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Laurent Oct 2015
Aimons toujours ! Aimons encore !
Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.
L'amour, c'est le cri de l'aurore,
L'amour c'est l'hymne de la nuit.

Ce que le flot dit aux rivages,
Ce que le vent dit aux vieux monts,
Ce que l'astre dit aux nuages,
C'est le mot ineffable : Aimons !

L'amour fait songer, vivre et croire.
Il a pour réchauffer le coeur,
Un rayon de plus que la gloire,
Et ce rayon c'est le bonheur !

Aime ! qu'on les loue ou les blâme,
Toujours les grand coeurs aimeront :
Joins cette jeunesse de l'âme
A la jeunesse de ton front !

Aime, afin de charmer tes heures !
Afin qu'on voie en tes beaux yeux
Des voluptés intérieures
Le sourire mystérieux !

Aimons-nous toujours davantage !
Unissons-nous mieux chaque jour.
Les arbres croissent en feuillage ;
Que notre âme croisse en amour !

Soyons le miroir et l'image !
Soyons la fleur et le parfum !
Les amants, qui, seuls sous l'ombrage,
Se sentent deux et ne sont qu'un !

Les poètes cherchent les belles.
La femme, ange aux chastes faveurs,
Aime à rafraîchir sous ses ailes
Ces grand fronts brûlants et réveurs.

Venez à nous, beautés touchantes !
Viens à moi, toi, mon bien, ma loi !
Ange ! viens à moi quand tu chantes,
Et, quand tu pleures, viens à moi !

Nous seuls comprenons vos extases.
Car notre esprit n'est point moqueur ;
Car les poètes sont les vases
Où les femmes versent leur cœurs.

Moi qui ne cherche dans ce monde
Que la seule réalité,
Moi qui laisse fuir comme l'onde
Tout ce qui n'est que vanité,

Je préfère aux biens dont s'enivre
L'orgueil du soldat ou du roi,
L'ombre que tu fais sur mon livre
Quand ton front se penche sur moi.

Toute ambition allumée
Dans notre esprit, brasier subtil,
Tombe en cendre ou vole en fumée,
Et l'on se dit : " Qu'en reste-t-il ? "

Tout plaisir, fleur à peine éclose
Dans notre avril sombre et terni,
S'effeuille et meurt, lis, myrte ou rose,
Et l'on se dit : " C'est donc fini ! "

L'amour seul reste. O noble femme
Si tu veux dans ce vil séjour,
Garder ta foi, garder ton âme,
Garder ton Dieu, garde l'amour !

Conserve en ton coeur,
sans rien craindre,
Dusses-tu pleurer et souffrir,
La flamme qui ne peut s'éteindre.

In English :

Let us love always! Let love endure!
When love goes, hope flies.
Love, that is the cry of the dawn,
Love, that is the hymn of the night.

How does the wave tell the shores,
How does the wind tell the old mountains,
How does the star tell the clouds,
It is with that ineffable phrase: "Let us love"!

Love dreams, lives and believes.
It is to nourish the heart.
A beam greater than glory
And this beam is happiness!

Love! That one may praise them or blame them,
Always, great hearts will love:
Join this youth of the soul
To the youth of your brow!

Love, in order to charm your hours!
In order that one can look into your beautiful eyes
With those voluptuous interiors
Of mysterious smiles!

Let us love always and more!
Let us unite better each day,
Trees grow their foliage;
That our souls should grow in love.

Let us be the mirror and image!
Let us be the flower and the perfume!
Lovers, who are alone beneath the shade,
Feel as two and are but one!

Poets search for beauties.
Woman, angel of pure tastes,
Loves to refresh beneath its wings
These large blazing and dreaming brows.

Come to us, touching beauties!
Come to me, to you, my own, my law!
Angel, come to me when you sing,
And, when you cry, come to me!

We alone understand your ecstasies,
For our spirit does not mock;
For poets are the vases
Where ladies send their hearts.

I, who has not found in the world
That single reality,
I, who lets flee like the wave
All that is only vanity.

I prefer rather than that which enervates
The arrogance of the soldier or the king,
The shadow that you place upon my life
When your brow inclines to me.

All ambition kindled
In our spirit, that subtle brazier,
Crumbles to ashes or flies in smoke,
And one says: "What will remain"?

All pleasure, a flower hardly in blossom
In our dark and tarnished April,
Sheds it's leaves and dies, lily, myrtle or rose,
And one says to oneself: "It is finished"!

Only love remains. O noble lady,
If you want to remain in this base state
Guard your faith, guard your soul,
Guard your God, guard love!

Conserve in your heart, without fearing anything,
If you should cry and suffer,
The flame that cannot be extinguished

And the flower that cannot die!
Victor Marie Hugo (26 February 1802 – 22 May 1885) was a French poet, novelist, and dramatist of the Romantic movement. He is considered one of the greatest and best known French writers. In France, Hugo's literary fame comes first from his poetry but also rests upon his novels and his dramatic achievements. Among many volumes of poetry, Les Contemplations and La Légende des siècles stand particularly high in critical esteem.
Voulant te fuir (fuir ses amours !

Mais un poète est bête),

J'ai pris, l'un de ces derniers jours,

La poudre d'escampette.

Qui fut penaud, qui fut nigaud

Dès après un quart d'heure ?

Et je revins en mendigot

Qui supplie et qui pleure.


Tu pardonnas : mais pas longtemps

Depuis la fois première

Je filais, pareil aux autans,

Comme la fois dernière.

Tu me cherchas, me dénichas ;

Courte et bonne, l'enquête !

Qui fut content du doux pourchas ?

Moi donc, ta grosse bête !


Puisque nous voici réunis,

Dis, sans ruse et sans feinte,

Ne nous cherchons plus d'autres nids

Que ma, que ton étreinte.

Malgré mon caractère affreux,

Malgré ton caractère

Affreux, restons toujours heureux :

Fois première et dernière.
Paul d'Aubin Dec 2013
Ulysse, la Méditerranée et ses rapports avec les  Femmes.

Parti à contre cœur, ayant même contrefait le fou, pour se soustraire à la guerre et élever ton fils Télémaque, tu dus partir à Troie, et sus t'y montrer brave, mais surtout fin stratège.
La guerre fut bien longue, pas du tout comme celle que chantait les Aèdes. L'ennemi ressemblait tant à nos guerriers Achéens, courageux et aussi sûrs de leur droit que nous l'étions du notre. Que de sang, que de peine ! Tu vis périr Patrocle, ne pus sauver Achille ; et les morts aux corps déchiquetés par les épées se substituèrent aux coupes de ce vin si enivrant qu'est la rhétorique guerrière et à la funeste illusion d'une victoire facile. Ulysse tu eus l'idée de bâtir ce grand vaisseau dont la proue figurait une tête de cheval. Ainsi les Achéens purent entrer dans le port forteresse si bien gardé. Mais quand la nuit noire et le vin mêlés ôtèrent aux courageux Troyens leur vigilance et leur garde, vous sortirent alors des flancs du bateau et vous précipitèrent pour ouvrir grands les portes aux guerriers Achéens. La suite fut un grand carnage de guerriers Troyens mais aussi de non combattants et même de femmes. Et Troie, la fière, la courageuse ne fut plus ville libre et les survivants de son Peuple connurent l'esclavage. Aussi quand Troie fut conquise et que ses rue coulèrent rouges du sang vermeil de ses défenseur, mais aussi de nombreux civils, tu songeas à retourner chez toi, car tu étais roi, et ton fils Télémaque aurait besoin de toi et Pénélope t'aimait. Les souvenirs d'émois et de tendres caresses faisaient encore frissonner la harpe de ton corps de souvenirs très doux. C'est alors que tu dus affronter la Déesse Athéna et ton double, tous deux vigilants, à tester ta sincérité et ta constance. Oh, toi Homme volage et point encore rassasié de voyages et de conquêtes. L'étendue de la mer te fut donnée comme le théâtre même de ta vérité profonde. Après bien des voyages et avoir perdu nombre de tes compagnons, tu fus poussé dans l'île de la nymphe Calypso. Cette immortelle à la chevelure, si joliment bouclée se trouvait dans son île d'arbustes odoriférants. Aussi fit-elle tout pour te garder. Toi-même, tu lui trouvas de l'ardeur et des charmes même si durant le jour tu te laissais aller à la nostalgie d'Ithaque. La belle immortelle te proposas, pour te garder, de te donner cet attribut si recherché qui empêche à jamais de sombrer dans le sommeil perpétuel. Mais toi, Ulysse, tu préféras garder ton destin d'homme mortel et ton inguérissable blessure pour Ithaque. Après sept années d’une prison si douce, l'intervention d'Athéna te rendit aux aventures de la Mer. Tu accostas, avec tes compagnons sur la côte d’une île malfaisante. C'était la demeure des Cyclopes. Parmi ce Peuple de géants, le cyclope Polyphème habitait une grotte profonde d'où il faisait rentrer chaque soir son troupeau. Ulysse quelle folie traversa ton esprit et celui de tes compagnons que de vouloir pénétrer dans cette antre maudite, mû à la fois par la curiosité et la volonté de faire quelques larcins de chèvres ? Vous payèrent bien cher cette offense par la cruelle dévoration que fit l'infâme Polyphème de plusieurs de tes compagnons dont vous entendîtes craquer les os sous la mâchoire du sauvage. Aussi votre courage fut renforcé par votre haine lorsque vous lui plantèrent l'épieu dans son œil unique alors que sa vigilance venait d'être endormie par le vin. Les barques ayant mouillés dans l'île d'Aiaé, tes compagnons imprudents furent transformés en pourceaux par la belle et cruelle Magicienne Circée. Doté d'un contre poison à ses filtres, tu ne restas cependant pas insensible aux charmes de la belle Magicienne mais tu lui fis prononcer le grand serment avant de répondre à tes avances. Elle accepta pour faire de toi son amant de redonner leur forme humaine à tes compagnons, Et vos nuits furent tendres, sensuelles et magiques car la Magicienne excellait dans les arts de l'amour et il en naquit un fils. Toi le rusé et courageux Ulysse, tu espérais enfin voguer avec délice sur une mer d'huile parcourue par les reflets d'argent des poissons volants et te réjouir des facéties des dauphins, Mais c'était oublier et compter pour peu la rancune de Poséidon, le maître des eaux, rendu furieux par le traitement subi par son fils Polyphème. C'est pour cela qu'une masse d'eau compacte, haute comme une haute tour avançant au grand galop ébranla et engloutit ton solide radeau. Seul ton réflexe prompt de t'accrocher au plus grand des troncs te permis de plonger longuement au fonds des eaux en retenant longtemps ton souffle avant d’émerger à nouveaux. La troisième des belles que ton voyage tumultueux te fit rencontrer fut la jeune Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, Alcinoos. Celle-ci, dans la floraison de sa jeunesse, ardente et vive, ne cédait en rien à l'éclat des plus belles et subtiles fleurs. Guidée par la déesse Athéna, elle vint auprès du fleuve ou tu dormais laver les habits royaux avec ses suivantes. Les voix des jeunes filles t'éveillèrent. Dans ta détresse et ta nudité, tu jetas l'effroi parmi les jeunes filles. Seule Nausicaa eut le courage de ne pas fuir et d'écouter ta demande d'aide. Elle rappela ses suivantes et te fit vêtir après que ton corps ait été lavé par l'eau du fleuve et enduit d'huile fine. Tu retrouvas ta force et ta beauté. Aussi Nausicaa vit en toi l'époux qu'elle désirait. Mais, ta nostalgie d'Ithaque fut encore plus forte. Alors Nausicaa te pria seulement, en ravalant ses larmes, de ne point oublier qu'elle t'avait sauvé des flots. Amené tout ensommeillé dans le vaisseau mené par les rameurs Phéaciens si bien aguerris à leur tâche, tu étais comme bercé par le bruit régulier des rames et le mouvement profond d'une mer douce mais étincelante. C'était comme dans ces rêves très rares qui vous mènent sur l'Olympe. Jamais tu ne te sentis si bien avec ce goût d’embrun salé sur tes lèvres et ce bruit régulier et sec du claquement des rames sur les flots. Tu éprouvas la sensation de voguer vers un nouveau Monde. Ce fut, Ulysse, l'un des rares moments de félicité absolue dans une vie de combats, de feu et du malheur d'avoir vu périr tous tes valeureux compagnons. Ulysse revenu dans ton palais, déguisé en mendiants pour châtier les prétendants, tu triomphas au tir à l'arc. Mais l'heure de la vindicte avait sonné. La première de tes flèches perça la gorge d'Antinoos, buvant sa coupe. Nul ne put te fléchir Ulysse, pas même, l'éloquent Eurymaque qui t'offrait de t'apporter réparations pour tes provisions goulument mangés et tes biens dilapidés. Le pardon s'effaça en toi car l'offense faite à ta femme et à ton fils et à ton honneur était trop forte. Aussi tu n'eus pas la magnanimité de choisir la clémence et le sang coula dans ton palais comme le vin des outres. Pas un des prétendants ne fut épargné à l'exception du chanteur de Lyre, Phénios et du héraut Médon qui avait protégé Télémaque.
Mais Ulysse, tu ne fus pas grand en laissant condamner à la pendaison hideuse, douze servantes qui avaient outragé Pénélope et partagé leur couche avec les prétendants. Ulysse tu fus tant aimé des déesses, des nymphes et des femmes et souvent sauvé du pire par celles qui te donnèrent plaisir et descendance. Mais obsédé par tes roches d'Ithaque ne sus pas leur rendre l'amour qu'elles te portèrent. Tu ne fus pas non plus à la hauteur de la constance et de la fidélité de Pénélope. Mais Ulysse poursuivi par la fatalité de l'exil et de l'errance et la rancune de Poséidon, tu fus aussi le préféré de la déesse Athéna qui fit tant et plus pour te sauver maintes fois de ta perte. Cette déesse fut la vraie sauvegarde de ta vie aventureuse et les femmes qui te chérirent t'apportèrent maintes douceurs et consolations dans ta vie tumultueuse.

Paul Arrighi, Toulouse, (France) 2013.
À Maxime Du Camp.

I

Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent
D'espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom !

II

Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n'étant nulle part, peut être n'importe où !
Où l'homme, dont jamais l'espérance n'est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou !

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
Une voix retentit sur le pont : " Ouvre l'oeil ! "
Une voix de la hune, ardente et folle, crie .
" Amour... gloire... bonheur ! " Enfer ! c'est un écueil !

Chaque îlot signalé par l'homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin ;
L'Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin.

Ô le Pauvre amoureux des pays chimériques !
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d'Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?

Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l'air, de brillants paradis ;
Son oeil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.

III

Etonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.

Dites, qu'avez-vous vu ?

IV

" Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Et toujours le désir nous rendait soucieux !

- La jouissance ajoute au désir de la force.  
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près !

Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès ? - Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de **** !

Nous avons salué des idoles à trompe ;
Des trônes constellés de joyaux lumineux ;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;

" Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. "

V

Et puis, et puis encore ?

VI

" Ô cerveaux enfantins !
Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût ;
L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout ;

Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
La fête qu'assaisonne et parfume le sang ;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;

L'Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
" Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! "

Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l'***** immense !
- Tel est du globe entier l'éternel bulletin. "

VII

Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

Comme le Juif errant et comme les apôtres,
A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d'autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier : En avant !
De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le coeur joyeux d'un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent : " Par ici ! vous qui voulez manger

Le Lotus parfumé ! c'est ici qu'on vendange
Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim ;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n'a jamais de fin ? "

A l'accent familier nous devinons le spectre ;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
" Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre ! "
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

VIII

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !
Paul d'Aubin Jul 2014
Ulysse adoré par les Femmes, les  Nymphes , protégé par Athéna et traqué par Poséidon.


Parti à contrecœur, ayant même contrefait le fou, pour se soustraire à la guerre et élever ton fils Télémaque, tu dus partir à Troie, et sus t'y montrer brave mais surtout fin stratège.
La guerre fut bien longue, pas du tout comme celle que chantaient les Aèdes. L'ennemi ressemblait tant à nos guerriers Achéens, courageux et aussi sûrs de leur droit que nous l'étions du notre.
Que de sang, que de peine ! Tu vis périr Patrocle, ne pus sauver Achille; et les morts aux corps déchiquetés par les épées se substituèrent aux coupes de ce vin si enivrant qu'est la rhétorique guerrière et à la funeste illusion d'une victoire facile.

Ulysse tu eus l'idée de bâtir ce grand vaisseau dont la proue figurait une tête de cheval. Ainsi les Achéens purent entrer dans le port forteresse si bien gardé. Mais quand la nuit noire et le vin mêlés ôtèrent aux courageux Troyens leur vigilance et leur garde, vous sortirent alors des flancs du bateau et vous précipitèrent pour ouvrir grands les portes aux guerriers Achéens.
La suite fut un grand carnage de guerriers Troyens mais aussi de non combattants et même de femmes. Et Troie, la fière, la courageuse ne fut plus ville libre et les survivants de son Peuple connurent l'esclavage.

Aussi quand Troie fut conquise et que ses rue coulèrent rouges du sang vermeil de ses défenseur, mais aussi de nombreux civils, tu songeas à retourner chez toi, car tu étais roi, et ton fils Télémaque aurait besoin de toi et Pénélope t'aimait. Les souvenirs d'émois et de tendres caresses faisaient encore frissonner la harpe de ton corps de souvenirs très doux.
C'est alors que tu dus affronter la Déesse Athéna et ton double, tous deux vigilants, a tester ta sincérité et ta constance. Oh, toi Homme volage et point encore rassasié de voyages et de conquêtes. L'étendue de la mer te fut donnée comme le théâtre même de ta vérité profonde.


Après bien des voyages et avoir perdu nombre de tes compagnons, tu fus poussé dans l'île de la nymphe Calypso.
Cette immortelle à la chevelure, si joliment bouclée se trouvait dans son île d'arbustes odoriférants. Aussi fit-elle tout pour te garder. Toi-même, tu lui trouvas de l'ardeur et des charmes même si durant le jour tu te laissais aller à la nostalgie d'Ithaque.
La belle immortelle te proposas, pour te garder, de te donner cet attribut si recherché qui empêche à jamais de sombrer dans le sommeil perpétuel.
Mais toi, Ulysse, tu préféras garder ton destin d'homme mortel et ton inguérissable blessure pour Ithaque.

Après sept années d’une prison si douce, l'intervention d'Athéna te rendit aux aventures de la Mer. Tu accostas, avec tes compagnons sur la côte d’une île malfaisante. C’était la demeure des Cyclopes. Parmi ce Peuple de géants, le cyclope Polyphème habitait une grotte profonde d'où il faisait rentrer chaque soir son troupeau.
Ulysse quelle folie traversa ton esprit et celui de tes compagnons que de vouloir pénétrer dans cette antre maudite, mû à la fois par la curiosité et la volonté de faire quelques larcins de chèvres ? Vous payèrent bien cher cette offense par la cruelle dévoration que fit l'infâme Polyphème de plusieurs de tes compagnons dont vous entendîtes craquer les os sous la mâchoire du sauvage. Aussi votre courage fut renforcé par votre haine lorsque vous lui plantèrent l'épieu dans son œil unique alors que sa vigilance venait d'être endormie par le vin.

Les barques ayant mouillés dans l'île d'Aiaé, tes compagnons imprudents furent transformés en pourceaux par la belle et cruelle Magicienne Circée.
Doté d'un contre poison à ses filtres, tu ne restas cependant pas insensible aux charmes de la belle Magicienne mais tu lui fis prononcer le grand serment avant de répondre à tes avances.
Elle accepta pour faire de toi son amant de redonner leur forme humaine à tes compagnons,
Et vos nuits furent tendres, sensuelles et magiques car la Magicienne excellait dans les arts de l'amour et il en naquit un fils.

Toi le rusé et courageux Ulysse, tu espérais enfin voguer avec délice sur une mer d'huile parcourue par les reflets d'argent des poissons volants et te réjouir des facéties des dauphins,
Mais c'était oublier et compter pour peu la rancune de Poséidon, le maître des eaux, rendu furieux par le traitement subi par son fils Polyphème.
C'est pour cela qu'une masse d'eau compacte, haute comme une haute tour avançant au grand galop ébranla et engloutit ton solide radeau.
Seul ton réflexe prompt de t'accrocher au plus grand des troncs te permis de plonger longuement au fonds des eaux en retenant longtemps ton souffle avant d’émerger à nouveaux.

La troisième des belles que ton voyage tumultueux te fit rencontrer fut la jeune Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, Alcinoos.
Celle-ci, dans la floraison de sa jeunesse, ardente et vive, ne cédait en rien à l'éclat des plus belles et subtiles fleurs. Guidée par la déesse Athéna, elle vint auprès du fleuve ou tu dormais laver les habits royaux avec ses suivantes. Les voix des jeunes filles t'éveillèrent. Dans ta détresse et ta nudité, tu jetas l'effroi parmi les jeunes filles. Seule Nausicaa eut le courage de ne pas fuir et d'écouter ta demande d'aide. Elle rappela ses suivantes et te fit vêtir après que ton corps ait été lavé par l'eau du fleuve et enduit d'huile fine. Tu retrouvas ta force et ta beauté. Aussi Nausicaa vit en toi l'époux qu'elle désirait. Mais, ta nostalgie d'Ithaque fut encore plus forte. Alors Nausicaa te pria seulement, en ravalant ses larmes, de ne point oublier qu'elle t'avait sauvé des flots.

Amené tout ensommeillé dans le vaisseau mené par les rameurs Phéaciens si bien aguerris à leur tâche, tu étais comme bercé par le bruit régulier des rames et le mouvement profond d'une mer douce mais étincelante. C'était comme dans ces rêves très rares qui vous mènent sur l'Olympe. Jamais tu ne te sentis si bien avec ce goût d’embrun salé sur tes lèvres et ce bruit régulier et sec du claquement des rames sur les flots. Tu éprouvas la sensation de voguer vers un nouveau Monde. Ce fut, Ulysse, l'un des rares moments de félicité absolue dans une vie de combats, de feu et du malheur d'avoir vu périr tous tes valeureux compagnons.

Ulysse revenu dans ton palais, déguisé en mendiants pour châtier les prétendants, tu triomphas au tir à l'arc. Mais l'heure de la vindicte avait sonné. La première de tes flèches perça la gorge d'Antinoüs, buvant sa coupe. Nul ne put te fléchir Ulysse, pas même, l'éloquent Eurymaque qui t'offrait de t'apporter réparations pour tes provisions goulument mangés et tes biens dilapidés. Le pardon s'effaça en toi car l'offense faite à ta femme et à ton fils et à ton honneur était trop forte. Aussi tu n'eus pas la magnanimité de choisir la clémence et le sang coula dans ton palais comme le vin des outres. Pas un des prétendants ne fut épargné à l'exception du chanteur de Lyre, Phénios et du héraut Médon qui avait protégé Télémaque. Mais Ulysse, tu ne fus pas grand en laissant condamner à la pendaison hideuse, douze servantes qui avaient outragé Pénélope et partagé leur couche avec les prétendants.

Ulysse tu fus tant aimé des déesses, des nymphes et des femmes et souvent sauvé du pire par celles qui te donnèrent plaisir et descendance. Mais obsédé par tes roches d'Ithaque ne sus pas leur rendre l'amour qu'elles te portèrent. Tu ne fus pas non plus à la hauteur de la constance et de la fidélité de Pénélope.
Mais Ulysse poursuivi par la fatalité de l'exil et de l'errance et la rancune de Poséidon, tu fus aussi le préféré de la déesse Athéna qui fit tant et plus pour te sauver maintes fois de ta perte. Cette déesse fut la vraie sauvegarde de ta vie aventureuse et les femmes qui te chérirent t'apportèrent maintes douceurs et consolations dans ta vie tumultueuse.

