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Paul d'Aubin Oct 2013
Le cri d'Alep ; ce principe   d’égalité dénié entre les Humains qui nous interpelle  

Combien sont-ils réfugiés dans les caves
À tromper provisoirement la mort
en se promettant une vie meilleure, où leur voix soit entendue
ou en songeant au paradis promis aux martyrs ?

Et ce cinéaste kurde qui vivait à Paris et voulait voler des images à l’anonymat de la grande faucheuse.
Il est parti là-bas muni de l'espoir fou que parfois les images savent atteindre le cœur des hommes.
Certains les appellent des «Djihadistes» et tremblent pour leur propre liberté d’opinion, pour les femmes qui sont traitées comme moins que rien par une masculinité égarée et pour leur rêve d’un nouveau «Califat» qui relève plus d’une blessure historique que d’un projet concret et réalisable.

D’autres défendent tout simplement un même « droit des gens» pour tous les êtres sur la Planète
Pourquoi être né Arabe, Juif, Kurde ou noir ou même apatride, devrait-il à jamais vous rendre la vie plus précaire et vous priver du Droit de choisir vos gouvernants ?
Il fut un temps où des évêques catholiques bénissaient les armes des troupes de Franco et appelaient à libérer l’Espagne des «rouges».
Il fut un temps où l’on enfermait dans le camp du Vernet les courageux combattants des «brigades internationales» ; ceux venus de tous les lieux du Monde qui ne croyaient pas en Allah mais avaient bien une forme de foi terrestre.
Durant ce temps Orwell, Hemingway, Malraux, ceux de la brigade Lincoln, les poètes de vingt ans assassinés tels, Sam Levinger, mort à Belchite, et Joseph Seligman, lors de la bataille du Jarama. Ils avaient vingt ans. Et bien d’autres quittèrent leur quiétude pour défendre l’Humanisme et l’Humanité aux prises avec les cris du «Viva la Muerte» des fascistes.

Que l’on m’explique, aujourd’hui pourquoi, la circonstance de naître dans le croissant fertile devrait vous valoir la servitude à vie et supporter un dirigeant criminel qui va qu’à user du gaz «sarin» contre une partie de sa propre Peuple qui le ***** ?
Et de vivre perpétuellement et sans espoir que cela ne change dans le servage de régimes militaires et de tyrans corrompus ?
La question de la Religion et des «communautés» ne masque-t-elle pas une comptabilité inégalitaire et sordide faite entre les hommes qui vivent sur une même planète ?
Là, en terre d’Islam, vous seriez condamnés à courber le dos entre le bâton et les balles du policier ou la vision et les sermons réducteurs des théocrates et de ceux qui osent se nommer : «Le parti de Dieu» ?
Qui ose ainsi trancher dans l’Humain et réduire le besoin et le souffle des Libertés à certains Peuples ; blancs et riches, de préférence ?

Allons mes ami(e)s, n’oublions pas le message universel des Hume, Paine, Voltaire, Hugo, d’Hemingway qui permit à nos anciens de prendre les Bastilles.
Le Droit à la vie et à la liberté n’est pas d’un continent, ni d’une couleur de peau, ni d’une religion ; il est Universel comme le sourire du jeune enfant à sa mère.
Assez de discriminations et d’hypocrisies ; dénonçons l’imposture des tyrans et les veules par trop intéressés qui nous voudraient taisant et tranquilles.
Il est un «Monde nouveau» qui ne demande qu’à grandir et à vivre si bien sûr, on ne le tue pas avant ou si on ne lui met pas le bâillon.
Ami(e)s ne te fait pas dicter ta conduite par ceux qui sont payés pour écrire que l’ordre immuable doit toujours se perpétuer.
Ose ouvrir les yeux même aux spectacles les plus insoutenables et entendre ce long chœur de gémissements qui est l'Humanité souffrante dont tu fais intrinsèquement partie toi-même, avec les mêmes droits et devoirs.
C’est l’Humanité souffrante qui frappe, devant l’écran de ton téléviseur quand ta journée de travail finie tu t’assoupis et il est trop facile et fallacieux de te dire que des spécialistes vont régler les problèmes à ta place.
Hélas si tous raisonnent ainsi ; rien ne bougera et les Tyrans succéderont aux Tyrans comme les malédictions de Job.
Peut-être ta faible voix comme celle du rouge-gorge doit se mêler à la symphonie du Monde pour qu'enfin puissent tomber les préjugés entre les êtres et les murailles de Jéricho ?

Paul d’Aubin (Paul Arrighi (Historien, Homme de Lettres et Poète) - Toulouse, Toulouse (France) le mardi  1er  octobre  2013.

Paul Arrighi, à Toulouse, (Historien, Homme de Lettres et Poète)
qynce b May 2014
Ma chatte est vieux et
ma autre chatte est vieux et je
suis vieillis chaque jour
J'entrai dernièrement dans une vieille église ;

La nef était déserte, et sur la dalle grise,

Les feux du soir, passant par les vitraux dorés,

Voltigeaient et dansaient, ardemment colorés.

Comme je m'en allais, visitant les chapelles,

Avec tous leurs festons et toutes leurs dentelles,

Dans un coin du jubé j'aperçus un tableau

Représentant un Christ qui me parut très-beau.

On y voyait saint Jean, Madeleine et la Vierge ;

Leurs chairs, d'un ton pareil à la cire de cierge,

Les faisaient ressembler, sur le fond sombre et noir,

A ces fantômes blancs qui se dressent le soir,

Et vont croisant les bras sous leurs draps mortuaires ;

Leurs robes à plis droits, ainsi que des suaires,

S'allongeaient tout d'un jet de leur nuque à leurs pieds ;

Ainsi faits, l'on eût dit qu'ils fussent copiés

Dans le campo-Santo sur quelque fresque antique,

D'un vieux maître Pisan, artiste catholique,

Tant l'on voyait reluire autour de leur beauté,

Le nimbe rayonnant de la mysticité,

Et tant l'on respirait dans leur humble attitude,

Les parfums onctueux de la béatitude.


Sans doute que c'était l'œuvre d'un Allemand,

D'un élève d'Holbein, mort bien obscurément,

A vingt ans, de misère et de mélancolie,

Dans quelque bourg de Flandre, au retour d'Italie ;

Car ses têtes semblaient, avec leur blanche chair,

Un rêve de soleil par une nuit d'hiver.


Je restai bien longtemps dans la même posture,

Pensif, à contempler cette pâle peinture ;

Je regardais le Christ sur son infâme bois,

Pour embrasser le monde, ouvrant les bras en croix ;

Ses pieds meurtris et bleus et ses deux mains clouées,

Ses chairs, par les bourreaux, à coups de fouets trouées,

La blessure livide et béante à son flanc ;

Son front d'ivoire où perle une sueur de sang ;

Son corps blafard, rayé par des lignes vermeilles,

Me faisaient naître au cœur des pitiés nonpareilles,

Et mes yeux débordaient en des ruisseaux de pleurs,

Comme dut en verser la Mère de Douleurs.

Dans l'outremer du ciel les chérubins fidèles,

Se lamentaient en chœur, la face sous leurs ailes,

Et l'un d'eux recueillait, un ciboire à la main,

Le pur-sang de la plaie où boit le genre humain ;

La sainte vierge, au bas, regardait : pauvre mère

Son divin fils en proie à l'agonie amère ;

Madeleine et saint Jean, sous les bras de la croix

Mornes, échevelés, sans soupirs et sans voix,

Plus dégoutants de pleurs qu'après la pluie un arbre,

Étaient debout, pareils à des piliers de marbre.


C'était, certes, un spectacle à faire réfléchir,

Et je sentis mon cou, comme un roseau, fléchir

Sous le vent que faisait l'aile de ma pensée,

Avec le chant du soir, vers le ciel élancée.

Je croisai gravement mes deux bras sur mon sein,

Et je pris mon menton dans le creux de ma main,

Et je me dis : « O Christ ! Tes douleurs sont trop vives ;

Après ton agonie au jardin des Olives,

Il fallait remonter près de ton père, au ciel,

Et nous laisser à nous l'éponge avec le fiel ;

Les clous percent ta chair, et les fleurons d'épines

Entrent profondément dans tes tempes divines.

Tu vas mourir, toi, Dieu, comme un homme. La mort

Recule épouvantée à ce sublime effort ;

Elle a peur de sa proie, elle hésite à la prendre,

Sachant qu'après trois jours il la lui faudra rendre,

Et qu'un ange viendra, qui, radieux et beau,

Lèvera de ses mains la pierre du tombeau ;

Mais tu n'en as pas moins souffert ton agonie,

Adorable victime entre toutes bénie ;

Mais tu n'en a pas moins avec les deux voleurs,

Étendu tes deux bras sur l'arbre de douleurs.


Ô rigoureux destin ! Une pareille vie,

D'une pareille mort si promptement suivie !

Pour tant de maux soufferts, tant d'absinthe et de fiel,

Où donc est le bonheur, le vin doux et le miel ?

La parole d'amour pour compenser l'injure,

Et la bouche qui donne un baiser par blessure ?

Dieu lui-même a besoin quand il est blasphémé,

Pour nous bénir encore de se sentir aimé,

Et tu n'as pas, Jésus, traversé cette terre,

N'ayant jamais pressé sur ton cœur solitaire

Un cœur sincère et pur, et fait ce long chemin

Sans avoir une épaule où reposer ta main,

Sans une âme choisie où répandre avec flamme

Tous les trésors d'amour enfermés dans ton âme.


Ne vous alarmez pas, esprits religieux,

Car l'inspiration descend toujours des cieux,

Et mon ange gardien, quand vint cette pensée,

De son bouclier d'or ne l'a pas repoussée.

C'est l'heure de l'extase où Dieu se laisse voir,

L'Angélus éploré tinte aux cloches du soir ;

Comme aux bras de l'amant, une vierge pâmée,

L'encensoir d'or exhale une haleine embaumée ;

La voix du jour s'éteint, les reflets des vitraux,

Comme des feux follets, passent sur les tombeaux,

Et l'on entend courir, sous les ogives frêles,

Un bruit confus de voix et de battements d'ailes ;

La foi descend des cieux avec l'obscurité ;

L'orgue vibre ; l'écho répond : Eternité !

Et la blanche statue, en sa couche de pierre,

Rapproche ses deux mains et se met en prière.

Comme un captif, brisant les portes du cachot,

L'âme du corps s'échappe et s'élance si haut,

Qu'elle heurte, en son vol, au détour d'un nuage,

L'étoile échevelée et l'archange en voyage ;

Tandis que la raison, avec son pied boiteux,

La regarde d'en-bas se perdre dans les cieux.

C'est à cette heure-là que les divins poètes,

Sentent grandir leur front et deviennent prophètes.


Ô mystère d'amour ! Ô mystère profond !

Abîme inexplicable où l'esprit se confond ;

Qui de nous osera, philosophe ou poète,

Dans cette sombre nuit plonger avant la tête ?

Quelle langue assez haute et quel cœur assez pur,

Pour chanter dignement tout ce poème obscur ?

Qui donc écartera l'aile blanche et dorée,

Dont un ange abritait cette amour ignorée ?

Qui nous dira le nom de cette autre Éloa ?

Et quelle âme, ô Jésus, à t'aimer se voua ?


Murs de Jérusalem, vénérables décombres,

Vous qui les avez vus et couverts de vos ombres,

Ô palmiers du Carmel ! Ô cèdres du Liban !

Apprenez-nous qui donc il aimait mieux que Jean ?

Si vos troncs vermoulus et si vos tours minées,

Dans leur écho fidèle, ont, depuis tant d'années,

Parmi les souvenirs des choses d'autrefois,

Conservé leur mémoire et le son de leur voix ;

Parlez et dites-nous, ô forêts ! ô ruines !

Tout ce que vous savez de ces amours divines !

Dites quels purs éclairs dans leurs yeux reluisaient,

Et quels soupirs ardents de leurs cœurs s'élançaient !

