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Muse Reine
Tu veux et tu exiges que je me retienne
Que je ne m'exhibe pas au tout venant
Et que je ne bande que sur ordre exprès de toi
Le cachet de la poste faisant foi
A la minute heure seconde que tu t'es choisie
Pour me déguster à distance.
Tu dis que c'est la présence et non l'absence qui te stimule
Et tu me dis que je te manque
et que ma présence volcanique
Te couvre de toutes parts
en dépit de la distance.
Moi je m'interroge
Et je pense que c'est cette absence qui te met en transe
Et je veux t'aimer profondément dans cette distance
Comme tu n'as jamais été aimée. désirée, choyée, goûtée, savourée
Léchée, embrassée, pénétrée, visitée, hantée, caressée, avalée, touchée
Consommée, étreinte, engrossée, jouie, priée, chantée, dénudée
Comblée, tétée, mordillée, mouillées, aspergé, respectée
Mais pour cela il faut que ton âme et chair soient à nu
Et la nudité dans la distance passe par la photographie ou la vidéo
Et si tu veux que l'oiseau te respecte
Il faut que tu le fasses voler et siffler d'aise à ta vue
Car il n'aspire qu'à cela soir et matin :
Voler au-dessus de tes collines et tes plaines
Plonger dans tes lacs et rivières
Nager dans tes eaux poissonneuses
Plonger son bec dans ta chair ouverte et complice
Et en tirer des petits poissons multicolores et chanteurs
Chuchoter à ton oreille
Les mots qui te font fondre de rires et de désir
Ma muse précieuse et généreuse...
Alors pour t'être agréable ma bien-aimée
C 'est promis juré craché
Désormais je ne banderai plus que des yeux
Je ne banderai plus que des lèvres
Tu pourras me bander les yeux et me bâillonner les lèvres
Tant que tu voudras
Je banderai encore
Et si cela ne suffit pas
Pour te prouver mon amour
Je banderai aussi des oreilles et du nez
Je banderai des mains et des doigts de pieds
Je banderai de ma langue
Mi pangolin mi orphie
Je banderai de mon ombre
Une fois deux fois trois fois
Autant de fois qu'il le faudra
Ce ne sera jamais dans le vide
Car je banderai en toi
Et même l'air qui t'environne
Le soleil et la lune banderont de concert
Jusqu'à ce que nous soyons orphies nues, chair et arêtes en rut,
Sublimement réunis pour notre danse farandole et tantrique
Enfin retrouvée.
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
Ô mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
À l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger.
Ce doit être bon de mourir,
D'expirer, oui, de rendre l'âme,
De voir enfin les cieux s'ouvrir ;
Oui, bon de rejeter sa flamme
Hors d'un corps las qui va pourrir ;
Oui, ce doit être bon, Madame,
Ce doit être bon de mourir !

Bon, comme de faire l'amour,
L'amour avec vous, ma Mignonne,
Oui, la nuit, au lever du jour,
Avec ton âme qui rayonne,
Ton corps royal comme une cour ;
Ce doit être bon, ma Mignonne,
Oui, comme de faire l'amour ;

Bon, comme alors que bat mon cœur,
Pareil au tambour qui défile,
Un tambour qui revient vainqueur,
D'arracher le voile inutile
Que retenait ton doigt moqueur,
De t'emporter comme une ville
Sous le feu roulant de mon cœur ;

De faire s'étendre ton corps,
Dont le soupirail s'entrebâille.
Dans de délicieux efforts,
Ainsi qu'une rose défaille
Et va se fondre en parfums forts,
Et doux, comme un beau feu de paille ;
De faire s'étendre ton corps ;

De faire ton âme jouir,
Ton âme aussi belle à connaître,
Que tout ton corps à découvrir ;
De regarder par la fenêtre
De tes yeux ton amour fleurir,
Fleurir dans le fond de ton être
De faire ton âme jouir ;

D'être à deux une seule fleur,
Fleur hermaphrodite, homme et femme,
De sentir le pistil en pleur,
Sous l'étamine toute en flamme,
Oui d'être à deux comme une fleur,
Une grande fleur qui se pâme,
Qui se pâme dans la chaleur.

