
L'ombre de tes forfaits est dans leur renommée
Comme d'une chaudière il sort une fumée,
Leur sombre gloire sort des révolutions !

VII.

Frêle barque assoupie à quelques pas d'un gouffre !
Prends garde, enfant ! cœur tendre où rien encor ne souffre !
Ô pauvre fille d'Ève ! ô pauvre jeune esprit !
Voltaire, le serpent, le doute, l'ironie,
Voltaire est dans un coin de ta chambre bénie !
Avec son œil de flamme il t'espionne, et rit.

Oh ! tremble ! ce sophiste a sondé bien des fanges !
Oh ! tremble ! ce faux sage a perdu bien des anges !
Ce démon, noir milan, fond sur les cœurs pieux,
Et les brise, et souvent, sous ses griffes cruelles,
Plume à plume j'ai vu tomber ces blanches ailles
Qui font qu'une âme vole et s'enfuit dans les cieux !

Il compte de ton sein les battements sans nombre.
Le moindre mouvement de ton esprit dans l'ombre,
S'il penche un peu vers lui, fait resplendir son œil.
Et, comme un loup rôdant, comme un tigre qui guette,
Par moments, de Satan, visible au seul poète,
La tête monstrueuse apparaît à ton seuil !

VIII.

Hélas ! si ta main chaste ouvrait ce livre infâme,
Tu sentirais soudain Dieu mourir dans ton âme.
Ce soir tu pencherais ton front triste et boudeur
Pour voir passer au **** dans quelque verte allée
Les chars étincelants à la roue étoilée,
Et demain tu rirais de la sainte pudeur !

Ton lit, troublé la nuit de visions étranges,
Ferait fuir le sommeil, le plus craintif des anges !
Tu ne dormirais plus, tu ne chanterais plus,
Et ton esprit, tombé dans l'océan des rêves,
Irait, déraciné comme l'herbe des grèves,
Du plaisir à l'opprobre et du flux au reflux !

IX.

Oh ! la croix de ton père est là qui te regarde !
La croix du vieux soldat mort dans la vieille garde !
Laisse-toi conseiller par elle, ange tenté !
Laisse-toi conseiller, guider, sauver peut-être
Par ce lys fraternel penché sur ta fenêtre,
Qui mêle son parfum à ta virginité !

Par toute ombre qui passe en baissant la paupière !
Par les vieux saints rangés sous le portail de pierre !
Par la blanche colombe aux rapides adieux !
Par l'orgue ardent dont l'hymne en longs sanglots se brise !
Laisse-toi conseiller par la pensive église !
Laisse-toi conseiller par le ciel radieux !

Laisse-toi conseiller par l'aiguille ouvrière,
Présente à ton labeur, présente à ta prière,
Qui dit tout bas : Travaille ! - Oh ! crois-la ! - Dieu, vois-tu,
Fit naître du travail, que l'insensé repousse,
Deux filles, la vertu, qui fait la gaîté douce,
Et la gaîté, qui rend charmante la vertu !

Entends ces mille voix, d'amour accentuées,
Qui passent dans le vent, qui tombent des nuées,
Qui montent vaguement des seuils silencieux,
Que la rosée apporte avec ses chastes gouttes,
Que le chant des oiseaux te répète, et qui toutes
Te disent à la fois : Sois pure sous les cieux !

Sois pure sous les cieux ! comme l'onde et l'aurore,
Comme le joyeux nid, comme la tour sonore,
Comme la gerbe blonde, amour du moissonneur,
Comme l'astre incliné, comme la fleur penchante,
Comme tout ce qui rit, comme tout ce qui chante,
Comme tout ce qui dort dans la paix du Seigneur !

Sois calme. Le repos va du cœur au visage ;
La tranquillité fait la majesté du sage.
Sois joyeuse. La foi vit sans l'austérité ;
Un des reflets du ciel, c'est le rire des femmes ;
La joie est la chaleur que jette dans les âmes
Cette clarté d'en haut qu'on nomme Vérité.

La joie est pour l'esprit une riche ceinture.
La joie adoucit tout dans l'immense nature.
Dieu sur les vieilles tours pose le nid charmant
Et la broussaille en fleur qui luit dans l'herbe épaisse ;
Car la ruine même autour de sa tristesse
A besoin de jeunesse et de rayonnement !

Sois bonne. La bonté contient les autres choses.
Le Seigneur indulgent sur qui tu te reposes
Compose de bonté le penseur fraternel.
La bonté, c'est le fond des natures augustes.
D'une seule vertu Dieu fait le cœur des justes,
Comme d'un seul saphir la coupole du ciel.

Ainsi, tu resteras, comme un lys, comme un cygne,
Blanche entre les fronts purs marqués d'un divin signe
Et tu seras de ceux qui, sans peur, sans ennuis,
Des saintes actions amassant la richesse,
Rangent leur barque au port, leur vie à la sagesse
Et, priant tous les soirs, dorment toutes les nuits !

Le poète à lui-même.

Tandis que sur les bois, les prés et les charmilles,
S'épanchent la lumière et la splendeur des cieux,
Toi, poète serein, répands sur les familles,
Répands sur les enfants et sur les jeunes filles,
Répands sur les vieillards ton chant religieux !

Montre du doigt la rive à tous ceux qu'une voile
Traîne sur le flot noir par les vents agité ;
Aux vierges, l'innocence, heureuse et noble étoile ;
À la foule, l'autel que l'impiété voile ;
Aux jeunes, l'avenir ; aux vieux, l'éternité !

Fais filtrer ta raison dans l'homme et dans la femme.
Montre à chacun le vrai du côté saisissant.
Que tout penseur en toi trouve ce qu'il réclame.
Plonge Dieu dans les cœurs, et jette dans chaque âme
Un mot révélateur, propre à ce qu'elle sent.

Ainsi, sans bruit, dans l'ombre, ô songeur solitaire,
Ton esprit, d'où jaillit ton vers que Dieu bénit,
Du peuple sous tes pieds perce le crâne austère ; -
Comme un coin lent et sûr, dans les flancs de la terre
La racine du chêne entr'ouvre le granit.

Du 24 au 29 juin 1839.
À MADEMOISELLE LOUISE B.

I.

- Ainsi donc rien de grand, rien de saint, rien de pur,
Rien qui soit digne, ô ciel ! de ton regret d'azur !
Rien qui puisse anoblir le vil siècle où nous sommes,
Ne sortira du cœur de l'homme enfant des hommes !
Homme ! esprit enfoui sous les besoins du corps !
Ainsi, jouir ; descendre à tâtons chez les morts ;
Être à tout ce qui rampe, à tout ce qui s'envole,
A l'intérêt sordide, à la vanité folle ;
Ne rien savoir - qu'emplir, sans souci du devoir,
Une charte de mots ou d'écus un comptoir ;
Ne jamais regarder les voûtes étoilées ;
Rire du dévouement et des vertus voilées ;
Voilà ta vie, hélas ! et tu n'as, nuit et jour,
Pour espoir et pour but, pour culte et pour amour,
Qu'une immonde monnaie aux carrefours traînée
Et qui te laisse aux mains sa rouille empoissonnée !
Et tu ne comprends pas que ton destin, à toi,
C'est de penser ! c'est d'être un mage et d'être un roi ;
C'est d'être un alchimiste alimentant la flamme
Sous ce sombre alambic que tu nommes ton âme,
Et de faire passer par ce creuset de feu
La nature et le monde, et d'en extraire Dieu !

Quoi ! la brute a sa sphère et l'éléments sa règle !
L'onde est au cormoran et la neige est à l'aigle.
Tout a sa région, sa fonction, son but.
L'écume de la mer n'est pas un vain rebut ;
Le flot sait ce qu'il fait ; le vent sait qui le pousse ;
Comme un temple où toujours veille une clarté douce,
L'étoile obéissante éclaire le ciel bleu ;
Le lys s'épanouit pour la gloire de Dieu ;
Chaque matin, vibrant comme une sainte lyre,
L'oiseau chante ce nom que l'aube nous fait lire.
Quoi ! l'être est plein d'amour, le monde est plein de foi
Toute chose ici-bas suit gravement sa loi,
Et ne sait obéir, dans sa fierté divine,
L'oiseau qu'à son instinct, l'arbre qu'à sa racine !
Quoi ! l'énorme océan qui monte vers son bord,
Quoi ! l'hirondelle au sud et l'aimant vers le nord
La graine ailée allant au **** choisir sa place,
Le nuage entassé sur les îles de glace,
Qui, des cieux tout à coup traversant la hauteur,
Croule au souffle d'avril du pôle à l'équateur,
Le glacier qui descend du haut des cimes blanches,
La sève qui s'épand dans les fibres des branches,
Tous les objets créés, vers un but sérieux,
Les rayons dans les airs, les globes dans les cieux,
Les fleuves à travers les rochers et les herbes,
Vont sans se détourner de leurs chemins superbes !
L'homme a seul dévié ! - Quoi ! tout dans l'univers,
Tous les êtres, les monts, les forêts, les prés verts,
Le jour dorant le ciel, l'eau lavant les ravines,
Ont encore, comme au jour où de ses mains divines
Jéhova sur Adam imprima sa grandeur,
Toute leur innocence et toute leur candeur !
L'homme seul est tombé !- Fait dans l'auguste empire
Pour être le meilleur, il en devient le pire,
Lui qui devait fleurir comme l'arbre choisi,
Il n'est plus qu'un tronc vil au branchage noirci,
Que l'âge déracine et que le vice effeuille,
Dont les rameaux n'ont pas de fruit que Dieu recueille,
Où jamais sans péril nous ne nous appuyons,
Où la société greffe les passions !
Chute immense ! il ignore et nie, ô providence !
Tandis qu'autour de lui la création pense !

