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Te referent fluctus.
HORACE.

Naguère une même tourmente,
Ami, battait nos deux esquifs ;
Une même vague écumante
Nous jetait aux mêmes récifs ;
Les mêmes haines débordées
Gonflaient sous nos nefs inondées
Leurs flots toujours multipliés,
Et, comme un océan qui roule,
Toutes les têtes de la foule
Hurlaient à la fois sous nos pieds !

Qu'allais-je faire en cet orage,
Moi qui m'échappais du berceau ?
Moi qui vivais d'un peu d'ombrage
Et d'un peu d'air, comme l'oiseau ?
A cette mer qui le repousse
Pourquoi livrer mon nid de mousse
Où le jour n'osait pénétrer ?
Pourquoi donner à la rafale
Ma belle robe nuptiale
Comme une voile à déchirer ?

C'est que, dans mes songes de flamme,
C'est que, dans mes rêves d'enfant,
J'avais toujours présents à l'âme
Ces hommes au front triomphant,
Qui tourmentés d'une autre terre,
En ont deviné le mystère
Avant que rien en soit venu,
Dont la tête au ciel est tournée,
Dont l'âme, boussole obstinée,
Toujours cherche un pôle inconnu.

Ces Gamas, en qui rien n'efface
Leur indomptable ambition,
Savent qu'on n'a vu qu'une face
De l'immense création.
Ces Colombs, dans leur main profonde,
Pèsent la terre et pèsent l'onde
Comme à la balance du ciel,
Et, voyant d'en haut toute cause,
Sentent qu'il manque quelque chose
A l'équilibre universel.

Ce contre-poids qui se dérobe,
Ils le chercheront, ils iront ;
Ils rendront sa ceinture au globe,
A l'univers sont double front.
Ils partent, on plaint leur folie.
L'onde les emporte ; on oublie
Le voyage et le voyageur... -
Tout à coup de la mer profonde
Ils ressortent avec leur monde,
Comme avec sa perle un plongeur !

Voilà quelle était ma pensée.
Quand sur le flot sombre et grossi
Je risquai ma nef insensée,
Moi, je cherchais un monde aussi !
Mais, à peine **** du rivage,
J'ai vu sur l'océan sauvage
Commencer dans un tourbillon
Cette lutte qui me déchire
Entre les voiles du navire
Et les ailes de l'aquilon.

C'est alors qu'en l'orage sombre
J'entrevis ton mât glorieux
Qui, bien avant le mien, dans l'ombre,
Fatiguait l'autan furieux.
Alors, la tempête était haute,
Nous combattîmes côte à côte,
Tous deux, mois barque, toi vaisseau,
Comme le frère auprès du frère,
Comme le nid auprès de l'aire,
Comme auprès du lit le berceau !

L'autan criait dans nos antennes,
Le flot lavait nos ponts mouvants,
Nos banderoles incertaines
Frissonnaient au souffle des vents.
Nous voyions les vagues humides,
Comme des cavales numides,
Se dresser, hennir, écumer ;
L'éclair, rougissant chaque lame,
Mettait des crinières de flamme
A tous ces coursiers de la mer.

Nous, échevelés dans la brume,
Chantant plus haut dans l'ouragan,
Nous admirions la vaste écume
Et la beauté de l'océan.
Tandis que la foudre sublime
Planait tout en feu sur l'abîme,
Nous chantions, hardis matelots,
La laissant passer sur nos têtes,
Et, comme l'oiseau des tempêtes,
Tremper ses ailes dans les flots.

Echangeant nos signaux fidèles
Et nous saluant de la voix,
Pareils à deux soeurs hirondelles,
Nous voulions, tous deux à la fois,
Doubler le même promontoire,
Remporter la même victoire,
Dépasser le siècle en courroux ;
Nous tentions le même voyage ;
Nous voyions surgir dans l'orage
Le même Adamastor jaloux !

Bientôt la nuit toujours croissante,
Ou quelque vent qui t'emportait,
M'a dérobé ta nef puissante
Dont l'ombre auprès de moi flottait.
Seul je suis resté sous la nue.
Depuis, l'orage continue,
Le temps est noir, le vent mauvais ;
L'ombre m'enveloppe et m'isole,
Et, si je n'avais ma boussole,
Je ne saurais pas où je vais.

Dans cette tourmente fatale
J'ai passé les nuits et les jours,
J'ai pleuré la terre natale,
Et mon enfance et mes amours.
Si j'implorais le flot qui gronde,
Toutes les cavernes de l'onde
Se rouvraient jusqu'au fond des mers ;
Si j'invoquais le ciel, l'orage,
Avec plus de bruit et de rage,
Secouait se gerbe d'éclairs.

Longtemps, laissant le vent bruire,
Je t'ai cherché, criant ton nom.
Voici qu'enfin je te vois luire
A la cime de l'horizon
Mais ce n'est plus la nef ployée,
Battue, errante, foudroyée
Sous tous les caprices des cieux,
Rêvant d'idéales conquêtes,
Risquant à travers les tempêtes
Un voyage mystérieux.

C'est un navire magnifique
Bercé par le flot souriant,
Qui, sur l'océan pacifique,
Vient du côté de l'orient.
Toujours en avant de sa voile
On voit cheminer une étoile
Qui rayonne à l'oeil ébloui ;
Jamais on ne le voit éclore
Sans une étincelante aurore
Qui se lève derrière lui.

Le ciel serein, la mer sereine
L'enveloppent de tous côtés ;
Par ses mâts et par sa carène
Il plonge aux deux immensités.
Le flot s'y brise en étincelles ;
Ses voiles sont comme des ailes
Au souffle qui vient les gonfler ;
Il vogue, il vogue vers la plage,
Et, comme le cygne qui nage,
On sent qu'il pourrait s'envoler.

Le peuple, auquel il se révèle
Comme une blanche vision,
Roule, prolonge, et renouvelle
Une immense acclamation.
La foule inonde au **** la rive.
Oh ! dit-elle, il vient, il arrive !
Elle l'appelle avec des pleurs,
Et le vent porte au beau navire,
Comme à Dieu l'encens et la myrrhe,
L'haleine de la terre en fleurs !

Oh ! rentre au port, esquif sublime !
Jette l'ancre **** des frimas !
Vois cette couronne unanime
Que la foule attache à tes mâts :
Oublie et l'onde et l'aventure.
Et le labeur de la mâture,
Et le souffle orageux du nord ;
Triomphe à l'abri des naufrages,
Et ris-toi de tous les orages
Qui rongent les chaînes du port !

Tu reviens de ton Amérique !
Ton monde est trouvé ! - Sur les flots
Ce monde, à ton souffle lyrique,
Comme un oeuf sublime est éclos !
C'est un univers qui s'éveille !
Une création pareille
A celle qui rayonne au jour !
De nouveaux infinis qui s'ouvrent !
Un de ces mondes que découvrent
Ceux qui de l'âme ont fait le tour !

Tu peux dire à qui doute encore :
"J'en viens ! j'en ai cueilli ce fruit.
Votre aurore n'est pas l'aurore,
Et votre nuit n'est pas la nuit.
Votre soleil ne vaut pas l'autre.
Leur jour est plus bleu que le vôtre.
Dieu montre sa face en leur ciel.
J'ai vu luire une croix d'étoiles
Clouée à leurs nocturnes voiles
Comme un labarum éternel."

Tu dirais la verte savane,
Les hautes herbes des déserts,
Et les bois dont le zéphyr vanne
Toutes les graines dans les airs ;
Les grandes forêts inconnues ;
Les caps d'où s'envolent les nues
Comme l'encens des saints trépieds ;
Les fruits de lait et d'ambroisie,
Et les mines de poésie
Dont tu jettes l'or à leurs pieds.

Et puis encor tu pourrais dire,
Sans épuiser ton univers,
Ses monts d'agate et de porphyre,
Ses fleuves qui noieraient leurs mers ;
De ce monde, né de la veille,
Tu peindrais la beauté vermeille,
Terre vierge et féconde à tous,
Patrie où rien ne nous repousse ;
Et ta voix magnifique et douce
Les ferait tomber à genoux.

Désormais, à tous tes voyages
Vers ce monde trouvé par toi,
En foule ils courront aux rivages
Comme un peuple autour de son roi.
Mille acclamations sur l'onde
Suivront longtemps ta voile blonde
Brillante en mer comme un fanal,
Salueront le vent qui t'enlève,
Puis sommeilleront sur la grève
Jusqu'à ton retour triomphal.

Ah ! soit qu'au port ton vaisseau dorme,
Soit qu'il se livre sans effroi
Aux baisers de la mer difforme
Qui hurle béante sous moi,
De ta sérénité sublime
Regarde parfois dans l'abîme,
Avec des yeux de pleurs remplis,
Ce point noir dans ton ciel limpide,
Ce tourbillon sombre et rapide
Qui roule une voile en ses plis.

C'est mon tourbillon, c'est ma voile !
C'est l'ouragan qui, furieux,
A mesure éteint chaque étoile
Qui se hasarde dans mes cieux !
C'est la tourmente qui m'emporte !
C'est la nuée ardente et forte
Qui se joue avec moi dans l'air,
Et tournoyant comme une roue,
Fait étinceler sur ma proue
Le glaive acéré de l'éclair !

Alors, d'un coeur tendre et fidèle,
Ami, souviens-toi de l'ami
Que toujours poursuit à coups d'aile
Le vent dans ta voile endormi.
Songe que du sein de l'orage
Il t'a vu surgir au rivage
Dans un triomphe universel,
Et qu'alors il levait la tête,
Et qu'il oubliait sa tempête
Pour chanter l'azur de ton ciel !

Et si mon invisible monde
Toujours à l'horizon me fuit,
Si rien ne germe dans cette onde
Que je laboure jour et nuit,
Si mon navire de mystère
Se brise à cette ingrate terre
Que cherchent mes yeux obstinés,
Pleure, ami, mon ombre jalouse !
Colomb doit plaindre La Pérouse.
Tous deux étaient prédestinés !

Le 20 juin 1830.
I

Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange
Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange,
Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi.

Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi,
Ce livre qui contient le spectre de ma vie,
Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie,
L'ombre et son ouragan, la rose et son pistil,
Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ?
D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ?
Depuis quatre ans, j'habite un tourbillon d'écume ;
Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais ;
Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit. Je vais.
Et, quand j'eus terminé ces pages, quand ce livre
Se mit à palpiter, à respirer, à vivre,
Une église des champs, que le lierre verdit,
Dont la tour sonne l'heure à mon néant, m'a dit :
Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte.
- Je le réclame, a dit la forêt inquiète ;
Et le doux pré fleuri m'a dit : - Donne-le-moi.
La mer, en le voyant frémir, m'a dit : - Pourquoi
Ne pas me le jeter, puisque c'est une voile !
- C'est à moi qu'appartient cet hymne, a dit l'étoile.
- Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents.
Et les oiseaux m'ont dit : - Vas-tu pas aux vivants
Offrir ce livre, éclos si **** de leurs querelles ?
Laisse-nous l'emporter dans nos nids sur nos ailes ! -
Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds !
Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,
Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ;
Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ;
Ni l'église où le temps fait tourner son compas ;
Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas,
L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe,
Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe.

II

Autrefois, quand septembre en larmes revenait,
Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,
Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne !
J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne,
Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,
Sachant bien que j'irais où je devais aller ;
Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre !
Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre,
Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,
J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais.
Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines !
Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines,
Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir
Avec l'avidité morne du désespoir ;
Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ;
Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,
L'oeil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ;
Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient !
Les ronces écartaient leurs branches desséchées ;
Je marchais à travers les humbles croix penchées,
Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ;
Et je m'agenouillais au milieu des rameaux
Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure.
Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure
Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ?

Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets,
Et disaient : Qu'est-ce donc que cet homme qui songe ?
Et le jour, et le soir, et l'ombre qui s'allonge,
Et Vénus, qui pour moi jadis étincela,
Tout avait disparu que j'étais encor là.
J'étais là, suppliant celui qui nous exauce ;
J'adorais, je laissais tomber sur cette fosse,
Hélas ! où j'avais vu s'évanouir mes cieux,
Tout mon coeur goutte à goutte en pleurs silencieux ;
J'effeuillais de la sauge et de la clématite ;
Je me la rappelais quand elle était petite,
Quand elle m'apportait des lys et des jasmins,
Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains,
Gaie, et riant d'avoir de l'encre à ses doigts roses ;
Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses,
Je fixais mon regard sur ces froids gazons verts,
Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers
La pierre du tombeau, comme une lueur d'âme !

Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame
Tintait dans le ciel triste et dans mon coeur saignant,
Rien ne me retenait, et j'allais ; maintenant,
Hélas !... - Ô fleuve ! ô bois ! vallons dont je fus l'hôte,
Elle sait, n'est-ce pas ? que ce n'est pas ma faute
Si, depuis ces quatre ans, pauvre coeur sans flambeau,
Je ne suis pas allé prier sur son tombeau !

III

Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre
Que je contemplais, pâle, adossé contre un arbre,
Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher,
La nuit, que je voyais lentement approcher,
Ces ifs, ce crépuscule avec ce cimetière,
Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre,
Ô mon Dieu, tout cela, c'était donc du bonheur !

Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur,
Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ?
A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ?
As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ?
Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ?
T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre
De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître
Un passant, à travers le noir cercueil mal joint,
Attentive, écoutant si tu n'entendais point
Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ?
Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre,
En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas !
Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ?

Que de fois j'ai choisi, tout mouillés de rosée,
Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensée !
Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur !
Que de fois j'ai, là-bas, cherché la tour d'Harfleur,
Murmurant : C'est demain que je pars ! et, stupide,
Je calculais le vent et la voile rapide,
Puis ma main s'ouvrait triste, et je disais : Tout fuit !
Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit !
Oh ! que de fois, sentant qu'elle devait m'attendre,
J'ai pris ce que j'avais dans le coeur de plus tendre
Pour en charger quelqu'un qui passerait par là !

Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l'appela ;
Quand je lui parle, hélas ! pourquoi les ferme-t-elle ?
Où serait donc le mal quand de l'ombre mortelle
L'amour violerait deux fois le noir secret,
Et quand, ce qu'un dieu fit, un père le ferait ?

IV

Que ce livre, du moins, obscur message, arrive,
Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive !
Qu'il y tombe, sanglot, soupir, larme d'amour !
Qu'il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour
Le baiser, la jeunesse, et l'aube, et la rosée,
Et le rire adoré de la fraîche épousée,
Et la joie, et mon coeur, qui n'est pas ressorti !
Qu'il soit le cri d'espoir qui n'a jamais menti,
Le chant du deuil, la voix du pâle adieu qui pleure,
Le rêve dont on sent l'aile qui nous effleure !
Qu'elle dise : Quelqu'un est là ; j'entends du bruit !
Qu'il soit comme le pas de mon âme en sa nuit !

Ce livre, légion tournoyante et sans nombre
D'oiseaux blancs dans l'aurore et d'oiseaux noirs dans l'ombre,
Ce vol de souvenirs fuyant à l'horizon,
Cet essaim que je lâche au seuil de ma prison,
Je vous le confie, air, souffles, nuée, espace !
Que ce fauve océan qui me parle à voix basse,
Lui soit clément, l'épargne et le laisse passer !
Et que le vent ait soin de n'en rien disperser,
Et jusqu'au froid caveau fidèlement apporte
Ce don mystérieux de l'absent à la morte !

Ô Dieu ! puisqu'en effet, dans ces sombres feuillets,
Dans ces strophes qu'au fond de vos cieux je cueillais,
Dans ces chants murmurés comme un épithalame
Pendant que vous tourniez les pages de mon âme,
Puisque j'ai, dans ce livre, enregistré mes jours,
Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problèmes sourds,
Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure ;
Puisque vous ne voulez pas encor que je meure,
Et qu'il faut bien pourtant que j'aille lui parler ;
Puisque je sens le vent de l'infini souffler
Sur ce livre qu'emplit l'orage et le mystère ;
Puisque j'ai versé là toutes vos ombres, terre,
Humanité, douleur, dont je suis le passant ;
Puisque de mon esprit, de mon coeur, de mon sang,
J'ai fait l'âcre parfum de ces versets funèbres,
Va-t'en, livre, à l'azur, à travers les ténèbres !
Fuis vers la brume où tout à pas lents est conduit !
Oui, qu'il vole à la fosse, à la tombe, à la nuit,
Comme une feuille d'arbre ou comme une âme d'homme !
Qu'il roule au gouffre où va tout ce que la voix nomme !
Qu'il tombe au plus profond du sépulcre hagard,
A côté d'elle, ô mort ! et que là, le regard,
Près de l'ange qui dort, lumineux et sublime,
Le voie épanoui, sombre fleur de l'abîme !

V

Ô doux commencements d'azur qui me trompiez,
Ô bonheurs ! je vous ai durement expiés !
J'ai le droit aujourd'hui d'être, quand la nuit tombe,
Un de ceux qui se font écouter de la tombe,
Et qui font, en parlant aux morts blêmes et seuls,
Remuer lentement les plis noirs des linceuls,
Et dont la parole, âpre ou tendre, émeut les pierres,
Les grains dans les sillons, les ombres dans les bières,
La vague et la nuée, et devient une voix
De la nature, ainsi que la rumeur des bois.
Car voilà, n'est-ce pas, tombeaux ? bien des années,
Que je marche au milieu des croix infortunées,
Échevelé parmi les ifs et les cyprès,
L'âme au bord de la nuit, et m'approchant tout près,
Et que je vais, courbé sur le cercueil austère,
Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre
Qui pour moi sort des yeux de la tête de mort,
Le squelette qui rit, le squelette qui mord,
Les mains aux doigts noueux, les crânes, les poussières,
Et les os des genoux qui savent des prières !