Paul Arrighi
The adventures of Ulysses in the Odyssey as beloved by Women and Nymphs protected by Athena and pursue by Poseidon
Alors le Seigneur fit descendre du ciel sur
Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu.

25. Et il perdit ces villes avec tous leurs habitant,
Tout le pays à l'entour avec ceux qui l'habitaient,
Et tout ce qui avait quelque verdeur sur la terre.

Genèse.

I.

La voyez-vous passer, la nuée au flanc noir ?
Tantôt pâle, tantôt rouge et splendide à voir,
Morne comme un été stérile ?
On croit voir à la fois, sur le vent de la nuit,
Fuir toute la fumée ardente et tout le bruit
De l'embrasement d'une ville.

D'où vient-elle ? des cieux, de la mer ou des monts ?
Est-ce le char de feu qui porte les démons
À quelque planète prochaine ?
Ô terreur ! de son sein, chaos mystérieux,
D'où vient que par moments un éclair furieux
Comme un long serpent se déchaîne ?

II.

La mer ! partout la mer ! des flots, des flots encor.
L'oiseau fatigue en vain son inégal essor.
Ici les flots, là-bas les ondes ;
Toujours des flots sans fin par des flots repoussés ;
L'œil ne voit que des flots dans l'abîme entassés
Rouler sous les vagues profondes.

Parfois de grands poissons, à fleur d'eau voyageant,
Font reluire au soleil leurs nageoires d'argent,
Ou l'azur de leurs larges queues.
La mer semble un troupeau secouant sa toison :
Mais un cercle d'airain ferme au **** l'horizon ;
Le ciel bleu se mêle aux eaux bleues.

- Faut-il sécher ces mers ? dit le nuage en feu.
- Non ! - Il reprit son vol sous le souffle de Dieu.

III.

Un golfe aux vertes collines
Se mirant dans le flot clair ! -
Des buffles, des javelines,
Et des chants joyeux dans l'air ! -
C'était la tente et la crèche,
La tribu qui chasse et pêche,
Qui vit libre, et dont la flèche
Jouterait avec l'éclair.

Pour ces errantes familles
Jamais l'air ne se corrompt.
Les enfants, les jeunes filles,
Les guerriers dansaient en rond,
Autour d'un feu sur la grève,
Que le vent courbe et relève,
Pareils aux esprits qu'en rêve
On voit tourner sur son front.

Les vierges aux seins d'ébène,
Belles comme les beaux soirs,
Riaient de se voir à peine
Dans le cuivre des miroirs ;
D'autres, joyeuses comme elles,
Faisaient jaillir des mamelles
De leurs dociles chamelles
Un lait blanc sous leurs doigts noirs.

Les hommes, les femmes nues
Se baignaient au gouffre amer. -
Ces peuplades inconnues,
Où passaient-elles hier ? -
La voix grêle des cymbales,
Qui fait hennir les cavales,
Se mêlait par intervalles
Aux bruits de la grande mer.

La nuée un moment hésita dans l'espace.
- Est-ce là ? - Nul ne sait qui lui répondit : - Passe !

IV.

L'Égypte ! - Elle étalait, toute blonde d'épis,
Ses champs, bariolés comme un riche tapis,
Plaines que des plaines prolongent ;
L'eau vaste et froide au nord, au sud le sable ardent
Se dispute l'Égypte : elle rit cependant
Entre ces deux mers qui la rongent.

Trois monts bâtis par l'homme au **** perçaient les cieux
D'un triple angle de marbre, et dérobaient aux yeux
Leurs bases de cendre inondées ;
Et de leur faîte aigu jusqu'aux sables dorés,
Allaient s'élargissant leurs monstrueux degrés,
Faits pour des pas de six coudées.

Un sphinx de granit rose, un dieu de marbre vert,
Les gardaient, sans qu'il fût vent de flamme au désert
Qui leur fît baisser la paupière.
Des vaisseaux au flanc large entraient dans un grand port.
Une ville géante, assise sur le bord,
Baignait dans l'eau ses pieds de pierre.

On entendait mugir le semoun meurtrier,
Et sur les cailloux blancs les écailles crier
Sous le ventre des crocodiles.
Les obélisques gris s'élançaient d'un seul jet.
Comme une peau de tigre, au couchant s'allongeait
Le Nil jaune, tacheté d'îles.

L'astre-roi se couchait. Calme, à l'abri du vent,
La mer réfléchissait ce globe d'or vivant,
Ce monde, âme et flambeau du nôtre ;
Et dans le ciel rougeâtre et dans les flots vermeils,
Comme deux rois amis, on voyait deux soleils
Venir au-devant l'un de l'autre.

- Où faut-il s'arrêter ? dit la nuée encor.
- Cherche ! dit une voix dont trembla le Thabor.

V.

Du sable, puis du sable !
Le désert ! noir chaos
Toujours inépuisable
En monstres, en fléaux !
Ici rien ne s'arrête.
Ces monts à jaune crête,
Quand souffle la tempête,
Roulent comme des flots !

Parfois, de bruits profanes
Troublant ce lieu sacré,
Passent les caravanes
D'Ophir ou de Membré.
L'œil de **** suit leur foule,
Qui sur l'ardente houle
Ondule et se déroule
Comme un serpent marbré.

Ces solitudes mornes,
Ces déserts sont à Dieu :
Lui seul en sait les bornes,
En marque le milieu.
Toujours plane une brume
Sur cette mer qui fume,
Et jette pour écume
Une cendre de feu.

- Faut-il changer en lac ce désert ? dit la nue.
- Plus **** ! dit l'autre voix du fond des cieux venue.

VI.

Comme un énorme écueil sur les vagues dressé,
Comme un amas de tours, vaste et bouleversé,
Voici Babel, déserte et sombre.
Du néant des mortels prodigieux témoin,
Aux rayons de la lune, elle couvrait au ****
Quatre montagnes de son ombre.

L'édifice écroulé plongeait aux lieux profonds.
Les ouragans captifs sous ses larges plafonds
Jetaient une étrange harmonie.
Le genre humain jadis bourdonnait à l'entour,
Et sur le globe entier Babel devait un jour
Asseoir sa spirale infinie.

Ses escaliers devaient monter jusqu'au zénith.
Chacun des plus grands monts à ses flancs de granit
N'avait pu fournir qu'une dalle.
Et des sommets nouveaux d'autres sommets chargés
Sans cesse surgissaient aux yeux découragés
Sur sa tête pyramidale.

Les boas monstrueux, les crocodiles verts,
Moindres que des lézards sur ses murs entrouverts,
Glissaient parmi les blocs superbes ;
Et, colosses perdus dans ses larges contours,
Les palmiers chevelus, pendant au front des tours,
Semblaient d'en bas des touffes d'herbes.

Des éléphants passaient aux fentes de ses murs ;
Une forêt croissait sous ses piliers obscurs
Multipliés par la démence ;
Des essaims d'aigles roux et de vautours géants
Jour et nuit tournoyaient à ses porches béants,
Comme autour d'une ruche immense.

- Faut-il l'achever ? dit la nuée en courroux. -
Marche ! - Seigneur, dit-elle, où donc m'emportez-vous ?

VII.

Voilà que deux cités, étranges, inconnues,
Et d'étage en étage escaladant les nues,
Apparaissent, dormant dans la brume des nuits,
Avec leurs dieux, leur peuple, et leurs chars, et leurs bruits.
Dans le même vallon c'étaient deux sœurs couchées.
L'ombre baignait leurs tours par la lune ébauchées ;
Puis l'œil entrevoyait, dans le chaos confus,
Aqueducs, escaliers, piliers aux larges fûts,
Chapiteaux évasés ; puis un groupe difforme
D'éléphants de granit portant un dôme énorme ;
Des colosses debout, regardant autour d'eux
Ramper des monstres nés d'accouplements hideux ;
Des jardins suspendus, pleins de fleurs et d'arcades,
Où la lune jetait son écharpe aux cascades ;
Des temples où siégeaient sur de riches carreaux
Cent idoles de jaspe à têtes de taureaux ;
Des plafonds d'un seul bloc couvrant de vastes salles,
Où, sans jamais lever leurs têtes colossales,
Veillaient, assis en cercle, et se regardant tous,
Des dieux d'airain, posant leurs mains sur leurs genoux.
Ces rampes, ces palais, ces sombres avenues
Où partout surgissaient des formes inconnues,
Ces ponts, ces aqueducs, ces arcs, ces rondes tours,
Effrayaient l'œil perdu dans leurs profonds détours ;
On voyait dans les cieux, avec leurs larges ombres,
Monter comme des caps ces édifices sombres,
Immense entassement de ténèbres voilé !
Le ciel à l'horizon scintillait étoilé,
Et, sous les mille arceaux du vaste promontoire,
Brillait comme à travers une dentelle noire.

Ah ! villes de l'enfer, folles dans leurs désirs !
Là, chaque heure inventait de monstrueux plaisirs,
Chaque toit recelait quelque mystère immonde,
Et, comme un double ulcère, elles souillaient le monde.

Tout dormait cependant : au front des deux cités,
À peine encor glissaient quelques pâles clartés,
Lampes de la débauche, en naissant disparues,
Derniers feux des festins oubliés dans les rues,
De grands angles de murs, par la lune blanchis,
Coupaient l'ombre, ou tremblaient dans une eau réfléchis.
Peut-être on entendait vaguement dans les plaines
S'étouffer des baisers, se mêler des haleines,
Et les deux villes surs, lasses des feux du jour,
Murmurer mollement d'une étreinte d'amour !

Et le vent, soupirant sous le frais sycomore,
Allait tout parfumé de Sodome à Gomorrhe.
C'est alors que passa le nuage noirci,
Et que la voix d'en haut lui cria : - C'est ici !

VIII.

La nuée éclate !
La flamme écarlate
Déchire ses flancs,
L'ouvre comme un gouffre,
Tombe en flots de soufre
Aux palais croulants,
Et jette, tremblante,
Sa lueur sanglante
Sur leurs frontons blancs !

Gomorrhe ! Sodome !
De quel brûlant dôme
Vos murs sont couverts !
L'ardente nuée
Sur vous s'est ruée,
Ô peuples pervers !
Et ses larges gueules
Sur vos têtes seules
Soufflent leurs éclairs !

Ce peuple s'éveille,
Qui dormait la veille
Sans penser à Dieu.
Les grands palais croulent ;
Mille chars qui roulent
Heurtent leur essieu ;
Et la foule accrue,
Trouve en chaque rue
Un fleuve de feu.

Sur ces tours altières,
Colosses de pierres
Trop mal affermis,
Abondent dans l'ombre
Des mourants sans nombre
Encore endormis.
Sur des murs qui pendent
Ainsi se répandent
De noires fourmis !

Se peut-il qu'on fuie
Sous l'horrible pluie ?
Tout périt, hélas !
Le feu qui foudroie
Bat les ponts qu'il broie,
Crève les toits plats,
Roule, tombe, et brise
Sur la dalle grise
Ses rouges éclats !

Sous chaque étincelle
Grossit et ruisselle
Le feu souverain.
Vermeil et limpide,
Il court plus rapide
Qu'un cheval sans frein ;
Et l'idole infâme,
Croulant dans la flamme,
Tord ses bras d'airain !

Il gronde, il ondule,
Du peuple incrédule
Bat les tours d'argent ;
Son flot vert et rose,
Que le soufre arrose,
Fait, en les rongeant,
Luire les murailles
Comme les écailles
D'un lézard changeant.

Il fond comme cire
Agate, porphyre,
Pierres du tombeau,
Ploie, ainsi qu'un arbre,
Le géant de marbre
Qu'ils nommaient Nabo,
Et chaque colonne
Brûle et tourbillonne
Comme un grand flambeau.

En vain quelques mages
Portent les images
Des dieux du haut lieu ;
En vain leur roi penche
Sa tunique blanche
Sur le soufre bleu ;
Le flot qu'il contemple
Emporte leur temple
Dans ses plis de feu !

Plus **** il charrie
Un palais, où crie
Un peuple à l'étroit ;
L'onde incendiaire
Mord l'îlot de pierre
Qui fume et décroît,
Flotte à sa surface,
Puis fond et s'efface
Comme un glaçon froid !

Le grand-prêtre arrive
Sur l'ardente rive
D'où le reste a fui.
Soudain sa tiare
Prend feu comme un phare,
Et pâle, ébloui,
Sa main qui l'arrache
À son front s'attache,
Et brûle avec lui.

Le peuple, hommes, femmes,
Court... Partout les flammes
Aveuglent les yeux ;
Des deux villes mortes
Assiégeant les portes
À flots furieux,
La foule maudite
Croit voir, interdite,
L'enfer dans les cieux !

IX.

On dit qu'alors, ainsi que pour voir un supplice
Un vieux captif se dresse aux murs de sa prison,
On vit de **** Babel, leur fatale complice,
Regarder par-dessus les monts de l'horizon.

On entendit, durant cet étrange mystère,
Un grand bruit qui remplit le monde épouvanté,
Si profond qu'il troubla, dans leur morne cité,
Jusqu'à ces peuples sourds qui vivent sous la terre.

X.

Le feu fut sans pitié ! Pas un des condamnés
Ne put fuir de ces murs brûlant et calcinés.
Pourtant, ils levaient leurs mains viles,
Et ceux qui s'embrassaient dans un dernier adieu,
Terrassés, éblouis, se demandaient quel dieu
Versait un volcan sur leurs villes.

Contre le feu vivant, contre le feu divin,
De larges toits de marbre ils s'abritaient en vain.
Dieu sait atteindre qui le brave.
Ils invoquaient leurs dieux ; mais le feu qui punit
Frappait ces dieux muets dont les yeux de granit
Soudain fondaient en pleurs de lave !

Ainsi tout disparut sous le noir tourbillon,
L'homme avec la cité, l'herbe avec le sillon !
Dieu brûla ces mornes campagnes ;
Rien ne resta debout de ce peuple détruit,
Et le vent inconnu qui souffla cette nuit
Changea la forme des montagnes.

XI.

Aujourd'hui le palmier qui croît sur le rocher
Sent sa feuille jaunie et sa tige sécher
À cet air qui brûle et qui pèse.
Ces villes ne sont plus ; et, miroir du passé,
Sur leurs débris éteints s'étend un lac glacé,
Qui fume comme une fournaise !

Octobre 1828.
I


« Minuit ! ma mère dort : je me suis relevée :

Je craignais de laisser ma lettre inachevée ;

J'ai voulu me hâter, car peut-être ma main

Ne sera-t-elle plus assez forte demain !

Tu connais mon malheur ; je t'ai dit que mon père

A voulu me dicter un choix, et qu'il espère

Sans doute me trouver trop faible pour oser

Refuser cet époux qu'il prétend m'imposer.

O toi qui m'appartiens ! ô toi qui me fis naître

Au bonheur, à l'amour que tu m'as fait connaître ;

Toi qui sus le premier deviner le secret

Et trouver le chemin d'un cœur qui s'ignorait,

Crois-tu qu'à d'autres lois ton amante enchaînée

Méconnaisse jamais la foi qu'elle a donnée ;

Qu'elle puisse oublier ces rapides momens

Où nos voix ont ensemble échangé leurs sermens,

Où sa tremblante main a frémi dans la tienne,

Et qu'à d'autre qu'à toi jamais elle appartienne ?

Tu veux fuir, m'as-tu dit : fuis ; mais n'espère pas

M'empêcher de te suivre attachée à tes pas !

Qu'importe où nous soyons si nous sommes ensemble ;

Est-il donc un désert si triste, qui ne semble

Plus riant qu'un palais, quand il est animé

Par l'aspect du bonheur et de l'objet aimé ?

Et que me font à moi tous ces biens qui m'attendent ?

Lorsqu'on s'est dit : je t'aime ! et que les cœurs s'entendent,

Que sont tous les trésors, qu'est l'univers pour eux.

Et que demandent-ils de plus pour être heureux ?

Mais comment fuir ? comment tromper la vigilance

D'un père soupçonneux qui m'épie en silence ?

Je m'abusais ! Eh bien, écoute le serment

Que te jure ma bouche en cet affreux moment :

Puisqu'on l'a résolu, puisqu'on me sacrifie.

Puisqu'on veut mon malheur, eh bien ! je les défie :

Ils ne m'auront que morte, et je n'aurai laissé

Pour traîner à l'autel qu'un cadavre glacé ! »


II


Lorsque je l'ai *****, elle était mariée

Depuis cinq ans passés : « Ah ! s'est-elle écriée,

C'est vous ! bien vous a pris d'être venu nous voir :

Mais où donc étiez-vous ? Et ne peut-on savoir

Pourquoi, depuis un siècle, éloigné de la France,

Vous nous avez ainsi laissés dans l'ignorance ?

Quant à nous, tout va bien : le sort nous a souri.

- J'ai parlé bien souvent de vous à mon mari ;

C'est un homme d'honneur, que j'aime et je révère,

Sage négociant, de probité sévère,

Qui par son zèle actif chaque jour agrandit

L'essor de son commerce, et double son crédit :

Et puisque le hasard à la fin nous rassemble ;

Je vous présenterai, vous causerez ensemble ;

Il vous recevra bien, empressé de saisir

Pareille occasion de me faire plaisir.

Vous verrez mes enfans : j'en ai trois. Mon aînée

Est chez mes belles-sœurs, qui me l'ont emmenée ;

Je l'attends samedi matin : vous la verrez.

Oh, c'est qu'elle est charmante ! ensuite, vous saurez

Qu'elle lit couramment, écrit même, et commence

A jouer la sonate et chanter la romance.

Et mon fils ! il aura ses trois ans et demi

Le vingt du mois prochain ; du reste, mon ami,

Vous verrez comme il est grand et fort pour son âge ;

C'est le plus bel enfant de tout le voisinage.

Et puis, j'ai mon petit. - Je ne l'ai pas nourri :

Mes couches ont été pénibles ; mon mari,

Qui craignait pour mon lait, a voulu que je prisse

Sur moi de le laisser aux mains d'une nourrice.

Mais de cet embarras je vais me délivrer,

Et le docteur a dit qu'on pouvait le sevrer.

- Ainsi dans mes enfans, dans un époux qui m'aime,

J'ai trouvé le bonheur domestique ; et vous même,

Vous dépendez de vous, j'imagine, et partant

Qui peut vous empêcher d'en faire un jour autant ?

Je sais qu'en pareil cas le choix est difficile.

Que vous avez parfois une humeur indocile ;

Mais on peut réussir, et vous réussirez :

Vous prendrez une femme, et nous l'amènerez,

Elle viendra passer l'été dans notre terre :

Jusque-là toutefois, libre et célibataire,

Pensez à vos amis, et venez en garçon

Nous demander dimanche à dîner sans façon. »
Madrid, princesse des Espagnes,
Il court par tes mille campagnes
Bien des yeux bleus, bien des yeux noirs.
La blanche ville aux sérénades,
Il passe par tes promenades
Bien des petits pieds tous les soirs.

Madrid, quand tes taureaux bondissent,
Bien des mains blanches applaudissent,
Bien des écharpes sont en jeux.
Par tes belles nuits étoilées,
Bien des senoras long voilées
Descendent tes escaliers bleus.

Madrid, Madrid, moi, je me raille
De tes dames à fine taille
Qui chaussent l'escarpin étroit ;
Car j'en sais une par le monde
Que jamais ni brune ni blonde
N'ont valu le bout de son doigt !

J'en sais une, et certes la duègne
Qui la surveille et qui la peigne
N'ouvre sa fenêtre qu'à moi ;
Certes, qui veut qu'on le redresse,
N'a qu'à l'approcher à la messe,
Fût-ce l'archevêque ou le roi.

Car c'est ma princesse andalouse !
Mon amoureuse ! ma jalouse !
Ma belle veuve au long réseau !
C'est un vrai démon ! c'est un ange !
Elle est jaune, comme une orange,
Elle est vive comme un oiseau !

Oh ! quand sur ma bouche idolâtre
Elle se pâme, la folâtre,
Il faut voir, dans nos grands combats,
Ce corps si souple et si fragile,
Ainsi qu'une couleuvre agile,
Fuir et glisser entre mes bras !

Or si d'aventure on s'enquête
Qui m'a valu telle conquête,
C'est l'allure de mon cheval,
Un compliment sur sa mantille,
Puis des bonbons à la vanille
Par un beau soir de carnaval.
Paul d'Aubin Dec 2016
L'Espoir, quand même et malgré tout !

( Une poésie, bien pour notre temps )

L'Espoir, c'est le sourire entrevu
Qui interrompt les plombs de l'injustice.
C'est Malraux s'efforçant de lever des avions
Dans une Espagne en feu, abandonnée, trahie
L’espoir, ce sont ces humbles que l'on ne voit jamais,
À qui l'on sourit et propose un projet commun,
L’Espoir ce sont l'abbé Pierre et Coluche, délaissant leur confort,
Pour dire que la faim et l'absence de toit sont indignes de sociétés qui se prétendent démocratiques,
L'Espoir c'est la patience de reprendre l'explication si une première leçon n'a pas portée ses fruits,
L'Espoir c'est rejeter toute forme d'exclusion fondée sur la race, le sexe, l'âge ou la manière de croire ou de ne pas croire,
L'Espoir c'est l'évêque d'Hugo, laissant repartir le forçat Jean Valjean,
L'espoir c'est abandonner toute forme de vengeance et penser que l’être peut toujours s'améliorer, m^me s'il n'y mets pas toujours du sien,
L'espoir c'est refuser de hurler avec la meute sur l'homme seul que les médias exhibent au carcan avant de le conduire au gibet sous les clameurs de haine des foules.
L'espoir c'est penser que l'obscur employé et le simple ouvrier peuvent trouver et proposer ses solutions plus simples et plus efficaces que celles abstraitement élaborées par le chef ou par le patron.
L'Espoir c'est refuser de voir piétiner la planète et de laisser sans rien dire prendre des risques insensés au motif que certains puissants savent mieux que nous tous et ont le savoir.
L'espoir c'est se sentir rouge de honte en voyant des SDF allongés sur des cartons et entourés de l'affection de leurs seuls chiens.
L'espoir c'est découvrir des nouvelles et des sons nouveaux et ressentir que ce jaillissement de sons est une plénitude de l’Esprit et des sens,
L'Espoir, c'est parier sur la création des êtres et l'action personnelle et collective pour faire reculer la part de contraintes de la rareté et la résignation à ce persistant malheur.
L'espoir c'est refuser la facilité de désigner un bouc émissaire pour masquer son propre égoïsme ou fuir ses responsabilités et l'impératif de justice.
L'espoir, c'est regarder le ciel qui luit et la feuille d'automne qui tournoie comme l'aurore d'un premier jour,
C'est penser aux souffrances visibles et invisibles des malades et savoir relativiser ses propres succès comme ses prétendus échecs,
L'espoir, c'est s'abstenir de croire que l’on se dire citoyen en se contentant de paresseusement voter en déléguant toute sa vigilance et son action propre tous les cinq ans,
L'espoir c'est se demander si l'on a toujours bien exploré toutes les solutions et toutes les voies pour sortir d'un conflit et ne pas faire perdre sa dignité à son adversaire,
L'espoir c'est refuser de s'endormir dans l'indifférence des autres et de se sentir acteur et transformateur dans l'aventure de la vie,
L'espoir c'est savoir rendre l'espoir et la Dignité à celles et ceux qui sont tombés et désespèrent.

