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The great hanging weak **** of India
on the map

The Fingernail of Malaya
The Wall of China
The Korea
Ti-Pousse Thumb
The Salamander Japan
the Okinawa Moon Spot
The Pacific
The Back of Hawaiian Mountains
coconuts
Kines, balconies, Ah Tarzan-
And D W Griffith
the great American Director
Strolling down disgruntled
Hollywood Lane
- to toot Nebraska,
Indian Village New York,
Atlantis, Rome,
Peleus and Melisander,
And

swans of *****

Spots of foam on the ocean
Écoutez. Une femme au profil décharné,
Maigre, blême, portant un enfant étonné,
Est là qui se lamente au milieu de la rue.
La foule, pour l'entendre, autour d'elle se rue.
Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien
Son mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien ;
Pas d'argent ; pas de pain ; à peine un lit de paille.
L'homme est au cabaret pendant qu'elle travaille.
Elle pleure, et s'en va. Quand ce spectre a passé,
Ô penseurs, au milieu de ce groupe amassé,
Qui vient de voir le fond d'un cœur qui se déchire,
Qu'entendez-vous toujours ? Un long éclat de rire.

Cette fille au doux front a cru peut-être, un jour,
Avoir droit au bonheur, à la joie, à l'amour.
Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre fille !
Seule ! - n'importe ! elle a du courage, une aiguille,
Elle travaille, et peut gagner dans son réduit,
En travaillant le jour, en travaillant la nuit,
Un peu de pain, un gîte, une jupe de toile.
Le soir, elle regarde en rêvant quelque étoile,
Et chante au bord du toit tant que dure l'été.
Mais l'hiver vient. Il fait bien froid, en vérité,
Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe ;
Les jours sont courts, il faut allumer une lampe ;
L'huile est chère, le bois est cher, le pain est cher.
Ô jeunesse ! printemps ! aube ! en proie à l'hiver !
La faim passe bientôt sa griffe sous la porte,
Décroche un vieux manteau, saisit la montre, emporte
Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or ;
Tout est vendu ! L'enfant travaille et lutte encor ;
Elle est honnête ; mais elle a, quand elle veille,
La misère, démon, qui lui parle à l'oreille.
L'ouvrage manque, hélas ! cela se voit souvent.
Que devenir ! Un jour, ô jour sombre ! elle vend
La pauvre croix d'honneur de son vieux père, et pleure ;
Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu'elle meure !
A dix-sept ans ! grand Dieu ! mais que faire ?... - Voilà
Ce qui fait qu'un matin la douce fille alla
Droit au gouffre, et qu'enfin, à présent, ce qui monte
À son front, ce n'est plus la pudeur, c'est la honte.
Hélas, et maintenant, deuil et pleurs éternels !
C'est fini. Les enfants, ces innocents cruels,
La suivent dans la rue avec des cris de joie.
Malheureuse ! elle traîne une robe de soie,
Elle chante, elle rit... ah ! pauvre âme aux abois !
Et le peuple sévère, avec sa grande voix,
Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme,
Lui dit quand elle vient : « C'est toi ? Va-t-en, infâme ! »

Un homme s'est fait riche en vendant à faux poids ;
La loi le fait juré. L'hiver, dans les temps froids ;
Un pauvre a pris un pain pour nourrir sa famille.
Regardez cette salle où le peuple fourmille ;
Ce riche y vient juger ce pauvre. Écoutez bien.
C'est juste, puisque l'un a tout et l'autre rien.
Ce juge, - ce marchand, - fâché de perdre une heure,
Jette un regard distrait sur cet homme qui pleure,
L'envoie au bagne, et part pour sa maison des champs.
Tous s'en vont en disant : « C'est bien ! » bons et méchants ;
Et rien ne reste là qu'un Christ pensif et pâle,
Levant les bras au ciel dans le fond de la salle.

Un homme de génie apparaît. Il est doux,
Il est fort, il est grand ; il est utile à tous ;
Comme l'aube au-dessus de l'océan qui roule,
Il dore d'un rayon tous les fronts de la foule ;
Il luit ; le jour qu'il jette est un jour éclatant ;
Il apporte une idée au siècle qui l'attend ;
Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires,
Agrandir les esprits, amoindrir les misères ;
Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont témoins,
Si l'on pense un peu plus, si l'on souffre un peu moins !
Il vient. - Certe, on le va couronner ! - On le hue !
Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la cohue,
Ceux qui n'ignorent rien, ceux qui doutent de tout,
Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l'égout,
Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre.
Si c'est un orateur ou si c'est un ministre,
On le siffle. Si c'est un poète, il entend
Ce chœur : « Absurde ! faux ! monstrueux ! révoltant ! »
Lui, cependant, tandis qu'on bave sur sa palme,
Debout, les bras croisés, le front levé, l'œil calme,
Il contemple, serein, l'idéal et le beau ;
Il rêve ; et, par moments, il secoue un flambeau
Qui, sous ses pieds, dans l'ombre, éblouissant la haine,
Éclaire tout à coup le fond de l'âme humaine ;
Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours ;
Orateur, il entasse efforts, travaux, discours ;
Il marche, il lutte ! Hélas ! l'injure ardente et triste,
À chaque pas qu'il fait, se transforme et persiste.
Nul abri. Ce serait un ennemi public,
Un monstre fabuleux, dragon ou basilic,
Qu'il serait moins traqué de toutes les manières,
Moins entouré de gens armés de grosses pierres,
Moins haï ! -- Pour eux tous et pour ceux qui viendront,
Il va semant la gloire, il recueille l'affront.
Le progrès est son but, le bien est sa boussole ;
Pilote, sur l'avant du navire il s'isole ;
Tout marin, pour dompter les vents et les courants,
Met tour à tour le cap sur des points différents,
Et, pour mieux arriver, dévie en apparence ;
Il fait de même ; aussi blâme et cris ; l'ignorance
Sait tout, dénonce tout ; il allait vers le nord,
Il avait tort ; il va vers le sud, il a tort ;
Si le temps devient noir, que de rage et de joie !
Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie,
L'âge vient, il couvait un mal profond et lent,
Il meurt. L'envie alors, ce démon vigilant,
Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière,
Prend soin de la clouer de ses mains dans la bière,
Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit
S'il est vraiment bien mort, s'il ne fait pas de bruit,
S'il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme,
Et, s'essuyant les yeux, dit : « C'était un grand homme ! »

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
« Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain -
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

Le pesant chariot porte une énorme pierre ;
Le limonier, suant du mors à la croupière,
Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant
Monte, et le cheval triste à le poitrail en sang.
Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête ;
Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête ;
C'est lundi ; l'homme hier buvait aux Porcherons
Un vin plein de fureur, de cris et de jurons ;
Oh ! quelle est donc la loi formidable qui livre
L'être à l'être, et la bête effarée à l'homme ivre !
L'animal éperdu ne peut plus faire un pas ;
Il sent l'ombre sur lui peser ; il ne sait pas,
Sous le bloc qui l'écrase et le fouet qui l'assomme,
Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l'homme.
Et le roulier n'est plus qu'un orage de coups
Tombant sur ce forçat qui traîne des licous,
Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche.
Si la corde se casse, il frappe avec le pié ;
Et le cheval, tremblant, hagard, estropié,
Baisse son cou lugubre et sa tête égarée ;
On entend, sous les coups de la botte ferrée,
Sonner le ventre nu du pauvre être muet !
Il râle ; tout à l'heure encore il remuait ;
Mais il ne bouge plus, et sa force est finie ;
Et les coups furieux pleuvent ; son agonie
Tente un dernier effort ; son pied fait un écart,
Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard ;
Et, dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble,
Il regarde quelqu'un de sa prunelle trouble ;
Et l'on voit lentement s'éteindre, humble et terni,
Son œil plein des stupeurs sombres de l'infini,
Où luit vaguement l'âme effrayante des choses.
Hélas !

Cet avocat plaide toutes les causes ;
Il rit des généreux qui désirent savoir
Si blanc n'a pas raison, avant de dire noir ;
Calme, en sa conscience il met ce qu'il rencontre,
Ou le sac d'argent Pour, ou le sac d'argent Contre ;
Le sac pèse pour lui ce que la cause vaut.
Embusqué, plume au poing, dans un journal dévot,
Comme un bandit tuerait, cet écrivain diffame.
La foule hait cet homme et proscrit cette femme ;
Ils sont maudits. Quel est leur crime ? Ils ont aimé.
L'opinion rampante accable l'opprimé,
Et, chatte aux pieds des forts, pour le faible est tigresse.
De l'inventeur mourant le parasite engraisse.
Le monde parle, assure, affirme, jure, ment,
Triche, et rit d'escroquer la dupe Dévouement.
Le puissant resplendit et du destin se joue ;
Derrière lui, tandis qu'il marche et fait la roue,
Sa fiente épanouie engendre son flatteur.
Les nains sont dédaigneux de toute leur hauteur.
Ô hideux coins de rue où le chiffonnier morne
Va, tenant à la main sa lanterne de corne,
Vos tas d'ordures sont moins noirs que les vivants !
Qui, des vents ou des cœurs, est le plus sûr ? Les vents.
Cet homme ne croit rien et fait semblant de croire ;
Il a l'œil clair, le front gracieux, l'âme noire ;
Il se courbe ; il sera votre maître demain.

Tu casses des cailloux, vieillard, sur le chemin ;
Ton feutre humble et troué s'ouvre à l'air qui le mouille ;
Sous la pluie et le temps ton crâne nu se rouille ;
Le chaud est ton tyran, le froid est ton bourreau ;
Ton vieux corps grelottant tremble sous ton sarrau ;
Ta cahute, au niveau du fossé de la route,
Offre son toit de mousse à la chèvre qui broute ;
Tu gagnes dans ton jour juste assez de pain noir
Pour manger le matin et pour jeûner le soir ;
Et, fantôme suspect devant qui l'on recule,
Regardé de travers quand vient le crépuscule,
Pauvre au point d'alarmer les allants et venants,
Frère sombre et pensif des arbres frissonnants,
Tu laisses choir tes ans ainsi qu'eux leur feuillage ;
Autrefois, homme alors dans la force de l'âge,
Quand tu vis que l'Europe implacable venait,
Et menaçait Paris et notre aube qui naît,
Et, mer d'hommes, roulait vers la France effarée,
Et le Russe et le *** sur la terre sacrée
Se ruer, et le nord revomir Attila,
Tu te levas, tu pris ta fourche ; en ces temps-là,
Tu fus, devant les rois qui tenaient la campagne,
Un des grands paysans de la grande Champagne.
C'est bien. Mais, vois, là-bas, le long du vert sillon,
Une calèche arrive, et, comme un tourbillon,
Dans la poudre du soir qu'à ton front tu secoues,
Mêle l'éclair du fouet au tonnerre des roues.
Un homme y dort. Vieillard, chapeau bas ! Ce passant
Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang ;
Il jouait à la baisse, et montait à mesure
Que notre chute était plus profonde et plus sûre ;
Il fallait un vautour à nos morts ; il le fut ;
Il fit, travailleur âpre et toujours à l'affût,
Suer à nos malheurs des châteaux et des rentes ;
Moscou remplit ses prés de meules odorantes ;
Pour lui, Leipsick payait des chiens et des valets,
Et la Bérésina charriait un palais ;
Pour lui, pour que cet homme ait des fleurs, des charmilles,
Des parcs dans Paris même ouvrant leurs larges grilles,
Des jardins où l'on voit le cygne errer sur l'eau,
Un million joyeux sortit de Waterloo ;
Si bien que du désastre il a fait sa victoire,
Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire,
Ce Shaylock, avec le sabre de Blucher,
A coupé sur la France une livre de chair.
Or, de vous deux, c'est toi qu'on hait, lui qu'on vénère ;
Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire,
C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas !

Les carrefours sont pleins de chocs et de combats.
Les multitudes vont et viennent dans les rues.
Foules ! sillons creusés par ces mornes charrues :
Nuit, douleur, deuil ! champ triste où souvent a germé
Un épi qui fait peur à ceux qui l'ont semé !
Vie et mort ! onde où l'hydre à l'infini s'enlace !
Peuple océan jetant l'écume populace !
Là sont tous les chaos et toutes les grandeurs ;
Là, fauve, avec ses maux, ses horreurs, ses laideurs,
Ses larves, désespoirs, haines, désirs, souffrances,
Qu'on distingue à travers de vagues transparences,
Ses rudes appétits, redoutables aimants,
Ses prostitutions, ses avilissements,
Et la fatalité des mœurs imperdables,
La misère épaissit ses couches formidables.
Les malheureux sont là, dans le malheur reclus.
L'indigence, flux noir, l'ignorance, reflux,
Montent, marée affreuse, et parmi les décombres,
Roulent l'obscur filet des pénalités sombres.
Le besoin fuit le mal qui le tente et le suit,
Et l'homme cherche l'homme à tâtons ; il fait nuit ;
Les petits enfants nus tendent leurs mains funèbres ;
Le crime, antre béant, s'ouvre dans ces ténèbres ;
Le vent secoue et pousse, en ses froids tourbillons,
Les âmes en lambeaux dans les corps en haillons :
Pas de cœur où ne croisse une aveugle chimère.
Qui grince des dents ? L'homme. Et qui pleure ? La mère.
Qui sanglote ? La vierge aux yeux hagards et doux.
Qui dit : « J'ai froid ? » L'aïeule. Et qui dit : « J'ai faim ? » Tous !
Et le fond est horreur, et la surface est joie.
Au-dessus de la faim, le festin qui flamboie,
Et sur le pâle amas des cris et des douleurs,
Les chansons et le rire et les chapeaux de fleurs !
Ceux-là sont les heureux. Ils n'ont qu'une pensée :
A quel néant jeter la journée insensée ?
Chiens, voitures, chevaux ! cendre au reflet vermeil !
Poussière dont les grains semblent d'or au soleil !
Leur vie est aux plaisirs sans fin, sans but, sans trêve,
Et se passe à tâcher d'oublier dans un rêve
L'enfer au-dessous d'eux et le ciel au-dessus.
Quand on voile Lazare, on efface Jésus.
Ils ne regardent pas dans les ombres moroses.
Ils n'admettent que l'air tout parfumé de roses,
La volupté, l'orgueil, l'ivresse et le laquais
Ce spectre galonné du pauvre, à leurs banquets.
Les fleurs couvrent les seins et débordent des vases.
Le bal, tout frissonnant de souffles et d'extases,
Rayonne, étourdissant ce qui s'évanouit ;
Éden étrange fait de lumière et de nuit.
Les lustres aux plafonds laissent pendre leurs flammes,
Et semblent la racine ardente et pleine d'âmes
De quelque arbre céleste épanoui plus haut.
Noir paradis dansant sur l'immense cachot !
Ils savourent, ravis, l'éblouissement sombre
Des beautés, des splendeurs, des quadrilles sans nombre,
Des couples, des amours, des yeux bleus, des yeux noirs.
Les valses, visions, passent dans les miroirs.
Parfois, comme aux forêts la fuite des cavales,
Les galops effrénés courent ; par intervalles,
Le bal reprend haleine ; on s'interrompt, on fuit,
On erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit ;
Puis, folle, et rappelant les ombres éloignées,
La musique, jetant les notes à poignées,
Revient, et les regards s'allument, et l'archet,
Bondissant, ressaisit la foule qui marchait.
Ô délire ! et d'encens et de bruit enivrées,
L'heure emporte en riant les rapides soirées,
Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux.
D'autres, toute la nuit, roulent les dés joyeux,
Ou bien, âpre, et mêlant les cartes qu'ils caressent,
Où des spectres riants ou sanglants apparaissent,
Leur soif de l'or, penchée autour d'un tapis vert,
Jusqu'à ce qu'au volet le jour bâille entr'ouvert,
Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l'hombre ;
Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit dans l'ombre,
Pendant que le
db cooper Jan 2015
The footsteps lead to somewhere unknown
But its a place Ive gone before
I never know when I'm on my way
But it's all too familiar needless to say
The room spins as I drown myself quickly
A splash of water and a double shot of whiskey  
My fingers run at half speed
My heart plays background music while the mind leads
The sight of starburst covered hardwood
It makes me think of that orange hand cream that smells so good

At the twinkle of the sun the world stops turning
Life strolls the perimeter of my brain while swirling
My eyes fall out of place and nuzzle up to my desk lamp
That feeling of an overload explosion down at the power plant
Ah, bowakawa pousse, pousse
The song is on "replay" as they say
Dream #9- John Lennon
À MADEMOISELLE LOUISE B.

I.

- Ainsi donc rien de grand, rien de saint, rien de pur,
Rien qui soit digne, ô ciel ! de ton regret d'azur !
Rien qui puisse anoblir le vil siècle où nous sommes,
Ne sortira du cœur de l'homme enfant des hommes !
Homme ! esprit enfoui sous les besoins du corps !
Ainsi, jouir ; descendre à tâtons chez les morts ;
Être à tout ce qui rampe, à tout ce qui s'envole,
A l'intérêt sordide, à la vanité folle ;
Ne rien savoir - qu'emplir, sans souci du devoir,
Une charte de mots ou d'écus un comptoir ;
Ne jamais regarder les voûtes étoilées ;
Rire du dévouement et des vertus voilées ;
Voilà ta vie, hélas ! et tu n'as, nuit et jour,
Pour espoir et pour but, pour culte et pour amour,
Qu'une immonde monnaie aux carrefours traînée
Et qui te laisse aux mains sa rouille empoissonnée !
Et tu ne comprends pas que ton destin, à toi,
C'est de penser ! c'est d'être un mage et d'être un roi ;
C'est d'être un alchimiste alimentant la flamme
Sous ce sombre alambic que tu nommes ton âme,
Et de faire passer par ce creuset de feu
La nature et le monde, et d'en extraire Dieu !

Quoi ! la brute a sa sphère et l'éléments sa règle !
L'onde est au cormoran et la neige est à l'aigle.
Tout a sa région, sa fonction, son but.
L'écume de la mer n'est pas un vain rebut ;
Le flot sait ce qu'il fait ; le vent sait qui le pousse ;
Comme un temple où toujours veille une clarté douce,
L'étoile obéissante éclaire le ciel bleu ;
Le lys s'épanouit pour la gloire de Dieu ;
Chaque matin, vibrant comme une sainte lyre,
L'oiseau chante ce nom que l'aube nous fait lire.
Quoi ! l'être est plein d'amour, le monde est plein de foi
Toute chose ici-bas suit gravement sa loi,
Et ne sait obéir, dans sa fierté divine,
L'oiseau qu'à son instinct, l'arbre qu'à sa racine !
Quoi ! l'énorme océan qui monte vers son bord,
Quoi ! l'hirondelle au sud et l'aimant vers le nord
La graine ailée allant au **** choisir sa place,
Le nuage entassé sur les îles de glace,
Qui, des cieux tout à coup traversant la hauteur,
Croule au souffle d'avril du pôle à l'équateur,
Le glacier qui descend du haut des cimes blanches,
La sève qui s'épand dans les fibres des branches,
Tous les objets créés, vers un but sérieux,
Les rayons dans les airs, les globes dans les cieux,
Les fleuves à travers les rochers et les herbes,
Vont sans se détourner de leurs chemins superbes !
L'homme a seul dévié ! - Quoi ! tout dans l'univers,
Tous les êtres, les monts, les forêts, les prés verts,
Le jour dorant le ciel, l'eau lavant les ravines,
Ont encore, comme au jour où de ses mains divines
Jéhova sur Adam imprima sa grandeur,
Toute leur innocence et toute leur candeur !
L'homme seul est tombé !- Fait dans l'auguste empire
Pour être le meilleur, il en devient le pire,
Lui qui devait fleurir comme l'arbre choisi,
Il n'est plus qu'un tronc vil au branchage noirci,
Que l'âge déracine et que le vice effeuille,
Dont les rameaux n'ont pas de fruit que Dieu recueille,
Où jamais sans péril nous ne nous appuyons,
Où la société greffe les passions !
Chute immense ! il ignore et nie, ô providence !
Tandis qu'autour de lui la création pense !

Ô honte ! en proie aux sens dont le joug l'asservit,
L'homme végète auprès de la chose qui vit !

II.

Comme je m'écriais ainsi, vous m'entendîtes ;
Et vous, dont l'âme brille en tout ce que vous dites,
Vous tournâtes alors vers moi paisiblement
Votre sourire triste, ineffable et calmant :

- L'humanité se lève, elle chancelle encore,
Et, le front baigné d'ombre, elle va vers l'aurore.
Tout l'homme sur la terre a deux faces, le bien
Et le mal. Blâmer tout, c'est ne comprendre rien.
Les âmes des humains d'or et de plomb sont faites.
L'esprit du sage est grave, et sur toutes les têtes
Ne jette pas sa foudre au hasard en éclats.
Pour le siècle où l'on vit - comme on y souffre, hélas ! -
On est toujours injuste, et tout y paraît crime.
Notre époque insultée a son côté sublime.
Vous l'avez dit vous-même, ô poète irrité ! -

Dans votre chambre, asile illustre et respecté,
C'est ainsi que, sereine et simple, vous parlâtes.
Votre front, au reflet des damas écarlates,
Rayonnait, et pour moi, dans cet instant profond,
Votre regard levé fit un ciel du plafond.

L'accent de la raison, auguste et pacifique,
L'équité, la pitié, la bonté séraphique,
L'oubli des torts d'autrui, cet oubli vertueux
Qui rend à leur insu les fronts majestueux,
Donnaient à vos discours, pleins de clartés si belles,
La tranquille grandeur des choses naturelles,
Et par moments semblaient mêler à votre voix
Ce chant doux et voilé qu'on entend dans les bois.

III.

Pourquoi devant mes yeux revenez-vous sans cesse,
Ô jours de mon enfance et de mon allégresse ?
Qui donc toujours vous rouvre en nos cœurs presque éteints
Ô lumineuse fleur des souvenirs lointains ?

Oh ! que j'étais heureux ! oh ! que j'étais candide !
En classe, un banc de chêne, usé, lustré, splendide,
Une table, un pupitre, un lourd encrier noir,
Une lampe, humble sœur de l'étoile du soir,
M'accueillaient gravement et doucement. Mon maître,
Comme je vous l'ai dit souvent, était un prêtre
A l'accent calme et bon, au regard réchauffant,
Naïf comme un savant, malin comme un enfant,
Qui m'embrassait, disant, car un éloge excite :
- Quoiqu'il n'ait que neuf ans, il explique Tacite. -
Puis près d'Eugène, esprit qu'hélas ! Dieu submergea,
Je travaillais dans l'ombre, - et je songeais déjà.

Tandis que j'écrivais, - sans peur, mais sans système,
Versant le barbarisme à grands flots sur le thème,
Inventant les auteurs de sens inattendus,
Le dos courbé, le front touchant presque au Gradus, -
Je croyais, car toujours l'esprit de l'enfant veille,
Ouïr confusément, tout près de mon oreille,
Les mots grecs et latins, bavards et familiers,
Barbouillés d'encre, et gais comme des écoliers,
Chuchoter, comme font les oiseaux dans une aire,
Entre les noirs feuillets du lourd dictionnaire.
Bruits plus doux que le bruit d'un essaim qui s'enfuit,
Souffles plus étouffés qu'un soupir de la nuit,
Qui faisaient par instants, sous les fermoirs de cuivre,
Frissonner vaguement les pages du vieux livre !

Le devoir fait, légers comme de jeunes daims,
Nous fuyions à travers les immenses jardins,
Éclatant à la fois en cent propos contraires.
Moi, d'un pas inégal je suivais mes grands frères ;
Et les astres sereins s'allumaient dans les cieux,
Et les mouches volaient dans l'air silencieux,
Et le doux rossignol, chantant dans l'ombre obscure,
Enseignait la musique à toute la nature,
Tandis qu'enfant jaseur aux gestes étourdis,
Jetant partout mes yeux ingénus et hardis
D'où jaillissait la joie en vives étincelles,
Je portais sous mon bras, noués par trois ficelles,
Horace et les festins, Virgile et les forêts,
Tout l'Olympe, Thésée, Hercule, et toi Cérès,
La cruelle Junon, Lerne et l'hydre enflammée,
Et le vaste lion de la roche Némée.

Mais, lorsque j'arrivais chez ma mère, souvent,
Grâce au hasard taquin qui joue avec l'enfant,
J'avais de grands chagrins et de grandes colères.
Je ne retrouvais plus, près des ifs séculaires,
Le beau petit jardin par moi-même arrangé.
Un gros chien en passant avait tout ravagé.
Ou quelqu'un dans ma chambre avait ouvert mes cages,
Et mes oiseaux étaient partis pour les bocages,
Et, joyeux, s'en étaient allés de fleur en fleur
Chercher la liberté bien ****, - ou l'oiseleur.
Ciel ! alors j'accourais, rouge, éperdu, rapide,
Maudissant le grand chien, le jardinier stupide,
Et l'infâme oiseleur et son hideux lacet,
Furieux ! - D'un regard ma mère m'apaisait.

IV.