Hélas ! j'ai fouillé tout. J'ai voulu voir le fond.
Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond,
J'ai voulu le savoir. J'ai dit : Que faut-il croire ?
J'ai creusé la lumière, et l'aurore, et la gloire,
L'enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur,
Et l'amour, et la vie, et l'âme, - fossoyeur.

Qu'ai-je appris ? J'ai, pensif , tout saisi sans rien prendre ;
J'ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre.
Qui sommes-nous ? que veut dire ce mot : Toujours ?
J'ai tout enseveli, songes, espoirs, amours,
Dans la fosse que j'ai creusée en ma poitrine.
Qui donc a la science ? où donc est la doctrine ?
Oh ! que ne suis-je encor le rêveur d'autrefois,
Qui s'égarait dans l'herbe, et les prés, et les bois,
Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille,
Tenant la main petite et blanche de sa fille,
Et qui, joyeux, laissant luire le firmament,
Laissant l'enfant parler, se sentait lentement
Emplir de cet azur et de cette innocence !

Entre Dieu qui flamboie et l'ange qui l'encense,
J'ai vécu, j'ai lutté, sans crainte, sans remord.
Puis ma porte soudain s'ouvrit devant la mort,
Cette visite brusque et terrible de l'ombre.
Tu passes en laissant le vide et le décombre,
Ô spectre ! tu saisis mon ange et tu frappas.
Un tombeau fut dès lors le but de tous mes pas.

VI

Je ne puis plus reprendre aujourd'hui dans la plaine
Mon sentier d'autrefois qui descend vers la Seine ;
Je ne puis plus aller où j'allais ; je ne puis,
Pareil à la laveuse assise au bord du puits,
Que m'accouder au mur de l'éternel abîme ;
Paris m'est éclipsé par l'énorme Solime ;
La hauteNotre-Dame à présent, qui me luit,
C'est l'ombre ayant deux tours, le silence et la nuit,
Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles ;
Et je vois sur mon front un panthéon d'étoiles ;
Si j'appelle Rouen, Villequier, Caudebec,
Toute l'ombre me crie : Horeb, Cédron, Balbeck !
Et, si je pars, m'arrête à la première lieue,
Et me dit: Tourne-toi vers l'immensité bleue !
Et me dit : Les chemins où tu marchais sont clos.
Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots !
A quoi penses-tu donc ? que fais-tu, solitaire ?
Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre ?
Où vas-tu de la sorte et machinalement ?
Ô songeur ! penche-toi sur l'être et l'élément !
Écoute la rumeur des âmes dans les ondes !
Contemple, s'il te faut de la cendre, les mondes ;
Cherche au moins la poussière immense, si tu veux
Mêler de la poussière à tes sombres cheveux,
Et regarde, en dehors de ton propre martyre,
Le grand néant, si c'est le néant qui t'attire !
Sois tout à ces soleils où tu remonteras !
Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras,
Ô proscrit de l'azur, vers les astres patries !
Revois-y refleurir tes aurores flétries ;
Deviens le grand oeil fixe ouvert sur le grand tout.
Penche-toi sur l'énigme où l'être se dissout,
Sur tout ce qui naît, vit, marche, s'éteint, succombe,
Sur tout le genre humain et sur toute la tombe !

Mais mon coeur toujours saigne et du même côté.
C'est en vain que les cieux, les nuits, l'éternité,
Veulent distraire une âme et calmer un atome.
Tout l'éblouissement des lumières du dôme
M'ôte-t-il une larme ? Ah ! l'étendue a beau
Me parler, me montrer l'universel tombeau,
Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie ;
J'écoute, et je reviens à la douce endormie.

VII

Des fleurs ! oh ! si j'avais des fleurs ! si je pouvais
Aller semer des lys sur ces deux froids chevets !
Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle !
Les fleurs sont l'or, l'azur, l'émeraude, l'opale !
Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher ;
Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher
Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes !
Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes,
Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir,
Puisqu'il nous fait lâcher ce qu'on croyait tenir,
Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde,
Sur la première porte en scelle une seconde,
Et, sur le père triste et sur l'enfant qui dort,
Ferme l'exil après avoir fermé la mort,
Puisqu'il est impossible à présent que je jette
Même un brin de bruyère à sa fosse muette,
C'est bien le moins qu'elle ait mon âme, n'est-ce pas ?
Ô vent noir dont j'entends sur mon plafond le pas !
Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle !
Mers, nuits ! et je l'ai mise en ce livre pour elle !

Prends ce livre ; et dis-toi : Ceci vient du vivant
Que nous avons laissé derrière nous, rêvant.
Prends. Et, quoique de ****, reconnais ma voix, âme !
Oh ! ta cendre est le lit de mon reste de flamme ;
Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi ;
Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi.
Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume !
Qu'entre tes vagues mains il devienne fantôme !
Qu'il blanchisse, pareil à l'aube qui pâlit,
A mesure que l'oeil de mon ange le lit,
Et qu'il s'évanouisse, et flotte, et disparaisse,
Ainsi qu'un âtre obscur qu'un souffle errant caresse,
Ainsi qu'une lueur qu'on voit passer le soir,
Ainsi qu'un tourbillon de feu de l'encensoir,
Et que, sous ton regard éblouissant et sombre,
Chaque page s'en aille en étoiles dans l'ombre !

VIII

Oh ! quoi que nous fassions et quoi que nous disions,
Soit que notre âme plane au vent des visions,
Soit qu'elle se cramponne à l'argile natale,
Toujours nous arrivons à ta grotte fatale,
Gethsémani ! qu'éclaire une vague lueur !
Ô rocher de l'étrange et funèbre sueur !
Cave où l'esprit combat le destin ! ouverture
Sur les profonds effrois de la sombre nature !
Antre d'où le lion sort rêveur, en voyant
Quelqu'un de plus sinistre et de plus effrayant,
La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée !
Ô chute ! asile ! ô seuil de la trouble vallée
D'où nous apercevons nos ans fuyants et courts,
Nos propres pas marqués dans la fange des jours,
L'échelle où le mal pèse et monte, spectre louche,
L'âpre frémissement de la palme farouche,
Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés,
Et les frissons aux fronts des anges effarés !

Toujours nous arrivons à cette solitude,
Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude !

Paix à l'ombre ! Dormez ! dormez ! dormez ! dormez !
Êtres, groupes confus lentement transformés !
Dormez, les champs ! dormez, les fleurs ! dormez, les tombes !
Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes,
Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids,
Dormez ! dormez, brins d'herbe, et dormez, infinis !
Calmez-vous, forêt, chêne, érable, frêne, yeuse !
Silence sur la grande horreur religieuse,
Sur l'océan qui lutte et qui ronge son mors,
Et sur l'apaisement insondable des morts !
Paix à l'obscurité muette et redoutée,
Paix au doute effrayant, à l'immense ombre athée,
A toi, nature, cercle et centre, âme et milieu,
Fourmillement de tout, solitude de Dieu !
Ô générations aux brumeuses haleines,
Reposez-vous ! pas noirs qui marchez dans les plaines !
Dormez, vous qui saignez ; dormez, vous qui pleurez !
Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés !
Tout est religio
Caroline Sep 2019
Mes émotions tourbillonnent
Comme les étoiles de Van Gogh
**** d’être étincelantes
Elles étranglent mon cerveau
Puis me tirent vers un abîme profond
Où ma solitude me fait perdre la raison
Me fait croire que j’ai besoin de caresses
De baisers, d’amour et de tendresse
Écoutez. Une femme au profil décharné,
Maigre, blême, portant un enfant étonné,
Est là qui se lamente au milieu de la rue.
La foule, pour l'entendre, autour d'elle se rue.
Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien
Son mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien ;
Pas d'argent ; pas de pain ; à peine un lit de paille.
L'homme est au cabaret pendant qu'elle travaille.
Elle pleure, et s'en va. Quand ce spectre a passé,
Ô penseurs, au milieu de ce groupe amassé,
Qui vient de voir le fond d'un cœur qui se déchire,
Qu'entendez-vous toujours ? Un long éclat de rire.

Cette fille au doux front a cru peut-être, un jour,
Avoir droit au bonheur, à la joie, à l'amour.
Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre fille !
Seule ! - n'importe ! elle a du courage, une aiguille,
Elle travaille, et peut gagner dans son réduit,
En travaillant le jour, en travaillant la nuit,
Un peu de pain, un gîte, une jupe de toile.
Le soir, elle regarde en rêvant quelque étoile,
Et chante au bord du toit tant que dure l'été.
Mais l'hiver vient. Il fait bien froid, en vérité,
Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe ;
Les jours sont courts, il faut allumer une lampe ;
L'huile est chère, le bois est cher, le pain est cher.
Ô jeunesse ! printemps ! aube ! en proie à l'hiver !
La faim passe bientôt sa griffe sous la porte,
Décroche un vieux manteau, saisit la montre, emporte
Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or ;
Tout est vendu ! L'enfant travaille et lutte encor ;
Elle est honnête ; mais elle a, quand elle veille,
La misère, démon, qui lui parle à l'oreille.
L'ouvrage manque, hélas ! cela se voit souvent.
Que devenir ! Un jour, ô jour sombre ! elle vend
La pauvre croix d'honneur de son vieux père, et pleure ;
Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu'elle meure !
A dix-sept ans ! grand Dieu ! mais que faire ?... - Voilà
Ce qui fait qu'un matin la douce fille alla
Droit au gouffre, et qu'enfin, à présent, ce qui monte
À son front, ce n'est plus la pudeur, c'est la honte.
Hélas, et maintenant, deuil et pleurs éternels !
C'est fini. Les enfants, ces innocents cruels,
La suivent dans la rue avec des cris de joie.
Malheureuse ! elle traîne une robe de soie,
Elle chante, elle rit... ah ! pauvre âme aux abois !
Et le peuple sévère, avec sa grande voix,
Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme,
Lui dit quand elle vient : « C'est toi ? Va-t-en, infâme ! »

Un homme s'est fait riche en vendant à faux poids ;
La loi le fait juré. L'hiver, dans les temps froids ;
Un pauvre a pris un pain pour nourrir sa famille.
Regardez cette salle où le peuple fourmille ;
Ce riche y vient juger ce pauvre. Écoutez bien.
C'est juste, puisque l'un a tout et l'autre rien.
Ce juge, - ce marchand, - fâché de perdre une heure,
Jette un regard distrait sur cet homme qui pleure,
L'envoie au bagne, et part pour sa maison des champs.
Tous s'en vont en disant : « C'est bien ! » bons et méchants ;
Et rien ne reste là qu'un Christ pensif et pâle,
Levant les bras au ciel dans le fond de la salle.

Un homme de génie apparaît. Il est doux,
Il est fort, il est grand ; il est utile à tous ;
Comme l'aube au-dessus de l'océan qui roule,
Il dore d'un rayon tous les fronts de la foule ;
Il luit ; le jour qu'il jette est un jour éclatant ;
Il apporte une idée au siècle qui l'attend ;
Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires,
Agrandir les esprits, amoindrir les misères ;
Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont témoins,
Si l'on pense un peu plus, si l'on souffre un peu moins !
Il vient. - Certe, on le va couronner ! - On le hue !
Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la cohue,
Ceux qui n'ignorent rien, ceux qui doutent de tout,
Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l'égout,
Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre.
Si c'est un orateur ou si c'est un ministre,
On le siffle. Si c'est un poète, il entend
Ce chœur : « Absurde ! faux ! monstrueux ! révoltant ! »
Lui, cependant, tandis qu'on bave sur sa palme,
Debout, les bras croisés, le front levé, l'œil calme,
Il contemple, serein, l'idéal et le beau ;
Il rêve ; et, par moments, il secoue un flambeau
Qui, sous ses pieds, dans l'ombre, éblouissant la haine,
Éclaire tout à coup le fond de l'âme humaine ;
Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours ;
Orateur, il entasse efforts, travaux, discours ;
Il marche, il lutte ! Hélas ! l'injure ardente et triste,
À chaque pas qu'il fait, se transforme et persiste.
Nul abri. Ce serait un ennemi public,
Un monstre fabuleux, dragon ou basilic,
Qu'il serait moins traqué de toutes les manières,
Moins entouré de gens armés de grosses pierres,
Moins haï ! -- Pour eux tous et pour ceux qui viendront,
Il va semant la gloire, il recueille l'affront.
Le progrès est son but, le bien est sa boussole ;
Pilote, sur l'avant du navire il s'isole ;
Tout marin, pour dompter les vents et les courants,
Met tour à tour le cap sur des points différents,
Et, pour mieux arriver, dévie en apparence ;
Il fait de même ; aussi blâme et cris ; l'ignorance
Sait tout, dénonce tout ; il allait vers le nord,
Il avait tort ; il va vers le sud, il a tort ;
Si le temps devient noir, que de rage et de joie !
Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie,
L'âge vient, il couvait un mal profond et lent,
Il meurt. L'envie alors, ce démon vigilant,
Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière,
Prend soin de la clouer de ses mains dans la bière,
Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit
S'il est vraiment bien mort, s'il ne fait pas de bruit,
S'il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme,
Et, s'essuyant les yeux, dit : « C'était un grand homme ! »

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
« Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain -
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

Le pesant chariot porte une énorme pierre ;
Le limonier, suant du mors à la croupière,
Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant
Monte, et le cheval triste à le poitrail en sang.
Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête ;
Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête ;
C'est lundi ; l'homme hier buvait aux Porcherons
Un vin plein de fureur, de cris et de jurons ;
Oh ! quelle est donc la loi formidable qui livre
L'être à l'être, et la bête effarée à l'homme ivre !
L'animal éperdu ne peut plus faire un pas ;
Il sent l'ombre sur lui peser ; il ne sait pas,
Sous le bloc qui l'écrase et le fouet qui l'assomme,
Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l'homme.
Et le roulier n'est plus qu'un orage de coups
Tombant sur ce forçat qui traîne des licous,
Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche.
Si la corde se casse, il frappe avec le pié ;
Et le cheval, tremblant, hagard, estropié,
Baisse son cou lugubre et sa tête égarée ;
On entend, sous les coups de la botte ferrée,
Sonner le ventre nu du pauvre être muet !
Il râle ; tout à l'heure encore il remuait ;
Mais il ne bouge plus, et sa force est finie ;
Et les coups furieux pleuvent ; son agonie
Tente un dernier effort ; son pied fait un écart,
Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard ;
Et, dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble,
Il regarde quelqu'un de sa prunelle trouble ;
Et l'on voit lentement s'éteindre, humble et terni,
Son œil plein des stupeurs sombres de l'infini,
Où luit vaguement l'âme effrayante des choses.
Hélas !

Cet avocat plaide toutes les causes ;
Il rit des généreux qui désirent savoir
Si blanc n'a pas raison, avant de dire noir ;
Calme, en sa conscience il met ce qu'il rencontre,
Ou le sac d'argent Pour, ou le sac d'argent Contre ;
Le sac pèse pour lui ce que la cause vaut.
Embusqué, plume au poing, dans un journal dévot,
Comme un bandit tuerait, cet écrivain diffame.
La foule hait cet homme et proscrit cette femme ;
Ils sont maudits. Quel est leur crime ? Ils ont aimé.
L'opinion rampante accable l'opprimé,
Et, chatte aux pieds des forts, pour le faible est tigresse.
De l'inventeur mourant le parasite engraisse.
Le monde parle, assure, affirme, jure, ment,
Triche, et rit d'escroquer la dupe Dévouement.
Le puissant resplendit et du destin se joue ;
Derrière lui, tandis qu'il marche et fait la roue,
Sa fiente épanouie engendre son flatteur.
Les nains sont dédaigneux de toute leur hauteur.
Ô hideux coins de rue où le chiffonnier morne
Va, tenant à la main sa lanterne de corne,
Vos tas d'ordures sont moins noirs que les vivants !
Qui, des vents ou des cœurs, est le plus sûr ? Les vents.
Cet homme ne croit rien et fait semblant de croire ;
Il a l'œil clair, le front gracieux, l'âme noire ;
Il se courbe ; il sera votre maître demain.