Paul Arrighi
Timmy Shanti Feb 2017
Les ondes de la mer me caressent doucement.
Je me sens si heureux chaque seconde de mon être
Et j’oublie mes chagrins si divers légèrement.
Tout ce qu’on veut maintenant est s’unir aux belles-lettres
En quoi notre destin fut écrit autrefois,
Où les chemins de la vie sont toujours dégagés
Et nous sommes libérés des regrets, des outrages
Qui empêchent notre envie de partout voyager.
Nous manquons seulement de courage de fuir -
De nos craintes, vexations, amertumes et avis...
En étant caressés par les ondes de la mer
Commençons de nouveau: nouveau seuil de la vie.
Février '17
I.

L'ÉGLISE est vaste et haute. À ses clochers superbes
L'ogive en fleur suspend ses trèfles et ses gerbes ;
Son portail resplendit, de sa rose pourvu ;
Le soir fait fourmiller sous la voussure énorme
Anges, vierges, le ciel, l'enfer sombre et difforme,
Tout un monde effrayant comme un rêve entrevu.

Mais ce n'est pas l'église, et ses voûtes, sublimes,
Ses porches, ses vitraux, ses lueurs, ses abîmes,
Sa façade et ses tours, qui fascinent mes yeux ;
Non ; c'est, tout près, dans l'ombre où l'âme aime à descendre
Cette chambre d'où sort un chant sonore et tendre,
Posée au bord d'un toit comme un oiseau joyeux.

Oui, l'édifice est beau, mais cette chambre est douce.
J'aime le chêne altier moins que le nid de mousse ;
J'aime le vent des prés plus que l'âpre ouragan ;
Mon cœur, quand il se perd vers les vagues béantes,
Préfère l'algue obscure aux falaises géantes.
Et l'heureuse hirondelle au splendide océan.

II.

Frais réduit ! à travers une claire feuillée
Sa fenêtre petite et comme émerveillée
S'épanouit auprès du gothique portail.
Sa verte jalousie à trois clous accrochée,
Par un bout s'échappant, par l'autre rattachée,
S'ouvre coquettement comme un grand éventail.

Au-dehors un beau lys, qu'un prestige environne,
Emplit de sa racine et de sa fleur couronne
- Tout près de la gouttière où dort un chat sournois -
Un vase à forme étrange en porcelaine bleue
Où brille, avec des paons ouvrant leur large queue,
Ce beau pays d'azur que rêvent les Chinois.

Et dans l'intérieur par moments luit et passe
Une ombre, une figure, une fée, une grâce,
Jeune fille du peuple au chant plein de bonheur,
Orpheline, dit-on, et seule en cet asile,
Mais qui parfois a l'air, tant son front est tranquille,
De voir distinctement la face du Seigneur.

On sent, rien qu'à la voir, sa dignité profonde.
De ce cœur sans limon nul vent n'a troublé l'onde.
Ce tendre oiseau qui jase ignore l'oiseleur.
L'aile du papillon a toute sa poussière.
L'âme de l'humble vierge a toute sa lumière.
La perle de l'aurore est encor dans la fleur.

À l'obscure mansarde il semble que l'œil voie
Aboutir doucement tout un monde de joie,
La place, les passants, les enfants, leurs ébats,
Les femmes sous l'église à pas lents disparues,
Des fronts épanouis par la chanson des rues,
Mille rayons d'en haut, mille reflets d'en bas.

Fille heureuse ! autour d'elle ainsi qu'autour d'un temple,
Tout est modeste et doux, tout donne un bon exemple.
L'abeille fait son miel, la fleur rit au ciel bleu,
La tour répand de l'ombre, et, devant la fenêtre,
Sans faute, chaque soir, pour obéir au maître,
L'astre allume humblement sa couronne de feu.

Sur son beau col, empreint de virginité pure,
Point d'altière dentelle ou de riche guipure ;
Mais un simple mouchoir noué pudiquement.
Pas de perle à son front, mais aussi pas de ride,
Mais un œil chaste et vif, mais un regard limpide.
Où brille le regard que sert le diamant ?

III.

L'angle de la cellule abrite un lit paisible.
Sur la table est ce livre où Dieu se fait visible,
La légende des saints, seul et vrai panthéon.
Et dans un coin obscur, près de la cheminée,
Entre la bonne Vierge et le buis de l'année,
Quatre épingles au mur fixent Napoléon.

Cet aigle en cette cage ! - et pourquoi non ? dans l'ombre
De cette chambre étroite et calme, où rien n'est sombre,
Où dort la belle enfant, douce comme son lys,
Où tant de paix, de grâce et de joie est versée,
Je ne hais pas d'entendre au fond de ma pensée
Le bruit des lourds canons roulant vers Austerlitz.

Et près de l'empereur devant qui tout s'incline,
- Ô légitime orgueil de la pauvre orpheline ! -
Brille une croix d'honneur, signe humble et triomphant,
Croix d'un soldat, tombé comme tout héros tombe,
Et qui, père endormi, fait du fond de sa tombe
Veiller un peu de gloire auprès de son enfant.

IV.

Croix de Napoléon ! joyau guerrier ! pensée !
Couronne de laurier de rayons traversée !
Quand il menait ses preux aux combats acharnés,
Il la laissait, afin de conquérir la terre,
Pendre sur tous les fronts durant toute la guerre ;
Puis, la grande œuvre faite, il leur disait : Venez !

Puis il donnait sa croix à ces hommes stoïques,
Et des larmes coulaient de leurs yeux héroïques ;
Muets, ils admiraient leur demi-dieu vainqueur ;
On eût dit qu'allumant leur âme avec son âme,
En touchant leur poitrine avec son doigt de flamme,
Il leur faisait jaillir cette étoile du cœur !

V.

Le matin elle chante et puis elle travaille,
Sérieuse, les pieds sur sa chaise de paille,
Cousant, taillant, brodant quelques dessins choisis ;
Et, tandis que, songeant à Dieu, simple et sans crainte,
Cette vierge accomplit sa tâche auguste et sainte,
Le silence rêveur à sa porte est assis.

Ainsi, Seigneur, vos mains couvrent cette demeure.
Dans cet asile obscur, qu'aucun souci n'effleure,
Rien qui ne soit sacré, rien qui ne soit charmant !
Cette âme, en vous priant pour ceux dont la nef sombre,
Peut monter chaque soir vers vous sans faire d'ombre
Dans la sérénité de votre firmament !

Nul danger ! nul écueil ! - Si ! l'aspic est dans l'herbe !
Hélas ! hélas ! le ver est dans le fruit superbe !
Pour troubler une vie il suffit d'un regard.
Le mal peut se montrer même aux clartés d'un cierge.
La curiosité qu'a l'esprit de la vierge
Fait une plaie au cœur de la femme plus ****.

Plein de ces chants honteux, dégoût de la mémoire,
Un vieux livre est là-haut sur une vieille armoire,
Par quelque vil passant dans cette ombre oublié ;
Roman du dernier siècle ! œuvre d'ignominie !
Voltaire alors régnait, ce singe de génie
Chez l'homme en mission par le diable envoyé.

VI.

Epoque qui gardas, de vin, de sang rougie,
Même en agonisant, l'allure de l'orgie !
Ô dix-huitième siècle, impie et châtié !
Société sans dieu, par qui Dieu fus frappée !
Qui, brisant sous la hache et le sceptre et l'épée,
Jeune offensas l'amour, et vieille la pitié !

Table d'un long festin qu'un échafaud termine !
Monde, aveugle pour Christ, que Satan illumine !
Honte à tes écrivains devant les nations !
L'ombre de tes forfaits est dans leur renommée
Comme d'une chaudière il sort une fumée,
Leur sombre gloire sort des révolutions !

VII.

Frêle barque assoupie à quelques pas d'un gouffre !
Prends garde, enfant ! cœur tendre où rien encor ne souffre !
Ô pauvre fille d'Ève ! ô pauvre jeune esprit !
Voltaire, le serpent, le doute, l'ironie,
Voltaire est dans un coin de ta chambre bénie !
Avec son œil de flamme il t'espionne, et rit.

Oh ! tremble ! ce sophiste a sondé bien des fanges !
Oh ! tremble ! ce faux sage a perdu bien des anges !
Ce démon, noir milan, fond sur les cœurs pieux,
Et les brise, et souvent, sous ses griffes cruelles,
Plume à plume j'ai vu tomber ces blanches ailles
Qui font qu'une âme vole et s'enfuit dans les cieux !

Il compte de ton sein les battements sans nombre.
Le moindre mouvement de ton esprit dans l'ombre,
S'il penche un peu vers lui, fait resplendir son œil.
Et, comme un loup rôdant, comme un tigre qui guette,
Par moments, de Satan, visible au seul poète,
La tête monstrueuse apparaît à ton seuil !

VIII.

Hélas ! si ta main chaste ouvrait ce livre infâme,
Tu sentirais soudain Dieu mourir dans ton âme.
Ce soir tu pencherais ton front triste et boudeur
Pour voir passer au **** dans quelque verte allée
Les chars étincelants à la roue étoilée,
Et demain tu rirais de la sainte pudeur !

Ton lit, troublé la nuit de visions étranges,
Ferait fuir le sommeil, le plus craintif des anges !
Tu ne dormirais plus, tu ne chanterais plus,
Et ton esprit, tombé dans l'océan des rêves,
Irait, déraciné comme l'herbe des grèves,
Du plaisir à l'opprobre et du flux au reflux !

IX.

Oh ! la croix de ton père est là qui te regarde !
La croix du vieux soldat mort dans la vieille garde !
Laisse-toi conseiller par elle, ange tenté !
Laisse-toi conseiller, guider, sauver peut-être
Par ce lys fraternel penché sur ta fenêtre,
Qui mêle son parfum à ta virginité !

Par toute ombre qui passe en baissant la paupière !
Par les vieux saints rangés sous le portail de pierre !
Par la blanche colombe aux rapides adieux !
Par l'orgue ardent dont l'hymne en longs sanglots se brise !
Laisse-toi conseiller par la pensive église !
Laisse-toi conseiller par le ciel radieux !

Laisse-toi conseiller par l'aiguille ouvrière,
Présente à ton labeur, présente à ta prière,
Qui dit tout bas : Travaille ! - Oh ! crois-la ! - Dieu, vois-tu,
Fit naître du travail, que l'insensé repousse,
Deux filles, la vertu, qui fait la gaîté douce,
Et la gaîté, qui rend charmante la vertu !

Entends ces mille voix, d'amour accentuées,
Qui passent dans le vent, qui tombent des nuées,
Qui montent vaguement des seuils silencieux,
Que la rosée apporte avec ses chastes gouttes,
Que le chant des oiseaux te répète, et qui toutes
Te disent à la fois : Sois pure sous les cieux !

Sois pure sous les cieux ! comme l'onde et l'aurore,
Comme le joyeux nid, comme la tour sonore,
Comme la gerbe blonde, amour du moissonneur,
Comme l'astre incliné, comme la fleur penchante,
Comme tout ce qui rit, comme tout ce qui chante,
Comme tout ce qui dort dans la paix du Seigneur !

Sois calme. Le repos va du cœur au visage ;
La tranquillité fait la majesté du sage.
Sois joyeuse. La foi vit sans l'austérité ;
Un des reflets du ciel, c'est le rire des femmes ;
La joie est la chaleur que jette dans les âmes
Cette clarté d'en haut qu'on nomme Vérité.

La joie est pour l'esprit une riche ceinture.
La joie adoucit tout dans l'immense nature.
Dieu sur les vieilles tours pose le nid charmant
Et la broussaille en fleur qui luit dans l'herbe épaisse ;
Car la ruine même autour de sa tristesse
A besoin de jeunesse et de rayonnement !

Sois bonne. La bonté contient les autres choses.
Le Seigneur indulgent sur qui tu te reposes
Compose de bonté le penseur fraternel.
La bonté, c'est le fond des natures augustes.
D'une seule vertu Dieu fait le cœur des justes,
Comme d'un seul saphir la coupole du ciel.

Ainsi, tu resteras, comme un lys, comme un cygne,
Blanche entre les fronts purs marqués d'un divin signe
Et tu seras de ceux qui, sans peur, sans ennuis,
Des saintes actions amassant la richesse,
Rangent leur barque au port, leur vie à la sagesse
Et, priant tous les soirs, dorment toutes les nuits !

Le poète à lui-même.

Tandis que sur les bois, les prés et les charmilles,
S'épanchent la lumière et la splendeur des cieux,
Toi, poète serein, répands sur les familles,
Répands sur les enfants et sur les jeunes filles,
Répands sur les vieillards ton chant religieux !

Montre du doigt la rive à tous ceux qu'une voile
Traîne sur le flot noir par les vents agité ;
Aux vierges, l'innocence, heureuse et noble étoile ;
À la foule, l'autel que l'impiété voile ;
Aux jeunes, l'avenir ; aux vieux, l'éternité !

Fais filtrer ta raison dans l'homme et dans la femme.
Montre à chacun le vrai du côté saisissant.
Que tout penseur en toi trouve ce qu'il réclame.
Plonge Dieu dans les cœurs, et jette dans chaque âme
Un mot révélateur, propre à ce qu'elle sent.

Ainsi, sans bruit, dans l'ombre, ô songeur solitaire,
Ton esprit, d'où jaillit ton vers que Dieu bénit,
Du peuple sous tes pieds perce le crâne austère ; -
Comme un coin lent et sûr, dans les flancs de la terre
La racine du chêne entr'ouvre le granit.

Du 24 au 29 juin 1839.
I


Les prêtres avaient dit : « En ce temps-là, mes frères,

On a vu s'élever des docteurs téméraires,

Des dogmes de la foi censeurs audacieux :

Au fond du Saint des saints l'Arche s'est refermée,

Et le puits de l'abîme a vomi la fumée

Qui devait obscurcir la lumière des cieux.


L'Antéchrist est venu, qui parcourut la terre :

Tout à coup, soulevant un terrible mystère,

L'impie a remué de profanes débats ;

Il a dressé la tête : et des voix hérétiques

Ont outragé la Bible, et chanté les cantiques

Dans le langage impur qui se parle ici-bas.


Mais si le ciel permet que l'Église affligée

Gémisse pour un temps, et ne soit point vengée ;

S'il lui plaît de l'abattre et de l'humilier :

Si sa juste colère, un moment assoupie.

Dans sa gloire d'un jour laisse dormir l'impie,

Et livre ses élus au bras séculier ;


Quand les temps sont venus, le fort qui se relève

Soudain de la main droite a ressaisi le glaive :

Sur les débris épars qui gisaient sans honneur

Il rebâtit le Temple, et ses armes bénites

Abattent sous leurs coups les vils Madianites,

Comme fait les épis la faux du moissonneur.


Allez donc, secondant de pieuses vengeances,

Pour vous et vos parents gagner les indulgences ;

Fidèles, qui savez croire sans examen,

Noble race d'élus que le ciel a choisie,

Allez, et dans le sang étouffez l'hérésie !

Ou la messe, ou la mort !» - Le peuple dit : Amen.


II


A l'hôtel de Soissons, dans une tour mystique,

Catherine interroge avec des yeux émus

Des signes qu'imprima l'anneau cabalistique

Du grand Michel Nostradamus.

Elle a devant l'autel déposé sa couronne ;

A l'image de sa patronne,

En s'agenouillant pour prier.

Elle a dévotement promis une neuvaine,

Et tout haut, par trois fois, conjuré la verveine

Et la branche du coudrier.


« Les astres ont parlé : qui sait entendre, entende !

Ils ont nommé ce vieux Gaspard de Châtillon :

Ils veulent qu'en un jour ma vengeance s'étende

De l'Artois jusqu'au Roussillon.

Les pieux défenseurs de la foi chancelante

D'une guerre déjà trop lente

Ont assez couru les hasards :

A la cause du ciel unissons mon outrage.

Périssent, engloutis dans un même naufrage.

Les huguenots et les guisards ! »


III


C'était un samedi du mois d'août : c'était l'heure

Où l'on entend de ****, comme une voix qui pleure,

De l'angélus du soir les accents retentir :

Et le jour qui devait terminer la semaine

Était le jour voué, par l'Église romaine.

A saint Barthélémy, confesseur et martyr.


Quelle subite inquiétude

A cette heure ? quels nouveaux cris

Viennent troubler la solitude

Et le repos du vieux Paris ?

Pourquoi tous ces apprêts funèbres,

Pourquoi voit-on dans les ténèbres

Ces archers et ces lansquenets ?

Pourquoi ces pierres entassées,

Et ces chaînes de fer placées

Dans le quartier des Bourdonnais ?


On ne sait. Mais enfin, quelque chose d'étrange

Dans l'ombre de la nuit se prépare et s'arrange.

Les prévôts des marchands, Marcel et Jean Charron.

D'un projet ignoré mystérieux complices.

Ont à l'Hôtel-de-Ville assemblé les milices,

Qu'ils doivent haranguer debout sur le perron.


La ville, dit-on, est cernée

De soldats, les mousquets chargés ;

Et l'on a vu, l'après-dînée.

Arriver les chevau-légers :

Dans leurs mains le fer étincelle ;

Ils attendent le boute-selle.

Prêts au premier commandement ;

Et des cinq cantons catholiques,

Sur l'Évangile et les reliques,

Les Suisses ont prêté serment.


Auprès de chaque pont des troupes sont postées :

Sur la rive du nord les barques transportées ;

Par ordre de la cour, quittant leurs garnisons,

Des bandes de soldats dans Paris accourues

Passent, la hallebarde au bras, et dans les rues

Des gens ont été vus qui marquaient des maisons.


On vit, quand la nuit fut venue,

Des hommes portant sur le dos

Des choses de forme inconnue

Et de mystérieux fardeaux.

Et les passants se regardèrent :

Aucuns furent qui demandèrent :

- Où portes-tu, par l'ostensoir !

Ces fardeaux persans, je te prie ?

- Au Louvre, votre seigneurie.

Pour le bal qu'on donne ce soir.


IV


Il est temps ; tout est prêt : les gardes sont placés.

De l'hôtel Châtillon les portes sont forcées ;

Saint-Germain-l'Auxerrois a sonné le tocsin :

Maudit de Rome, effroi du parti royaliste,

C'est le grand-amiral Coligni que la liste

Désigne le premier au poignard assassin.


- « Est-ce Coligni qu'on te nomme ? »

- « Tu l'as dit. Mais, en vérité,

Tu devrais respecter, jeune homme.

Mon âge et mon infirmité.

Va, mérite ta récompense ;

Mais, tu pouvais bien, que je pense,

T'épargner un pareil forfait

Pour le peu de jours qui m'attendent ! »

Ils hésitaient, quand ils entendent

Guise leur criant : « Est-ce fait ? »


Ils l'ont tué ! la tête est pour Rome. On espère

Que ce sera présent agréable au saint père.

Son cadavre est jeté par-dessus le balcon :

Catherine aux corbeaux l'a promis pour curée.

Et rira voir demain, de ses fils entourée,

Au gibet qu'elle a fait dresser à Montfaucon.


Messieurs de Nevers et de Guise,

Messieurs de Tavanne et de Retz,

Que le fer des poignards s'aiguise,

Que vos gentilshommes soient prêts.

Monsieur le duc d'Anjou, d'Entrague,

Bâtard d'Angoulême, Birague,

Faites armer tous vos valets !

Courez où le ciel vous ordonne,

Car voici le signal que donne

La Tour-de-l'horloge au Palais.


Par l'espoir du butin ces hordes animées.

Agitant à la main des torches allumées,

Au lugubre signal se hâtent d'accourir :

Ils vont. Ceux qui voudraient, d'une main impuissante,

Écarter des poignards la pointe menaçante.

Tombent ; ceux qui dormaient s'éveillent pour mourir.


Troupes au massacre aguerries,

Bedeaux, sacristains et curés,

Moines de toutes confréries.

Capucins, Carmes, Prémontrés,

Excitant la fureur civile,

En tout sens parcourent la ville

Armés d'un glaive et d'un missel.

Et vont plaçant des sentinelles

Du Louvre au palais des Tournelles

De Saint-Lazare à Saint-Marcel.


Parmi les tourbillons d'une épaisse fumée

Que répand en flots noirs la résine enflammée,

A la rouge clarté du feu des pistolets,

On voit courir des gens à sinistre visage,

Et comme des oiseaux de funeste présage,

Les clercs du Parlement et des deux Châtelets.


Invoquant les saints et les saintes,

Animés par les quarteniers,

Ils jettent les femmes enceintes

Par-dessus le Pont-aux-Meuniers.

Dans les cours, devant les portiques.

Maîtres, écuyers, domestiques.

Tous sont égorgés sans merci :

Heureux qui peut dans ce carnage,

Traversant la Seine à la nage.

Trouver la porte de Bussi !


C'est par là que, trompant leur fureur meurtrière,

Avertis à propos, le vidame Perrière,

De Fontenay, Caumont, et de Montgomery,

Pressés qu'ils sont de fuir, sans casque, sans cuirasse.

Échappent aux soldats qui courent sur leur trace

Jusque sous les remparts de Montfort-l'Amaury.


Et toi, dont la crédule enfance,

Jeune Henri le Navarrois.

S'endormit, faible et sans défense,

Sur la foi que donnaient les rois ;

L'espérance te soit rendue :

Une clémence inattendue

A pour toi suspendu l'arrêt ;

Vis pour remplir ta destinée,

Car ton heure n'est pas sonnée,

Et ton assassin n'est pas prêt !


Partout des toits rompus et des portes brisées,

Des cadavres sanglants jetés par les croisées,

A des corps mutilés des femmes insultant ;

De bourgeois, d'écoliers, des troupes meurtrières.

Des blasphèmes, des pleurs, des cris et des prières.

Et des hommes hideux qui s'en allaient chantant :


« Valois et Lorraine

Et la double croix !

L'hérétique apprenne

Le pape et ses droits !

Tombant sous le glaive.

Que l'impie élève

Un bras impuissant ;

Archers de Lausanne,

Que la pertuisane

S'abreuve de sang !


Croyez-en l'oracle

Des corbeaux passants,

Et le grand miracle

Des Saints-Innocents.

A nos cris de guerre

On a vu naguère,

Malgré les chaleurs,

Surgir une branche

D'aubépine franche

Couverte de fleurs !


Honni qui pardonne !

Allez sans effroi,

C'est Dieu qui l'ordonne,

C'est Dieu, c'est le roi !

Le crime s'expie ;

Plongez à l'impie

Le fer au côté

Jusqu'à la poignée ;

Saignez ! la saignée

Est bonne en été ! »


V


Aux fenêtres du Louvre, on voyait le roi. « Tue,

Par la mort Dieu ! que l'hydre enfin soit abattue !

Qu'est-ce ? Ils veulent gagner le faubourg Saint-Germain ?

J'y mets empêchement : et, si je ne m'abuse,

Ce coup est bien au droit. - George, une autre arquebuse,

Et tenez toujours prête une mèche à la main.


Allons, tout va bien : Tue ! - Ah. Cadet de Lorraine,

Allez-vous-en quérir les filles de la reine.

Voici Dupont, que vient d'abattre un Écossais :

Vous savez son affaire ? Aussi bien, par la messe,

Le cas était douteux, et je vous fais promesse

Qu'elles auront plaisir à juger le procès.


Je sais comment la meute en plaine est gouvernée ;

Comment il faut chasser, en quel temps de l'année.

Aux perdrix, aux faisans, aux geais, aux étourneaux ;

Comment on doit forcer la fauve en son repaire ;

Mais je n'ai point songé, par l'âme de mon père,

A mettre en mon traité la chasse aux huguenots ! »
I.