Aujourd'hui, ce n'est pas pour une cage vide,
Pour des oiseaux jetés à l'oiseleur avide,
Pour un dogue aboyant lâché parmi les fleurs,
Que mon courroux s'émeut. Non, les petits malheurs
Exaspèrent l'enfant ; mais, comme en une église,
Dans les grandes douleurs l'homme se tranquillise.
Après l'ardent chagrin, au jour brûlant pareil,
Le repos vient au cœur comme aux yeux le sommeil.
De nos maux, chiffres noirs, la sagesse est la somme.
En l'éprouvant toujours, Dieu semble dire à l'homme :
- Fais passer ton esprit à travers le malheur ;
Comme le grain du crible, il sortira meilleur. -
J'ai vécu, j'ai souffert, je juge et je m'apaise.
Ou si parfois encor la colère mauvaise
Fait pencher dans mon âme avec son doigt vainqueur
La balance où je pèse et le monde et mon cœur ;
Si, n'ouvrant qu'un seul œil, je condamne et je blâme,
Avec quelques mots purs, vous, sainte et noble femme,
Vous ramenez ma voix qui s'irrite et s'aigrit
Au calme sur lequel j'ai posé mon esprit ;
Je sens sous vos rayons mes tempêtes se taire ;
Et vous faites pour l'homme incliné, triste, austère,
Ce que faisait jadis pour l'enfant doux et beau
Ma mère, ce grand cœur qui dort dans le tombeau !

V.

Écoutez à présent. - Dans ma raison qui tremble,
Parfois l'une après l'autre et quelquefois ensemble,
Trois voix, trois grandes voix murmurent.

L'une dit :
- « Courrouce-toi, poète. Oui, l'enfer applaudit
Tout ce que cette époque ébauche, crée ou tente.
Reste indigné. Ce siècle est une impure tente
Où l'homme appelle à lui, voyant le soir venu,
La volupté, la chair, le vice infâme et nu.
La vérité, qui fit jadis resplendir Rome,
Est toujours dans le ciel ; l'amour n'est plus dans l'homme.
« Tout rayon jaillissant trouve tout œil fermé.
Oh ! ne repousse pas la muse au bras armé
Qui visitait jadis comme une austère amie,
Ces deux sombres géants, Amos et Jérémie !
Les hommes sont ingrats, méchants, menteurs, jaloux.
Le crime est dans plusieurs, la vanité dans tous ;
Car, selon le rameau dont ils ont bu la sève,
Ils tiennent, quelques-uns de Caïn, et tous d'Ève.

« Seigneur ! ta croix chancelle et le respect s'en va.
La prière décroît. Jéhova ! Jéhova !
On va parlant tout haut de toi-même en ton temple.
Le livre était la loi, le prêtre était l'exemple ;
Livre et prêtre sont morts. Et la foi maintenant,
Cette braise allumée à ton foyer tonnant,
Qui, marquant pour ton Christ ceux qu'il préfère aux autres,
Jadis purifiait la lèvre des apôtres,
N'est qu'un charbon éteint dont les petits enfants
Souillent ton mur avec des rires triomphants ! » -

L'autre voix dit : - « Pardonne ! aime ! Dieu qu'on révère,
Dieu pour l'homme indulgent ne sera point sévère.
Respecte la fourmi non moins que le lion.
Rêveur ! rien n'est petit dans la création.
De l'être universel l'atome se compose ;
Dieu vit un peu dans tout, et rien n'est peu de chose.
Cultive en toi l'amour, la pitié, les regrets.
Si le sort te contraint d'examiner de près
L'homme souvent frivole, aveugle et téméraire,
Tempère l'œil du juge avec les pleurs du frère.
Et que tout ici-bas, l'air, la fleur, le gazon ;
Le groupe heureux qui joue au seuil de ta maison ;
Un mendiant assis à côté d'une gerbe ;
Un oiseau qui regarde une mouche dans l'herbe ;
Les vieux livres du quai, feuilletés par le vent,
D'où l'esprit des anciens, subtil, libre et vivant,
S'envole, et, souffle errant, se mêle à tes pensées ;
La contemplation de ces femmes froissées
Qui vivent dans les pleurs comme l'algue dans l'eau ;
L'homme, ce spectateur ; le monde, ce tableau ;
Que cet ensemble auguste où l'insensé se blase
Tourne de plus en plus ta vie et ton extase
Vers l'œil mystérieux qui nous regarde tous,
Invisible veilleur ! témoin intime et doux !
Principe ! but ! milieu ! clarté ! chaleur ! dictame !
Secret de toute chose entrevu par toute l'âme !
« N'allume aucun enfer au tison d'aucun feu.
N'aggrave aucun fardeau. Démontre l'âme et Dieu,
L'impérissable esprit, la tombe irrévocable ;
Et rends douce à nos fronts, que souvent elle accable,
La grande main qui grave en signes immortels
JAMAIS ! sur les tombeaux ; TOUJOURS ! sur les autels. »

La troisième voix dit : - « Aimer ? haïr ? qu'importe !
Qu'on chante ou qu'on maudisse, et qu'on entre ou qu'on sorte,
Le mal, le bien, la mort, les vices, les faux dieux,
Qu'est-ce que tout cela fait au ciel radieux ?
La végétation, vivante, aveugle et sombre,
En couvre-t-elle moins de feuillages sans nombre,
D'arbres et de lichens, d'herbe et de goëmons,
Les prés, les champs, les eaux, les rochers et les monts ?
L'onde est-elle moins bleue et le bois moins sonore ?
L'air promène-t-il moins, dans l'ombre et dans l'aurore,
Sur les clairs horizons, sur les flots décevants,
Ces nuages heureux qui vont aux quatre vents ?
Le soleil qui sourit aux fleurs dans les campagnes,
Aux rois dans les palais, aux forçats dans les bagnes,
Perd-il, dans la splendeur dont il est revêtu,
Un rayon quand la terre oublie une vertu ?
Non, Pan n'a pas besoin qu'on le prie et qu'on l'aime.
Ô sagesse ! esprit pur ! sérénité suprême !
Zeus ! Irmensul ! Wishnou ! Jupiter ! Jéhova !
Dieu que cherchait Socrate et que Jésus trouva !
Unique Dieu ! vrai Dieu ! seul mystère ! seule âme !
Toi qui, laissant tomber ce que la mort réclame,
Fis les cieux infinis pour les temps éternels !
Toi qui mis dans l'éther plein de bruits solennels,
Tente dont ton haleine émeut les sombres toiles,
Des millions d'oiseaux, des millions d'étoiles !
Que te font, ô Très-Haut ! les hommes insensés,
Vers la nuit au hasard l'un par l'autre poussés,
Fantômes dont jamais tes yeux ne se souviennent,
Devant ta face immense ombres qui vont et viennent ! »

VI.

Dans ma retraite obscure où, sous mon rideau vert,
Luit comme un œil ami maint vieux livre entrouvert,
Où ma bible sourit dans l'ombre à mon Virgile,
J'écoute ces trois voix. Si mon cerveau fragile
S'étonne, je persiste ; et, sans peur, sans effroi,
Je les laisse accomplir ce qu'elles font en moi.
Car les hommes, troublés de ces métamorphoses,
Composent leur sagesse avec trop peu de choses.
Tous ont la déraison de voir la Vérité
Chacun de sa fenêtre et rien que d'un côté,
Sans qu'aucun d'eux, tenté par ce rocher sublime,
Aille en faire le tour et monte sur sa cime.
Et de ce triple aspect des choses d'ici-bas,
De ce triple conseil que l'homme n'entend pas,
Pour mon cœur où Dieu vit, où la haine s'émousse,
Sort une bienveillance universelle et douce
Qui dore comme une aube et d'avance attendrit
Le vers qu'à moitié fait j'emporte en mon esprit
Pour l'achever aux champs avec l'odeur des plaines
Et l'ombre du nuage et le bruit des fontaines !

Avril 1840.
Jamie L Cantore Feb 2017
My name, Hombres, is Pancho,
I work on an outta z ways rancho;
I make just 5 pesos for the day.
It is a hard job to do for the pay.

I go out after. Go see Free Lucy.
Then, I asked her for the Pousse;
She just slapped me in the face;
And a took my 5 pesos anyways.

             : ( What did I say?  :(
Pousse (rhymes with loose, not Lucy)-Multi-layered colored alcoholic drink.
Free Lucy is a free-spirited bar maid.

P█ancho and Lefty,( sung best by Willie,) inspired title. Had Pancho knowns The Pronoun z Ation, mighta not be a soo corn fuzed.
Le jour pousse la nuit,
Et la nuit sombre
Pousse le jour qui luit
D'une obscure ombre.

L'Autonne suit l'Esté,
Et l'aspre rage
Des vents n'a point esté
Apres l'orage.

Mais la fièvre d'amours
Qui me tourmente,
Demeure en moy tousjours,
Et ne s'alente.

Ce n'estoit pas moy, Dieu,
Qu'il falloit poindre,
Ta fleche en autre lieu
Se devoit joindre.

Poursuy les paresseux
Et les amuse,
Mais non pas moy, ne ceux
Qu'aime la Muse.

Helas, delivre moy
De ceste dure,
Qui plus rit, quand d'esmoy
Voit que j'endure.

Redonne la clarté
A mes tenebres,
Remets en liberté
Mes jours funebres.

Amour sois le support
De ma pensée,
Et guide à meilleur port
Ma nef cassée.

Tant plus je suis criant
Plus me reboute,
Plus je la suis priant
Et moins m'escoute.

Ne ma palle couleur
D'amour blesmie
N'a esmeu à douleur
Mon ennemie.

Ne sonner à son huis
De ma guiterre,
Ny pour elle les nuis
Dormir à terre.

Plus cruel n'est l'effort
De l'eau mutine
Qu'elle, lors que plus fort
Le vent s'obstine.

Ell' s'arme en sa beauté,
Et si ne pense
Voir de sa cruauté
La récompense.

Monstre toy le veinqueur,
Et d'elle enflame
Pour exemple le coeur
De telle flame,

Qui la soeur alluma
Trop indiscrete,
Et d'ardeur consuma
La Royne en Crete.
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or traînant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle,
Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela !
" Or tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la
Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres :
Le Chanoine au soleil filait des patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor
Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache
Nous fouaillaient. - Hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient plus ; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair.., nous avions un pourboire :
On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit ;
Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit. ...
" Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises.
Or n'est-ce pas joyeux de voir au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Énormes ? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse ?
De voir des blés, des blés, des épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?...
Oh ! plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on était certain de pouvoir prendre un peu,
Étant homme, à la fin ! de ce que donne Dieu !
- Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire !

" Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,
Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau,
Et me dise : Mon gars, ensemence ma terre ;
Que l'on arrive encor quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !
- Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux !... - Tu vois bien, c'est stupide.
Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons :
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirons : C'est bien : les pauvres à genoux !
Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous !
Et tu te soûleras, tu feras belle fête.
- Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête !

" Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière.
Cette bête suait du sang à chaque pierre
Et c'était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !

- Citoyen ! citoyen ! c'était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour.
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là...
Nous marchions au soleil, front haut, - comme cela, -
Dans Paris ! On venait devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles,
Sire, nous étions soûls de terribles espoirs :
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n'eûmes pas de haine,
- Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !

" Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Le tas des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris, noir marteau sur l'épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !
- Puis, tu peux y compter tu te feras des frais
Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins ! se disent : " Qu'ils sont sots ! "
Pour mitonner des lois, coller de petits pots
Pleins de jolis décrets roses et de droguailles,
S'amuser à couper proprement quelques tailles.
Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux,
- Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux ! -
Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes...,
C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes !
Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats
Et de ces ventres-dieux. Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,
Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses !... "
Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignant de bonnets rouges :
L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au roi pâle et suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !
" C'est la Crapule,
Sire. Ça bave aux murs, ça monte, ça pullule :
- Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle croit trouver du pain aux Tuileries !
- On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. - Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille :
C'est la crapule. - Un homme était à la Bastille,
Un autre était forçat : et tous deux, citoyens
Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur l'ait mal, allez ! C'est terrible, et c'est cause
Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez !
Crapule. - Là-dedans sont des filles, infâmes ,
Parce que, - vous saviez que c'est faible, les femmes, -
Messeigneurs de la cour, - que ça veut toujours bien, -
Vous avez craché sur l'âme, comme rien !
Vos belles, aujourd'hui, sont là. C'est la crapule.

" Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-là sentent crever leur front...
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir,
Où l'Homme forgera du matin jusqu'au soir
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,
Où, lentement vainqueur il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,
Plus ! - Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible :
Nous saurons ! - Nos marteaux en main, passons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour :
Et l'on travaillerait fièrement tout le jour
Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l'on se sentirait très heureux ; et personne,
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !
On aurait un fusil au-dessus du foyer...

" Oh ! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille !
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs
Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à l'heure
Je parlais de devoir calme, d'une demeure...
Regarde donc le ciel ! - C'est trop petit pour nous,
Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !
Regarde donc le ciel ! - Je rentre dans la foule,
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :
- Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés
- Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France
Poussent leurs régiments en habits de gala,
Eh bien, n'est-ce pas, vous tous ? - Merde à ces chiens-là ! "

- Il reprit son marteau sur l'épaule.
La foule
Près de cet homme-là se sentait l'âme soûle,
Et, dans la grande cour dans les appartements,
Où Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Bien que le roi ventru suât, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !
Mon triste coeur bave à la poupe,
Mon coeur couvert de caporal :
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste coeur bave à la poupe :
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste coeur bave à la poupe,
Mon coeur couvert de caporal !

Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l'ont dépravé !
Au gouvernail on voit des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques.
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon coeur, qu'il soit lavé !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l'ont dépravé !

Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô coeur volé ?
Ce seront des hoquets bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques :
J'aurai des sursauts stomachiques,
Moi, si mon coeur est ravalé :
Quand ils auront tari leurs chiques
Comment agir, ô coeur volé ?
Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

J'aime le vrai soldat, effroi de Bélial.
Son turban évasé rend son front plus sévère,
Il baise avec respect la barbe de son père,
Il voue à son vieux sabre un amour filial,
Et porte un doliman, percé dans les mêlées
De plus de coups, que n'a de taches étoilées
La peau du tigre impérial.

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Un bouclier de cuivre à son bras sonne et luit,
Rouge comme la lune au milieu d'une brume.
Son cheval hennissant mâche un frein blanc d'écume ;
Un long sillon de poudre en sa course le suit.
Quand il passe au galop sur le pavé sonore,
On fait silence, on dit : C'est un cavalier maure !
Et chacun se retourne au bruit.

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Quand dix mille giaours viennent au son du cor,
Il leur répond ; il vole, et d'un souffle farouche
Fait jaillir la terreur du clairon qu'il embouche,
Tue, et parmi les morts sent croître son essor,
Rafraîchit dans leur sang son caftan écarlate,
Et pousse son coursier qui se lasse, et le flatte
Pour en égorger plus encor !

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

J'aime, s'il est vainqueur, quand s'est tû le tambour,
Qu'il ait sa belle esclave aux paupières arquées,
Et, laissant les imans qui prêchent aux mosquées
Boire du vin la nuit, qu'il en boive au grand jour ;
J'aime, après le combat, que sa voix enjouée
Rie, et des cris de guerre encor tout enrouée,
Chante les houris et l'amour !

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Qu'il soit grave, et rapide à venger un affront ;
Qu'il aime mieux savoir le jeu du cimeterre
Que tout ce qu'à vieillir on apprend sur la terre ;
Qu'il ignore quel jour les soleils s'éteindront ;
Quand rouleront les mers sur les sables arides ;
Mais qu'il soit brave et jeune, et préfère à des rides
Des cicatrices sur son front.

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Tel est, coparadgis, spahis, timariots,
Le vrai guerrier croyant ! Mais celui qui se vante,
Et qui tremble au moment de semer l'épouvante,
Qui le dernier arrive aux camps impériaux,
Qui, lorsque d'une ville on a forcé la porte,
Ne fait pas, sous le poids du butin qu'il rapporte,
Plier l'essieu des chariots ;

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Celui qui d'une femme aime les entretiens ;
Celui qui ne sait pas dire dans une orgie
Quelle est d'un beau cheval la généalogie ;
Qui cherche ailleurs qu'en soi force, amis et soutiens,
Sur de soyeux divans se couche avec mollesse,
Craint le soleil, sait lire, et par scrupule laisse
Tout le vin de Chypre aux chrétiens ;

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Celui-là, c'est un lâche, et non pas un guerrier.
Ce n'est pas lui qu'on voit dans la bataille ardente
Pousser un fier cheval à la housse pendante,
Le sabre en main, debout sur le large étrier ;
Il n'est bon qu'à presser des talons une mule,
En murmurant tout bas quelque vaine formule,
Comme un prêtre qui va prier !

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Du 1 au 2 mai 1828.
La Jongleuse Mar 2013
à 3h du matin, en double milieu,
mi-chemin entre le jour & la nuit

mais tes mains sont déjà sur moi
& nous ne sommes qu’au vestiaire
qu’est-ce que t’es chaude ce soir

descendons au tréfonds du terrier
allez, on va prendre un verre,
allez, on va s’égarer un peu,

dans le flou, parmi toutes ces créatures,
qui n’ont jamais connu ce soif inassouvi
celui qui brûle & pousse & crie à haute voix

ça me plait comment tu danses,
comment tu te relâches & comment
tu laisses la musique t’avaler entière

un peu comme ces mains cherchent
à me faire là, pressées à trouver
des miettes de sentiments bien faux

allez, on va aller aux toilettes,
pour discuter tout ce que tu veux,
& rejoindre la fameuse Dame Blanche

puis, on va aller danser sur la piste
où je te montrerai ce corps fragile
& tout dont il est capable à détruire

ce morceau est hypnotique, autant qu’un poème,
mes hanches te crachent le message,

celui que tu n’entends pas de toute façon

allez, viens on va fumer à l’étage mais
tu parles trop vite cherchant à fouiller ta chair,
un vide-grenier nocturne de ton esprit

les trémoussements de tes mains solides,
font une résistance contre l’aube, disant
genre, je m’en fou, c’est juste que…



je te veux


english translation

3 am, in double milieu,
halfway between day & night

but your hands are already on me
& we’re only just now checking our coats
you’re clearly feeling hot tonight

reaching the depths of the rabbit’s hole
“come, let’s go get a drink”
“come, let’s go lose ourselves a bit”


in the crowd, amongst all these creatures
who’ve never known this never-ending thirst
the one that burns, pushes & cries aloud

i like it how you dance
how you release yourself & how
you let the music swallow you whole

a bit like those hands are looking
to do to me, hurried to find
crumbles of terribly false feelings

"come, let’s go to the bathroom”
& talk about anything you’d like
& meet up with Snow white

then, let’s go dance on the floor
where I’ll show you this delicate body
& everything it’s capable of destroying

this song is hypnotic, as much as a poem,
my hips spit to you the message
the one you don’t hear anyways

“come, let’s go smoke upstairs” but
you’re talking too fast, trying to dig up your skin
a nocturnal emptying out of your spirit

the fidgeting of your strong hands
creates a resistance against dawn, saying,
something like, *“I don’t give a ****, it’s just that..”

“I want you”
French, en français
Au poète Mérante.

I.

Ami, viens me rejoindre.
Les bois sont innocents.
Il est bon de voir poindre
L'aube des paysans.

Paris, morne et farouche,
Pousse des hurlements
Et se tord sous la ******
Des noirs événements.

Il revient, loi sinistre,
Étrange état normal !
À l'ennui par le cuistre
Et par le monstre au mal.

II.

J'ai fui ; viens. C'est dans l'ombre
Que nous nous réchauffons.
J'habite un pays sombre
Plein de rêves profonds.

Les récits de grand-mère
Et les signes de croix
Ont mis une chimère
Charmante dans les bois.

Ici, sous chaque porte,
S'assied le fabliau,
Nain du foyer qui porte
Perruque in-folio.

L'elfe dans les nymphées
Fait tourner ses fuseaux ;
Ici l'on a des fées
Comme ailleurs des oiseaux.

Le conte, aimé des chaumes,
Trouve au bord des chemins,
Parfois, un nid de gnomes
Qu'il prend dans ses deux mains.

Les follets sont des drôles
Pétris d'ombre et d'azur
Qui font au creux des saules
Un flamboiement obscur.

Le faune aux doigts d'écorce
Rapproche par moments
Sous la table au pied torse
Les genoux des amants.

Le soir un lutin cogne
Aux plafonds des manoirs ;
Les étangs de Sologne
Sont de pâles miroirs.

Les nénuphars des berges
Me regardent la nuit ;
Les fleurs semblent des vierges ;
L'âme des choses luit.

III.

Cette bruyère est douce ;
Ici le ciel est bleu,
L'homme vit, le blé pousse
Dans la bonté de Dieu.

J'habite sous les chênes
Frémissants et calmants ;
L'air est tiède, et les plaines
Sont des rayonnements.

Je me suis fait un gîte
D'arbres, sourds à nos pas ;
Ce que le vent agite,
L'homme ne l'émeut pas.

Le matin, je sommeille
Confusément encor.
L'aube arrive vermeille
Dans une gloire d'or.

- Ami, dit la ramée,
Il fait jour maintenant. -
Une mouche enfermée
M'éveille en bourdonnant.

IV.

Viens, **** des catastrophes,
Mêler sous nos berceaux
Le frisson de tes strophes
Au tremblement des eaux.

Viens, l'étang solitaire
Est un poème aussi.
Les lacs ont le mystère,
Nos coeurs ont le souci.

Tout comme l'hirondelle,
La stance quelquefois
Aime à mouiller son aile
Dans la mare des bois.

C'est, la tête inondée
Des pleurs de la forêt,
Que souvent le spondée
À Virgile apparaît.

C'est des sources, des îles,
Du hêtre et du glaïeul
Que sort ce tas d'idylles
Dont Tityre est l'aïeul.

Segrais, chez Pan son hôte,
Fit un livre serein
Où la grenouille saute
Du sonnet au quatrain.

Pendant qu'en sa nacelle
Racan chantait Babet,
Du bec de la sarcelle
Une rime tombait.

Moi, ce serait ma joie
D'errer dans la fraîcheur
D'une églogue où l'on voie
Fuir le martin-pêcheur.

L'ode même, superbe,
Jamais ne renia
Toute cette grande herbe
Où rit Titania.

Ami, l'étang révèle
Et mêle, brin à brin,
Une flore nouvelle
Au vieil alexandrin.

Le style se retrempe
Lorsque nous le plongeons
Dans cette eau sombre où rampe
Un esprit sous les joncs.

Viens, pour peu que tu veuilles
Voir croître ton vers
La sphaigne aux larges feuilles
Et les grands roseaux verts.
Adam était fort amoureux.
Maigre comme un clou, les yeux creux ;
Son Ève était donc bien heureuse
D'être sa belle Ève amoureuse,
Mais... fiez-vous donc à demain !
Un soir, en promenant sa main
Sur le moins beau torse du monde,
Ah !... sa surprise fut profonde !
Il manquait une côte... là.
Tiens ! Tiens ! que veut dire cela ?
Se dit Ève, en baissant la tête.
Mais comme Ève n'était pas bête,
Tout d'abord Ève ne fit rien
Que s'en assurer bel et bien.
« Vous, Madame, avec cette mine ?
Qu'avez-vous donc qui vous chagrine ? »
Lui dit Adam, le jour suivant.
« Moi, rien... dit Ève... c'est... le vent. »
Or, le vent donnait sous la plume,
Contrairement à sa coutume.
Un autre eût été dépité,
Mais comme il avait la gaieté
Inaltérable de son âge,
Il s'en fut à son jardinage
Tout comme si de rien n'était.

Cependant, Ève s'em...bêtait
Comme s'ennuie une Princesse.
« Il faut, nom de Dieu ! que ça cesse »,
Se dit Ève, d'un ton tranchant.
« Je veux le voir, oui, sur-le-champ »,
Je dirai : « Sire, il manque à l'homme
Une côte, c'est sûr ; en somme,
En général, ça ne fait rien,
Mais ce général, c'est le mien.
Il faut donc la lui donner vite.
Moi, j'ai mon compte, ça m'évite
De vous importuner ; mais lui,
N'a pas le sien, c'est un ennui.
Ce détail me gâte la fête.
Puisque je suis toute parfaite,
J'ai bien droit au mari parfait.
Il ne peut que dire : en effet »,
Ici la Femme devint... rose,

« Et s'il dit, prenant mal la chose :
« Ton Adam n'est donc plus tout nu !
Que lui-même il n'est pas venu ?
A-t-il sa langue dans sa poche ?
Sur la mèche où le cœur s'accroche,
La casquette à n'en plus finir ?
Est-il en train de devenir...
Soutenu ?... » Que répliquerai-je ?
La Femme ici devint... de neige.

Sitôt qu'Adam fut de retour
Ève passa ses bras autour
Du cou, le plus fort de son monde,
Et, renversant sa tête blonde,
Reçut deux grands baisers joyeux ;
Puis fermant à demi les yeux,
Pâmée au rire de sa bouche,
Elle l'attira vers sa couche,
Où, commençant à s'incliner,
L'on se mit à se lutiner.
Soudain : « Ah ! qu'as-tu là ? » fit Ève.
Adam parut sortir d'un rêve.
« Là... mais, rien... », dit-il. « Justement,
Tu n'as rien, comme c'est charmant !
Tu vois, il te manque une côte.
Après tout, ce n'est pas ta faute,
Tu ne dois pas te tourmenter ;
Mais sur l'heure, il faut tout quitter,
Aller voir le Prince, et lui dire
Ce qu'humblement ton cœur désire ;
Que tu veux ta côte, voilà.
Or, pour lui, qu'est-ce que cela ?
Moins que rien, une bagatelle. »
Et prenant sa voix d'Immortelle :
« Allons ! Monsieur... tout de ce pas. »
Ève changea de ritournelle,
Et lorsqu'Adam était... sur elle,
Elle répétait d'un ton las :
« Pourquoi, dis, que tu m'aimes pas ? »
« Mais puisque ça ne se voit pas »,
Dit Adam. « Ça se sent », dit Ève,
Avec sa voix sifflante et brève.