Et toi, Jourdain, réponds, sous les berceaux de palmes,

Quand la lune trempait ses pieds dans tes eaux calmes,

Et que le ciel semait sa face de plus d'yeux,

Que n'en traîne après lui le paon tout radieux ;

Ne les as-tu pas vus sur les fleurs et les mousses,

Glisser en se parlant avec des voix plus douces

Que les roucoulements des colombes de mai,

Que le premier aveu de celle que j'aimai ;

Et dans un pur baiser, symbole du mystère,

Unir la terre au ciel et le ciel à la terre.


Les échos sont muets, et le flot du Jourdain

Murmure sans répondre et passe avec dédain ;

Les morts de Josaphat, troublés dans leur silence,

Se tournent sur leur couche, et le vent frais balance

Au milieu des parfums dans les bras du palmier,

Le chant du rossignol et le nid du ramier.


Frère, mais voyez donc comme la Madeleine

Laisse sur son col blanc couler à flots d'ébène

Ses longs cheveux en pleurs, et comme ses beaux yeux,

Mélancoliquement, se tournent vers les cieux !

Qu'elle est belle ! Jamais, depuis Ève la blonde,

Une telle beauté n'apparut sur le monde ;

Son front est si charmant, son regard est si doux,

Que l'ange qui la garde, amoureux et jaloux,

Quand le désir craintif rôde et s'approche d'elle,

Fait luire son épée et le chasse à coups d'aile.


Ô pâle fleur d'amour éclose au paradis !

Qui répands tes parfums dans nos déserts maudits,

Comment donc as-tu fait, ô fleur ! Pour qu'il te reste

Une couleur si fraîche, une odeur si céleste ?

Comment donc as-tu fait, pauvre sœur du ramier,

Pour te conserver pure au cœur de ce bourbier ?

Quel miracle du ciel, sainte prostituée,

Que ton cœur, cette mer, si souvent remuée,

Des coquilles du bord et du limon impur,

N'ait pas, dans l'ouragan, souillé ses flots d'azur,

Et qu'on ait toujours vu sous leur manteau limpide,

La perle blanche au fond de ton âme candide !

C'est que tout cœur aimant est réhabilité,

Qu'il vous vient une autre âme et que la pureté

Qui remontait au ciel redescend et l'embrasse,

comme à sa sœur coupable une sœur qui fait grâce ;

C'est qu'aimer c'est pleurer, c'est croire, c'est prier ;

C'est que l'amour est saint et peut tout expier.


Mon grand peintre ignoré, sans en savoir les causes,

Dans ton sublime instinct tu comprenais ces choses,

Tu fis de ses yeux noirs ruisseler plus de pleurs ;

Tu gonflas son beau sein de plus hautes douleurs ;

La voyant si coupable et prenant pitié d'elle,

Pour qu'on lui pardonnât, tu l'as faite plus belle,

Et ton pinceau pieux, sur le divin contour,

A promené longtemps ses baisers pleins d'amour ;

Elle est plus belle encore que la vierge Marie,

Et le prêtre, à genoux, qui soupire et qui prie,

Dans sa pieuse extase, hésite entre les deux,

Et ne sait pas laquelle est la reine des cieux.


Ô sainte pécheresse ! Ô grande repentante !

Madeleine, c'est toi que j'eusse pour amante

Dans mes rêves choisie, et toute la beauté,

Tout le rayonnement de la virginité,

Montrant sur son front blanc la blancheur de son âme,

Ne sauraient m'émouvoir, ô femme vraiment femme,

Comme font tes soupirs et les pleurs de tes yeux,

Ineffable rosée à faire envie aux cieux !

Jamais lis de Saron, divine courtisane,

Mirant aux eaux des lacs sa robe diaphane,

N'eut un plus pur éclat ni de plus doux parfums ;

Ton beau front inondé de tes longs cheveux bruns,

Laisse voir, au travers de ta peau transparente,

Le rêve de ton âme et ta pensée errante,

Comme un globe d'albâtre éclairé par dedans !

Ton œil est un foyer dont les rayons ardents

Sous la cendre des cœurs ressuscitent les flammes ;

O la plus amoureuse entre toutes les femmes !

Les séraphins du ciel à peine ont dans le cœur,

Plus d'extase divine et de sainte langueur ;

Et tu pourrais couvrir de ton amour profonde,

Comme d'un manteau d'or la nudité du monde !

Toi seule sais aimer, comme il faut qu'il le soit,

Celui qui t'a marquée au front avec le doigt,

Celui dont tu baignais les pieds de myrrhe pure,

Et qui pour s'essuyer avait ta chevelure ;

Celui qui t'apparut au jardin, pâle encore

D'avoir dormi sa nuit dans le lit de la mort ;

Et, pour te consoler, voulut que la première

Tu le visses rempli de gloire et de lumière.


En faisant ce tableau, Raphaël inconnu,

N'est-ce pas ? Ce penser comme à moi t'est venu,

Et que ta rêverie a sondé ce mystère,

Que je voudrais pouvoir à la fois dire et taire ?

Ô poètes ! Allez prier à cet autel,

A l'heure où le jour baisse, à l'instant solennel,

Quand d'un brouillard d'encens la nef est toute pleine.

Regardez le Jésus et puis la Madeleine ;

Plongez-vous dans votre âme et rêvez au doux bruit

Que font en s'éployant les ailes de la nuit ;

Peut-être un chérubin détaché de la toile,

A vos yeux, un moment, soulèvera le voile,

Et dans un long soupir l'orgue murmurera

L'ineffable secret que ma bouche taira.
À force d'insulter les vaillants et les justes,
À force de flatter les trahisons augustes,
À force d'être abject et d'ajuster des tas
De sophismes hideux aux plus noirs attentats,
Cet homme espère atteindre aux grandeurs ; il s'essouffle
À passer scélérat, lui qui n'est que maroufle.
Ce pédagogue aspire au grade de coquin.
Ce rhéteur, ver de terre et de lettres, pasquin
Qui s'acharne sur nous et dont toujours nous rîmes,
Tâche d'être promu complice des grands crimes.
Il raillait l'art, et c'est tout simple en vérité,
La laideur est aveugle et sourde à la beauté.
Mais être un idiot ne peut plus lui suffire,
Il est jaloux du tigre à qui la peur dit : sire !
Il veut être aussi lui sénateur des forêts ;
Il veut avoir, ainsi que Montluc ou Verrès,
Sa caverne ou sa cage avec grilles et trappes
Dans la ménagerie énorme des satrapes.
Ah çà, tu perds ton temps et ta peine, grimaud !
Aliboron n'est pas aisément Béhémoth ;
Le burlesque n'est pas facilement sinistre ;
Fusses-tu meurtrier, tu demeurerais cuistre.
Quand ces êtres sanglants qu'il te plaît d'envier,
Mammons que hait Tacite et qu'admire Cuvier,
Sont là, brigands et dieux, on n'entre pas d'emblée
Dans leur épouvantable et royale assemblée.
Devenir historique ! Impossible pour toi.
Sortir du mépris simple et compter dans l'effroi,
Toi, jamais ! Ton front bas exclut ce noir panache.
Ton sort est d'être, jeune, inepte ; et, vieux, ganache.
Vers l'avancement vrai tu n'as point fait un pas ;
Tu te gonfles, crapaud, mais tu n'augmentes pas ;
Si Myrmidon croissait, ce serait du désordre ;
Tu parviens à ramper sans parvenir à mordre.
La nature n'a pas de force à dépenser
Pour te faire grandir et te faire pousser.
Quoi donc ! N'est-elle point l'impassible nature ?
Parce que des têtards, nourris de pourriture,
Souhaitent devenir dragons et caïmans,
Elle consentirait à ces grossissements !
Le ver serait boa ! L'huître deviendrait l'hydre !
Locuste empoisonnait le vin, et non le cidre ;
L'enfer fit Arétin terrible, et non Brusquet.
Un avorton ne peut qu'avorter. Le roquet
S'efforce d'être loup, mais il s'arrête en route.
Le ciel mystérieux fait des guépards sans doute,
De fiers lions bandits, pires que les démons,
Des éléphants, des ours ; mais il livre les monts,
Les antres et les bois à leur majesté morne !
Mais il lui faut l'espace et les sables sans borne
Et l'immense désert pour les démuseler !
Le chat qui veut rugir ne peut que miauler ;
En vain il copierait le grand jaguar lyrique
Errant sur la falaise au bord des mers d'Afrique,
Et la panthère horrible, et le lynx moucheté ;
Dieu ne fait pas monter jusqu'à la dignité
De crime, de furie et de scélératesse,
Cette méchanceté faite de petitesse.
Les montagnes, pignons et murs de granit noir
D'où tombent les torrents affreux, riraient de voir
Ce preneur de souris rôder sur leur gouttière.
Un nain ne devient pas géant au vestiaire.
Pour être un dangereux et puissant animal,
Il faut qu'un grand rayon tombe sur vous ; le mal
N'arrive pas toujours à sa hideuse gloire.
Dieu tolère, c'est vrai, la création noire,
Mais d'aussi plats que toi ne sont pas exaucés.
Tu ne parviendras pas, drôle, à t'enfler assez
Pour être un python vaste et sombre au fond des fanges ;
Tu n'égaleras point ces reptiles étranges
Dont l'œil aux soupiraux de l'enfer est pareil.
Tu demeureras laid, faible et mou. Le soleil
Dédaigne le lézard, candidat crocodile.

Sois un cœur monstrueux, mais reste une âme vile.
I.

L'esprit des sages te contemple,
Mystérieuse Humilité,
Porte étroite et basse du temple
Auguste de la vérité !
Vertu que Dieu place à la tête
Des vertus que l'ange au ciel fête ;
Car elle est la perle parfaite
Dans l'abîme du siècle amer ;
Car elle rit sous l'eau profonde,
**** du plongeur et de la sonde.
Préférant aux écrins du monde
Le cœur farouche de la mer.
C'est vers l'humanité fidèle
Que mes oiseaux s'envoleront ;
Vers les fils, vers les filles d'elle,
Pour sourire autour de leur front ;
Vers Jeanne d'Arc et Geneviève
Dont l'étoile au ciel noir se lève,
Dont le paisible troupeau rêve,
Oublieux du loup, qui s'enfuit ;
Douces porteuses de bannière,
Qui refoulaient, à leur manière,
L'impur Suffolk vers sa tanière,
L'aveugle Attila dans sa nuit.

Sur la lyre à la corde amère
Où le chant d'un dieu s'est voilé,
Ils iront saluer Homère
Sous son haillon tout étoile.
Celui pour qui jadis les Iles
Et la Grèce étaient sans asiles,
Habite aujourd'hui dans nos villes
La colonne et le piédestal ;
Une fontaine à leur flanc jase,
Où l'enfant puise avec son vase,
Et la rêverie en extase,
Avec son urne de cristal.
**** des palais sous les beaux arbres
Où les paons, compagnons des dieux,
Traînent dans la blancheur des marbres
Leurs manteaux d'azur, couverts d'yeux ;
Où, des bassins que son chant noie
L'onde s'échevelle et poudroie :
Laissant ce faste et cette joie,
Mes strophes abattront leur vol,
Pour entendre éclater, superbe,
La voix la plus proche du Verbe,
Dans la paix des grands bois pleins d'herbe
Où se cache le rossignol.
Lorsqu'au fond de la forêt brune
Pas une feuille ne bruit,
Et qu'en présence de la lune
Le silence s'épanouit,
Sous l'azur chaste qui s'allume,
Dans l'ombre où l'encens des fleurs fume,
Le rossignol qui se consume
Dans l'extatique oubli du jour,
Verse un immense épithalame
De son petit gosier de flamme,
Où s'embrasent l'accent et l'âme
De la nature et de l'amour !

II.

C'est Dieu qui conduisait à Rome,
Mettant un bourdon dans sa main,
Ce saint qui ne fut qu'un pauvre homme,
Hirondelle de grand chemin,
Qui laissa tout son coin de terre,
Sa cellule de solitaire.
Et la soupe du monastère,
Et son banc qui chauffe au soleil,
Sourd à son siècle, à ses oracles,
Accueilli des seuls tabernacles,
Mais vêtu du don des miracles
Et coiffé du nimbe vermeil.