Maintenant il se dit : - L'empire est chancelant
La victoire est peu sûre. -
Il cherche à s'en aller, furtif et reculant.
Reste dans la masure !

Tu dis : - Le plafond croule. Ils vont, si l'on me voit,
Empêcher que je sorte. -
N'osant rester ni fuir, tu regardes le toit,
Tu regardes la porte ;

Tu mets timidement la main sur le verrou.
Reste en leurs rangs funèbres !
Reste ! la loi qu'ils ont enfouie en un trou
Est là dans les ténèbres.

Reste ! elle est là, le flanc percé de leur couteau,
Gisante, et sur sa bière
Ils ont mis une dalle. Un pan de ton manteau
Est pris sous cette pierre !

Pendant qu'à l'Elysée en fête et plein d'encens
On chante, on déblatère,
Qu'on oublie et qu'on rit, toi tu pâlis ; tu sens
Ce spectre sous la terre !

Tu ne t'en iras pas ! quoi ! quitter leur maison
Et fuir leur destinée !
Quoi ! tu voudrais trahir jusqu'à la trahison,
Elle-même indignée !

Quoi ! tu veux renier ce larron au front bas
Qui t'admire et t'honore !
Quoi ! Judas pour Jésus, tu veux pour Barabbas
Etre Judas encore !

Quoi ! n'as-tu pas tenu l'échelle à ces fripons,
En pleine connivence ?
Le sac de ces voleurs ne fut-il pas, réponds,
Cousu par toi d'avance !

Les mensonges, la haine au dard froid et visqueux,
Habitent ce repaire ;
Tu t'en vas ! de quel droit ? étant plus renard qu'eux,
Et plus qu'elle vipère !

II.

Quand l'Italie en deuil dressa, du Tibre au Pô,
Son drapeau magnifique,
Quand ce grand peuple, après s'être couché troupeau,
Se leva république,

C'est toi, quand Rome aux fers jeta le cri d'espoir,
Toi qui brisas son aile,
Toi qui fis retomber l'affreux capuchon noir
Sur sa face éternelle !

C'est toi qui restauras Montrouge et Saint-Acheul,
Écoles dégradées,
Où l'on met à l'esprit frémissant un linceul,
Un bâillon aux idées.

C'est toi qui, pour progrès rêvant l'homme animal,
Livras l'enfant victime
Aux jésuites lascifs, sombres amants du mal,
En rut devant le crime !

Ô pauvres chers enfants qu'ont nourris de leur lait
Et qu'ont bercés nos femmes,
Ces blêmes oiseleurs ont pris dans leur filet
Toutes vos douces âmes !

Hélas ! ce triste oiseau, sans plumes sur la chair,
Rongé de lèpre immonde,
Qui rampe et qui se meurt dans leur cage de fer,
C'est l'avenir du monde !

Si nous les laissons faire, on aura dans vingt ans,
Sous les cieux que Dieu dore,
Une France aux yeux ronds, aux regards clignotants,
Qui haïra l'aurore !

Ces noirs magiciens, ces jongleurs tortueux,
Dont la fraude est la règle,
Pour en faire sortir le hibou monstrueux,
Ont volé l'oeuf de l'aigle !

III.

Donc, comme les baskirs, sur Paris étouffé,
Et comme les croates,
Créateurs du néant, vous avez triomphé
Dans vos haines béates ;

Et vous êtes joyeux, vous, constructeurs savants
Des préjugés sans nombre,
Qui, pareils à la nuit, versez sur les vivants
Des urnes pleines d'ombre !

Vous courez saluer le nain Napoléon ;
Vous dansez dans l'orgie.
Ce grand siècle est souillé ; c'était le Panthéon,
Et c'est la tabagie.

Et vous dites : c'est bien ! vous sacrez parmi nous
César, au nom de Rome,
L'assassin qui, la nuit, se met à deux genoux
Sur le ventre d'un homme.

Ah ! malheureux ! louez César qui fait trembler,
Adorez son étoile ;
Vous oubliez le Dieu vivant qui peut rouler
Les cieux comme une toile !

Encore un peu de temps, et ceci tombera ;
Dieu vengera sa cause !
Les villes chanteront, le lieu désert sera
Joyeux comme une rose !

Encore un peu de temps, et vous ne serez plus,
Et je viens vous le dire.
Vous êtes les maudits, nous sommes les élus.
Regardez-nous sourire !

Je le sais, moi qui vis au bord du gouffre amer
Sur les rocs centenaires,
Moi qui passe mes jours à contempler la mer
Pleine de sourds tonnerres !

IV.

Toi, leur chef, sois leur chef ! c'est là ton châtiment.
Sois l'homme des discordes !
Ces fourbes ont saisi le genre humain dormant
Et l'ont lié de cordes.

Ah ! tu voulus défaire, épouvantable affront !
Les âmes que Dieu crée ?
Eh bien, frissonne et pleure, atteint toi-même au front
Par ton œuvre exécrée !

À mesure que vient l'ignorance, et l'oubli,
Et l'erreur qu'elle amène,
À mesure qu'aux cieux décroît, soleil pâli,
L'intelligence humaine,

Et que son jour s'éteint, laissant l'homme méchant
Et plus froid que les marbres,
Votre honte, ô maudits, grandit comme au couchant
Grandit l'ombre des arbres !

V.

Oui, reste leur apôtre ! oui, tu l'as mérité.
C'est là ta peine énorme !
Regarde en frémissant dans la postérité !
Ta mémoire difforme.

On voit, louche rhéteur des vieux partis hurlants,
Qui mens et qui t'emportes,
Pendre à tes noirs discours, comme à des clous sanglants,
Toutes les grandes mortes,

La justice, la foi, bel ange souffleté
Par la goule papale,
La vérité, fermant les yeux, la liberté
Echevelée et pâle,

Et ces deux soeurs, hélas ! nos mères toutes deux,
Rome, qu'en pleurs je nomme,
Et la France sur qui, raffinement hideux,
Coule le sang de Rome !

Homme fatal ! l'histoire en ses enseignements
Te montrera dans l'ombre,
Comme on montre un gibet entouré d'ossements
Sur la colline sombre !

Jersey, le 24 janvier 1853.
IV.

Oh ! sur des ailes, dans les nues
Laissez-moi fuir ! laissez-moi fuir !
**** des régions inconnues
C'est assez rêver et languir !
Laissez-moi fuir vers d'autres mondes.
C'est assez, dans les nuits profondes,
Suivre un phare, chercher un mot.
C'est assez de songe et de doute.
Cette voix, que d'en bas j'écoute,
Peut-être on l'entend mieux là-haut.

Allons ! des ailes ou des voiles !
Allons ! un vaisseau tout armé !
Je veux voir les autres étoiles
Et la croix du sud enflammé.
Peut-être dans cette autre terre
Trouve-t-on la clef du mystère
Caché sous l'ordre universel ;
Et peut-être aux fils de la lyre
Est-il plus facile de lire
Dans cette autre page du ciel !

Août 1828.
Frères, je me confesse, et vais vous confier

Mon sort, pour vous instruire et vous édifier.


Un jour, je me sentis le désir de connaître

Ce qu'enfermait en soi le secret de mon être,

Ignorant jusque-là, je brûlai de savoir ;

J'examinai mon âme et j'eus peur à la voir.

Alors, et quand je l'eus à souhait regardée,

Que je la connus bien, il me vint à l'idée

De m'enquérir un peu pourquoi j'étais ainsi,

Et d'où je pouvais m'être à ce point endurci :

Car je ne pouvais pas me faire à la pensée

Qu'elle se fût si vite et si bas affaissée,

Car j'étais tout confus, car, en y bien cherchant,

Il me semblait à moi n'être pas né méchant.

En effet, je pouvais être bon. Mais j'espère

Que Dieu pardonne et fait miséricorde au père

Qui veut trop pour son fils, et lui fait désirer

Un sort où la raison lui défend d'aspirer !

Mon malheur vient de là, d'avoir pu méconnaître

L'humble condition où Dieu m'avait fait naître.

D'avoir tâché trop ****, et d'avoir prétendu

A m'élever plus haut que je ne l'aurais dû !

Hélas ! j'allai partout, chétif et misérable.

Traîner péniblement ma blessure incurable ;

Comme un pauvre à genoux au bord d'un grand chemin,

J'ai montré mon ulcère, et j'ai tendu la main ;

Malheureux matelot perdu dans un naufrage.

J'ai crié ; mais ma voix s'est mêlée à l'orage ;

Mais je n'ai rencontré personne qui voulût

Me plaindre, et me jeter la planche de salut.

Et moi, je n'allai point, libre et sans énergie.

Exhaler ma douleur en piteuse élégie.

Comme un enfant mutin pleure de ne pouvoir

Atteindre un beau fruit mûr qu'il vient d'apercevoir.

Je gardai mon chagrin pour moi, j'eus le courage

De renfermer ma haine et d'étouffer ma rage,

Personne n'entrevit ce que je ressentais.

Et l'on me crut joyeux parce que je chantais.

Tel s'est passé pour moi cet âge d'innocence

Où des songes riants bercent l'adolescence.

Sans jouir de la vie, et sans avoir jamais

Vu contenter un seul des vœux que je formais :

Jamais l'Illusion, jamais le doux Prestige,

Lutin capricieux qui rit et qui voltige,

Ne vint auprès de moi, dans son vol caressant,

Secouer sur mon front ses ailes en passant,

Et jamais voix de femme, harmonieuse et tendre,

N'a trouvé de doux mots qu'elle me fit entendre.

Une fois, une fois pourtant, sans le savoir,

J'ai cru naître à la vie, au bonheur, j'ai cru voir

Comme un éclair d'amour, une vague pensée

Qui vint luire à mon âme et qui l'a traversée,

A ce rêve si doux je crus quelques instants ;

- Mais elle est sitôt morte et voilà si longtemps !


Je me livrai dès lors à l'ardeur délirante

D'un cerveau maladif et d'une âme souffrante ;

J'entrepris de savoir tout ce que recelait

En soi le cœur humain de difforme et de laid ;

Je me donnai sans honte à ces femmes perdues

Qu'a séduites un lâche, ou qu'un père a vendues.

J'excitai dans leurs bras mes désirs épuisés,

Et je leur prodiguai mon or et mes baisers :

Près d'elles, je voulus contenter mon envie

De voir au plus profond des secrets de la vie.

J'allai, je descendis aussi **** que je pus

Dans les sombres détours de ces cœurs corrompus,

Trop heureux, quand un mot, un signe involontaire

D'un vice, neuf pour moi, trahissait le mystère,

Et qu'aux derniers replis à la fin parvenu,

Mon œil, comme leurs corps, voyait leur âme à nu.


Or, vous ne savez pas, combien à cette vie,

A poursuivre sans fin cette fatale envie

De tout voir, tout connaître, et de tout épuiser,

L'âme est prompte à s'aigrir et facile à s'user.

Malheur à qui, brûlant d'une ardeur insensée

De lire à découvert dans l'homme et sa pensée.

S'y plonge, et ne craint pas d'y fouiller trop souvent,

D'en approcher trop près, et d'y voir trop avant !

C'est ce qui m'acheva : c'est cette inquiétude

A chercher un cœur d'homme où mettre mon étude,

C'est ce mal d'avoir pu, trop jeune, apercevoir

Ce que j'aurais mieux fait de ne jamais savoir.

Désabusé de tout, je me suis vu ravie

La douce illusion qui fait aimer la vie,

Le riant avenir dont mon cœur s'est flétri,

Et ne pouvant plus croire à l'amour, j'en ai ri :

Et j'en suis venu là, que si, par occurrence,

- Je suis si jeune encore, et j'ai tant d'espérance !

- Une vierge aux doux yeux, et telle que souvent

J'en voyais autrefois m'apparaître en rêvant,

Simple, et croyant encore à la magie antique

De ces traditions du foyer domestique.

M'aimait, me le disait, et venait à son tour

Me demander sa part de mon âme en retour ;

Vierge, il faudrait me fuir, et faire des neuvaines

Pour arracher bientôt ce poison de tes veines,

Il faudrait me haïr, car moi, je ne pourrais

Te rendre cet amour que tu me donnerais,

Car je me suis damné, moi, car il faut te dire

Que je passe mes jours et mes nuits à maudire,

Que, sous cet air joyeux, je suis triste et nourris

Pour tout le genre humain le plus profond mépris :

Mais il faudrait me plaindre encore davantage

De m'être fait si vieux et si dur à cet âge,

D'avoir pu me glacer le cœur, et le fermer

A n'y laisser l'espoir ni la place d'aimer.
Paul d'Aubin Mar 2016
Quand les Moutons moutonnaient

Les moutons moutonnants des nuages moutonnent,
Alors que les moutons moutonniers des prairies,
se sont pressés, bêlants, lorsqu'est tombée la pluie.
Cela n'empêcha pas le loup de se glisser,
dans le troupeau craintif des moutons moutonnants,
qui ont senti le loup et s'enfuient tous, transis.
Mais le loup court plus vite, attrapant des moutons.
Alors que le Berger et son chien le Patou, dorment encore leur soûl.
Mais l'orage s'accroît, gâchant ainsi,
le sommeil du Berger et celui du Patou.
Mais soudain, le Berger n'a plus sommeil du tout.
Voyant son troupeau fuir, poursuivi par le Loup.
Tandis que le Patou aboie : « Au loup ! Au loup ! »
Le vent se lève enfin, amenant les nuages,
moutonner bien plus **** que dessus la prairie.
Si bien que le Patou poussif course le loup.
Alors que le Berger se saisit d'un fusil.
Mais tire de trop **** en blessant un mouton surpris.
Alors que les moutons s'égayent de partout.
Le Patou, voit le Loup, l’aboie comme un garou,
et sans y réfléchir va, courir sus, au Loup.
Mais le loup noir s’apeure, revient dans le troupeau.
Pour mieux se protéger d'un coup de chassepot.
Et des dents du Patou, bien qu’il soit, si pataud.
Le berger finit par toucher un mouton, au mollet.
Ainsi, le troupeau effrayé ne sait même plus bêler,
et sait encore moins qu'avant, à qui se fier.
C'est alors que Patou, voit le Loup de plus près,
et trouve préférable de prendre ses quartiers,
non sans avoir mordu le jarret d’un mouton qui geignait.
Tandis que le Berger, aveuglé de nuit noire,
ne sait plus distinguer, le loup noir, d'une poire.
C'est peut-être pour cela qu'il tire encore un coup.
Sur un autre mouton qui attrape les plombs.
Monsieur de La Fontaine en toute seigneurie,
aurait conclu l’histoire par une raillerie.
Alors qu'il convient mieux se contenter d'y voir,
la raison du plus fou qui s'est joué de nous.
Mais moi, l’écrivailleur, qui aime tant les chiens,
je vous dis, qu'il vaut mieux protéger les moutons,
en préférant l’enclos, aux fusils, aux Patou.
Et tant, qu'avoir un chien, autant prendre un toutou.
Qui laissera les loups mais jouera avec vous.

Paul Arrighi
NB : Le titre de ce poéme à la fantaisie voulue et au Burlesque assumé porte un titre à l'imparfait en l'honneur de notre ami commun disparu trop tôt, Jacques Brell, ce parolier émérite,Chanteur donnat tout de sa voix et de son énergie, Poéte tendre comme dans "Orly" où Les Marquises, et fin comédien Français, qui eut dans sa chanson sur Bruxelles cettte expression de toute beautéb : "Quand Bruxelles, Bruxellait " - P.A.
I

La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève...
- Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...

II

Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure...
Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain métallique en son globe de verre...
- Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre,
Épars autour des lits, des vêtements de deuil
L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...
- Il n'est donc point de mère à ces petits enfants,
De mère au frais sourire, aux regards triomphants ?
Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,
D'exciter une flamme à la cendre arrachée,
D'amonceler sur eux la laine et l'édredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n'a point prévu la froideur matinale,
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?...
- Le rêve maternel, c'est le tiède tapis,
C'est le nid cotonneux où les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !...
- Et là, - c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;
Un nid que doit avoir glacé la bise amère...

III

Votre coeur l'a compris : - ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis ! - et le père est bien **** !...
- Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée
S'éveille, par degrés, un souvenir riant...
C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant :
- Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux,
Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s'éveillait matin, on se levait joyeux,
La lèvre affriandée, en se frottant les yeux...
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait !... Puis alors les souhaits... en chemise,
Les baisers répétés, et la gaîté permise !

IV

Ah ! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois !
- Mais comme il est changé, le logis d'autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer...
- L'armoire était sans clefs !... sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs !... c'était étrange !... on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure
Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure...
- La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui ;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises :
Partant, point de baisers, point de douces surprises !
Oh ! que le jour de l'an sera triste pour eux !
- Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amère,
Ils murmurent : "Quand donc reviendra notre mère ?"

V

Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible !
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible !
- Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose...
- Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux se pose...
Ils se croient endormis dans un paradis rose...
Au foyer plein d'éclairs chante gaîment le feu...
Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ;
La nature s'éveille et de rayons s'enivre...
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil...
Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil
Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire ...
On dirait qu'une fée a passé dans cela ! ...
- Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là,
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose...
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : "À NOTRE MÈRE !"
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

- Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !

II

Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son cors Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

III

Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !

- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.

Ô ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...

IV

Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens  
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur,
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire,
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !

Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au **** dans une longue extase...
C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini !

Le 29 avril 1870.
Puisque c'est ton métier, misérable poète,
Même en ces temps d'orage, où la bouche est muette,
Tandis que le bras parle, et que la fiction
Disparaît comme un songe au bruit de l'action ;
Puisque c'est ton métier de faire de ton âme
Une prostituée, et que, joie ou douleur,
Tout demande sans cesse à sortir de ton coeur ;
Que du moins l'histrion, couvert d'un masque infâme,
N'aille pas, dégradant ta pensée avec lui,
Sur d'ignobles tréteaux la mettre au pilori ;
Que nul plan, nul détour, nul voile ne l'ombrage.
Abandonne aux vieillards sans force et sans courage
Ce travail d'araignée, et tous ces fils honteux
Dont s'entoure en tremblant l'orgueil qui craint les yeux.
Point d'autel, de trépied, point d'arrière aux profanes !
Que ta muse, brisant le luth des courtisanes,
Fasse vibrer sans peur l'air de la liberté ;
Qu'elle marche pieds nus, comme la vérité.

O Machiavel ! tes pas retentissent encore
Dans les sentiers déserts de San Casciano.
Là, sous des cieux ardents dont l'air sèche et dévore,
Tu cultivais en vain un sol maigre et sans eau.
Ta main, lasse le soir d'avoir creusé la terre,
Frappait ton pâle front dans le calme des nuits.
Là, tu fus sans espoir, sans proches, sans amis ;
La vile oisiveté, fille de la misère,
A ton ombre en tous lieux se traînait lentement,
Et buvait dans ton coeur les flots purs de ton sang :
"Qui suis-je ? écrivais-tu; qu'on me donne une pierre,
"Une roche à rouler ; c'est la paix des tombeaux
"Que je fuis, et je tends des bras las du repos."

C'est ainsi, Machiavel, qu'avec toi je m'écrie :
O médiocre, celui qui pour tout bien
T'apporte à ce tripot dégoûtant de la vie,
Est bien poltron au jeu, s'il ne dit : Tout ou rien.
Je suis jeune; j'arrive. A moitié de ma route,
Déjà las de marcher, je me suis retourné.
La science de l'homme est le mépris sans doute ;
C'est un droit de vieillard qui ne m'est pas donné.
Mais qu'en dois-je penser ? Il n'existe qu'un être
Que je puisse en entier et constamment connaître
Sur qui mon jugement puisse au moins faire foi,
Un seul !... Je le méprise. - Et cet être, c'est moi.

Qu'ai-je fait ? qu'ai-je appris ? Le temps est si rapide !
L'enfant marche joyeux, sans songer au chemin ;
Il le croit infini, n'en voyant pas la fin.
Tout à coup il rencontre une source limpide,
Il s'arrête, il se penche, il y voit un vieillard.
Que me dirai-je alors ? Quand j'aurai fait mes peines,
Quand on m'entendra dire : Hélas ! il est trop **** ;
Quand ce sang, qui bouillonne aujourd'hui dans mes veines
Et s'irrite en criant contre un lâche repos,
S'arrêtera, glacé jusqu'au fond de mes os...
O vieillesse ! à quoi donc sert ton expérience ?
Que te sert, spectre vain, de te courber d'avance
Vers le commun tombeau des hommes, si la mort
Se tait en y rentrant, lorsque la vie en sort ?
N'existait-il donc pas à cette loterie
Un joueur par le sort assez bien abattu
Pour que, me rencontrant sur le seuil de la vie,
Il me dît en sortant : N'entrez pas, j'ai perdu !

Grèce, ô mère des arts, terre d'idolâtrie,
De mes voeux insensés éternelle patrie,
J'étais né pour ces temps où les fleurs de ton front
Couronnaient dans les mers l'azur de l'Hellespont.
Je suis un citoyen de tes siècles antiques ;
Mon âme avec l'abeille erre sous tes portiques.
La langue de ton peuple, ô Grèce, peut mourir ;
Nous pouvons oublier le nom de tes montagnes ;
Mais qu'en fouillant le sein de tes blondes campagnes
Nos regards tout à coup viennent à découvrir
Quelque dieu de tes bois, quelque Vénus perdue...
La langue que parlait le coeur de Phidias
Sera toujours vivante et toujours entendue ;
Les marbres l'ont apprise, et ne l'oublieront pas.
Et toi, vieille Italie, où sont ces jours tranquilles
Où sous le toit des cours Rome avait abrité
Les arts, ces dieux amis, fils de l'oisiveté ?
Quand tes peintres alors s'en allaient par les villes,
Elevant des palais, des tombeaux, des autels,
Triomphants, honorés, dieux parmi les mortels ;
Quand tout, à leur parole, enfantait des merveilles,
Quand Rome combattait Venise et les Lombards,
Alors c'étaient des temps bienheureux pour les arts !
Là, c'était Michel-Ange, affaibli par les veilles,
Pâle au milieu des morts, un scalpel à la main,
Cherchant la vie au fond de ce néant humain,
Levant de temps en temps sa tête appesantie,
Pour jeter un regard de colère et d'envie
Sur les palais de Rome, où, du pied de l'autel,
A ses rivaux de **** souriait Raphaël.
Là, c'était le Corrège, homme pauvre et modeste,
Travaillant pour son coeur, laissant à Dieu le reste ;
Le Giorgione, superbe, au jeune Titien
Montrant du sein des mers son beau ciel vénitien ;
Bartholomé, pensif, le front dans la poussière,
Brisant son jeune coeur sur un autel de pierre,
Interrogé tout bas sur l'art par Raphaël,
Et bornant sa réponse à lui montrer le ciel...
Temps heureux, temps aimés ! Mes mains alors peut-être,
Mes lâches mains, pour vous auraient pu s'occuper ;
Mais aujourd'hui pour qui ? dans quel but ? sous quel maître ?
L'artiste est un marchand, et l'art est un métier.
Un pâle simulacre, une vile copie,
Naissent sous le soleil ardent de l'Italie...
Nos oeuvres ont un an, nos gloires ont un jour ;
Tout est mort en Europe, - oui, tout, - jusqu'à l'amour.

Ah ! qui que vous soyez, vous qu'un fatal génie
Pousse à ce malheureux métier de poésie
Rejetez **** de vous, chassez-moi hardiment
Toute sincérité; gardez que l'on ne voie
Tomber de votre coeur quelques gouttes de sang ;
Sinon, vous apprendrez que la plus courte joie
Coûte cher, que le sage est ami du repos,
Que les indifférents sont d'excellents bourreaux.