Adam partit à contrecœur,
Car dans le fond il avait peur
De dire, en cette conjoncture,
À l'Auteur de la créature :
Vous avez fait un pas de clerc
En ratant ma côte, c'est clair.
Sa démarche impliquait un blâme.
Mais il voulait plaire à sa femme.

Ève attendit une heure vingt
Bonnes minutes ; il revint
Souriant, la mine attendrie,
Et, baisant sa bouche fleurie,
L'étreignant de son bras musclé :
« Je ne l'ai pas, pourtant je l'ai.
Je la tiens bien puisque je t'aime,
Sans l'avoir, je l'ai tout de même. »

Ève, sentant que ça manquait
Toujours, pensa qu'il se moquait ;
Mais il lui raconta l'histoire
Qu'il venait d'apprendre, il faut croire,
De l'origine de son corps,
Qu'Ève était sa côte, et qu'alors...
La chose...

« Ah ! c'est donc ça..., dit-elle,
Que le jour, oui, je me rappelle,
Où nous nous sommes rencontrés
Dans les parterres diaprés,
Tu m'as, en tendant tes mains franches,
Dit : « Voici la fleur de mes branches,
Et voilà le fruit de ma chair ! »
« En effet, ma chère ! »

« Ah !... mon cher !
J'avais pris moi cette parole
Au figuré... Mais j'étais folle ! »

« Je t'avais prise au figuré
Moi-même », dit Adam, paré
De sa dignité fraîche éclose
Et qui lui prêtait quelque chose
Comme un ton de maître d'hôtel,
Déjà suffisamment mortel ;
« L'ayant dit un peu comme on tousse.
Vois, quand la vérité nous pousse,
Il faut la dire, malgré soi. »

« Je ne peux pas moi comme toi »,
Fut tout ce que répondit Ève.

La nuit s'en va, le jour se lève,
Adam saisit son arrosoir,
Et : « Ma belle enfant, à ce soir ! »
Sa belle enfant ! pauvre petite !
Elle, jadis sa... favorite,
Était son enfant, à présent.
Quoi ? Ce n'était pas suffisant
Qu'Adam n'eût toujours pas sa côte,
À présent c'était de sa faute !
Elle en avait les bras cassés !
Et ce n'était encore assez.
Il fallait cette côte absente
Qu'elle en parût reconnaissante !

Doux Jésus !
Tout fut bien changé.

Ève prit son air affligé,
Et lorsqu'Adam parmi les branches
Voyait bouder ses... formes blanches
Et que, ne pouvant s'en passer,
Il accourait, pour l'embrasser,
Tout rempli d'une envie affreuse :
« Ah ! que je suis donc malheureuse ! »
Disait Ève, qui s'affalait.

Enfin, un jour qu'Adam parlait
D'une voix trop brusque et trop haute :
« Pourquoi, dis, que t'as pas ta côte ? »

« Voyons ! vous vous... fichez de moi !
Tu le sais bien,... comment, c'est toi,
Toi, ma côte, qui se réclame ! »
« Ça n'empêche pas, dit la Femme,
À ta place, j'insisterais. »

« Si je faisais de nouveaux frais,
Dit Adam, j'aurais trop de honte.
Nous avons chacun notre compte,
Toi comme moi, tu le sais bien,
Et le Prince ne nous doit rien ;
Car nul en terme de boutique
Ne tient mieux son arithmétique. »
Ce raisonnement était fort,
Ève pourtant n'avait pas tort.

Sur ces entrefaites, la femme
S'en vint errer, le vague à l'âme,
Autour de l'arbre défendu.
Le serpent s'y trouvait pendu
Par la queue, il leva la tête.
« Ève, comme vous voilà faite ! »
Dit-il, en la voyant venir.

La pauvre Ève n'y put tenir ;
Elle lui raconta sa peine,
Et même fit voir... une veine.
Le bon Vieux en parut navré.
« Tiens ! Tiens ! dit-il ; c'est pourtant vrai.
Eh ! bien ! moi : j'ai votre remède ;
Et je veux vous venir en aide,
Car je sais où tout ça conduit.
Écoute-moi, prends de ce fruit. »
« Oh ! non ! » dit Ève « Et la défense ? »
« Ton prince est meilleur qu'il ne pense
Et ne peut vous faire mourir.
Prends cette pomme et va l'offrir
À ton mari, pour qu'il en mange,
Et, dit, entr'autres choses, l'Ange,
Parfaits alors, comme des Dieux,
En lui, plus de vide odieux !
Vois quelle épine je vous ôte.
Ce pauvre Adam aura sa côte. »
C'était tout ce qu'Ève voulait.
Le fruit était là qui parlait,
Ève étendît donc sa main blanche
Et le fit passer de la branche
Sous sa nuque, dans son chignon.

Ève trouva son compagnon
Qui dormait étendu sur l'herbe,
Dans une pose peu superbe,
Le front obscurci par l'ennui.

Ève s'assit auprès de lui,
Ève s'empara de la pomme,
Se tourna du côté de l'Homme
Et la plaçant bien sous son nez,
**** de ses regards étonnés :
« Tiens ! regarde ! la belle pêche ! »
- « Pomme », dit-il d'une voix sèche.
« Pêche ! Pêche ! » - « Pomme. » - « Comment ?
Ce fruit d'or, d'un rose charmant,
N'est pas une pomme bien ronde ?
Voyons !... demande à tout le monde ? »
- « Qui, tout le monde ? » Ève sourit :
« J'ai dit tout le monde ? » et reprit,
Lui prenant doucement la tête :
« Eh ! oui, c'est une pomme, bête,
Qui ne comprends pas qu'on voulait
T'attraper... Ah ! fi ! que c'est laid !
Pour me punir, mon petit homme,
Je vais t'en donner, de ma pomme. »
Et l'éclair de son ongle luit,
Qui se perd dans la peau du fruit.

On était au temps des cerises,
Et justement l'effort des brises,
Qui soufflait dans les cerisiers,
En fit tomber une à leurs pieds !

« Malheureuse ! que vas-tu faire ? »
Crie Adam, rouge de colère,
Qui soudain a tout deviné,
Veut se saisir du fruit damné,
Mais l'homme avait trouvé son maître.
« Je serai seule à la commettre »,
Dit Ève en éloignant ses bras,
Si hautaine... qu'il n'osa pas.

Puis très tranquillement, sans fièvres,
Ève met le fruit sur ses lèvres,
Ève le mange avec ses dents.

L'homme baissa ses yeux ardents
Et de ses mains voila sa face.

« Moi, que voulez-vous que j'y fasse ?
Dit Ève ; c'est mon bon plaisir ;
Je n'écoute que mon désir
Et je le contente sur l'heure.
Mieux que vous... qu'a-t-il donc ? il pleure !
En voulez-vous ?
Non, et pourquoi ?
Vous voyez, j'en mange bien, moi.
D'ailleurs, songez qu'après ma faute
Nous ne vivrons plus côte à côte,
On va nous séparer... c'est sûr,
On me l'a dit, par un grand mur.
En voulez-vous ? »
Lui, tout en larmes,
S'enfonçait, songeant à ses charmes,
Dans le royaume de Sa voix.
Enfin, pour la dernière fois
Prenant sa tête qu'Ève couche,
« En veux-tu, dis ? Ouvre ta bouche ! »

Et c'est ainsi qu'Adam mangea
À peu près tout, Ève déjà
N'en ayant pris qu'une bouchée ;
Mais Ève eût été bien fâchée
Du contraire, pour l'avenir.
Il a besoin de devenir
Dieu, bien plus que moi, pensait-Elle.

Quand l'homme nous l'eut baillé belle,
Tu sais ce qui lors arriva ;
Le pauvre Adam se retrouva
Plus bête qu'avant, par sa faute.
Car s'il eût su plaindre sa côte,
Son Ève alors n'eût point péché ;
De plus, s'il se fût attaché
À son Prince, du fond de l'âme,
S'il n'eût point écouté sa femme,
Ton cœur a déjà deviné
Que le Seigneur eût pardonné,
Le motif d'Ève, au fond valable,
N'ayant pas eu pour détestable
Suite la faute du mari.

Lequel plus **** fut bien chéri
Et bien dorloté par « sa chère »,
Mais quand, mécontent de la chère,
Il disait : « Je suis trop bon, moi !
- Sans doute, disait Ève, toi,
T'es-un-bon-bonhomme, sur terre,
Mais... tu n'as pas de caractère ! »
Le squelette était invisible,
Au temps heureux de l'Art païen ;
L'homme, sous la forme sensible,
Content du beau, ne cherchait rien.

Pas de cadavre sous la tombe,
Spectre hideux de l'être cher,
Comme d'un vêtement qui tombe
Se déshabillant de sa chair,

Et, quand la pierre se lézarde,
Parmi les épouvantements,
Montrait à l'oeil qui s'y hasarde
Une armature d'ossements ;

Mais au feu du bûcher ravie
Une pincée entre les doigts,
Résidu léger de la vie,
Qu'enserrait l'urne aux flancs étroits ;

Ce que le papillon de l'âme
Laisse de poussière après lui,
Et ce qui reste de la flamme
Sur le trépied, quand elle a lui !

Entre les fleurs et les acanthes,
Dans le marbre joyeusement,
Amours, aegipans et bacchantes
Dansaient autour du monument ;

Tout au plus un petit génie
Du pied éteignait un flambeau ;
Et l'art versait son harmonie
Sur la tristesse du tombeau.

Les tombes étaient attrayantes :
Comme on fait d'un enfant qui dort,
D'images douces et riantes
La vie enveloppait la mort ;

La mort dissimulait sa face
Aux trous profonds, au nez camard,
Dont la hideur railleuse efface
Les chimères du cauchemar.

Le monstre, sous la chair splendide
Cachait son fantôme inconnu,
Et l'oeil de la vierge candide
Allait au bel éphèbe nu.

Seulement pour pousser à boire,
Au banquet de Trimalcion,
Une larve, joujou d'ivoire,
Faisait son apparition ;

Des dieux que l'art toujours révère
Trônaient au ciel marmoréen ;
Mais l'Olympe cède au Calvaire,
Jupiter au Nazaréen ;

Une voix dit : Pan est mort ! - L'ombre
S'étend. - Comme sur un drap noir,
Sur la tristesse immense et sombre
Le blanc squelette se fait voir ;

Il signe les pierres funèbres
De son paraphe de fémurs,
Pend son chapelet de vertèbres
Dans les charniers, le long des murs,

Des cercueils lève le couvercle
Avec ses bras aux os pointus ;
Dessine ses côtes en cercle
Et rit de son large rictus ;

Il pousse à la danse macabre
L'empereur, le pape et le roi,
Et de son cheval qui se cabre
Jette bas le preux plein d'effroi ;

Il entre chez la courtisane
Et fait des mines au miroir,
Du malade il boit la tisane,
De l'avare ouvre le tiroir ;

Piquant l'attelage qui rue
Avec un os pour aiguillon,
Du laboureur à la charrue
Termine en fosse le sillon ;

Et, parmi la foule priée,
Hôte inattendu, sous le banc,
Vole à la pâle mariée
Sa jarretière de ruban.

A chaque pas grossit la bande ;
Le jeune au vieux donne la main ;
L'irrésistible sarabande
Met en branle le genre humain.

Le spectre en tête se déhanche,
Dansant et jouant du rebec,
Et sur fond noir, en couleur blanche,
Holbein l'esquisse d'un trait sec.

Quand le siècle devient frivole
Il suit la mode; en tonnelet
Retrousse son linceul et vole
Comme un Cupidon de ballet

Au tombeau-sofa des marquises
Qui reposent, lasses d'amour,
En des attitudes exquises,
Dans les chapelles Pompadour.

Mais voile-toi, masque sans joues,
Comédien que le ver rnord,
Depuis assez longtemps tu joues
Le mélodrame de la Mort.

Reviens, reviens, bel art antique,
De ton paros étincelant
Couvrir ce squelette gothique ;
Dévore-le, bûcher brûlant !

Si nous sommes une statue
Sculptée à l'image de Dieu,
Quand cette image est abattue,
Jetons-en les débris au feu.

Toi, forme immortelle, remonte
Dans la flamme aux sources du beau,
Sans que ton argile ait la honte
Et les misères du tombeau !
Il y a des natures purement contemplatives et tout à fait impropres à l'action, qui cependant, sous une impulsion mystérieuse et inconnue, agissent quelquefois avec une rapidité dont elles se seraient crues elles-mêmes incapables.

Tel qui, craignant de trouver chez son concierge une nouvelle chagrinante, rôde lâchement une heure devant sa porte sans oser rentrer, tel qui garde quinze jours une lettre sans la décacheter, ou ne se résigne qu'au bout de six mois à opérer une démarche nécessaire depuis un an, se sentent quelquefois brusquement précipités vers l'action par une force irrésistible, comme la flèche d'un arc. Le moraliste et le médecin, qui prétendent tout savoir, ne peuvent pas expliquer d'où vient si subitement une si folle énergie à ces âmes paresseuses et voluptueuses, et comment, incapables d'accomplir les choses les plus simples et les plus nécessaires, elles trouvent à une certaine minute un courage de luxe pour exécuter les actes les plus absurdes et souvent même les plus dangereux.

Un de mes amis, le plus inoffensif rêveur qui ait existé, a mis une fois le feu à une forêt pour voir, disait-il, si le feu prenait avec autant de facilité qu'on l'affirme généralement. Dix fois de suite, l'expérience manqua ; mais, à la onzième, elle réussit beaucoup trop bien.

Un autre allumera un cigare à côté d'un tonneau de poudre, pour voir, pour savoir, pour tenter la destinée, pour se contraindre lui-même à faire preuve d'énergie, pour faire le joueur, pour connaître les plaisirs de l'anxiété, pour rien, par caprice, par désœuvrement.

C'est une espèce d'énergie qui jaillit de l'ennui et de la rêverie ; et ceux en qui elle se manifeste si opinément sont, en général, comme je l'ai dit, les plus indolents et les plus rêveurs des êtres.

Un autre, timide à ce point qu'il baisse les yeux même devant les regards des hommes, à ce point qu'il lui faut rassembler toute sa pauvre volonté pour entrer dans un café ou passer devant le bureau d'un théâtre, où les contrôleurs lui paraissent investis de la majesté de Minos, d'Éaque et de Rhadamanthe, sautera brusquement au cou d'un vieillard qui passe à côté de lui et l'embrassera avec enthousiasme devant la foule étonnée.

- Pourquoi ? Parce que... parce que cette physionomie lui était irrésistiblement sympathique ? Peut-être ; mais il est plus légitime de supposer que lui-même il ne sait pas pourquoi.

J'ai été plus d'une fois victime de ces crises et de ces élans, qui nous autorisent à croire que des Démons malicieux se glissent en nous et nous font accomplir, à notre insu, leurs plus absurdes volontés.

Un matin je m'étais levé maussade, triste, fatigué d'oisiveté, et poussé, me semblait-il, à faire quelque chose de grand, une action d'éclat ; et j'ouvris la fenêtre, hélas !

(Observez, je vous prie, que l'esprit de mystification qui, chez quelques personnes, n'est pas le résultat d'un travail ou d'une combinaison, mais d'une inspiration fortuite, participe beaucoup, ne fût-ce que par l'ardeur du désir, de cette humeur, hystérique selon les médecins, satanique selon ceux qui pensent un peu mieux que les médecins, qui nous pousse sans résistance vers une foule d'actions dangereuses ou inconvenantes.)

La première personne que j'aperçus dans la rue, ce fut un vitrier dont le cri perçant, discordant, monta jusqu'à moi à travers la lourde et sale atmosphère parisienne. Il me serait d'ailleurs impossible de dire pourquoi je fus pris à l'égard de ce pauvre homme d'une haine aussi soudaine que despotique.

« - Hé ! hé ! » et je lui criai de monter. Cependant je réfléchissais, non sans quelque gaieté, que, la chambre étant au sixième étage et l'escalier fort étroit, l'homme devait éprouver quelque peine à opérer son ascension et accrocher en maint endroit les angles de sa fragile marchandise.

Enfin il parut : j'examinai curieusement toutes ses vitres, et je lui dis : « - Comment ? vous n'avez pas de verres de couleur ? des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis ? Impudent que vous êtes ! vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n'avez pas même de vitres qui fassent voir la vie en beau ! » Et je le poussai vivement vers l'escalier, où il trébucha en grognant.

Je m'approchai du balcon et je me saisis d'un petit *** de fleurs, et quand l'homme reparut au débouché de la porte, je laissai tomber perpendiculairement mon engin de guerre sur le rebord postérieur de ses crochets ; et le choc le renversant, il acheva de briser sous son dos toute sa pauvre fortune ambulatoire qui rendit le bruit éclatant d'un palais de cristal crevé par la foudre.

Et, ivre de ma folie, je lui criai furieusement : « La vie en beau ! la vie en beau ! »

Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance ?
Puisque c'est ton métier, misérable poète,
Même en ces temps d'orage, où la bouche est muette,
Tandis que le bras parle, et que la fiction
Disparaît comme un songe au bruit de l'action ;
Puisque c'est ton métier de faire de ton âme
Une prostituée, et que, joie ou douleur,
Tout demande sans cesse à sortir de ton coeur ;
Que du moins l'histrion, couvert d'un masque infâme,
N'aille pas, dégradant ta pensée avec lui,
Sur d'ignobles tréteaux la mettre au pilori ;
Que nul plan, nul détour, nul voile ne l'ombrage.
Abandonne aux vieillards sans force et sans courage
Ce travail d'araignée, et tous ces fils honteux
Dont s'entoure en tremblant l'orgueil qui craint les yeux.
Point d'autel, de trépied, point d'arrière aux profanes !
Que ta muse, brisant le luth des courtisanes,
Fasse vibrer sans peur l'air de la liberté ;
Qu'elle marche pieds nus, comme la vérité.

O Machiavel ! tes pas retentissent encore
Dans les sentiers déserts de San Casciano.
Là, sous des cieux ardents dont l'air sèche et dévore,
Tu cultivais en vain un sol maigre et sans eau.
Ta main, lasse le soir d'avoir creusé la terre,
Frappait ton pâle front dans le calme des nuits.
Là, tu fus sans espoir, sans proches, sans amis ;
La vile oisiveté, fille de la misère,
A ton ombre en tous lieux se traînait lentement,
Et buvait dans ton coeur les flots purs de ton sang :
"Qui suis-je ? écrivais-tu; qu'on me donne une pierre,
"Une roche à rouler ; c'est la paix des tombeaux
"Que je fuis, et je tends des bras las du repos."

C'est ainsi, Machiavel, qu'avec toi je m'écrie :
O médiocre, celui qui pour tout bien
T'apporte à ce tripot dégoûtant de la vie,
Est bien poltron au jeu, s'il ne dit : Tout ou rien.
Je suis jeune; j'arrive. A moitié de ma route,
Déjà las de marcher, je me suis retourné.
La science de l'homme est le mépris sans doute ;
C'est un droit de vieillard qui ne m'est pas donné.
Mais qu'en dois-je penser ? Il n'existe qu'un être
Que je puisse en entier et constamment connaître
Sur qui mon jugement puisse au moins faire foi,
Un seul !... Je le méprise. - Et cet être, c'est moi.

Qu'ai-je fait ? qu'ai-je appris ? Le temps est si rapide !
L'enfant marche joyeux, sans songer au chemin ;
Il le croit infini, n'en voyant pas la fin.
Tout à coup il rencontre une source limpide,
Il s'arrête, il se penche, il y voit un vieillard.
Que me dirai-je alors ? Quand j'aurai fait mes peines,
Quand on m'entendra dire : Hélas ! il est trop **** ;
Quand ce sang, qui bouillonne aujourd'hui dans mes veines
Et s'irrite en criant contre un lâche repos,
S'arrêtera, glacé jusqu'au fond de mes os...
O vieillesse ! à quoi donc sert ton expérience ?
Que te sert, spectre vain, de te courber d'avance
Vers le commun tombeau des hommes, si la mort
Se tait en y rentrant, lorsque la vie en sort ?
N'existait-il donc pas à cette loterie
Un joueur par le sort assez bien abattu
Pour que, me rencontrant sur le seuil de la vie,
Il me dît en sortant : N'entrez pas, j'ai perdu !

Grèce, ô mère des arts, terre d'idolâtrie,
De mes voeux insensés éternelle patrie,
J'étais né pour ces temps où les fleurs de ton front
Couronnaient dans les mers l'azur de l'Hellespont.
Je suis un citoyen de tes siècles antiques ;
Mon âme avec l'abeille erre sous tes portiques.
La langue de ton peuple, ô Grèce, peut mourir ;
Nous pouvons oublier le nom de tes montagnes ;
Mais qu'en fouillant le sein de tes blondes campagnes
Nos regards tout à coup viennent à découvrir
Quelque dieu de tes bois, quelque Vénus perdue...
La langue que parlait le coeur de Phidias
Sera toujours vivante et toujours entendue ;
Les marbres l'ont apprise, et ne l'oublieront pas.
Et toi, vieille Italie, où sont ces jours tranquilles
Où sous le toit des cours Rome avait abrité
Les arts, ces dieux amis, fils de l'oisiveté ?
Quand tes peintres alors s'en allaient par les villes,
Elevant des palais, des tombeaux, des autels,
Triomphants, honorés, dieux parmi les mortels ;
Quand tout, à leur parole, enfantait des merveilles,
Quand Rome combattait Venise et les Lombards,
Alors c'étaient des temps bienheureux pour les arts !
Là, c'était Michel-Ange, affaibli par les veilles,
Pâle au milieu des morts, un scalpel à la main,
Cherchant la vie au fond de ce néant humain,
Levant de temps en temps sa tête appesantie,
Pour jeter un regard de colère et d'envie
Sur les palais de Rome, où, du pied de l'autel,
A ses rivaux de **** souriait Raphaël.
Là, c'était le Corrège, homme pauvre et modeste,
Travaillant pour son coeur, laissant à Dieu le reste ;
Le Giorgione, superbe, au jeune Titien
Montrant du sein des mers son beau ciel vénitien ;
Bartholomé, pensif, le front dans la poussière,
Brisant son jeune coeur sur un autel de pierre,
Interrogé tout bas sur l'art par Raphaël,
Et bornant sa réponse à lui montrer le ciel...
Temps heureux, temps aimés ! Mes mains alors peut-être,
Mes lâches mains, pour vous auraient pu s'occuper ;
Mais aujourd'hui pour qui ? dans quel but ? sous quel maître ?
L'artiste est un marchand, et l'art est un métier.
Un pâle simulacre, une vile copie,
Naissent sous le soleil ardent de l'Italie...
Nos oeuvres ont un an, nos gloires ont un jour ;
Tout est mort en Europe, - oui, tout, - jusqu'à l'amour.

Ah ! qui que vous soyez, vous qu'un fatal génie
Pousse à ce malheureux métier de poésie
Rejetez **** de vous, chassez-moi hardiment
Toute sincérité; gardez que l'on ne voie
Tomber de votre coeur quelques gouttes de sang ;
Sinon, vous apprendrez que la plus courte joie
Coûte cher, que le sage est ami du repos,
Que les indifférents sont d'excellents bourreaux.

Heureux, trois fois heureux, l'homme dont la pensée
Peut s'écrire au tranchant du sabre ou de l'épée !
Ah ! qu'il doit mépriser ces rêveurs insensés
Qui, lorsqu'ils ont pétri d'une fange sans vie
Un vil fantôme, un songe, une froide effigie,
S'arrêtent pleins d'orgueil, et disent : C'est assez !
Qu'est la pensée, hélas ! quand l'action commence ?
L'une recule où l'autre intrépide s'avance.
Au redoutable aspect de la réalité,
Celle-ci prend le fer, et s'apprête à combattre ;
Celle-là, frêle idole, et qu'un rien peut abattre,
Se détourne, en voilant son front inanimé.

Meurs, Weber ! meurs courbé sur ta harpe muette ;
Mozart t'attend. - Et toi, misérable poète,
Qui que tu sois, enfant, homme, si ton coeur bat,
Agis ! jette ta lyre; au combat, au combat !
Ombre des temps passés, tu n'es pas de cet âge.
Entend-on le nocher chanter pendant l'orage ?
A l'action ! au mal ! Le bien reste ignoré.
Allons ! cherche un égal à des maux sans remède.
Malheur à qui nous fit ce sens dénaturé !
Le mal cherche le mal, et qui souffre nous aide.
L'homme peut haïr l'homme, et fuir; mais malgré lui,
Sa douleur tend la main à la douleur d'autrui.
C'est tout. Pour la pitié, ce mot dont on nous leurre,
Et pour tous ces discours prostitués sans fin,
Que l'homme au coeur joyeux jette à celui qui pleure,
Comme le riche jette au mendiant son pain,
Qui pourrait en vouloir ? et comment le vulgaire,
Quand c'est vous qui souffrez, pourrait-il le sentir,
Lui que Dieu n'a pas fait capable de souffrir ?