Le vrai pauvre qui se délabre,
Lustre à lustre, été par été,
C'était ce règne, et non saint Labre,
Qui lui faisait la charité
De ses vertus spirituelles,
De ses bontés habituelles,
Léger guérisseur d'écrouelles,
Front penché sur chaque indigent,
Fière statue enchanteresse
De l'austérité, que Dieu dresse,
Au bout du siècle de l'ivresse,
Au seuil du siècle de l'argent.

Je sais que notre temps dédaigne
Les coquilles de son chapeau,
Et qu'un lâche étonnement règne
Devant les ombres de sa peau ;
L'âme en est-elle atténuée ?
Et qu'importe au ciel sa nuée,
Qu'importe au miroir sa buée,
Si Dieu splendide aime à s'y voir !
La gangue au diamant s'allie ;
Toi, tu peins ta lèvre pâlie,
Luxure, et toi, vertu salie,
C'est là ton fard mystique et noir.

Qu'importe l'orgueil qui s'effare,
Ses pudeurs, ses rebellions !
Vous, qu'une main superbe égare
Dans la crinière des lions,
Comme elle égare aux plis des voiles,
Où la nuit a tendu ses toiles,
Aldébaran et les étoiles,
Frères des astres, vous, les poux
Qu'il laissait paître sur sa tête,
Bon pour vous et dur pour sa bête,
Dites, par la voix du poète,
À quel point ce pauvre était doux !

Ah ! quand le Juste est mort, tout change :
Rome au saint mur pend son haillon,
Et Dieu veut, par des mains d'Archange,
Vêtir son corps d'un grand rayon ;
Le soleil le prend sous son aile,
La lune rit dans sa prunelle,
La grâce comme une eau ruisselle
Sur son buste et ses bras nerveux ;
Et le saint, dans l'apothéose
Du ciel ouvert comme une rose,
Plane, et montre à l'enfer morose
Des étoiles dans ses cheveux !

Beau paysan, ange d'Amette,
Ayant aujourd'hui pour trépieds
La lune au ciel, et la comète,
Et tous les soleils sous vos pieds ;
Couvert d'odeurs délicieuses,
Vous, qui dormiez sous les yeuses,
Vous, que l'Eglise aux mains pieuses
Peint sur l'autel et le guidon,
Priez pour nos âmes, ces gouges,
Et pour que nos cœurs, las des bouges,
Lavent leurs péchés noirs et rouges
Dans les piscines du pardon !

III.

Aimez l'humilité ! C'est elle
Que les mages de l'Orient,
Coiffés d'un turban de dentelle,
Et dont le Noir montre en riant
Un blanc croissant qui l'illumine,
Offrant sur les coussins d'hermine
Et l'or pur et la myrrhe fine,
Venaient, dans l'encens triomphant,
Grâce à l'étoile dans la nue,
Adorer, sur la paille nue,
Au fond d'une étable inconnue,
Dans la personne d'un enfant.
Ses mains, qui sont des fleurs écloses,
Aux doux parfums spirituels,
Portent de délicates roses,
À la place des clous cruels.
Ecarlates comme les baies
Dont le printemps rougit les haies,
Les cinq blessures de ses plaies,
Dont l'ardeur ne peut s'apaiser,
Semblent ouvrir au vent des fièvres,
Sur sa chair pâle aux blancheurs mièvres,
La multitude de leurs lèvres
Pour l'infini de son baiser.
Au pied de la croix découpée
Sur le sombre azur de Sion,
Une figure enveloppée
De silence et de passion,
Immobile et de pleurs vêtue,
Va grandir comme une statue
Que la foi des temps perpétue,
Haute assez pour jeter sur nous,
Nos deuils, nos larmes et nos râles,
Son ombre aux ailes magistrales,
Comme l'ombre des cathédrales
Sur les collines à genoux.
Près de la blanche Madeleine,
Dont l'époux reste parfumé
Des odeurs de son urne pleine,
Près de Jean le disciple aimé,
C'est ainsi qu'entre deux infâmes,
Honni des hommes et des femmes,
Pour le ravissement des âmes,
Voulut éclore et se flétrir
Celui qui, d'un cri charitable,
Appelante pauvre à sa table,
Etait bien le Dieu véritable
Puisque l'homme l'a fait mourir !

Maintenant que Tibère écoute
Rire le flot, chanter le nid !
Olympe, un cri monte à ta voûte,
Et c'est : Lamma Sabacthani !
Les dieux voient s'écrouler leur nombre.
Le vieux monde plonge dans l'ombre,
Usé comme un vêtement sombre
Qui se détache par lambeaux.
Un empire inconnu se fonde,
Et Rome voit éclore un monde
Qui sort de la douleur profonde
Comme une rose du tombeau !
Des bords du Rhône aux bords du Tigre
Que Néron fasse armer ses lois,
Qu'il sente les ongles du tigre
Pousser à chacun de ses doigts ;
Qu'il contemple, dans sa paresse,
Au son des flûtes de la Grèce,
Les chevilles de la négresse
Tourner sur un rythme énervant ;
Déjà, dans sa tête en délire,
S'allume la flamme où l'Empire
De Rome et des Césars expire
Dans la fumée et dans le vent !

IV.

Humilité ! loi naturelle,
Parfum du fort, fleur du petit !
Antée a mis sa force en elle,
C'est sur elle que l'on bâtit.
Seule, elle rit dans les alarmes.
Celui qui ne prend pas ses armes,
Celui qui ne voit pas ses charmes
À la clarté de Jésus-Christ,
Celui là, sur le fleuve avide
Des ans profonds que Dieu dévide,
Aura fui comme un feuillet vide
Où le destin n'a rien écrit !
À M. Léon Bailby.


Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
À la limite où notre sol brille déjà
Baisse ta deuxième paupière la terre t'éblouit
Quand tu lèves la tête

Et moi aussi de près je suis sombre et terne
Une brume qui vient d'obscurcir les lanternes
Une main qui tout à coup se pose devant les yeux
Une voûte entre vous et toutes les lumières
Et je m'éloignerai m'illuminant au milieu d'ombres
Et d'alignements d'yeux des astres bien-aimés

Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
À la limite où brille déjà ma mémoire
Baisse ta deuxième paupière
Ni à cause du soleil ni à cause de la terre
Mais pour ce feu oblong dont l'intensité ira s'augmentant
Au point qu'il deviendra un jour l'unique lumière
Un jour
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Pour que je sache enfin celui-là que je suis
Moi qui connais les autres
Je les connais par les cinq sens et quelques autres
Il me suffit de voir leurs pieds pour pouvoir refaire ces gens à milliers
De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux
Ou leur langue quand il me plaît de faire le médecin
Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète
Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères
La monnaie des aveugles les mains des muets
Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l'écriture
Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans
Il me suffit de sentir l'odeur de leurs églises
L'odeur des fleuves dans leurs villes
Le parfum des fleurs dans les jardins publics
Ô Corneille Agrippa l'odeur d'un petit chien m'eût suffi
Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne
Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline
Qui t'inspirait l'erreur touchant toutes les femmes
Il me suffit de goûter la saveur du laurier qu'on cultive pour que j'aime ou que je bafoue
Et de toucher les vêtements
Pour ne pas douter si l'on est frileux ou non
Ô gens que je connais
Il me suffit d'entendre le bruit de leurs pas
Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu'ils ont prise
Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit
De ressusciter les autres
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Et d'un lyrique pas s'avançaient ceux que j'aime
Parmi lesquels je n'étais pas
Les géants couverts d'algues passaient dans leurs villes
Sous-marines où les tours seules étaient des îles
Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs
Coulait sang de mes veines et fait battre mon cœur
Puis sur terre il venait mille peuplades blanches
Dont chaque homme tenait une rose à la main
Et le langage qu'ils inventaient en chemin
Je l'appris de leur bouche et je le parle encore
Le cortège passait et j'y cherchais mon corps
Tous ceux qui survenaient et n'étaient pas moi-même
Amenaient un à un les morceaux de moi-même
On me bâtit peu à peu comme on élève une tour
Les peuples s'entassaient et je parus moi-même
Qu'ont formé tous les corps et les choses humaines

Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes
Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes
Et détournant mes yeux de ce vide avenir
En moi-même je vois tout le passé grandir

Rien n'est mort que ce qui n'existe pas encore
Près du passé luisant demain est incolore
Il est informe aussi près de ce qui parfait
Présente tout ensemble et l'effort et l'effet.
Le présent se fait vide et triste,
Ô mon amie, autour de nous ;
Combien peu de passé subsiste !
Et ceux qui restent changent tous.

Nous ne voyons plus sans envie
Les yeux de vingt ans resplendir,
Et combien sont déjà sans vie
Des yeux qui nous ont vus grandir !

Que de jeunesse emporte l'heure,
Qui n'en rapporte jamais rien !
Pourtant quelque chose demeure :
Je t'aime avec mon cœur ancien,

Mon vrai cœur, celui qui s'attache
Et souffre depuis qu'il est né,
Mon cœur d'enfant, le cœur sans tache
Que ma mère m'avait donné ;

Ce cœur où plus rien ne pénètre,
D'où plus rien désormais ne sort ;
Je t'aime avec ce que mon être
A de plus fort contre la mort ;

Et, s'il peut braver la mort même,
Si le meilleur de l'homme est tel
Que rien n'en périsse, je t'aime
Avec ce que j'ai d'immortel.
Tom Vassos Dec 2019
Trébuchant,
Ne va nulle part.
Perdu de désespoir,
Perdu dans le chagrin.

Trébuchant en rond,
Ne pas me réveiller de mon rêve.
Perdu dans mes pensées,
Perdu dans le passé.

Trébuchant à impuissant,
Pas capable de guérir mon cœur.
Perdu dans les émotions,
Perdu dans l'angoisse.

Trébuchant vers nulle part,
Ne sachant pas comment se lever.
Perdu dans ma douleur,
Perdu dans ma culpabilité.

Trébuchant à amer,
Ne sachant pas quoi faire ensuite.
Perdu dans les conneries,
Perdu dans la colère.

Trébuchant pour décliner,
Ne sachant pas comment se libérer.
Perdu dans la confusion,
Perdu dans l'illusion.

Trébuchant de détresse,
Ne sachant pas pourquoi je t'aime.
Perdu avec les démons,
Perdu dans le bourbier.

Trébuchant à rien,
Ne connaissant pas la vraie dévotion.
Perdu dans mon tourment,
Perdu dans le non-sens.

Trébuchant sur le désordre,
Ne sachant pas comment riposter.
Perdu dans le chaos,
Perdu dans la fureur.

Trébuchant à l'agonie,
Ne sachant pas comment changer de cap.
Perdu dans un gros gâchis,
Perdu dans des blessures silencieuses.

Trébuchant vers la destruction,
Ne sachant pas se tenir debout.
Perdu dans l'isolement,
Perdu dans la désillusion.

Trébuchant jusqu'à l'extinction,
Peu importe où je me retrouve.
Perdu dans la dévastation,
Perdu en ruine.

Réveille-toi, réveille-toi,
Levez-vous, levez-vous,
Grandir, grandir,
Lève-toi, lève-toi,
Battez-vous, battez-vous,
Contre-attaque, contre-attaque,
Envolez-vous maintenant, envolez-vous maintenant.

Fermez la porte… Libérez-vous.
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Ils vont sans trêve ; ils vont sous le ciel bas et sombre,
Les Fugitifs, chassés des anciens paradis ;
Et toute la tribu, depuis des jours sans nombre,
Dans leur sillon fatal traîne ses pieds roidis.

Ils vont, les derniers-nés des races primitives,
Les derniers dont les yeux, sur les divins sommets,
Dans les herbes en fleur ont vu fuir les Eaux vives
Et grandir un Soleil, oublié désormais.

Tout est mort et flétri sur les plateaux sublimes
Où l'aurore du monde a lui pour leurs aïeux ;
Et voici que les fils, à l'étroit sur les cimes,
Vers l'Occident nocturne ont cherché d'autres cieux.

Ils ont fui. Le vent souffle et pousse dans l'espace
La neige inépuisable en tourbillons gonflés ;
Un hiver éternel suspend, en blocs de glace,
De rigides torrents aux flancs des monts gelés.