Heureux, trois fois heureux, l'homme dont la pensée
Peut s'écrire au tranchant du sabre ou de l'épée !
Ah ! qu'il doit mépriser ces rêveurs insensés
Qui, lorsqu'ils ont pétri d'une fange sans vie
Un vil fantôme, un songe, une froide effigie,
S'arrêtent pleins d'orgueil, et disent : C'est assez !
Qu'est la pensée, hélas ! quand l'action commence ?
L'une recule où l'autre intrépide s'avance.
Au redoutable aspect de la réalité,
Celle-ci prend le fer, et s'apprête à combattre ;
Celle-là, frêle idole, et qu'un rien peut abattre,
Se détourne, en voilant son front inanimé.

Meurs, Weber ! meurs courbé sur ta harpe muette ;
Mozart t'attend. - Et toi, misérable poète,
Qui que tu sois, enfant, homme, si ton coeur bat,
Agis ! jette ta lyre; au combat, au combat !
Ombre des temps passés, tu n'es pas de cet âge.
Entend-on le nocher chanter pendant l'orage ?
A l'action ! au mal ! Le bien reste ignoré.
Allons ! cherche un égal à des maux sans remède.
Malheur à qui nous fit ce sens dénaturé !
Le mal cherche le mal, et qui souffre nous aide.
L'homme peut haïr l'homme, et fuir; mais malgré lui,
Sa douleur tend la main à la douleur d'autrui.
C'est tout. Pour la pitié, ce mot dont on nous leurre,
Et pour tous ces discours prostitués sans fin,
Que l'homme au coeur joyeux jette à celui qui pleure,
Comme le riche jette au mendiant son pain,
Qui pourrait en vouloir ? et comment le vulgaire,
Quand c'est vous qui souffrez, pourrait-il le sentir,
Lui que Dieu n'a pas fait capable de souffrir ?

Allez sur une place, étalez sur la terre
Un corps plus mutilé que celui d'un martyr,
Informe, dégoûtant, traîné sur une claie,
Et soulevant déjà l'âme prête à partir ;
La foule vous suivra. Quand la douleur est vraie,
Elle l'aime. Vos maux, dont on vous saura gré,
Feront horreur à tous, à quelques-uns pitié.
Mais changez de façon : découvrez-leur une âme
Par le chagrin brisée, une douleur sans fard,
Et dans un jeune coeur des regrets de vieillard ;
Dites-leur que sans mère, et sans soeur, et sans femme,
Sans savoir où verser, avant que de mourir,
Les pleurs que votre sein peut encor contenir,
Jusqu'au soleil couchant vous n'irez point peut-être...
Qui trouvera le temps d'écouter vos malheurs ?
On croit au sang qui coule, et l'on doute des pleurs.
Votre ami passera, mais sans vous reconnaître.

Tu te gonfles, mon coeur?... Des pleurs, le croirais-tu,
Tandis que j'écrivais ont baigné mon visage.
Le fer me manque-t-il, ou ma main sans courage
A-t-elle lâchement glissé sur mon sein nu ?
Non, rien de tout cela. Mais si **** que la haine
De cette destinée aveugle et sans pudeur
Ira, j'y veux aller. - J'aurai du moins le coeur
De la mener si bas que la honte l'en prenne.
Avec tout votre esprit, la belle indifférente,
Avec tous vos grands airs de rigueur nonchalante,
Qui nous font tant de mal et qui vous vont si bien,
Il n'en est pas moins vrai que vous n'y pouvez rien.

Il n'en est pas moins vrai que, sans qu'il y paraisse,
Vous êtes mon idole et ma seule maîtresse ;
Qu'on n'en aime pas moins pour devoir se cacher,
Et que vous ne pouvez, Ninon, m'en empêcher.

Il n'en est pas moins vrai qu'en dépit de vous-même,
Quand vous dites un mot vous sentez qu'on vous aime,
Que, malgré vos mépris, on n'en veut pas guérir,
Et que d'amour de vous, il est doux de souffrir.

Il n'en est pas moins vrai que, sitôt qu'on vous touche,
Vous avez beau nous fuir, sensitive farouche,
On emporte de vous des éclairs de beauté,
Et que le tourment même est une volupté.

Soyez bonne ou maligne, orgueilleuse ou coquette,
Vous avez beau railler et mépriser l'amour,
Et, comme un diamant qui change de facette,
Sous mille aspects divers vous montrer tour à tour ;

Il n'en est pas moins vrai que je vous remercie,
Que je me trouve heureux, que je vous appartiens,
Et que, si vous voulez du reste de ma vie,
Le mal qui vient de vous vaut mieux que tous les biens.

Je vous dirai quelqu'un qui sait que je vous aime :
C'est ma Muse, Ninon ; nous avons nos secrets.
Ma Muse vous ressemble, ou plutôt, c'est vous-même ;
Pour que je l'aime encor elle vient sous vos traits.

La nuit, je vois dans l'ombre une pâle auréole,
Où flottent doucement les contours d'un beau front ;
Un rêve m'apparaît qui passe et qui s'envole ;
Les heureux sont les fous : les poètes le sont.

J'entoure de mes bras une forme légère ;
J'écoute à mon chevet murmurer une voix ;
Un bel ange aux yeux noirs sourit à ma misère ;
Je regarde le ciel, Ninon, et je vous vois ;

Ô mon unique amour, cette douleur chérie,
Ne me l'arrachez pas quand j'en devrais mourir !
Je me tais devant vous ; - quel mal fait ma folie ?
Ne me plaignez jamais et laissez-moi souffrir.
I.

« Oh ! disaient les peuples du monde,
Les derniers temps sont-ils venus ?
Nos pas, dans une nuit profonde,
Suivent des chemins inconnus.
Où va-t-on ? dans la nuit perfide,
Quel est ce fanal qui nous guide,
Tous courbés sous un bras de fer ?
Est-il propice ? est-il funeste ?
Est-ce la colonne céleste ?
Est-ce une flamme de l'enfer ?

« Les tribus des chefs se divisent ;
Les troupeaux chassent les pasteurs ;
Et les sceptres des rois se brisent
Devant les faisceaux des préteurs.
Les trônes tombent ; l'auteur croule ;
Les factions naissent en foule
Sur les bords des deux Océans ;
Et les ambitions serviles,
Qui dormaient comme des reptiles,
Se lèvent comme des géants.

« Ah ! malheur ! nous avons fait gloire,
Hélas ! d'attentats inouïs,
Tels qu'en cherche en vain la mémoire
Dans les siècles évanouis.
Malheur ! tous nos forfaits l'appellent,
Tous les signes nous le révèlent,
Le jour des arrêts solennels.
L'homme est digne enfin des abîmes ;
Et rien ne manque à ses longs crimes
Que les châtiments éternels. »

Le Très-Haut a pris leur défense,
Lorsqu'ils craignaient son abandon ;
L'homme peut épuiser l'offense,
Dieu n'épuise pas le pardon.
Il mène au repentir l'impie ;
Lui-même, pour nous, il expie
L'oubli des lois qu'il nous donna ;
Pour lui seul il reste sévère ;
C'est la victime du Calvaire
Qui fléchit le Dieu du Sina !

II.

Par un autre berceau sa main nous sauve encore.
Le monde du bonheur n'ose entrevoir l'aurore,
Quoique Dieu des méchants ait puni les défis,
Et, troublant leurs conseils, dispersant leurs phalanges,
Nous ait donné l'un de ses anges,
Comme aux antiques jours il nous donna son Fils.

Tel, lorsqu'il sort vivant du gouffre de ténèbres,
Le prophète voit fuir les visions funèbres ;
La terre est sous ses pas, le jour luit à ses yeux ;
Mais lui, tout ébloui de la flamme éternelle,
Longtemps à sa vue infidèle
La lueur de l'enfer voile l'éclat des cieux.

Peuples, ne doutez pas ! chantez votre victoire.
Un sauveur naît, vêtu de puissance et de gloire ;
Il réunit le glaive et le sceptre en faisceau ;
Des leçons du malheur naîtront nos jours prospères,
Car de soixante rois, ses pères,
Les ombres sans cercueils veillent sur son berceau.

Son nom seul a calmé nos tempêtes civiles ;
Ainsi qu'un bouclier il a ouvert les villes ;
La révolte et la haine ont déserté nos murs.
Tel du jeune lion, qui lui-même s'ignore,
Le premier cri, paisible encore,
Fait de l'antre royal fuir cent monstres impurs.

III.

Quel est cet enfant débile
Qu'on porte aux sacrés parvis ?
Toute une foule immobile
Le suit de ses yeux ravis ;
Son front est nu, ses mains tremblent,
Ses pieds, que des nœuds rassemblent,
N'ont point commencé de pas ;
La faiblesse encore l'enchaîne ;
Son regard ne voit qu'à peine
Et sa voix ne parle pas.

C'est un roi parmi les hommes ;
En entrant dans le saint lieu,
Il devient ce que nous sommes : -
C'est un homme aux pieds de Dieu.
Cet enfant est notre joie ;
Dieu pour sauveur nous l'envoie ;
Sa loi l'abaisse aujourd'hui.
Les rois, qu'arme son tonnerre,
Sont tout par lui sur la terre,
Et ne sont rien devant lui !

Que tout tremble et s'humilie.
L'orgueil mortel parle en vain ;
Le lion royal se plie
Au joug de l'agneau divin.
Le Père, entouré d'étoiles,
Vers l'Enfant, faible et sans voiles,
Descend, sur les vents porté ;
L'Esprit-Saint de feux l'inonde ;
Il n'est encor né qu'au monde,
Qu'il naisse à l'éternité !

Maire, aux rayons modeste,
Heureuse et priant toujours,
Guide les vierges célestes
Vers son vieux temple aux deux tours,
Toutes les saintes armées,
Parmi les soleils semées,
Suivent son char triomphant ;
La Charité les devance,
La Foi brille, et l'Espérance
S'assied près de l'humble Enfant !

IV.

Jourdain ! te souvient-il de ce qu'ont vu tes rives ?
Naguère un pèlerin près de tes eaux captives
Vint s'asseoir et pleura, pareil en sa ferveur
À ces preux qui jadis, terrible et saint cortège,
Ravirent au joug sacrilège
Ton onde baptismale et le tombeau sauveur.

Ce chrétien avait pu, dans la France usurpée,
Trône, autel, chartes, lois, tomber sous une épée,
Les vertus sans honneur, les forfaits impunis ;
Et lui, des vieux croisés cherchait l'ombre sublime,
Et, s'exilant près de Solime,
Aux lieux ou Dieu mourut pleurait ses rois bannis.

L'eau du saint fleuve emplit sa gourde voyageuse ;
Il partit ; il revit notre rive orageuse,
Ignorant quel bonheur attendait son retour,
Et qu'à l'enfant des rois, du fond de l'Arabie,
Il apportait, nouveau Tobie,
Le remède divin qui rend l'aveugle au jour.

Qu'il soit fier dans ses flots, le fleuve des prophètes !
Peuples, l'eau du salut est présente à nos fêtes ;
Le ciel sur cet enfant a placé sa faveur ;
Qu'il reçoive les eaux que reçut Dieu lui-même ;
Et qu'à l'onde de son baptême,
Le monde rassuré reconnaisse un sauveur.

À vous, comme à Clovis, prince, Dieu se révèle.
Soyez du temple saint la colonne nouvelle.
Votre âme en vain du lys efface la blancheur ;
Quittez l'orgueil du rang, l'orgueil de l'innocence ;
Dieu vous offre, dans sa puissance,
La piscine du pauvre et la croix du pécheur.

V.

L'enfant, quand du Seigneur sur lui brille l'aurore,
Ignore le martyre et sourit à la croix ;
Mais un autre baptême, hélas ! attend encore
Le front infortuné des rois. -
Des jours viendront, jeune homme, où ton âme troublée,
Du fardeau d'un peuple accablée
Frémira d'un effroi pieux,
Quand l'évêque sur toi répandra l'huile austère,
Formidable présent qu'aux maîtres de la terre
La colombe apporta des cieux.

Alors, ô roi chrétien ! au Seigneur sois semblable ;
Sache être grand par toi, comme il est grand par lui ;
Car le sceptre devient un fardeau redoutable
Dès qu'on veut s'en faire un appui.
Un vrai roi sur sa tête unit toutes les gloires ;
Et si, dans ses justes victoires,
Par la mort il est arrêté,
Il voit, comme Bayard, une croix dans son glaive,
Et ne fait, quand le ciel à la terre l'enlève,
Que changer d'immortalité !

À LA MUSE.

Je vais, ô Muse ! où tu m'envoies ;
Je ne sais que verser des pleurs ;
Mais qu'il soit fidèle à leurs joies,
Ce luth fidèle à leurs douleurs !
Ma voix, dans leur récente histoire,
N'a point, sur des tons de victoire,
Appris à louer le Seigneur.
Ô roi, victimes couronnées !
Lorsqu'on chante vos destinées,
On sait mal chanter le bonheur.

Mai 1821.
Œil pour œil ! Dent pour dent ! Tête pour tête ! A mort !
Justice ! L'échafaud vaut mieux que le remord.
Talion ! talion !

- Silence aux cris sauvages !
Non ! assez de malheur, de meurtre et de ravages !
Assez d'égorgements ! assez de deuil ! assez
De fantômes sans tête et d'affreux trépassés !
Assez de visions funèbres dans la brume !
Assez de doigts hideux, montrant le sang qui fume,
Noirs, et comptant les trous des linceuls dans la nuit !
Pas de suppliciés dont le cri nous poursuit !
Pas de spectres jetant leur ombre sur nos têtes !
Nous sommes ruisselants de toutes les tempêtes ;
Il n'est plus qu'un devoir et qu'une vérité,
C'est, après tant d'angoisse et de calamité.
Homme, d'ouvrir son cœur, oiseau, d'ouvrir son aile
Vers ce ciel que remplit la grande âme éternelle !
Le peuple, que les rois broyaient sous leurs talons.
Est la pierre promise au temple, et nous voulons
Que la pierre bâtisse et non qu'elle lapide !
Pas de sang ! pas de mort ! C'est un reflux stupide
Que la férocité sur la férocité.
Un pilier d'échafaud soutient mal la cité.
Tu veux faire mourir ! Moi je veux faire naître !
Je mure le sépulcre et j'ouvre la fenêtre.
Dieu n'a pas fait le sang, à l'amour réservé.
Pour qu'on le donne à boire aux fentes du pavé.
S'agit-il d'égorger ? Peuples, il s'agit d'être.
Quoi ! tu veux te venger, passant ? de qui ? du maître ?
Si tu ne vaux pas mieux, que viens-tu faire ici ?
Tout mystère où l'on jette un meurtre est obscurci ;
L'énigme ensanglantée est plus âpre à résoudre ;
L'ombre s'ouvre terrible après le coup de foudre ;
Tuer n'est pas créer, et l'on se tromperait
Si l'on croyait que tout finit au couperet ;
C'est là qu'inattendue, impénétrable, immense.
Pleine d'éclairs subits, la question commence ;
C'est du bien et du mal ; mais le mal est plus grand.
Satan rit à travers l'échafaud transparent.
Le bourreau, quel qu'il soit, a le pied dans l'abîme ;
Quoi qu'elle fasse, hélas ! la hache fait un crime ;
Une lugubre nuit fume sur ce tranchant ;
Quand il vient de tuer, comme, en s'en approchant.
On frémit de le voir tout ruisselant, et comme
On sent qu'il a frappé dans l'ombre plus qu'un homme
Sitôt qu'a disparu le coupable immolé.
Hors du panier tragique où la tête a roulé.
Le principe innocent, divin, inviolable.
Avec son regard d'astre à l'aurore semblable.
Se dresse, spectre auguste, un cercle rouge au cou.
L'homme est impitoyable, hélas, sans savoir où.
Comment ne voit-il pas qu'il vit dans un problème.
Que l'homme est solidaire avec ses monstres même.
Et qu'il ne peut tuer autre chose qu'Abel !
Lorsqu'une tête tombe, on sent trembler le ciel.
Décapitez Néron, cette hyène insensée,
La vie universelle est dans Néron blessée ;
Faites monter Tibère à l'échafaud demain,
Tibère saignera le sang du genre humain.
Nous sommes tous mêlés à ce que fait la Grève ;
Quand un homme, en public, nous voyant comme un rêve.
Meurt, implorant en vain nos lâches abandons.
Ce meurtre est notre meurtre et nous en répondons ;
C'est avec un morceau de notre insouciance.
C'est avec un haillon de notre conscience.
Avec notre âme à tous, que l'exécuteur las
Essuie en s'en allant son hideux coutelas.
L'homme peut oublier ; les choses importunes
S'effacent dans l'éclat ondoyant des fortunes ;
Le passé, l'avenir, se voilent par moments ;
Les festins, les flambeaux, les feux, les diamants.
L'illumination triomphale des fêtes.
Peuvent éclipser l'ombre énorme des prophètes ;
Autour des grands bassins, au bord des claires eaux.
Les enfants radieux peuvent aux cris d'oiseaux
Mêler le bruit confus de leurs lèvres fleuries.
Et, dans le Luxembourg ou dans les Tuileries,
Devant les vieux héros de marbre aux poings crispés.
Danser, rire et chanter : les lauriers sont coupés !
La Courtille au front bas peut noyer dans les verres
Le souvenir des jours illustres et sévères ;
La valse peut ravir, éblouir, enivrer
Des femmes de satin, heureuses de livrer
Le plus de nudité possible aux yeux de flamme ;
L'***** peut murmurer son chaste épithalame ;
Le bal masqué, lascif, paré, bruyant, charmant,
Peut allumer sa torche et bondir follement.
Goule au linceul joyeux, larve en fleurs, spectre rose ;
Mais, quel que soit le temps, quelle que soit la cause.
C'est toujours une nuit funeste au peuple entier
Que celle où, conduisant un prêtre, un guichetier
Fouille au trousseau de clefs qui pend à sa ceinture
Pour aller, sur le lit de fièvre et de torture,
Réveiller avant l'heure un pauvre homme endormi,
Tandis que, sur la Grève, entrevus à demi.
Sous les coups de marteau qui font fuir la chouette.
D'effrayants madriers dressent leur silhouette.
Rougis par la lanterne horrible du bourreau.
Le vieux glaive du juge a la nuit pour fourreau.
Le tribunal ne peut de ce fourreau livide
Tirer que la douleur, l'anxiété, le vide,
Le néant, le remords, l'ignorance et l'effroi.

Qu'il frappe au nom du peuple ou venge au nom du roi.
Justice ! dites-vous. - Qu'appelez-vous justice ?
Qu'on s'entr'aide, qu'on soit des frères, qu'on vêtisse
Ceux qui sont nus, qu'on donne à tous le pain sacré.
Qu'on brise l'affreux bagne où le pauvre est muré,
Mais qu'on ne touche point à la balance sombre !
Le sépulcre où, pensif, l'homme naufrage et sombre.
Au delà d'aujourd'hui, de demain, des saisons.
Des jours, du flamboiement de nos vains horizons,
Et des chimères, proie et fruit de notre étude,
A son ciel plein d'aurore et fait de certitude ;
La justice en est l'astre immuable et lointain.
Notre justice à nous, comme notre destin.
Est tâtonnement, trouble, erreur, nuage, doute ;
Martyr, je m'applaudis ; juge, je me redoute ;
L'infaillible, est-ce moi, dis ? est-ce toi ? réponds.
Vous criez : - Nos douleurs sont notre droit. Frappons.
Nous sommes trop en butte au sort qui nous accable.
Nous sommes trop frappés d'un mal inexplicable.
Nous avons trop de deuils, trop de jougs, trop d'hivers.
Nous sommes trop souffrants, dans nos destins divers.
Tous, les grands, les petits, les obscurs, les célèbres.
Pour ne pas condamner quelqu'un dans nos ténèbres. -
Puisque vous ne voyez rien de clair dans le sort.
Ne vous hâtez pas trop d'en conclure la mort.
Fût-ce la mort d'un roi, d'un maître et d'un despote ;
Dans la brume insondable où tout saigne et sanglote,
Ne vous hâtez pas trop de prendre vos malheurs.
Vos jours sans feu, vos jours sans pain, vos cris, vos pleurs.
Et ce deuil qui sur vous et votre race tombe.
Pour les faire servir à construire une tombe.
Quel pas aurez-vous fait pour avoir ajouté
A votre obscur destin, ombre et fatalité.
Cette autre obscurité que vous nommez justice ?
Faire de l'échafaud, menaçante bâtisse.
Un autel à bénir le progrès nouveau-né,
Ô vivants, c'est démence ; et qu'aurez-vous gagné
Quand, d'un culte de mort lamentables ministres.
Vous aurez marié ces infirmes sinistres,
La justice boiteuse et l'aveugle anankè ?
Le glaive toujours cherche un but toujours manqué ;
La palme, cette flamme aux fleurs étincelantes,
Faite d'azur, frémit devant des mains sanglantes.
Et recule et s'enfuit, sensitive des cieux !
La colère assouvie a le front soucieux.
Quant à moi, tu le sais, nuit calme où je respire,
J'aurais là, sous mes pieds, mon ennemi, le pire,
Caïn juge, Judas pontife, Satan roi.
Que j'ouvrirais ma porte et dirais : Sauve-toi !

Non, l'élargissement des mornes cimetières
N'est pas le but. Marchons, reculons les frontières
De la vie ! Ô mon siècle, allons toujours plus haut !
Grandissons !

Qu'est-ce donc qu'il nous veut, l'échafaud.
Cette charpente spectre accoutumée aux foules.
Cet îlot noir qu'assiège et que bat de ses houles
La multitude aux flots inquiets et mouvants.
Ce sépulcre qui vient attaquer les vivants,
Et qui, sur les palais ainsi que sur les bouges.
Surgit, levant un glaive au bout de ses bras rouges ?
Mystère qui se livre aux carrefours, morceau
De la tombe qui vient tremper dans le ruisseau,
Bravant le jour, le bruit, les cris ; bière effrontée
Qui, féroce, cynique et lâche, semble athée !
Ô spectacle exécré dans les plus repoussants.
Une mort qui se fait coudoyer aux passants,
Qui permet qu'un crieur hors de l'ombre la tire !
Une mort qui n'a pas l'épouvante du rire.
Dévoilant l'escalier qui dans la nuit descend,
Disant : voyez ! marchant dans la rue, et laissant
La boue éclabousser son linceul semé d'astres ;
Qui, sur un tréteau, montre entre deux vils pilastres
Son horreur, son front noir, son œil de basilic ;
Qui consent à venir travailler en public,
Et qui, prostituée, accepte, sur les places,
La familiarité des fauves populaces !

Ô vivant du tombeau, vivant de l'infini,
Jéhovah ! Dieu, clarté, rayon jamais terni.
Pour faire de la mort, de la nuit, des ténèbres,
Ils ont mis ton triangle entre deux pieux funèbres ;
Et leur foule, qui voit resplendir ta lueur.
Ne sent pas à son front poindre une âpre sueur.
Et l'horreur n'étreint pas ce noir peuple unanime.
Quand ils font, pour punir ce qu'ils ont nommé crime.
Au nom de ce qu'ils ont appelé vérité.
Sur la vie, o terreur, tomber l'éternité !
Eh quoi ! prier déjà.... tu bégayes encore ;
De la vie, ici-bas, tu n'as vu que l'aurore ;
Pour loi, le beau printemps n'est venu que deux fois ;
À peine connaît-on le doux son de ta voix.
Et cependant, docile aux leçons d'une mère,
Tu bégayes déjà quelques mots de prière !
Oh ! laisse la prière au cœur des malheureux,
Et toi, petit enfant, va reprendre tes jeux !