Tu casses des cailloux, vieillard, sur le chemin ;
Ton feutre humble et troué s'ouvre à l'air qui le mouille ;
Sous la pluie et le temps ton crâne nu se rouille ;
Le chaud est ton tyran, le froid est ton bourreau ;
Ton vieux corps grelottant tremble sous ton sarrau ;
Ta cahute, au niveau du fossé de la route,
Offre son toit de mousse à la chèvre qui broute ;
Tu gagnes dans ton jour juste assez de pain noir
Pour manger le matin et pour jeûner le soir ;
Et, fantôme suspect devant qui l'on recule,
Regardé de travers quand vient le crépuscule,
Pauvre au point d'alarmer les allants et venants,
Frère sombre et pensif des arbres frissonnants,
Tu laisses choir tes ans ainsi qu'eux leur feuillage ;
Autrefois, homme alors dans la force de l'âge,
Quand tu vis que l'Europe implacable venait,
Et menaçait Paris et notre aube qui naît,
Et, mer d'hommes, roulait vers la France effarée,
Et le Russe et le *** sur la terre sacrée
Se ruer, et le nord revomir Attila,
Tu te levas, tu pris ta fourche ; en ces temps-là,
Tu fus, devant les rois qui tenaient la campagne,
Un des grands paysans de la grande Champagne.
C'est bien. Mais, vois, là-bas, le long du vert sillon,
Une calèche arrive, et, comme un tourbillon,
Dans la poudre du soir qu'à ton front tu secoues,
Mêle l'éclair du fouet au tonnerre des roues.
Un homme y dort. Vieillard, chapeau bas ! Ce passant
Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang ;
Il jouait à la baisse, et montait à mesure
Que notre chute était plus profonde et plus sûre ;
Il fallait un vautour à nos morts ; il le fut ;
Il fit, travailleur âpre et toujours à l'affût,
Suer à nos malheurs des châteaux et des rentes ;
Moscou remplit ses prés de meules odorantes ;
Pour lui, Leipsick payait des chiens et des valets,
Et la Bérésina charriait un palais ;
Pour lui, pour que cet homme ait des fleurs, des charmilles,
Des parcs dans Paris même ouvrant leurs larges grilles,
Des jardins où l'on voit le cygne errer sur l'eau,
Un million joyeux sortit de Waterloo ;
Si bien que du désastre il a fait sa victoire,
Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire,
Ce Shaylock, avec le sabre de Blucher,
A coupé sur la France une livre de chair.
Or, de vous deux, c'est toi qu'on hait, lui qu'on vénère ;
Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire,
C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas !

Les carrefours sont pleins de chocs et de combats.
Les multitudes vont et viennent dans les rues.
Foules ! sillons creusés par ces mornes charrues :
Nuit, douleur, deuil ! champ triste où souvent a germé
Un épi qui fait peur à ceux qui l'ont semé !
Vie et mort ! onde où l'hydre à l'infini s'enlace !
Peuple océan jetant l'écume populace !
Là sont tous les chaos et toutes les grandeurs ;
Là, fauve, avec ses maux, ses horreurs, ses laideurs,
Ses larves, désespoirs, haines, désirs, souffrances,
Qu'on distingue à travers de vagues transparences,
Ses rudes appétits, redoutables aimants,
Ses prostitutions, ses avilissements,
Et la fatalité des mœurs imperdables,
La misère épaissit ses couches formidables.
Les malheureux sont là, dans le malheur reclus.
L'indigence, flux noir, l'ignorance, reflux,
Montent, marée affreuse, et parmi les décombres,
Roulent l'obscur filet des pénalités sombres.
Le besoin fuit le mal qui le tente et le suit,
Et l'homme cherche l'homme à tâtons ; il fait nuit ;
Les petits enfants nus tendent leurs mains funèbres ;
Le crime, antre béant, s'ouvre dans ces ténèbres ;
Le vent secoue et pousse, en ses froids tourbillons,
Les âmes en lambeaux dans les corps en haillons :
Pas de cœur où ne croisse une aveugle chimère.
Qui grince des dents ? L'homme. Et qui pleure ? La mère.
Qui sanglote ? La vierge aux yeux hagards et doux.
Qui dit : « J'ai froid ? » L'aïeule. Et qui dit : « J'ai faim ? » Tous !
Et le fond est horreur, et la surface est joie.
Au-dessus de la faim, le festin qui flamboie,
Et sur le pâle amas des cris et des douleurs,
Les chansons et le rire et les chapeaux de fleurs !
Ceux-là sont les heureux. Ils n'ont qu'une pensée :
A quel néant jeter la journée insensée ?
Chiens, voitures, chevaux ! cendre au reflet vermeil !
Poussière dont les grains semblent d'or au soleil !
Leur vie est aux plaisirs sans fin, sans but, sans trêve,
Et se passe à tâcher d'oublier dans un rêve
L'enfer au-dessous d'eux et le ciel au-dessus.
Quand on voile Lazare, on efface Jésus.
Ils ne regardent pas dans les ombres moroses.
Ils n'admettent que l'air tout parfumé de roses,
La volupté, l'orgueil, l'ivresse et le laquais
Ce spectre galonné du pauvre, à leurs banquets.
Les fleurs couvrent les seins et débordent des vases.
Le bal, tout frissonnant de souffles et d'extases,
Rayonne, étourdissant ce qui s'évanouit ;
Éden étrange fait de lumière et de nuit.
Les lustres aux plafonds laissent pendre leurs flammes,
Et semblent la racine ardente et pleine d'âmes
De quelque arbre céleste épanoui plus haut.
Noir paradis dansant sur l'immense cachot !
Ils savourent, ravis, l'éblouissement sombre
Des beautés, des splendeurs, des quadrilles sans nombre,
Des couples, des amours, des yeux bleus, des yeux noirs.
Les valses, visions, passent dans les miroirs.
Parfois, comme aux forêts la fuite des cavales,
Les galops effrénés courent ; par intervalles,
Le bal reprend haleine ; on s'interrompt, on fuit,
On erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit ;
Puis, folle, et rappelant les ombres éloignées,
La musique, jetant les notes à poignées,
Revient, et les regards s'allument, et l'archet,
Bondissant, ressaisit la foule qui marchait.
Ô délire ! et d'encens et de bruit enivrées,
L'heure emporte en riant les rapides soirées,
Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux.
D'autres, toute la nuit, roulent les dés joyeux,
Ou bien, âpre, et mêlant les cartes qu'ils caressent,
Où des spectres riants ou sanglants apparaissent,
Leur soif de l'or, penchée autour d'un tapis vert,
Jusqu'à ce qu'au volet le jour bâille entr'ouvert,
Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l'hombre ;
Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit dans l'ombre,
Pendant que le
Joe Butler Jul 2013
Fleeting memories
A crushing weight
Thoughts swirl
A chaotic dance
Morbid and morose
I shudder
Sigh
Lock the door
My heart is closed
I am empty streets
And howling winds
An onslaught
Of indelicate ideas
Leaves rushing
As water
I am bleak
I long to crumble
And return to dust
To spread out
Into the vast blackness
Vacuum of the infinite
I am all
I am nothing
Existence is illusion
Dreams are more real
Yet
I do not sleep
For I fear to wake
So I remain
Ever here
Ever there
Never here
Never there
Neither
Both
Ensconced between
Light and dark
Good and evil
Life and death
Alone
Forever
Thus
I despair.
Souvenirs fugaces
Un poids écrasant
Pensées tourbillon
Une danse chaotique
Morbide et morose
Je frémis
Soupir
Verrouillez la porte
Mon cœur est fermé
Je suis rues vides
Et vents hurlants
Une attaque
D'idées indélicats
Feuilles précipiter
Comme l'eau
Je suis triste
J'ai longtemps à s'effriter
Et retourner à la poussière
Pour étaler
Dans la grande noirceur
Vide de l'infini
Je suis tout
Je ne suis rien
L'existence est illusion
Les rêves sont plus réels
Pourtant,
Je ne dors pas
Car je crains de réveiller
Donc, je reste
Jamais ici
Jamais il
Jamais ici
Jamais il
Aucun
Tous les deux
Enclavée entre
Lumière et obscurité
Bien et le mal
La vie et la mort
Seul
Toujours
Ainsi,
Je désespère.
I wrote this and felt like translating it into French as well as an experiment. I've been watching a lot of French new wave cinema from the 1950s and 1960s so I wanted to see how it looked and sounded in French. Plus it just fit the existential tone of the piece.
Tandis qu'au **** des nuées,
Qui semblent des paradis,
Dans le bleu sont remuées,
Je t'écoute, et tu me dis :

« Quelle idée as-tu de l'homme,
« De croire qu'il aide Dieu ?
« L'homme est-il donc l'économe
« De l'eau, de l'air et du feu ?

« Est-ce que, dans son armoire,
« Tu l'aurais vu de tes yeux
« Serrer les rouleaux de moire
« Que l'aube déploie aux cieux ?

« Est-ce lui qui gonfle et ride
« La vague, et lui dit : Assez !
« Est-ce lui qui tient la bride
« Des éléments hérissés ?

« Sait-il le secret de l'herbe ?
« Parle-t-il au nid vivant ?
« Met-il sa note superbe
« Dans le noir clairon du vent ?

« La marée âpre et sonore
« Craint-elle son éperon ?
« Connaît-il le météore ?
« Comprend-il le moucheron ?

« L'homme aider Dieu ! lui, ce songe,
« Ce spectre en fuite et tremblant !
« Est-ce grâce à son éponge
« Que le cygne reste blanc ?

« Le fait veut, l'homme acquiesce.
« Je ne vois pas que sa main
« Découpe à l'emporte-pièce
« Les pétales du jasmin.

« Donne-t-il l'odeur aux sauges,
« Parce qu'il sait faire un trou
« Pour mêler le grès des Vosges
« Au salpêtre du Pérou ?

« Règle-t-il l'onde et la brise,
« Parce qu'il disséquera
« De l'argile qu'il a prise
« Près de Rio-Madera ?

« Ôte Dieu ; puis imagine,
« Essaie, invente ; épaissis
« L'idéal subtil d'Égine
« Par les dogmes d'Éleusis ;

« Soude Orphée à Lamettrie ;
« Joins, pour ne pas être à court,
« L'école d'Alexandrie
« À l'école d'Edimbourg ;

« Va du conclave au concile,
« D'Anaximandre à Destutt ;
« Dans quelque cuve fossile
« Exprime tout l'institut ;

« Démaillote la momie ;
« Presse Œdipe et Montyon ;
« Mets en pleine académie
« Le sphinx à la question ;

« Fouille le doute et la grâce ;
« Amalgame en ton guano
« À la Sybaris d'Horace
« Les Chartreux de saint Bruno ;

« Combine Genève et Rome ;
« Fais mettre par ton fermier
« Toutes les vertus de l'homme
« Dans une fosse à fumier ;

« Travaille avec patience
« En puisant au monde entier ;
« Prends pour pilon la science
« Et l'abîme pour mortier ;

« Va, forge ! je te défie
« De faire de ton savoir
« Et de ta philosophie
« Sortir un grain de blé noir !

« Dieu, de sa droite, étreint, fauche,
« Sème, et tout est rajeuni ;
« L'homme n'est qu'une main gauche
« Tâtonnant dans l'infini.

« Aux heures mystérieuses,
« Quand l'eau se change en miroir,
« Rôdes-tu sous les yeuses,
« L'esprit plongé dans le soir ?

« Te dis-tu : - Qu'est-ce que l'homme ? -
« Sonde, ami, sa nullité ;
« Cherche, de quel chiffre, en somme,
« Il accroît l'éternité !

« L'homme est vain. Pourquoi, poète,
« Ne pas le voir tel qu'il est,
« Dans le sépulcre squelette,
« Et sur la terre valet !

« L'homme est nu, stérile, blême,
« Plus frêle qu'un passereau ;
« C'est le puits du néant même
« Qui s'ouvre dans ce zéro.

« Va, Dieu crée et développe
« Un lion très réussi,
« Un bélier, une antilope,
« Sans le concours de Poissy.

« Il fait l'aile de la mouche
« Du doigt dont il façonna
« L'immense taureau farouche
« De la Sierra Morena ;

« Et dans l'herbe et la rosée
« Sa génisse au fier sabot
« Règne, et n'est point éclipsée
« Par la vache Sarlabot.

« Oui, la graine dans l'espace
« Vole à travers le brouillard,
« Et de toi le vent se passe,
« Semoir Jacquet-Robillard !

« Ce laboureur, la tempête,
« N'a pas, dans les gouffres noirs,
« Besoin que Grignon lui prête
« Sa charrue à trois versoirs.

« Germinal, dans l'atmosphère,  
« Soufflant sur les prés fleuris,  
« Sait encor mieux son affaire  
« Qu'un maraîcher de Paris.

« Quand Dieu veut teindre de flamme
« Le scarabée ou la fleur,
« Je ne vois point qu'il réclame
« La lampe de l'émailleur.

« L'homme peut se croire prêtre,
« L'homme peut se dire roi,
« Je lui laisse son peut-être,
« Mais je doute, quant à moi,

« Que Dieu, qui met mon image
« Au lac où je prends mon bain,
« Fasse faire l'étamage
« Des étangs, à Saint-Gobain.

« Quand Dieu pose sur l'eau sombre
« L'arc-en-ciel comme un siphon,
« Quand au tourbillon plein d'ombre
« Il attelle le typhon,

« Quand il maintient d'âge en âge
« L'hiver, l'été, mai vermeil,
« Janvier triste, et l'engrenage
« De l'astre autour du soleil,

« Quand les zodiaques roulent,
« Amarrés solidement,
« Sans que jamais elles croulent,
« Aux poutres du firmament,

« Quand tournent, rentrent et sortent
« Ces effrayants cabestans
« Dont les extrémités portent
« Le ciel, les saisons, le temps ;

« Pour combiner ces rouages
« Précis comme l'absolu,
« Pour que l'urne des nuages
« Bascule au moment voulu,

« Pour que la planète passe,
« Tel jour, au point indiqué,
« Pour que la mer ne s'amasse
« Que jusqu'à l'ourlet du quai,

« Pour que jamais la comète
« Ne rencontre un univers,
« Pour que l'essaim sur l'Hymète
« Trouve en juin les lys ouverts,

« Pour que jamais, quand approche
« L'heure obscure où l'azur luit,
« Une étoile ne s'accroche
« À quelque angle de la nuit,

« Pour que jamais les effluves
« Les forces, le gaz, l'aimant,
« Ne manquent aux vastes cuves
« De l'éternel mouvement,

« Pour régler ce jeu sublime,
« Cet équilibre béni,
« Ces balancements d'abîme,
« Ces écluses d'infini,

« Pour que, courbée ou grandie,
« L'oeuvre marche sans un pli,
« Je crois peu qu'il étudie
« La machine de Marly ! »

Ton ironie est amère,
Mais elle se trompe, ami.
Dieu compte avec l'éphémère,
Et s'appuie à la fourmi.

Dieu n'a rien fait d'inutile.
La terre, hymne où rien n'est vain,
Chante, et l'homme est le dactyle
De l'hexamètre divin.

L'homme et Dieu sont parallèles :
Dieu créant, l'homme inventant.
Dieu donne à l'homme ses ailes.
L'éternité fait l'instant.

L'homme est son auxiliaire
Pour le bien et la vertu.
L'arbre est Dieu, l'homme est le lierre ;
Dieu de l'homme s'est vêtu.

Dieu s'en sert, donc il s'en aide.
L'astre apparaît dans l'éclair ;
Zeus est dans Archimède,
Et Jéhovah dans Képler.

Jusqu'à ce que l'homme meure,
Il va toujours en avant.
Sa pensée a pour demeure
L'immense idéal vivant.

Dans tout génie il s'incarne ;
Le monde est sous son orteil ;
Et s'il n'a qu'une lucarne,
Il y pose le soleil.

Aux terreurs inabordable,
Coupant tous les fatals noeuds,
L'homme marche formidable,
Tranquille et vertigineux.

De limon il se fait lave,
Et colosse d'embryon ;
Epictète était esclave,
Molière était histrion,

Ésope était saltimbanque,
Qu'importe ! - il n'est arrêté
Que lorsque le pied lui manque
Au bord de l'éternité.

L'homme n'est pas autre chose
Que le prête-nom de Dieu.
Quoi qu'il fasse, il sent la cause
Impénétrable, au milieu.

Phidias cisèle Athènes ;
Michel-Ange est surhumain ;
Cyrus, Rhamsès, capitaines,
Ont une flamme à la main ;

Euclide trouve le mètre,
Le rythme sort d'Amphion ;
Jésus-Christ vient tout soumettre,
Même le glaive, au rayon ;

Brutus fait la délivrance ;
Platon fait la liberté ;
Jeanne d'Arc sacre la France
Avec sa virginité ;

Dans le bloc des erreurs noires
Voltaire ses coins ;
Luther brise les mâchoires
De Rome entre ses deux poings ;

Dante ouvre l'ombre et l'anime ;
Colomb fend l'océan bleu... -
C'est Dieu sous un pseudonyme,
C'est Dieu masqué, mais c'est Dieu.

L'homme est le fanal du monde.
Ce puissant esprit banni
Jette une lueur profonde
Jusqu'au seuil de l'infini.

Cent carrefours se partagent
Ce chercheur sans point d'appui ;
Tous les problèmes étagent
Leurs sombres voûtes sur lui.

Il dissipe les ténèbres ;
Il montre dans le lointain
Les promontoires funèbres
De l'abîme et du destin.

Il fait voir les vagues marches
Du sépulcre, et sa clarté
Blanchit les premières arches
Du pont de l'éternité.

Sous l'effrayante caverne
Il rayonne, et l'horreur fuit.
Quelqu'un tient cette lanterne ;
Mais elle t'éclaire, ô nuit !

Le progrès est en litige
Entre l'homme et Jéhovah ;
La greffe ajoute à la tige ;
Dieu cacha, l'homme trouva.

De quelque nom qu'on la nomme,
La science au vaste voeu
Occupe le pied de l'homme
À faire les pas de Dieu.

La mer tient l'homme et l'isole,
Et l'égare **** du port ;
Par le doigt de la boussole
Il se fait montrer le nord.

Dans sa morne casemate,
Penn rend ce damné meilleur ;
Jenner dit : Va-t-en, stigmate !
Jackson dit : Va-t-en, douleur !

Dieu fait l'épi, nous la gerbe ;
Il est grand, l'homme est fécond ;
Dieu créa le premier verbe
Et Gutenberg le second.

La pesanteur, la distance,
Contre l'homme aux luttes prêt,
Prononcent une sentence ;
Montgolfier casse l'arrêt.