Allez sur une place, étalez sur la terre
Un corps plus mutilé que celui d'un martyr,
Informe, dégoûtant, traîné sur une claie,
Et soulevant déjà l'âme prête à partir ;
La foule vous suivra. Quand la douleur est vraie,
Elle l'aime. Vos maux, dont on vous saura gré,
Feront horreur à tous, à quelques-uns pitié.
Mais changez de façon : découvrez-leur une âme
Par le chagrin brisée, une douleur sans fard,
Et dans un jeune coeur des regrets de vieillard ;
Dites-leur que sans mère, et sans soeur, et sans femme,
Sans savoir où verser, avant que de mourir,
Les pleurs que votre sein peut encor contenir,
Jusqu'au soleil couchant vous n'irez point peut-être...
Qui trouvera le temps d'écouter vos malheurs ?
On croit au sang qui coule, et l'on doute des pleurs.
Votre ami passera, mais sans vous reconnaître.

Tu te gonfles, mon coeur?... Des pleurs, le croirais-tu,
Tandis que j'écrivais ont baigné mon visage.
Le fer me manque-t-il, ou ma main sans courage
A-t-elle lâchement glissé sur mon sein nu ?
Non, rien de tout cela. Mais si **** que la haine
De cette destinée aveugle et sans pudeur
Ira, j'y veux aller. - J'aurai du moins le coeur
De la mener si bas que la honte l'en prenne.
Paul d'Aubin Jul 2016
Aux bords de la rivière « La Catena » en Corse

Elle porte un nom qui signifie «chaîne»; mais est bien au contraire expérience de Liberté.
Dans les temps féodaux, un seigneur de la Cinarca, y fit construire une place forte,
Dont il ne reste plus que quelques pierres éparses et le baptistère,
Ainsi que des rumeurs d'un cruel massacre, jamais éteintes, par les siècles.
L'été, sa musique de roches se joint à la fraîcheur pour en faire un lieu de détente et de pur bonheur,
Pourtant les rocs de granit en obstruent parfois le cours et font ressembler ce torrent à une rivière peuplée par des géants de pierre et de quelques noyés violacés rejetés par ses colères.
Son grondement ininterrompu laisse planer comme une symphonie  fantastique de dangers diffus.
Les truites «fario» n'en sont pas absentes, même si trop pêchées, elles se nichent au plus profond des creux et anfractuosités des rochers.
Les rires des enfants, le ruissellement de l'eau si fraîche sur la peau sont le sourire de celles et ceux qui savent admirer ce temple vert,
et contempler sur ses bords cette flamboyance  de la  nature propre à apaiser  l'inquiétude des êtres.
La musique monotone de son courant pousse à la sieste, le plus furieux des « hommes pressés ».
Et « la Catena » a l'air de nous dire : « sachez écouter ma musique et prendre le temps de vous poser un peu ».

Paul Arrighi
La muse

Poète, prends ton luth et me donne un baiser ;
La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore,
Le printemps naît ce soir ; les vents vont s'embraser ;
Et la bergeronnette, en attendant l'aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser.
Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.

Le poète

Comme il fait noir dans la vallée !
J'ai cru qu'une forme voilée
Flottait là-bas sur la forêt.
Elle sortait de la prairie ;
Son pied rasait l'herbe fleurie ;
C'est une étrange rêverie ;
Elle s'efface et disparaît.

La muse

Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse,
Balance le zéphyr dans son voile odorant.
La rose, vierge encor, se referme jalouse
Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant.
Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée.
Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée
Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.
Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature
Se remplit de parfums, d'amour et de murmure,
Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.

Le poète

Pourquoi mon coeur bat-il si vite ?
Qu'ai-je donc en moi qui s'agite
Dont je me sens épouvanté ?
Ne frappe-t-on pas à ma porte ?
Pourquoi ma lampe à demi morte
M'éblouit-elle de clarté ?
Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.
Qui vient ? qui m'appelle ? - Personne.
Je suis seul ; c'est l'heure qui sonne ;
Ô solitude ! ô pauvreté !

La muse

Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse
Fermente cette nuit dans les veines de Dieu.
Mon sein est inquiet ; la volupté l'oppresse,
Et les vents altérés m'ont mis la lèvre en feu.
Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle.
Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas,
Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile,
Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ?
Ah ! je t'ai consolé d'une amère souffrance !
Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d'amour.
Console-moi ce soir, je me meurs d'espérance ;
J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour.

Le poète

Est-ce toi dont la voix m'appelle,
Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ?
Ô ma fleur ! ô mon immortelle !
Seul être pudique et fidèle
Où vive encor l'amour de moi !
Oui, te voilà, c'est toi, ma blonde,
C'est toi, ma maîtresse et ma soeur !
Et je sens, dans la nuit profonde,
De ta robe d'or qui m'inonde
Les rayons glisser dans mon coeur.

La muse

Poète, prends ton luth ; c'est moi, ton immortelle,
Qui t'ai vu cette nuit triste et silencieux,
Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle,
Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux.
Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire
Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ;
Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur terre,
Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur.
Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées,
Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ;
Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu,
Éveillons au hasard les échos de ta vie,
Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie,
Et que ce soit un rêve, et le premier venu.
Inventons quelque part des lieux où l'on oublie ;
Partons, nous sommes seuls, l'univers est à nous.
Voici la verte Écosse et la brune Italie,
Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,
Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes,
Et le front chevelu du Pélion changeant ;
Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent
Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer ?
D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ?
Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,
Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,
Secouait des lilas dans sa robe légère,
Et te contait tout bas les amours qu'il rêvait ?
Chanterons-nous l'espoir, la tristesse ou la joie ?
Tremperons-nous de sang les bataillons d'acier ?
Suspendrons-nous l'amant sur l'échelle de soie ?
Jetterons-nous au vent l'écume du coursier ?
Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre
De la maison céleste, allume nuit et jour
L'huile sainte de vie et d'éternel amour ?
Crierons-nous à Tarquin : " Il est temps, voici l'ombre ! "
Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ?
Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ?
Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ?
Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ?
La biche le regarde ; elle pleure et supplie ;
Sa bruyère l'attend ; ses faons sont nouveau-nés ;
Il se baisse, il l'égorge, il jette à la curée
Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant.
Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée,
S'en allant à la messe, un page la suivant,
Et d'un regard distrait, à côté de sa mère,
Sur sa lèvre entr'ouverte oubliant sa prière ?
Elle écoute en tremblant, dans l'écho du pilier,
Résonner l'éperon d'un hardi cavalier.
Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France
De monter tout armés aux créneaux de leurs tours,
Et de ressusciter la naïve romance
Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ?
Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ?
L'homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie,
Et ce qu'il a fauché du troupeau des humains
Avant que l'envoyé de la nuit éternelle
Vînt sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile,
Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ?
Clouerons-nous au poteau d'une satire altière
Le nom sept fois vendu d'un pâle pamphlétaire,
Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli,
S'en vient, tout grelottant d'envie et d'impuissance,
Sur le front du génie insulter l'espérance,
Et mordre le laurier que son souffle a sali ?
Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ;
Mon aile me soulève au souffle du printemps.
Le vent va m'emporter ; je vais quitter la terre.
Une larme de toi ! Dieu m'écoute ; il est temps.

Le poète

S'il ne te faut, ma soeur chérie,
Qu'un baiser d'une lèvre amie
Et qu'une larme de mes yeux,
Je te les donnerai sans peine ;
De nos amours qu'il te souvienne,
Si tu remontes dans les cieux.
Je ne chante ni l'espérance,
Ni la gloire, ni le bonheur,
Hélas ! pas même la souffrance.
La bouche garde le silence
Pour écouter parler le coeur.

La muse

Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau ?
Ô poète ! un baiser, c'est moi qui te le donne.
L'herbe que je voulais arracher de ce lieu,
C'est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du coeur :
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au **** s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L'Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son coeur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur,
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le coeur.
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.

Le poète

Ô Muse ! spectre insatiable,
Ne m'en demande pas si long.
L'homme n'écrit rien sur le sable
À l'heure où passe l'aquilon.
J'ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j'ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j'en pourrais dire,
Si je l'essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.
Le coucher d'un soleil de septembre ensanglante

La plaine morne et l'âpre arête des sierras

Et de la brume au **** l'installation lente.


Le Guadarrama pousse entre les sables ras

Son flot hâtif qui va réfléchissant par places

Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras.


Le grand vol anguleux des éperviers rapaces

Raye à l'ouest le ciel mat et rouge qui brunit,

Et leur cri rauque grince à travers les espaces.


Despotique, et dressant au-devant du zénith

L'entassement brutal de ses tours octogones,

L'Escurial étend son orgueil de granit.


Les murs carrés, percés de vitraux monotones,

Montent droits, blancs et nus, sans autres ornements

Que quelques grils sculptés qu'alternent des couronnes.


Avec des bruits pareils aux rudes hurlements

D'un ours que des bergers navrent de coups de pioches

Et dont l'écho redit les râles alarmants,


Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches,

Et puis s'évaporant en des murmures longs,

Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches.


Par les cours du palais, où l'ombre met ses plombs,

Circule - tortueux serpent hiératique -

Une procession de moines aux frocs blonds


Qui marchent un par un, suivant l'ordre ascétique,

Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main,

Ululent d'une voix formidable un cantique.


- Qui donc ici se meurt ? Pour qui sur le chemin

Cette paille épandue et ces croix long-voilées

Selon le rituel catholique romain ? -


La chambre est haute, vaste et sombre. Niellées,

Les portes d'acajou massif tournent sans bruit,

Leurs serrures étant, comme leurs gonds, huilées.


Une vague rougeur plus triste que la nuit

Filtre à rais indécis par les plis des tentures

À travers les vitraux où le couchant reluit,


Et fait papilloter sur les architectures,

À l'angle des objets, dans l'ombre du plafond,

Ce halo singulier qu'on voit dans les peintures.


Parmi le clair-obscur transparent et profond

S'agitent effarés des hommes et des femmes

À pas furtifs, ainsi que les hyènes font.


Riches, les vêtements des seigneurs et des dames,

Velours, panne, satin, soie, hermine et brocart,

Chantent l'ode du luxe en chatoyantes gammes,


Et, trouant par éclairs distancés avec art

L'opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre

Des gardes alignés scintillent de trois quart.


Un homme en robe noire, à visage de guivre,

Se penche, en caressant de la main ses fémurs,

Sur un lit, comme l'on se penche sur un livre.


Des rideaux de drap d'or roides comme des murs

Tombent d'un dais de bois d'ébène en droite ligne,

Dardant à temps égaux l'œil des diamants durs.


Dans le lit, un vieillard d'une maigreur insigne

Egrène un chapelet, qu'il baise par moment,

Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne.


Ses lèvres font ce sourd et long marmottement,

Dernier signe de vie et premier d'agonie,

- Et son haleine pue épouvantablement.


Dans sa barbe couleur d'amarante ternie,

Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux,

Sous son linge bordé de dentelle jaunie,


Avides, empressés, fourmillants, et jaloux

De pomper tout le sang malsain du mourant fauve

En bataillons serrés vont et viennent les poux.


C'est le Roi, ce mourant qu'assiste un mire chauve,

Le Roi Philippe Deux d'Espagne, - saluez ! -

Et l'aigle autrichien s'effare dans l'alcôve,


Et de grands écussons, aux murailles cloués,

Brillent, et maints drapeaux où l'oiseau noir s'étale

Pendent de çà de là, vaguement remués !...


- La porte s'ouvre. Un flot de lumière brutale

Jaillit soudain, déferle et bientôt s'établit

Par l'ampleur de la chambre en nappe horizontale ;


Porteurs de torches, roux, et que l'extase emplit,

Entrent dix capucins qui restent en prière :

Un d'entre eux se détache et marche droit au lit.


Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,

Et les élancements farouches de la Foi

Rayonnent à travers les cils de sa paupière ;


Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi,

Sonne sur les tapis, régulier, emphatique :

Les yeux baissés en terre, il marche droit au Roi.


Et tous sur son trajet dans un geste extatique

S'agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein,

Car il porte avec lui le sacré Viatique.


Du lit s'écarte avec respect le matassin,

Le médecin du corps, en pareille occurrence,

Devant céder la place, Âme, à ton médecin.


La figure du Roi, qu'étire la souffrance,

À l'approche du fray se rassérène un peu,

Tant la religion est grosse d'espérance !


Le moine cette fois ouvrant son œil de feu,

Tout brillant de pardons mêlés à des reproches,

S'arrête, messager des justices de Dieu.


- Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches.


Et la Confession commence. Sur le flanc

Se retournant, le Roi, d'un ton sourd, bas et grêle,

Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang.


- « Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle ?

Brûler des juifs, mais c'est une dilection !

Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle. » -


Et, se pétrifiant dans l'exaltation,

Le Révérend, les bras en croix, tête baissée,

Semble l'esprit sculpté de l'Inquisition.


Ayant repris haleine, et d'une voix cassée,

Péniblement, et comme arrachant par lambeaux

Un remords douloureux du fond de sa pensée,


Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux

Éclaire le visage osseux et le front blême,

Prononce ces mots : Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux.


- « Les Flamands, révoltés contre l'Église même,

Furent très justement punis, à votre los,

Et je m'étonne, ô Roi, de ce doute suprême.


« Poursuivez. » Et le Roi parla de don Carlos.

Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue

Palpitante et collée affreusement à l'os.


- « Vous déplorez cet acte, et moi je vous en loue !

L'Infant, certes, était coupable au dernier point,

Ayant voulu tirer l'Espagne dans la boue


De l'hérésie anglaise, et de plus n'ayant point

Frémi de conspirer - ô ruses abhorrées ! -

Et contre un Père, et contre un Maître, et contre un Oint ! »


Le moine ensuite dit les formules sacrées

Par quoi tous nos péchés nous sont remis, et puis,

Prenant l'Hostie avec ses deux mains timorées,


Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits

Se sont tus, et la Cour, pliant dans la détresse,

Pria, muette et pâle, et nul n'a su depuis


Si sa prière fut sincère ou bien traîtresse.

- Qui dira les pensers obscurs que protégea

Ce silence, brouillard complice qui se dresse ?


Ayant communié, le Roi se replongea

Dans l'ampleur des coussins, et la béatitude

De l'Absolution reçue ouvrant déjà


L'œil de son âme au jour clair de la certitude,

Épanouit ses traits en un sourire exquis

Qui tenait de la fièvre et de la quiétude.


Et tandis qu'alentour ducs, comtes et marquis,

Pleins d'angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine,

L'âme du Roi mourant montait aux cieux conquis,


Puis le râle des morts hurla dans la poitrine

De l'auguste malade avec des sursauts fous :

Tel l'ouragan passe à travers une ruine.


Et puis plus rien ; et puis, sortant par mille trous,

Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,

Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.


- Philippe Deux était à la droite du Père.
Mon rêve le plus cher et le plus caressé,

Le seul qui rit encore à mon cœur oppressé,

C'est de m'ensevelir au fond d'une chartreuse,

Dans une solitude inabordable, affreuse ;

****, bien ****, tout là-bas, dans quelque Sierra

Bien sauvage, où jamais voix d'homme ne vibra,

Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches,

Où n'arrive pas même un bruit lointain de cloches ;

Dans quelque Thébaïde, aux lieux les moins hantés,

Comme en cherchaient les saints pour leurs austérités ;

Sous la grotte où grondait le lion de Jérôme,

Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume

Et boire la rosée à ton calice ouvert,

Ô frêle et chaste fleur, qui crois dans le désert

Aux fentes du tombeau de l'Espérance morte !

De non cœur dépeuplé je fermerais la porte

Et j'y ferais la garde, afin qu'un souvenir

Du monde des vivants n'y pût pas revenir ;

J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ;

Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire

Qu'aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait,

Pour y dormir ma nuit j'en ferais un chevet ;

Car je sais maintenant que vaut cette fumée

Qu'au-dessus du néant pousse une renommée.

J'ai regardé de près et la science et l'art :

J'ai vu que ce n'était que mensonge et hasard ;

J'ai mis sur un plateau de toile d'araignée

L'amour qu'en mon chemin j'ai reçue et donnée :

Puis sur l'autre plateau deux grains du vermillon

Impalpable, qui teint l'aile du papillon,

Et j'ai trouvé l'amour léger dans la balance.

Donc, reçois dans tes bras, ô douce somnolence,

Vierge aux pâles couleurs, blanche sœur de la mort,

Un pauvre naufragé des tempêtes du sort !

Exauce un malheureux qui te prie et t'implore,

Egraine sur son front le pavot inodore,

Abrite-le d'un pan de ton grand manteau noir,

Et du doigt clos ses yeux qui ne veulent plus voir.

Vous, esprits du désert, cependant qu'il sommeille,

Faites taire les vents et bouchez son oreille,

Pour qu'il n'entende pas le retentissement

Du siècle qui s'écroule, et ce bourdonnement

Qu'en s'en allant au but où son destin la mène

Sur le chemin du temps fait la famille humaine !


Je suis las de la vie et ne veux pas mourir ;

Mes pieds ne peuvent plus ni marcher ni courir ;

J'ai les talons usés de battre cette route

Qui ramène toujours de la science au doute.

Assez, je me suis dit, voilà la question.


Va, pauvre rêveur, cherche une solution

Claire et satisfaisante à ton sombre problème,

Tandis qu'Ophélia te dit tout haut : Je t'aime ;

Mon beau prince danois marche les bras croisés,

Le front dans la poitrine et les sourcils froncés,

D'un pas lent et pensif arpente le théâtre,

Plus pâle que ne sont ces figures d'albâtre,

Pleurant pour les vivants sur les tombeaux des morts ;

Épuise ta vigueur en stériles efforts,

Et tu n'arriveras, comme a fait Ophélie,

Qu'à l'abrutissement ou bien à la folie.

C'est à ce degré-là que je suis arrivé.

Je sens ployer sous moi mon génie énervé ;

Je ne vis plus ; je suis une lampe sans flamme,

Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme.


Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr,

Si dans un coin du cœur il éclot un désir,

Lui couper sans pitié ses ailes de colombe,

Être comme est un mort, étendu sous la tombe,

Dans l'immobilité savourer lentement,

Comme un philtre endormeur, l'anéantissement :

Voilà quel est mon vœu, tant j'ai de lassitude,

D'avoir voulu gravir cette côte âpre et rude,

Brocken mystérieux, où des sommets nouveaux

Surgissent tout à coup sur de nouveaux plateaux,

Et qui ne laisse voir de ses plus hautes cimes

Que l'esprit du vertige errant sur les abîmes.


C'est pourquoi je m'assieds au revers du fossé,

Désabusé de tout, plus voûté, plus cassé

Que ces vieux mendiants que jusques à la porte

Le chien de la maison en grommelant escorte.

C'est pourquoi, fatigué d'errer et de gémir,

Comme un petit enfant, je demande à dormir ;

Je veux dans le néant renouveler mon être,

M'isoler de moi-même et ne plus me connaître ;

Et comme en un linceul, sans y laisser un seul pli,

Rester enveloppé dans mon manteau d'oubli.


J'aimerais que ce fût dans une roche creuse,

Au penchant d'une côte escarpée et pierreuse,

Comme dans les tableaux de Salvator Rosa,

Où le pied d'un vivant jamais ne se posa ;

Sous un ciel vert, zébré de grands nuages fauves,

Dans des terrains galeux clairsemés d'arbres chauves,

Avec un horizon sans couronne d'azur,

Bornant de tous côtés le regard comme un mur,

Et dans les roseaux secs près d'une eau noire et plate

Quelque maigre héron debout sur une patte.

Sur la caverne, un pin, ainsi qu'un spectre en deuil

Qui tend ses bras voilés au-dessus d'un cercueil,

Tendrait ses bras en pleurs, et du haut de la voûte

Un maigre filet d'eau suintant goutte à goutte,

Marquerait par sa chute aux sons intermittents

Le battement égal que fait le cœur du temps.

Comme la Niobé qui pleurait sur la roche,

Jusqu'à ce que le lierre autour de moi s'accroche,

Je demeurerais là les genoux au menton,

Plus ployé que jamais, sous l'angle d'un fronton,

Ces Atlas accroupis gonflant leurs nerfs de marbre ;

Mes pieds prendraient racine et je deviendrais arbre ;

Les faons auprès de moi tondraient le gazon ras,

Et les oiseaux de nuit percheraient sur mes bras.


C'est là ce qu'il me faut plutôt qu'un monastère ;

Un couvent est un port qui tient trop à la terre ;

Ma nef tire trop d'eau pour y pouvoir entrer

Sans en toucher le fond et sans s'y déchirer.

Dût sombrer le navire avec toute sa charge,

J'aime mieux errer seul sur l'eau profonde et large.

Aux barques de pêcheur l'anse à l'abri du vent,

Aux simples naufragés de l'âme, le couvent.

À moi la solitude effroyable et profonde,

Par dedans, par dehors !


Par dedans, par dehors ! Un couvent, c'est un monde ;

On y pense, on y rêve, on y prie, on y croit :

La mort n'est que le seuil d'une autre vie ; on voit

Passer au long du cloître une forme angélique ;

La cloche vous murmure un chant mélancolique ;

La Vierge vous sourit, le bel enfant Jésus

Vous tend ses petits bras de sa niche ; au-dessus

De vos fronts inclinés, comme un essaim d'abeilles,

Volent les Chérubins en légions vermeilles.

Vous êtes tout espoir, tout joie et tout amour,

À l'escalier du ciel vous montez chaque jour ;

L'extase vous remplit d'ineffables délices,

Et vos cœurs parfumés sont comme des calices ;

Vous marchez entourés de célestes rayons

Et vos pieds après vous laissent d'ardents sillons !


Ah ! grands voluptueux, sybarites du cloître,

Qui passez votre vie à voir s'ouvrir et croître

Dans le jardin fleuri de la mysticité,

Les pétales d'argent du lis de pureté,

Vrais libertins du ciel, dévots Sardanapales,

Vous, vieux moines chenus, et vous, novices pâles,

Foyers couverts de cendre, encensoirs ignorés,

Quel don Juan a jamais sous ses lambris dorés

Senti des voluptés comparables aux vôtres !

Auprès de vos plaisirs, quels plaisirs sont les nôtres !

Quel amant a jamais, à l'âge où l'œil reluit,

Dans tout l'enivrement de la première nuit,

Poussé plus de soupirs profonds et pleins de flamme,

Et baisé les pieds nus de la plus belle femme

Avec la même ardeur que vous les pieds de bois

Du cadavre insensible allongé sur la croix !

Quelle bouche fleurie et d'ambroisie humide,

Vaudrait la bouche ouverte à son côté livide !

Notre vin est grossier ; pour vous, au lieu de vin,

Dans un calice d'or perle le sang divin ;

Nous usons notre lèvre au seuil des courtisanes,

Vous autres, vous aimez des saintes diaphanes,

Qui se parent pour vous des couleurs des vitraux

Et sur vos fronts tondus, au détour des arceaux,

Laissent flotter le bout de leurs robes de gaze :

Nous n'avons que l'ivresse et vous avez l'extase.

Nous, nos contentements dureront peu de jours,

Les vôtres, bien plus vifs, doivent durer toujours.

Calculateurs prudents, pour l'abandon d'une heure,

Sur une terre où nul plus d'un jour ne demeure,

Vous achetez le ciel avec l'éternité.

Malgré ta règle étroite et ton austérité,

Maigre et jaune Rancé, tes moines taciturnes

S'entrouvrent à l'amour comme des fleurs nocturnes,

Une tête de mort grimaçante pour nous

Sourit à leur chevet du rire le plus doux ;

Ils creusent chaque jour leur fosse au cimetière,

Ils jeûnent et n'ont pas d'autre lit qu'une bière,

Mais ils sentent vibrer sous leur suaire blanc,

Dans des transports divins, un cœur chaste et brûlant ;

Ils se baignent aux flots de l'océan de joie,

Et sous la volupté leur âme tremble et ploie,

Comme fait une fleur sous une goutte d'eau,

Ils sont dignes d'envie et leur sort est très-beau ;

Mais ils sont peu nombreux dans ce siècle incrédule

Creux qui font de leur âme une lampe qui brûle,

Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ,

Croire que tout s'est fait comme il était écrit.

Il en est qui n'ont pas le don des saintes larmes,

Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ;

Il est des malheureux qui ne peuvent prier

Et dont la voix s'éteint quand ils veulent crier ;

Tous ne se baignent pas dans la pure piscine

Et n'ont pas même part à la table divine :

Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas,

Si je n'ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas.


Aussi je me choisis un antre pour retraite

Dans une région détournée et secrète

D'où l'on n'entende pas le rire des heureux

Ni le chant printanier des oiseaux amoureux,

L'antre d'un loup crevé de faim ou de vieillesse,

Car tout son m'importune et tout rayon me blesse,

Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît,

Et je hais l'homme autant et plus que ne le hait

Le buffle à qui l'on vient de percer la narine.

De tous les sentiments croulés dans la ruine,

Du temple de mon âme, il ne reste debout

Que deux piliers d'airain, la haine et le dégoût.

Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ;

Ma tête de cheveux n'est pas découronnée ;

À peine vingt épis sont tombés du faisceau :

Je puis derrière moi voir encore mon berceau.

Mais les soucis amers de leurs griffes arides

M'ont fouillé dans le front d'assez profondes rides

Pour en faire une fosse à chaque illusion.

Ainsi me voilà donc sans foi ni passion,

Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre,

Et dès le premier mot sachant la fin du livre.

Car c'est ainsi que sont les jeunes d'aujourd'hui :

Leurs mères les ont faits dans un moment d'ennui.