Ô honte ! en proie aux sens dont le joug l'asservit,
L'homme végète auprès de la chose qui vit !

II.

Comme je m'écriais ainsi, vous m'entendîtes ;
Et vous, dont l'âme brille en tout ce que vous dites,
Vous tournâtes alors vers moi paisiblement
Votre sourire triste, ineffable et calmant :

- L'humanité se lève, elle chancelle encore,
Et, le front baigné d'ombre, elle va vers l'aurore.
Tout l'homme sur la terre a deux faces, le bien
Et le mal. Blâmer tout, c'est ne comprendre rien.
Les âmes des humains d'or et de plomb sont faites.
L'esprit du sage est grave, et sur toutes les têtes
Ne jette pas sa foudre au hasard en éclats.
Pour le siècle où l'on vit - comme on y souffre, hélas ! -
On est toujours injuste, et tout y paraît crime.
Notre époque insultée a son côté sublime.
Vous l'avez dit vous-même, ô poète irrité ! -

Dans votre chambre, asile illustre et respecté,
C'est ainsi que, sereine et simple, vous parlâtes.
Votre front, au reflet des damas écarlates,
Rayonnait, et pour moi, dans cet instant profond,
Votre regard levé fit un ciel du plafond.

L'accent de la raison, auguste et pacifique,
L'équité, la pitié, la bonté séraphique,
L'oubli des torts d'autrui, cet oubli vertueux
Qui rend à leur insu les fronts majestueux,
Donnaient à vos discours, pleins de clartés si belles,
La tranquille grandeur des choses naturelles,
Et par moments semblaient mêler à votre voix
Ce chant doux et voilé qu'on entend dans les bois.

III.

Pourquoi devant mes yeux revenez-vous sans cesse,
Ô jours de mon enfance et de mon allégresse ?
Qui donc toujours vous rouvre en nos cœurs presque éteints
Ô lumineuse fleur des souvenirs lointains ?

Oh ! que j'étais heureux ! oh ! que j'étais candide !
En classe, un banc de chêne, usé, lustré, splendide,
Une table, un pupitre, un lourd encrier noir,
Une lampe, humble sœur de l'étoile du soir,
M'accueillaient gravement et doucement. Mon maître,
Comme je vous l'ai dit souvent, était un prêtre
A l'accent calme et bon, au regard réchauffant,
Naïf comme un savant, malin comme un enfant,
Qui m'embrassait, disant, car un éloge excite :
- Quoiqu'il n'ait que neuf ans, il explique Tacite. -
Puis près d'Eugène, esprit qu'hélas ! Dieu submergea,
Je travaillais dans l'ombre, - et je songeais déjà.

Tandis que j'écrivais, - sans peur, mais sans système,
Versant le barbarisme à grands flots sur le thème,
Inventant les auteurs de sens inattendus,
Le dos courbé, le front touchant presque au Gradus, -
Je croyais, car toujours l'esprit de l'enfant veille,
Ouïr confusément, tout près de mon oreille,
Les mots grecs et latins, bavards et familiers,
Barbouillés d'encre, et gais comme des écoliers,
Chuchoter, comme font les oiseaux dans une aire,
Entre les noirs feuillets du lourd dictionnaire.
Bruits plus doux que le bruit d'un essaim qui s'enfuit,
Souffles plus étouffés qu'un soupir de la nuit,
Qui faisaient par instants, sous les fermoirs de cuivre,
Frissonner vaguement les pages du vieux livre !

Le devoir fait, légers comme de jeunes daims,
Nous fuyions à travers les immenses jardins,
Éclatant à la fois en cent propos contraires.
Moi, d'un pas inégal je suivais mes grands frères ;
Et les astres sereins s'allumaient dans les cieux,
Et les mouches volaient dans l'air silencieux,
Et le doux rossignol, chantant dans l'ombre obscure,
Enseignait la musique à toute la nature,
Tandis qu'enfant jaseur aux gestes étourdis,
Jetant partout mes yeux ingénus et hardis
D'où jaillissait la joie en vives étincelles,
Je portais sous mon bras, noués par trois ficelles,
Horace et les festins, Virgile et les forêts,
Tout l'Olympe, Thésée, Hercule, et toi Cérès,
La cruelle Junon, Lerne et l'hydre enflammée,
Et le vaste lion de la roche Némée.

Mais, lorsque j'arrivais chez ma mère, souvent,
Grâce au hasard taquin qui joue avec l'enfant,
J'avais de grands chagrins et de grandes colères.
Je ne retrouvais plus, près des ifs séculaires,
Le beau petit jardin par moi-même arrangé.
Un gros chien en passant avait tout ravagé.
Ou quelqu'un dans ma chambre avait ouvert mes cages,
Et mes oiseaux étaient partis pour les bocages,
Et, joyeux, s'en étaient allés de fleur en fleur
Chercher la liberté bien ****, - ou l'oiseleur.
Ciel ! alors j'accourais, rouge, éperdu, rapide,
Maudissant le grand chien, le jardinier stupide,
Et l'infâme oiseleur et son hideux lacet,
Furieux ! - D'un regard ma mère m'apaisait.

IV.

Aujourd'hui, ce n'est pas pour une cage vide,
Pour des oiseaux jetés à l'oiseleur avide,
Pour un dogue aboyant lâché parmi les fleurs,
Que mon courroux s'émeut. Non, les petits malheurs
Exaspèrent l'enfant ; mais, comme en une église,
Dans les grandes douleurs l'homme se tranquillise.
Après l'ardent chagrin, au jour brûlant pareil,
Le repos vient au cœur comme aux yeux le sommeil.
De nos maux, chiffres noirs, la sagesse est la somme.
En l'éprouvant toujours, Dieu semble dire à l'homme :
- Fais passer ton esprit à travers le malheur ;
Comme le grain du crible, il sortira meilleur. -
J'ai vécu, j'ai souffert, je juge et je m'apaise.
Ou si parfois encor la colère mauvaise
Fait pencher dans mon âme avec son doigt vainqueur
La balance où je pèse et le monde et mon cœur ;
Si, n'ouvrant qu'un seul œil, je condamne et je blâme,
Avec quelques mots purs, vous, sainte et noble femme,
Vous ramenez ma voix qui s'irrite et s'aigrit
Au calme sur lequel j'ai posé mon esprit ;
Je sens sous vos rayons mes tempêtes se taire ;
Et vous faites pour l'homme incliné, triste, austère,
Ce que faisait jadis pour l'enfant doux et beau
Ma mère, ce grand cœur qui dort dans le tombeau !

V.

Écoutez à présent. - Dans ma raison qui tremble,
Parfois l'une après l'autre et quelquefois ensemble,
Trois voix, trois grandes voix murmurent.

L'une dit :
- « Courrouce-toi, poète. Oui, l'enfer applaudit
Tout ce que cette époque ébauche, crée ou tente.
Reste indigné. Ce siècle est une impure tente
Où l'homme appelle à lui, voyant le soir venu,
La volupté, la chair, le vice infâme et nu.
La vérité, qui fit jadis resplendir Rome,
Est toujours dans le ciel ; l'amour n'est plus dans l'homme.
« Tout rayon jaillissant trouve tout œil fermé.
Oh ! ne repousse pas la muse au bras armé
Qui visitait jadis comme une austère amie,
Ces deux sombres géants, Amos et Jérémie !
Les hommes sont ingrats, méchants, menteurs, jaloux.
Le crime est dans plusieurs, la vanité dans tous ;
Car, selon le rameau dont ils ont bu la sève,
Ils tiennent, quelques-uns de Caïn, et tous d'Ève.