Tous les anciens maux tenaces,
Hurlant sous le ciel profond,
Ne sont plus que des menaces
De fantômes qui s'en vont.

Le tonnerre au bruit difforme
Gronde... - on raille sans péril
La marionnette énorme
Que Franklin tient par un fil.

Nemrod était une bête
Chassant aux hommes, parmi
La démence et la tempête
De l'ancien monde ennemi.

Dracon était un cerbère
Qui grince encor sous le ciel
Avec trois têtes : Tibère,
Caïphe et Machiavel.

Nemrod s'appelait la Force,
Dracon s'appelait la Loi ;
On les sentait sous l'écorce
Du vieux prêtre et du vieux roi.

Tous deux sont morts. Plus de haines !
Oh ! ce fut un puissant bruit
Quand se rompirent les chaînes
Qui liaient l'homme à la nuit !

L'homme est l'appareil austère
Du progrès mystérieux ;
Dieu fait par l'homme sur terre
Ce qu'il fait par l'ange aux cieux.

Dieu sur tous les êtres pose
Son reflet prodigieux,
Créant le bien par la chose,
Créant par l'homme le mieux.

La nature était terrible,
Sans pitié, presque sans jour ;
L'homme la vanne en son crible,
Et n'y laisse que l'amour.

Toutes sortes de lois sombres
Semblaient sortir du destin ;
Le mal heurtait aux décombres
Le pied de l'homme incertain.

Pendant qu'à travers l'espace
Elle roule en hésitant ;
Un flot de ténèbres passe
Sur la terre à chaque instant ;

Mais des foyers y flamboient,
Tout s'éclaircit, on le sent,
Et déjà les anges voient
Ce noir globe blanchissant.

Sous l'urne des jours sans nombre
Depuis qu'il suit son chemin,
La décroissance de l'ombre
Vient des yeux du genre humain.

L'autel n'ose plus proscrire ;
La misère est morte enfin ;
Pain à tous ! on voit sourire
Les sombres dents de la faim.

L'erreur tombe ; on l'évacue ;
Les dogmes sont muselés ;
La guerre est une vaincue ;
Joie aux fleurs et paix aux blés !

L'ignorance est terrassée ;
Ce monstre, à demi dormant,
Avait la nuit pour pensée
Et pour voix le bégaiement.

Oui, voici qu'enfin recule
L'affreux groupe des fléaux !
L'homme est l'invincible hercule,
Le balayeur du chaos.

Sa massue est la justice,
Sa colère est la bonté.
Le ciel s'appuie au solstice
Et l'homme à sa volonté.

Il veut. Tout cède et tout plie.
Il construit quand il détruit ;
Et sa science est remplie
Des lumières de la nuit.

Il enchaîne les désastres,
Il tord la rébellion,
Il est sublime ; et les astres
Sont sur sa peau de lion.
Cent mille hommes, criblés d'obus et de mitraille,
Cent mille hommes, couchés sur un champ de bataille,
Tombés pour leur pays par leur mort agrandi,
Comme on tombe à Fleurus, comme on tombe à Lodi,
Cent mille ardents soldats, héros et non victimes,
Morts dans un tourbillon d'événements sublimes,
D'où prend son vol la fière et blanche liberté,
Sont un malheur moins grand pour la société,
Sont pour l'humanité, qui sur le vrai se fonde,
Une calamité moins haute et moins profonde,
Un coup moins lamentable et moins infortuné
Qu'un innocent, - Un seul innocent condamné, -
Dont le sang, ruisselant sous un infâme glaive,
Fume entre les pavés de la place de Grève,
Qu'un juste assassiné dans la forêt des lois,
Et dont l'âme a le droit d'aller dire à Dieu : Vois !

Le 24 mars 1870.
Fable X, Livre IV.


« Ma sœur, vois-tu là-bas, là-bas,
Vois-tu ce tourbillon s'élever sur la route !
Comme il grossit ! vers nous comme il vient à grands pas !
Que nous annonce-t-il ? un carrosse sans doute. »
« - Oui, mon frère, et celui d'un prince assurément. »
« - Ah ! dis plutôt du roi ; car très distinctement
Je vois d'ici ses équipages,
Ses gardes-du-corps, ses courriers,
Ses postillons, ses écuyers,
Ses chiens, et même aussi ses pages. »
Pendant que le frère et la sœur,
Enfants plus hommes qu'on ne pense,
Jugeaient ainsi sur l'apparence,
Le poudreux tourbillon de plus en plus s'avance,
Et permet à leurs yeux d'en percer l'épaisseur.
Produit par un cortège en sa course rapide,
Que cachait-il ? C'étaient, je ne puis le nier,
C'étaient les ânes d'un meunier,
Qui galopaient autour de sa charrette vide.
Je vous laisse à penser quel fut l'étonnement,
J'allais presque dire la honte,
De nos pauvres petits en voyant leur mécompte.
Le père en rit d'abord ; et puis, très sensément :
« Votre erreur, leur dit-il, n'était pas si grossière.
Les grands et les petits ne diffèrent pas tant
Que vous pensez ; maint fait le prouve à chaque instant.
Rien surtout, mes amis, ne se ressemble autant
Que les hommes dans la poussière. »
EM Dec 2014
Il avait le regard le plus doux qu'elle n'aie jamais vu et un sourire a en mourir.. pour combien de temps celui ci va t'il durer? Ce demande -elle en le contemplant.. Elle adorait le regarder entrain d’étudier. elle trouvait un grand charme dans son côté travailleur. Les opposés s'attirent se dit elle avec un léger sourire.. Évidement ils étaient des opposés. Il était romantique, elle ne l'était pas. Il était sérieux, elle ne l'était pas du tout. Il aimait le chocolat blanc, elle le détestait. Il aimait le whisky, elle ne le supportait pas.. mais pourtant il a su la conquérir: ce qu'elle n'aimait pas admettre; elle a toujours essayer d'éviter l'amour qui, pour elle, était un synonyme de peine et misère, dieu sait que sa dernière -et d’ailleurs première- confrontation avec ce dernier n'as pas était des plus joyeuse et elle aurait préférer mourir mille fois avant de retomber dans ce tourbillon de pleurs et d'agonie amoureuse, mais pourtant maintenant plus que tout elle adorait sa présence, entendre sa respiration de bébé, son rire, ses mots doux, son tout, elle l'adorait finalement lui ,car, voyez vous, certains gens donnent valeur au choses, certains gens on devrait jamais les laisser partir, certains gens méritent tout l'amour qu'on leur donne, ils rendent les choses meilleur, ils sont tout simplement des anges, des cadeaux de dieu et lui faisait partie de ces gens ce qui fait qu'il a vite pris une place dans son cœur en dissipant ses doutes et ses peurs, prenant possession complète de celui ci et a fait de sa présence un élément indispensable chez elle, qui trouvait quelque chose de dévastateur, voir effrayant dans son absence.. tel faire face à sa plus grande peur.. un mélange de tristesse, de peur, de curiosité et en même temps un immense vide s'emparent d'elle a chaque fois qu'il s'en va..  elle ne sait pas, elle ne sait juste pas comment ce gars est devenu si important, si vital pour elle mais il l'est, peut être serait-il "le bon"? elle l’espérait anxieusement. elle avait hâte de se réveiller chaque matin a ses cotés, de passer ses jours avec lui ayant des fous rires, parlant de tout et de rien, jouant comme des gamins, construisant leurs rêves ensemble et de passer ses nuits a lui faire passionnément l'amour ou a se blottir dans ses bras en attendant que Morphée vienne l'emmener ****, **** dans un monde ou elle rêvera de lui, de ses lèvres parfaites, de sa douce barbe et  la chaleur de son enlacement. oui, elle avait hâte pour tout ça, elle avait hâte pour lui, mais quelque chose en elle, un monstre habitant les pénombres de son âme, lui disait de se méfier et de prendre ses distances avec lui, se monstre était sa raison. dans le monde fou, absurde, empirique, irrationnel, farfelue,fantaisiste, antilogique, et confus de l'amour la raison est un monstre désastreux, se trouvant alors déchirée entre son idiot de cœur et sa stricte raison elle se rappela de quelque chose qu'il lui a dit. "quand j'ai des doutes,quand des questions mal saines me tiennent, quand n'importe quel chose arrive, je ne donne a moi même qu'une seule repense, je me dit que je t'aime, et cela est toujours suffisant pour faire disparaître tout de mal, rien d'autre n'as d'importance" "je l'aime" se dit-elle alors écrasant le monstre de son jugement et en se rapprochant de lui avec un regard coquin qui en disait long sur ses intentions pour ce soir.
À M. Louis Boulanger.

Away ! - Away ! -
(En avant ! En avant !)
BYRON, Mazeppa.


I.

Ainsi, quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure,
A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure,
Tous ses membres liés
Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines,
Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines
Et le feu de ses pieds ;

Quand il s'est dans ses nœuds roulé comme un reptile,
Qu'il a bien réjoui de sa rage inutile
Ses bourreaux tout joyeux,
Et qu'il retombe enfin sur la croupe farouche,
La sueur sur le front, l'écume dans la bouche,
Et du sang dans les yeux,

Un cri part ; et soudain voilà que par la plaine
Et l'homme et le cheval, emportés, hors d'haleine,
Sur les sables mouvants,
Seuls, emplissant de bruit un tourbillon de poudre
Pareil au nuage noir où serpente la foudre,
Volent avec les vents !

Ils vont. Dans les vallons comme un orage ils passent,
Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent,
Comme un globe de feu ;
Puis déjà ne sont plus qu'un point noir dans la brume,
Puis s'effacent dans l'air comme un flocon d'écume
Au vaste océan bleu.

Ils vont. L'espace est grand. Dans le désert immense,
Dans l'horizon sans fin qui toujours recommence,
Ils se plongent tous deux.
Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes,
Villes et tours, monts noirs liés en longues chaînes,
Tout chancelle autour d'eux.

Et si l'infortuné, dont la tête se brise,
Se débat, le cheval, qui devance la brise,
D'un bond plus effrayé,
S'enfonce au désert vaste, aride, infranchissable,
Qui devant eux s'étend, avec ses plis de sable,
Comme un manteau rayé.

Tout vacille et se peint de couleurs inconnues :
Il voit courir les bois, courir les larges nues,
Le vieux donjon détruit,
Les monts dont un rayon baigne les intervalles ;
Il voit ; et des troupeaux de fumantes cavales
Le suivent à grand bruit !

Et le ciel, où déjà les pas du soir s'allongent,
Avec ses océans de nuages où plongent
Des nuages encor,
Et son soleil qui fend leurs vagues de sa proue,
Sur son front ébloui tourne comme une roue
De marbre aux veines d'or !

Son oeil s'égare et luit, sa chevelure traîne,
Sa tête pend ; son sang rougit la jaune arène,
Les buissons épineux ;
Sur ses membres gonflés la corde se replie,
Et comme un long serpent resserre et multiplie
Sa morsure et ses nœuds.

Le cheval, qui ne sent ni le mors ni la selle,
Toujours fuit, et toujours son sang coule et ruisselle,
Sa chair tombe en lambeaux ;
Hélas ! voici déjà qu'aux cavales ardentes
Qui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes,
Succèdent les corbeaux !

Les corbeaux, le grand-duc à l'oeil rond, qui s'effraie,
L'aigle effaré des champs de bataille, et l'orfraie,
Monstre au jour inconnu,
Les obliques hiboux, et le grand vautour fauve
Qui fouille au flanc des morts où son col rouge et chauve
Plonge comme un bras nu !

Tous viennent élargir la funèbre volée ;
Tous quittent pour le suivre et l'yeuse isolée,
Et les nids du manoir.
Lui, sanglant, éperdu, sourd à leurs cris de joie,
Demande en les voyant qui donc là-haut déploie
Ce grand éventail noir.

La nuit descend lugubre, et sans robe étoilée.
L'essaim s'acharne, et suit, tel qu'une meute ailée,
Le voyageur fumant.
Entre le ciel et lui, comme un tourbillon sombre
Il les voit, puis les perd, et les entend dans l'ombre
Voler confusément.

Enfin, après trois jours d'une course insensée,
Après avoir franchi fleuves à l'eau glacée,
Steppes, forêts, déserts,
Le cheval tombe aux cris de mille oiseaux de proie,
Et son ongle de fer sur la pierre qu'il broie
Éteint ses quatre éclairs.

Voilà l'infortuné, gisant, nu, misérable,
Tout tacheté de sang, plus rouge que l'érable
Dans la saison des fleurs.
Le nuage d'oiseaux sur lui tourne et s'arrête ;
Maint bec ardent aspire à ronger dans sa tête
Ses yeux brûlés de pleurs.

Eh bien ! ce condamné qui hurle et qui se traîne,
Ce cadavre vivant, les tribus de l'Ukraine
Le feront prince un jour.
Un jour, semant les champs de morts sans sépultures,
Il dédommagera par de larges pâtures
L'orfraie et le vautour.

Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice.
Un jour, des vieux hetmans il ceindra la pelisse,
Grand à l'oeil ébloui ;
Et quand il passera, ces peuples de la tente,
Prosternés, enverront la fanfare éclatante
Bondir autour de lui !

II.

Ainsi, lorsqu'un mortel, sur qui son dieu s'étale,
S'est vu lier vivant sur ta croupe fatale,
Génie, ardent coursier,
En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l'emportes
Hors du monde réel dont tu brises les portes
Avec tes pieds d'acier !

Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues
Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues,
De sombres régions ;
Et mille impurs esprits que ta course réveille
Autour du voyageur, insolente merveille,
Pressent leurs légions !

Il traverse d'un vol, sur tes ailes de flamme,
Tous les champs du possible, et les mondes de l'âme ;
Boit au fleuve éternel ;
Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée,
Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée,
Flamboie au front du ciel.

Les six lunes d'Herschel, l'anneau du vieux Saturne,
Le pôle, arrondissant une aurore nocturne
Sur son front boréal,
Il voit tout ; et pour lui ton vol, que rien ne lasse,
De ce monde sans borne à chaque instant déplace
L'horizon idéal.

Qui peut savoir, hormis les démons et les anges,
Ce qu'il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges
À ses yeux reluiront,
Comme il sera brûlé d'ardentes étincelles,
Hélas ! et dans la nuit combien de froides ailes
Viendront battre son front ?

Il crie épouvanté, tu poursuis implacable.
Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l'accable
Il ploie avec effroi ;
Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe.
Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe,
Et se relève roi !

Mai 1828.
Alors le Seigneur fit descendre du ciel sur
Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu.

25. Et il perdit ces villes avec tous leurs habitant,
Tout le pays à l'entour avec ceux qui l'habitaient,
Et tout ce qui avait quelque verdeur sur la terre.

Genèse.

I.

La voyez-vous passer, la nuée au flanc noir ?
Tantôt pâle, tantôt rouge et splendide à voir,
Morne comme un été stérile ?
On croit voir à la fois, sur le vent de la nuit,
Fuir toute la fumée ardente et tout le bruit
De l'embrasement d'une ville.

D'où vient-elle ? des cieux, de la mer ou des monts ?
Est-ce le char de feu qui porte les démons
À quelque planète prochaine ?
Ô terreur ! de son sein, chaos mystérieux,
D'où vient que par moments un éclair furieux
Comme un long serpent se déchaîne ?

II.

La mer ! partout la mer ! des flots, des flots encor.
L'oiseau fatigue en vain son inégal essor.
Ici les flots, là-bas les ondes ;
Toujours des flots sans fin par des flots repoussés ;
L'œil ne voit que des flots dans l'abîme entassés
Rouler sous les vagues profondes.

Parfois de grands poissons, à fleur d'eau voyageant,
Font reluire au soleil leurs nageoires d'argent,
Ou l'azur de leurs larges queues.
La mer semble un troupeau secouant sa toison :
Mais un cercle d'airain ferme au **** l'horizon ;
Le ciel bleu se mêle aux eaux bleues.

- Faut-il sécher ces mers ? dit le nuage en feu.
- Non ! - Il reprit son vol sous le souffle de Dieu.

III.

Un golfe aux vertes collines
Se mirant dans le flot clair ! -
Des buffles, des javelines,
Et des chants joyeux dans l'air ! -
C'était la tente et la crèche,
La tribu qui chasse et pêche,
Qui vit libre, et dont la flèche
Jouterait avec l'éclair.

Pour ces errantes familles
Jamais l'air ne se corrompt.
Les enfants, les jeunes filles,
Les guerriers dansaient en rond,
Autour d'un feu sur la grève,
Que le vent courbe et relève,
Pareils aux esprits qu'en rêve
On voit tourner sur son front.

Les vierges aux seins d'ébène,
Belles comme les beaux soirs,
Riaient de se voir à peine
Dans le cuivre des miroirs ;
D'autres, joyeuses comme elles,
Faisaient jaillir des mamelles
De leurs dociles chamelles
Un lait blanc sous leurs doigts noirs.

Les hommes, les femmes nues
Se baignaient au gouffre amer. -
Ces peuplades inconnues,
Où passaient-elles hier ? -
La voix grêle des cymbales,
Qui fait hennir les cavales,
Se mêlait par intervalles
Aux bruits de la grande mer.

La nuée un moment hésita dans l'espace.
- Est-ce là ? - Nul ne sait qui lui répondit : - Passe !

IV.