Des amas de rochers, blancs d'une lourde écume,
Témoins rugueux d'un monde informe et surhumain.
Visqueux, lavés de pluie et noyés dans la brume,
De leurs blocs convulsés ferment l'âpre chemin.

Des forêts d'arbres morts, tordus par les tempêtes,
S'étendent ; et le cri des voraces oiseaux,
Près de grands lacs boueux, répond au cri des bêtes
Qui râlent en glissant sur l'épaisseur des eaux.

Mais l'immense tribu, par les sentiers plus rudes,
Par les ravins fangeux où s'engouffre le vent,
Comme un troupeau perdu, s'enfonce aux solitudes,
Sans hâte, sans relâche et toujours plus avant.

En tête, interrogeant l'ombre de leurs yeux ternes,
Marchent les durs chasseurs, les géants et les forts,
Plus monstrueux que l'ours qu'au seuil de leurs cavernes
Ils étouffaient naguère en luttant corps à corps.

Leurs longs cheveux, pareils aux lianes farouches,
En lanières tombaient de leurs crânes étroits,
Tandis qu'en se figeant l'haleine de leurs bouchés
Hérissait de glaçons leurs barbes aux poils droits.

Les uns, ceints de roseaux tressés ou d'herbes sèches,
Aux rafales de grêle offraient leurs larges flancs ;
D'autres, autour du col attachant des peaux fraîches,
D'un manteau ******* couvraient leurs reins sanglants.

Et les femmes marchaient, lentes, mornes, livides,
Haletant et pliant sous les doubles fardeaux
Des blêmes nourrissons pendus à leurs seins vides
Et des petits enfants attachés sur leur dos.

En arrière, portés sur des branches unies,
De grands vieillards muets songeaient aux jours lointains
Et, soulevant parfois leurs paupières ternies,
Vers l'horizon perdu tournaient des yeux éteints.

Ils allaient. Mais soudain, quand la nuit dans, l'espace
Roulait, avec la peur, l'obscurité sans fin,
La tribu tout entière, épuisée et trop lasse,
Multipliait le cri terrible de sa faim.

Les chasseurs ont hier suivi des pistes fausses ;
Le renne prisonnier a rompu ses liens ;
L'ours défiant n'a pas trébuché dans les fosses ;
Le cerf n'est pas tombé sous les crocs blancs des chiens.

Le sol ne livre plus ni germes ni racines,
Le poisson se dérobe aux marais submergés ;
Rien, ni les acres fruits ni le flux des résines,
Ni la moelle épaisse au creux des os rongés.

Et voici qu'appuyés sur des haches de pierre,
Les mâles, dans l'horreur d'un songe inassouvi,
Ont compté tous les morts dont la chair nourricière
Fut le festin des loups, sur le chemin suivi.

Voici la proie humaine, offerte à leur délire,
Vieillards, femmes, enfants, les faibles, autour d'eux
Vautrés dans leur sommeil stupide, sans voir luire
Les yeux des carnassiers en un cercle hideux.

Les haches ont volé. Devant les corps inertes,
Dans la pourpre qui bout et coule en noirs ruisseaux,
Les meurtriers, fouillant les poitrines ouvertes,
Mangent les cœurs tout vifs, arrachés par morceaux.

Et tous, repus, souillés d'un sang qui fume encore,
Parmi les os blanchis épars sur le sol nu,
Aux blafardes lueurs de la nouvelle aurore,
Marchent, silencieux, vers le but inconnu.

Telle, de siècle en siècle incessamment errante,
Sur la neige durcie et le désert glacé
Ne laissant même pas sa trace indifférente,
La tribu, sans espoir et sans rêve, a passé.

Tels, les Fils de l'Exil, suivant le bord des fleuves
Dont les vallons emplis traçaient le large cours,
Sauvages conquérants des solitudes neuves,
Ont avancé, souffert et pullulé toujours ;

Jusqu'à l'heure où, du sein des vapeurs méphitiques,
Dont le rideau flottant se déchira soudain,
Une terre, pareille aux demeures antiques,
A leurs yeux éblouis fleurit comme un jardin.

Devant eux s'étalait calme, immense et superbe,
Comme un tapis changeant au pied des monts jeté,
Un pays, vierge encore, où, mugissant dans l'herbe,
Des vaches au poil blanc paissaient en liberté.

Et sous les palmiers verts, parmi les fleurs nouvelles,
Les étalons puissants, les cerfs aux pieds légers
Et les troupeaux épars des fuyantes gazelles
Écoutaient sans effroi les pas des étrangers.

C'était là. Le Destin, dans l'aube qui se lève,
Au terme de l'Exil ressuscitait pour eux,
Comme un réveil tardif après un sombre rêve,
Le vivant souvenir des siècles bienheureux.

La Vie a rejailli de la source féconde,
Et toute soif s'abreuve à son flot fortuné,
Et le désert se peuple et toute chair abonde,
Et l'homme pacifique est comme un nouveau-né.

Il revoit le Soleil, l'immortelle Lumière,
Et le ciel où, témoins des clémentes saisons,
Des astres reconnus, à l'heure coutumière,
Montent, comme autrefois, sur les vieux horizons.

Et plus ****, par delà le sable monotone,
Il voit irradier, comme un profond miroir,
L'étincelante mer dont l'infini frissonne
Quand le Soleil descend dans la rougeur du soir.

Et le Ciel sans limite et la Nature immense,
Les eaux, les bois, les monts, tout s'anime à ses yeux.
Moins aveugle et moins sourd, un univers commence
Où son cœur inquiet sent palpiter des Dieux.

Ils naissent du chaos où s'ébauchaient leurs formes,
Multiples et sans noms, l'un par l'autre engendrés ;
Et le reflet sanglant de leurs ombres énormes
D'une terreur barbare emplit les temps sacrés.

Ils parlent dans l'orage ; ils pleurent dans l'averse.
Leur bras libérateur darde et brandit l'éclair,
Comme un glaive strident qui poursuit et transperce
Les monstres nuageux accumulés dans l'air.

Sur l'abîme éternel des eaux primordiales
Nagent des Dieux prudents, tels que de grands poissons ;
D'infaillibles Esprits peuplent les nuits astrales ;
Des serpents inspirés sifflent dans les buissons.

Puis, lorsque surgissant comme un roi, dans l'aurore,
Le Soleil triomphal brille au firmament bleu,
L'homme, les bras tendus, chante, contemple, adore
La Majesté suprême et le plus ancien Dieu ;

Celui qui féconda la Vie universelle,
L'ancêtre vénéré du jour propice et pur,
Le guerrier lumineux dont le disque étincelle
Comme un bouclier d'or suspendu dans l'azur ;

Et celui qui parfois, formidable et néfaste,
Immobile au ciel fauve et morne de l'Été,
Flétrit, dévore, embrase, et du désert plus vaste
Fait, jusqu'aux profondeurs, flamber l'immensité.

Mais quand l'homme, éveillant l'éternelle Nature,
Ses formes, ses couleurs, ses clartés et ses voix,
Fut seul devant les Dieux, fils de son âme obscure,
Il tressaillit d'angoisse et supplia ses Rois.

Alors, ô Souverains ! les taureaux et les chèvres
D'un sang expiatoire ont inondé le sol ;
Et l'hymne évocateur, en s'échappant des lèvres,
Comme un aiglon divin tenta son premier vol.

Idoles de granit, simulacres de pierre,
Bétyles, Pieux sacrés, Astres du ciel serein,
Vers vous, avec l'offrande, a monté la prière,
Et la graisse a fumé sur les autels d'airain.

Les siècles ont passé ; les races successives
Ont bâti des palais, des tours et des cités
Et des temples jaloux, dont les parois massives
Aux profanes regards cachaient les Dieux sculptés.

Triomphants tour à tour ou livrés aux insultes,
Voluptueux, cruels, terribles ou savants,
Tels, vous avez versé pour jamais, ô vieux cultes !
L'ivresse du Mystère aux âmes des vivants.

Tels vous traînez encore, au fond de l'ombre ingrate,
Vos cortèges sacrés, lamentables et vains,
Du vieux Nil à la mer et du Gange à l'Euphrate,
Ô spectres innommés des ancêtres divins !

Et dans le vague abîme où gît le monde antique,
Luit, comme un astre mort, au ciel religieux,
La sombre majesté de l'Orient mystique,
Berceau des nations et sépulcre des Dieux.
À Mademoiselle Marie Laurencin.

Frôlée par les ombres des morts
Sur l'herbe où le jour s'exténue
L'arlequine s'est mise nue
Et dans l'étang mire son corps

Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l'on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D'astres pâles comme du lait

Sur les tréteaux l'arlequin blême
Salue d'abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs

Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales

L'aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d'un air triste
Grandir l'arlequin trismégiste.
Sed satis est jam posse mori.
LUCAIN.


Où donc est le bonheur ? disais-je. - Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné.

Naître, et ne pas savoir que l'enfance éphémère,
Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère,
Est l'âge du bonheur, et le plus beau moment
Que l'homme, ombre qui passe, ait sous le firmament !

Plus ****, aimer, - garder dans son coeur de jeune homme
Un nom mystérieux que jamais on ne nomme,
Glisser un mot furtif dans une tendre main,
Aspirer aux douceurs d'un ineffable *****,
Envier l'eau qui fuit, le nuage qui vole,
Sentir son coeur se fondre au son d'une parole,
Connaître un pas qu'on aime et que jaloux on suit,
Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit,
Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes,
Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes,
Tous les buissons d'avril, les feux du ciel vermeil,
Ne chercher qu'un regard, qu'une fleur, qu'un soleil !

Puis effeuiller en hâte et d'une main jalouse
Les boutons d'orangers sur le front de l'épouse ;
Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé
Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ;
Voir aux feux de midi, sans espoir qu'il renaisse,
Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse,
Perdre l'illusion, l'espérance, et sentir
Qu'on vieillit au fardeau croissant du repentir,
Effacer de son front des taches et des rides ;
S'éprendre d'art, de vers, de voyages arides,
De cieux lointains, de mers où s'égarent nos pas ;
Redemander cet âge où l'on ne dormait pas ;
Se dire qu'on était bien malheureux, bien triste,
Bien fou, que maintenant on respire, on existe,
Et, plus vieux de dix ans, s'enfermer tout un jour
Pour relire avec pleurs quelques lettres d'amour !

Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées
Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années,
Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris,
Boire le reste amer de ces parfums aigris,
Être sage, et railler l'amant et le poète,
Et, lorsque nous touchons à la tombe muette,
Suivre en les rappelant d'un oeil mouillé de pleurs
Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs !

Ainsi l'homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre
Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d'ombre.
C'est donc avoir vécu ! c'est donc avoir été !
Dans la joie et l'amour et la félicité
C'est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie.
Voilà de quel nectar la coupe était remplie !

Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort !
Grandir en regrettant l'enfance où le coeur dort,
Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,
Mourir en regrettant la vieillesse et la vie !

Où donc est le bonheur, disais-je ? - Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné !

Le 28 mai 1830.
Lucas Pilleul Oct 2017
Petit, j’ai bien oublié de prendre mon temps,
J’ai oublié de penser et de réfléchir.
Oublié de m'arrêter, voulant réussir,
Courant tête baissée, vivant l’insant présent.

L’instant d’après j’avais muri, je n’vivais plus,
C’était bien mieux que ça car je me transcendais,
Et même tout ce que je voulais me souriait,
C’était bien, j’étais content, mais si j’avais su...

Si j'avais su que ma vie n’était pas tout’tracée,
J’aurais pris le temps de venir vous enlacer.
Mais j’ai oublié de grandir, c’est pas pratique.
J’aurais voulu vous le dire, j’crois pas aux malheurs,
J’crois pas aux miracles, ni à la pleine lueur.
Je suis maître de ma vie, ce jusqu’au portique.

J’en ai marre ce ces faux discours patriotiques,
J’ai oublié qu’il n’y’a pas que les filles qui pleurent.
J’ai oublié aussi de faire preuve de douceur
Dans notre monde fait de catastrophes climatiques.
Étant enfant j'étais carrément perturbé,
Rempli de questions que je n’osais pas poser.

Maint’nant, j’sais qu’pour réussir faut être couillu,
J’ai trop pensé au plan que j’utiliserais,
Comme si grâce à ça, toute ma vie changeait.
Je voulais écrire de beaux textes, rien n’est perdu.