« Seigneur ! ta croix chancelle et le respect s'en va.
La prière décroît. Jéhova ! Jéhova !
On va parlant tout haut de toi-même en ton temple.
Le livre était la loi, le prêtre était l'exemple ;
Livre et prêtre sont morts. Et la foi maintenant,
Cette braise allumée à ton foyer tonnant,
Qui, marquant pour ton Christ ceux qu'il préfère aux autres,
Jadis purifiait la lèvre des apôtres,
N'est qu'un charbon éteint dont les petits enfants
Souillent ton mur avec des rires triomphants ! » -

L'autre voix dit : - « Pardonne ! aime ! Dieu qu'on révère,
Dieu pour l'homme indulgent ne sera point sévère.
Respecte la fourmi non moins que le lion.
Rêveur ! rien n'est petit dans la création.
De l'être universel l'atome se compose ;
Dieu vit un peu dans tout, et rien n'est peu de chose.
Cultive en toi l'amour, la pitié, les regrets.
Si le sort te contraint d'examiner de près
L'homme souvent frivole, aveugle et téméraire,
Tempère l'œil du juge avec les pleurs du frère.
Et que tout ici-bas, l'air, la fleur, le gazon ;
Le groupe heureux qui joue au seuil de ta maison ;
Un mendiant assis à côté d'une gerbe ;
Un oiseau qui regarde une mouche dans l'herbe ;
Les vieux livres du quai, feuilletés par le vent,
D'où l'esprit des anciens, subtil, libre et vivant,
S'envole, et, souffle errant, se mêle à tes pensées ;
La contemplation de ces femmes froissées
Qui vivent dans les pleurs comme l'algue dans l'eau ;
L'homme, ce spectateur ; le monde, ce tableau ;
Que cet ensemble auguste où l'insensé se blase
Tourne de plus en plus ta vie et ton extase
Vers l'œil mystérieux qui nous regarde tous,
Invisible veilleur ! témoin intime et doux !
Principe ! but ! milieu ! clarté ! chaleur ! dictame !
Secret de toute chose entrevu par toute l'âme !
« N'allume aucun enfer au tison d'aucun feu.
N'aggrave aucun fardeau. Démontre l'âme et Dieu,
L'impérissable esprit, la tombe irrévocable ;
Et rends douce à nos fronts, que souvent elle accable,
La grande main qui grave en signes immortels
JAMAIS ! sur les tombeaux ; TOUJOURS ! sur les autels. »

La troisième voix dit : - « Aimer ? haïr ? qu'importe !
Qu'on chante ou qu'on maudisse, et qu'on entre ou qu'on sorte,
Le mal, le bien, la mort, les vices, les faux dieux,
Qu'est-ce que tout cela fait au ciel radieux ?
La végétation, vivante, aveugle et sombre,
En couvre-t-elle moins de feuillages sans nombre,
D'arbres et de lichens, d'herbe et de goëmons,
Les prés, les champs, les eaux, les rochers et les monts ?
L'onde est-elle moins bleue et le bois moins sonore ?
L'air promène-t-il moins, dans l'ombre et dans l'aurore,
Sur les clairs horizons, sur les flots décevants,
Ces nuages heureux qui vont aux quatre vents ?
Le soleil qui sourit aux fleurs dans les campagnes,
Aux rois dans les palais, aux forçats dans les bagnes,
Perd-il, dans la splendeur dont il est revêtu,
Un rayon quand la terre oublie une vertu ?
Non, Pan n'a pas besoin qu'on le prie et qu'on l'aime.
Ô sagesse ! esprit pur ! sérénité suprême !
Zeus ! Irmensul ! Wishnou ! Jupiter ! Jéhova !
Dieu que cherchait Socrate et que Jésus trouva !
Unique Dieu ! vrai Dieu ! seul mystère ! seule âme !
Toi qui, laissant tomber ce que la mort réclame,
Fis les cieux infinis pour les temps éternels !
Toi qui mis dans l'éther plein de bruits solennels,
Tente dont ton haleine émeut les sombres toiles,
Des millions d'oiseaux, des millions d'étoiles !
Que te font, ô Très-Haut ! les hommes insensés,
Vers la nuit au hasard l'un par l'autre poussés,
Fantômes dont jamais tes yeux ne se souviennent,
Devant ta face immense ombres qui vont et viennent ! »

VI.

Dans ma retraite obscure où, sous mon rideau vert,
Luit comme un œil ami maint vieux livre entrouvert,
Où ma bible sourit dans l'ombre à mon Virgile,
J'écoute ces trois voix. Si mon cerveau fragile
S'étonne, je persiste ; et, sans peur, sans effroi,
Je les laisse accomplir ce qu'elles font en moi.
Car les hommes, troublés de ces métamorphoses,
Composent leur sagesse avec trop peu de choses.
Tous ont la déraison de voir la Vérité
Chacun de sa fenêtre et rien que d'un côté,
Sans qu'aucun d'eux, tenté par ce rocher sublime,
Aille en faire le tour et monte sur sa cime.
Et de ce triple aspect des choses d'ici-bas,
De ce triple conseil que l'homme n'entend pas,
Pour mon cœur où Dieu vit, où la haine s'émousse,
Sort une bienveillance universelle et douce
Qui dore comme une aube et d'avance attendrit
Le vers qu'à moitié fait j'emporte en mon esprit
Pour l'achever aux champs avec l'odeur des plaines
Et l'ombre du nuage et le bruit des fontaines !

Avril 1840.
VII.

Ô myrrhe ! ô cinname !
Nard cher aux époux !
Baume ! éther ! dictame !
De l'eau, de la flamme,
Parfums les plus doux !

Prés que l'onde arrose !
Vapeurs de l'autel !
Lèvres de la rose
Où l'abeille pose
Sa bouche de miel !

Jasmin ! asphodèle !
Encensoirs flottants !
Branche verte et frêle
Où fait l'hirondelle
Son nid au printemps !

Lis que fait éclore
Le frais arrosoir !
Ambre que Dieu dore !
Souffle de l'aurore,
Haleine du soir !

Parfum de la sève
Dans les bois mouvants !
Odeur de la grève
Qui la nuit s'élève
Sur l'aile des vents !

Fleurs dont la chapelle
Se fait un trésor !
Flamme solennelle,
Fumée éternelle
Des sept lampes d'or !

Tiges qu'a brisées
Le tranchant du fer !
Urnes embrasées !
Esprits des rosées
Qui flottez dans l'air !

Fêtes réjouies
D'encens et de bruits !
Senteurs inouïes !
Fleurs épanouies
Au souffle des nuits !

Odeurs immortelles
Que les Ariel,
Archanges fidèles,
Prennent sur leurs ailes
En venant du ciel !

Ô couche première
Du premier époux !
De la terre entière,
Des champs de lumière
Parfums les plus doux !

Dans l'auguste sphère,
Parfums, qu'êtes-vous,
Près de la prière
Qui dans la poussière
S'épanche à genoux !

Près du cri d'une âme
Qui fond en sanglots,
Implore et réclame,
Et s'exhale en flamme,
Et se verse à flots !

Près de l'humble offrande
D'un enfant de lin
Dont l'extase est grande
Et qui recommande son père orphelin !

Bouche qui soupire,
Mais sans murmurer !
Ineffable lyre !
Voix qui fait sourire et qui fait pleurer !

Mai 1830.
Victor Marques Dec 2009
Les rêves qu'on a perdu avec amour,
Le sourire que je te donne toujours.
Mes poémes seront á toi jusqu'a la mort,
Tu fais partie de moi, de mon sort.



Ta photo de petite fille si belle,
Un oiseau, une hirondelle,
La magie de ta tendresse,
Quelle bonheur, quelle tristesse....



Dans la nuit de mon sommeil,
Je me couche, je me réveille.
Poémes d'une liberté douce,
Tu fais partie de moi ma puce.



Tous les jours, tout le temps,
Je navigue avec ton semblant.
Mes poémes pour une petite fleur,
Un enfant qui ris, qui pleure....


Victor Marques
- From Network, wine and people....
Bierstube Magie allemande
Et douces comme un lait d'amandes
Mina Linda lèvres gourmandes
Qui tant souhaitent d'être crues
A fredonner tout bas s'obstinent
L'air Ach du lieber Augustin
Qu'un passant siffle dans la rue

Sofienstrasse Ma mémoire
Retrouve la chambre et l'armoire
L'eau qui chante dans la bouilloire
Les phrases des coussins brodés
L'abat-jour de fausse opaline
Le Toteninsel de Boecklin
Et le peignoir de mousseline
Qui s'ouvre en donnant des idées

Au plaisir prise et toujours prête
Ô Gaense-Liesel des défaites
Tout à coup tu tournais la tête
Et tu m'offrais comme cela
La tentation de ta nuque
Demoiselle de Sarrebrück
Qui descendais faire le truc
Pour un morceau de chocolat

Et moi pour la juger que suis-je
Pauvres bonheurs pauvres vertiges
Il s'est tant perdu de prodiges
Que je ne m'y reconnais plus
Rencontres Partances hâtives
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au **** les suivent
Comme des soleils révolus

Tout est affaire de décors
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays

Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit

C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenait mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

Dans le quartier Hohenzollern
Entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola

Elle était brune et pourtant blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Et travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu

Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau

Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
I.

L'esprit des sages te contemple,
Mystérieuse Humilité,
Porte étroite et basse du temple
Auguste de la vérité !
Vertu que Dieu place à la tête
Des vertus que l'ange au ciel fête ;
Car elle est la perle parfaite
Dans l'abîme du siècle amer ;
Car elle rit sous l'eau profonde,
**** du plongeur et de la sonde.
Préférant aux écrins du monde
Le cœur farouche de la mer.
C'est vers l'humanité fidèle
Que mes oiseaux s'envoleront ;
Vers les fils, vers les filles d'elle,
Pour sourire autour de leur front ;
Vers Jeanne d'Arc et Geneviève
Dont l'étoile au ciel noir se lève,
Dont le paisible troupeau rêve,
Oublieux du loup, qui s'enfuit ;
Douces porteuses de bannière,
Qui refoulaient, à leur manière,
L'impur Suffolk vers sa tanière,
L'aveugle Attila dans sa nuit.