L'Égypte ! - Elle étalait, toute blonde d'épis,
Ses champs, bariolés comme un riche tapis,
Plaines que des plaines prolongent ;
L'eau vaste et froide au nord, au sud le sable ardent
Se dispute l'Égypte : elle rit cependant
Entre ces deux mers qui la rongent.

Trois monts bâtis par l'homme au **** perçaient les cieux
D'un triple angle de marbre, et dérobaient aux yeux
Leurs bases de cendre inondées ;
Et de leur faîte aigu jusqu'aux sables dorés,
Allaient s'élargissant leurs monstrueux degrés,
Faits pour des pas de six coudées.

Un sphinx de granit rose, un dieu de marbre vert,
Les gardaient, sans qu'il fût vent de flamme au désert
Qui leur fît baisser la paupière.
Des vaisseaux au flanc large entraient dans un grand port.
Une ville géante, assise sur le bord,
Baignait dans l'eau ses pieds de pierre.

On entendait mugir le semoun meurtrier,
Et sur les cailloux blancs les écailles crier
Sous le ventre des crocodiles.
Les obélisques gris s'élançaient d'un seul jet.
Comme une peau de tigre, au couchant s'allongeait
Le Nil jaune, tacheté d'îles.

L'astre-roi se couchait. Calme, à l'abri du vent,
La mer réfléchissait ce globe d'or vivant,
Ce monde, âme et flambeau du nôtre ;
Et dans le ciel rougeâtre et dans les flots vermeils,
Comme deux rois amis, on voyait deux soleils
Venir au-devant l'un de l'autre.

- Où faut-il s'arrêter ? dit la nuée encor.
- Cherche ! dit une voix dont trembla le Thabor.

V.

Du sable, puis du sable !
Le désert ! noir chaos
Toujours inépuisable
En monstres, en fléaux !
Ici rien ne s'arrête.
Ces monts à jaune crête,
Quand souffle la tempête,
Roulent comme des flots !

Parfois, de bruits profanes
Troublant ce lieu sacré,
Passent les caravanes
D'Ophir ou de Membré.
L'œil de **** suit leur foule,
Qui sur l'ardente houle
Ondule et se déroule
Comme un serpent marbré.

Ces solitudes mornes,
Ces déserts sont à Dieu :
Lui seul en sait les bornes,
En marque le milieu.
Toujours plane une brume
Sur cette mer qui fume,
Et jette pour écume
Une cendre de feu.

- Faut-il changer en lac ce désert ? dit la nue.
- Plus **** ! dit l'autre voix du fond des cieux venue.

VI.

Comme un énorme écueil sur les vagues dressé,
Comme un amas de tours, vaste et bouleversé,
Voici Babel, déserte et sombre.
Du néant des mortels prodigieux témoin,
Aux rayons de la lune, elle couvrait au ****
Quatre montagnes de son ombre.

L'édifice écroulé plongeait aux lieux profonds.
Les ouragans captifs sous ses larges plafonds
Jetaient une étrange harmonie.
Le genre humain jadis bourdonnait à l'entour,
Et sur le globe entier Babel devait un jour
Asseoir sa spirale infinie.

Ses escaliers devaient monter jusqu'au zénith.
Chacun des plus grands monts à ses flancs de granit
N'avait pu fournir qu'une dalle.
Et des sommets nouveaux d'autres sommets chargés
Sans cesse surgissaient aux yeux découragés
Sur sa tête pyramidale.

Les boas monstrueux, les crocodiles verts,
Moindres que des lézards sur ses murs entrouverts,
Glissaient parmi les blocs superbes ;
Et, colosses perdus dans ses larges contours,
Les palmiers chevelus, pendant au front des tours,
Semblaient d'en bas des touffes d'herbes.

Des éléphants passaient aux fentes de ses murs ;
Une forêt croissait sous ses piliers obscurs
Multipliés par la démence ;
Des essaims d'aigles roux et de vautours géants
Jour et nuit tournoyaient à ses porches béants,
Comme autour d'une ruche immense.

- Faut-il l'achever ? dit la nuée en courroux. -
Marche ! - Seigneur, dit-elle, où donc m'emportez-vous ?

VII.

Voilà que deux cités, étranges, inconnues,
Et d'étage en étage escaladant les nues,
Apparaissent, dormant dans la brume des nuits,
Avec leurs dieux, leur peuple, et leurs chars, et leurs bruits.
Dans le même vallon c'étaient deux sœurs couchées.
L'ombre baignait leurs tours par la lune ébauchées ;
Puis l'œil entrevoyait, dans le chaos confus,
Aqueducs, escaliers, piliers aux larges fûts,
Chapiteaux évasés ; puis un groupe difforme
D'éléphants de granit portant un dôme énorme ;
Des colosses debout, regardant autour d'eux
Ramper des monstres nés d'accouplements hideux ;
Des jardins suspendus, pleins de fleurs et d'arcades,
Où la lune jetait son écharpe aux cascades ;
Des temples où siégeaient sur de riches carreaux
Cent idoles de jaspe à têtes de taureaux ;
Des plafonds d'un seul bloc couvrant de vastes salles,
Où, sans jamais lever leurs têtes colossales,
Veillaient, assis en cercle, et se regardant tous,
Des dieux d'airain, posant leurs mains sur leurs genoux.
Ces rampes, ces palais, ces sombres avenues
Où partout surgissaient des formes inconnues,
Ces ponts, ces aqueducs, ces arcs, ces rondes tours,
Effrayaient l'œil perdu dans leurs profonds détours ;
On voyait dans les cieux, avec leurs larges ombres,
Monter comme des caps ces édifices sombres,
Immense entassement de ténèbres voilé !
Le ciel à l'horizon scintillait étoilé,
Et, sous les mille arceaux du vaste promontoire,
Brillait comme à travers une dentelle noire.

Ah ! villes de l'enfer, folles dans leurs désirs !
Là, chaque heure inventait de monstrueux plaisirs,
Chaque toit recelait quelque mystère immonde,
Et, comme un double ulcère, elles souillaient le monde.

Tout dormait cependant : au front des deux cités,
À peine encor glissaient quelques pâles clartés,
Lampes de la débauche, en naissant disparues,
Derniers feux des festins oubliés dans les rues,
De grands angles de murs, par la lune blanchis,
Coupaient l'ombre, ou tremblaient dans une eau réfléchis.
Peut-être on entendait vaguement dans les plaines
S'étouffer des baisers, se mêler des haleines,
Et les deux villes surs, lasses des feux du jour,
Murmurer mollement d'une étreinte d'amour !

Et le vent, soupirant sous le frais sycomore,
Allait tout parfumé de Sodome à Gomorrhe.
C'est alors que passa le nuage noirci,
Et que la voix d'en haut lui cria : - C'est ici !

VIII.

La nuée éclate !
La flamme écarlate
Déchire ses flancs,
L'ouvre comme un gouffre,
Tombe en flots de soufre
Aux palais croulants,
Et jette, tremblante,
Sa lueur sanglante
Sur leurs frontons blancs !

Gomorrhe ! Sodome !
De quel brûlant dôme
Vos murs sont couverts !
L'ardente nuée
Sur vous s'est ruée,
Ô peuples pervers !
Et ses larges gueules
Sur vos têtes seules
Soufflent leurs éclairs !

Ce peuple s'éveille,
Qui dormait la veille
Sans penser à Dieu.
Les grands palais croulent ;
Mille chars qui roulent
Heurtent leur essieu ;
Et la foule accrue,
Trouve en chaque rue
Un fleuve de feu.

Sur ces tours altières,
Colosses de pierres
Trop mal affermis,
Abondent dans l'ombre
Des mourants sans nombre
Encore endormis.
Sur des murs qui pendent
Ainsi se répandent
De noires fourmis !

Se peut-il qu'on fuie
Sous l'horrible pluie ?
Tout périt, hélas !
Le feu qui foudroie
Bat les ponts qu'il broie,
Crève les toits plats,
Roule, tombe, et brise
Sur la dalle grise
Ses rouges éclats !

Sous chaque étincelle
Grossit et ruisselle
Le feu souverain.
Vermeil et limpide,
Il court plus rapide
Qu'un cheval sans frein ;
Et l'idole infâme,
Croulant dans la flamme,
Tord ses bras d'airain !

Il gronde, il ondule,
Du peuple incrédule
Bat les tours d'argent ;
Son flot vert et rose,
Que le soufre arrose,
Fait, en les rongeant,
Luire les murailles
Comme les écailles
D'un lézard changeant.

Il fond comme cire
Agate, porphyre,
Pierres du tombeau,
Ploie, ainsi qu'un arbre,
Le géant de marbre
Qu'ils nommaient Nabo,
Et chaque colonne
Brûle et tourbillonne
Comme un grand flambeau.

En vain quelques mages
Portent les images
Des dieux du haut lieu ;
En vain leur roi penche
Sa tunique blanche
Sur le soufre bleu ;
Le flot qu'il contemple
Emporte leur temple
Dans ses plis de feu !

Plus **** il charrie
Un palais, où crie
Un peuple à l'étroit ;
L'onde incendiaire
Mord l'îlot de pierre
Qui fume et décroît,
Flotte à sa surface,
Puis fond et s'efface
Comme un glaçon froid !

Le grand-prêtre arrive
Sur l'ardente rive
D'où le reste a fui.
Soudain sa tiare
Prend feu comme un phare,
Et pâle, ébloui,
Sa main qui l'arrache
À son front s'attache,
Et brûle avec lui.

Le peuple, hommes, femmes,
Court... Partout les flammes
Aveuglent les yeux ;
Des deux villes mortes
Assiégeant les portes
À flots furieux,
La foule maudite
Croit voir, interdite,
L'enfer dans les cieux !

IX.

On dit qu'alors, ainsi que pour voir un supplice
Un vieux captif se dresse aux murs de sa prison,
On vit de **** Babel, leur fatale complice,
Regarder par-dessus les monts de l'horizon.

On entendit, durant cet étrange mystère,
Un grand bruit qui remplit le monde épouvanté,
Si profond qu'il troubla, dans leur morne cité,
Jusqu'à ces peuples sourds qui vivent sous la terre.

X.

Le feu fut sans pitié ! Pas un des condamnés
Ne put fuir de ces murs brûlant et calcinés.
Pourtant, ils levaient leurs mains viles,
Et ceux qui s'embrassaient dans un dernier adieu,
Terrassés, éblouis, se demandaient quel dieu
Versait un volcan sur leurs villes.

Contre le feu vivant, contre le feu divin,
De larges toits de marbre ils s'abritaient en vain.
Dieu sait atteindre qui le brave.
Ils invoquaient leurs dieux ; mais le feu qui punit
Frappait ces dieux muets dont les yeux de granit
Soudain fondaient en pleurs de lave !

Ainsi tout disparut sous le noir tourbillon,
L'homme avec la cité, l'herbe avec le sillon !
Dieu brûla ces mornes campagnes ;
Rien ne resta debout de ce peuple détruit,
Et le vent inconnu qui souffla cette nuit
Changea la forme des montagnes.

XI.

Aujourd'hui le palmier qui croît sur le rocher
Sent sa feuille jaunie et sa tige sécher
À cet air qui brûle et qui pèse.
Ces villes ne sont plus ; et, miroir du passé,
Sur leurs débris éteints s'étend un lac glacé,
Qui fume comme une fournaise !

Octobre 1828.
chimaera Jun 2014
whispered from a far
fairwell, gentle knight

quedar en silencio

que le traera
si a ella no desea

pianga, pianga

le fleuve ne s'arrête pas

the willow set fire
on itself

three feathers blown

via
via

va via

shattered mirror
eres ella

the spell of the tower

trois plumes
il suo cuore

a willow
drowning

dans le tourbillon

whispered from a far
fairwell, gentle knight

it was but
the waves

haleter de papillons

delusion

whispered from a far
fairwell, gentle knight

she is
nowhere

erronée
ma credente

endless road to
a dock in a bay
*TRANSLATION...