Et qui les voit auprès des blancs sexagénaires

Plutôt que les enfants les estime les pères ;

Ils sont venus au monde avec des cheveux gris ;

Comme ces arbrisseaux frêles et rabougris

Qui, dès le mois de mai, sont pleins de feuilles mortes,

Ils s'effeuillent au vent, et vont devant leurs portes

Se chauffer au soleil à côté de l'aïeul,

Et du jeune et du vieux, à coup sûr, le plus seul,

Le moins accompagné sur la route du monde,

Hélas ! C'est le jeune homme à tête brune ou blonde

Et non pas le vieillard sur qui l'âge a neigé ;

Celui dont le navire est le plus allégé

D'espérance et d'amour, lest divin dont on jette

Quelque chose à la mer chaque jour de tempête,

Ce n'est pas le vieillard, dont le triste vaisseau

Va bientôt échouer à l'écueil du tombeau.

L'univers décrépit devient paralytique,

La nature se meurt, et le spectre critique

Cherche en vain sous le ciel quelque chose à nier.

Qu'attends-tu donc, clairon du jugement dernier ?

Dis-moi, qu'attends-tu donc, archange à bouche ronde

Qui dois sonner là-haut la fanfare du monde ?

Toi, sablier du temps, que Dieu tient dans sa main,

Quand donc laisseras-tu tomber ton dernier grain ?
Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l'atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu.

L'âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. - C'est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse.

Les meubles ont des formes allongées, prostrées, alanguies. Les meubles ont l'air de rêver ; on les dirait doués d'une vie somnambulique, comme le végétal et le minéral. Les étoffes parlent une langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils couchants.

Sur les murs nulle abomination artistique. Relativement au rêve pur, à l'impression non analysée, l'art défini, l'art positif est un blasphème. Ici, tout a la suffisante clarté et la délicieuse obscurité de l'harmonie.

Une senteur infinitésimale du choix le plus exquis, à laquelle se mêle une très-légère humidité, nage dans cette atmosphère, où l'esprit sommeillant est bercé par des sensations de serre-chaude.

La mousseline pleut abondamment devant les fenêtres et devant le lit ; elle s'épanche en cascades neigeuses. Sur ce lit est couchée l'Idole, la souveraine des rêves. Mais comment est-elle ici ? Qui l'a amenée ? quel pouvoir magique l'a installée sur ce trône de rêverie et de volupté ? Qu'importe ? la voilà ! je la reconnais.

Voilà bien ces yeux dont la flamme traverse le crépuscule ; ces subtiles et terribles mirettes, que je reconnais à leur effrayante malice ! Elles attirent, elles subjuguent, elles dévorent le regard de l'imprudent qui les contemple. Je les ai souvent étudiées, ces étoiles noires qui commandent la curiosité et l'admiration.

À quel démon bienveillant dois-je d'être ainsi entouré de mystère, de silence, de paix et de parfums ? Ô béatitude ! ce que nous nommons généralement la vie, même dans son expansion la plus heureuse, n'a rien de commun avec cette vie suprême dont j'ai maintenant connaissance et que je savoure minute par minute, seconde par seconde !

Non ! il n'est plus de minutes, il n'est plus de secondes ! Le temps a disparu ; c'est l'Éternité qui règne, une éternité de délices !

Mais un coup terrible, lourd, a retenti à la porte, et, comme dans les rêves infernaux, il m'a semblé que je recevais un coup de pioche dans l'estomac.

Et puis un Spectre est entré. C'est un huissier qui vient me torturer au nom de la loi ; une infâme concubine qui vient crier misère et ajouter les trivialités de sa vie aux douleurs de la mienne ; ou bien le saute-ruisseau d'un directeur de journal qui réclame la suite du manuscrit.La chambre paradisiaque, l'idole, la souveraine des rêves, la Sylphide, comme disait le grand René, toute cette magie a disparu au coup brutal frappé par le Spectre.

Horreur ! je me souviens ! je me souviens ! Oui ! ce taudis, ce séjour de l'éternel ennui, est bien le mien. Voici les meubles sots, poudreux, écornés ; la cheminée sans flamme et sans braise, souillée de crachats ; les tristes fenêtres où la pluie a tracé des sillons dans la poussière ; les manuscrits, raturés ou incomplets ; l'almanach où le crayon a marqué les dates sinistres !

Et ce parfum d'un autre monde, dont je m'enivrais avec une sensibilité perfectionnée, hélas ! il est remplacé par une fétide odeur de tabac mêlée à je ne sais quelle nauséabonde moisissure. On respire ici maintenant le ranci de la désolation.

Dans ce monde étroit, mais si plein de dégoût, un seul objet connu me sourit : la fiole de laudanum ; une vieille et terrible amie ; comme toutes les amies, hélas ! féconde en caresses et en traîtrises.

Oh ! oui ! Le Temps a reparu ; Le Temps règne en souverain maintenant ; et avec le hideux vieillard est revenu tout son démoniaque cortége de Souvenirs, de Regrets, de Spasmes, de Peurs, d'Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses.

Je vous assure que les secondes maintenant sont fortement et solennellement accentuées, et chacune, en jaillissant de la pendule, dit : - « Je suis la Vie, l'insupportable, l'implacable Vie ! »

Il n'y a qu'une Seconde dans la vie humaine qui ait mission d'annoncer une bonne nouvelle, la bonne nouvelle qui cause à chacun une inexplicable peur.

Oui ! le Temps règne ; il a repris sa brutale dictature. Et il me pousse, comme si j'étais un bœuf, avec son double aiguillon. - « Et hue donc ! bourrique ! Sue donc, esclave ! Vis donc, damné ! »
Ils vont sans trêve ; ils vont sous le ciel bas et sombre,
Les Fugitifs, chassés des anciens paradis ;
Et toute la tribu, depuis des jours sans nombre,
Dans leur sillon fatal traîne ses pieds roidis.

Ils vont, les derniers-nés des races primitives,
Les derniers dont les yeux, sur les divins sommets,
Dans les herbes en fleur ont vu fuir les Eaux vives
Et grandir un Soleil, oublié désormais.

Tout est mort et flétri sur les plateaux sublimes
Où l'aurore du monde a lui pour leurs aïeux ;
Et voici que les fils, à l'étroit sur les cimes,
Vers l'Occident nocturne ont cherché d'autres cieux.

Ils ont fui. Le vent souffle et pousse dans l'espace
La neige inépuisable en tourbillons gonflés ;
Un hiver éternel suspend, en blocs de glace,
De rigides torrents aux flancs des monts gelés.

Des amas de rochers, blancs d'une lourde écume,
Témoins rugueux d'un monde informe et surhumain.
Visqueux, lavés de pluie et noyés dans la brume,
De leurs blocs convulsés ferment l'âpre chemin.

Des forêts d'arbres morts, tordus par les tempêtes,
S'étendent ; et le cri des voraces oiseaux,
Près de grands lacs boueux, répond au cri des bêtes
Qui râlent en glissant sur l'épaisseur des eaux.

Mais l'immense tribu, par les sentiers plus rudes,
Par les ravins fangeux où s'engouffre le vent,
Comme un troupeau perdu, s'enfonce aux solitudes,
Sans hâte, sans relâche et toujours plus avant.

En tête, interrogeant l'ombre de leurs yeux ternes,
Marchent les durs chasseurs, les géants et les forts,
Plus monstrueux que l'ours qu'au seuil de leurs cavernes
Ils étouffaient naguère en luttant corps à corps.

Leurs longs cheveux, pareils aux lianes farouches,
En lanières tombaient de leurs crânes étroits,
Tandis qu'en se figeant l'haleine de leurs bouchés
Hérissait de glaçons leurs barbes aux poils droits.

Les uns, ceints de roseaux tressés ou d'herbes sèches,
Aux rafales de grêle offraient leurs larges flancs ;
D'autres, autour du col attachant des peaux fraîches,
D'un manteau ******* couvraient leurs reins sanglants.

Et les femmes marchaient, lentes, mornes, livides,
Haletant et pliant sous les doubles fardeaux
Des blêmes nourrissons pendus à leurs seins vides
Et des petits enfants attachés sur leur dos.

En arrière, portés sur des branches unies,
De grands vieillards muets songeaient aux jours lointains
Et, soulevant parfois leurs paupières ternies,
Vers l'horizon perdu tournaient des yeux éteints.

Ils allaient. Mais soudain, quand la nuit dans, l'espace
Roulait, avec la peur, l'obscurité sans fin,
La tribu tout entière, épuisée et trop lasse,
Multipliait le cri terrible de sa faim.

Les chasseurs ont hier suivi des pistes fausses ;
Le renne prisonnier a rompu ses liens ;
L'ours défiant n'a pas trébuché dans les fosses ;
Le cerf n'est pas tombé sous les crocs blancs des chiens.

Le sol ne livre plus ni germes ni racines,
Le poisson se dérobe aux marais submergés ;
Rien, ni les acres fruits ni le flux des résines,
Ni la moelle épaisse au creux des os rongés.

Et voici qu'appuyés sur des haches de pierre,
Les mâles, dans l'horreur d'un songe inassouvi,
Ont compté tous les morts dont la chair nourricière
Fut le festin des loups, sur le chemin suivi.

Voici la proie humaine, offerte à leur délire,
Vieillards, femmes, enfants, les faibles, autour d'eux
Vautrés dans leur sommeil stupide, sans voir luire
Les yeux des carnassiers en un cercle hideux.

Les haches ont volé. Devant les corps inertes,
Dans la pourpre qui bout et coule en noirs ruisseaux,
Les meurtriers, fouillant les poitrines ouvertes,
Mangent les cœurs tout vifs, arrachés par morceaux.

Et tous, repus, souillés d'un sang qui fume encore,
Parmi les os blanchis épars sur le sol nu,
Aux blafardes lueurs de la nouvelle aurore,
Marchent, silencieux, vers le but inconnu.

Telle, de siècle en siècle incessamment errante,
Sur la neige durcie et le désert glacé
Ne laissant même pas sa trace indifférente,
La tribu, sans espoir et sans rêve, a passé.

Tels, les Fils de l'Exil, suivant le bord des fleuves
Dont les vallons emplis traçaient le large cours,
Sauvages conquérants des solitudes neuves,
Ont avancé, souffert et pullulé toujours ;

Jusqu'à l'heure où, du sein des vapeurs méphitiques,
Dont le rideau flottant se déchira soudain,
Une terre, pareille aux demeures antiques,
A leurs yeux éblouis fleurit comme un jardin.

Devant eux s'étalait calme, immense et superbe,
Comme un tapis changeant au pied des monts jeté,
Un pays, vierge encore, où, mugissant dans l'herbe,
Des vaches au poil blanc paissaient en liberté.

Et sous les palmiers verts, parmi les fleurs nouvelles,
Les étalons puissants, les cerfs aux pieds légers
Et les troupeaux épars des fuyantes gazelles
Écoutaient sans effroi les pas des étrangers.

C'était là. Le Destin, dans l'aube qui se lève,
Au terme de l'Exil ressuscitait pour eux,
Comme un réveil tardif après un sombre rêve,
Le vivant souvenir des siècles bienheureux.

La Vie a rejailli de la source féconde,
Et toute soif s'abreuve à son flot fortuné,
Et le désert se peuple et toute chair abonde,
Et l'homme pacifique est comme un nouveau-né.

Il revoit le Soleil, l'immortelle Lumière,
Et le ciel où, témoins des clémentes saisons,
Des astres reconnus, à l'heure coutumière,
Montent, comme autrefois, sur les vieux horizons.

Et plus ****, par delà le sable monotone,
Il voit irradier, comme un profond miroir,
L'étincelante mer dont l'infini frissonne
Quand le Soleil descend dans la rougeur du soir.

Et le Ciel sans limite et la Nature immense,
Les eaux, les bois, les monts, tout s'anime à ses yeux.
Moins aveugle et moins sourd, un univers commence
Où son cœur inquiet sent palpiter des Dieux.

Ils naissent du chaos où s'ébauchaient leurs formes,
Multiples et sans noms, l'un par l'autre engendrés ;
Et le reflet sanglant de leurs ombres énormes
D'une terreur barbare emplit les temps sacrés.

Ils parlent dans l'orage ; ils pleurent dans l'averse.
Leur bras libérateur darde et brandit l'éclair,
Comme un glaive strident qui poursuit et transperce
Les monstres nuageux accumulés dans l'air.

Sur l'abîme éternel des eaux primordiales
Nagent des Dieux prudents, tels que de grands poissons ;
D'infaillibles Esprits peuplent les nuits astrales ;
Des serpents inspirés sifflent dans les buissons.

Puis, lorsque surgissant comme un roi, dans l'aurore,
Le Soleil triomphal brille au firmament bleu,
L'homme, les bras tendus, chante, contemple, adore
La Majesté suprême et le plus ancien Dieu ;

Celui qui féconda la Vie universelle,
L'ancêtre vénéré du jour propice et pur,
Le guerrier lumineux dont le disque étincelle
Comme un bouclier d'or suspendu dans l'azur ;

Et celui qui parfois, formidable et néfaste,
Immobile au ciel fauve et morne de l'Été,
Flétrit, dévore, embrase, et du désert plus vaste
Fait, jusqu'aux profondeurs, flamber l'immensité.

Mais quand l'homme, éveillant l'éternelle Nature,
Ses formes, ses couleurs, ses clartés et ses voix,
Fut seul devant les Dieux, fils de son âme obscure,
Il tressaillit d'angoisse et supplia ses Rois.

Alors, ô Souverains ! les taureaux et les chèvres
D'un sang expiatoire ont inondé le sol ;
Et l'hymne évocateur, en s'échappant des lèvres,
Comme un aiglon divin tenta son premier vol.

Idoles de granit, simulacres de pierre,
Bétyles, Pieux sacrés, Astres du ciel serein,
Vers vous, avec l'offrande, a monté la prière,
Et la graisse a fumé sur les autels d'airain.

Les siècles ont passé ; les races successives
Ont bâti des palais, des tours et des cités
Et des temples jaloux, dont les parois massives
Aux profanes regards cachaient les Dieux sculptés.

Triomphants tour à tour ou livrés aux insultes,
Voluptueux, cruels, terribles ou savants,
Tels, vous avez versé pour jamais, ô vieux cultes !
L'ivresse du Mystère aux âmes des vivants.

Tels vous traînez encore, au fond de l'ombre ingrate,
Vos cortèges sacrés, lamentables et vains,
Du vieux Nil à la mer et du Gange à l'Euphrate,
Ô spectres innommés des ancêtres divins !

Et dans le vague abîme où gît le monde antique,
Luit, comme un astre mort, au ciel religieux,
La sombre majesté de l'Orient mystique,
Berceau des nations et sépulcre des Dieux.
I.

DAVID ! comme un grand roi qui partage à des princes
Les états paternels provinces par provinces,
Dieu donne à chaque artiste un empire divers ;
Au poète le souffle épars dans l'univers,
La vie et la pensée et les foudres tonnantes,
Et le splendide essaim des strophes frissonnantes
Volant de l'homme à l'ange et du monstre à la fleur ;
La forme au statuaire ; au peintre la couleur ;
Au doux musicien, rêveur limpide et sombre,
Le monde obscur des sons qui murmure dans l'ombre.

La forme au statuaire ! - Oui, mais, tu le sais bien,
La forme, ô grand sculpteur, c'est tout et ce n'est rien.
Ce n'est rien sans l'esprit, c'est tout avec l'idée !
Il faut que, sous le ciel, de soleil inondée,
Debout sous les flambeaux d'un grand temple doré,
Ou seule avec la nuit dans un antre sacré,
Au fond des bois dormants comme au seuil d'un théâtre,
La figure de pierre, ou de cuivre, ou d'albâtre,
Porte divinement sur son front calme et fier
La beauté, ce rayon, la gloire, cet éclair !
Il faut qu'un souffle ardent lui gonfle la narine,
Que la force puissante emplisse sa poitrine,
Que la grâce en riant ait arrondi ses doigts,
Que sa bouche muette ait pourtant une voix !
Il faut qu'elle soit grave et pour les mains glacée,
Mais pour les yeux vivante, et, devant la pensée,
Devant le pur regard de l'âme et du ciel bleu,
Nue avec majesté comme Adam devant Dieu !
Il faut que, Vénus chaste, elle sorte de l'onde,
Semant au **** la vie et l'amour sur le monde,
Et faisant autour d'elle, en son superbe essor,
Partout où s'éparpille et tombe en gouttes d'or,
L'eau de ses longs cheveux, humide et sacré voile,
De toute herbe une fleur, de tout œil une étoile !
Il faut, si l'art chrétien anime le sculpteur,
Qu'avec le même charme elle ait plus de hauteur ;
Qu'Âme ailée, elle rie et de Satan se joue ;
Que, Martyre, elle chante à côté de la roue ;
Ou que, Vierge divine, astre du gouffre amer,
Son regard soit si doux qu'il apaise la mer !

II.

Voilà ce que tu sais, ô noble statuaire !
Toi qui dans l'art profond, comme en un sanctuaire,
Entras bien jeune encor pour n'en sortir jamais !
Esprit, qui, te posant sur les plus purs sommets
Pour créer ta grande œuvre, où sont tant d'harmonies,
Près de la flamme au front de tous les fiers génies !
Voilà ce que tu sais, toi qui sens, toi qui vois !
Maître sévère et doux qu'éclairent à la fois,
Comme un double rayon qui jette un jour étrange,
Le jeune Raphaël et le vieux Michel-Ange !
Et tu sais bien aussi quel souffle inspirateur
Parfois, comme un vent sombre, emporte le sculpteur,
Âme dans Isaïe et Phidias trempée,
De l'ode étroite et haute à l'immense épopée !

III.

Les grands hommes, héros ou penseurs, - demi-dieux ! -  
Tour à tour sur le peuple ont passé radieux,
Les uns armés d'un glaive et les autres d'un livre,
Ceux-ci montrant du doigt la route qu'il faut suivre,
Ceux-là forçant la cause à sortir de l'effet ;
L'artiste ayant un rêve et le savant un fait ;
L'un a trouvé l'aimant, la presse, la boussole,
L'autre un monde où l'on va, l'autre un vers qui console ;
Ce roi, juste et profond, pour l'aider en chemin,
A pris la liberté franchement par la main ;
Ces tribuns ont forgé des freins aux républiques ;
Ce prêtre, fondateur d'hospices angéliques,
Sous son toit, que réchauffe une haleine de Dieu,
A pris l'enfant sans mère et le vieillard sans feu,
Ce mage, dont l'esprit réfléchit les étoiles,
D'Isis l'un après l'autre a levé tous les voiles ;
Ce juge, abolissant l'infâme tombereau,
A raturé le code à l'endroit du bourreau ;
Ensemençant malgré les clameurs insensées,
D'écoles les hameaux et les cœurs de pensées,
Pour nous rendre meilleurs ce vrai sage est venu ;
En de graves instant cet autre a contenu,
Sous ses puissantes mains à la foule imposées,
Le peuple, grand faiseur de couronnes brisées ;
D'autres ont traversé sur un pont chancelant,
Sur la mine qu'un fort recelait en son flanc,
Sur la brèche par où s'écroule une muraille,
Un horrible ouragan de flamme et de mitraille ;
Dans un siècle de haine, âge impie et moqueur,
Ceux-là, poètes saints, ont fait entendre en chœur,
Aux sombres nations que la discorde pousse,
Des champs et des forêts la voix auguste et douce
Car l'hymne universel éteint les passions ;
Car c'est surtout aux jours des révolutions,
Morne et brûlant désert où l'homme s'aventure,
Que l'art se désaltère à ta source, ô nature !
Tous ces hommes, cœurs purs, esprits de vérité,
Fronts où se résuma toute l'humanité,
Rêveurs ou rayonnants, sont debout dans l'histoire,
Et tous ont leur martyre auprès de leur victoire.
La vertu, c'est un livre austère et triomphant
Où tout père doit faire épeler son enfant ;
Chaque homme illustre, ayant quelque divine empreinte,
De ce grand alphabet est une lettre sainte.
Sous leurs pieds sont groupés leurs symboles sacrés,
Astres, lyres, compas, lions démesurés,
Aigles à l'œil de flamme, aux vastes envergures.
- Le sculpteur ébloui contemple ces figures ! -
Il songe à la patrie, aux tombeaux solennels,
Aux cités à remplir d'exemples éternels ;
Et voici que déjà, vision magnifique !
Mollement éclairés d'un reflet pacifique,
Grandissant hors du sol de moment en moment,
De vagues bas-reliefs chargés confusément,
Au fond de son esprit, que la pensée encombre,
Les énormes frontons apparaissent dans l'ombre !

IV.

N'est-ce pas ? c'est ainsi qu'en ton cerveau, sans bruit,
L'édifice s'ébauche et l'œuvre se construit ?
C'est là ce qui se passe en ta grande âme émue
Quand tout un panthéon ténébreux s'y remue ?
C'est ainsi, n'est-ce pas, ô maître ! que s'unit
L'homme à l'architecture et l'idée au granit ?
Oh ! qu'en ces instants-là ta fonction est haute !
Au seuil de ton fronton tu reçois comme un hôte
Ces hommes plus qu'humains. Sur un bloc de Paros
Tu t'assieds face à face avec tous ces héros
Et là, devant tes yeux qui jamais ne défaillent,
Ces ombres, qui seront bronze et marbre, tressaillent.
L'avenir est à toi, ce but de tous leurs vœux,
Et tu peux le donner, ô maître, à qui tu veux !
Toi, répandant sur tous ton équité complète,
Prêtre autant que sculpteur, juge autant que poète,
Accueillant celui-ci, rejetant celui-là,
Louant Napoléon, gourmandant Attila,
Parfois grandissant l'un par le contact de l'autre,
Dérangeant le guerrier pour mieux placer l'apôtre,
Tu fais des dieux ! - tu dis, abaissant ta hauteur,
Au pauvre vieux soldat, à l'humble vieux pasteur :
- Entrez ! je vous connais. Vos couronnes sont prêtes.
Et tu dis à des rois : - Je ne sais qui vous êtes.

V.

Car il ne suffit point d'avoir été des rois,
D'avoir porté le sceptre, et le globe, et la croix,
Pour que le fier poète et l'altier statuaire
Étoilent dans sa nuit votre drap mortuaire,
Et des hauts panthéons vous ouvrent les chemins !

C'est vous-mêmes, ô rois, qui de vos propres mains  
Bâtissez sur vos noms ou la gloire ou la honte !
Ce que nous avons fait tôt ou **** nous raconte.
On peut vaincre le monde, avoir un peuple, agir
Sur un siècle, guérir sa plaie ou l'élargir, -
Lorsque vos missions seront enfin remplies,
Des choses qu'ici-bas vous aurez accomplies
Une voix sortira, voix de haine ou d'amour,
Sombre comme le bruit du verrou dans la tour,
Ou douce comme un chant dans le nid des colombes,
Qui fera remuer la pierre de vos tombes.
Cette voix, l'avenir, grave et fatal témoin,
Est d'avance penché qui l'écoute de ****.
Et là, point de caresse et point de flatterie,
Point de bouche à mentir façonnée et nourrie,
Pas d'hosanna payé, pas d'écho complaisant
Changeant la plainte amère en cri reconnaissant.
Non, les vices hideux, les trahisons, les crimes,
Comme les dévouements et les vertus sublimes,
Portent un témoignage intègre et souverain.
Les actions qu'on fait ont des lèvres d'airain.

VI.

Que sur ton atelier, maître, un rayon demeure !
Là, dans le silence, l'art, l'étude oubliant l'heure,
Dans l'ombre les essais que tu répudias,
D'un côté Jean Goujon, de l'autre Phidias,
Des pierres, de pensée à demi revêtues,
Un tumulte muet d'immobiles statues,
Les bustes méditant dans les coins assombris,
Je ne sais quelle paix qui tombe des labris,
Tout est grand, tout est beau, tout charme et tout domine.
Toi qu'à l'intérieur l'art divin illumine,
Tu regardes passer, grave et sans dire un mot,
Dans ton âme tranquille où le jour vient d'en haut,
Tous les nobles aspects de la figure humaine.
Comme dans une église à pas lents se promène
Un grand peuple pensif auquel un dieu sourit,
Ces fantômes sereins marchent dans ton esprit.
Ils errent à travers tes rêves poétiques
Faits d'ombres et de lueurs et de vagues portiques,
Parfois palais vermeil, parfois tombeau dormant,
Secrète architecture, immense entassement
Qui, jetant des rumeurs joyeuses et plaintives,
De ta grande pensée emplit les perspectives,
Car l'antique Babel n'est pas morte, et revit
Sous les front des songeurs. Dans ta tête, ô David !
La spirale se tord, le pilier se projette ;
Et dans l'obscurité de ton cerveau végète
La profonde forêt, qu'on ne voit point ailleurs,
Des chapiteaux touffus pleins d'oiseaux et de fleurs !

VII.