Sur la lyre à la corde amère
Où le chant d'un dieu s'est voilé,
Ils iront saluer Homère
Sous son haillon tout étoile.
Celui pour qui jadis les Iles
Et la Grèce étaient sans asiles,
Habite aujourd'hui dans nos villes
La colonne et le piédestal ;
Une fontaine à leur flanc jase,
Où l'enfant puise avec son vase,
Et la rêverie en extase,
Avec son urne de cristal.
**** des palais sous les beaux arbres
Où les paons, compagnons des dieux,
Traînent dans la blancheur des marbres
Leurs manteaux d'azur, couverts d'yeux ;
Où, des bassins que son chant noie
L'onde s'échevelle et poudroie :
Laissant ce faste et cette joie,
Mes strophes abattront leur vol,
Pour entendre éclater, superbe,
La voix la plus proche du Verbe,
Dans la paix des grands bois pleins d'herbe
Où se cache le rossignol.
Lorsqu'au fond de la forêt brune
Pas une feuille ne bruit,
Et qu'en présence de la lune
Le silence s'épanouit,
Sous l'azur chaste qui s'allume,
Dans l'ombre où l'encens des fleurs fume,
Le rossignol qui se consume
Dans l'extatique oubli du jour,
Verse un immense épithalame
De son petit gosier de flamme,
Où s'embrasent l'accent et l'âme
De la nature et de l'amour !

II.

C'est Dieu qui conduisait à Rome,
Mettant un bourdon dans sa main,
Ce saint qui ne fut qu'un pauvre homme,
Hirondelle de grand chemin,
Qui laissa tout son coin de terre,
Sa cellule de solitaire.
Et la soupe du monastère,
Et son banc qui chauffe au soleil,
Sourd à son siècle, à ses oracles,
Accueilli des seuls tabernacles,
Mais vêtu du don des miracles
Et coiffé du nimbe vermeil.

Le vrai pauvre qui se délabre,
Lustre à lustre, été par été,
C'était ce règne, et non saint Labre,
Qui lui faisait la charité
De ses vertus spirituelles,
De ses bontés habituelles,
Léger guérisseur d'écrouelles,
Front penché sur chaque indigent,
Fière statue enchanteresse
De l'austérité, que Dieu dresse,
Au bout du siècle de l'ivresse,
Au seuil du siècle de l'argent.

Je sais que notre temps dédaigne
Les coquilles de son chapeau,
Et qu'un lâche étonnement règne
Devant les ombres de sa peau ;
L'âme en est-elle atténuée ?
Et qu'importe au ciel sa nuée,
Qu'importe au miroir sa buée,
Si Dieu splendide aime à s'y voir !
La gangue au diamant s'allie ;
Toi, tu peins ta lèvre pâlie,
Luxure, et toi, vertu salie,
C'est là ton fard mystique et noir.

Qu'importe l'orgueil qui s'effare,
Ses pudeurs, ses rebellions !
Vous, qu'une main superbe égare
Dans la crinière des lions,
Comme elle égare aux plis des voiles,
Où la nuit a tendu ses toiles,
Aldébaran et les étoiles,
Frères des astres, vous, les poux
Qu'il laissait paître sur sa tête,
Bon pour vous et dur pour sa bête,
Dites, par la voix du poète,
À quel point ce pauvre était doux !

Ah ! quand le Juste est mort, tout change :
Rome au saint mur pend son haillon,
Et Dieu veut, par des mains d'Archange,
Vêtir son corps d'un grand rayon ;
Le soleil le prend sous son aile,
La lune rit dans sa prunelle,
La grâce comme une eau ruisselle
Sur son buste et ses bras nerveux ;
Et le saint, dans l'apothéose
Du ciel ouvert comme une rose,
Plane, et montre à l'enfer morose
Des étoiles dans ses cheveux !

Beau paysan, ange d'Amette,
Ayant aujourd'hui pour trépieds
La lune au ciel, et la comète,
Et tous les soleils sous vos pieds ;
Couvert d'odeurs délicieuses,
Vous, qui dormiez sous les yeuses,
Vous, que l'Eglise aux mains pieuses
Peint sur l'autel et le guidon,
Priez pour nos âmes, ces gouges,
Et pour que nos cœurs, las des bouges,
Lavent leurs péchés noirs et rouges
Dans les piscines du pardon !

III.

Aimez l'humilité ! C'est elle
Que les mages de l'Orient,
Coiffés d'un turban de dentelle,
Et dont le Noir montre en riant
Un blanc croissant qui l'illumine,
Offrant sur les coussins d'hermine
Et l'or pur et la myrrhe fine,
Venaient, dans l'encens triomphant,
Grâce à l'étoile dans la nue,
Adorer, sur la paille nue,
Au fond d'une étable inconnue,
Dans la personne d'un enfant.
Ses mains, qui sont des fleurs écloses,
Aux doux parfums spirituels,
Portent de délicates roses,
À la place des clous cruels.
Ecarlates comme les baies
Dont le printemps rougit les haies,
Les cinq blessures de ses plaies,
Dont l'ardeur ne peut s'apaiser,
Semblent ouvrir au vent des fièvres,
Sur sa chair pâle aux blancheurs mièvres,
La multitude de leurs lèvres
Pour l'infini de son baiser.
Au pied de la croix découpée
Sur le sombre azur de Sion,
Une figure enveloppée
De silence et de passion,
Immobile et de pleurs vêtue,
Va grandir comme une statue
Que la foi des temps perpétue,
Haute assez pour jeter sur nous,
Nos deuils, nos larmes et nos râles,
Son ombre aux ailes magistrales,
Comme l'ombre des cathédrales
Sur les collines à genoux.
Près de la blanche Madeleine,
Dont l'époux reste parfumé
Des odeurs de son urne pleine,
Près de Jean le disciple aimé,
C'est ainsi qu'entre deux infâmes,
Honni des hommes et des femmes,
Pour le ravissement des âmes,
Voulut éclore et se flétrir
Celui qui, d'un cri charitable,
Appelante pauvre à sa table,
Etait bien le Dieu véritable
Puisque l'homme l'a fait mourir !

Maintenant que Tibère écoute
Rire le flot, chanter le nid !
Olympe, un cri monte à ta voûte,
Et c'est : Lamma Sabacthani !
Les dieux voient s'écrouler leur nombre.
Le vieux monde plonge dans l'ombre,
Usé comme un vêtement sombre
Qui se détache par lambeaux.
Un empire inconnu se fonde,
Et Rome voit éclore un monde
Qui sort de la douleur profonde
Comme une rose du tombeau !
Des bords du Rhône aux bords du Tigre
Que Néron fasse armer ses lois,
Qu'il sente les ongles du tigre
Pousser à chacun de ses doigts ;
Qu'il contemple, dans sa paresse,
Au son des flûtes de la Grèce,
Les chevilles de la négresse
Tourner sur un rythme énervant ;
Déjà, dans sa tête en délire,
S'allume la flamme où l'Empire
De Rome et des Césars expire
Dans la fumée et dans le vent !

IV.

Humilité ! loi naturelle,
Parfum du fort, fleur du petit !
Antée a mis sa force en elle,
C'est sur elle que l'on bâtit.
Seule, elle rit dans les alarmes.
Celui qui ne prend pas ses armes,
Celui qui ne voit pas ses charmes
À la clarté de Jésus-Christ,
Celui là, sur le fleuve avide
Des ans profonds que Dieu dévide,
Aura fui comme un feuillet vide
Où le destin n'a rien écrit !
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle ()
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
À le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda.


La France.
Un tout petit enfant s'en allait à l'école.
On avait dit : Allez !... il tâchait d'obéir ;
Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir.
Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.

« Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler ?
Moi, je vais à l'école : il faut apprendre à lire ;
Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire :
Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre à voler ? »

« Non, dit-elle ; j'arrive et je suis très pressée.
J'avais froid ; l'aquilon m'a longtemps oppressée :
Enfin, j'ai vu les fleurs, je redescends du ciel,
Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
Voyez ! j'en ai déjà puisé dans quatre roses ;
Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.
Vite, vite à la ruche ! on ne rit pas toujours :
C'est pour faire le miel qu'on nous rends les beaux jours. »

Elle fuit et se perd sur la route embaumée.
Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert ;
Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée
Se montrait sans nuage et riait de l'hiver.

Une hirondelle passe : elle effleure la joue
Du petit nonchalant qui s'attriste et qui joue.
Et dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.

« Oh ! bonjour ! dit l'enfant, qui se souvenait d'elle ;
Je t'ai vue à l'automne ; oh ! bonjour, hirondelle.
Viens ! tu portais bonheur à ma maison, et moi
Je voudrais du bonheur. Veux-tu m'en donner, toi ?
Jouons. » - « Je le voudrais, répond la voyageuse,
Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.
Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps ;
Ils rêveraient ma mort si je tardais longtemps.
Non, je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,
J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance.
Nous allons relever nos palais dégarnis :
L'herbe croît, c'est l'instant des amours et des nids.
J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,
Je vais chercher mes soeurs, là-bas, sur le chemin.
Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,
Il faut en profiler. Je me sauve... À demain ! »

L'enfant reste muet ; et, la tête baissée,
Rêve et compte ses pas, pour tromper son ennui,
Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
Rompt ses fragiles noeuds, et tombe auprès de lui.