whispered from a far/*fairwell, gentle knight*/to fall into silence/what to bring him/if she is not whom he longs for/cry, cry/the river always flows/the willow set fire/on itself/three feathers blown/hurry/hurry/hurry away/shattered mirror/you are her/the spell of the tower/three feathers/her heart/a willow/drowning/in a vortex/whispered from a far /*fairwell, gentle knight*/it was but/the waves/butterflies'gasp/delusion/whispered from a far /*fairwell, gentle knight*/she is/nowhere/mistaken/but believer/endless road to/a dock in a bay
~~~~~
Playful free exercise in english, french, spanish and italian, upon a rondeau, a form of medieval and Renaissance French poetry, as well as the corresponding musical chanson form.
...And that last line, my tribute to Ottis Redding, of course.
Donc, c'est moi qui suis l'ogre et le bouc émissaire.
Dans ce chaos du siècle où votre coeur se serre,
J'ai foulé le bon goût et l'ancien vers françois
Sous mes pieds, et, hideux, j'ai dit à l'ombre : « Sois ! »
Et l'ombre fut. -- Voilà votre réquisitoire.
Langue, tragédie, art, dogmes, conservatoire,
Toute cette clarté s'est éteinte, et je suis
Le responsable, et j'ai vidé l'urne des nuits.
De la chute de tout je suis la pioche inepte ;
C'est votre point de vue. Eh bien, soit, je l'accepte ;
C'est moi que votre prose en colère a choisi ;
Vous me criez : « Racca » ; moi je vous dis : « Merci ! »
Cette marche du temps, qui ne sort d'une église
Que pour entrer dans l'autre, et qui se civilise ;
Ces grandes questions d'art et de liberté,
Voyons-les, j'y consens, par le moindre côté,
Et par le petit bout de la lorgnette. En somme,
J'en conviens, oui, je suis cet abominable homme ;
Et, quoique, en vérité, je pense avoir commis,
D'autres crimes encor que vous avez omis.
Avoir un peu touché les questions obscures,
Avoir sondé les maux, avoir cherché les cures,
De la vieille ânerie insulté les vieux bâts,
Secoué le passé du haut jusques en bas,
Et saccagé le fond tout autant que la forme.
Je me borne à ceci : je suis ce monstre énorme,
Je suis le démagogue horrible et débordé,
Et le dévastateur du vieil A B C D ;
Causons.

Quand je sortis du collège, du thème,
Des vers latins, farouche, espèce d'enfant blême
Et grave, au front penchant, aux membres appauvris ;
Quand, tâchant de comprendre et de juger, j'ouvris
Les yeux sur la nature et sur l'art, l'idiome,
Peuple et noblesse, était l'image du royaume ;
La poésie était la monarchie ; un mot
Était un duc et pair, ou n'était qu'un grimaud ;
Les syllabes, pas plus que Paris et que Londres,
Ne se mêlaient ; ainsi marchent sans se confondre
Piétons et cavaliers traversant le pont Neuf ;
La langue était l'état avant quatre-vingt-neuf ;
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes :
Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versailles aux carrosses du roi ;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitant les patois ; quelques-uns aux galères
Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas,
Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ;
Populace du style au fond de l'ombre éparse ;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqué d'une F ;
N'exprimant que la vie abjecte et familière,
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers ;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire : « Qu'il s'en aille ;  »
Et Voltaire criait :  « Corneille s'encanaille ! »
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins ; je m'écriai :  « Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ? »
Et sur l'Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d'alexandrins carrés,

Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !
Je fis une tempête au fond de l'encrier,
Et je mêlai, parmi les ombres débordées,
Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ;
Et je dis :  « Pas de mot où l'idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! »
Discours affreux ! -- Syllepse, hypallage, litote,
Frémirent ; je montai sur la borne Aristote,
Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.
Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,
Tous ces tigres, les Huns les Scythes et les Daces,
N'étaient que des toutous auprès de mes audaces ;
Je bondis hors du cercle et brisai le compas.
Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?
Guichardin a nommé le Borgia ! Tacite
Le Vitellius ! Fauve, implacable, explicite,
J'ôtai du cou du chien stupéfait son collier
D'épithètes ; dans l'herbe, à l'ombre du hallier,
Je fis fraterniser la vache et la génisse,
L'une étant Margoton et l'autre Bérénice.
Alors, l'ode, embrassant Rabelais, s'enivra ;
Sur le sommet du Pinde on dansait Ça ira ;
Les neuf muses, seins nus, chantaient la Carmagnole ;
L'emphase frissonna dans sa fraise espagnole ;
Jean, l'ânier, épousa la bergère Myrtil.
On entendit un roi dire : « Quelle heure est-il ? »
Je massacrais l'albâtre, et la neige, et l'ivoire,
Je retirai le jais de la prunelle noire,
Et j'osai dire au bras : « Sois blanc, tout simplement. »
Je violai du vers le cadavre fumant ;
J'y fis entrer le chiffre ; ô terreur! Mithridate
Du siège de Cyzique eût pu citer la date.
Jours d'effroi ! les Laïs devinrent des catins.
Force mots, par Restaut peignés tous les matins,

Et de Louis-Quatorze ayant gardé l'allure,
Portaient encor perruque ; à cette chevelure
La Révolution, du haut de son beffroi,
Cria : « Transforme-toi ! c'est l'heure. Remplis-toi
- De l'âme de ces mots que tu tiens prisonnière ! »
Et la perruque alors rugit, et fut crinière.
Liberté ! c'est ainsi qu'en nos rébellions,
Avec des épagneuls nous fîmes des lions,
Et que, sous l'ouragan maudit que nous soufflâmes,
Toutes sortes de mots se couvrirent de flammes.
J'affichai sur Lhomond des proclamations.
On y lisait : « Il faut que nous en finissions !
- Au panier les Bouhours, les Batteux, les Brossettes
- A la pensée humaine ils ont mis les poucettes.
- Aux armes, prose et vers ! formez vos bataillons !
- Voyez où l'on en est : la strophe a des bâillons !
- L'ode a des fers aux pieds, le drame est en cellule.
- Sur le Racine mort le Campistron pullule ! »
Boileau grinça des dents ; je lui dis :  « Ci-devant,
Silence ! » et je criai dans la foudre et le vent :
« Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! »
Et tout quatre-vingt-treize éclata. Sur leur axe,
On vit trembler l'athos, l'ithos et le pathos.
Les matassins, lâchant Pourceaugnac et Cathos,
Poursuivant Dumarsais dans leur hideux bastringue,
Des ondes du Permesse emplirent leur seringue.
La syllabe, enjambant la loi qui la tria,
Le substantif manant, le verbe paria,
Accoururent. On but l'horreur jusqu'à la lie.
On les vit déterrer le songe d'Athalie ;
Ils jetèrent au vent les cendres du récit
De Théramène ; et l'astre Institut s'obscurcit.
Oui, de l'ancien régime ils ont fait tables rases,
Et j'ai battu des mains, buveur du sang des phrases,
Quand j'ai vu par la strophe écumante et disant
Les choses dans un style énorme et rugissant,
L'Art poétique pris au collet dans la rue,
Et quand j'ai vu, parmi la foule qui se rue,
Pendre, par tous les mots que le bon goût proscrit,
La lettre aristocrate à la lanterne esprit.
Oui, je suis ce Danton ! je suis ce Robespierre !
J'ai, contre le mot noble à la longue rapière,
Insurgé le vocable ignoble, son valet,
Et j'ai, sur Dangeau mort, égorgé Richelet.
Oui, c'est vrai, ce sont là quelques-uns de mes crimes.
J'ai pris et démoli la bastille des rimes.
J'ai fait plus : j'ai brisé tous les carcans de fer
Qui liaient le mot peuple, et tiré de l'enfer
Tous les vieux mots damnés, légions sépulcrales ;
J'ai de la périphrase écrasé les spirales,
Et mêlé, confondu, nivelé sous le ciel
L'alphabet, sombre tour qui naquit de Babel ;
Et je n'ignorais pas que la main courroucée
Qui délivre le mot, délivre la pensée.

L'unité, des efforts de l'homme est l'attribut.
Tout est la même flèche et frappe au même but.

Donc, j'en conviens, voilà, déduits en style honnête,
Plusieurs de mes forfaits, et j'apporte ma tête.
Vous devez être vieux, par conséquent, papa,
Pour la dixième fois j'en fais meâ culpâ.
Oui, si Beauzée est dieu, c'est vrai, je suis athée.
La langue était en ordre, auguste, époussetée,
Fleur-de-lys d'or, Tristan et Boileau, plafond bleu,
Les quarante fauteuils et le trône au milieu ;
Je l'ai troublée, et j'ai, dans ce salon illustre,
Même un peu cassé tout ; le mot propre, ce rustre,
N'était que caporal : je l'ai fait colonel ;
J'ai fait un jacobin du pronom personnel ;
Dur participe, esclave à la tête blanchie,
Une hyène, et du verbe une hydre d'anarchie.

Vous tenez le reum confitentem. Tonnez !
J'ai dit à la narine : « Eh mais ! tu n'es qu'un nez !  »
J'ai dit au long fruit d'or : « Mais tu n'es qu'une poire !  »
J'ai dit à Vaugelas : « Tu n'es qu'une mâchoire ! »
J'ai dit aux mots : « Soyez république ! soyez
La fourmilière immense, et travaillez ! Croyez,
Aimez, vivez ! » -- J'ai mis tout en branle, et, morose,
J'ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose.

Et, ce que je faisais, d'autres l'ont fait aussi ;
Mieux que moi. Calliope, Euterpe au ton transi,
Polymnie, ont perdu leur gravité postiche.
Nous faisons basculer la balance hémistiche.
C'est vrai, maudissez-nous. Le vers, qui, sur son front
Jadis portait toujours douze plumes en rond,
Et sans cesse sautait sur la double raquette
Qu'on nomme prosodie et qu'on nomme étiquette,
Rompt désormais la règle et trompe le ciseau,
Et s'échappe, volant qui se change en oiseau,
De la cage césure, et fuit vers la ravine,
Et vole dans les cieux, alouette divine.

Tous les mots à présent planent dans la clarté.
Les écrivains ont mis la langue en liberté.
Et, grâce à ces bandits, grâce à ces terroristes,
Le vrai, chassant l'essaim des pédagogues tristes,
L'imagination, tapageuse aux cent voix,
Qui casse des carreaux dans l'esprit des bourgeois ;
La poésie au front triple, qui rit, soupire
Et chante, raille et croit ; que Plaute et Shakspeare
Semaient, l'un sur la plebs, et l'autre sur le mob ;
Qui verse aux nations la sagesse de Job
Et la raison d'Horace à travers sa démence ;
Qu'enivre de l'azur la frénésie immense,
Et qui, folle sacrée aux regards éclatants,
Monte à l'éternité par les degrés du temps,

La muse reparaît, nous reprend, nous ramène,
Se remet à pleurer sur la misère humaine,
Frappe et console, va du zénith au nadir,
Et fait sur tous les fronts reluire et resplendir
Son vol, tourbillon, lyre, ouragan d'étincelles,
Et ses millions d'yeux sur ses millions d'ailes.

Le mouvement complète ainsi son action.
Grâce à toi, progrès saint, la Révolution
Vibre aujourd'hui dans l'air, dans la voix, dans le livre ;
Dans le mot palpitant le lecteur la sent vivre ;
Elle crie, elle chante, elle enseigne, elle rit,
Sa langue est déliée ainsi que son esprit.
Elle est dans le roman, parlant tout bas aux femmes.
Elle ouvre maintenant deux yeux où sont deux flammes,
L'un sur le citoyen, l'autre sur le penseur.
Elle prend par la main la Liberté, sa soeur,
Et la fait dans tout homme entrer par tous les pores.
Les préjugés, formés, comme les madrépores,
Du sombre entassement des abus sous les temps,
Se dissolvent au choc de tous les mots flottants,
Pleins de sa volonté, de son but, de son âme.
Elle est la prose, elle est le vers, elle est le drame ;
Elle est l'expression, elle est le sentiment,
Lanterne dans la rue, étoile au firmament.
Elle entre aux profondeurs du langage insondable ;
Elle souffle dans l'art, porte-voix formidable ;
Et, c'est Dieu qui le veut, après avoir rempli
De ses fiertés le peuple, effacé le vieux pli
Des fronts, et relevé la foule dégradée,
Et s'être faite droit, elle se fait idée !

Paris, janvier 1834.
Pour que je t'aime, ô mon poète,
Ne fais pas fuir par trop d'ardeur
Mon amour, colombe inquiète,
Au ciel rose de la pudeur.

L'oiseau qui marche dans l'allée
S'effraye et part au moindre bruit ;
Ma passion est chose ailée
Et s'envole quand on la suit.

Muet comme l'Hermès de marbre,
Sous la charmille pose-toi ;
Tu verras bientôt de son arbre
L'oiseau descendre sans effroi.

Tes tempes sentiront près d'elles,
Avec des souffles de fraîcheur,
Une palpitation d'ailes
Dans un tourbillon de blancheur,

Et la colombe apprivoisée
Sur ton épaule s'abattra,
Et son bec à pointe rosée
De ton baiser s'enivrera.
Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,
Et sa brume et ses toits sont bien **** de mes yeux ;
Maintenant que je suis sous les branches des arbres,
Et que je puis songer à la beauté des cieux ;

Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure
Je sors, pâle et vainqueur,
Et que je sens la paix de la grande nature
Qui m'entre dans le cœur ;

Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Emu par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ;

Maintenant, ô mon Dieu ! que j'ai ce calme sombre
De pouvoir désormais
Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre
Elle dort pour jamais ;

Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles,
Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l'immensité ;

Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ;
Je vous porte, apaisé,
Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé ;

Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes
Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !
Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent ;

Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament ;
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement ;

Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,
Possédez l'infini, le réel, l'absolu ;
Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste
Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu !

Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive
Par votre volonté.
L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,
Roule à l'éternité.

Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ;
L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant.
L'homme subit le joug sans connaître les causes.
Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.

Vous faites revenir toujours la solitude
Autour de tous ses pas.
Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude
Ni la joie ici-bas !

Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire :
C'est ici ma maison, mon champ et mes amours !

Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ;
Il vieillit sans soutiens.
Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient ;
J'en conviens, j'en conviens !

Le monde est sombre, ô Dieu ! l'immuable harmonie
Se compose des pleurs aussi bien que des chants ;
L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie,
Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.

Je sais que vous avez bien autre chose à faire
Que de nous plaindre tous,
Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,
Ne vous fait rien, à vous !

Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,
Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ;
Que la création est une grande roue
Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un ;

Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,
Passent sous le ciel bleu ;
Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent ;
Je le sais, ô mon Dieu !

Dans vos cieux, au-delà de la sphère des nues,
Au fond de cet azur immobile et dormant,
Peut-être faites-vous des choses inconnues
Où la douleur de l'homme entre comme élément.

Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre
Que des êtres charmants
S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre
Des noirs événements.

Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses
Que rien ne déconcerte et que rien n'attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites clémences
Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit !

Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme,
Et de considérer
Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme,
Je viens vous adorer !

Considérez encor que j'avais, dès l'aurore,
Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,
Expliquant la nature à l'homme qui l'ignore,
Eclairant toute chose avec votre clarté ;

Que j'avais, affrontant la haine et la colère,
Fait ma tâche ici-bas,
Que je ne pouvais pas m'attendre à ce salaire,
Que je ne pouvais pas

Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyiez comme j'ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant !

Qu'une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,
Que j'ai pu blasphémer,
Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
Une pierre à la mer !

Considérez qu'on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre,
Que l'œil qui pleure trop finit par s'aveugler,
Qu'un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,

Et qu'il ne se peut pas que l'homme, lorsqu'il sombre
Dans les afflictions,
Ait présente à l'esprit la sérénité sombre
Des constellations !

Aujourd'hui, moi qui fus faible comme une mère,
Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.
Je me sens éclairé dans ma douleur amère
Par un meilleur regard jeté sur l'univers.

Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire
S'il ose murmurer ;
Je cesse d'accuser, je cesse de maudire,
Mais laissez-moi pleurer !

Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela !
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant : Sens-tu que je suis là ?

Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,
Le soir, quand tout se tait,
Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,
Cet ange m'écoutait !

Hélas ! vers le passé tournant un œil d'envie,
Sans que rien ici-bas puisse m'en consoler,
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Où je l'ai vue ouvrir son aile et s'envoler !

Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure,
L'instant, pleurs superflus !
Où je criai : L'enfant que j'avais tout à l'heure,
Quoi donc ! je ne l'ai plus !

Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
Ô mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné !
L'angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,
Et mon cœur est soumis, mais n'est pas résigné.

Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame,
Mortels sujets aux pleurs,
Il nous est malaisé de retirer notre âme
De ces grandes douleurs.

Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires,
Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin,
Au milieu des ennuis, des peines, des misères,
Et de l'ombre que fait sur nous notre destin,

Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,
Petit être joyeux,
Si beau, qu'on a cru voir s'ouvrir à son entrée