Oui, bon, comme de voir tes yeux
Humides des pleurs de l'ivresse,
Quand le double jeu sérieux
Des langues que la bouche presse,
Fait se révulser jusqu'aux cieux,
Dans l'appétit de la caresse,
Les deux prunelles de tes yeux ;

De jouir des mots que ta voix
Me lance, comme des flammèches,
Qui, me brûlant comme tes doigts,
M'entrent au cœur comme des flèches,
Tandis que tu mêles ta voix
Dans mon oreille que tu lèches,
À ton souffle chaud que je bois ;

Comme de mordre tes cheveux,
Ta toison brune qui ruisselle,
Où s'étalent tes flancs nerveux,
Et d'empoigner les poils de celle
La plus secrète que je veux,
Avec les poils de ton aisselle,
Mordiller comme tes cheveux ;

D'étreindre délicatement
Tes flancs nus comme pour des luttes,
D'entendre ton gémissement
Rieur comme ce chant des flûtes,
Auquel un léger grincement
Des dents se mêle par minutes,
D'étreindre délicatement,

De presser ta croupe en fureur
Sous le désir qui la cravache
Comme une jument d'empereur,
Tes seins où ma tête se cache
Dans la délicieuse horreur
Des cris que je... que je t'arrache
Du fond de ta gorge en fureur ;

Ce doit être bon de mourir,
Puisque faire ce que l'on nomme
L'amour, impérieux plaisir
De la femme mêlée à l'homme,
C'est doux à l'instant de jouir,
C'est bon, dis-tu, c'est bon... oui... comme,
Comme si l'on allait mourir ?
I.

C'était une humble église au cintre surbaissé,
L'église où nous entrâmes,
Où depuis trois cents ans avaient déjà passé
Et pleuré bien des âmes.

Elle était triste et calme à la chute du jour,
L'église où nous entrâmes ;
L'autel sans serviteur, comme un cœur sans amour,
Avait éteint ses flammes.

Les antiennes du soir, dont autrefois saint Paul
Réglait les chants fidèles,
Sur les stalles du chœur d'où s'élance leur vol
Avaient ployé leurs ailes.

L'ardent musicien qui sur tous à pleins bords
Verse la sympathie,
L'homme-esprit n'était plus dans l'orgue, vaste corps
Dont l'âme était partie.

La main n'était plus là, qui, vivante et jetant
Le bruit par tous les pores,
Tout à l'heure pressait le clavier palpitant,
Plein de notes sonores,

Et les faisait jaillir sous son doigt souverain
Qui se crispe et s'allonge,
Et ruisseler le long des grands tubes d'airain
Comme l'eau d'une éponge.

L'orgue majestueux se taisait gravement
Dans la nef solitaire ;
L'orgue, le seul concert, le seul gémissement
Qui mêle aux cieux la terre !

La seule voix qui puisse, avec le flot dormant
Et les forêts bénies,
Murmurer ici-bas quelque commencement
Des choses infinies !

L'église s'endormait à l'heure où tu t'endors,
Ô sereine nature !
À peine, quelque lampe au fond des corridors
Étoilait l'ombre obscure.

À peine on entendait flotter quelque soupir,
Quelque basse parole,
Comme en une forêt qui vient de s'assoupir
Un dernier oiseau vole ;

Hélas ! et l'on sentait, de moment en moment,
Sous cette voûte sombre,
Quelque chose de grand, de saint et de charmant
S'évanouir dans l'ombre !

Elle était triste et calme à la chute du jour
L'église où nous entrâmes ;
L'autel sans serviteur, comme un cœur sans amour,
Avait éteint ses flammes.

Votre front se pencha, morne et tremblant alors,
Comme une nef qui sombre,
Tandis qu'on entendait dans la ville au dehors
Passer des voix sans nombre.

II.

Et ces voix qui passaient disaient joyeusement
« Bonheur ! gaîté ! délices !
À nous les coupes d'or pleines d'un vin charmant !
À d'autres les calices !

Jouissons ! l'heure est courte et tout fuit promptement
L'urne est vite remplie !
Le nœud de l'âme au corps, hélas ! à tout moment
Dans l'ombre se délie !