Un dogue l'observait du seuil de sa demeure.
Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.
Hélas ! peut-on crier contre un enfant qui pleure ?
« Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu,
Dit l'écolier plaintif ? Je n'aime pas mon livre ;
Voyez ! ma main est rouge, il en est cause. Au jeu
Rien ne fatigue, on rit ; et moi je voudrais vivre
Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours ;
Je m'en plains tous les soirs, et j'y vais tous les jours ;
J'en suis très mécontent. Je n'aime aucune affaire.
Le sort des chiens me plaît, car ils n'ont rien à faire. »

« Écolier ! voyez-vous ce laboureur aux champs ?
Eh bien ! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître.
Il est très vigilant ; je le suis plus, peut-être.
Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants.
J'éveille aussi ce boeuf qui, d'un pied lent, mais ferme,
Va creuser les sillons quand je garde la ferme.
Pour vous même on travaille ; et, grâce à vos brebis,
Votre mère, en chantant, vous file des habits.
Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange. »

« Allez donc à l'école ; allez, mon petit ange !
Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux :
L'ignorance toujours mène à la servitude.
L'homme est fin, l'homme est sage, il nous défend l'étude,
« Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux ;
Les chiens vous serviront. » L'enfant l'écouta dire,
Et même il le baisa.
Son livre était moins lourd.
En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court.
L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.
À l'école, un peu ****, il arrive gaîment,
Et dans le mois des fruits il lisait couramment.
Voyez le ciel, la terre et toute la nature ;
C'est le livre de Dieu, c'est sa grande écriture ;
L'homme le lit sans cesse et ne l'achève point.
Splendeur de la virgule, immensité du point !
Comètes et soleils, lettres du feu sans nombre !
Pages que la nuit pure éclaire avec son ombre !
Le jour est moins charmant que les yeux de la nuit.
C'est un astre en rumeur que tout astre qui luit.
Musique d'or des cieux faite avec leur silence ;
Et tout astre immobile est l'astre qui s'élance.
Ah ! que Dieu, qui vous fit, magnifiques rayons,
Cils lointains qui battez lorsque nous sommeillons,
Longtemps, jusqu'à nos yeux buvant votre énergie,
Prolonge votre flamme et sa frêle magie !
La terre est notre mère au sein puissant et beau ;
Comme on ouvre son cœur, elle ouvre le tombeau,
Faisant ce que lui dit le Père qui regarde.
Dieu nous rend à la Mère, et la Mère nous garde ;
Mais comme le sillon garde le grain de blé,
Pour le crible, sur l'aire où tout sera criblé :
Récolte dont le Fils a préparé les granges,
Et dont les moissonneurs vermeils seront les anges.
La nature nous aime, elle cause avec nous ;
Les sages l'écoutaient, les mains sur leurs genoux,
Parler avec la voix des eaux, le bruit des arbres.
Son cœur candide éclate au sein sacré des marbres ;
Elle est la jeune aïeule ; elle est l'antique enfant !
Elle sait, elle dit tout ce que Dieu défend
À l'homme, enfant qui rit comme un taureau qui beugle ;
Et le regard de Dieu s'ouvre dans cette aveugle.
Quiconque a le malheur de violer sa loi
A par enchantement soi-même contre soi.
N'opposant que le calme à notre turbulence,
Elle rend, au besoin, rigueur pour violence,
Terrible à l'insensé, docile à l'homme humain :
Qui soufflette le mur se fait mal à la main.
La nature nous aime et donne ses merveilles.
Ouvrons notre âme, ouvrons nos yeux et nos oreilles :
Voyez la terre avec chaque printemps léger,
Ses verts juillets en flamme ainsi que l'oranger,
Ses automnes voilés de mousselines grises,
Ses neiges de Noël tombant sur les églises,
Et la paix de sa joie et le chant de ses pleurs.
Dans la saveur des fruits et la grâce des fleurs,
La vie aussi nous aime, elle a ses heures douces,
Des baisers dans la brise et des lits dans les mousses.
Jardin connu trop ****, sentier vite effacé
Où s'égarait Virgile, où Jésus a passé.
Tout nous aime et sourit, jusqu'aux veines des pierres ;
La forme de nos cœurs tremble aux feuilles des lierres ;
L'arbre, où le couteau grave un chiffre amer et blanc.
Fait des lèvres d'amour de sa blessure au flanc ;
L'aile de l'hirondelle annonce le nuage ;
Et le chemin nous aime : avec nous il voyage ;
La trace de nos pas sur le sable, elle aussi
Nous suit ; elle nous aime, et l'air dit : « me voici ! »
Rendons-leur cet amour, soyons plus doux aux choses
Coupons moins le pain blanc et cueillons moins les roses
Nous parlons du caillou comme s'il était sourd,
Mais il vit ; quand il chante, une étincelle court...
Ne touchons rien, pas même à la plus vile argile,
Sans l'amour que l'on a pour le cristal fragile.
La nature très sage est dure au maladroit,
Elle dit : le devoir est la borne du droit ;
Elle sait le secret des choses que vous faites ;
Elle bat notre orgueil en nous montrant les bêtes,
Humiliant les bons qui savent leur bonté,
Comme aussi les méchants qui voient leur cruauté.
Grâce à la bonté, l'homme à sa place se range,
Moins terre que la bête, il est moins ciel que l'ange
Dont l'aile se devine à l'aile de l'air bleu.
Partout où l'homme écrit « Nature », lisez « Dieu ».
La nature est pleine d'amour,
Jeanne, autour de nos humbles joies ;
Et les fleurs semblent tour à tour
Se dresser pour que tu les voies.

Vive Angélique ! à bas Orgon !
L'hiver, qu'insultent nos huées,
Recule, et son profil bougon
Va s'effaçant dans les nuées.

La sérénité de nos coeurs,
Où chantent les bonheurs sans nombre,
Complète, en ces doux mois vainqueurs,
L'évanouissement de l'ombre.

Juin couvre de fleurs les sommets,
Et dit partout les mêmes choses ;
Mais est-ce qu'on se plaint jamais
De la prolixité des roses ?

L'hirondelle, sur ton front pur,
Vient si près de tes yeux fidèles
Qu'on pourrait compter dans l'azur
Toutes les plumes de ses ailes.

Ta grâce est un rayon charmant ;
Ta jeunesse, enfantine encore,
Éclaire le bleu firmament,
Et renvoie au ciel de l'aurore.

De sa ressemblance avec toi
Le lys pur sourit dans sa gloire ;
Ton âme est une urne de foi
Où la colombe voudrait boire.
À une dame châtelaine.
(Pour la construction d'une serre.)


Pauvre fleur, qu'un rayon du soleil fit éclore,
Pauvre fleur, dont les jours n'ont qu'une courte aurore,
Il me faut, au printemps, le soleil du bon Dieu,
Et quand l'hiver arrive, un asile et du feu.
On m'a dit - j'en frémis ! - qu'au foyer de la serre
Je n'aurai plus ma place, et mourrai sur la terre
Au jour où l'hirondelle, en fuyant les frimas,
Vole vers les pays où l'hiver ne vient pas.
Et moi, qui de l'oiseau n'ai pas l'aile légère,
Sur toi, contre le froid, j'avais compté, ma mère !
Pourquoi m'abandonner ? Pauvre petite fleur,
Ne t'ai-je pas offert l'éclat de ma couleur,
Mon suave parfum, jusqu'aux jours de l'automne ?
Ne t'ai-je pas donné ce que le ciel me donne ?

Si tu savais, ma mère, il est dans ce vallon,
Non **** de ton domaine, un jeune papillon
Qui versera des pleurs, et mourra de sa peine,
En ne me voyant plus à la saison prochaine.
Des sucs des autres fleurs ne voulant se nourrir,
Fidèle à son amie, il lui faudra mourir !...
Puis une abeille aussi, sur mon destin, s'alarme :
Sur ses ailes j'ai vu briller plus d'une larme ;
Elle m'aime, et m'a dit que jamais, sous le ciel,
Jeune fleur dans son sein n'avait eu plus doux miel.
Souvent une fourmi, contre le vent d'orage,
Vient chercher vers le soir l'abri de mon feuillage.
Te parlerai-je aussi de l'insecte filant,
Qui, sur mes verts rameaux s'avançant d'un pas lent,
De son réseau léger appuyé sur ma tige,
À tout ce qui dans l'air ou bourdonne ou voltige,
Tend un piège adroit, laborieux labeur
Que ta main va détruire en détruisant ma fleur ?
Et puis, quand vient la nuit, un petit ver qui brille
Me choisit chaque soir, et son feu qui scintille,
Lorsque mes sœurs n'ont plus pour elles que l'odeur,
Me permet de montrer l'éclat de ma couleur.

Tu vois, je suis aimée ! et cette heureuse vie,
Me serait, à l'hiver, par tes ordres ravie ?...
C'est ton or qui m'a fait quitter mon beau pays,
Où, des froids ouragans je n'avais nuls soucis ;
Aussi je pleurais bien au moment du voyage...
- L'exil est un malheur qu'on comprend à tout âge !
Mais une vieille fleur, estimée en tous lieux,
M'a dit qu'auprès de toi mon sort serait heureux ;
Qu'elle avait souvenir, jusques en sa vieillesse,
D'avoir fleuri pour toi du temps de sa jeunesse ;
Qu'aussitôt qu'on te voit, t'aimer est un devoir,
Qu'aimer paraît bien doux quand on vient de te voir ;
Que tu n'as pas un cœur qui trompe l'espérance,
Que les amis te sont plus chers dans la souffrance,
Et que petite fleur, flétrie et sans odeur,
Trouverait à l'hiver pitié pour son malheur ;
Que tout ce qui gémit, s'incline, souffre et pleure,
Cherche, sans se tromper, secours dans ta demeure ;
Que, tes soins maternels éloignant les autans,
Auprès de toi toujours on se croit au printemps !