Maintenant, - toi qui vas hors des routes tracées,  
Ô pétrisseur de bronze, ô mouleur de pensées,
Considère combien les hommes sont petits,
Et maintiens-toi superbe au-dessus des partis !
Garde la dignité de ton ciseau sublime.
Ne laisse pas toucher ton marbre par la lime
Des sombres passions qui rongent tant d'esprits.
Michel-Ange avait Rome et David a Paris.
Donne donc à ta ville, ami, ce grand exemple
Que, si les marchands vils n'entrent pas dans le temple,
Les fureurs des tribuns et leur songe abhorré
N'entrent pas dans le cœur de l'artiste sacré.
Refuse aux cours ton art, donne aux peuples tes veilles,
C'est bien, ô mon sculpteur ! mais **** de tes oreilles
Chasse ceux qui s'en vont flattant les carrefours.
Toi, dans ton atelier, tu dois rêver toujours,
Et, de tout vice humain écrasant la couleuvre,
Toi-même par degrés t'éblouir de ton œuvre !
Ce que ces hommes-là font dans l'ombre ou défont
Ne vaut pas ton regard levé vers le plafond
Cherchant la beauté pure et le grand et le juste.
Leur mission est basse et la tienne est auguste.
Et qui donc oserait mêler un seul moment
Aux mêmes visions, au même aveuglement,
Aux mêmes vœux haineux, insensés ou féroces,
Eux, esclaves des nains, toi, père des colosses !

Avril 1840.
À Victor Hugo.

I

Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L'immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel) ;

Je ne vois qu'en esprit, tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.

Là s'étalait jadis une ménagerie ;
Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieux
Froids et clairs le travail s'éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,

Un cygne qui s'était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal :
" Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? "
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,

Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Comme s'il adressait des reproches à Dieu !

II

Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m'opprime :
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exilés, ridicule et sublime,
Et rongé d'un, désir sans trêve ! et puis à vous,

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d'un tombeau vide en extase courbée ;
Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus !

Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard ;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais ! à ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et tètent la douleur comme une bonne louve !
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !

Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor !
Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !
Sergio MP May 2015
I hereby sing to Winter, to Death and to Fall,
to listen to the plea that rips through my throat:
to descend upon this bed, far from your own;
pour qu'ils arrachent vite de ma poitrine ta fleur
qui pousse depuis le coeur, mon corps traversé
par ses épines faites d'espoir, à force des larmes aiguisés.

I hereby sing to Silence, to Quiet and to Calm,
to please come and deaden the voices that call
with words so complicated, I cannot comprehend
qui poussaient de ta langue, bouche que moi j'ose désirer;
des phrases qui m'ont promis pouvoir la mer traverser,
des chants qui sortent de ****, des lèvres étrangers.

I hereby sing to Sleep, to Dreams and to Dark
to come to my rescue and let my lids abide;
that Morpheus he may take me by his hand to your side;
et même si ce n'est qu'Iris qui touche mes mains,
elle connaît tes seins, tes yeux, ton bassin,
et en mes rêves me laisse un cher gout à toi.
Adieu, puisqu'il le faut ; adieu, belle nuit blanche,

Nuit d'argent, plus sereine et plus douce qu'un jour !

Ton page noir est là, qui, le poing sur la hanche,

Tient ton cheval en bride et t'attend dans la cour.


Aurora, dans le ciel que brunissaient tes voiles,

Entrouvre ses rideaux avec ses doigts rosés ;

O nuit, sous ton manteau tout parsemé d'étoiles,

Cache tes bras de nacre au vent froid exposés.


Le bal s'en va finir. Renouez, heures brunes,

Sur vos fronts parfumés vos longs cheveux de jais,

N'entendez-vous pas l'aube aux rumeurs importunes,

Qui halète à la porte et souffle son air frais.


Le bal est enterré. Cavaliers et danseuses,

Sur la tombe du bal, jetez à pleines mains

Vos colliers défilés, vos parures soyeuses,

Vos dahlias flétris et vos pâles jasmins.


Maintenant c'est le jour. La veille après le rêve ;

La prose après les vers : c'est le vide et l'ennui ;

C'est une bulle encore qui dans les mains nous crève,

C'est le plus triste jour de tous ; c'est aujourd'hui.


Ô Temps ! Que nous voulons tuer et qui nous tues,

Vieux porte-faux, pourquoi vas-tu traînant le pied,

D'un pas lourd et boiteux, comme vont les tortues,

Quand sur nos fronts blêmis le spleen anglais s'assied.


Et lorsque le bonheur nous chante sa fanfare,

Vieillard malicieux, dis-moi, pourquoi cours-tu

Comme devant les chiens court un cerf qui s'effare,

Comme un cheval que fouille un éperon pointu ?


Hier, j'étais heureux. J'étais. Mot doux et triste !

Le bonheur est l'éclair qui fuit sans revenir.

Hélas ! Et pour ne pas oublier qu'il existe,

Il le faut embaumer avec le souvenir.


J'étais. Je ne suis plus. Toute la vie humaine

Résumée en deux mots, de l'onde et puis du vent.

Mon Dieu ! N'est-il donc pas de chemin qui ramène

Au bonheur d'autrefois regretté si souvent.


Derrière nous le sol se crevasse et s'effondre.

Nul ne peut retourner. Comme un maigre troupeau

Que l'on mène au boucher, ne pouvant plus le tondre,

La vieille Mob nous pousse à grand train au tombeau.


Certes, en mes jeunes ans, plus d'un bal doit éclore,

Plein d'or et de flambeaux, de parfums et de bruit,

Et mon cœur effeuillé peut refleurir encore ;

Mais ce ne sera pas mon bal de l'autre nuit.


Car j'étais avec toi. Tous deux seuls dans la foule,

Nous faisant dans notre âme une chaste Oasis,

Et, comme deux enfants au bord d'une eau qui coule,

Voyant onder le bal, l'un contre l'autre assis.


Je ne pouvais savoir, sous le satin du masque,

De quelle passion ta figure vivait,

Et ma pensée, au vol amoureux et fantasque,

Réalisait, en toi, tout ce qu'elle rêvait.


Je nuançais ton front des pâleurs de l'agate,

Je posais sur ta bouche un sourire charmant,

Et sur ta joue en fleur, la pourpre délicate

Qu'en s'envolant au ciel laisse un baiser d'amant.


Et peut-être qu'au fond de ta noire prunelle,

Une larme brillait au lieu d'éclair joyeux,

Et, comme sous la terre une onde qui ruisselle,

S'écoulait sous le masque invisible à mes yeux.


Peut-être que l'ennui tordait ta lèvre aride,

Et que chaque baiser avait mis sur ta peau,

Au lieu de marque rose, une tache livide

Comme on en voit aux corps qui sont dans le tombeau.


Car si la face humaine est difficile à lire,

Si déjà le front nu ment à la passion,

Qu'est-ce donc, quand le masque est double ? Comment dire

Si vraiment la pensée est sœur de l'action ?


Et cependant, malgré cette pensée amère,

Tu m'as laissé, cher bal, un souvenir charmant ;

Jamais rêve d'été, jamais blonde chimère,

Ne m'ont entre leurs bras bercé plus mollement.


Je crois entendre encore tes rumeurs étouffées,

Et voir devant mes yeux, sous ta blanche lueur,

Comme au sortir du bain, les péris et les fées,

Luire des seins d'argent et des cols en sueur.


Et je sens sur ma bouche une amoureuse haleine,

Passer et repasser comme une aile d'oiseau,

Plus suave en odeur que n'est la marjolaine

Ou le muguet des bois, au temps du renouveau.


Ô nuit ! Aimable nuit ! Sœur de Luna la blonde,

Je ne veux plus servir qu'une déesse au ciel,

Endormeuse des maux et des soucis du monde,

J'apporte à ta chapelle un pavot et du miel.


Nuit, mère des festins, mère de l'allégresse,

Toi qui prêtes le pan de ton voile à l'amour,

Fais-moi, sous ton manteau, voir encore ma maîtresse,

Et je brise l'autel d'Apollo, dieu du jour.
À Ernest Christophe.

Fière, autant qu'un vivant, de sa noble stature,
Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants,
Elle a la nonchalance et la désinvolture
D'une coquette maigre aux airs extravagants.

Vit-on jamais au bal une taille plus mince ?
Sa robe exagérée, en sa royale ampleur,
S'écroule abondamment sur un pied sec que pince
Un soulier pomponné, joli comme une fleur.

La ruche qui se joue au bord des clavicules,
Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,
Défend pudiquement des lazzi ridicules
Les funèbres appas qu'elle tient à cacher.

Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d'un néant follement attifé.

Aucuns t'appelleront une caricature,
Qui ne comprennent pas, amants ivres de chair,
L'élégance sans nom de l'humaine armature.
Tu réponds, grand squelette, à mon goût le plus cher !

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?

Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des ******
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?

Inépuisable puits de sottise et de fautes !
De l'antique douleur éternel alambic !
A travers le treillis recourbé de tes côtes
Je vois, errant encor, l'insatiable aspic.

Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie
Ne trouve pas un prix digne de ses efforts ;
Qui, de ces coeurs mortels, entend la raillerie ?
Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts !

Le gouffre de tes yeux, plein d'horribles pensées,
Exhale le vertige, et les danseurs prudents
Ne contempleront pas sans d'amères nausées
Le sourire éternel de tes trente-deux dents.

Pourtant, qui n'a serré dans ses bras un squelette,
Et qui ne s'est nourri des choses du tombeau ?
Qu'importe le parfum, l'habit ou la toilette ?
Qui fait le dégoûté montre qu'il se croit beau.

Bayadère sans nez, irrésistible gouge,
Dis donc à ces danseurs qui font les offusqués :
" Fiers mignons, malgré l'art des poudres et du rouge,
Vous sentez tous la mort ! Ô squelettes musqués,

Antinoüs flétris, dandys, à face glabre,
Cadavres vernissés, lovelaces chenus,
Le branle universel de la danse macabre
Vous entraîne en des lieux qui ne sont pas connus !

Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange,
Le troupeau mortel saute et se pâme, sans voir
Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange
Sinistrement béante ainsi qu'un tromblon noir.

En tout climat, sous tout soleil, la Mort t'admire
En tes contorsions, risible Humanité,
Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe,
Mêle son ironie à ton insanité ! "
Enfants ! - Oh ! revenez ! Tout à l'heure, imprudent,
Je vous ai de ma chambre exilés en grondant,
Rauque et tout hérissé de paroles moroses.
Et qu'aviez-vous donc fait, bandits aux lèvres roses ?
Quel crime ? quel exploit ? quel forfait insensé ?
Quel vase du Japon en mille éclats brisé ?
Quel vieux portrait crevé ? Quel beau missel gothique
Enrichi par vos mains d'un dessin fantastique ?
Non, rien de tout cela. Vous aviez seulement,
Ce matin, restés seuls dans ma chambre un moment,
Pris, parmi ces papiers que mon esprit colore,
Quelques vers, groupe informe, embryons près d'éclore,
Puis vous les aviez mis, prompts à vous accorder,
Dans le feu, pour jouer, pour voir, pour regarder
Dans une cendre noire errer des étincelles,
Comme brillent sur l'eau de nocturnes nacelles,
Ou comme, de fenêtre en fenêtre, on peut voir
Des lumières courir dans les maisons le soir.

Voilà tout. Vous jouiez et vous croyiez bien faire.

Belle perte, en effet ! beau sujet de colère !
Une strophe, mal née au doux bruit de vos jeux,
Qui remuait les mots d'un vol trop orageux !
Une ode qui chargeait d'une rime gonflée
Sa stance paresseuse en marchant essoufflée !
De lourds alexandrins l'un sur l'autre enjambant
Comme des écoliers qui sortent de leur banc !
Un autre eût dit : - Merci ! Vous ôtez une proie
Au feuilleton méchant qui bondissait de joie
Et d'avance poussait des rires infernaux
Dans l'antre qu'il se creuse au bas des grands journaux.
Moi, je vous ai grondés. Tort grave et ridicule !

Nains charmants que n'eût pas voulu fâcher Hercule,
Moi, je vous ai fait peur. J'ai, rêveur triste et dur,
Reculé brusquement ma chaise jusqu'au mur,
Et, vous jetant ces noms dont l'envieux vous nomme,
J'ai dit : - Allez-vous-en ! laissez-moi seul ! - Pauvre homme !
Seul ! le beau résultat ! le beau triomphe ! seul !
Comme on oublie un mort roulé dans son linceul,
Vous m'avez laissé là, l'oeil fixé sur ma porte,
Hautain, grave et puni. - Mais vous, que vous importe !
Vous avez retrouvé dehors la liberté,
Le grand air, le beau parc, le gazon souhaité,
L'eau courante où l'on jette une herbe à l'aventure,
Le ciel bleu, le printemps, la sereine nature,
Ce livre des oiseaux et des bohémiens,
Ce poème de Dieu qui vaut mieux que les miens,
Où l'enfant peut cueillir la fleur, strophe vivante,
Sans qu'une grosse voix tout à coup l'épouvante !
Moi, je suis resté seul, toute joie ayant fui,
Seul avec ce pédant qu'on appelle l'ennui.
Car, depuis le matin assis dans l'antichambre,
Ce docteur, né dans Londres, un dimanche, en décembre,
Qui ne vous aime pas, ô mes pauvres petits,
Attendait pour entrer que vous fussiez sortis.
Dans l'angle où vous jouiez il est là qui soupire,
Et je le vois bâiller, moi qui vous voyais rire !

Que faire ? lire un livre ? oh non ! - dicter des vers ?
A quoi bon ? - Emaux bleus ou blancs, céladons verts,
Sphère qui fait tourner tout le ciel sur son axe,
Les beaux insectes peints sur mes tasses de Saxe,
Tout m'ennuie, et je pense à vous. En vérité,
Vous partis, j'ai perdu le soleil, la gaîté,
Le bruit joyeux qui fait qu'on rêve, le délire
De voir le tout petit s'aider du doigt pour lire,
Les fronts pleins de candeur qui disent toujours oui,
L'éclat de rire franc, sincère, épanoui,
Qui met subitement des perles sur les lèvres,
Les beaux grands yeux naïfs admirant mon vieux Sèvres,
La curiosité qui cherche à tout savoir,
Et les coudes qu'on pousse en disant : Viens donc voir !

Oh ! certes, les esprits, les sylphes et les fées
Que le vent dans ma chambre apporte par bouffées,
Les gnomes accroupis là-haut, près du plafond,
Dans les angles obscurs que mes vieux livres font,
Les lutins familiers, nains à la longue échine,
Qui parlent dans les coins à mes vases de Chine.
Tout l'invisible essaim de ces démons joyeux
A dû rire aux éclats, quand là, devant leurs yeux,
Ils vous ont vus saisir dans la boîte aux ébauches
Ces hexamètres nus, boiteux, difformes, gauches,
Les traîner au grand jour, pauvres hiboux fâchés,
Et puis, battant des mains, autour du feu penchés,
De tous ces corps hideux soudain tirant une âme,
Avec ces vers si laids faire une belle flamme !

Espiègles radieux que j'ai fait envoler,
Oh ! revenez ici chanter, danser, parler,
Tantôt, groupe folâtre, ouvrir un gros volume,
Tantôt courir, pousser mon bras qui tient ma plume,
Et faire dans le vers que je viens retoucher
Saillir soudain un angle aigu comme un clocher
Qui perce tout à coup un horizon de plaines.
Mon âme se réchauffe à vos douces haleines.
Revenez près de moi, souriant de plaisir,
Bruire et gazouiller, et sans peur obscurcir
Le vieux livre où je lis de vos ombres penchées,
Folles têtes d'enfants ! gaîtés effarouchées !

J'en conviens, j'avais tort, et vous aviez raison.
Mais qui n'a quelquefois grondé hors de saison ?
Il faut être indulgent. Nous avons nos misères.
Les petits pour les grands ont tort d'être sévères.
Enfants ! chaque matin, votre âme avec amour
S'ouvre à la joie ainsi que la fenêtre au jour.
Beau miracle, vraiment, que l'enfant, *** sans cesse,
Ayant tout le bonheur, ait toute la sagesse !
Le destin vous caresse en vos commencements.
Vous n'avez qu'à jouer et vous êtes charmants.
Mais nous, nous qui pensons, nous qui vivons, nous sommes
Hargneux, tristes, mauvais, ô mes chers petits hommes !
On a ses jours d'humeur, de déraison, d'ennui.
Il pleuvait ce matin. Il fait froid aujourd'hui.
Un nuage mal fait dans le ciel tout à l'heure
A passé. Que nous veut cette cloche qui pleure ?
Puis on a dans le coeur quelque remords. Voilà
Ce qui nous rend méchants. Vous saurez tout cela,
Quand l'âge à votre tour ternira vos visages,
Quand vous serez plus grands, c'est-à-dire moins sages.

J'ai donc eu tort. C'est dit. Mais c'est assez punir,
Mais il faut pardonner, mais il faut revenir.
Voyons, faisons la paix, je vous prie à mains jointes.
Tenez, crayons, papiers, mon vieux compas sans pointes,
Mes laques et mes grès, qu'une vitre défend,
Tous ces hochets de l'homme enviés par l'enfant,
Mes gros chinois ventrus faits comme des concombres,
Mon vieux tableau trouvé sous d'antiques décombres,
Je vous livrerai tout, vous toucherez à tout !
Vous pourrez sur ma table être assis ou debout,
Et chanter, et traîner, sans que je me récrie,
Mon grand fauteuil de chêne et de tapisserie,
Et sur mon banc sculpté jeter tous à la fois
Vos jouets anguleux qui déchirent le bois !
Je vous laisserai même, et gaîment, et sans crainte,
Ô prodige ! en vos mains tenir ma bible peinte,
Que vous n'avez touchée encor qu'avec terreur,
Où l'on voit Dieu le père en habit d'empereur !

Et puis, brûlez les vers dont ma table est semée,
Si vous tenez à voir ce qu'ils font de fumée !
Brûlez ou déchirez ! - Je serais moins clément
Si c'était chez Méry, le poète charmant,
Que Marseille la grecque, heureuse et noble ville,
Blonde fille d'Homère, a fait fils de Virgile.
Je vous dirais : - " Enfants, ne touchez que des yeux
A ces vers qui demain s'envoleront aux cieux.
Ces papiers, c'est le nid, retraite caressée,
Où du poète ailé rampe encor la pensée.
Oh ! n'en approchez pas ! car les vers nouveau-nés,
Au manuscrit natal encore emprisonnés,
Souffrent entre vos mains innocemment cruelles.
Vous leur blessez le pied, vous leur froissez les ailes ;
Et, sans vous en douter, vous leur faites ces maux
Que les petits enfants font aux petits oiseaux. "

Mais qu'importe les miens ! - Toute ma poésie,
C'est vous, et mon esprit suit votre fantaisie.
Vous êtes les reflets et les rayonnements
Dont j'éclaire mon vers si sombre par moments.
Enfants, vous dont la vie est faite d'espérance,
Enfants, vous dont la joie est faite d'ignorance,
Vous n'avez pas souffert et vous ne savez pas,
Quand la pensée en nous a marché pas à pas,
Sur le poète morne et fatigué d'écrire
Quelle douce chaleur répand votre sourire !
Combien il a besoin, quand sa tête se rompt,
De la sérénité qui luit sur votre front ;
Et quel enchantement l'enivre et le fascine,
Quand le charmant hasard de quelque cour voisine,
Où vous vous ébattez sous un arbre penchant,
Mêle vos joyeux cris à son douloureux chant !

Revenez donc, hélas ! revenez dans mon ombre,
Si vous ne voulez pas que je sois triste et sombre,
Pareil, dans l'abandon où vous m'avez laissé,
Au pêcheur d'Etretat, d'un long hiver lassé,
Qui médite appuyé sur son coude, et s'ennuie
De voir à sa fenêtre un ciel rayé de pluie.
Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,
Et sa brume et ses toits sont bien **** de mes yeux ;
Maintenant que je suis sous les branches des arbres,
Et que je puis songer à la beauté des cieux ;

Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure
Je sors, pâle et vainqueur,
Et que je sens la paix de la grande nature
Qui m'entre dans le cœur ;

Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Emu par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ;

Maintenant, ô mon Dieu ! que j'ai ce calme sombre
De pouvoir désormais
Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre
Elle dort pour jamais ;

Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles,
Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l'immensité ;

Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ;
Je vous porte, apaisé,
Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé ;

Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes
Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !
Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent ;

Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament ;
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement ;

Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,
Possédez l'infini, le réel, l'absolu ;
Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste
Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu !

Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive
Par votre volonté.
L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,
Roule à l'éternité.

Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ;
L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant.
L'homme subit le joug sans connaître les causes.
Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.

Vous faites revenir toujours la solitude
Autour de tous ses pas.
Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude
Ni la joie ici-bas !

Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire :
C'est ici ma maison, mon champ et mes amours !

Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ;
Il vieillit sans soutiens.
Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient ;
J'en conviens, j'en conviens !

Le monde est sombre, ô Dieu ! l'immuable harmonie
Se compose des pleurs aussi bien que des chants ;
L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie,
Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.

Je sais que vous avez bien autre chose à faire
Que de nous plaindre tous,
Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,
Ne vous fait rien, à vous !

Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,
Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ;
Que la création est une grande roue
Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un ;

Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,
Passent sous le ciel bleu ;
Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent ;
Je le sais, ô mon Dieu !

Dans vos cieux, au-delà de la sphère des nues,
Au fond de cet azur immobile et dormant,
Peut-être faites-vous des choses inconnues
Où la douleur de l'homme entre comme élément.

Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre
Que des êtres charmants
S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre
Des noirs événements.

Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses
Que rien ne déconcerte et que rien n'attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites clémences
Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit !

Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme,
Et de considérer
Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme,
Je viens vous adorer !

Considérez encor que j'avais, dès l'aurore,
Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,
Expliquant la nature à l'homme qui l'ignore,
Eclairant toute chose avec votre clarté ;

Que j'avais, affrontant la haine et la colère,
Fait ma tâche ici-bas,
Que je ne pouvais pas m'attendre à ce salaire,
Que je ne pouvais pas

Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyiez comme j'ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant !

Qu'une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,
Que j'ai pu blasphémer,
Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
Une pierre à la mer !

Considérez qu'on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre,
Que l'œil qui pleure trop finit par s'aveugler,
Qu'un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,

Et qu'il ne se peut pas que l'homme, lorsqu'il sombre
Dans les afflictions,
Ait présente à l'esprit la sérénité sombre
Des constellations !

Aujourd'hui, moi qui fus faible comme une mère,
Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.
Je me sens éclairé dans ma douleur amère
Par un meilleur regard jeté sur l'univers.

Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire
S'il ose murmurer ;
Je cesse d'accuser, je cesse de maudire,
Mais laissez-moi pleurer !

Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela !
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant : Sens-tu que je suis là ?

Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,
Le soir, quand tout se tait,
Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,
Cet ange m'écoutait !

Hélas ! vers le passé tournant un œil d'envie,
Sans que rien ici-bas puisse m'en consoler,
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Où je l'ai vue ouvrir son aile et s'envoler !

Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure,
L'instant, pleurs superflus !
Où je criai : L'enfant que j'avais tout à l'heure,
Quoi donc ! je ne l'ai plus !

Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
Ô mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné !
L'angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,
Et mon cœur est soumis, mais n'est pas résigné.

Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame,
Mortels sujets aux pleurs,
Il nous est malaisé de retirer notre âme
De ces grandes douleurs.

Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires,
Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin,
Au milieu des ennuis, des peines, des misères,
Et de l'ombre que fait sur nous notre destin,

Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,
Petit être joyeux,
Si beau, qu'on a cru voir s'ouvrir à son entrée
Une porte des cieux ;

Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même
Croître la grâce aimable et la douce raison,
Lorsqu'on a reconnu que cet enfant qu'on aime
Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,

Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste
De tout ce qu'on rêva,
Considérez que c'est une chose bien triste
De le voir qui s'en va !
Lorsque du Créateur la parole féconde,
Dans une heure fatale, eut enfanté le monde
Des germes du chaos,
De son oeuvre imparfaite il détourna sa face,
Et d'un pied dédaigneux le lançant dans l'espace,
Rentra dans son repos.

Va, dit-il, je te livre à ta propre misère ;
Trop indigne à mes yeux d'amour ou de colère,
Tu n'es rien devant moi.
Roule au gré du hasard dans les déserts du vide ;
Qu'à jamais **** de moi le destin soit ton guide,
Et le Malheur ton roi.

Il dit : comme un vautour qui plonge sur sa proie,
Le Malheur, à ces mots, pousse, en signe de joie,
Un long gémissement ;
Et pressant l'univers dans sa serre cruelle,
Embrasse pour jamais de sa rage éternelle
L'éternel aliment.

Le mal dès lors régna dans son immense empire ;
Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire
Commença de souffrir ;
Et la terre, et le ciel, et l'âme, et la matière,
Tout gémit : et la voix de la nature entière
Ne fut qu'un long soupir.

Levez donc vos regards vers les célestes plaines,
Cherchez Dieu dans son oeuvre, invoquez dans vos peines
Ce grand consolateur,
Malheureux ! sa bonté de son oeuvre est absente,
Vous cherchez votre appui ? l'univers vous présente
Votre persécuteur.

De quel nom te nommer, ô fatale puissance ?
Qu'on t'appelle destin, nature, providence,
Inconcevable loi !
Qu'on tremble sous ta main, ou bien qu'on la blasphème,
Soumis ou révolté, qu'on te craigne ou qu'on t'aime,
Toujours, c'est toujours toi !

Hélas ! ainsi que vous j'invoquai l'espérance ;
Mon esprit abusé but avec complaisance
Son philtre empoisonneur ;
C'est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes,
De festons et de fleurs couronne les victimes
Qu'elle livre au Malheur.

Si du moins au hasard il décimait les hommes,
Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes
Avec d'égales lois ?
Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes,
La beauté, le génie, ou les vertus sublimes,
Victimes de son choix.

Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices
Des troupeaux innocents les sanglantes prémices,
Dans leurs temples cruels,
De cent taureaux choisis on formait l'hécatombe,
Et l'agneau sans souillure, ou la blanche colombe
Engraissaient leurs autels.