Avoir un avenir, des projets, c’est séduisant,
J’ai aussi oublié ce que c’est de souffrir,
Pourtant j’ai décidé que j’allais m’en sortir,
Et j’vais oublier d’oublier, dès maintenant.
#15
Soudain je t'ai si fort pressée
Pour sentir ton cœur bien à moi,
Que je t'en ai presque blessée,
Et tu m'as demandé pourquoi.

Un mot, un rien, m'a tout à l'heure
Fait étreindre ainsi mon trésor,
Comme, au moindre vent qui l'effleure,
L'avare en hâte étreint son or ;

La porte de sa cave est sûre,
Il en tient dans son poing la clé,
Mais, par le trou de la serrure,
Un filet d'air froid a soufflé ;

Et pendant qu'il comptait dans l'ombre
Son trésor écu par écu,
Savourant le titre et le nombre,
Il a senti le souffle aigu !

Il serre en vain sa clé chérie,
Vainement il s'est verrouillé,
Avant d'y réfléchir il crie
Comme s'il était dépouillé !

C'est que l'instinct fait sentinelle,
C'est que l'âme du possesseur
N'ose jamais plier qu'une aile,
Ô ma sainte amie, ô ma sœur !

C'est que ma richesse tardive,
Fruit de mes soupirs quotidiens,
Me semble encore fugitive
Au moment même où je la tiens !

Et cette épargne que j'amasse
A beau grandir en sûreté,
Je crois, au moindre vent qui passe,
Qu'un ravisseur a fureté...

Et je fais aussitôt l'épreuve
De tout le deuil qui peut tenir
Dans une âme absolument veuve
Où l'amour n'a plus d'avenir.

Alors je tremble et te supplie
D'un anxieux et long regard...
Oh ! Pardonne-moi la folie
De trembler encore ; si **** !

Hélas ! L'habitude en est prise :
Tu n'as que si **** deviné
Combien le doute martyrise,
Impérissable une fois né.

Dans l'âge (qui n'est plus le nôtre)
Où bat le cœur à découvert,
Le mien, plus exposé qu'un autre,
Puisqu'il t'aimait, a plus souffert ;

Ah ! Tout cœur où l'amour habite
Recèle un pouvoir de souffrir
Dont il ignore la limite,
Tant qu'il souffre sans en mourir ;

Et j'ignorais, naïf encore,
Combien le calice est profond
Que ta main douce emmielle et dore
Sans jamais en montrer le fond ;

Car tu savais, déjà coquette,
Ménager longtemps la douleur
En faisant, d'un coup de baguette,
Naître un mirage dans un pleur.

Que de froideurs instantanées
Ont ébranlé longtemps ma foi !
Enfin la pente des années
T'a fait pencher le front sur moi,

Et j'ai cru que ma jalousie,
Humble tigresse aux reins ployés,
Bien rompue à ta fantaisie,
Dormait de fatigue à tes pieds ;

Voilà pourtant qu'une pensée,
Moins qu'un soupçon, moins qu'une erreur,
- Une rêverie insensée
M'a fait tressaillir de terreur ;

Cet éclair de peur indicible
Tout à coup m'a fait entrevoir,
Aux obscurs confins du possible,
Un abîme de désespoir.
Fable XI, Livre III.


Le vent s'élève ; un gland tombe dans la poussière :
Un chêne en sort. - Un chêne ! Osez-vous appeler
Chêne cet avorton qu'un souffle fait trembler ?
Ce fétu, près de qui la plus humble bruyère
Serait un arbre ? - Et pourquoi non ?
Je ne m'en dédis pas, docteur ; cet avorton,
Ce fétu, c'est un chêne, un vrai chêne, tout comme
Cet enfant qu'on berce est un homme.
Quoi de plus naturel, d'ailleurs, que vos propos !
Vous n'avez rien dit là, docteur, qu'en leur langage
Tous les buissons du voisinage
Sur mon chêne, avant vous, n'aient dit en d'autres mots :
« Quel brin d'herbe, en rampant, sous notre abri se range ?
Quel germe inutile, égaré,
À nos pieds végète enterré
Dans la poussière et dans la fange ? »
« - Messieurs, » leur répondait, sans discours superflus,
Le germe, au fond du cœur, chêne dès sa naissance,
« Messieurs, pour ma jeunesse ayez plus d'indulgence :
Je croîs, ne vous déplaise, et vous ne croissez plus. »
Le germe raisonnait fort juste :
Le temps, qui détruit tout, fait tout croître d'abord ;
Par lui le faible devient fort ;
Le petit, grand ; le germe, arbuste.
Les buissons, indignés qu'en une année ou deux
Un chêne devînt grand comme eux,
Se récriaient contre l'audace
De cet aventurier qui, comme un champignon,
Né d'hier et de quoi ? sans gêne ici se place,
Et prétend nous traiter de pair à compagnon !
L'égal qu'ils dédaignaient cependant les surpasse ;
D'arbuste il devient arbre, et les sucs généreux
Qui fermentent sous son écorce,
De son robuste tronc à ses rameaux nombreux
Renouvelant sans cesse et la vie et la force,
Il grandit, il grossit, il s'allonge, il s'étend,
Il se développe, il s'élance ;
Et l'arbre, comme on en voit tant,
Finit par être un arbre immense.
De protégé qu'il fut, le voilà protecteur,
Abritant, nourrissant des peuplades sans nombre :
Les troupeaux, les chiens, le pasteur,
Vont dormir en paix sous son ombre ;
L'abeille dans son sein vient déposer son miel,
Et l'aigle suspendre son aire
À l'un des mille bras dont il perce le ciel,
Tandis que mille pieds l'attachent à la terre.
L'impétueux Eurus, l'Aquilon mugissant,
En vain contre sa masse ont déchaîné leur rage ;
Il rit de leurs efforts, et leur souffle impuissant
Ne fait qu'agiter son feuillage.
Cybèle aussi n'a pas de nourrissons,
De l'orme le plus fort au genêt le plus mince,
Qui des forêts en lui ne respecte le prince :
Tout l'admire aujourd'hui, tout, hormis les buissons.
« L'orgueilleux ! disent-ils ; il ne se souvient guères
De notre ancienne égalité ;
Enflé de sa prospérité,
A-t-il donc oublié que les arbres sont frères ? »
« - Si nous naissons égaux, repart avec bonté
L'arbre de Jupiter, dans la même mesure
Nous ne végétons pas ; et ce tort, je vous jure,
Est l'ouvrage de la nature,
Et non pas de ma volonté.
Le chêne vers les cieux portant un front superbe,
L'arbuste qui se perd sous l'herbe,
Ne font qu'obéir à sa loi.
Vous la voulez changer ; ce n'est pas mon affaire ;
Je ne dois pas, en bonne foi,
Me rapetisser pour vous plaire.
Mes frères, tâchez donc de grandir comme moi. »
Le spectre que parfois je rencontre riait.
- Pourquoi ris-tu ? Lui dis-je. - Il dit : - Homme inquiet,
Regarde.
Il me montrait dans l'ombre un cimetière.

J'y vis une humble croix près d'une croix altière ;
L'une en bois, l'autre en marbre ; et le spectre reprit,
Tandis qu'au **** le vent passait comme un esprit
Et des arbres profonds courbait les sombres têtes :

- Jusque dans le cercueil vous êtes vains et bêtes.
Oui, gisants, vous laissez debout la vanité.
Vous la sculptez au seuil du tombeau redouté,
Et vous lui bâtissez des tours et des coupoles.
Et, morts, vous êtes fiers.

Oui, dans vos nécropoles,
Dans ces villes du deuil que vos brumeux Paris
Construisent à côté du tumulte et des cris,
On trouve tout, des bois où jasent les fauvettes,
Des jets d'eau jaillissant du jaspe des cuvettes,
Un paysage vert, voluptueux, profond,
Où le nuage avec la plaine se confond,
La calèche où souvent l'œil cherche la civière,
Des prêtres sous le frais lisant leur bréviaire,
Du soleil en hiver, de l'ombrage en été,
Des roses, des chansons, tout, hors l'égalité.
Vous avez des charniers et des Pères-Lachaises
Où Samuel Bernard seul peut prendre ses aises,
Dormir en paix, jouir d'un caveau bien muré,
Et se donner les airs d'être à jamais pleuré,
Et s'adjuger, derrière une grille solide,
Des fleurs que le Temps garde en habit d'invalide.
Quant aux morts indigents, on leur donne congé ;
On chasse d'auprès d'eux le sanglot prolongé ;
Et le pauvre n'a pas le droit de pourriture.
Un jour, on le déblaie. On prend sa sépulture
Pour grandir d'une toise un monument pompeux.
- Misérable, va-t'en. Deviens ce que tu peux.
Quoi ! Tu prétends moisir ici parmi ces marbres,
Faire boucher le nez aux passants sous ces arbres,
Te carrer sous cette herbe, être au fond de ton trou
Charogne comme un autre, et tu n'as pas le sou !
Qu'est-ce que ce mort-là qui n'a rien dans sa poche !
Décampe. - Et la brouette et la pelle et la pioche
Arrachent le dormeur à son dur traversin.
Sus ! Place à monseigneur le sépulcre voisin !
Ce n'est rien d'être mort, il faut avoir des rentes.
Les carcasses des gueux sont fort mal odorantes ;
Les morts bien nés font bande à part dans le trépas ;
Le sépulcre titré ne fraternise pas
Avec la populace anonyme des bières ;
La cendre tient son rang vis-à-vis des poussières ;
Et tel mort dit : pouah ! Devant tel autre mort.
Le gentleman, à l'heure où l'acarus le mord,
Se maintient délicat et dégoûté. C'est triste.
Et j'en ris. Le linceul peut être de batiste !
Chez vous, oui, sous la croix de l'humble Dieu Jésus,
Les trépassés à court d'argent sont mal reçus ;
L'abîme a son dépôt de mendicité ; l'ombre
Met d'un côté l'élite et de l'autre le nombre ;
On n'est jamais moins près qu'alors qu'on se rejoint ;
Dans la mort vague et blême on ne se mêle point ;
On reste différent même à ce clair de lune ;
Le peuple dans la tombe a nom fosse commune.
La tombe impartiale ! Allons donc ! Le ci-gît
Tantôt se rétrécit et tantôt s'élargit ;
Le péage, réglé par arrêté du maire,
Fait Beaujon immortel et Chodruc éphémère.
Pourrir gratis ! Jamais ! Le terrain est trop cher.
Tandis que, tripotant ce qui fut de la chair,
La chimie, en son antre où vole la phalène,
Fait de l'adipocire et du blanc de baleine
Avec le résidu des pâles meurt-de-faim,
Tel cadavre, vêtu d'un suaire en drap fin,
Regarde en souriant la mort aux yeux de tigre,
Jette au spectre sa bourse, et dit : Marquis d'Aligre.
Vos catacombes ont des perpétuités
Pour ceux-ci pour ceux-là des répits limités.
Votre tombe est un gouffre où le riche surnage.
Ce mort n'a pas payé son terme ; il déménage.
Le fantôme, branlant sur ses blancs tibias,
Portant tout avec lui, s'en va, comme Bias ;
Vivant, il fut sans pain, et, mort, il est sans terre.
L'ossuaire répugne aux os du prolétaire.
Seul Rothschild, dans l'oubli du caveau sans échos,
Est mangé par des rats et par des asticots
Qu'il paye et dont il est maître et propriétaire.
Oui, c'est l'étonnement de la pariétaire,
Du brin d'herbe, de l'if aussi noir que le jais,
Du froid cyprès, du saule en pleurs, de voir sujets
À des expulsions sommaires et subites
Des crânes qui n'ont plus leurs yeux dans leurs orbites.
Vos cimetières sont des lieux changeants, flottants,
Précaires, où les morts vont passer quelque temps,
À peine admis au seuil des ténébreux mystères,
Et l'éternité sombre y prend des locataires.
Quoi ! C'est là votre mort ! C'est avec de l'orgueil
Que vous doublez le bois lugubre du cercueil !
Vous gardez préséance, honneurs, grade, avantages !
Vous conservez au fond du néant des étages !
La chimère est bouffonne. Ah ! La prétention
Est rare, dans le lieu de disparition !