Pourvu qu'à ton réveil, s'échappant de sa cage,
L'oiseau qui te connaît commence son ramage,
Qu'il reste près de toi ; que d'un bouquet nouveau,
Ta mère, en souriant, vienne orner ton berceau ;
Pourvu que vers le soir, sa voix mélodieuse
T'endorme doucement, ou que, silencieuse,
Elle ébranle ta couche, et d'un léger effort,
En longs balancements t'endorme mieux encor :
C'est là tout le bonheur de ta paisible enfance.
Et comment prierais-tu ? tu n'as pas d'espérance !
À ton âge charmant, l'existence est un jour,
Où le rire et les pleurs s'effacent tour à tour.

Plus ****, petit enfant, poursuivant ton voyage,
Ton cœur s'agitera du trouble du jeune âge ;
Tu sentiras alors les charmes enivrants
De nos illusions, rêves purs et charmants.
Un doux espoir, ainsi qu'une ombre fugitive,
Apparaîtra soudain à ton âme naïve,
Te faisant pressentir l'amour et le bonheur...
Alors, il sera temps de prier le Seigneur !

À genoux devant lui, plein de foi, d'espérance,
On dit tout sans parler ; - Dieu comprend le silence.
Ô mon Dieu ! que l'on aime à vous prier longtemps,
Lorsqu'on veut être heureux et que l'on a seize ans !

Car, hélas ! jeune enfant, pendant le long voyage,
Nous n'avons pas toujours un beau ciel sans nuage ;
Le limpide ruisseau qui s'en va murmurant,
Se change bien souvent en horrible torrent,
Et l'aquilon, soufflant sur la barque légère,
Vient la briser, le soir, aux écueils de la terre.
Va jouer, bel enfant !... il te faudra plus ****
Souffrir ainsi que nous : ta vie aura sa part !
Tu verras fuir l'espoir qui venait de paraître ;
Un jour, on t'aimera..., l'on t'oubliera peut-être !...
Ah ! qu'ai-je dit, enfant ? -Suspends, suspends tes jeux
Joins tes petites mains, et regarde les cieux.
La Rivière de Cassis roule ignorée
En des vaux étranges :
La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie
Et bonne voix d'anges :
Avec les grands mouvements des sapinaies
Quand plusieurs vents plongent.

Tout roule avec des mystères révoltants
De campagnes d'anciens temps ;
De donjons visités, de parcs importants :
C'est en ces bords qu'on entend
Les passions mortes des chevaliers errants :
Mais que salubre est le vent !

Que le piéton regarde à ces claires-voies :
Il ira plus courageux.
Soldats des forêts que le Seigneur envoie,
Chers corbeaux délicieux !
Faites fuir d'ici le paysan matois
Qui trinqué d'un moignon vieux.
Ils vont sans trêve ; ils vont sous le ciel bas et sombre,
Les Fugitifs, chassés des anciens paradis ;
Et toute la tribu, depuis des jours sans nombre,
Dans leur sillon fatal traîne ses pieds roidis.

Ils vont, les derniers-nés des races primitives,
Les derniers dont les yeux, sur les divins sommets,
Dans les herbes en fleur ont vu fuir les Eaux vives
Et grandir un Soleil, oublié désormais.

Tout est mort et flétri sur les plateaux sublimes
Où l'aurore du monde a lui pour leurs aïeux ;
Et voici que les fils, à l'étroit sur les cimes,
Vers l'Occident nocturne ont cherché d'autres cieux.

Ils ont fui. Le vent souffle et pousse dans l'espace
La neige inépuisable en tourbillons gonflés ;
Un hiver éternel suspend, en blocs de glace,
De rigides torrents aux flancs des monts gelés.

Des amas de rochers, blancs d'une lourde écume,
Témoins rugueux d'un monde informe et surhumain.
Visqueux, lavés de pluie et noyés dans la brume,
De leurs blocs convulsés ferment l'âpre chemin.

Des forêts d'arbres morts, tordus par les tempêtes,
S'étendent ; et le cri des voraces oiseaux,
Près de grands lacs boueux, répond au cri des bêtes
Qui râlent en glissant sur l'épaisseur des eaux.

Mais l'immense tribu, par les sentiers plus rudes,
Par les ravins fangeux où s'engouffre le vent,
Comme un troupeau perdu, s'enfonce aux solitudes,
Sans hâte, sans relâche et toujours plus avant.

En tête, interrogeant l'ombre de leurs yeux ternes,
Marchent les durs chasseurs, les géants et les forts,
Plus monstrueux que l'ours qu'au seuil de leurs cavernes
Ils étouffaient naguère en luttant corps à corps.

Leurs longs cheveux, pareils aux lianes farouches,
En lanières tombaient de leurs crânes étroits,
Tandis qu'en se figeant l'haleine de leurs bouchés
Hérissait de glaçons leurs barbes aux poils droits.

Les uns, ceints de roseaux tressés ou d'herbes sèches,
Aux rafales de grêle offraient leurs larges flancs ;
D'autres, autour du col attachant des peaux fraîches,
D'un manteau ******* couvraient leurs reins sanglants.

Et les femmes marchaient, lentes, mornes, livides,
Haletant et pliant sous les doubles fardeaux
Des blêmes nourrissons pendus à leurs seins vides
Et des petits enfants attachés sur leur dos.

En arrière, portés sur des branches unies,
De grands vieillards muets songeaient aux jours lointains
Et, soulevant parfois leurs paupières ternies,
Vers l'horizon perdu tournaient des yeux éteints.

Ils allaient. Mais soudain, quand la nuit dans, l'espace
Roulait, avec la peur, l'obscurité sans fin,
La tribu tout entière, épuisée et trop lasse,
Multipliait le cri terrible de sa faim.

Les chasseurs ont hier suivi des pistes fausses ;
Le renne prisonnier a rompu ses liens ;
L'ours défiant n'a pas trébuché dans les fosses ;
Le cerf n'est pas tombé sous les crocs blancs des chiens.

Le sol ne livre plus ni germes ni racines,
Le poisson se dérobe aux marais submergés ;
Rien, ni les acres fruits ni le flux des résines,
Ni la moelle épaisse au creux des os rongés.

Et voici qu'appuyés sur des haches de pierre,
Les mâles, dans l'horreur d'un songe inassouvi,
Ont compté tous les morts dont la chair nourricière
Fut le festin des loups, sur le chemin suivi.

Voici la proie humaine, offerte à leur délire,
Vieillards, femmes, enfants, les faibles, autour d'eux
Vautrés dans leur sommeil stupide, sans voir luire
Les yeux des carnassiers en un cercle hideux.

Les haches ont volé. Devant les corps inertes,
Dans la pourpre qui bout et coule en noirs ruisseaux,
Les meurtriers, fouillant les poitrines ouvertes,
Mangent les cœurs tout vifs, arrachés par morceaux.

Et tous, repus, souillés d'un sang qui fume encore,
Parmi les os blanchis épars sur le sol nu,
Aux blafardes lueurs de la nouvelle aurore,
Marchent, silencieux, vers le but inconnu.

Telle, de siècle en siècle incessamment errante,
Sur la neige durcie et le désert glacé
Ne laissant même pas sa trace indifférente,
La tribu, sans espoir et sans rêve, a passé.

Tels, les Fils de l'Exil, suivant le bord des fleuves
Dont les vallons emplis traçaient le large cours,
Sauvages conquérants des solitudes neuves,
Ont avancé, souffert et pullulé toujours ;

Jusqu'à l'heure où, du sein des vapeurs méphitiques,
Dont le rideau flottant se déchira soudain,
Une terre, pareille aux demeures antiques,
A leurs yeux éblouis fleurit comme un jardin.

Devant eux s'étalait calme, immense et superbe,
Comme un tapis changeant au pied des monts jeté,
Un pays, vierge encore, où, mugissant dans l'herbe,
Des vaches au poil blanc paissaient en liberté.

Et sous les palmiers verts, parmi les fleurs nouvelles,
Les étalons puissants, les cerfs aux pieds légers
Et les troupeaux épars des fuyantes gazelles
Écoutaient sans effroi les pas des étrangers.

C'était là. Le Destin, dans l'aube qui se lève,
Au terme de l'Exil ressuscitait pour eux,
Comme un réveil tardif après un sombre rêve,
Le vivant souvenir des siècles bienheureux.

La Vie a rejailli de la source féconde,
Et toute soif s'abreuve à son flot fortuné,
Et le désert se peuple et toute chair abonde,
Et l'homme pacifique est comme un nouveau-né.

Il revoit le Soleil, l'immortelle Lumière,
Et le ciel où, témoins des clémentes saisons,
Des astres reconnus, à l'heure coutumière,
Montent, comme autrefois, sur les vieux horizons.

Et plus ****, par delà le sable monotone,
Il voit irradier, comme un profond miroir,
L'étincelante mer dont l'infini frissonne
Quand le Soleil descend dans la rougeur du soir.

Et le Ciel sans limite et la Nature immense,
Les eaux, les bois, les monts, tout s'anime à ses yeux.
Moins aveugle et moins sourd, un univers commence
Où son cœur inquiet sent palpiter des Dieux.

Ils naissent du chaos où s'ébauchaient leurs formes,
Multiples et sans noms, l'un par l'autre engendrés ;
Et le reflet sanglant de leurs ombres énormes
D'une terreur barbare emplit les temps sacrés.

Ils parlent dans l'orage ; ils pleurent dans l'averse.
Leur bras libérateur darde et brandit l'éclair,
Comme un glaive strident qui poursuit et transperce
Les monstres nuageux accumulés dans l'air.

Sur l'abîme éternel des eaux primordiales
Nagent des Dieux prudents, tels que de grands poissons ;
D'infaillibles Esprits peuplent les nuits astrales ;
Des serpents inspirés sifflent dans les buissons.

Puis, lorsque surgissant comme un roi, dans l'aurore,
Le Soleil triomphal brille au firmament bleu,
L'homme, les bras tendus, chante, contemple, adore
La Majesté suprême et le plus ancien Dieu ;

Celui qui féconda la Vie universelle,
L'ancêtre vénéré du jour propice et pur,
Le guerrier lumineux dont le disque étincelle
Comme un bouclier d'or suspendu dans l'azur ;

Et celui qui parfois, formidable et néfaste,
Immobile au ciel fauve et morne de l'Été,
Flétrit, dévore, embrase, et du désert plus vaste
Fait, jusqu'aux profondeurs, flamber l'immensité.

Mais quand l'homme, éveillant l'éternelle Nature,
Ses formes, ses couleurs, ses clartés et ses voix,
Fut seul devant les Dieux, fils de son âme obscure,
Il tressaillit d'angoisse et supplia ses Rois.

Alors, ô Souverains ! les taureaux et les chèvres
D'un sang expiatoire ont inondé le sol ;
Et l'hymne évocateur, en s'échappant des lèvres,
Comme un aiglon divin tenta son premier vol.

Idoles de granit, simulacres de pierre,
Bétyles, Pieux sacrés, Astres du ciel serein,
Vers vous, avec l'offrande, a monté la prière,
Et la graisse a fumé sur les autels d'airain.

Les siècles ont passé ; les races successives
Ont bâti des palais, des tours et des cités
Et des temples jaloux, dont les parois massives
Aux profanes regards cachaient les Dieux sculptés.

Triomphants tour à tour ou livrés aux insultes,
Voluptueux, cruels, terribles ou savants,
Tels, vous avez versé pour jamais, ô vieux cultes !
L'ivresse du Mystère aux âmes des vivants.

Tels vous traînez encore, au fond de l'ombre ingrate,
Vos cortèges sacrés, lamentables et vains,
Du vieux Nil à la mer et du Gange à l'Euphrate,
Ô spectres innommés des ancêtres divins !

Et dans le vague abîme où gît le monde antique,
Luit, comme un astre mort, au ciel religieux,
La sombre majesté de l'Orient mystique,
Berceau des nations et sépulcre des Dieux.
Dans la rue.

Il est un vieil air populaire
Par tous les violons raclé,
Aux abois des chiens en colère
Par tous les orgues nasillé.

Les tabatières à musique
L'ont sur leur répertoire inscrit ;
Pour les serins il est classique,
Et ma grand'mère, enfant, l'apprit.

Sur cet air, pistons, clarinettes,
Dans les bals aux poudreux berceaux,
Font sauter commis et grisettes,
Et de leurs nids fuir les oiseaux.

La guinguette, sous sa tonnelle
De houblon et de chèvrefeuil,
Fête, en braillant la ritournelle,
Le *** dimanche et l'argenteuil.

L'aveugle au basson qui pleurniche
L'écorche en se trompant de doigts ;
La sébile aux dents, son caniche
Près de lui le grogne à mi-voix.

Et les petites guitaristes,
Maigres sous leurs minces tartans,
Le glapissent de leurs voix tristes
Aux tables des cafés chantants.

Paganini, le fantastique,
Un soir, comme avec un crochet,
A ramassé le thème antique
Du bout de son divin archet,

Et, brodant la gaze fanée
Que l'oripeau rougit encor,
Fait sur la phrase dédaignée
Courir ses arabesques d'or.
Que devant les coquins l'honnête homme soupire ;
Que l'histoire soit laide et plate ; que l'empire
Boîte avec Talleyrand ou louche avec Parieu ;
Qu'un tour d'escroc bien fait ait nom grâce de Dieu ;
Que le pape en massue ait changé sa houlette ;
Qu'on voie au Champ de Mars piaffer sous l'épaulette
Le Meurtre général, le Vol aide de camp ;
Que hors de l'Elysée un prince débusquant,
Qu'un flibustier quittant l'île de la Tortue,
Assassine, extermine, égorge, pille et tue ;
Que les bonzes chrétiens, cognant sur leur tam-tam
Hurlent devant Soufflard : Attollite portam !
Que pour claqueurs le crime ait cent journaux infâmes,
Ceux qu'à la maison d'or, sur les genoux des femmes,
Griffonnent les Romieux, le verre en main, et ceux
Que saint-Ignace inspire à des gredins crasseux ;
Qu'en ces vils tribunaux, où le regard se heurte
De Moreau de la Seine à Moreau de la Meurthe,
La justice ait reçu d'horribles horions ;
Que, sur un lit de camp, par des centurions
La loi soit violée et râle à l'agonie ;
Que cet être choisi, créé par Dieu génie,
L'homme, adore à genoux le loup fait empereur ;
Qu'en un éclat de rire abrégé par l'horreur,
Tout ce que nous voyons aujourd'hui se résume ;
Qu'Hautpoul vende son sabre et Cucheval sa plume ;
Que tous les grands bandits, en petit copiés,
Revivent ; qu'on emplisse un sénat de plats-pieds
Dont la servilité négresse et mamelouque
Eût révolté Mahmoud et lasserait Soulouque ;
Que l'or soit le seul culte, et qu'en ce temps vénal,
Coffre-fort étant Dieu, Gousset soit cardinal ;
Que la vieille Thémis ne soit plus qu'une gouine
Baisant Mandrin dans l'antre où Mongis baragouine ;
Que Montalembert bave accoudé sur l'autel ;
Que Veuillot sur Sibour crève sa poche au fiel ;
Qu'on voie aux bals de cour s'étaler des guenipes
Qui le long des trottoirs traînaient hier leurs nippes,
Beautés de lansquenet avec un profil grec ;
Que Haynau dans Brescia soit pire que Lautrec ;
Que partout, des Sept-Tours aux colonnes d'Hercule,
Napoléon, le poing sur la hanche, recule,
Car l'aigle est vieux, Essling grisonne, Marengo
À la goutte, Austerlitz est pris d'un lombago ;
Que le czar russe ait peur tout autant que le nôtre ;
Que l'ours noir et l'ours blanc tremblent l'un devant l'autre ;
Qu'avec son grand panache et sur son grand cheval
Rayonne Saint-Arnaud, ci-devant Florival,
Fort dans la pantomime et les combats à l'hache ;
Que Sodome se montre et que Paris se cache ;
Qu'Escobar et Houdin vendent le même onguent ;
Que grâce à tous ces gueux qu'on touche avec le gant,
Tout dorés au dehors, au dedans noirs de lèpres,
Courant les bals, courant les jeux, allant à vêpres,
Grâce à ces bateleurs mêlés aux scélérats,
La Saint-Barthélemy s'achève en mardi gras ;
Ô nature profonde et calme, que t'importe !
Nature, Isis voilée assise à notre porte,
Impénétrable aïeule aux regards attendris,
Vieille comme Cybèle et fraîche comme Iris,
Ce qu'on fait ici-bas s'en va devant ta face ;
À ton rayonnement toute laideur s'efface ;
Tu ne t'informes pas quel drôle ou quel tyran
Est fait premier chanoine à Saint-Jean-de-Latran ;
Décembre, les soldats ivres, les lois faussées,
Les cadavres mêlés aux bouteilles cassées,
Ne te font rien ; tu suis ton flux et ton reflux.
Quand l'homme des faubourgs s'endort et ne sait plus
Bourrer dans un fusil des balles de calibre ;
Quand le peuple français n'est plus le peuple libre ;
Quand mon esprit, fidèle au but qu'il se fixa,
Sur cette léthargie applique un vers moxa,
Toi, tu rêves ; souvent du fond des geôles sombres,
Sort, comme d'un enfer, le murmure des ombres
Que Baroche et Rouher gardent sous les barreaux,
Car ce tas de laquais est un tas de bourreaux ;
Etant les cœurs de boue, ils sont les cœurs de roche ;
Ma strophe alors se dresse, et, pour cingler Baroche,
Se taille un fouet sanglant dans Rouher écorché ;
Toi, tu ne t'émeus point ; flot sans cesse épanché,
La vie indifférente emplit toujours tes urnes ;
Tu laisses s'élever des attentats nocturnes,
Des crimes, des fureurs, de Rome mise en croix,
De Paris mis aux fers, des guets-apens des rois,
Des pièges, des serments, des toiles d'araignées,
L'orageuse clameur des âmes indignées ;
Dans ce calme où toujours tu te réfugias,
Tu laisses le fumier croupir chez Augias,
Et renaître un passé dont nous nous affranchîmes,
Et le sang rajeunir les abus cacochymes,
La France en deuil jeter son suprême soupir,
Les prostitutions chanter, et se tapir
Les lâches dans leurs trous, la taupe en ses cachettes,
Et gronder les lions, et rugir les poètes !
Ce n'est pas ton affaire à toi de t'irriter.
Tu verrais, sans frémir et sans te révolter,
Sur tes fleurs, sous tes pins, tes ifs et tes érables,
Errer le plus coquin de tous ces misérables.
Quand Troplong, le matin, ouvre un œil chassieux,
Vénus, splendeur sereine éblouissant les cieux,
Vénus, qui devrait fuir courroucée et hagarde,
N'a pas l'air de savoir que Troplong la regarde !
Tu laisserais cueillir une rose à Dupin !
Tandis que, de velours recouvrant le sapin,
L'escarpe couronné que l'Europe surveille,
Trône et guette, et qu'il a, lui parlant à l'oreille,
D'un côté Loyola, de l'autre Trestaillon,
Ton doigt au blé dans l'ombre entrouvre le sillon.
Pendant que l'horreur sort des sénats, des conclaves,
Que les États-Unis ont des marchés d'esclaves
Comme en eut Rome avant que Jésus-Christ passât,
Que l'américain libre à l'africain forçat
Met un bât, et qu'on vend des hommes pour des piastres,
Toi, tu gonfles la mer, tu fais lever les astres,
Tu courbes l'arc-en-ciel, tu remplis les buissons
D'essaims, l'air de parfums et les nids de chansons,
Tu fais dans le bois vert la toilette des roses,
Et tu fais concourir, **** des hommes moroses,
Pour des prix inconnus par les anges cueillis,
La candeur de la vierge et la blancheur du lys.
Et quand, tordant ses mains devant les turpitudes,
Le penseur douloureux fuit dans tes solitudes,
Tu lui dis : Viens ! c'est moi ! moi que rien ne corrompt !
Je t'aime ! et tu répands dans l'ombre, sur son front
Où de l'artère ardente il sent battre les ondes,
L'âcre fraîcheur de l'herbe et des feuilles profondes !
Par moments, à te voir, parmi les trahisons,
Mener paisiblement tes mois et tes saisons,
À te voir impassible et froide, quoi qu'on fasse,
Pour qui ne creuse point plus bas que la surface,
Tu sembles bien glacée, et l'on s'étonne un peu.
Quand les proscrits, martyrs du peuple, élus de Dieu,
Stoïques, dans la mort se couchent sans se plaindre,
Tu n'as l'air de songer qu'à dorer et qu'à peindre
L'aile du scarabée errant sur leurs tombeaux.
Les rois font les gibets, toi, tu fais les corbeaux.
Tu mets le même ciel sur le juste et l'injuste.
Occupée à la mouche, à la pierre, à l'arbuste,
Aux mouvements confus du vil monde animal,
Tu parais ignorer le bien comme le mal ;
Tu laisses l'homme en proie à sa misère aiguë.
Que t'importe Socrate ! et tu fais la ciguë.
Tu créas le besoin, l'instinct et l'appétit ;
Le fort mange le faible et le grand le petit,
L'ours déjeune du rat, l'autour de la colombe,
Qu'importe ! allez, naissez, fourmillez pour la tombe,
Multitudes ! vivez, tuez, faites l'amour,
Croissez ! le pré verdit, la nuit succède au jour,
L'âne brait, le cheval hennit, le taureau beugle.
Ô figure terrible, on te croirait aveugle !
Le bon et le mauvais se mêlent sous tes pas.
Dans cet immense oubli, tu ne vois même pas
Ces deux géants lointains penchés sur ton abîme,
Satan, père du mal, Caïn, père du crime !

Erreur ! erreur ! erreur ! ô géante aux cent yeux,
Tu fais un grand labeur, saint et mystérieux !
Oh ! qu'un autre que moi te blasphème, ô nature
Tandis que notre chaîne étreint notre ceinture,
Et que l'obscurité s'étend de toutes parts,
Les principes cachés, les éléments épars,
Le fleuve, le volcan à la bouche écarlate,
Le gaz qui se condense et l'air qui se dilate,
Les fluides, l'éther, le germe sourd et lent,
Sont autant d'ouvriers dans l'ombre travaillant ;
Ouvriers sans sommeil, sans fatigue, sans nombre.
Tu viens dans cette nuit, libératrice sombre !
Tout travaille, l'aimant, le bitume, le fer,
Le charbon ; pour changer en éden notre enfer,
Les forces à ta voix sortent du fond des gouffres.

Tu murmures tout bas : - Race d'Adam qui souffres,
Hommes, forçats pensants au vieux monde attachés,
Chacune de mes lois vous délivre. Cherchez ! -
Et chaque jour surgit une clarté nouvelle,
Et le penseur épie et le hasard révèle ;
Toujours le vent sema, le calcul récolta.
Ici Fulton, ici Galvani, là Volta,
Sur tes secrets profonds que chaque instant nous livre,
Rêvent ; l'homme ébloui déchiffre enfin ton livre.