Allons, construis pour nous une heureuse retraite,
Et Dieu te bénira... car c'est lui qui m'a faite,
Et simple fleur des champs, quoique bien **** des cieux,
Comme le chêne altier, trouve place à ses yeux.
Sur le bord du chemin, que j'aime à voir l'oiseau,
Fuyant le nid léger que balance l'ormeau,
Prendre le grain qu'il porte à sa couvée éclose,
Les premiers jours de mai, quand s'entr'ouvre la rose.

Sur le bord du chemin, que j'aime l'églantier,
De pétales dorés parsemant le sentier,
Disant que l'hiver fuit avec neige et froidure,
Qu'un sourire d'avril ramène la verdure.

Sur le bord du chemin, que j'aime à voir les fleurs
Dont les hommes n'ont pas combiné les couleurs ;
Les fleurs des malheureux, qu'aux malheureux Dieu donne,
Du Dieu qui songe à tous, aimable et sainte aumône.

Sur le bord du chemin, que j'aime le ruisseau,
Qui, sous le nénuphar, sous l'aulne et le roseau,
Me cache ses détours, mais qui murmure et chante,
S'emparant en fuyant de ma pensée errante.

Sur le bord du chemin, que j'aime le berger,
Son vieux chien vigilant, son chalumeau léger ;
La cloche du troupeau, triste comme une plainte,
Qui s'arrête parfois, puis qui s'ébranle et tinte.

Sur le bord du chemin, que j'aime mieux encor
La simple croix de bois, sans sculpture, sans or ;
À ses pieds, une fleur humide de rosée,
Par l'humble laboureur, humblement déposée.

Sur le bord du chemin, la fleur se fanera,
Les troupeaux partiront, le ruisseau tarira ;
Tout se flétrit et meurt, quand s'enfuit l'hirondelle ;
Mais la croix restera saintement immortelle !

Sur le bord du chemin, tout varie en son cours,
Le ciel seul, à notre âme, osa dire : Toujours !
Et quand nos cœurs brisés s'agitent dans le doute,
Qu'il est bon de trouver une croix sur la route !

Sur le bord du chemin, les paroles d'amour,
Murmure harmonieux qui ne dure qu'un jour,
S'en vont avec le vent, aussi légère chose
Qu'un chant d'oiseau dans l'air ou qu'un parfum de rose.

Sur le bord du chemin, on tombe avant le soir,
Les pieds tout déchirés et le cœur sans espoir ;
Pèlerin fatigué que poursuivit l'orage,
On s'assied sur la route à moitié du voyage.

Sur le bord du chemin, ô croix ! reste pour moi !
Mes yeux ont moins de pleurs en se levant vers toi.
Tu me montres le but ; une voix qui console,
Dans le fond de mon cœur, semble être ta parole :

« Sur le bord du chemin, si ton cœur affaibli
Souffre d'isolement, de mécompte et d'oubli,
Ô pauvre ami blessé qui caches ta souffrance,
Viens t'asseoir à mes pieds, car je suis l'espérance ! »

Sur le bord du chemin, ainsi parle la croix,
Consolant les bergers et consolant les rois,
Offrant à tout passant son appui tutélaire...
Car tout cœur qui palpite a souffert sur la terre !
Ma mère, quel beau jour ! tout brille, tout rayonne.
Dans les airs, l'oiseau chante et l'insecte bourdonne ;
Les ruisseaux argentés roulent sur les cailloux,
Les fleurs donnent au ciel leur parfum le plus doux.
Le lis s'est entr'ouvert ; la goutte de rosée,
Sur les feuilles des bois par la nuit déposée,
S'enfuyant à l'aspect du soleil et du jour,
Chancelle et tombe enfin comme des pleurs d'amour.
Les fils blancs et légers de la vierge Marie,
Comme un voile d'argent, volent sur la prairie :
Frêle tissu, pour qui mon souffle est l'aquilon,
Et que brise en passant l'aile d'un papillon.
Sous le poids de ses fruits le grenadier se penche,
Dans l'air, un chant d'oiseau nous vient de chaque branche ;
Jusqu'au soir, dans les cieux, le soleil brillera :
Ce jour est un beau jour !... Oh ! bien sûr, il viendra !

Il viendra... mais pourquoi ?... Sait-il donc que je l'aime ?
Sait-il que je l'attends, que chaque jour de même,
- Que ce jour soit celui d'hier ou d'aujourd'hui -
J'espère sa présence et ne songe qu'à lui ?
Oh ! non ! il ne sait rien. Qu'aurait-il pu comprendre !...
Les battements du cœur se laissent-ils entendre ?
Les yeux qu'on tient baissés, ont-ils donc un regard ?
Un sourire, dit-il qu'on doit pleurer plus **** ?

Que sait-on des pensers cachés au fond de l'âme !
La douleur qu'on chérit, le bonneur que l'on blâme ,
Au bal, qui les trahit ?... Des fleurs sont sur mon front,
À tout regard joyeux mon sourire répond ;
Je passe auprès de lui sans détourner la tête,
Sans ralentir mes pas.... et mon cœur seul s'arrête.
Mais qui peut voir le cœur ? qu'il soit amour ou fiel,
C'est un livre fermé, qui ne s'ouvre qu'au ciel !

Une fleur est perdue, au ****, dans la prairie,
Mais son parfum trahit sa présence et sa vie ;
L'herbe cache une source, et le chêne un roseau,
Mais la fraîcheur des bois révèle le ruisseau ;
Le long balancement d'un flexible feuillage
Nous dit bien s'il reçoit ou la brise ou l'orage ;
Le feu qu'ont étouffé des cendres sans couleur,
Se cachant à nos yeux, se sent par la chaleur ;
Pour revoir le soleil quand s'enfuit l'hirondelle,
Le pays qu'elle ignore est deviné par elle :
Tout se laisse trahir par l'odeur ou le son,
Tout se laisse entrevoir par l'ombre ou le rayon,
Et moi seule, ici-bas, dans la foule perdue,
J'ai passé près de lui sans qu'il m'ait entendue...
Mon amour est sans voix, sans parfum, sans couleur,
Et nul pressentiment n'a fait battre son cœur !

Ma mère, c'en est fait ! Le jour devient plus sombre ;
Aucun bruit, aucun pas, du soir ne trouble l'ombre.

Adieux à vous ! - à vous, ingrat sans le savoir !
Vous, coupable des pleurs que vous ne pouvez voir !
Pour la dernière fois, mon Ame déchirée
Rêva votre présence, hélas! tant désirée...  
Plus jamais je n'attends. L'amour et l'abandon,
Du cœur que vous brisez les pleurs et le pardon,
Vous ignorerez tout !... Ainsi pour nous, un ange.
Invisible gardien, dans ce monde où tout change.
S'attache à notre vie et vole à nos côtés ;
Sous son voile divin nous sommes abrités,
Et jamais, cependant, on ne voit l'aile blanche
Qui, sur nos fronts baissés, ou s'entrouvre ou se penche.

Dans les salons, au bal, sans cesse, chaque soir,
En dansant près de vous, il me faudra vous voir ;
Et cependant, adieu... comme à mon premier rêve !
Tous deux, à votre insu, dans ce jour qui s'achève,
Nous nous serons quittés ! - Adieu, soyez heureux !...
Ma prière, pour vous, montera vers les Cieux :
Je leur demanderai qu'éloignant les orages,
Ils dirigent vos pas vers de riants rivages,
Que la brise jamais, devenant aquilon,
D'un nuage pour vous ne voile l'horizon ;
Que l'heure à votre gré semble rapide ou lente ;
Lorsque vous écoutez, que toujours l'oiseau chante ;
Lorsque vous regardez, que tout charme vos yeux,
Que le buisson soit vert, le soleil radieux ;
Que celle qui sera de votre cœur aimée,
Pour vous, d'un saint amour soit toujours animée !...
- Si parfois, étonné d'un aussi long bonheur,
Vous demandez à Dieu : « Mais pourquoi donc, Seigneur ? »
Il répondra peut-être : « Un cœur pour toi me prie...
Et sa part de bonheur, il la donne à ta vie ! »
Lux
I.

Temps futurs ! vision sublime !
Les peuples sont hors de l'abîme.
Le désert morne est traversé.
Après les sables, la pelouse ;
Et la terre est comme une épouse,
Et l'homme est comme un fiancé !

Dès à présent l'œil qui s'élève
Voit distinctement ce beau rêve
Qui sera le réel un jour ;
Car Dieu dénouera toute chaîne,
Car le passé s'appelle haine
Et l'avenir se nomme amour !

Dès à présent dans nos misères
Germe l'***** des peuples frères ;
Volant sur nos sombres rameaux,
Comme un frelon que l'aube éveille,
Le progrès, ténébreuse abeille,
Fait du bonheur avec nos maux.

Oh ! voyez ! la nuit se dissipe.
Sur le monde qui s'émancipe,
Oubliant Césars et Capets,
Et sur les nations nubiles,
S'ouvrent dans l'azur, immobiles,
Les vastes ailes de la paix !

Ô libre France enfin surgie !
Ô robe blanche après l'orgie !
Ô triomphe après les douleurs !
Le travail bruit dans les forges,
Le ciel rit, et les rouges-gorges
Chantent dans l'aubépine en fleurs !