Une porte des cieux ;

Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même
Croître la grâce aimable et la douce raison,
Lorsqu'on a reconnu que cet enfant qu'on aime
Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,

Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste
De tout ce qu'on rêva,
Considérez que c'est une chose bien triste
De le voir qui s'en va !
Le soleil de nos jours pâlit dès son aurore,
Sur nos fronts languissants à peine il jette encore
Quelques rayons tremblants qui combattent la nuit ;
L'ombre croit, le jour meurt, tout s'efface et tout fuit !
Qu'un autre à cet aspect frissonne et s'attendrisse,
Qu'il recule en tremblant des bords du précipice,
Qu'il ne puisse de **** entendre sans frémir
Le triste chant des morts tout prêt à retentir,
Les soupirs étouffés d'une amante ou d'un frère
Suspendus sur les bords de son lit funéraire,
Ou l'airain gémissant, dont les sons éperdus
Annoncent aux mortels qu'un malheureux n'est plus !
Je te salue, ô mort ! Libérateur céleste,
Tu ne m'apparais point sous cet aspect funeste
Que t'a prêté longtemps l'épouvante ou l'erreur ;
Ton bras n'est point armé d'un glaive destructeur,
Ton front n'est point cruel, ton oeil n'est point perfide,
Au secours des douleurs un Dieu clément te guide ;
Tu n'anéantis pas, tu délivres! ta main,
Céleste messager, porte un flambeau divin ;
Quand mon oeil fatigué se ferme à la lumière,
Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière ;
Et l'espoir près de toi, rêvant sur un tombeau,
Appuyé sur la foi, m'ouvre un monde plus beau !
Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles,
Viens, ouvre ma prison ; viens, prête-moi tes ailes,
Que tardes-tu? Parais ; que je m'élance enfin
Vers cet être inconnu, mon principe et ma fin !
Qui m'en a détaché ? qui suis-je, et que dois-je être ?
Je meurs et ne sais pas ce que c'est que de naître.
Toi, qu'en vain j'interroge, esprit, hôte inconnu,
Avant de m'animer, quel ciel habitais-tu ?
Quel pouvoir t'a jeté sur ce globe fragile ?
Quelle main t'enferma dans ta prison d'argile ?
Par quels noeuds étonnants, par quels secrets rapports
Le corps tient-il à toi comme tu tiens au corps ?
Quel jour séparera l'âme de la matière ?
Pour quel nouveau palais quitteras-tu la terre ?
As-tu tout oublié ? Par-delà le tombeau,
Vas-tu renaître encor dans un oubli nouveau ?
Vas-tu recommencer une semblable vie ?
Ou dans le sein de Dieu, ta source et ta patrie,
Affranchi pour jamais de tes liens mortels,
Vas-tu jouir enfin de tes droits éternels ?
Oui, tel est mon espoir, ô moitié de ma vie !
C'est par lui que déjà mon âme raffermie
A pu voir sans effroi sur tes traits enchanteurs
Se faner du printemps les brillantes couleurs.
C'est par lui que percé du trait qui me déchire,
Jeune encore, en mourant vous me verrez sourire,
Et que des pleurs de joie à nos derniers adieux,
A ton dernier regard, brilleront dans mes yeux.
" Vain espoir ! " s'écriera le troupeau d'Epicure,
Et celui dont la main disséquant la nature,
Dans un coin du cerveau nouvellement décrit,
Voit penser la matière et végéter l'esprit ;
Insensé ! diront-ils, que trop d'orgueil abuse,
Regarde autour de toi : tout commence et tout s'use,
Tout marche vers un terme, et tout naît pour mourir ;
Dans ces prés jaunissants tu vois la fleur languir ;
Tu vois dans ces forêts le cèdre au front superbe
Sous le poids de ses ans tomber, ramper sous l'herbe ;
Dans leurs lits desséchés tu vois les mers tarir ;
Les cieux même, les cieux commencent à pâlir ;
Cet astre dont le temps a caché la naissance,
Le soleil, comme nous, marche à sa décadence,
Et dans les cieux déserts les mortels éperdus
Le chercheront un jour et ne le verront plus !
Tu vois autour de toi dans la nature entière
Les siècles entasser poussière sur poussière,
Et le temps, d'un seul pas confondant ton orgueil,
De tout ce qu'il produit devenir le cercueil.
Et l'homme, et l'homme seul, ô sublime folie !
Au fond de son tombeau croit retrouver la vie,
Et dans le tourbillon au néant emporté.
Abattu par le temps, rêve l'éternité !
Qu'un autre vous réponde, ô sages de la terre !
Laissez-moi mon erreur : j'aime, il faut que j'espère ;
Notre faible raison se trouble et se confond.
Oui, la raison se tait : mais l'Instinct vous répond.
Pour moi, quand je verrais dans les célestes plaines,
Les astres, s'écartant de leurs routes certaines,
Dans les champs de l'éther l'un par l'autre heurtés,
Parcourir au hasard les cieux épouvantés ;
Quand j'entendrais gémir et se briser la terre ;
Quand je verrais son globe errant et solitaire
Flottant **** des soleils, pleurant l'homme détruit,
Se perdre dans les champs de l'éternelle nuit ;
Et quand, dernier témoin de ces scènes funèbres,
Entouré du chaos, de la mort, des ténèbres,
Seul je serais debout : seul, malgré mon effroi,
Etre infaillible et bon, j'espérerais en toi,
Et, certain du retour de l'éternelle aurore,
Sur les mondes détruits, je t'attendrais encore !
Souvent, tu t'en souviens, dans cet heureux séjour
Où naquit d'un regard notre immortel amour,
Tantôt sur les sommets de ces rochers antiques,
Tantôt aux bords déserts des lacs mélancoliques,
Sur l'aile du désir, **** du monde emportés,
Je plongeais avec toi dans ces obscurités.
Les ombres à longs plis descendant des montagnes,
Un moment à nos yeux dérobaient les campagnes
Mais bientôt s'avançant sans éclat et sans bruit
Le choeur mystérieux des astres de la nuit,
Nous rendant les objets voilés à notre vue,
De ses molles lueurs revêtait l'étendue ;
Telle, en nos temples saints par le jour éclairés,
Quand les rayons du soir pâlissent par degrés,
La lampe, répandant sa pieuse lumière,
D'un jour plus recueilli remplit le sanctuaire.
Dans ton ivresse alors tu ramenais mes yeux,
Et des cieux à la terre, et de la terre aux cieux ;
Dieu caché, disais-tu, la nature est ton temple !
L'esprit te voit partout quand notre oeil la contemple ;
De tes perfections, qu'il cherche à concevoir,
Ce monde est le reflet, l'image, le miroir ;
Le jour est ton regard, la beauté ton sourire
Partout le coeur t'adore et l'âme te respire ;
Eternel, infini, tout-puissant et tout bon,
Ces vastes attributs n'achèvent pas ton nom ;
Et l'esprit, accablé sous ta sublime essence,
Célèbre ta grandeur jusque dans son silence.
Et cependant, ô Dieu! par sa sublime loi,
Cet esprit abattu s'élance encore à toi,
Et sentant que l'amour est la fin de son être,
Impatient d'aimer, brûle de te connaître.
Tu disais : et nos coeurs unissaient leurs soupirs
Vers cet être inconnu qu'attestaient nos désirs ;
A genoux devant lui, l'aimant dans ses ouvrages,
Et l'aurore et le soir lui portaient nos hommages,
Et nos yeux enivrés contemplaient tour à tour
La terre notre exil, et le ciel son séjour.
Ah! si dans ces instants où l'âme fugitive
S'élance et veut briser le sein qui la captive,
Ce Dieu, du haut du ciel répondant à nos voeux,
D'un trait libérateur nous eût frappés tous deux !
Nos âmes, d'un seul bond remontant vers leur source,
Ensemble auraient franchi les mondes dans leur course
A travers l'infini, sur l'aile de l'amour,
Elles auraient monté comme un rayon du jour,
Et, jusqu'à Dieu lui-même arrivant éperdues,
Se seraient dans son sein pour jamais confondues !
Ces voeux nous trompaient-ils? Au néant destinés,
Est-ce pour le néant que les êtres sont nés ?
Partageant le destin du corps qui la recèle,
Dans la nuit du tombeau l'âme s'engloutit-elle ?
Tombe-t-elle en poussière ? ou, prête à s'envoler,
Comme un son qui n'est plus va-t-elle s'exhaler ?
Après un vain soupir, après l'adieu suprême
De tout ce qui t'aimait, n'est - il plus rien qui t'aime ?
Ah ! sur ce grand secret n'interroge que toi !
Vois mourir ce qui t'aime, Elvire, et réponds-moi !
Murs, ville
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit !

La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.

La rumeur approche.
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s'écroule,
Et tantôt grandit,

Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !... Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond.
Déjà, s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près ! - Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !

Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure !
L'horrible essaim, poussé par l'aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle, penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon.

Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !

Ils sont passés ! - Leur cohorte
S'envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.

D'étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des Arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde ;
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord ;
C'est la plainte,
Presque éteinte,
D'une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit...
J'écoute : -
Tout fuit,
Tout passe ;
L'espace
Efface
Le bruit.

Le 12 août 1828.
Écoutez ce que c'est que la femme adultère.

Sa joie est un tourment, sa douleur un mystère :

Dans son cœur dégradé que le crime avilit

Un autre a pris la place à l'époux réservée ;

D'impures voluptés elle s'est abreuvée ;

Un autre est venu dans son lit.


Dévorée au dedans d'une flamme cachée,

Toujours, devant les yeux son image attachée

Jusqu'aux bras d'un époux vient encor la troubler ;

Elle reste au logis des heures à l'attendre.

Prête l'oreille et dit, quand elle croit l'entendre,

A ses enfants de s'en aller.


Son complice ! des lois il brave la vengeance !

Qui pourrait, trahissant leur sourde intelligence,

Éveiller dans les cœurs le soupçon endormi ?

De son crime impuni le succès l'encourage,

La mère lui sourit, et l'époux qu'il outrage

L'embrasse en disant : mon ami.


Voici venir enfin l'heure tant retardée ;

Les voilà seuls, la porte est close et bien gardée :

Pourquoi cet air pensif, pourquoi cet œil distrait ?

Pourquoi toujours trembler et pâlir d'épouvante ?

Personne ne l'a vu monter, et la suivante

A reçu le prix du secret.


Dans un festin brillant le hasard les rassemble ;

Leurs sièges sont voisins. Que vont-ils dire ensemble ?

Quel sinistre bonheur dans leurs regards a lui !

Oh retiens les éclairs de ta prunelle ardente,

Garde de te trahir, et de boire, imprudente !

Dans la même coupe après lui !


Que dis-je ? Du mépris et de l'indifférence

Elle sait à son œil imposer l'apparence :

Un regard indiscret jamais ne révéla

De son cœur déchiré la sombre inquiétude.

Elle s'observe, et sait, à force d'habitude,

Rester froide quand il est là !


Ses tourments sont cachés à tous, soyez sans crainte ;

Aussi regardez-la sans gêne et sans contrainte

Répondre à vingt propos, sourire… oh si du moins,

Pour apaiser l'ardeur dont elle est embrasée,

Elle pouvait, auprès d'une obscure croisée,

L'avoir un instant sans témoins !


Sentir le bruit léger de sa robe froissée,

Dans les plis de satin sa jambe entrelacée,

Lui donner d'un regard l'heure du lendemain,

Et, dans ce tourbillon qui roule et qui l'emporte.

Lui dire… ou seulement debout, près de la porte,

En passant lui serrer la main !


Cependant, pas à pas, la vieillesse est venue

Troubler son cœur flétri d'une crainte inconnue.

Le prestige enivrant s'est enfin dissipé :

Il faut quitter l'amour, l'amour et son ivresse ;

Il faut se trouver seule et subir la tendresse

De cet homme qu'elle a trompé.
(extrait)

II

Oh ! Paris est la cité mère !
Paris est le lieu solennel
Où le tourbillon éphémère
Tourne sur un centre éternel !
Paris ! feu sombre ou pure étoile !
Morne Isis couverte d'un voile !
Araignée à l'immense toile
Où se prennent les nations !
Fontaine d'urnes obsédée !
Mamelle sans cesse inondée
Où pour se nourrir de l'idée
Viennent les générations !

Quand Paris se met à l'ouvrage
Dans sa forge aux mille clameurs,
A tout peuple, heureux, brave ou sage,
Il prend ses lois, ses dieux, ses moeurs.
Dans sa fournaise, pêle-mêle,
Il fond, transforme et renouvelle
Cette science universelle
Qu'il emprunte à tous les humains ;
Puis il rejette aux peuples blêmes
Leurs sceptres et leurs diadèmes,
Leurs préjugés et leurs systèmes,
Tout tordus par ses fortes mains !

Paris, qui garde, sans y croire,
Les faisceaux et les encensoirs,
Tous les matins dresse une gloire,
Eteint un soleil tous les soirs ;
Avec l'idée, avec le glaive,
Avec la chose, avec le rêve,
Il refait, recloue et relève
L'échelle de la terre aux cieux ;
Frère des Memphis et des Romes,
Il bâtit au siècle où nous sommes
Une Babel pour tous les hommes,
Un Panthéon pour tous les dieux !

Ville qu'un orage enveloppe !
C'est elle, hélas ! qui, nuit et jour,
Réveille le géant Europe
Avec sa cloche et son tambour !
Sans cesse, qu'il veille ou qu'il dorme,
Il entend la cité difforme
Bourdonner sur sa tête énorme
Comme un essaim dans la forêt.
Toujours Paris s'écrie et gronde.
Nul ne sait, question profonde !
Ce que perdrait le bruit du monde
Le jour où Paris se tairait !
Sonnet.

Aujourd'hui l'espace est splendide !
Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin !

Comme deux anges que torture
Une implacable calenture,
Dans le bleu cristal du matin
Suivons le mirage lointain !

Mollement balancés sur l'aile
Du tourbillon intelligent,
Dans un délire parallèle,

Ma soeur, côte à côte nageant,
Nous fuirons sans repos ni trêves
Vers le paradis de mes rêves !
Parmi les marbres qu'on renomme
Sous le ciel d'Athène ou de Rome,
Je prends le plus pur, le plus blanc,
Je le taille et puis je l'étale
Dans ta pose d'Horizontale
Soulevée... un peu... sur le flanc...

Voici la tête qui se dresse,
Qu'une ample chevelure presse,
Le cou blanc, dont le pur contour
Rappelle à l'œil qui le contemple
Une colonne, au front d'un temple,
Le plus beau temple de l'Amour !

Voici la gorge féminine,
Le bout des seins sur la poitrine
Délicatement accusé,
Les épaules, le dos, le ventre
Où le nombril se renfle et rentre
Comme un tourbillon apaisé.

Voici le bras plein qui s'allonge ;
Voici, comme on les voit en songe,
Les deux petites mains d'Éros,
Le bassin immense, les hanches,
Et les adorablement blanches
Et fermes fesses de Paros.

Voici le mont au fond des cuisses
Les plus fortes pour que tu puisses
Porter les neuf mois de l'enfant ;
Et voici tes jambes parfaites...
Et, pour les sonnets des poètes,
Voici votre pied triomphant.

Pas plus grande que Cléopâtre
Pour qui deux peuples vont se battre,
Voici la Femme dont le corps
Fait sur les gestes et les signes
Courir la musique des lignes
En de magnifiques accords.

Je m'élance comme un barbare,
J'abats la tête, le pied rare,
Les mains... et puis... au bout d'un an...
Lorsque sa gloire est colossale,
Je la dispose en une salle,
La plus riche du Vatican.
I.

Ô soldats de l'an deux ! ô guerres ! épopées !
Contre les rois tirant ensemble leurs épées,
Prussiens, autrichiens,
Contre toutes les Tyrs et toutes les Sodomes,
Contre le czar du nord, contre ce chasseur d'hommes
Suivi de tous ses chiens,

Contre toute l'Europe avec ses capitaines,
Avec ses fantassins couvrant au **** les plaines,
Avec ses cavaliers,
Tout entière debout comme une hydre vivante,
Ils chantaient, ils allaient, l'âme sans épouvante
Et les pieds sans souliers !

Au levant, au couchant, partout, au sud, au pôle,
Avec de vieux fusils sonnant sur leur épaule,
Passant torrents et monts,
Sans repos, sans sommeil, coudes percés, sans vivres,
Ils allaient, fiers, joyeux, et soufflant dans des cuivres
Ainsi que des démons !

La Liberté sublime emplissait leurs pensées.
Flottes prises d'assaut, frontières effacées
Sous leur pas souverain,
Ô France, tous les jours, c'était quelque prodige,
Chocs, rencontres, combats ; et Joubert sur l'Adige,
Et Marceau sur le Rhin !

On battait l'avant-garde, on culbutait le centre ;
Dans la pluie et la neige et de l'eau jusqu'au ventre,
On allait ! en avant !
Et l'un offrait la paix, et l'autre ouvrait ses portes,
Et les trônes, roulant comme des feuilles mortes,
Se dispersaient au vent !

Oh ! que vous étiez grands au milieu des mêlées,
Soldats ! L'œil plein d'éclairs, faces échevelées
Dans le noir tourbillon,
Ils rayonnaient, debout, ardents, dressant la tête
Et comme les lions aspirent la tempête
Quand souffle l'aquilon,

Eux, dans l'emportement de leurs luttes épiques,
Ivres, ils savouraient tous les bruits héroïques,
Le fer heurtant le fer,
La Marseillaise ailée et volant dans les balles,
Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales,
Et ton rire, ô Kléber !

La Révolution leur criait : - Volontaires,
Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères ! -
Contents, ils disaient oui.
- Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes ! -
Et l'on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes
Sur le monde ébloui !

La tristesse et la peur leur étaient inconnues.
Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues
Si ces audacieux,
En retournant les yeux dans leur course olympique,
Avaient vu derrière eux la grande République
Montrant du doigt les cieux !

Jersey, du 7 au 13 janvier 1853.
Le paysage dans le cadre des portières

Court furieusement, et des plaines entières

Avec de l'eau, des blés, des arbres et du ciel

Vont s'engouffrant parmi le tourbillon cruel

Où tombent les poteaux minces du télégraphe

Dont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe.


Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout,

Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout

Desquelles hurleraient mille géants qu'on fouette ;

Et tout à coup des cris prolongés de chouette.

- Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux

La blanche vision qui fait mon coeur joyeux,

Puisque la douce voix pour moi murmure encore,

Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore

Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,

Au rythme du wagon brutal, suavement.
Louve Sep 2019
A toi qui me fais chanter,
A ces rêves qui résonnent,
dans cette cage palpitante.

La raison m’échappe;
de ton odeur sur mes draps,
de la douceur de tes mots.
A ces instants,
rien ne me paraît si beau.

Et pourtant,
les échos de tes pensées
se répandent un peu partout,
sur les murs de ma chambre
et même dans cette salle
bruyante,
joviale,  
et sombre.

Mais vraiment rien n’est plus beau,
que nos rires,
que nos regards alambiqués,
dont seuls nous détenons le sens.

Si simple serait-il,
que ton tourbillon
ne m’emporte pas,
que tes vagues
ne m’assomment pas.

Car ta tempête me tord,
bien fort, si fort,
que je ne contemple plus
la Terre tourner.

Bien souvent,
je rêve de cet océan,
où les vagues glissent sur mes pieds,
m’invitant à m’enfoncer.

Mais alors que je rêve,
silencieuse la lame devient,
car surgit la houle