D'heure en heure on découvre un peu plus d'horizon
Comme un coup de bélier au mur d'une prison,
Du genre humain qui fouille et qui creuse et qui sonde,
Chaque tâtonnement fait tressaillir le monde.
L'***** des nations s'accomplit. Passions,
Intérêts, mœurs et lois, les révolutions
Par qui le cœur humain germe et change de formes,
Paris, Londres, New-York, les continents énormes,
Ont pour lien un fil qui tremble au fond des mers.
Une force inconnue, empruntée aux éclairs,
Mêle au courant des flots le courant des idées.
La science, gonflant ses ondes débordées,
Submerge trône et sceptre, idole et potentat.
Tout va, pense, se meut, s'accroît. L'aérostat
Passe, et du haut des cieux ensemence les hommes.
Chanaan apparaît ; le voilà, nous y sommes !
L'amour succède aux pleurs et l'eau vive à la mort,
Et la bouche qui chante à la bouche qui mord.
La science, pareille aux antiques pontifes,
Attelle aux chars tonnants d'effrayants hippogriffes
Le feu souffle aux naseaux de la bête d'airain.
Le globe esclave cède à l'esprit souverain.
Partout où la terreur régnait, où marchait l'homme,
Triste et plus accablé que la bête de somme,
Traînant ses fers sanglants que l'erreur a forgés,
Partout où les carcans sortaient des préjugés,
Partout où les césars, posant le pied sur l'âme,
Etouffaient la clarté, la pensée et la flamme,
Partout où le mal sombre, étendant son réseau,
Faisait ramper le ver, tu fais naître l'oiseau !
Par degrés, lentement, on voit sous ton haleine
La liberté sortir de l'herbe de la plaine,
Des pierres du chemin, des branches des forêts,
Rayonner, convertir la science en décrets,
Du vieil univers mort briser la carapace,
Emplir le feu qui luit, l'eau qui bout, l'air qui passe,
Gronder dans le tonnerre, errer dans les torrents,
Vivre ! et tu rends le monde impossible aux tyrans !
La matière, aujourd'hui vivante, jadis morte,
Hier écrasait l'homme et maintenant l'emporte.

Le bien germe à toute heure et la joie en tout lieu.
Oh ! sois fière en ton cœur, toi qui, sous l'œil de Dieu,
Nous prodigues les dons que ton mystère épanche,
Toi qui regardes, comme une mère se penche
Pour voir naître l'enfant que son ventre a porté,
De ton flanc éternel sortir l'humanité !

Vie ! idée ! avenir bouillonnant dans les têtes !
Le progrès, reliant entre elles ses conquêtes,
Gagne un point après l'autre, et court contagieux.
De cet obscur amas de faits prodigieux
Qu'aucun regard n'embrasse et qu'aucun mot ne nomme,
Tu nais plus frissonnant que l'aigle, esprit de l'homme,
Refaisant mœurs, cités, codes, religion.
Le passé n'est que l'oeuf d'où tu sors, Légion !

Ô nature ! c'est là ta genèse sublime.
Oh ! l'éblouissement nous prend sur cette cime !
Le monde, réclamant l'essor que Dieu lui doit,
Vibre, et dès à présent, grave, attentif, le doigt
Sur la bouche, incliné sur les choses futures,
Sur la création et sur les créatures,
Une vague lueur dans son œil éclatant,
Le voyant, le savant, le philosophe entend
Dans l'avenir, déjà vivant sous ses prunelles,
La palpitation de ces millions d'ailes !

Jersey, le 23 mai 1853.
II.

Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
D'un côté c'est l'Europe et de l'autre la France.
Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l'espérance
Tu désertais, victoire, et le sort était las.
Ô Waterloo ! je pleure et je m'arrête, hélas !
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d'airain !

Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
Il avait l'offensive et presque la victoire ;
Il tenait Wellington acculé sur un bois.
Sa lunette à la main, il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l'horizon, sombre comme la mer.
Soudain, joyeux, il dit : Grouchy ! - C'était Blücher.
L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme,
La mêlée en hurlant grandit comme une flamme.
La batterie anglaise écrasa nos carrés.
La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés,
Ne fut plus, dans les cris des mourants qu'on égorge,
Qu'un gouffre flamboyant, rouge comme une forge ;
Gouffre où les régiments comme des pans de murs
Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs
Les hauts tambours-majors aux panaches énormes,
Où l'on entrevoyait des blessures difformes !
Carnage affreux ! moment fatal ! L'homme inquiet
Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
Derrière un mamelon la garde était massée.
La garde, espoir suprême et suprême pensée !
« Allons ! faites donner la garde ! » cria-t-il.
Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,
Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires,
Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,
Portant le noir colback ou le casque poli,
Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,
Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette fête,
Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.
Leur bouche, d'un seul cri, dit : vive l'empereur !
Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La garde impériale entra dans la fournaise.
Hélas ! Napoléon, sur sa garde penché,
Regardait, et, sitôt qu'ils avaient débouché
Sous les sombres canons crachant des jets de soufre,
Voyait, l'un après l'autre, en cet horrible gouffre,
Fondre ces régiments de granit et d'acier
Comme fond une cire au souffle d'un brasier.
Ils allaient, l'arme au bras, front haut, graves, stoïques.
Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques !
Le reste de l'armée hésitait sur leurs corps
Et regardait mourir la garde. - C'est alors
Qu'élevant tout à coup sa voix désespérée,
La Déroute, géante à la face effarée
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
À de certains moments, spectre fait de fumées,
Se lève grandissante au milieu des armées,
La Déroute apparut au soldat qui s'émeut,
Et, se tordant les bras, cria : Sauve qui peut !
Sauve qui peut ! - affront ! horreur ! - toutes les bouches
Criaient ; à travers champs, fous, éperdus, farouches,
Comme si quelque souffle avait passé sur eux,
Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux,
Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles,
Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles,
Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil !
Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient ! - En un clin d'œil,
Comme s'envole au vent une paille enflammée,
S'évanouit ce bruit qui fut la grande armée,
Et cette plaine, hélas, où l'on rêve aujourd'hui,
Vit fuir ceux devant qui l'univers avait fui !
Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre,
Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire,
Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,
Tremble encor d'avoir vu la fuite des géants !

Napoléon les vit s'écouler comme un fleuve ;
Hommes, chevaux, tambours, drapeaux ; - et dans l'épreuve
Sentant confusément revenir son remords,
Levant les mains au ciel, il dit : « Mes soldats morts,
Moi vaincu ! mon empire est brisé comme verre.
Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère ? »
Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon,
Il entendit la voix qui lui répondait : Non !

Jersey, du 25 au 30 novembre 1852.
I.

L'aurore s'allume ;
L'ombre épaisse fuit ;
Le rêve et la brume
Vont où va la nuit ;
Paupières et roses
S'ouvrent demi-closes ;
Du réveil des choses
On entend le bruit.

Tout chante et murmure,
Tout parle à la fois,
Fumée et verdure,
Les nids et les toits ;
Le vent parle aux chênes,
L'eau parle aux fontaines ;
Toutes les haleines
Deviennent des voix !

Tout reprend son âme,
L'enfant son hochet,
Le foyer sa flamme,
Le luth son archet ;
Folie ou démence,
Dans le monde immense,
Chacun recommence
Ce qu'il ébauchait.

Qu'on pense ou qu'on aime,
Sans cesse agité,
Vers un but suprême,
Tout vole emporté ;
L'esquif cherche un môle,
L'abeille un vieux saule,
La boussole un pôle,
Moi la vérité.

II.

Vérité profonde !
Granit éprouvé
Qu'au fond de toute onde
Mon ancre a trouvé !
De ce monde sombre,
Où passent dans l'ombre
Des songes sans nombre,
Plafond et pavé !

Vérité, beau fleuve
Que rien ne tarit !
Source où tout s'abreuve,
Tige où tout fleurit !
Lampe que Dieu pose
Près de toute cause !
Clarté que la chose
Envoie à l'esprit !

Arbre à rude écorce,
Chêne au vaste front,
Que selon sa force
L'homme ploie ou rompt,
D'où l'ombre s'épanche,
Où chacun se penche,
L'un sur une branche,
L'autre sur le tronc !

Mont d'où tout ruisselle !
Gouffre où tout s'en va !
Sublime étincelle
Que fait Jéhova !
Rayon qu'on blasphème !
Œil calme et suprême
Qu'au front de Dieu même
L'homme un jour creva !

III.

Ô terre ! ô merveilles
Dont l'éclat joyeux
Emplit nos oreilles,
Eblouit nos yeux !
Bords où meurt la vague,
Bois qu'un souffle élague,
De l'horizon vague
Plis mystérieux !

Azur dont se voile
L'eau du gouffre amer,
Quand, laissant ma voile
Fuir au gré de l'air,
Penché sur la lame,
J'écoute avec l'âme
Cet épithalame
Que chante la mer !

Azur non moins tendre
Du ciel qui sourit
Quand, tâchant d'entendre
Ce que dit l'esprit,
Je cherche, ô nature,
La parole obscure
Que le vent murmure,
Que l'étoile écrit !

Création pure !
Etre universel !
Océan, ceinture
De tout sous le ciel !
Astres que fait naître
Le souffle du maître,
Fleurs où Dieu peut-être
Cueille quelque miel !

Ô champs, ô feuillages !
Monde fraternel
Clocher des villages
Humble et solennel !
Mont qui portes l'aire !
Aube fraîche et claire,
Sourire éphémère
De l'astre éternel !

N'êtes-vous qu'un livre,
Sans fin ni milieu,
Où chacun pour vivre
Cherche à lire un peu !
Phrase si profonde
Qu'en vain on la sonde !
L'œil y voit un monde,
L'âme y trouve un Dieu !

Beau livre qu'achèvent
Les cœurs ingénus,
Où les penseurs rêvent
Des sens inconnus,
Où ceux que Dieu charge
D'un front vaste et large
Ecrivent en marge :
Nous sommes venus !

Saint livre où la voile
Qui flotte en tous lieux,
Saint livre où l'étoile
Qui rayonne aux yeux,
Ne trace, ô mystère !
Qu'un nom solitaire,
Qu'un nom sur la terre,
Qu'un nom dans les cieux !

Livre salutaire
Où le cœur s'emplit !
Où tout sage austère
Travaille et pâlit !
Dont le sens rebelle
Parfois se révèle !
Pythagore épèle
Et Moïse lit !

Décembre 1834.
Le soleil va porter le jour à d'autres mondes ;
Dans l'horizon désert Phébé monte sans bruit,
Et jette, en pénétrant les ténèbres profondes,
Un voile transparent sur le front de la nuit.

Voyez du haut des monts ses clartés ondoyantes
Comme un fleuve de flamme inonder les coteaux,
Dormir dans les vallons, ou glisser sur les pentes,
Ou rejaillir au **** du sein brillant des eaux.

La douteuse lueur, dans l'ombre répandue,
Teint d'un jour azuré la pâle obscurité,
Et fait nager au **** dans la vague étendue
Les horizons baignés par sa molle clarté !

L'Océan amoureux de ces rives tranquilles
Calme, en baisant leurs pieds, ses orageux transports,
Et pressant dans ses bras ces golfes et ces îles,
De son humide haleine en rafraîchit les bords.

Du flot qui tour à tour s'avance et se retire
L'oeil aime à suivre au **** le flexible contour :
On dirait un amant qui presse en son délire
La vierge qui résiste, et cède tour à tour !

Doux comme le soupir de l'enfant qui sommeille,
Un son vague et plaintif se répand dans les airs :
Est-ce un écho du ciel qui charme notre oreille ?
Est-ce un soupir d'amour de la terre et des mers ?

Il s'élève, il retombe, il renaît, il expire,
Comme un coeur oppressé d'un poids de volupté,
Il semble qu'en ces nuits la nature respire,
Et se plaint comme nous de sa félicité !

Mortel, ouvre ton âme à ces torrents de vie !
Reçois par tous les sens les charmes de la nuit,
A t'enivrer d'amour son ombre te convie ;
Son astre dans le ciel se lève, et te conduit.

Vois-tu ce feu lointain trembler sur la colline ?
Par la main de l'Amour c'est un phare allumé ;
Là, comme un lis penché, l'amante qui s'incline
Prête une oreille avide aux pas du bien-aimé !

La vierge, dans le songe où son âme s'égare,
Soulève un oeil d'azur qui réfléchit les cieux,
Et ses doigts au hasard errant sur sa guitare
Jettent aux vents du soir des sons mystérieux !

" Viens ! l'amoureux silence occupe au **** l'espace ;
Viens du soir près de moi respirer la fraîcheur !
C'est l'heure; à peine au **** la voile qui s'efface
Blanchit en ramenant le paisible pêcheur !

" Depuis l'heure où ta barque a fui **** de la rive,
J'ai suivi tout le jour ta voile sur les mers,
Ainsi que de son nid la colombe craintive
Suit l'aile du ramier qui blanchit dans les airs !

" Tandis qu'elle glissait sous l'ombre du rivage,
J'ai reconnu ta voix dans la voix des échos ;
Et la brise du soir, en mourant sur la plage,
Me rapportait tes chants prolongés sur les flots.

" Quand la vague a grondé sur la côte écumante,
À l'étoile des mers j'ai murmuré ton nom,
J'ai rallumé sa lampe, et de ta seule amante
L'amoureuse prière a fait fuir l'aquilon !

" Maintenant sous le ciel tout repose, ou tout aime :
La vague en ondulant vient dormir sur le bord ;
La fleur dort sur sa tige, et la nature même
Sous le dais de la nuit se recueille et s'endort.

" Vois ! la mousse a pour nous tapissé la vallée,
Le pampre s'y recourbe en replis tortueux,
Et l'haleine de l'onde, à l'oranger mêlée,
De ses fleurs qu'elle effeuille embaume mes cheveux.

" A la molle clarté de la voûte sereine
Nous chanterons ensemble assis sous le jasmin,
Jusqu'à l'heure où la lune, en glissant vers Misène,
Se perd en pâlissant dans les feux du matin. "

Elle chante ; et sa voix par intervalle expire,
Et, des accords du luth plus faiblement frappés,
Les échos assoupis ne livrent au zéphire
Que des soupirs mourants, de silence coupés !

Celui qui, le coeur plein de délire et de flamme,
A cette heure d'amour, sous cet astre enchanté,
Sentirait tout à coup le rêve de son âme
S'animer sous les traits d'une chaste beauté ;

Celui qui, sur la mousse, au pied du sycomore,
Au murmure des eaux, sous un dais de saphirs,
Assis à ses genoux, de l'une à l'autre aurore,
N'aurait pour lui parler que l'accent des soupirs ;

Celui qui, respirant son haleine adorée,
Sentirait ses cheveux, soulevés par les vents,
Caresser en passant sa paupière effleurée,
Ou rouler sur son front leurs anneaux ondoyants ;

Celui qui, suspendant les heures fugitives,
Fixant avec l'amour son âme en ce beau lieu,
Oublierait que le temps coule encor sur ces rives,
Serait-il un mortel, ou serait-il un dieu ?...

Et nous, aux doux penchants de ces verts Elysées,
Sur ces bords où l'amour eût caché son Eden,
Au murmure plaintif des vagues apaisées,
Aux rayons endormis de l'astre élysien,

Sous ce ciel où la vie, où le bonheur abonde,
Sur ces rives que l'oeil se plaît à parcourir,
Nous avons respiré cet air d'un autre monde,
Elyse !... et cependant on dit qu'il faut mourir !
Pour que je t'aime, ô mon poète,
Ne fais pas fuir par trop d'ardeur
Mon amour, colombe inquiète,
Au ciel rose de la pudeur.

L'oiseau qui marche dans l'allée
S'effraye et part au moindre bruit ;
Ma passion est chose ailée
Et s'envole quand on la suit.

Muet comme l'Hermès de marbre,
Sous la charmille pose-toi ;
Tu verras bientôt de son arbre
L'oiseau descendre sans effroi.

Tes tempes sentiront près d'elles,
Avec des souffles de fraîcheur,
Une palpitation d'ailes
Dans un tourbillon de blancheur,

Et la colombe apprivoisée
Sur ton épaule s'abattra,
Et son bec à pointe rosée
De ton baiser s'enivrera.
Fable XII, Livre V.


LA LOUVE.

Rarement à changer on gagne.
Pourquoi veux-tu courir les champs ?
Crois-moi, reste sur la montagne.
J'aime ces bois, j'aime les chants
Que ce vieux pâtre y fait entendre.
Son chien n'est pas des plus méchants.
Plus prompt à fuir qu'à se défendre,
S'il aboie, il ne mord jamais ;
On n'y vit que de chevreau ; mais,
S'il n'est gras, du moins est-il tendre.

LE LOUP.

Qui ? moi ! rester dans ces déserts
Pour n'ouïr que les mêmes airs
Sur des pipeaux toujours plus aigres ?
Qui ? moi ! rester sur ce rocher
Pour jeûner ou pour n'accrocher
Que des chevreaux toujours plus maigres
À ce mets borner mon espoir,
Et d'agneaux quand la plaine abonde,
N'en pas tâter, n'en pas plus voir
Que s'il n'en était point au monde ?
Ah ! fuyons **** de ce canton,
Théâtre obscur pour mon courage !
Vous le savez : dès mon jeune âge,
J'aimai la gloire et le mouton.
J'y retourne : en un frais bocage
Qu'environnent des prés fleuris,
Où sont rassemblés et nourris
Les doux agneaux du voisinage,
Demain, ce soir, je m'établis
Tout au beau milieu des brebis.
Défrayé par droit de conquête,
Comme un héros russe ou prussien,
J'engraisse là sans craindre rien ;
Car est-il ou berger ou chien
Assez fort pour me faire tête ?

LA LOUVE.

Sur ce point je suis sans effroi.
Pris séparément, ce me semble,
Aucun d'eux n'est plus fort que toi ;
Mais si l'intérêt les rassemble,
Mon fils, crois-tu de bonne foi
Être aussi fort qu'eux tous ensemble ?
Un paon faisait la roue, et les autres oiseaux
Admiraient son brillant plumage.
Deux oisons nasillards du fond d'un marécage
Ne remarquaient que ses défauts.
Regarde, disait l'un, comme sa jambe est faite,
Comme ses pieds sont plats, hideux.
Et son cri, disait l'autre, est si mélodieux,
Qu'il fait fuir jusqu'à la chouette.
Chacun riait alors du mot qu'il avait dit.
Tout-à-coup un plongeon sortit :
Messieurs, leur cria-t-il, vous voyez d'une lieue
Ce qui manque à ce paon : c'est bien voir, j'en conviens ;
Mais votre chant, vos pieds, sont plus laids que les siens,
Et vous n'aurez jamais sa queue.
À M. le vicomte de Chateaubriand.

I.

« Qui de nous, en posant une urne cinéraire,
N'a trouvé quelque ami pleurant sur un cercueil ?
Autour du froid tombeau d'une épouse ou d'un frère,
Qui de nous n'a mené le deuil ? »
- Ainsi sur les malheurs de la France éplorée
Gémissait la Muse sacrée
Qui nous montra le ciel ouvert,
Dans ces chants où, planant sur Rome et sur Palmyre,
Sublime, elle annonçait les douceurs du martyre
Et l'humble bonheur du désert.

Depuis, à nos tyrans rappelant tous leurs crimes,
Et vouant aux remords ces cœurs sans repentirs,
Elle a dit : « En ces temps la France eut des victimes ;
Mais la Vendée eut des martyrs ! »
- Déplorable Vendée, a-t-on séché tes larmes ?
Marches-tu, ceinte de tes armes,
Au premier rang de nos guerriers ?
Si l'honneur, si la foi n'est pas un vain fantôme,
Montre-moi quels palais ont remplacé le chaume
De tes rustiques chevaliers.

Hélas ! tu te souviens des jours de ta misère !
Des flots de sang baignaient tes sillons dévastés,
Et le pied des coursiers n'y foulait de poussière
Que la cendre de tes cités.
Ceux-là qui n'avaient pu te vaincre avec l'épée
Semblaient, dans leur rage trompée,
Implorer l'enfer pour appui ;
Et, roulant sur la plaine en torrents de fumée,
Le vaste embrasement poursuivait ton armée,
Qui ne fuyait que devant lui.

II.

La Loire, vit alors, sur ses plages désertes,
S'assembler les tribus des vengeurs de nos rois,
Peuple qui ne pleurait, fier de ses nobles pertes,
Que sur le trône et sur la croix.
C'étaient quelques vieillards fuyant leurs toits en flammes
C'étaient des enfants et des femmes,
Suivis d'un reste de héros ;
Au milieu d'eux marchait leur patrie exilée,
Car ils ne laissaient plus qu'une terre peuplée
De cadavres et de bourreaux.

On dit qu'en ce moment, dans un divin délire,
Un vieux prêtre parut parmi ces fiers soldats,
Comme un saint chargé d'ans qui parle du martyre
Aux nobles anges des combats ;
Tranquille, en proclamant de sinistres présages,
Les souvenirs des anciens âges
S'éveillaient dans son cœur glacé ;
Et, racontant le sort qu'ils devaient tous attendre,
La voix de l'avenir semblait se faire attendre,
Dans ses discours pleins du passé.

III.

« Au delà du Jourdain, après quarante années,
Dieu promit une terre aux enfants d'Israël
Au-delà de ces flots, après quelques journées,
Le Seigneur vous promet le ciel.
Ces bords ne verront plus vos phalanges errantes ;
Dieu, sur des plaines dévorantes,
Vous prépare un tombeau lointain ;
Votre astre doit s'éteindre, à peine à son aurore ;
Mais Samson expirant peut ébranler encore
Les colonnes du Philistin.

« Vos guerriers périront ; mais, toujours invincibles,
S'ils ne peuvent punir, ils sauront se venger ;
Car ils verront encor fuir ces soldats terribles
Devant qui fuyait l'étranger.
Vous ne mourrez pas tous sous des bras intrépides ;
Les uns, sur des nefs homicides,
Seront jetés aux flots mouvants ;
Ceux-là promèneront des os sans sépulture,
Et cacheront leurs morts sous une terre obscure,
Pour les dérober aux vivants.

« Et vous, ô jeune chef, ravi par la victoire
Aux hasards de Mortagne, aux périls de Saumur,
L'honneur de vous frapper dans un combat sans gloire
Rendra célèbre un bras obscur.
Il ne sera donné qu'à bien peu de nos frères
De revoir, après tant de guerres,
La place où furent leurs foyers ;
Alors, ornant son toit de ses armes oisives,
Chacun d'eux attendra que Dieu donne à nos rives
Les lys, qu'il préfère aux lauriers.

« Vendée, ô noble terre ! ô ma triste patrie !
Tu dois payer bien cher le retour de tes rois !
Avant que sur nos bords croisse la fleur chérie,
Ton sang l'arrosera deux fois.
Mais aussi, lorsqu'un jour l'Europe réunie
De l'arbre de la tyrannie
Aura brisé les rejetons,
Tous les rois vanteront leurs camps, leur flotte immense,
Et, seul, le roi chrétien mettra dans la balance
L'humble glaive des vieux Bretons.

« Grand Dieu ! - Si toutefois, après ces jours d'ivresse,
Blessant le cœur aigri du héros oublié,
Une voix insultante offrait à sa détresse
Les dons ingrats de la pitié ;
Si sa mère, et sa veuve, et sa fille, éplorées,
S'arrêtaient, de faim dévorées,
Au seuil d'un favori puissant,
Rappelant à celui qu'implore leur misère
Qu'elles n'ont plus ce fils, cet époux et ce père
Qui croyait leur léguer son sang ;

« Si, pauvre et délaissé, le citoyen fidèle,
Lorsqu'un traître enrichi se rirait de sa foi,
Entendait au sénat calomnier son zèle
Par celui qui jugea son roi ;
Si, pour comble d'affronts, un magistrat injuste,
Déguisant sous un nom auguste
L'abus d'un insolent pouvoir,
Venait, de vils soupçons chargeant sa noble tête,
Lui demander ce fer, sa première conquête, -
Peut-être son dernier espoir ;

« Qu'il se résigne alors. - Par ses crimes prospères
L'impie heureux insulte au fidèle souffrant ;
Mais que le juste pense aux forfaits de nos pères,
Et qu'il songe à son Dieu mourant.
Le Seigneur veut parfois le triomphe du vice,
Il veut aussi, dans sa justice,
Que l'innocent verse des pleurs ;
Souvent, dans ses desseins, Dieu suit d'étranges voies,
Lui qui livre Satan aux infernales joies,
Et Marie aux saintes douleurs. »

IV.