Quoi ! Privilégier ce qui n'est plus ! Quoi ! Faire
Des grands et des petits dans l'insondable sphère !
Traiter Jean comme peste et Paul comme parfum !
Être mort, et vouloir encore être quelqu'un !
Quoi ! Dans le pourrissoir emporter l'opulence !
Faire sonner son or dans l'éternel silence !
Avoir, de par cet or dont sur terre on brilla,
Droit de tomber en poudre ici plutôt que là !
Arriver dans la nuit ainsi que des lumières !
Prendre dans le tombeau des places de premières !
Ne pas entendre Dieu qui dit au riche : assez !
Je cesserai d'en rire, ô vivants insensés,
Le jour où j'apprendrai que c'est vrai, que, dans l'ombre
De l'incommensurable et ténébreux décombre,
L'archange à l'aile noire, assis à son bureau,
Toise les morts, leur donne à tous un numéro,
Discute leur obole, or ou plomb, vraie ou fausse,
Et la pèse, et marchande au squelette sa fosse !
Le jour où j'apprendrai que la chose est ainsi,
Que Lucullus sous terre est du fumier choisi,
Que le bouton d'or perd ou double sa richesse
S'il sort d'une grisette ou bien d'une duchesse,
Qu'un lys qui naît d'un pauvre est noir comme charbon,
Que, mort, Lazare infecte et qu'Aguado sent bon !
Le jour où j'apprendrai que dans l'azur terrible
L'éternel a des trous inégaux à son crible ;
Et que, dans le ciel sombre effroi de vos remords,
S'il voit passer, porté par quatre croque-morts,
Un cadavre fétide et hideux, le tonnerre
Demande à l'ouragan : - est-ce un millionnaire ?
Le jour où j'apprendrai que la tombe, en effet,
Que l'abîme, selon le tarif du préfet,
Trafique de sa nuit et de son épouvante,
Et que la mort a mis les vers de terre en vente !

Le 18 mars 1870.
Toutes sortes d'enfants, blonds, lumineux, vermeils,
Dont le bleu paradis visite les sommeils
Quand leurs yeux sont fermés la nuit dans les alcôves,
Sont là, groupés devant la cage aux bêtes fauves ;
Ils regardent.

Ils ont sous les yeux l'élément,
Le gouffre, le serpent tordu comme un tourment,
L'affreux dragon, l'onagre inepte, la panthère,
Le chacal abhorré des spectres, qu'il déterre,
Le gorille, fantôme et tigre, et ces bandits,
Les loups, et les grands lynx qui tutoyaient jadis
Les prophètes sacrés accoudés sur des bibles ;
Et, pendant que ce tas de prisonniers terribles
Gronde, l'un vil forçat, l'autre arrogant proscrit,
Que fait le groupe rose et charmant ? Il sourit.

L'abîme est là qui gronde et les enfants sourient.

Ils admirent. Les voix épouvantables crient
Tandis que cet essaim de fronts pleins de rayons,
Presque ailé, nous émeut comme si nous voyions
L'aube s'épanouir dans une géorgique,
Tandis que ces enfants chantent, un bruit tragique
Va, chargé de colère et de rébellions
Du cachot des vautours au bagne des lions.

Et le sourire frais des enfants continue.

Devant cette douceur suprême, humble, ingénue,
Obstinée, on s'étonne, et l'esprit stupéfait
Songe, comme aux vieux temps d'Orphée et de Japhet,
Et l'on se sent glisser dans la spirale obscure
Du vertige, où tombaient Job, Thalès, Épicure,
Où l'on cherche à tâtons quelqu'un, ténébreux puits
Où l'âme dit : Réponds ! où Dieu dit : Je ne puis !

Oh ! si la conjecture antique était fondée,
Si le rêve inquiet des mages de Chaldée,
L'hypothèse qu'Hermès et Pythagore font,
Si ce songe farouche était le vrai profond ;
La bête parmi nous, si c'était là Tantale !
Si la réalité redoutable et fatale
C'était ceci : les loups, les boas, les mammons
Masques sombres, cachant d'invisibles démons !
Oh ! ces êtres affreux dont l'ombre est le repaire,
Ces crânes aplatis de tigre et de vipère,
Ces vils fronts écrasés par le talon divin,
L'ours, rêveur noir, le singe, effroyable sylvain,
Ces rictus convulsifs, ces faces insensées,
Ces stupides instincts menaçant nos pensées,
Ceux-ci pleins de l'horreur nocturne des forêts,
Ceux-là, fuyants aspects, flottants, confus, secrets,
Sur qui la mer répand ses moires et ses nacres,
Ces larves, ces passants des bois, ces simulacres,
Ces vivants dans la tombe animale engloutis,
Ces fantômes ayant pour loi les appétits,
Ciel bleu ! s'il était vrai que c'est là ce qu'on nomme
Les damnés, expiant d'anciens crimes chez l'homme,
Qui, sortis d'une vie antérieure, ayant
Dans les yeux la terreur d'un passé foudroyant,
Viennent, balbutiant d'épouvante et de haine,
Dire au milieu de nous les mots de la géhenne,
Et qui tâchent en vain d'exprimer leur tourment
A notre verbe avec le sourd rugissement ;
Tas de forçats qui grince et gronde, aboie et beugle ;
Muets hurlants qu'éclaire un flamboiement aveugle ;
Oh ! s'ils étaient là. nus sous le destin de fer,
Méditant vaguement sur l'éternel enfer ;
Si ces mornes vaincus de la nature immense
Se croyaient à jamais bannis de la clémence ;
S'ils voyaient les soleils s'éteindre par degrés,
Et s'ils n'étaient plus rien que des désespérés ;
Oh ! dans l'accablement sans fond, quand tout se brise,
Quand tout s'en va, refuse et fuit, quelle surprise,
Pour ces êtres méchants et tremblants à la fois,
D'entendre tout à coup venir ces jeunes voix !
Quelqu'un est là ! Qui donc ? On parle ! ô noir problème !
Une blancheur paraît sur la muraille blême
Où chancelle l'obscure et morne vision.
Le léviathan voit accourir l'alcyon !
Quoi ! le déluge voit arriver la colombe !
La clarté des berceaux filtre à travers la tombe
Et pénètre d'un jour clément les condamnés !
Les spectres ne sont point haïs des nouveau-nés !
Quoi ! l'araignée immense ouvre ses sombres toiles !
Quel rayon qu'un regard d'enfant, saintes étoiles !
Mais puisqu'on peut entrer, on peut donc s'en aller !
Tout n'est donc pas fini ! L'azur vient nous parler !
Le ciel est plus céleste en ces douces prunelles !
C'est quand Dieu, pour venir des voûtes éternelles
Jusqu'à la terre, triste et funeste milieu,
Passe à travers l'enfant qu'il est tout à fait Dieu !
Quoi ! le plafond difforme aurait une fenêtre !
On verrait l'impossible espérance renaître !
Quoi ! l'on pourrait ne plus mordre, ne plus grincer !
Nous représentons-nous ce qui peut se passer
Dans les craintifs cerveaux des bêtes formidables ?
De la lumière au bas des gouffres insondables !
Une intervention de visages divins !
La torsion du mal dans les brûlants ravins
De l'enfer misérable est soudain apaisée
Par d'innocents regards purs comme la rosée !
Quoi ! l'on voit des yeux luire et l'on entend des pas !
Est-ce que nous savons s'ils ne se mettent pas,
Ces monstres, à songer, sitôt la nuit venue,
S'appelant, stupéfaits de cette aube inconnue
Qui se lève sur l'âpre et sévère horizon ?
Du pardon vénérable ils ont le saint frisson ;
Il leur semble sentir que les chaînes les quittent ;
Les échevèlements des crinières méditent ;
L'enfer, cette ruine, est moins trouble et moins noir ;
Et l'oeil presque attendri de ces captifs croit voir
Dans un pur demi-jour qu'un ciel lointain azure
Grandir l'ombre d'un temple au seuil de la masure.
Quoi ! l'enfer finirait ! l'ombre entendrait raison !
Ô clémence ! ô lueur dans l'énorme prison !
On ne sait quelle attente émeut ces cœurs étranges.

Quelle promesse au fond du sourire des anges !
Mères en deuil, vos cris là-haut sont entendus.
Dieu, qui tient dans sa main tous les oiseaux perdus,
Parfois au même nid rend la même colombe.
O mères ! le berceau communique à la tombe.
L'éternité contient plus d'un divin secret.

La mère dont je vais vous parler demeurait
A Blois ; je l'ai connue en un temps plus prospère ;
Et sa maison touchait à celle de mon père.
Elle avait tous les biens que Dieu donne ou permet.
On l'avait mariée à l'homme qu'elle aimait.
Elle eut un fils ; ce fut une ineffable joie.

Ce premier-né couchait dans un berceau de soie ;
Sa mère l'allaitait ; il faisait un doux bruit
A côté du chevet nuptial ; et, la nuit,
La mère ouvrait son âme aux chimères sans nombre,
Pauvre mère, et ses yeux resplendissaient dans l'ombre,
Quand, sans souffle, sans voix, renonçant au sommeil,
Penchée, elle écoutait dormir l'enfant vermeil.
Dès l'aube, elle chantait, ravie et toute fière.

Elle se renversait sur sa chaise en arrière,
Son fichu laissant voir son sein gonflé de lait,
Et souriait au faible enfant, et l'appelait
Ange, trésor, amour ; et mille folles choses.
Oh ! comme elle baisait ces beaux petits pieds roses !
Comme elle leur parlait ! l'enfant, charmant et nu,
Riait, et par ses mains sous les bras soutenu,
Joyeux, de ses genoux montait jusqu'à sa bouche.

Tremblant comme le daim qu'une feuille effarouche,
Il grandit. Pour l'enfant, grandir, c'est chanceler.
Il se mit à marcher, il se mit à parler,
Il eut trois ans ; doux âge, où déjà la parole,
Comme le jeune oiseau, bat de l'aile et s'envole.
Et la mère disait : « Mon fils ! » et reprenait :
« Voyez comme il est grand ! il apprend ; il connaît
Ses lettres. C'est un diable ! Il veut que je l'habille
En homme ; il ne veut plus de ses robes de fille ;
C'est déjà très-méchant, ces petits hommes-là !
C'est égal, il lit bien ; il ira **** ; il a
De l'esprit ; je lui fais épeler l'Évangile. »
Et ses yeux adoraient cette tête fragile,
Et, femme heureuse, et mère au regard triomphant,
Elle sentait son cœur battre dans son enfant.

Un jour, - nous avons tous de ces dates funèbres ! -
Le croup, monstre hideux, épervier des ténèbres,
Sur la blanche maison brusquement s'abattit,
Horrible, et, se ruant sur le pauvre petit,
Le saisit à la gorge ; ô noire maladie !
De l'air par qui l'on vit sinistre perfidie !
Qui n'a vu se débattre, hélas ! ces doux enfants
Qu'étreint le croup féroce en ses doigts étouffants !
Ils luttent ; l'ombre emplit lentement leurs yeux d'ange,
Et de leur bouche froide il sort un râle étrange,
Et si mystérieux, qu'il semble qu'on entend,
Dans leur poitrine, où meurt le souffle haletant,
L'affreux coq du tombeau chanter son aube obscure.
Tel qu'un fruit qui du givre a senti la piqûre,
L'enfant mourut. La mort entra comme un voleur
Et le prit. - Une mère, un père, la douleur,
Le noir cercueil, le front qui se heurte aux murailles,
Les lugubres sanglots qui sortent des entrailles,
Oh ! la parole expire où commence le cri ;
Silence aux mots humains !

La mère au cœur meurtri,
Pendant qu'à ses côtés pleurait le père sombre,
Resta trois mois sinistre, immobile dans l'ombre,
L'oeil fixe, murmurant on ne sait quoi d'obscur,
Et regardant toujours le même angle du mur.
Elle ne mangeait pas ; sa vie était sa fièvre ;
Elle ne répondait à personne ; sa lèvre
Tremblait ; on l'entendait, avec un morne effroi,
Qui disait à voix basse à quelqu'un : « Rends-le moi ! »
Et le médecin dit au père : « Il faut distraire
Ce cœur triste, et donner à l'enfant mort un frère. »
Le temps passa ; les jours, les semaines, les mois.