Créateur, Tout-Puissant, principe de tout être !
Toi pour qui le possible existe avant de naître :
Roi de l'immensité,
Tu pouvais cependant, au gré de ton envie,
Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie
Dans ton éternité ?

Sans t'épuiser jamais, sur toute la nature
Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure
Un bonheur absolu.
L'espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte.
Ah ! ma raison frémit ; tu le pouvais sans doute,
Tu ne l'as pas voulu.

Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ?
L'insensible néant t'a-t-il demandé l'être,
Ou l'a-t-il accepté ?
Sommes-nous, ô hasard, l'oeuvre de tes caprices ?
Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices
Pour ta félicité ?

Montez donc vers le ciel, montez, encens qu'il aime,
Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème,
Plaisirs, concerts divins !
Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles,
Montez, allez frapper les voûtes insensibles
Du palais des destins !

Terre, élève ta voix ; cieux, répondez ; abîmes,
Noirs séjours où la mort entasse ses victimes,
Ne formez qu'un soupir.
Qu'une plainte éternelle accuse la nature,
Et que la douleur donne à toute créature
Une voix pour gémir.

Du jour où la nature, au néant arrachée,
S'échappa de tes mains comme une oeuvre ébauchée,
Qu'as-tu vu cependant ?
Aux désordres du mal la matière asservie,
Toute chair gémissant, hélas! et toute vie
Jalouse du néant.

Des éléments rivaux les luttes intestines ;
Le Temps, qui flétrit tout, assis sur les ruines
Qu'entassèrent ses mains,
Attendant sur le seuil tes oeuvres éphémères ;
Et la mort étouffant, dès le sein de leurs mères,
Les germes des humains !

La vertu succombant sous l'audace impunie,
L'imposture en honneur, la vérité bannie ;
L'errante liberté
Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice ;
Et la force, partout, fondant de l'injustice
Le règne illimité.

La valeur sans les dieux décidant des batailles !
Un Caton libre encor déchirant ses entrailles
Sur la foi de Platon !
Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu'il aime,
Doute au dernier moment de cette vertu même,
Et dit : Tu n'es qu'un nom !...

La fortune toujours du parti des grands crimes !
Les forfaits couronnés devenus légitimes !
La gloire au prix du sang !
Les enfants héritant l'iniquité des pères !
Et le siècle qui meurt racontant ses misères
Au siècle renaissant !

Eh quoi ! tant de tourments, de forfaits, de supplices,
N'ont-ils pas fait fumer d'assez de sacrifices
Tes lugubres autels ?
Ce soleil, vieux témoin des malheurs de la terre,
Ne fera-t-il pas naître un seul jour qui n'éclaire
L'angoisse des mortels ?

Héritiers des douleurs, victimes de la vie,
Non, non, n'espérez pas que sa rage assouvie
Endorme le Malheur !
Jusqu'à ce que la Mort, ouvrant son aile immense,
Engloutisse à jamais dans l'éternel silence
L'éternelle douleur !
Vois-tu comme le flot paisible
Sur le rivage vient mourir !
Vois-tu le volage zéphyr
Rider, d'une haleine insensible,
L'onde qu'il aime à parcourir !
Montons sur la barque légère
Que ma main guide sans efforts,
Et de ce golfe solitaire
Rasons timidement les bords.

**** de nous déjà fuit la rive.
Tandis que d'une main craintive
Tu tiens le docile aviron,
Courbé sur la rame bruyante
Au sein de l'onde frémissante
Je trace un rapide sillon.

Dieu ! quelle fraîcheur on respire !
Plongé dans le sein de Thétis,
Le soleil a cédé l'empire
A la pâle reine des nuits.
Le sein des fleurs demi-fermées
S'ouvre, et de vapeurs embaumées
En ce moment remplit les airs ;

Et du soir la brise légère
Des plus doux parfums de la terre
A son tour embaume les mers.

Quels chants sur ces flots retentissent ?
Quels chants éclatent sur ces bords ?
De ces deux concerts qui s'unissent
L'écho prolonge les accords.
N'osant se fier aux étoiles,
Le pêcheur, repliant ses voiles,
Salue, en chantant, son séjour.
Tandis qu'une folle jeunesse
Pousse au ciel des cris d'allégresse,
Et fête son heureux retour.

Mais déjà l'ombre plus épaisse
Tombe, et brunit les vastes mers ;
Le bord s'efface, le bruit cesse,
Le silence occupe les airs.
C'est l'heure où la mélancolie
S'assoit pensive et recueillie
Aux bords silencieux des mers,
Et, méditant sur les ruines,
Contemple au penchant des collines
Ce palais, ces temples déserts.

O de la liberté vieille et sainte patrie !
Terre autrefois féconde en sublimes vertus !
Sous d'indignes Césars maintenant asservie,
Ton empire est tombé ! tes héros ne sont plus !
Mais dans ton sein l'âme agrandie
Croit sur leurs monuments respirer leur génie,
Comme on respire encor dans un temple aboli
La majesté du dieu dont il était rempli.
Mais n'interrogeons pas vos cendres généreuses,
Vieux Romains ! fiers Catons ! mânes des deux Brutus !
Allons redemander à ces murs abattus
Des souvenirs plus doux, des ombres plus heureuses,

Horace, dans ce frais séjour,
Dans une retraite embellie
Par le plaisir et le génie,
Fuyait les pompes de la cour ;
Properce y visitait Cinthie,
Et sous les regards de Délie
Tibulle y modulait les soupirs de l'amour.
Plus ****, voici l'asile où vint chanter le Tasse,
Quand, victime à la fois du génie et du sort,
Errant dans l'univers, sans refuge et sans port,
La pitié recueillit son illustre disgrâce.
Non **** des mêmes bords, plus **** il vint mourir ;
La gloire l'appelait, il arrive, il succombe :
La palme qui l'attend devant lui semble fuir,
Et son laurier tardif n'ombrage que sa tombe.

Colline de Baya ! poétique séjour !
Voluptueux vallon qu'habita tour à tour
Tout ce qui fut grand dans le monde,
Tu ne retentis plus de gloire ni d'amour.
Pas une voix qui me réponde,
Que le bruit plaintif de cette onde,
Ou l'écho réveillé des débris d'alentour !

Ainsi tout change, ainsi tout passe ;
Ainsi nous-mêmes nous passons,
Hélas ! sans laisser plus de trace
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s'efface.
Ô toi qui dans mon âme vibres,
Ô mon cher esprit familier,
Les espaces sont clairs et libres ;
J'y consens, défais ton collier,

Mêle les dieux, confonds les styles,
Accouple au poean les agnus ;
Fais dans les grands cloîtres hostiles
Danser les nymphes aux seins nus.

Sois de France, sois de Corinthe,
Réveille au bruit de ton clairon
Pégase fourbu qu'on éreinte
Au vieux coche de Campistron.

Tresse l'acanthe et la liane ;
Grise l'augure avec l'abbé ;
Que David contemple Diane,
Qu'Actéon guette Bethsabé.

Du nez de Minerve indignée
Au crâne chauve de saint Paul
Suspends la toile d'araignée
Qui prendra les rimes au vol.

Fais rire Marion courbée
Sur les oegipans ahuris.
Cours, saute, emmène Alphésibée
Souper au Café de Paris.

Sois ***, hardi, glouton, vorace ;
Flâne, aime ; sois assez coquin
Pour rencontrer parfois Horace
Et toujours éviter Berquin.

Peins le nu d'après l'Homme antique,
Païen et biblique à la fois,
Constate la pose plastique
D'Ève ou de Rhée au fond des bois.

Des amours observe la mue.
Défais ce que les pédants font,
Et, penché sur l'étang, remue
L'art poétique jusqu'au fond.

Trouble La Harpe, ce coq d'Inde,
Et Boileau, dans leurs sanhédrins ;
Saccage tout ; jonche le Pinde
De césures d'alexandrins.

Prends l'abeille pour soeur jumelle ;
Aie, ô rôdeur du frais vallon,
Un alvéole à miel, comme elle,
Et, comme elle, un brave aiguillon.

Plante là toute rhétorique,
Mais au vieux bon sens fais écho ;
Monte en croupe sur la bourrique,
Si l'ânier s'appelle Sancho.

Qu'Argenteuil soit ton Pausilippe.
Sois un peu diable, et point démon,
Joue, et pour Fanfan la Tulipe
Quitte Ajax fils de Télamon.

Invente une églogue lyrique
Prenant terre au bois de Meudon,
Où le vers danse une pyrrhique
Qui dégénère en rigodon.

Si Loque, Coche, Graille et Chiffe
Dans Versailles viennent à toi,
Présente galamment la griffe
À ces quatre filles de roi.

Si Junon s'offre, fais ta tâche ;
Fête Aspasie, admets Ninon ;
Si Goton vient, sois assez lâche
Pour rire et ne pas dire : Non.

Sois le chérubin et l'éphèbe.
Que ton chant libre et disant tout
Vole, et de la lyre de Thèbe
Aille au mirliton de Saint-Cloud.

Qu'en ton livre, comme au bocage,
On entende un hymne, et jamais
Un bruit d'ailes dans une cage !
Rien des bas-fonds, tout des sommets !

Fais ce que tu voudras, qu'importe !
Pourvu que le vrai soit content ;
Pourvu que l'alouette sorte
Parfois de ta strophe en chantant ;

Pourvu que Paris où tu soupes
N'ôte rien à ton naturel ;
Que les déesses dans tes groupes
Gardent une lueur du ciel ;

Pourvu que la luzerne pousse
Dans ton idylle, et que Vénus
Y trouve une épaisseur de mousse
Suffisante pour ses pieds nus ;

Pourvu que Grimod la Reynière
Signale à Brillat-Savarin
Une senteur de cressonnière
Mêlée à ton hymne serein ;

Pourvu qu'en ton poème tremble
L'azur réel des claires eaux ;
Pourvu que le brin d'herbe semble
Bon au nid des petits oiseaux ;

Pourvu que Psyché soit baisée
Par ton souffle aux cieux réchauffé ;
Pourvu qu'on sente la rosée
Dans ton vers qui boit du café.
Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice,

Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux ;

Brûle un encens ranci sur tes autels d'or faux ;

Sème de fleurs les bords béants du précipice ;

Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice !


Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni ;

Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides ;

Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides :

Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ;

Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.


Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !

Car mon rêve impossible a pris corps, et je l'ai

Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé

Voyageur qui de l'Homme évite les approches.

- Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !


Le Bonheur a marché côte à côte avec moi ;

Mais la FATALITÉ ne connaît point de trêve :

Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve,

Et le remords est dans l'amour : telle est la loi.

- Le Bonheur a marché côte à côte avec moi.
J'ai ri d'abord.
J'étais dans mon champ plein de roses.
J'errais. Âme attentive au clair-obscur des choses,
Je vois au fond de tout luire un vague flambeau.
C'était le matin, l'heure où le bois se fait beau,
Où la nature semble une immense prunelle
Éblouie, ayant Dieu presque visible en elle.
Pour faire fête à l'aube, au bord des flots dormants,
Les ronces se couvraient d'un tas de diamants ;
Les brins d'herbe coquets mettaient toutes leurs perles ;
La mer chantait ; les geais causaient avec les merles ;
Les papillons volaient du cytise au myrtil.
Entre un ami. - Bonjour. Savez-vous ? Me dit-il,
On vient de vous brûler sur la place publique.
- Où ça ? - Dans un pays honnête et catholique.
- Je le suppose. - Peste ! Ils vous ont pris vivant
Dans un livre où l'on voit le bagne et le couvent,
Vous ont brûlé, vous diable et juif, avec esclandre,
Ensuite ils ont au vent fait jeter votre cendre.
- Il serait peu décent qu'il en fût autrement.
Mais quand ça ? - L'autre jour. En Espagne. - Vraiment.
- Ils ont fait cuire au bout de leur grande pincette
Myriel, Jean ValJean, Marius et Cosette,
Vos Misérables, vous, toute votre âme enfin.
Vos êtes un de ceux dont Escobar a faim.
Vous voilà quelque peu grillé comme Voltaire.
- Donc j'ai chaud en Espagne et froid en Angleterre.
Tel est mon sort. - La chose est dans tous les journaux.
Ah ! Si vous n'étiez pas chez ces bons huguenots !
L'ennui, c'est qu'on ne peut jusqu'ici vous poursuivre.
Ne pouvant rôtir l'homme, on a flambé le livre.

- C'est le moins. - Vous voyez d'ici tous les détails.
De gros bonshommes noirs devant de grands portails,
Un feu, de quoi brûler une bibliothèque.
- Un évêque m'a fait cet honneur ! - Un évêque ?
Morbleu ! Pour vous damner ils se sont assemblés,
Et ce n'est pas un seul, c'est tous. ? Vous me comblez. -
Et nous rions.

Et puis je rentre, et je médite.
Ils en sont là.

Du temps de Vénus Aphrodite,
Parfois, seule, écoutant on ne sait quelles voix,
La déesse errait nue et blanche au fond des bois ;
Elle marchait tranquille, et sa beauté sans voiles,
Ses cheveux faits d'écume et ses yeux faits d'étoiles,
Étaient dans la forêt comme une vision ;
Cependant, retenant leur respiration,
Voyant au **** passer cette clarté, les faunes
S'approchaient ; l'ægipan, le satyre aux yeux jaunes,
Se glissaient en arrière ivres d'un vil désir,
Et brusquement tendaient le bras pour la saisir,
Et le bois frissonnait, et la surnaturelle,
Pâle, se retournait sentant leur main sur elle.
Ainsi, dans notre siècle aux mirages trompeurs,
La conscience humaine a d'étranges stupeurs ;
Lumineuse, elle marche en notre crépuscule,
Et tout à coup, devant le faune, elle recule.
Tartuffe est là, nouveau Satan d'un autre éden.
Nous constatons dans l'ombre, à chaque instant, soudain,
Le vague allongement de quelque griffe infâme
Et l'essai ténébreux de nous prendre notre âme.
L'esprit humain se sent tâté par un bourreau.
Mais doucement. On jette au noir quemadero
Ce qu'on peut, mais plus **** on fera mieux peut-être,
Et votre meurtrier est timide ; il est prêtre.
Il vous demanderait presque permission.
Il allume un brasier, fait sa procession,
Met des bûches au feu, du bitume au cilice,
Soit ; mais si gentiment qu'après votre supplice
Vous riez.

Grillandus n'est plus que Loyola.
Vous lui dites : ma foi, c'est drôle. Touchez là.

Eh bien, riez. C'est bon. Attendez, imbéciles !
Lui qui porte en ses yeux l'âme des noirs Basiles,
Il rit de vous voir rire. Il est Vichnou, Mithra,
Teutatès, et ce feu pour rire grandira.
Ah ! Vous criez : bravo ! Ta rage est ma servante.
Brûle mes livres. Bien, très bien ! Pousse à la vente !
Et lui songe. Il se dit : - La chose a réussi.
Quand le livre est brûlé, l'écrivain est roussi.
La suite à demain. - Vous, vous raillez. Il partage
Votre joie, avec l'air d'un prêtre de Carthage.
Il dit : leur cécité toujours me protégea.
Sa mâchoire, qui rit encor, vous mord déjà.
N'est-ce pas ? Ce brûleur avec bonté nous traite,
Et son autodafé n'est qu'une chaufferette !
Ah ! Les vrais tourbillons de flamme auront leur tour.
En elle, comme un œuf contient le grand vautour,
La petite étincelle a l'incendie énorme.
Attendez seulement que la France s'endorme,
Et vous verrez.

Peut-on calculer le chemin
Que ferait pas à pas, hier, aujourd'hui, demain,
L'effroyable tortue avec ses pieds fossiles ?
Qui sait ? Bientôt peut-être on aura des conciles !
On entendra, qui sait ? Un homme dire à Dieu :
- L'infaillible, c'est moi. Place ! Recule un peu. -
Quoi ! Recommence-t-on ? Ciel ! Serait-il possible
Que l'homme redevînt pâture, proie et cible !
Et qu'on revît les temps difformes ! Qu'on revît
Le double joug qui tue autant qu'il asservit !
Qu'on revît se dresser sur le globe, vil bouge,
Près du sceptre d'airain la houlette en fer rouge !
Nos pères l'ont subi, ce double pouvoir-là !
Nuit ! Mort ! Melchisédech compliqué d'Attila !
Ils ont vu sur leurs fronts, eux parias sans nombre,
Le côte à côte affreux des deux sceptres dans l'ombre ;
Ils entendaient leur foudre au fond du firmament,
Moins effrayante encor que leur chuchotement.
- Prends les peuples, César. - Toi, Pierre, prends les âmes.
- Prends la pourpre, César. - Mais toi, qu'as-tu ? - Les flammes.
- Et puis ? - Cela suffit. - Régnons.

Âges hideux !
L'homme blanc, l'homme sombre. Ils sont un. Ils sont deux.
Là le guerrier, ici le pontife ; et leurs suites,
Confesseurs, massacreurs, tueurs, bourreaux, jésuites !
Ô deuil ! Sur les bûchers et les sanbenitos
Rome a, quatre cents ans, braillé son vil pathos,
Jetant sur l'univers terrifié qui souffre
D'une main l'eau bénite et de l'autre le soufre.
Tous ces prêtres portaient l'affreux masque aux trous noirs ;
Leurs mitres ressemblaient dans l'ombre aux éteignoirs ;
Ils ont été la Nuit dans l'obscur moyen-âge ;
Ils sont tout prêts à faire encor ce personnage,
Et jusqu'en notre siècle, à cette heure engourdi,
On les verrait, avec leur torche en plein midi,
Avec leur crosse, avec leurs bedeaux, populace,
Reparaître et rentrer, s'ils trouvaient de la place
Pour passer, ô Voltaire, entre Jean-Jacques et toi !

Non, non, non ! Reculez, faux pouvoir, fausse foi !
Oh ! La Rome des frocs ! Oh ! L'Espagne des moines !
Disparaissez ! Prêcheurs captant les patrimoines !
Bonnets carrés ! Camails ! Capuchons ! Clercs ! Abbés !
Tas d'horribles fronts bas, tonsurés ou nimbés !
Ô mornes visions du tison et du glaive !

Exécrable passé qui toujours se relève
Et sur l'humanité se dresse menaçant !
Saulx-Tavanne, écumant une écume de sang,
Criant : égorgez tout ! Dieu fera le triage !
La juive de seize ans brûlée au mariage
De Charles deux avec Louise d'Orléans,
Et dans l'autodafé plein de brasiers béants
Offerte aux fiancés comme un cierge de noce ;
Campanella brisé par l'église féroce ;
Jordan Bruno lié sous un ruisseau de poix
Qui ronge par sa flamme et creuse par son poids ;
D'Albe qui dans l'horreur des bûchers se promène
Séchant sa main sanglante à cette braise humaine ;
Galilée abaissant ses genoux repentants ;
La place d'Abbeville où Labarre à vingt ans,
Pour avoir chansonné toute cette canaille,
Eut la langue arrachée avec une tenaille,
Et hurla dans le feu, tordant ses noirs moignons ;
Le marché de Rouen dont les sombres pignons
Ont le rouge reflet de ton supplice, ô Jeanne !
Huss brûlé par Martin, l'aigle tué par l'âne ;
Farnèse et Charles-Quint, Grégoire et Sigismond,
Toujours ensemble assis comme au sommet d'un mont,
À leurs pieds toute l'âme humaine épouvantée
Sous cet effrayant Dieu qui fait le monde athée ;
Ce passé m'apparaît ! Vous me faites horreur,
Croulez, toi monstre pape, et toi monstre empereur !
Sonnet.


La forge fait son bruit, pleine de spectres noirs.
Le pilon monstrueux, la scie âpre et stridente,
L'indolente cisaille atrocement mordante,
Les lèvres sans merci des fougueux laminoirs,

Tout hurle, et dans cet antre, où les jours sont des soirs
Et les nuits des midis d'une rougeur ardente,
On croit voir se lever la figure de Dante
Qui passe, interrogeant d'éternels désespoirs :

C'est l'enfer de la Force obéissante et triste.
« Quel ennemi toujours me pousse ou me résiste ?
Dit-elle. N'ai-je point débrouillé le chaos ? »

Mais l'homme, devinant ce qu'elle peut encore,
Plus hardi qu'elle, et riche en secrets qu'elle ignore,
Recule à l'infini l'heure de son repos.
Rien encore n'a germé de vos rameaux flottants
Sur notre jeune terre où, depuis quarante ans,
Tant d'âmes se sont échouées,
Doctrines aux fruits d'or, espoir des nations,
Que la hâtive main des révolutions
Sur nos têtes a secouées !

Nous attendons toujours ! Seigneur, prenez pitié
Des peuples qui, toujours satisfaits à moitié,
Vont d'espérance en espérance ;
Et montrez-nous enfin l'homme de votre choix
Parmi tous ces tribuns et parmi tous ces rois
Que vous essayez à la France !

Qui peut se croire fort, puissant et souverain ?
Qui peut dire en scellant des barrières d'airain :
Jamais vous ne serez franchies !
Dans ce siècle de bruit, de gloire et de revers,
Où les roseaux penchés au bord des étangs verts
Durent plus que les monarchies !

Rois ! la bure est souvent jalouse du velours.
Le peuple a froid l'hiver, le peuple a faim toujours.
Rendez-lui son sort plus facile.
Le peuple souvent porte un bien rude collier.
Ouvrez l'école aux fils, aux pères l'atelier,
À tous vos bras, auguste asile !

Par la bonté des rois rendez les peuples bons.
Sous d'étranges malheurs souvent nous nous courbons.
Songez que Dieu seul est le maître.
Un bienfait par quelqu'un est toujours ramassé.
Songez-y, rois minés sur qui pèse un passé
Gros du même avenir peut-être !

Donnez à tous. Peut-être un jour tous vous rendront !
Donnez, - on ne sait pas quels épis germeront
Dans notre siècle autour des trônes ! -
De la main droite aux bons, de la gauche aux méchants !
Comme le laboureur sème sa graine aux champs,
Ensemencez les cœurs d'aumônes !

Ô rois ! le pain qu'on porte au vieillard desséché,
La pauvre adolescente enlevée au marché,
Le bienfait souriant, toujours prêt à toute heure,
Qui vient, riche et voilé, partout où quelqu'un pleure,
Le cri reconnaissant d'une mère à genoux,
L'enfant sauvé qui lève, entre le peuple et vous,
Ses deux petites mains sincères et joyeuses,
Sont la meilleure digue aux foules furieuses.

Hélas ! je vous le dis, ne vous endormez pas
Tandis que l'avenir s'amoncelle là-bas !

Il arrive parfois, dans le siècle où nous sommes,
Qu'un grand vent tout à coup soulève à flots les hommes ;
Vent de malheur, formé, comme tous les autans,
De souffles quelque part comprimés trop longtemps ;
Vent qui de tout foyer disperse la fumée ;
Dont s'attise l'idée à cette heure allumée ;
Qui passe sur tout homme, et, torche ou flot amer,
Le fait étinceler ou le fait écumer ;
Ebranle tout digue et toute citadelle ;
Dans la société met à nu d'un coup d'aile
Des sommets jusqu'alors par des brumes voilés,
Des gouffres ténébreux ou des coins étoilés ;
Vent fatal qui confond les meilleurs et les pires,
Arrache mainte tuile au vieux toit des empires,
Et prenant dans l'état, en haut, en bas, partout,
Tout esprit qui dérive et toute âme qui bout,
Tous ceux dont un zéphyr fait remuer les têtes,
Tout ce qui devient onde à l'heure des tempêtes,
Amoncelant dans l'ombre et chassant à la fois
Ces flots, ces bruits, ce peuple, et ces pas et ces voix,
Et ces groupes sans forme et ces rumeurs sans nombre,
Pousse tout cet orage au seuil d'un palais sombre !

Palais sombre en effet, et plongé dans la nuit !
D'où les illusions s'envolent à grand bruit,
Quelques-unes en pleurs, d'autres qu'on entend rire !
C'en est fait. L'heure vient, le voile se déchire,
Adieu les songes d'or ! On se réveille, on voit
Un spectre aux mains de chair qui vous touche du doigt.
C'est la réalité ! qu'on sent là, qui vous pèse.
On rêvait Charlemagne, on pense à Louis seize !

Heure grande et terrible où, doutant des canons,
La royauté, nommant ses amis par leurs noms,
Recueillant tous les bruits que la tempête apporte,
Attend, l'œil à la vitre et l'oreille à la porte !
Où l'on voit dans un coin, ses filles dans ses bras,
La reine qui pâlit, pauvre étrangère, hélas !

Où les petits enfants des familles royales
De quelque vieux soldat pressent les mains loyales,
Et demandent, avec des sanglots superflus,
Aux valets, qui déjà ne leur répondent plus,
D'où viennent ces rumeurs, ces terreurs, ce mystère,
Et les ébranlements de cette affreuse terre
Qu'ils sentent remuer comme la mer aux vents,
Et qui ne tremble pas sous les autres enfants !

Hélas ! vous crénelez vos mornes Tuileries,
Vous encombrez les ponts de vos artilleries,
Vous gardez chaque rue avec un régiment,
À quoi bon ? à quoi bon ? De moment en moment
La tourbe s'épaissit, grosse et désespérée
Et terrible, et qu'importe, à l'heure où leur marée
Sort et monte en hurlant du fond du gouffre amer,
La mitraille à la foule et la grêle à la mer !