La rouille mord les hallebardes.
De vos canons, de vos bombardes
Il ne reste pas un morceau
Qui soit assez grand, capitaines,
Pour qu'on puisse prendre aux fontaines
De quoi faire boire un oiseau.

Les rancunes sont effacées ;
Tous les cœurs, toutes les pensées,
Qu'anime le même dessein,
Ne font plus qu'un faisceau superbe ;
Dieu prend pour lier cette gerbe
La vieille corde du tocsin.

Au fond des cieux un point scintille.
Regardez, il grandit, il brille,
Il approche, énorme et vermeil.
Ô République universelle,
Tu n'es encor que l'étincelle,
Demain tu seras le soleil !

II.

Fêtes dans les cités, fêtes dans les campagnes !
Les cieux n'ont plus d'enfers, les lois n'ont plus de bagnes.
Où donc est l'échafaud ? ce monstre a disparu.
Tout renaît. Le bonheur de chacun est accru
De la félicité des nations entières.
Plus de soldats l'épée au poing, plus de frontières,
Plus de fisc, plus de glaive ayant forme de croix.

L'Europe en rougissant dit : - Quoi ! j'avais des rois !
Et l'Amérique dit. - Quoi ! j'avais des esclaves !
Science, art, poésie, ont dissous les entraves
De tout le genre humain. Où sont les maux soufferts ?
Les libres pieds de l'homme ont oublié les fers.
Tout l'univers n'est plus qu'une famille unie.
Le saint labeur de tous se fond en harmonie
Et la société, qui d'hymnes retentit,
Accueille avec transport l'effort du plus petit
L'ouvrage du plus humble au fond de sa chaumière
Emeut l'immense peuple heureux dans la lumière
Toute l'humanité dans sa splendide ampleur
Sent le don que lui fait le moindre travailleur ;
Ainsi les verts sapins, vainqueurs des avalanches,
Les grands chênes, remplis de feuilles et de branches,
Les vieux cèdres touffus, plus durs que le granit,
Quand la fauvette en mai vient y faire son nid,
Tressaillent dans leur force et leur hauteur superbe,
Tout joyeux qu'un oiseau leur apporte un brin d'herbe.

Radieux avenir ! essor universel !
Epanouissement de l'homme sous le ciel !

III.

Ô proscrits, hommes de l'épreuve,
Mes compagnons vaillants et doux,
Bien des fois, assis près du fleuve,
J'ai chanté ce chant parmi vous ;

Bien des fois, quand vous m'entendîtes,
Plusieurs m'ont dit : « Perds ton espoir.
Nous serions des races maudites,
Le ciel ne serait pas plus noir !

« Que veut dire cette inclémence ?
Quoi ! le juste a le châtiment !
La vertu s'étonne et commence
À regarder Dieu fixement.

« Dieu se dérobe et nous échappe.
Quoi donc ! l'iniquité prévaut !
Le crime, voyant où Dieu frappe,
Rit d'un rire impie et dévot.

« Nous ne comprenons pas ses voies.
Comment ce Dieu des nations
Fera-t-il sortir tant de joies
De tant de désolations ?

« Ses desseins nous semblent contraires
À l'espoir qui luit dans tes yeux... »
- Mais qui donc, ô proscrits, mes frères,
Comprend le grand mystérieux ?

Qui donc a traversé l'espace,
La terre, l'eau, l'air et le feu,
Et l'étendue où l'esprit passe ?
Qui donc peut dire : « J'ai vu Dieu !

« J'ai vu Jéhova ! je le nomme !
Tout à l'heure il me réchauffait.
Je sais comment il a fait l'homme,
Comment il fait tout ce qu'il fait !

« J'ai vu cette main inconnue
Qui lâche en s'ouvrant l'âpre hiver,
Et les tonnerres dans la nue,
Et les tempêtes sur la mer,

« Tendre et ployer la nuit livide ;
Mettre une âme dans l'embryon ;
Appuyer dans l'ombre du vide
Le pôle du septentrion ;

« Amener l'heure où tout arrive ;
Faire au banquet du roi fêté
Entrer la mort, ce noir convive
Qui vient sans qu'on l'ait invité ;

« Créer l'araignée et sa toile,
Peindre la fleur, mûrir le fruit,
Et, sans perdre une seule étoile,
Mener tous les astres la nuit ;

« Arrêter la vague à la rive ;
Parfumer de roses l'été ;
Verser le temps comme une eau vive
Des urnes de l'éternité ;

« D'un souffle, avec ses feux sans nombre,
Faire, dans toute sa hauteur,
Frissonner le firmament sombre
Comme la tente d'un pasteur ;

« Attacher les globes aux sphères
Par mille invisibles liens...
Toutes ces choses sont très claires.
Je sais comment il fait ! j'en viens ! »

Qui peut dire cela ? personne.
Nuit sur nos cœurs ! nuit sur nos yeux !
L'homme est un vain clairon qui sonne.
Dieu seul parle aux axes des cieux.

IV.

Ne doutons pas ! croyons ! La fin, c'est le mystère.
Attendons. Des Nérons comme de la panthère
Dieu sait briser la dent.
Dieu nous essaie, amis. Ayons foi, soyons cannes,
Et marchons. Ô désert ! s'il fait croître des palmes,
C'est dans ton sable ardent !

Parce qu'il ne fait pas son œuvre tout de suite,
Qu'il livre Rome au prêtre et Jésus au jésuite,
Et les bons au méchant,
Nous désespérerions ! de lui ! du juste immense !
Non ! non ! lui seul connaît le nom de la -semence
Qui germe dans son champ.

Ne possède-t-il pas toute la certitude ?
Dieu ne remplit-il pas ce monde, notre étude,
Du nadir au zénith ?
Notre sagesse auprès de la sienne est démence.
Et n'est-ce pas à lui que la clarté commence,
Et que l'ombre finit ?

Ne voit-il pas ramper les hydres sur leurs ventres ?
Ne regarde-t-il pas jusqu'au fond de leurs antres
Atlas et Pélion ?
Ne connaît-il pas l'heure où la cigogne émigre ?
Sait-il pas ton entrée et ta sortie, ô tigre,
Et ton antre, ô lion ?

Hirondelle, réponds, aigle à l'aile sonore,
Parle, avez-vous des nids que l'Eternel ignore ?
Ô cerf, quand l'as-tu fui ?
Renard, ne vois-tu pas ses yeux dans la broussaille ?
Loup, quand tu sens la nuit une herbe qui tressaille,
Ne dis-tu pas : c'est lui !

Puisqu'il sait tout cela, puisqu'il peut toute chose,
Que ses doigts font jaillir les effets de la cause
Comme un noyau d'un fruit,
Puisqu'il peut mettre un ver dans les pommes de l'arbre,
Et faire disperser les colonnes de marbre
Par le vent de la nuit ;

Puisqu'il bat l'océan pareil au bœuf qui beugle,
Puisqu'il est le voyant et que l'homme est l'aveugle,
Puisqu'il est le milieu,
Puisque son bras nous porte, et puisqu'à soir passage
La comète frissonne ainsi qu'en une cage
Tremble une étoupe en feu ;

Puisque l'obscure nuit le connaît, puisque l'ombre
Le voit, quand il lui plaît, sauver la nef qui sombre,
Comment douterions-nous,
Nous qui, fermes et purs, fiers dans nos agonies,
Sommes debout devant toutes les tyrannies,
Pour lui seul à genoux !

D'ailleurs, pensons. Nos jours sont des jours d'amertume,
Mais quand nous étendons les bras dans cette brume,
Nous sentons une main ;
Quand nous marchons, courbés, dans l'ombre du martyre,
Nous entendons quelqu'un derrière nous nous dire :
C'est ici le chemin.

Ô proscrits, l'avenir est aux peuples ! Paix, gloire,
Liberté, reviendront sur des chars de victoire
Aux foudroyants essieux ;
Ce crime qui triomphe est fumée et mensonge,
Voilà ce que je puis affirmer, moi qui songe
L'œil fixé sur les cieux !

Les césars sont plus fiers que les vagues marines,
Mais Dieu dit : « Je mettrai ma boucle en leurs narines,
Et dans leur bouche un mors,
Et je les traînerai, qu'on cède ou bien qu'on lutte,
Eux et leurs histrions et leurs joueurs de flûte,
Dans l'ombre où sont les morts. »

Dieu dit ; et le granit que foulait leur semelle
S'écroule, et les voilà disparus pêle-mêle
Dans leurs prospérités !
Aquilon ! aquilon ! qui viens battre nos portes,
Oh ! dis-nous, si c'est toi, souffle, qui les emportes,
Où les as-tu jetés ?

V.

Bannis ! bannis ! bannis ! c'est là la destinée.
Ce qu'apporté le flux sera dans la journée
Repris par le reflux.
Les jours mauvais fuiront sans qu'on sache leur nombre,
Et les peuples joyeux et se penchant sur l'ombre
Diront : Cela n'est plus !

Les temps heureux luiront, non pour la seule France,
Mais pour tous. On verra dans cette délivrance,
Funeste au seul passé,
Toute l'humanité chanter, de fleurs couverte,
Comme un maître qui rentre en sa maison déserte
Dont on l'avait chassé.

Les tyrans s'éteindront comme des météores.
Et, comme s'il naissait de la nuit deux aurores
Dans le même ciel bleu,
Nous vous verrous sortir de ce gouffre où nous sommes,
Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes,
Paternité de Dieu !

Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète,
Car le clairon redit ce que dit la trompette,
Tout sera paix et jour !
Liberté ! plus de serf et plus de prolétaire !
Ô sourire d'en haut ! ô du ciel pour la terre
Majestueux amour !

L'arbre saint du Progrès, autrefois chimérique,
Croîtra, couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique,
Sur le passé détruit,
Et, laissant l'éther pur luire à travers ses branches,
Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches,
Plein d'étoiles, la nuit.

Et nous qui serons morts, morts dans l'exil peut-être,
Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître,
Vivront, plus fiers, plus beaux,
Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine,
Nous nous réveillerons pour baiser sa racine
Au fond de nos tombeaux !

Jersey, du 16 au 20 décembre 1853.
Qui peut empêcher l'hirondelle,

Quand vient la saison des frimas,

D'aller chercher à tire d'aile

D'autres cieux et d'autres climats ?

Qui peut, lorsque l'heure est venue,

Empêcher au sein de la nue -

Le jour éteint de s'arrêter

Sur les derniers monts qu'il colore ?

L'amant d'aimer, la fleur d'éclore

Et le poète de chanter ?


Le transport d'un pieux délire

A lui d'abord s'est révélé,

Et des sons lointains d'une lyre

Son premier rêve fut troublé :

Tel que Janus aux deux visages

Dont l'œil plongeait sur tous les âges,

Le ciel ici-bas l'a placé

Comme un enseignement austère,

Comme un prophète sur la terre

De l'avenir et du passé.


Mais hélas ! pour qu'il accomplisse

Sa tâche au terrestre séjour,

Il faudra qu'un nouveau supplice

Vienne l'éprouver chaque jour ;

Que des choses de cette vie

Et de tous ces biens qu'on envie

Il ne connaisse que les pleurs ;

Que brûlé d'une ardeur secrète

Il soit au fond de sa retraite

Visité par tous les malheurs.


Il faut que les chants qu'il apporte

Soient repoussés par le mépris ;

Qu'il frappe, et qu'on ferme la porte ;

Qu'il parle et ne soit point compris :

Que nul de lui ne se souvienne,

Que jamais un ami ne vienne

Guider la nuit ses pas errants ;

Qu'il épuise la coupe amère

Qu'il soit renié de sa mère.

Et méconnu de ses parents.


Il faut qu'il sache le martyre ;

Il faut qu'il sente le couteau

Levé sur sa tête et qu'on tire

Au sort les parts de son manteau ;

Il faut qu'il sache le naufrage.

Le poète est beau dans l'orage,

Le poète est beau dans les fers ;

Et sa voix est bien plus touchante

Lorsqu'elle est plaintive, et ne chante

Que les malheurs qu'il a soufferts.


Il faut qu'il aime, qu'il connaisse

Tout ce qu'on éprouve en aimant,

Et tour à tour meure et renaisse

Dans un étroit embrassement ;

Qu'en ses bras, naïve et sans crainte,

Aux charmes d'une douce étreinte

Une vierge au cœur innocent.

Silencieuse, s'abandonne,

Belle du bonheur qu'elle donne

Et du bonheur qu'elle ressent.


Et que bientôt la vierge oublie

Ces transports et ces doux instants ;

Que d'une autre image remplie,

Elle vive heureuse et longtemps ;

Que, si cette amour effacée

Quelque jour s'offre à sa pensée,

Ce soit comme un hôte imprévu.

Comme un rayon pendant l'orage,

Comme un ami du premier âge

Qu'on se ressouvient d'avoir vu.


Éprouvé par la destinée.

Il entrevoit des temps meilleurs,

Il sait qu'il doit de sa journée

Recevoir le salaire ailleurs ;

Car **** de tous les yeux profanes,

Un ange aux ailes diaphanes

Vint au milieu de ses ennuis

Lui révéler que cette vie

Doit finir, pour être suivie

De jours qui n'auront pas de nuits.


Qu'un autre, épris d'une ardeur sainte,

Les yeux tournés vers l'avenir,

S'élance pour franchir l'enceinte

Qui ne peut plus le contenir :

Qu'il poursuive une renommée

Qui par tout l'univers semée

Retentisse chez nos neveux ;

Mêlée aux tempêtes civiles,

Qu'au seuil des grands, au sein des villes.

Sa voix résonne : moi, je veux


Dans le silence et le mystère,

**** du monde, **** des méchants,

Que l'on m'ignore, et que la terre

Ne sache de moi que mes chants :

A l'œil curieux de l'envie

Soigneux de dérober ma vie

Et la trace de tous mes pas.

Je me sauverai de l'orage ;

Comme ces oiseaux sous l'ombrage,

Qu'on entend et qu'on ne voit pas.
Nourrissez votre cœur du feu des charités,
Filles du Fils de l'homme, aux yeux pleins de clartés.
Aimez celle qu'un peuple appelle politesse.
Avant Notre-Seigneur, savoir vivre, qu'était-ce ?
Quelque chose au dehors, mais au fond, presque rien.
Etre civilisé, c'est bien ; poli, très bien ;
La politesse, fleur de l'homme charitable,
Règle notre attitude et rit à notre table,
Et donne un sens exquis aux choses du repas.
Science qui s'apprend, et qui ne s'apprend pas :
Code intime et profond, né dans la quiétude
Du cloître, et dont le monde, après, fit son étude.
L'âme où passa Jésus toujours en garde un pli,
Et c'est encor rester chrétien qu'être poli,
La politesse est reine et fait son doux royaume
Des cœurs purs, c'est un lis royal qui les embaume !
Non celle qui se montre en chapeaux élégants,
Bien qu'un homme se lise aux couleurs de ses gants,
Ni celle qui fatigue, ou bien qui complimente,
Obligée à se taire à moins qu'elle ne mente :
Mais celle-là qui règne avec simplicité,
Qui sait servir le miel pur de la vérité ;
Qui veut laisser chacun ou chacune à sa place,
Qui calme les transports, comme elle rompt la glace.
Parmi les charités, si légères au sol
Qu'elles foulent si peu, que l'on dirait un vol
Timide, à fleur déterre, ou d'ange ou d'hirondelle ;
Au nom des tout petits qui soupent sans chandelle
Sous les arbres, les yeux dans leurs cheveux trop longs,
Et viennent d'Italie avec leurs violons ;
Du vieux joueur de flûte, aux mèches toutes grises,
Et du pauvre, à genoux sur le seuil des églises,
Qui marmotte une antienne ou qui froisse les grains
Du rosaire, à la fête où vont les pèlerins ;
Parmi les charités, porteuses d'escarcelles,
D'un vers reconnaissant je veux célébrer celle
Qui passe en écoutant les plaintes des roseaux,
Et qui donne aux petits comme on donne aux oiseaux !
Fais ton miel admirable, ô reine des abeilles,
Charité, donne encor tes jours, ton cœur, tes veilles ;
Jésus multiplia les poissons et les pains.
Voyez, dans ce palais, dont les plafonds sont peints,
Où les lustres ont plus de branches que les arbres,
Où le peuple des sphinx taillés au cœur des marbres
Garde la cour sonore et les vastes paliers,
Château plein de frontons, d'urnes et de piliers,
Cette royale entant toute belle, qui foule,
Comme un jardin fleuri, l'éloge de la foule !
Eh bien, la charité qui lui parle à mi-voix
Saura lui retirer les bagues de ses doigts,
La perle éclose au coin de son oreille en flamme,
Sa chevelure où rit la gloire de la femme,
Sa chambre où le soleil allonge dans la paix
Sa large griffe d'or sur les tapis épais,
Ses miroirs éclatants, les servantes accortes,
Ce vestibule altier, plein de dessus de portes
Où des gens, dont le vent chiffonne le manteau,
Sont poudrés par Boucher et fardés par Watteau,
Et l'œil de ces bergers diseurs de douces choses,
Les grands vases de fleurs, où Sèvre a peint les roses !
Ses pieds si délicats chaussés de gros souliers,
Sa taille consacrée à d'humbles tabliers,
Sous sa coiffe de tulle et d'épingles légères,
L'enfant ira, parmi les âmes étrangères,
Fermer les yeux des morts, coudre le drap fatal,
Ou, sous les crucifix des murs de l'hôpital,
Au chevet d'un mourant dont la bouche blasphème,
Pour lui dire : « Je suis votre sœur qui vous aime ! »
Cette charité-là se nomme amour divin,
Elle enivre les cœurs, plus forte que le vin.
Père des charités, dont le Père pardonne,
Jésus, ô doux Jésus, pour qu'enfin l'on se donne
À vous, dont on tient l'âme et le cœur que l'on a,
Vous qui changiez en vin l'eau claire de Cana
Qui chantait en entrant sonore au col des vases,
Changez la boue en or dans nos cœurs lourds de vases.
Vous qui rendiez la vue à ceux dont les bâtons
Tâtent le pied des murs, nous marchons à tâtons,
Et nous sommes des sourds, et la pierre est pareille
À nous. Maître, mettez le doigt sur notre oreille !
Vous, dont l'ordre, au soleil qui sur le peuple luit,
Tirait Lazare blanc des brunies de la nuit,
Seigneur, ressuscitez aussi nos cœurs de roche,
S'il est vrai, ô Seigneur, que votre règne approche !

— The End —