Elle se sentit mère une seconde fois.

Devant le berceau froid de son ange éphémère,
Se rappelant l'accent dont il disait : « Ma mère, »
Elle songeait, muette, assise sur son lit.
Le jour où, tout à coup, dans son flanc tressaillit
L'être inconnu promis à notre aube mortelle,
Elle pâlit. « Quel est cet étranger ? » dit-elle.
Puis elle cria, sombre et tombant à genoux :
« Non, non, je ne veux pas ! non ! tu serais jaloux !
Ô mon doux endormi, toi que la terre glace,
Tu dirais : « On m'oublie ; un autre a pris ma place ;
Ma mère l'aime, et rit ; elle le trouve beau,
Elle l'embrasse, et, moi, je suis dans mon tombeau ! »
Non, non ! »

Ainsi pleurait cette douleur profonde.

Le jour vint ; elle mit un autre enfant au monde,
Et le père joyeux cria : « C'est un garçon. »
Mais le père était seul joyeux dans la maison ;
La mère restait morne, et la pâle accouchée,
Sur l'ancien souvenir tout entière penchée,
Rêvait ; on lui porta l'enfant sur un coussin ;
Elle se laissa faire et lui donna le sein ;
Et tout à coup, pendant que, farouche, accablée,
Pensant au fils nouveau moins qu'à l'âme envolée,
Hélas ! et songeant moins au langes qu'au linceul,
Elle disait : « Cet ange en son sépulcre est seul ! »
- O doux miracle ! ô mère au bonheur revenue ! -
Elle entendit, avec une voix bien connue,
Le nouveau-né parler dans l'ombre entre ses bras,
Et tout bas murmurer : « C'est moi. Ne le dis pas. »

Août 1843.
Gorba Mar 2020
De 0 à 10 ans, on met 10 ans à grandir.
De 10 à 20 ans, on met 10 ans à comprendre qui on devient.
De 20 à 30 ans, on passe 10 ans à faire la fête.
De 30 à 40 ans, on met 10 ans à créer une famille.
De 40 à 50 ans, on met 10 ans à comprendre qui on est.
De 50 à 60 ans, on met 10 ans à comprendre ce qu’on est devenu.
De 60 à 70 ans, on met 10 ans à comprendre ce que l’on n'est plus.
De 70 à 80 ans, on met 10 ans à accepter qu’on ne comprends plus ce qu’il y a à comprendre.
À partir de 80 ans, on met le temps qu’il faut pour attendre
et comprendre qu’il n’y a rien à comprendre.
Juste à vivre...
De Damien Arnoult
Voilà que tout cela est passé... Mon enfance n'est plus ;
Elle est morte, pour ainsi dire, quoique je vive encore.
Saint Augustin, Confessions.


I.

J'ai des rêves de guerre en mon âme inquiète ;
J'aurais été soldat, si je n'étais poète.
Ne vous étonnez point que j'aime les guerriers !
Souvent, pleurant sur eux, dans ma douleur muette,
J'ai trouvé leur cyprès plus beau que nos lauriers.

Enfant, sur un tambour ma crèche fut posée.
Dans un casque pour moi l'eau sainte fut puisée.
Un soldat, m'ombrageant d'un belliqueux faisceau,
De quelque vieux lambeau d'une bannière usée
Fit les langes de mon berceau.

Parmi les chars poudreux, les armes éclatantes,
Une muse des camps m'emporta sous les tentes ;
Je dormis sur l'affût des canons meurtriers ;
J'aimai les fiers coursiers, aux crinières flottantes,
Et l'éperon froissant les rauques étriers.

J'aimai les forts tonnants, aux abords difficiles ;
Le glaive nu des chefs guidant les rangs dociles ;
La vedette, perdue en un bois isolé ;
Et les vieux bataillons qui passaient dans les villes,
Avec un drapeau mutilé.

Mon envie admirait et le hussard rapide,
Parant de gerbes d'or sa poitrine intrépide,
Et le panache blanc des agiles lanciers,
Et les dragons, mêlant sur leur casque gépide
Le poil taché du tigre aux crins noirs des coursiers.

Et j'accusais mon âge : « Ah ! dans une ombre obscure,
Grandir, vivre ! laisser refroidir sans murmure
Tout ce sang jeune et pur, bouillant chez mes pareils,
Qui dans un noir combat, sur l'acier d'une armure,
Coulerait à flots si vermeils !

Et j'invoquais la guerre, aux scènes effrayantes ;
Je voyais en espoir, dans les plaines bruyantes,
Avec mille rumeurs d'hommes et de chevaux,
Secouant à la fois leurs ailes foudroyantes,
L'un sur l'autre à grands cris fondre deux camps rivaux.

J'entendais le son clair des tremblantes cymbales,
Le roulement des chars, le sifflement des balles,
Et de monceaux de morts semant leurs pas sanglants,
Je voyais se heurter au ****, par intervalles,
Les escadrons étincelants !

II.

Avec nos camps vainqueurs, dans l'Europe asservie
J'errai, je parcourus la terre avant la vie ;
Et, tout enfant encor, les vieillards recueillis
M'écoutaient racontant, d'une bouche ravie,
Mes jours si peu nombreux et déjà si remplis !

Chez dix peuples vaincus je passai sans défense,
Et leur respect craintif étonnait mon enfance.
Dans l'âge où l'on est plaint, je semblais protéger.
Quand je balbutiais le nom chéri de France,
Je faisais pâlir l'étranger.

Je visitai cette île, en noirs débris féconde,
Plus ****, premier degré d'une chute profonde.
Le haut Cenis, dont l'aigle aime les rocs lointains,
Entendit, de son antre où l'avalanche gronde,
Ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins.

Vers l'Adige et l'Arno je vins des bords du Rhône.
Je vis de l'Occident l'auguste Babylone,
Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux,
Reine du monde encor sur un débris de trône,
Avec une pourpre en lambeaux.

Puis Turin, puis Florence aux plaisirs toujours prête,
Naples, aux bords embaumés, où le printemps s'arrête
Et que Vésuve en feu couvre d'un dais brûlant,
Comme un guerrier jaloux qui, témoin d'une fête,
Jette au milieu des fleurs son panache sanglant.

L'Espagne m'accueillit, livrée à la conquête.
Je franchis le Bergare, où mugit la tempête ;
De ****, pour un tombeau, je pris l'Escurial ;
Et le triple aqueduc vit s'incliner ma tête
Devant son front impérial.

Là, je voyais les feux des haltes militaires
Noircir les murs croulants des villes solitaires ;
La tente, de l'église envahissait le seuil ;
Les rires des soldats, dans les saints monastères,
Par l'écho répétés, semblaient des cris de deuil.

III.

Je revins, rapportant de mes courses lointaines
Comme un vague faisceau de lueurs incertaines.
Je rêvais, comme si j'avais, durant mes jours,
Rencontré sur mes pas les magiques fontaines
Dont l'onde enivre pour toujours.

L'Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles ;
Burgos, sa cathédrale aux gothiques aiguilles ;
Irun, ses toits de bois ; Vittoria, ses tours ;
Et toi, Valadolid, tes palais de familles,
Fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours.

Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée ;
J'allais, chantant des vers d'une voix étouffée ;
Et ma mère, en secret observant tous mes pas,
Pleurait et souriait, disant : « C'est une fée
Qui lui parle, et qu'on ne voit pas ! »

1823.
WoeBegone Aug 1
Un vide viscéral.
La promesse d’une nuit,
Prendre la forme de l’arbre pour grandir,
Dessiner un cercle sur le bitume,
Se mordre,
Mordre l’autre.
Rendre à l’oiseau sa liberté
Puis la reprendre,
Le regarder dans les yeux
Alors qu’il dit quelque chose.
Souvent,
Je me noie dans mon désordre.
Parfois, je pardonne
À Zoula d’être morte.
Amor, ch'a null' amato amar perdona,
Mi prese del costui placer si forte
Che, come vedi, ancor non m'abbandona.
DANTE.


Contempler dans son bain sans voiles
Une fille aux yeux innocents ;
Suivre de **** de blanches voiles ;
Voir au ciel briller les étoiles
Et sous l'herbe les vers luisants ;

Voir autour des mornes idoles
Des sultanes danser en rond ;
D'un bal compter les girandoles ;
La nuit, voir sur l'eau les gondoles
Fuir avec une étoile au front ;

Regarder la lune sereine ;
Dormir sous l'arbre du chemin ;
Être le roi lorsque la reine,
Par son sceptre d'or souveraine,
L'est aussi par sa blanche main ;

Ouïr sur les harpes jalouses
Se plaindre la romance en pleurs ;
Errer, pensif, sur les pelouses,
Le soir, lorsque les andalouses
De leurs balcons jettent des fleurs ;

Rêver, tandis que les rosées
Pleuvent d'un beau ciel espagnol,
Et que les notes embrasées
S'épanouissent en fusées
Dans la chanson du rossignol ;

Ne plus se rappeler le nombre
De ses jours, songes oubliés ;
Suivre fuyant dans la nuit sombre
Un Esprit qui traîne dans l'ombre
Deux sillons de flamme à ses pieds ;

Des boutons d'or qu'avril étale
Dépouiller le riche gazon ;
Voir, après l'absence fatale,
Enfin, de sa ville natale
Grandir la flèche à l'horizon ;

Non, tout ce qu'a la destinée
De bien réels ou fabuleux
N'est rien pour mon âme enchaînée
Quand tu regardes inclinée
Mes yeux noirs avec tes yeux bleus !

Septembre 1831.
L'homme pauvre du cœur est-il si rare, en somme !

Non. Et je suis cet homme et vous êtes cet homme,

Et tous les hommes sont cet homme ou furent lui,

Ou le seront quand l'heure opportune aura lui.

Conçus dans l'agonie épuisée et plaintive

De deux désirs que, seul, un feu brutal avive,

Sans vestige autre nôtre, à travers cet émoi,

Qu'une larme de quoi! Que pleure quoi! dans quoi !

Nés parmi la douleur, le sang et la sanie

Nus, de corps sans instinct et d'âme sans génie

Pour grandir et souffrir par l'âme et par le corps,

Vivant au jour le jour, bernés de vœux discors,

Pour mourir dans l'horreur fatale et la détresse,

Quoi de nous, dès qu'en nous la question se dresse ?

Quoi ? qu'un être capable au plus de moins que peu

En dehors du besoin d'aimer et de voir Dieu

Et quelque chose, au front, du fond du cœur te monte

Qui ressemble à la crainte et qui tient de la honte,

Quelque chose, on dirait, d'encore incomplété,

Mais dont la Charité ferait l'Humilité.

Lors, à quelqu'un vraiment de nature ingénue

Sa conscience n'a qu'à dire : continue,

Si la chair n'arrivait à son tour, en disant :

Arrête, et c'est la guerre en ce juste à présent.

Mais tout n'est pas perdu malgré le coup si rude :

Car la chair avant tout est chose d'habitude,

Elle peut se plier et doit s'acclimater

C'est son droit, son devoir, la loi de la mater

Selon les strictes lois de la bonne nature.

Or la nature est simple, elle admet la culture ;

Elle procède avec douceur, calme et lenteur.

Ton corps est un lutteur, fais-le vivre en lutteur

Sobre et chaste, abhorrant l'excès de toute sorte,

Femme qui le détourne et vin qui le transporte

Et la paresse pire encore que l'excès.

Enfin pacifié, puis apaisé, - tu sais

Quels sacrements il faut pour cette tâche intense.

Et c'est l'Eucharistie après la Pénitence, -

Ce corps allégé, libre et presque glorieux,

Dûment redevenu, dûment laborieux

Va se rompre au plutôt, s'assouplir au service

De ton esprit d'amour, d'offre et de sacrifice

Subira les saisons et les privations,

Enfin sera le temple embaumé d'actions

De grâce, d'encens pur et de vertus chrétiennes,

Et tout retentissant de psaumes et d'antiennes

Qu'habite l'Esprit-Saint et que daigne Jésus

Visiter comparable aux bons rois bien reçus.