qui me jette sur les rives.

A chaque rêve qui se meurt
naît un nouveau souffle.
Et je perds le sens.
Mais rien n’est plus beau,
rien n’est plus beau que cet été.
La salle est magnifique et la table est immense.
Toujours par quelque bout le banquet recommence,
Un magique banquet, sans cesse amoncelé
Dans l'or et le cristal et l'argent ciselé.
A cette table auguste, où siègent peu de sages,
Tous les sexes ont place ainsi que tous les âges.
Guerrier de quarante ans au profil sérieux,
Jeune homme au blond duvet, jeune fille aux doux yeux,
Enfant qui balbutie et vieillard qui bégaye,
Tous mangent, tous ont faim, et leur faim les égaye,
Et les plus acharnés sont, autour des plats d'or,
Ceux qui n'ont plus de dents ou n'en ont pas encor !
Casques, cimiers, fleurons, bannières triomphales
Les lions couronnés, les vautours bicéphales,
Les étoiles d'argent sur le sinople obscur,
L'abeille dans la pourpre et le lys dans l'azur,
Les chaînes, les chevrons, les lambels, les losanges,
Tout ce que le blason a de formes étranges,
De léopards ailés, d'aigles et de griffons,
Tourbillonne autour d'eux, se cramponne aux plafonds,
Se tord dans l'arabesque entre leurs pieds jetée,
Plonge un bec familier dans leur coupe sculptée,
Et suspend aux lambris main drapeau rayonnant,
Qui, des poutres du toit jusqu'à leurs fronts traînant,
Les effleure du bout de sa frange superbe,
Comme un oiseau dont l'aile en passant touche l'herbe.

Et comme à ce banquet tout résonne ou reluit,
On y croit voir jouter la lumière et le bruit.

La salle envoie au ciel une rumeur de fête.
Les convives ont tous une couronne en tête,
Tous un trône sous eux où leur orgueil s'assied,
Tous un sceptre à la main, tous une chaîne au pied ;
Car il en est plus d'un qui voudrait fuir peut-être,
Et l'esclave le mieux attaché c'est le maître.

Le pouvoir enivrant qui change l'homme en dieu ;
L'amour, miel et poison, l'amour, philtre de feu
Fait du souffle mêlé de l'homme et de la femme,
Des frissons de la chair et des rêves de l'âme ;
Le plaisir, fils des nuits, dont l'œil brûlant d'espoir
Languit vers le matin et sa rallume au soir ;
Les meutes, les piqueurs, les chasses effrénées
Tout le jour par les champs au son du cor menées ;
La soie et l'or ; les lits de cèdre et de vermeil,
Faits pour la volupté plus que pour le sommeil,
Où, quand votre maîtresse en vos bras est venue,
Sur une peau de tigre on peut la coucher nue ;
Les palais effrontés, les palais imprudents
Qui, du pauvre enviées, lui font grincer des dents ;
Les parcs majestueux, pleins d'horizons bleuâtres,
Où l'œil sous le feuillage entrevoit des albâtres,
Où le grand peuplier tremble auprès du bouleau,
Où l'on entend la nuit des musiques sur l'eau ;
La pudeur des beautés facilement vaincue ;
La justice du juge à prix d'or convaincue ;
La terreur des petits, le respect des passants,
Cet assaisonnement du bonheur des puissants ;
La guerre ; le canon tout gorgé de mitrailles
Qui passe son long cou par-dessus les murailles ;
Le régiment marcheur, polype aux mille pieds ;
La grande capitale aux bruits multipliés ;
Tout ce qui jette au ciel, soit ville, soit armée,
Des vagues de poussière et des flots de fumée ;
Le budget, monstre énorme, admirable poisson
A qui de toutes parts on jette l'hameçon,
Et qui, laissant à flots l'or couler de ses plaies,
Traîne un ventre splendide, écaillé de monnaies ;
Tels sont les mets divins que sur des plats dorés
Leur servent à la fois cent valets affairés,
Et que dans son fourneau, laboratoire sombre,
Souterrain qui flamboie au-dessous d'eux dans l'ombre,
Prépare nuit et jour pour le royal festin
Ce morose alchimiste, appelé le Destin !

Le sombre amphitryon ne veut pas de plats vides,
Et la profusion lasse les plus avides ;
Et, pour choisir parmi tant de mets savoureux,
Pour les bien conseiller, sans cesse, derrière eux,
Ils ont leur conscience ou ce qu'ainsi l'on nomme,
Compagnon clairvoyant, guide sûr de tout homme,
A qui, par imprudence et dès les premiers jeux,
Les nourrices des rois crèvent toujours les yeux.

Oh ! ce sont là les grands et les heureux du monde !
Ô vie intarissable où le bonheur abonde !
Ô magnifique orgie ! ô superbe appareil !
Comme on s'enivre bien dans un festin pareil !
Comme il doit, à travers ces splendeurs éclatantes,
Vous passer dans l'esprit mille images flottantes !
Que les rires, les voix, les lampes et le vin
Vous doivent faire en l'âme un tourbillon divin !
Et que l'œil ébloui doit errer avec joie
De tout ce qui ruisselle à tout ce qui flamboie !

Mais tout à coup, tandis que l'échanson rieur
Leur verse à tous l'oubli du monde extérieur ;
A l'heure où table, et salle, et valets, et convives,
Et flambeaux couronnés d'auréoles plus vives,
Et l'orchestre caché qui chante jour et nuit,
Epanchent plus de joie, et de flamme, et de bruit,
Hélas ! à cet instant d'ivresse et de délire,
Où le banquet hautain semble éclater de rire,
Narguant le peuple assis à la porte en haillons,
Quelqu'un frappe soudain l'escalier des talons,
Quelqu'un survient, quelqu'un en bas se fait entendre,
Quelqu'un d'inattendu qu'on devrait bien attendre.

Ne fermez pas la porte. Il faut ouvrir d'abord.
Il faut qu'on laisse entrer. - Et tantôt c'est la mort,
Tantôt l'exil qui vient, la bouche haletante,
L'une avec un tombeau, l'autre avec une tente,
La mort au pied pesant, l'exil au pas léger,
Spectre toujours vêtu d'un habit étranger.

Le spectre est effrayant. Il entre dans la salle,
Jette sur tous les fronts son ombre colossale,
Courbe chaque convive ainsi qu'un arbre au vent,
Puis il en choisit un, le plus ivre souvent,
L'arrache du milieu de la table effrayée,
Et l'emporte, la bouche encor mal essuyée !

Le 20 août 1832.
Ami, vous revenez d'un de ces longs voyages
Qui nous font vieillir vite, et nous changent en sages
Au sortir du berceau.
De tous les océans votre course a vu l'onde,
Hélas ! et vous feriez une ceinture au monde
Du sillon du vaisseau.

Le soleil de vingt cieux a mûri votre vie.
Partout où vous mena votre inconstante envie,
Jetant et ramassant,
Pareil au laboureur qui récolte et qui sème,
Vous avez pris des lieux et laissé de vous-même
Quelque chose en passant !

Tandis que votre ami, moins heureux et moins sage,
Attendait des saisons l'uniforme passage
Dans le même horizon,
Et comme l'arbre vert qui de **** la dessine,
A sa porte effeuillant ses jours, prenait racine
Au seuil de sa maison.

Vous êtes fatigué, tant vous avez vu d'hommes !
Enfin vous revenez, las de ce que nous sommes,
Vous reposer en Dieu.
Triste, vous me contez vos courses infécondes,
Et vos pieds ont mêlé la poudre de trois mondes
Aux cendres de mon feu.

Or, maintenant, le cœur plein de choses profondes,
Des enfants dans vos mains tenant les têtes blondes,
Vous me parlez ici,
Et vous me demandez, sollicitude amère !
- Où donc ton père ? où donc ton fils ? où donc ta mère ?
- Ils voyagent aussi !

Le voyage qu'ils font n'a ni soleil, ni lune ;
Nul homme n'y peut rien porter de sa fortune,
Tant le maître est jaloux !
Le voyage qu'ils font est profond et sans bornes,
On le fait à pas lents, parmi des faces mornes,
Et nous le ferons tous !

J'étais à leur départ comme j'étais au vôtre.
En diverses saisons, tous trois, l'un après l'autre,
Ils ont pris leur essor.
Hélas ! j'ai mis en terre, à cette heure suprême,
Ces têtes que j'aimais. Avare, j'ai moi-même
Enfoui mon trésor.

Je les ai vus partir. J'ai, faible et plein d'alarmes,
Vu trois fois un drap noir semé de blanches larmes
Tendre ce corridor ;
J'ai sur leurs froides mains pleuré comme une femme.
Mais, le cercueil fermé, mon âme a vu leur âme
Ouvrir deux ailes d'or !

Je les ai vus partir comme trois hirondelles
Qui vont chercher bien **** des printemps plus fidèles
Et des étés meilleurs.
Ma mère vit le ciel, et partit la première,
Et son œil en mourant fut plein d'une lumière
Qu'on n'a point vue ailleurs.

Et puis mon premier-né la suivit ; puis mon père,
Fier vétéran âgé de quarante ans de guerre,
Tout chargé de chevrons.
Maintenant ils sont là, tous trois dorment dans l'ombre,
Tandis que leurs esprits font le voyage sombre,
Et vont où nous irons !

Si vous voulez, à l'heure où la lune décline,
Nous monterons tous deux la nuit sur la colline
Où gisent nos aïeux.
Je vous dirai, montrant à votre vue amie
La ville morte auprès de la ville endormie :
Laquelle dort le mieux ?

Venez ; muets tous deux et couchés contre terre,
Nous entendrons, tandis que Paris fera taire
Son vivant tourbillon,
Ces millions de morts, moisson du fils de l'homme,
Sourdre confusément dans leurs sépulcres, comme
Le grain dans le sillon !

Combien vivent joyeux qui devaient, sœurs ou frères,
Faire un pleur éternel de quelques ombres chères !
Pouvoir des ans vainqueurs !
Les morts durent bien peu. Laissons-les sous la pierre !
Hélas ! dans le cercueil ils tombent en poussière
Moins vite qu'en nos cœurs !

Voyageur ! voyageur ! Quelle est notre folie !
Qui sait combien de morts à chaque heure on oublie ?
Des plus chers, des plus beaux ?
Qui peut savoir combien toute douleur s'émousse,
Et combien sur la terre un jour d'herbe qui pousse
Efface de tombeaux ?

Le 6 juillet 1829.
À quoi pensent ces flots, qui baisent sans murmure
Les flancs de ce rocher luisant comme une armure ?
Quoi donc ! n'ont-ils pas vu dans leur propre miroir,
Que ce roc, dont le pied déchire leurs entrailles,
A sur sa tête un fort, ceint de blanches murailles,
Roulé comme un turban autour de son front noir ?

Que font-ils ? à qui donc gardent-ils leur colère ?
Allons ! acharne-toi sur ce cap séculaire,
Ô mer ! Trêve un moment aux pauvres matelots !
Ronge, ronge ce roc ! qu'il chancelle, qu'il penche,
Et tombe enfin, avec sa forteresse blanche,
La tête la première, enfoncé dans les flots !

Dis, combien te faut-il de temps, ô mer fidèle,
Pour jeter bas ce roc avec sa citadelle ?
Un jour ? un an ? un siècle ?... Au nid du criminel
Précipite toujours ton eau jaune de sable !
Que t'importe le temps, ô mer intarissable ?
Un siècle est comme un flot dans ton gouffre éternel.

Engloutis cet écueil ! que ta vague l'efface
Et sur son front perdu toujours passe et repasse !
Que l'algue aux verts cheveux dégrade ses contours !
Que, sur son flanc couché, dans ton lit sombre il dorme !
Qu'on n'y distingue plus sa forteresse informe !
Que chaque flot emporte une pierre à ses tours !

Afin que rien n'en reste au monde, et qu'on respire
De ne plus voir la tour d'Ali, pacha d'Epire ;
Et qu'un jour, côtoyant les bords qu'Ali souilla,
Si le marin de Cos dans la mer ténébreuse
Voit un grand tourbillon dont le centre se creuse,
Aux passagers muets il dise : C'était là !

Le 26 novembre 1828.
On croyait dans ces temps où le pâtre nocturne,
**** dans l'air, au-dessus de son front taciturne,
Voyait parfois, témoin par l'ombre recouvert,
Dans un noir tourbillon de tonnerre et de pluie,
Passer rapidement la figure éblouie
D'un prophète emporté par l'Esprit au désert !

On croyait dans les jours du barde et du trouvère !
Quand tout un monde armé se ruait au Calvaire,
Pour délivrer la croix,
Et pour voir le lac sombre où Jésus sauva Pierre,
L'Horeb et le Cédron, et les portes de pierre
Du sépulcre des rois !

On croyait dans ce siècle où tout était prière ;
Où Louis, au moment de ravir La Vallière,
S'arrêtait éperdu devant un crucifix ;
Où l'autel rayonnait près du trône prospère ;
Où, quand le roi disait : Dieu seul est grand, mon père ?
L'évêque répondait : Dieu seul est grand, mon fils !

Les pâtres maintenant dorment dans les ravines ;
Jérusalem est turque ; et les moissons divines
N'ont plus de moissonneur ;
La royauté décline et le peuple se lève.
- Hélas ! l'homme aujourd'hui ne croit plus, mais il rêve. -
Lequel vaut mieux, Seigneur ?

Le 26 mars 1839.
Je veille. Ne crains rien. J'attends que tu t'endormes.
Les anges sur ton front viendront poser leurs bouches.
Je ne veux pas sur toi d'un rêve ayant des formes
Farouches ;

Je veux qu'en te voyant là, ta main dans la mienne,
Le vent change son bruit d'orage en bruit de lyre.
Et que sur ton sommeil la sinistre nuit vienne
Sourire.

Le poète est penché sur les berceaux qui tremblent ;
Il leur parle, il leur dit tout bas de tendres choses,
Il est leur amoureux, et ses chansons ressemblent
Aux roses.

Il est plus pur qu'avril embaumant la pelouse
Et que mai dont l'oiseau vient piller la corbeille ;
Sa voix est un frisson d'âme, à rendre jalouse
L'abeille ;

Il adore ces nids de soie et de dentelles ;
Son coeur a des gaîtés dans la fraîche demeure
Qui font rire aux éclats avec des douceurs telles
Qu'on pleure ;

Il est le bon semeur des fraîches allégresses ;
Il rit. Mais si les rois et leurs valets sans nombre
Viennent, s'il voit briller des prunelles tigresses
Dans l'ombre,

S'il voit du Vatican, de Berlin ou de Vienne
Sortir un guet-apens, une horde, une bible,
Il se dresse, il n'en faut pas plus pour qu'il devienne
Terrible.

S'il voit ce basilic, Rome, ou cette araignée,
Ignace, ou ce vautour, Bismarck, faire leur crime,
Il gronde, il sent monter dans sa strophe indignée
L'abîme.

C'est dit. Plus de chansons. L'avenir qu'il réclame,
Les peuples et leur droit, les rois et leur bravade,
Sont comme un tourbillon de tempête où cette âme
S'évade.

Il accourt. Reviens, France, à ta fierté première !
Délivrance ! Et l'on voit cet homme qui se lève
Ayant Dieu dans le coeur et dans l'oeil la lumière
Du glaive.

Et sa pensée, errante alors comme les proues
Dans l'onde et les drapeaux dans les noires mêlées,
Est un immense char d'aurore avec des roues
Ailées.
Sonnet.


Ceux qui ne sont pas nés, les peuples de demain,
Entendent vaguement, comme de sourds murmures,
Les grands coups de marteaux et les grands chocs d'armures
Et tous les battements des pieds sur le chemin.

Ce tumulte leur semble un immense festin,
Dans un doux bruit de flots, sous de folles ramures ;
Et déjà, tressaillant au sein des vierges mûres,
Tous réclament la vie et le bonheur certain.

Il n'est donc pas un mort qui, de retour dans l'ombre
Leur dise que cet hymne est fait de cris sans nombre
Et qu'ils dorment en paix sur un enfer béant,

Afin que ces heureux qui n'ont ni pleurs ni rire
Écoutent sans envie, autour de leur néant,
Le tourbillon maudit des atomes bruire ?
Ciel ! après tes splendeurs, qui rayonnaient naguères,
Liberté sainte ; après toutes ces grandes guerres,
Tourbillon inouï ;
Après ce Marengo qui brille sur la carte,
Et qui ferait lâcher le premier Bonaparte
À Tacite ébloui ;

Après ces messidors, ces prairials, ces frimaires,
Et tant de préjugés, d'hydres et de chimères,
Terrassés à jamais ;
Après le sceptre en cendre et la Bastille en poudre,
Le trône en flamme ; après tous ces grands coups de foudre
Sur tous ces grands sommets :

Après tous ces géants, après tous ces colosses,
S'acharnant malgré Dieu, comme d'ardents molosses,
Quand Dieu disait : va-t'en !
Après ton océan, République française,
Où nos pères ont vu passer Quatre-vingt-treize
Comme Léviathan ;

Après Danton, Saint-Just et Mirabeau, ces hommes,
Ces titans, aujourd'hui cette France où nous sommes
Contemple l'embryon,
L'infiniment petit, monstrueux et féroce,
Et, dans la goutte d'eau, les guerres du volvoce
Contre le vibrion !

Honte ! France, aujourd'hui, voici ta grande affaire :
Savoir si c'est Maupas ou Morny qu'on préfère,
Là-haut, dans le palais ;
Tous deux ont sauvé l'ordre et sauvé les familles ;
Lequel l'emportera ? l'un a pour lui les filles,
Et l'autre, les valets.

Bruxelles, janvier 1852.
On a peur, tant elle est belle !
Fût-on don Juan ou Caton.
On la redoute rebelle ;
Tendre, que deviendrait-on ?

Elle est joyeuse et céleste !
Elle vient de ce Brésil
Si doré qu'il fait du reste
De l'univers un exil.

À quatorze ans épousée,
Et veuve au bout de dix mois.
Elle a toute la rosée
De l'aurore au fond des bois.

Elle est vierge ; à peine née.
Son mari fut un vieillard ;
Dieu brisa cet hyménée
De Trop tôt avec Trop ****.

Apprenez qu'elle se nomme
Doña Rosita Rosa ;
Dieu, la destinant à l'homme,
Aux anges la refusa.

Elle est ignorante et libre,
Et sa candeur la défend.
Elle a tout, accent qui vibre,
Chanson triste et rire enfant,

Tout, le caquet, le silence,
Ces petits pieds familiers
Créés pour l'invraisemblance
Des romans et des souliers,

Et cet air des jeunes Èves
Qu'on nommait jadis fripon,
Et le tourbillon des rêves
Dans les plis de son jupon.

Cet être qui nous attire,
Agnès cousine d'Hébé,
Enivrerait un satyre,
Et griserait un abbé.

Devant tant de beautés pures,
Devant tant de frais rayons,
La chair fait des conjectures
Et l'âme des visions.

Au temps présent l'eau saline,
La blanche écume des mers
S'appelle la mousseline ;
On voit Vénus à travers.

Le réel fait notre extase ;
Et nous serions plus épris
De voir Ninon sous la gaze
Que sous la vague Cypris.

Nous préférons la dentelle
Au flot diaphane et frais ;
Vénus n'est qu'une immortelle ;
Une femme, c'est plus près.

Celle-ci, vers nous conduite
Comme un ange retrouvé,
Semble à tous les coeurs la suite
De leur songe inachevé.

L'âme admire, enchantée
Par tout ce qu'a de charmant
La rêverie ajoutée
Au vague éblouissement.

Quel danger ! on la devine.
Un nimbe à ce front vermeil !
Belle, on la rêve divine,
Fleur, on la rêve soleil.

Elle est lumière, elle est onde,
On la contemple. On la croit
Reine et fée, et mer profonde
Pour les perles qu'on y voit.

Gare, Arthur ! gare, Clitandre !
Malheur à qui se mettait
À regarder d'un air tendre
Ce mystérieux attrait !

L'amour, où glissent les âmes,
Est un précipice ; on a
Le vertige au bord des femmes
Comme au penchant de l'Etna.

On rit d'abord. Quel doux rire !
Un jour, dans ce jeu charmant,
On s'aperçoit qu'on respire
Un peu moins facilement.

Ces feux-là troublent la tête.
L'imprudent qui s'y chauffait
S'éveille à moitié poète
Et stupide tout à fait.

Plus de joie. On est la chose
Des tourments et des amours.
Quoique le tyran soit rose,
L'esclavage est noir toujours.

On est jaloux ; travail rude !
On n'est plus libre et vivant,
Et l'on a l'inquiétude
D'une feuille dans le vent.

On la suit, pauvre jeune homme !
Sous prétexte qu'il faut bien
Qu'un astre ait un astronome
Et qu'une femme ait un chien.

On se pose en loup fidèle ;
On est bête, on s'en aigrit,
Tandis qu'un autre, auprès d'elle,
Aimant moins, a plus d'esprit.

Même aux bals et dans les fêtes,
On souffre, fût-on vainqueur ;
Et voilà comment sont faites
Les aventures du coeur.

Cette adolescente est sombre
À cause de ses quinze ans
Et de tout ce qu'on voit d'ombre
Dans ses beaux yeux innocents.

On donnerait un empire
Pour tous ces chastes appas ;
Elle est terrible ; et le pire,
C'est qu'elle n'y pense pas.

— The End —