Le vieillard s'arrêta. Sans croire à son langage,
Ils quittèrent ces bords, pour n'y plus revenir ;
Et tous croyaient couvert des ténèbres de l'âge
L'esprit qui voyait l'avenir.
Ainsi, faible en soldats, mais fort en renommée,
Ce débris d'une illustre armée
Suivait sa bannière en lambeaux ;
Et ces derniers français, que rien ne put défendre,
**** de leur temple en deuil et de leur chaume en cendre,
Allaient conquérir des tombeaux !

1819.
Ma sœur, écoute-moi ! je vais t'ouvrir mon cœur...
Mais détourne un instant ton regard scrutateur ;
Pour mes quinze printemps, ne sois pas trop sévère !
Tu promis de m'aimer à notre vieille mère.
Un ange aux blonds cheveux déjà te doit le jour :
Étends aussi sur moi l'aile de ton amour !

Si de la vie, à peine, il voit la première heure,
Moi, je suis faible aussi, je me trouble et je pleure.
Dans ce monde joyeux où j'avance en tremblant,
Comme des pas d'enfant, mon pas est chancelant.
Tu cherches à sonder les replis de mon âme,
Tu crois me deviner et ton regard me blâme ;
Ne crains rien si parfois je soupire tout bas...
Je t'assure, ma sœur, que je ne l'aime pas !

L'amour, c'est le bonheur, doux, riant comme un rêve,
Et dans les pleurs pour moi le jour vient et s'achève.
Jadis, j'aimais le monde et ses plaisirs bruyants,
Et devant mon miroir je m'arrêtais longtemps ;
J'aimais le blanc tissu de ma robe légère,
Et de mes fleurs du soir la fraîcheur mensongère ;
J'aimais, d'un bal brillant la lumière et le bruit,
Et ce choix d'un instant qu'aucun regret ne suit :
Mais, au lieu du bonheur qu'on dit que l'amour donne,
À des pensers amers mon âme s'abandonne...
Ne crains rien si parfois je soupire tout bas,
Car tu vois bien, ma sœur, que je ne l'aime pas !

De celui que l'on aime on chérit la présence,
On bénit le moment qui fait cesser l'absence ;
On se plaint **** de lui de la longueur du jour,
On veut presser le temps pour hâter son retour.
Lorsque j'entends la voix ou les pas de mon frère,
Je souris, et je cours pour le voir la première ;
Mais quand c'est lui... ma sœur, je frémis malgré moi...
Sa présence me trouble et me glace d'effroi !
Lorsque j'entends ses pas, tremblante, je m'arrête,
Et pour fuir son regard, je détourne la tête.
Ne crains rien si parfois je soupire tout bas,
Car tu vois bien, ma sœur, que je ne l'aime pas !

Quand je vois le bonheur briller sur ton visage,
Je bénis le Seigneur qui chasse au **** l'orage,
Mes yeux suivent tes yeux, je souris comme toi ;
J'aime quand ton cœur aime, et je crois de ta foi ;
Je confonds doucement mon âme avec la tienne,
Je veux que ton bonheur, comme à toi, m'appartienne.
Mais, comme lui, ma sœur, jamais je ne sens rien ;
Sa gaîté me fait mal, ses pleurs me font du bien.
Lorsque j'entends louer les traits de son visage,
Je voudrais qu'il fût laid et je pleure de rage !
Lorsqu'il part pour le bal, mon cœur, cruel pour lui,
Voudrait qu'il n'y trouvât que tristesse et qu'ennui ;
Je hais tous ses amis, je m'afflige qu'on l'aime,
Je voudrais l'isoler, l'éloigner de toi-même...
Ne crains rien si parfois je soupire tout bas,
Car tu vois bien, ma sœur, que je ne l'aime pas !
I

Le carnaval s'en va, les roses vont éclore ;
Sur les flancs des coteaux déjà court le gazon.
Cependant du plaisir la frileuse saison
Sous ses grelots légers rit et voltige encore,
Tandis que, soulevant les voiles de l'aurore,
Le Printemps inquiet paraît à l'horizon.

II

Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ;
Bien que le laboureur le craigne justement,
L'univers y renaît ; il est vrai que le vent,
La pluie et le soleil s'y disputent l'empire.
Qu'y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ;
C'est sa première larme et son premier sourire.

III

C'est dans le mois de mars que tente de s'ouvrir
L'anémone sauvage aux corolles tremblantes.
Les femmes et les fleurs appellent le zéphyr ;
Et du fond des boudoirs les belles indolentes,
Balançant mollement leurs tailles nonchalantes,
Sous les vieux marronniers commencent à venir.

IV

C'est alors que les bals, plus joyeux et plus rares,
Prolongent plus longtemps leurs dernières fanfares ;
À ce bruit qui nous quitte, on court avec ardeur ;
La valseuse se livre avec plus de langueur :
Les yeux sont plus hardis, les lèvres moins avares,
La lassitude enivre, et l'amour vient au coeur.

V

S'il est vrai qu'ici-bas l'adieu de ce qu'on aime
Soit un si doux chagrin qu'on en voudrait mourir,
C'est dans le mois de mars, c'est à la mi-carême,
Qu'au sortir d'un souper un enfant du plaisir
Sur la valse et l'amour devrait faire un poème,
Et saluer gaiement ses dieux prêts à partir.

VI

Mais qui saura chanter tes pas pleins d'harmonie,
Et tes secrets divins, du vulgaire ignorés,
Belle Nymphe allemande aux brodequins dorés ?
Ô Muse de la valse ! ô fleur de poésie !
Où sont, de notre temps, les buveurs d'ambroisie
Dignes de s'étourdir dans tes bras adorés ?

VII

Quand, sur le Cithéron, la Bacchanale antique
Des filles de Cadmus dénouait les cheveux,
On laissait la beauté danser devant les dieux ;
Et si quelque profane, au son de la musique,
S'élançait dans les choeurs, la prêtresse impudique
De son thyrse de fer frappait l'audacieux.

VIII

Il n'en est pas ainsi dans nos fêtes grossières ;
Les vierges aujourd'hui se montrent moins sévères,
Et se laissent toucher sans grâce et sans fierté.
Nous ouvrons à qui veut nos quadrilles vulgaires ;
Nous perdons le respect qu'on doit à la beauté,
Et nos plaisirs bruyants font fuir la volupté.

IX

Tant que régna chez nous le menuet gothique,
D'observer la mesure on se souvint encor.
Nos pères la gardaient aux jours de thermidor,
Lorsqu'au bruit des canons dansait la République,
Lorsque la Tallien, soulevant sa tunique,
Faisait de ses pieds nus claquer les anneaux d'or.

X

Autres temps, autres moeurs ; le rythme et la cadence
Ont suivi les hasards et la commune loi.
Pendant que l'univers, ligué contre la France,
S'épuisait de fatigue à lui donner un roi,
La valse d'un coup d'aile a détrôné la danse.
Si quelqu'un s'en est plaint, certes, ce n'est pas moi.

XI

Je voudrais seulement, puisqu'elle est notre hôtesse,
Qu'on sût mieux honorer cette jeune déesse.
Je voudrais qu'à sa voix on pût régler nos pas,
Ne pas voir profaner une si douce ivresse,
Froisser d'un si beau sein les contours délicats,
Et le premier venu l'emporter dans ses bras.

XII

C'est notre barbarie et notre indifférence
Qu'il nous faut accuser ; notre esprit inconstant
Se prend de fantaisie et vit de changement ;
Mais le désordre même a besoin d'élégance ;
Et je voudrais du moins qu'une duchesse, en France,
Sût valser aussi bien qu'un bouvier allemand.
Vois-tu comme le flot paisible
Sur le rivage vient mourir !
Vois-tu le volage zéphyr
Rider, d'une haleine insensible,
L'onde qu'il aime à parcourir !
Montons sur la barque légère
Que ma main guide sans efforts,
Et de ce golfe solitaire
Rasons timidement les bords.

**** de nous déjà fuit la rive.
Tandis que d'une main craintive
Tu tiens le docile aviron,
Courbé sur la rame bruyante
Au sein de l'onde frémissante
Je trace un rapide sillon.

Dieu ! quelle fraîcheur on respire !
Plongé dans le sein de Thétis,
Le soleil a cédé l'empire
A la pâle reine des nuits.
Le sein des fleurs demi-fermées
S'ouvre, et de vapeurs embaumées
En ce moment remplit les airs ;

Et du soir la brise légère
Des plus doux parfums de la terre
A son tour embaume les mers.

Quels chants sur ces flots retentissent ?
Quels chants éclatent sur ces bords ?
De ces deux concerts qui s'unissent
L'écho prolonge les accords.
N'osant se fier aux étoiles,
Le pêcheur, repliant ses voiles,
Salue, en chantant, son séjour.
Tandis qu'une folle jeunesse
Pousse au ciel des cris d'allégresse,
Et fête son heureux retour.

Mais déjà l'ombre plus épaisse
Tombe, et brunit les vastes mers ;
Le bord s'efface, le bruit cesse,
Le silence occupe les airs.
C'est l'heure où la mélancolie
S'assoit pensive et recueillie
Aux bords silencieux des mers,
Et, méditant sur les ruines,
Contemple au penchant des collines
Ce palais, ces temples déserts.

O de la liberté vieille et sainte patrie !
Terre autrefois féconde en sublimes vertus !
Sous d'indignes Césars maintenant asservie,
Ton empire est tombé ! tes héros ne sont plus !
Mais dans ton sein l'âme agrandie
Croit sur leurs monuments respirer leur génie,
Comme on respire encor dans un temple aboli
La majesté du dieu dont il était rempli.
Mais n'interrogeons pas vos cendres généreuses,
Vieux Romains ! fiers Catons ! mânes des deux Brutus !
Allons redemander à ces murs abattus
Des souvenirs plus doux, des ombres plus heureuses,

Horace, dans ce frais séjour,
Dans une retraite embellie
Par le plaisir et le génie,
Fuyait les pompes de la cour ;
Properce y visitait Cinthie,
Et sous les regards de Délie
Tibulle y modulait les soupirs de l'amour.
Plus ****, voici l'asile où vint chanter le Tasse,
Quand, victime à la fois du génie et du sort,
Errant dans l'univers, sans refuge et sans port,
La pitié recueillit son illustre disgrâce.
Non **** des mêmes bords, plus **** il vint mourir ;
La gloire l'appelait, il arrive, il succombe :
La palme qui l'attend devant lui semble fuir,
Et son laurier tardif n'ombrage que sa tombe.

Colline de Baya ! poétique séjour !
Voluptueux vallon qu'habita tour à tour
Tout ce qui fut grand dans le monde,
Tu ne retentis plus de gloire ni d'amour.
Pas une voix qui me réponde,
Que le bruit plaintif de cette onde,
Ou l'écho réveillé des débris d'alentour !

Ainsi tout change, ainsi tout passe ;
Ainsi nous-mêmes nous passons,
Hélas ! sans laisser plus de trace
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s'efface.
L'année avait trois fois noué mon humble trame,
Et modelé ma forme en y broyant ses fleurs ,
Et trois fois de ma mère acquitté les douleurs,
Quand le Banc de la tienne éclata : ma jeune âme
Eut dès lors sa promise et l'attira toujours,
Toujours ; tant qu'à la fin elle entra dans mes jours.
Et lorsqu'à ton insu tu venais vers ma vie,
J'inventais par le monde un chemin jusqu'à toi ;
C'était **** ; mais l'étoile allait, cherchait pour moi,
Et me frayait la terre où tu m'avais suivie,
Ou tu me reconnus d'autre part ; oui, des cieux ;
Moi de même ; il restait tant de ciel dans tes jeux !

Mais le sais-tu ? trois fois le jour de la naissance
Baisa mon front limpide assoupi d'innocence,
Avant que ton étoile à toi, lente à venir,
Descendît marier notre double avenir.
Oh ! devions-nous ainsi naître absents de nous-mêmes !
Toi, tu ne le sais pas en ce moment ; tu m'aimes,
Je ne suis pas l'aînée. Encor vierge au bonheur,
J'avais un pur aimant pour attirer ton cœur ;
Car le mien, fleur tardive en soi-même exilée,
N'épanouit qu'à toi sa couronne voilée,
Cœur d'attente oppressé dans un tremblant séjour
Où ma mère enferma son nom de femme : Amour.

Comme le rossignol qui meurt de mélodie
Souffle sur son enfant sa tendre maladie,
Morte d'aimer, ma mère, à son regard d'adieu,
Me raconta son âme et me souffla son Dieu.
Triste de me quitter, cette mère charmante,
Me léguant à regret la flamme qui tourmente,
Jeune, à son jeune enfant tendit longtemps sa main,
Comme pour le sauver par le même chemin.
Et je restai longtemps, longtemps, sans la comprendre,
Et longtemps à pleurer son secret sans l'apprendre,
A pleurer de sa mort le mystère inconnu,
Le portant tout scellé dans mon cœur ingénu,
Ce cœur signé d'amour comme sa tendre proie,
Où pas un chant mortel n'éveillait une joie.
On eût dit, à sentir ses faibles battements,
Une montre cachée où s'arrêtait le temps ;
On eût dit qu'à plaisir il se retint de vivre.
Comme un enfant dormeur qui n'ouvre pas son livre,
Je ne voulais rien lire à mon sort, j'attendais ;
Et tous les jours levés sur moi, je les perdais.
Par ma ceinture noire à la terre arrêtée,
Ma mère était partie et tout m'avait quittée :
Le monde était trop grand, trop défait, trop désert ;
Une voix seule éteinte en changeait le concert :
Je voulais me sauver de ses dures contraintes,
J'avais peur de ses lois, de ses morts, de ses craintes,
Et ne sachant où fuir ses échos durs et froids,
Je me prenais tout haut à chanter mes effrois !

Mais quand tu dis : « Je viens ! » quelle cloche de fête
Fit bondir le sommeil attardé sur ma tête ;
Quelle rapide étreinte attacha notre sort,
Pour entre-ailer nos jours d'un fraternel essor !
Ma vie, elle avait froid, s'alluma dans la tienne,
Et ma vie a brillé, comme on voit au soleil
Se dresser une fleur sans que rien la soutienne,
Rien qu'un baiser de l'air, rien qu'un rayon vermeil...
Aussi, dès qu'en entier ton âme m'eut saisie,
Tu fus ma piété ! Mon ciel ! Ma poésie !
Aussi, sans te parler, je te nomme souvent
Mon frère devant Dieu ! Mon âme ! Ou mon enfant !
Tu ne sauras jamais, comme je sais moi-même,
A quelle profondeur je t'atteins et je t'aime !
Tu serais par la mort arraché de mes vœux,
Que pour te ressaisir mon âme aurait des yeux,
Des lueurs, des accents, des larmes, des prières,
Qui forceraient la mort à rouvrir tes paupières !
Je sais de quels frissons ta mère a dû frémir
Sur tes sommeils d'enfant : moi, je t'ai vu dormir :
Tous ses effrois charmants ont tremblé dans mon âme ;
Tu dis vrai, tu dis vrai ; je ne suis qu'une femme ;
Je ne sais qu'inventer pour te faire un bonheur ;
Une surprise à voir s'émerveiller ton cœur !

Toi, ne sois pas jaloux ! Quand tu me vois penchée,
Quand tu me vois me taire, et te craindre et souffrir,
C'est que l'amour m'accable. Oh ! Si j'en dois mourir,
Attends : je veux savoir si, quand tu m'as cherchée,
Tu t'es dit : « Voici l'âme où j'attache mon sort
Et que j'épouserai dans la vie ou la mort. »
Oh ! Je veux le savoir. Oh ! L'as-tu dit ? ... pardonne !
On est étrange, on veut échanger ce qu'on donne.
Ainsi, pour m'acquitter de ton regard à toi,
Je voudrais être un monde et te dire : « Prends-moi ! »
Née avant toi... douleur ! Tu le verrais peut-être,
Si je vivais trop ****. Ne le fais point paraître,
Ne dis pas que l'amour sait compter, trompe-moi :
Je m'en ressouviendrai pour mourir avant toi !
Dans ce nid furtif où nous sommes,
Ô ma chère âme, seuls tous deux,
Qu'il est bon d'oublier les hommes,
Si près d'eux !

Pour ralentir l'heure fuyante,
Pour la goûter, il ne faut pas
Une félicité bruyante ;
Parlons bas.

Craignons de la hâter d'un geste,
D'un mot, d'un souffle seulement,
D'en perdre, tant elle est céleste,
Un moment.

Afin de la sentir bien nôtre,
Afin de la bien ménager,
Serrons-nous tout près l'un de l'autre
Sans bouger ;

Sans même lever la paupière :
Imitons le chaste repos
De ces vieux châtelains de pierre
Aux yeux clos,

Dont les corps sur les mausolées,
Immobiles et tout vêtus,
**** de leurs âmes envolées
Se sont tus ;

Dans une alliance plus haute
Que les terrestres unions,
Gravement comme eux côte à côte,
Sommeillons.

Car nous n'en sommes plus aux fièvres
D'un jeune amour qui peut finir ;
Nos cœurs n'ont plus besoin des lèvres
Pour s'unir,

Ni des paroles solennelles
Pour changer leur culte en devoir,
Ni du mirage des prunelles
Pour se voir.

Ne me fais plus jurer que j'aime,
Ne me fais plus dire comment ;
Goûtons la félicité même
Sans serment.

Savourons, dans ce que nous disent
Silencieusement nos pleurs,
Les tendresses qui divinisent
Les douleurs !

Chère, en cette ineffable trêve
Le désir enchanté s'endort ;
On rêve à l'amour comme on rêve
À la mort.

On croit sentir la fin du monde ;
L'univers semble chavirer
D'une chute douce et profonde,
Et sombrer...

L'âme de ses fardeaux s'allège
Par la fuite immense de tout ;
La mémoire comme une neige
Se dissout.

Toute la vie ardente et triste
Semble anéantie à l'entour,
Plus rien pour nous, plus rien n'existe
Que l'amour.

Aimons en paix : il fait nuit noire,
La lueur blême du flambeau
Expire... nous pouvons nous croire
Au tombeau.

Laissons-nous dans les mers funèbres,
Comme après le dernier soupir,
Abîmer, et par leurs ténèbres
Assoupir...

Nous sommes sous la terre ensemble
Depuis très longtemps, n'est-ce pas ?
Écoute en haut le sol qui tremble
Sous les pas.

Regarde au **** comme un vol sombre
De corbeaux, vers le nord chassé,
Disparaître les nuits sans nombre
Du passé,

Et comme une immense nuée
De cigognes (mais sans retours !)
Fuir la blancheur diminuée
Des vieux jours...

Hors de la sphère ensoleillée
Dont nous subîmes les rigueurs,
Quelle étrange et douce veillée
Font nos cœurs ?

Je ne sais plus quelle aventure
Nous a jadis éteint les yeux,
Depuis quand notre extase dure,
En quels cieux.

Les choses de la vie ancienne
Ont fui ma mémoire à jamais,
Mais du plus **** qu'il me souvienne
Je t'aimais...

Par quel bienfaiteur fut dressée
Cette couche ? Et par quel *****
Fut pour toujours ta main laissée
Dans ma main ?

Mais qu'importe ! ô mon amoureuse,
Dormons dans nos légers linceuls,
Pour l'éternité bienheureuse
Enfin seuls !
Qu'entends-je ? autour de moi l'airain sacré résonne !
Quelle foule pieuse en pleurant m'environne ?
Pour qui ce chant funèbre et ce pâle flambeau ?
Ô mort, est-ce ta voix qui frappe mon oreille
Pour la dernière fois ? eh quoi ! je me réveille
Sur le bord du tombeau !

Ô toi ! d'un feu divin précieuse étincelle,
De ce corps périssable habitante immortelle,
Dissipe ces terreurs : la mort vient t'affranchir !
Prends ton vol, ô mon âme ! et dépouille tes chaînes.
Déposer le fardeau des misères humaines,
Est-ce donc là mourir ?

Oui, le temps a cessé de mesurer mes heures.
Messagers rayonnants des célestes demeures,
Dans quels palais nouveaux allez-vous me ravir ?
Déjà, déjà je nage en des flots de lumière ;
L'espace devant moi s'agrandit, et la terre
Sous mes pieds semble fuir !

Mais qu'entends-je ? au moment où mon âme s'éveille,
Des soupirs, des sanglots ont frappé mon oreille ?
Compagnons de l'exil, quoi ! vous pleurez ma mort ?
Vous pleurez ? et déjà dans la coupe sacrée
J'ai bu l'oubli des maux, et mon âme enivrée
Entre au céleste port !
Fable I, Livre II.

À M. Andrieux, de L'Institut.


Toi qui vis vraiment comme un sage,
Sans te montrer, sans te cacher,
Sans fuir les grands, sans les chercher,
Exemple assez rare en notre âge ;
Pardonne-moi, cher Andrieux,
Dans ces vers qu'aux vents je confie,
De dévoiler à tous les yeux
Ta secrète philosophie.

Certain Lapon des plus trapus,
Certain Cafre des plus camus,
Équipaient, comme on dit, de la bonne manière,
Un homme qui, fermant l'oreille à leurs raisons
Vantait l'astre éclatant qui préside aux saisons,
Enfante la chaleur, et produit la lumière.
- Peut-il ériger, s'il n'est fou,
En bienfaiteur de la nature,
Un astre qui, six mois, me cache sa figure,
Et va briller je ne sais où,
Tandis que je gèle en mon trou,
Malgré ma femme et ma fourrure ?
On conçoit que celui qui s'exprimait ainsi
N'était pas l'habitant de la zone torride.
Pour moi, disait cet autre, en mon climat aride,
Je ne gèle pas, Dieu merci !
Mais je rôtis en récompense ;
Et sans avoir l'honneur d'être Lapon, je pense
Qu'un fou, lui seul, a pu vanter
La douce et bénigne influence
Du soleil, qui ne luit que pour me tourmenter ;
Qui, d'un bout de l'année à l'autre,
Embrase la terre, les airs,
Et porte en mon pays, jusques au fond des mers,
La chaleur qu'il refuse au vôtre.
Le fou, qui cependant célébrait les bienfaits
Du roi de la plaine éthérée,
Fils de la zone tempérée,
N'était rien moins que fou, quoiqu'il fût né Français.
Sans se formaliser des vives apostrophes
Du nègre et du nain philosophes,
Seigneur Lapon, dit-il, votre raisonnement
Est sans réplique, en Sibérie ;
Comme le vôtre en Cafrerie,
Monsieur le noir ; mais franchement,
Autre part, c'est tout autrement.
En France, par exemple, on ne vous croirait guère.
L'astre à qui vous faites la guerre,
Là, par ses rayons bienfaisants,
De fleurs et de fruits, tous les ans,
Couvre mes champs et mon parterre ;
S'éloignant sans trop me geler,
S'approchant sans trop me brûler,
De mon climat, qu'il favorise ;
À la faucille, au soc, il livre tour à tour
Mes campagnes, qu'il fertilise
Par son départ et son retour.
Vous qui craignez le feu, vous qui craignez la glace
Venez donc à Paris. Gens d'excellent conseil
Disent qu'un sage ne se place
Trop près ni trop **** du soleil.

— The End —