De ce moment, toi, pauvre avec pleine assurance,

Après avoir prié pour la persévérance,

Car, docte charité tout d'abord pense à soi,

Puise au gouffre infini de la Foi - plus de foi. -

Que jamais et présente à Dieu ton vœu bien tendre,

Bien ardent, bien formel et de voir et d'entendre

Les hommes t'imiter, même te dépasser

Dans la course au salut, et pour mieux les pousser

A ces fins que le ciel en extase contemple,

Dieu humble (souviens-toi !), prêcheur, prêche d'exemple !
Solitude ! silence ! oh ! le désert me tente.
L'âme s'apaise là, sévèrement contente ;
Là d'on ne sait quelle ombre on se sent l'éclaireur.
Je vais dans les forêts chercher la vague horreur ;
La sauvage épaisseur des branches me procure
Une sorte de joie et d'épouvante obscure ;
Et j'y trouve un oubli presque égal au tombeau.
Mais je ne m'éteins pas ; on peut rester flambeau
Dans l'ombre, et, sous le ciel, sous la crypte sacrée,
Seul, frissonner au vent profond de l'empyrée.
Rien n'est diminué dans l'homme pour avoir
Jeté la sonde au fond ténébreux du devoir.
Qui voit de haut, voit bien ; qui voit de ****, voit juste.
La conscience sait qu'une croissance auguste
Est possible pour elle, et va sur les hauts lieux
Rayonner et grandir, **** du monde oublieux.
Donc je vais au désert, mais sans quitter le monde.
Parce qu'un songeur vient, dans la forêt profonde
Ou sur l'escarpement des falaises, s'asseoir
Tranquille et méditant l'immensité du soir,
Il ne s'isole point de la terre où nous sommes.
Ne sentez-vous donc pas qu'ayant vu beaucoup d'hommes
On a besoin de fuir sous les arbres épais,
Et que toutes les soifs de vérité, de paix,
D'équité, de raison et de lumière, augmentent
Au fond d'une âme, après tant de choses qui mentent ?

Mes frères ont toujours tout mon cœur, et, lointain
Mais présent, je regarde et juge le destin ;
Je tiens, pour compléter l'âme humaine ébauchée,
L'urne de la pitié sur les peuples penchée,
Je la vide sans cesse et je l'emplis toujours.

Mais je prends pour abri l'ombre des grands bois sourds.
Oh ! j'ai vu de si près les foules misérables,
Les cris, les chocs, l'affront aux têtes vénérables,
Tant de lâches grandis par les troubles civils,
Des juges qu'on eût dû juger, des prêtres vils
Servant et souillant Dieu, prêchant pour, prouvant contre,
J'ai tant vu la laideur que notre beauté montre,
Dans notre bien le mal, dans notre vrai le faux,
Et le néant passant sous nos arcs triomphaux,
J'ai tant vu ce qui mord, ce qui fuit, ce qui ploie
Que, vieux, faible et vaincu, j'ai désormais pour joie
De rêver immobile en quelque sombre lieu ;
Là, saignant, je médite ; et, lors même qu'un dieu
M'offrirait pour rentrer dans les villes la gloire,
La jeunesse, l'amour, la force, la victoire,
Je trouve bon d'avoir un trou dans les forêts,
Car je ne sais pas trop si je consentirais.
Sonnet.


Les lignes du labour dans les champs en automne
Fatiguent l'œil, qu'à peine un toit fumant distrait,
Et la voûte du ciel tout entière apparaît,
Bornant d'un cercle nu la plaine monotone.

En des âges perdus dont la vieillesse étonne
Là même a dû grandir une vierge forêt,
Où le chant des oiseaux sonore et pur vibrait,
Avec l'hymne qu'au vent le clair feuillage entonne !

Les poètes chagrins redemandent aux bras
Qui font ce plat désert sous des rayons sans voile
La verte nuit des bois que le soleil étoile ;

Ils pleurent, oubliant, dans leurs soupirs ingrats,
Que des mornes sillons sort le pain qui féconde
Leurs cerveaux, dont le rêve est plus beau que le monde !
I.

Il est des jours de brume et de lumière vague,
Où l'homme, que la vie à chaque instant confond,
Étudiant la plante, ou l'étoile, ou la vague,
S'accoude au bord croulant du problème sans fond ;

Où le songeur, pareil aux antiques augures,
Cherchant Dieu, que jadis plus d'un voyant surprit,
Médite en regardant fixement les figures
Qu'on a dans l'ombre de l'esprit ;

Où, comme en s'éveillant on voit, en reflets sombres,
Des spectres du dehors errer sur le plafond,
Il sonde le destin, et contemple les ombres
Que nos rêves jetés parmi les choses font !

Des heures où, pourvu qu'on ait à sa fenêtre
Une montagne, un bois, un océan qui dit tout,
Le jour prêt à mourir ou l'aube prête à naître,
En soi-même on voit tout à coup

Sur l'amour, sur les biens qui tous nous abandonnent,
Sur l'homme, masque vide et fantôme rieur,
Éclore des clartés effrayantes qui donnent
Des éblouissement à l'oeil intérieur ;

De sorte qu'une fois que ces visions glissent
Devant notre paupière en ce vallon d'exil,
Elles n'en sortent plus et pour jamais emplissent
L'arcade du sombre sourcil !

II.

Donc, puisque j'ai parlé de ces heures de doute
Où l'un trouve le calme et l'autre le remords,
Je ne cacherai pas au peuple qui m'écoute
Que je songe souvent à ce que font les morts ;

Et que j'en suis venu -- tant la nuit étoilée
A fatigué de fois mes regards et mes vœux,
Et tant une pensée inquiète est mêlée
Aux racines de mes cheveux ! -

A croire qu'à la mort, continuant sa route,
L'âme, se souvenant de son humanité,
Envolée à jamais sous la céleste voûte,
A franchir l'infini passait l'éternité !

Et que les morts voyaient l'extase et la prière,
Nos deux rayons, pour eux grandir bien plus encore,
Et qu'ils étaient pareils à la mouche ouvrière,
Au vol rayonnant, aux pieds d'or,

Qui, visitant les fleurs pleines de chastes gouttes,
Semble une âme visible en ce monde réel,
Et, leur disant tout bas quelque mystère à toutes,
Leur laisse le parfum en leur prenant le miel !

Et qu'ainsi, faits vivants par le sépulcre même,
Nous irions tous un jour, dans l'espace vermeil,
Lire l'œuvre infinie et l'éternel poème,
Vers à vers, soleil à soleil !

Admirer tout système en ses formes fécondes,
Toute création dans sa variété,
Et, comparant à Dieu chaque face des mondes,
Avec l'âme de tout confronter leur beauté !

Et que chacun ferait ce voyage des âmes,
Pourvu qu'il ait souffert, pourvu qu'il ait pleuré.
Tous ! hormis les méchants, dont les esprits infâmes
Sont comme un livre déchiré.

Ceux-là, Saturne, un globe horrible et solitaire,
Les prendra pour le temps où Dieu voudra punir,
Châtiés à la fois par le ciel et la terre,
Par l'aspiration et par le souvenir !

III.

Saturne ! sphère énorme ! astre aux aspects funèbres !
Bagne du ciel ! prison dont le soupirail luit !
Monde en proie à la brume, aux souffles, aux ténèbres !
Enfer fait d'hiver et de nuit !

Son atmosphère flotte en zones tortueuses.
Deux anneaux flamboyants, tournant avec fureur,
Font, dans son ciel d'airain, deux arches monstrueuses
D'où tombe une éternelle et profonde terreur.

Ainsi qu'une araignée au centre de sa toile,
Il tient sept lunes d'or qu'il lie à ses essieux ;
Pour lui, notre soleil, qui n'est plus qu'une étoile,
Se perd, sinistre, au fond des cieux !

Les autres univers, l'entrevoyant dans l'ombre,
Se sont épouvantés de ce globe hideux.
Tremblants, ils l'ont peuplé de chimères sans nombre,
En le voyant errer formidable autour d'eux !

IV.

Oh ! ce serait vraiment un mystère sublime
Que ce ciel si profond, si lumineux, si beau,
Qui flamboie à nos yeux ouverts comme un abîme,
Fût l'intérieur du tombeau !

Que tout se révélât à nos paupières closes !
Que, morts, ces grands destins nous fussent réservés !...
Qu'en est-il de ce rêve et de bien d'autres choses ?
Il est certain, Seigneur, que seul vous le savez.

V.

Il est certain aussi que, jadis, sur la terre,
Le patriarche, ému d'un redoutable effroi,
Et les saints qui peuplaient la Thébaïde austère
Ont fait des songes comme moi ;

Que, dans sa solitude auguste, le prophète
Voyait, pour son regard plein d'étranges rayons,
Par la même fêlure aux réalités faite,
S'ouvrir le monde obscur des pâles visions ;

Et qu'à l'heure où le jour devant la nuit recule,
Ces sages que jamais l'homme, hélas ! ne comprit,
Mêlaient, silencieux, au morne crépuscule
Le trouble de leur sombre esprit ;

Tandis que l'eau sortait des sources cristallines,
Et que les grands lions, de moments en moments,
Vaguement apparus au sommet des collines,
Poussaient dans le désert de longs rugissements !

Avril 1839.
Ô sultan Noureddin, calife aimé de Dieu !
Tu gouvernes, seigneur, l'empire du milieu,
De la mer rouge au fleuve jaune.
Les rois des nations, vers ta face tournés,
Pavent, silencieux, de leurs fronts prosternés
Le chemin qui mène à ton trône.

Ton sérail est très grand, tes jardins sont très beaux.
Tes femmes ont des yeux vifs comme des flambeaux,
Qui pour toi seul percent leurs voiles.
Lorsque, astre impérial, aux peuples pleins d'effroi
Tu luis, tes trois cents fils brillent autour de toi
Comme ton cortège d'étoiles

Ton front porte une aigrette et ceint le turban vert.
Tu peux voir folâtrer dans leur bain, entr'ouvert
Sous la fenêtre où tu te penches,
Les femmes de Madras plus douces qu'un parfum,
Et les filles d'Alep qui sur leur beau sein brun
Ont des colliers de perles blanches.

Ton sabre large et nu semble en ta main grandir.
Toujours dans la bataille on le voit resplendir,
Sans trouver turban qui le rompe,
Au point où la mêlée a de plus noirs détours,
Où les grands éléphants, entre-choquant leurs tours,
Prennent des chevaux dans leur trompe.

Une fée est cachée en tout ce que tu vois.
Quand tu parles, calife, on dirait que ta voix
Descend d'un autre monde au nôtre ;
Dieu lui-même t'admire, et de félicités
Emplit la coupe d'or que tes jours enchantés,
Joyeux, se passent l'un à l'autre.

Mais souvent dans ton cœur, radieux Noureddin,
Une triste pensée apparaît, et soudain
Glace ta grandeur taciturne ;
Telle en plein jour parfois, sous un soleil de feu,
La lune, astre des morts, blanche au fond d'un ciel bleu,
Montre à demi son front nocturne.

Le 14 octobre 1828.
Sur des livres où rien n'était écrit encore,
Quatre hommes méditaient quand mourut l'homme-Dieu ;
Tournés au nord, au sud, au couchant, à l'aurore,
Ces hommes se nommaient Luc, Jean, Marc et Matthieu.
Pendant que sur leur noir registre
Tombait l'ombre du mont sinistre,
Et qu'ils rêvaient, battus des vents,
On vit, sur la croix qui nous navre ;
Les clous de l'immense cadavre
Grandir et devenir vivants.

Le premier clou devint un aigle à forme étrange,
Le second fut un boeuf, le troisième un lion,
Le quatrième prit la figure d'un ange
Ayant l'éclair pour aile et pour oeil le rayon ;
Puis, s'envolant du haut calvaire,
Ils quittèrent l'arbre sévère,
Ils quittèrent l'affreux chevet,
Et chacun, dans l'ombre où nous sommes,
À l'oreille de ces quatre hommes
Vint raconter ce qu'il savait.

Le 4 avril 1854.

— The End —