Ô redoutable époque ! et quels temps que les nôtres !
Où, rien qu'en se serrant les uns contre les autres,
Les hommes dans leurs plis écrasent tours, châteaux,
Donjons que les captifs rayaient de leurs couteaux,
Créneaux, portes d'airain comme un carton ployées,
Et sur leurs boulevards vainement appuyées
Les pâles garnisons, et les canons de fer
Broyés avec le mur comme l'os dans la chair !

Comment se défendra ce roi qu'un peuple assiège ?
Plus léger sur ce flot que sur l'onde un vain liège,
Plus vacillant que l'ombre aux approches du soir,
Ecoutant sans entendre et regardant sans voir,
Il est là qui frissonne, impuissant, infertile,
Sa main tremble, et sa tête est un crible inutile,
Hélas ! hélas ! les rois en ont seuls de pareils !
Qui laisse tout passer, hors les mauvais conseils !

Que servent maintenant ces sabres, ces épées,
Ces lignes de soldats par des caissons coupées,
Ces bivouacs, allumés dans les jardins profonds,
Dont la lueur sinistre empourpre ses plafonds,
Ce général choisi, qui déjà, vaine garde,
Sent peut-être à son front sourdre une autre cocarde,
Et tous ces cuirassiers, soldats vieux ou nouveaux,
Qui plantent dans la cour des pieux pour leurs chevaux ?
Que sert la grille close et la mèche allumée ?
Il faudrait une tête, et tu n'as qu'une armée !

Que faire de ce peuple à l'immense roulis,
Mer qui traîne du moins une idée en ses plis,
Vaste inondation d'hommes, d'enfants, de femmes,
Flots qui tous ont des yeux, vagues qui sont des âmes ?

Malheur alors ! O Dieu ! faut-il que nous voyions
Le côté monstrueux des révolutions !
Qui peut dompter la mer ? Seigneur ! qui peut répondre
Des ondes de Paris et des vagues de Londres,
Surtout lorsque la ville, ameutée aux tambours
Sent ramper dans ses flots l'hydre de ses faubourgs !

Dans ce palais fatal où l'empire s'écroule,
Dont la porte bientôt va ployer sous la foule,
Où l'on parle tout bas de passages secrets,
Où le roi sent déjà qu'on le sert de moins près,
Où la mère en tremblant rit à l'enfant qui pleure,
Ô mon Dieu ! que va-t-il se passer tout à l'heure ?
Comment vont-ils jouer avec ce nid de rois ?
Pourquoi faut-il qu'aux jours où le pauvre aux abois
Sent sa haine des grands de ce qu'il souffre accrue,
Notre faute ou la leur le lâchent dans la rue ?
Temps de deuil où l'émeute en fureur sort de tout !
Où le peuple devient difforme tout à coup !

Malheur donc ! c'est fini. Plus de barrière au trône !
Mais Dieu garde un trésor à qui lui fit l'aumône.
Si le prince a laissé, dans des temps moins changeants,
L'empreinte de ses pas à des seuils indigents,
Si des bienfaits cachés il fut parfois complice,
S'il a souvent dit : grâce ! où la loi dit : supplice !
Ne désespérez pas. Le peuple aux mauvais jours
A pu tout oublier, Dieu se souvient toujours !

Souvent un cri du cœur sorti d'une humble bouche
Désarme, impérieux, une foule farouche
Qui tenait une proie en ses poings triomphants.
Les mères aux lions font rendre les enfants !

Oh ! dans cet instant même où le naufrage gronde,
Où l'on sent qu'un boulet ne peut rien contre une onde,
Où, liquide et fangeuse et pleine de courroux,
La populace à l'œil stupide, aux cheveux roux,
Aboyant sur le seuil comme un chien pour qu'on ouvre,
Arrive, éclaboussant les chapiteaux du Louvre,
Océan qui n'a pas d'heure pour son reflux !
Au moment où l'on voit que rien n'arrête plus
Ce flot toujours grossi, que chaque instant apporte,
Qui veut monter, qui hurle et qui mouille la porte,...
C'est un spectacle auguste et que j'ai vu déjà
Souvent, quand mon regard dans l'histoire plongea,
Qu'une bonne action, cachée en un coin sombre,
Qui sort subitement toute blanche de l'ombre,
Et comme autrefois Dieu qu'elle prend à témoin,
Dit au peuple écumant : Tu n'iras pas plus **** !

Le 28 décembre 1834.
Je suis l'esprit, vivant au sein des choses mortes.
Je sais forger les clefs quand on ferme les portes ;
Je fais vers le désert reculer le lion ;
Je m'appelle Bacchus, Noé, Deucalion ;
Je m'appelle Shakspeare, Annibal, César, Dante ;
Je suis le conquérant ; je tiens l'épée ardente,
Et j'entre, épouvantant l'ombre que je poursuis,
Dans toutes les terreurs et dans toutes les nuits.
Je suis Platon, je vois ; je suis Newton, je trouve.
Du hibou je fais naître Athène, et de la louve
Rome ; et l'aigle m'a dit : Toi, marche le premier !
J'ai Christ dans mon sépulcre et Job sur mon fumier.
Je vis ! dans mes deux mains je porte en équilibre
L'âme et la chair ; je suis l'homme, enfin maître et libre !
Je suis l'antique Adam ! j'aime, je sais, je sens ;
J'ai pris l'arbre de vie entre mes poings puissants ;
Joyeux, je le secoue au-dessus de ma tête,
Et, comme si j'étais le vent de la tempête,
J'agite ses rameaux d'oranges d'or chargés,
Et je crie : " Accourez, peuples ! prenez, mangez ! "
Et je fais sur leurs fronts tomber toutes les pommes ;
Car, science, pour moi, pour mes fils, pour les hommes,
Ta sève à flots descend des cieux pleins de bonté,
Car la Vie est ton fruit, racine Éternité !
Et tout germe, et tout croît, et, fournaise agrandie,
Comme en une forêt court le rouge incendie,
Le beau Progrès vermeil, l'oeil sur l'azur fixé,
Marche, et tout en marchant dévore le passé.
Je veux, tout obéit, la matière inflexible
Cède ; je suis égal presque au grand Invisible ;
Coteaux, je fais le vin comme lui fait le miel ;
Je lâche comme lui des globes dans le ciel.
Je me fais un palais de ce qui fut ma geôle ;
J'attache un fil vivant d'un pôle à l'autre pôle ;
Je fais voler l'esprit sur l'aile de l'éclair ;
Je tends l'arc de Nemrod, le divin arc de fer,
Et la flèche qui siffle et la flèche qui vole,
Et que j'envoie au bout du monde, est ma parole.
Je fais causer le Rhin, le Gange et l'Orégon
Comme trois voyageurs dans le même wagon.
La distance n'est plus. Du vieux géant Espace
J'ai fait un nain. Je vais, et, devant mon audace,
Les noirs titans jaloux lèvent leur front flétri ;
Prométhée, au Caucase enchaîné, pousse un cri,
Tout étonné de voir Franklin voler la foudre ;
Fulton, qu'un Jupiter eût mis jadis en poudre,
Monte Léviathan et traverse la mer ;
Galvani, calme, étreint la mort au rire amer ;
Volta prend dans ses mains le glaive de l'archange
Et le dissout ; le monde à ma voix tremble et change ;
Caïn meurt, l'avenir ressemble au jeune Abel ;
Je reconquiers Éden et j'achève Babel.
Rien sans moi. La nature ébauche ; je termine.
Terre, je suis ton roi.
Dans le Jardin Royal ou l'on voit les statues,

Une Chimère antique entre toutes me plait ;

Elle pousse en avant deux mamelles pointues,

Dont le marbre veiné semble gonflé de lait ;


Son visage de femme est le plus beau du monde ;

Son col est si charnu que vous l'embrasseriez ;

Mais quand on fait le tour, on voit sa croupe ronde,

On s'aperçoit qu'elle a des griffes à ses pieds.


Les jeunes nourrissons qui passent devant elle,

Tendent leurs petits bras et veulent avec cris

Coller leur bouche ronde à sa dure mamelle ;

Mais, quand ils l'ont touchée, ils reculent surpris.


C'est ainsi qu'il en est de toutes nos chimères :

La face en est charmante et le revers bien laid.

Nous leur prenons le sein, mais ces mauvaises mères

N'ont pas pour notre lèvre une goutte de lait.
La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas ! n'est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;

C'est l'Ennui ! - l'oeil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !
I.

Sur la terre, tantôt sable, tantôt savane,
L'un à l'autre liés en longue caravane,
Echangeant leur pensée en confuses rumeurs,
Emmenant avec eux les lois, les faits, les mœurs,
Les esprits, voyageurs éternels, sont en marche.
L'un porte le drapeau, les autres portent l'arche ;
Ce saint voyage a nom Progrès. De temps en temps,
Ils s'arrêtent, rêveurs, attentifs, haletants,
Puis repartent. En route ! ils s'appellent, ils s'aident,
Ils vont ! Les horizons aux horizons succèdent,
Les plateaux aux plateaux, les sommets aux sommets.
On avance toujours, on n'arrive jamais.
À chaque étape un guide accourt à leur rencontre ;
Quand Jean Huss disparaît, Luther pensif se montre
Luther s'en va, Voltaire alors prend le flambeau
Quand Voltaire s'arrête, arrive Mirabeau.
Ils sondent, pleins d'espoir, une terre inconnue
À chaque pas qu'on fait, la brume diminue ;
Ils marchent, sans quitter des yeux un seul instant
Le terme du voyage et l'asile où l'on tend,
Point lumineux au fond d'une profonde plaine,
La Liberté sacrée, éclatante et lointaine,
La Paix dans le travail, l'universel *****,
L'Idéal, ce grand but, Mecque du genre humain.

Plus ils vont, plus la foi les pousse et les exalte.

Pourtant, à de certains moments, lorsqu'on fait halte,
Que la fatigue vient, qu'on voit le jour blêmir,
Et qu'on a tant marché qu'il faut enfin dormir,
C'est l'instant où le Mal, prenant toutes les formes,
Morne oiseau, vil reptile ou monstre aux bonds énormes,
Chimère, préjugé, mensonge ténébreux,
C'est l'heure où le Passé, qu'ils laissent derrière eux,
Voyant dans chacun d'eux une proie échappée,
Surprend la caravane assoupie et campée,
Et, sortant hors de l'ombre et du néant profond,
Tâche de ressaisir ces esprits qui s'en vont.

II.

Le jour baisse ; on atteint quelque colline chauve
Que l'âpre solitude entoure, immense et fauve,
Et dont pas même un arbre, une roche, un buisson
Ne coupe l'immobile et lugubre horizon ;
Les tchaouchs, aux lueurs des premières étoiles,
Piquent des pieux en terre et déroulent les toiles ;
En cercle autour du camp les feux sont allumés,
Il est nuit. Gloire à Dieu ! voyageurs las, dormez.

Non, veillez ! car autour de vous tout se réveille.
Ecoutez ! écoutez ! debout ! prêtez l'oreille !
Voici qu'à la clarté du jour zodiacal,
L'épervier gris, le singe obscène, le chacal,
Les rats abjects et noirs, les belettes, les fouines,
Nocturnes visiteurs des tentes bédouines,
L'hyène au pas boiteux qui menace et qui fuit,
Le tigre au crâne plat où nul instinct ne luit,
Dont la férocité ressemble à de la joie,
Tous, les oiseaux de deuil et les bêtes de proie,
Vers le feu rayonnant poussant d'étranges voix,
De tous les points de l'ombre arrivent à la fois.
Dans la brume, pareils aux brigands qui maraudent,
Bandits de la nature, ils sont tous là qui rôdent.

Le foyer se reflète aux yeux des léopards.
Fourmillement terrible ! on voit de toutes parts
Des prunelles de braise errer dans les ténèbres.
La solitude éclate en hurlements funèbres.
Des pierres, des fossés, des ravins tortueux,
De partout, sort un bruit farouche et monstrueux.
Car lorsqu'un pas humain pénètre dans ces plaines,
Toujours, à l'heure où l'ombre épanche ses haleines,
Où la création commence son concert,
Le peuple épouvantable et rauque du désert,
Horrible et bondissant sous les pâles nuées,
Accueille l'homme avec des cris et des huées.
Bruit lugubre ! chaos des forts et des petits
Cherchant leur proie avec d'immondes appétits !
L'un glapit, l'autre rit, miaule, aboie, ou gronde.
Le voyageur invoque en son horreur profonde
Ou son saint musulman ou son patron chrétien.

Soudain tout fait silence et l'on n'entend plus rien.

Le tumulte effrayant cesse, râles et plaintes
Meurent comme des voix par l'agonie éteintes,
Comme si, par miracle et par enchantement,
Dieu même avait dans l'ombre emporté brusquement
Renards, singes, vautours, le tigre, la panthère,
Tous ces monstres hideux qui sont sur notre terre
Ce que sont les démons dans le monde inconnu.
Tout se tait.

Le désert est muet, vaste et nu.
L'œil ne voit sous les cieux que l'espace sans borne.

Tout à coup, au milieu de ce silence morne
Qui monte et qui s'accroît de moment en moment,
S'élève un formidable et long rugissement !

C'est le lion.

III.

Il vient, il surgit où vous êtes,
Le roi sauvage et roux des profondeurs muettes !

Il vient de s'éveiller comme le soir tombait,
Non, comme le loup triste, à l'odeur du gibet,
Non, comme le jaguar, pour aller dans les havres
Flairer si la tempête a jeté des cadavres,
Non, comme le chacal furtif et hasardeux,
Pour déterrer la nuit les morts, spectres hideux,
Dans quelque champ qui vit la guerre et ses désastres ;
Mais pour marcher dans l'ombre à la clarté des astres.
Car l'azur constellé plaît à son œil vermeil ;
Car Dieu fait contempler par l'aigle le soleil,
Et fait par le lion regarder les étoiles.
Il vient, du crépuscule il traverse les voiles,
Il médite, il chemine à pas silencieux,
Tranquille et satisfait sous la splendeur des cieux ;
Il aspire l'air pur qui manquait à son antre ;
Sa queue à coups égaux revient battre son ventre,
Et, dans l'obscurité qui le sent approcher,
Rien ne le voit venir, rien ne l'entend marcher.
Les palmiers, frissonnant comme des touffes d'herbe,
Frémissent. C'est ainsi que, paisible et superbe,
Il arrive toujours par le même chemin,
Et qu'il venait hier, et qu'il viendra demain,
À cette heure où Vénus à l'occident décline.

Et quand il s'est trouvé proche de la colline,
Marquant ses larges pieds dans le sable mouvant,
Avant même que l'œil d'aucun être vivant
Eût pu, sous l'éternel et mystérieux dôme,
Voir poindre à l'horizon son vague et noir fantôme,
Avant que dans la plaine il se fût avancé,
Il se taisait ; son souffle a seulement passé,
Et ce souffle a suffi, flottant à l'aventure,
Pour faire tressaillir la profonde nature,
Et pour faire soudain taire au plus fort du bruit
Toutes ces sombres voix qui hurlent dans la nuit.

IV.

Ainsi, quand, de ton antre enfin poussant la pierre,
Et las du long sommeil qui pèse à ta paupière,
Ô peuple, ouvrant tes yeux d'où sort une clarté,
Tu te réveilleras dans ta tranquillité,
Le jour où nos pillards, où nos tyrans sans nombre
Comprendront que quelqu'un remue au fond de l'ombre,
Et que c'est toi qui viens, ô lion ! ce jour-là,
Ce vil groupe où Falstaff s'accouple à Loyola,
Tous ces gueux devant qui la probité se cabre,
Les traîneurs de soutane et les traîneurs de sabre,
Le général Soufflard, le juge Barabbas,
Le jésuite au front jaune, à l'œil féroce et bas,
Disant son chapelet dont les grains sont des balles,
Les Mingrats bénissant les Héliogabales,
Les Veuillots qui naguère, errant sans feu ni lieu,
Avant de prendre en main la cause du bon Dieu,
Avant d'être des saints, traînaient dans les ribotes
Les haillons de leur style et les trous de leurs bottes,
L'archevêque, ouléma du Christ ou de Mahom,
Mâchant avec l'hostie un sanglant Te Deum,
Les Troplong, Les Rouher, violateurs de chartes,
Grecs qui tiennent les lois comme ils tiendraient les cartes,
Les beaux fils dont les mains sont rouges sous leurs gants.
Ces dévots, ces viveurs, ces bedeaux, ces brigands,
Depuis les hommes vils jusqu'aux hommes sinistres,
Tout ce tas monstrueux de gredins et de cuistres
Qui grincent, l'œil ardent, le mufle ensanglanté,
Autour de la raison et de la vérité,
Tous, du maître au goujat, du bandit au maroufle,
Pâles, rien qu'à sentir au **** passer ton souffle,
Feront silence, ô peuple ! et tous disparaîtront
Subitement, l'éclair ne sera pas plus prompt,
Cachés, évanouis, perdus dans la nuit sombre,
Avant même qu'on ait entendu, dans cette ombre
Où les justes tremblants aux méchants sont mêlés,
Ta grande voix monter vers les cieux étoilés !

Jersey, le 25 novembre 1852.
Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;
Je veux te peindre ta beauté,
Où l'enfance s'allie à la maturité.

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane avec d'étranges grâces ;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;
Je veux te peindre ta beauté,
Où l'enfance s'allie à la maturité.

Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire,
Ta gorge triomphante est une belle armoire
Dont les panneaux bombés et clairs
Comme les boucliers accrochent des éclairs,

Boucliers provoquants, armés de pointes roses !
Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses,
De vins, de parfums, de liqueurs
Qui feraient délirer les cerveaux et les coeurs !

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

Tes nobles jambes, sous les volants qu'elles chassent,
Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,
Comme deux sorcières qui font
Tourner un philtre noir dans un vase profond.

Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules,
Sont des boas luisants les solides émules,
Faits pour serrer obstinément,
Comme pour l'imprimer dans ton coeur, ton amant.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane avec d'étranges grâces ;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
I.

Par ses propres fureurs le Maudit se dévoile ;
Dans le démon vainqueur on voit l'ange proscrit ;
L'anathème éternel, qui poursuit son étoile,
Dans ses succès même est écrit.
Il est, lorsque des cieux nous oublions la voie,
Des jours, que Dieu sans doute envoie
Pour nous rappeler les enfers ;
Jours sanglants qui, voués au triomphe du crime,
Comme d'affreux rayons échappés de l'abîme,
Apparaissent sur l'univers.

Poètes qui toujours, **** du siècle où nous sommes,
Chantres des pleurs sans fin et des maux mérités,
Cherchez des attentats tels que la voix des hommes
N'en ait point encor racontés,
Si quelqu'un vient à vous vantant la jeune France,
Nos exploits, notre tolérance,
Et nos temps féconds en bienfaits,
Soyez contents ; lisez nos récentes histoires,
Evoquez nos vertus, interrogez nos gloires : -
Vous pourrez choisir des forfaits !

Moi, je n'ai point reçu de la Muse funèbre
Votre lyre de bronze, ô chantres des remords !
Mais je voudrais flétrir les bourreaux qu'on célèbre,
Et venger la cause des morts.
Je voudrais, un moment, troublant l'impur Génie.
Arrêter sa gloire impunie
Qu'on pousse à l'immortalité ;
Comme autrefois un grec, malgré les vents rapides,
Seul, retint de ses bras, de ses dents intrépides,
L'esquif sur les mers emporté !

II.

Quiberon vit jadis, sur son bord solitaire,
Des français assaillis s'apprêter à mourir,
Puis, devant les deux chefs, l'airain fumant se taire,
Et les rangs désarmés s'ouvrir.
Pour sauver ses soldats l'un d'eux offrit sa tête ;
L'autre accepta cette conquête,
De leur traité gage inhumain ;
Et nul guerrier ne crut sa promesse frivole,
Car devant les drapeaux, témoins de leur parole,
Tous deux s'étaient donné la main !

La phalange fidèle alors livra ses armes.
Ils marchaient ; une armée environnait leurs pas,
Et le peuple accourait, en répandant des larmes,
Voir ces preux, sauvés du trépas.
Ils foulaient en vaincus les champs de leurs ancêtres ;
Ce fut un vieux temple, sans prêtres,
Qui reçut ces vengeurs des rois ;
Mais l'humble autel manquait à la pieuse enceinte,
Et, pour se consoler, dans cette prison sainte,
Leurs yeux en vain cherchaient la croix.

Tous prièrent ensemble, et, d'une voix plaintive,
Tous, se frappant le sein, gémirent à genoux.
Un seul ne pleurait pas dans la tribu captive :
C'était lui qui mourait pour tous ;
C'était Sombreuil, leur chef : Jeune et plein d'espérance,
L'heure de son trépas s'avance ;
Il la salue avec ferveur.
Le supplice, entouré des apprêts funéraires,
Est beau pour un chrétien qui, seul, va pour ses frères
Expirer, semblable au Sauveur.

« Oh ! cessez, disait-il, ces larmes, ces reproches,
Guerriers ; votre salut prévient tant de douleurs !
Combien à votre mort vos amis et vos proches,
Hélas ! auraient versé de pleurs !
Je romps avec vos fers mes chaînes éphémères ;
À vos épouses, à vos mères,
Conservez vos jours précieux.
On vous rendra la paix, la liberté, la vie ;
Tout ce bonheur n'a rien que mon cœur vous envie ;
Vous, ne m'enviez pas les cieux. »

Le sinistre tambour sonna l'heure dernière,
Les bourreaux étaient prêts ; on vit Sombreuil partir.
La sœur ne fut point là pour leur ravir le frère, -
Et le héros devint martyr.
L'exhortant de la voix et de son saint exemple,
Un évêque, exilé du temple,
Le suivit au funeste lieu ;
Afin que le vainqueur vît, dans son camp rebelle,
Mourir, près d'un soldat à son prince fidèle,
Un prêtre fidèle à son Dieu !

III.

Vous pour qui s'est versé le sang expiatoire,
Bénissez le Seigneur, louez l'heureux Sombreuil ;
Celui qui monte au ciel, brillant de tant de gloire,
N'a pas besoin de chants de deuil !
Bannis, on va vous rendre enfin une patrie ;
Captifs, la liberté chérie
Se montre à vous dans l'avenir.
Oui, de vos longs malheurs chantez la fin prochaine ;
Vos prisons vont s'ouvrir, on brise votre chaîne ;
Chantez ! votre exil va finir.

En effet, - des cachots la porte à grand bruit roule,
Un étendard paraît, qui flotte ensanglanté ;
Des chefs et des soldats l'environnent en foule,
En invoquant la liberté !
« Quoi ! disaient les captifs, déjà l'on nous délivre !... »
Quelques uns s'empressent de suivre
Les bourreaux devenus meilleurs.
« Adieu, leur criait-on, adieu, plus de souffrance ;
Nous nous reverrons tous, libres, dans notre France ! »
Ils devaient se revoir ailleurs.

Bientôt, jusqu'aux prisons des captifs en prières,
Arrive un sourd fracas, par l'écho répété ;
C'étaient leurs fiers vainqueurs qui délivraient leurs frères,
Et qui remplissaient leur traité !
Sans troubler les proscrits, ce bruit vint les surprendre ;
Aucun d'eux ne savait comprendre
Qu'on pût se jouer des serments ;
Ils disaient aux soldats : « Votre foi nous protège ; »
Et, pour toute réponse, un lugubre cortège
Les traîna sur des corps fumants !

Le jour fit place à l'ombre et la nuit à l'aurore,
Hélas ! et, pour mourir traversant la cité,
Les crédules proscrits passaient, passaient encore,
Aux yeux du peuple éprouvant !
Chacun d'eux racontait, brûlant d'un sain délire,
À ses compagnons de martyre
Les malheurs qu'il avait soufferts ;
Tous succombaient sans peur, sans faste, sans murmure,
Regrettant seulement qu'il fallût un parjure,
Pour les immoler dans les fers.

À coups multipliés la hache abat les chênes.
Le vil chasseur, dans l'antre ignoré du soleil,
Egorge lentement le lion dont ses chaînes
Ont surpris le noble sommeil.
On massacra longtemps la tribu sans défense.
À leur mort assistait la France,
Jouet des bourreaux triomphants ;
Comme jadis, aux pieds des idoles impures,
Tour à tour, une veuve, en de longues tortures,
Vit expirer ses sept enfants.

C'étaient là les vertus d'un sénat qu'on nous vante !
Le sombre esprit du mal sourit en le créant ;
Mais ce corps aux cent bras, fort de notre épouvante,
En son sein portait son néant.
Le colosse de fer s'est dissous dans la fange.
L'anarchie, alors que tout change,
Pense voir ses œuvres durer ;
Mais ce Pygmalion, dans ses travaux frivoles,
Ne peut donner la vie aux horribles idoles
Qu'il se fait pour les adorer.

IV.

On dit que, de nos jours, viennent, versant des larmes,
Prier au champ fatal où ces preux sont tombés,
Les vierges, les soldats fiers de leurs jeunes armes,
Et les vieillards lents et courbés.
Du ciel sur les bourreaux appelant l'indulgence,
Là, nul n'implore la vengeance,
Tous demandent le repentir ;
Et chez ces vieux bretons, témoins de tant de crimes,
Le pèlerin, qui vient invoquer les victimes,
Souvent lui-même est un martyr.

Du 11 au 17 février 1821.

— The End —