Tirons de chaque objet ce qu'il a de meilleur,
La chaleur de la flamme,
Le vin du raisin mûr, le parfum de la fleur,
Et l'amour de la femme !

Épuisons tout ! Usons du printemps enchanté
Jusqu'au dernier zéphire,
Du jour jusqu'au dernier rayon, de la beauté
Jusqu'au dernier sourire !

Allons jusqu'à la fin de tout, en bien vivant,
D'ivresses en ivresses,
Une chose qui meurt, mes amis, a souvent
De charmantes caresses !

Dans le vin que je bois, ce que j'aime le mieux
C'est la dernière goutte.
L'enivrante saveur du breuvage joyeux
Souvent s'y cache toute !

Sur chaque volupté pourquoi nous hâter tous,
Sans plonger dans son onde,
Pour voir si quelque perle ignorée avant nous
N'est pas sous l'eau profonde ?

Que sert de n'effleurer qu'à peine ce qu'on tient,
Quand on a les mains pleines,
Et de vivre essoufflé comme un enfant qui vient
De courir dans les plaines ?

Jouissons à loisir ! Du loisir tout renaît !
Le bonheur nous convie !
Faisons, comme un tison qu'on heurte au dur chenet,
Étinceler la vie !

N'imitons pas ce fou que l'ennui tient aux fers,
Qui pleure et qui s'admire.
Toujours les plus beaux fruits d'ici-bas sont offerts
Aux belles dents du rire !

Les plus tristes d'ailleurs, comme nous qui rions,
Souillent parfois leur âme.
Pour fondre ces grands cœurs il suffit des rayons
De l'or ou de la femme.

Ils tombent comme nous, malgré leur fol orgueil
Et leur vaine amertume ;
Les flots les plus hautains, dès que vient un écueil,
S'écroulent en écume !

Vivons donc ! et buvons, du soir jusqu'au matin,
Pour l'oubli de nous-même,
Et déployons gaîment la nappe du festin,
Linceul du chagrin blême !

L'ombre attachée aux pas du beau plaisir vermeil,
C'est la tristesse sombre.
Marchons les yeux toujours tournés vers le soleil ;
Nous ne verrons pas l'ombre !

Qu'importe le malheur, le deuil, le désespoir,
Que projettent nos joies,
Et que derrière nous quelque chose de noir
Se traîne sur nos voies !

Nous ne le savons pas. - Arrière les douleurs,
Et les regrets moroses !
Faut-il donc, en fanant des couronnes de fleurs,
Avoir pitié des roses ?

Les vrais biens dans ce monde, - et l'autre est importun !
C'est tout ce qui nous fête,
Tout ce qui met un chant, un rayon, un parfum,
Autour de notre tête !

Ce n'est jamais demain, c'est toujours aujourd'hui !
C'est la joie et le rire !
C'est un sein éclatant peut-être plein d'ennui,
Qu'on baise et qui soupire !

C'est l'orgie opulente, enviée au-dehors,
Contente, épanouie,
Qui rit, et qui chancelle, et qui boit à pleins bords,
De flambeaux éblouie ! »

III.

Et tandis que ces voix, que tout semblait grossir,
Voix d'une ville entière,
Disaient : Santé, bonheur, joie, orgueil et plaisir !
Votre œil disait : Prière !

IV.

Elles parlaient tout haut et vous parliez tout bas
- « Dieu qui m'avez fait naître,
Vous m'avez réservée ici pour des combats
Dont je tremble, ô mon maître !

Ayez pitié ! - L'esquif où chancellent mes pas
Est sans voile et sans rames.
Comme pour les enfants, pourquoi n'avez-vous pas
Des anges pour les femmes ?

Je sais que tous nos jours ne sont rien, Dieu tonnant,
Devant vos jours sans nombre.
Vous seul êtes réel, palpable et rayonnant ;
Tout le reste est de l'ombre.

Je le sais. Mais cette ombre où nos cœurs sont flottants,
J'y demande ma route.
Quelqu'un répondra-t-il ? Je prie, et puis j'attends !
J'appelle, et puis j'écoute !

Nul ne vient. Seulement par instants, sous mes pas,
Je sens d'affreuses trames.
Comme pour les enfants, pourquoi n'avez-vous pas
Des anges pour les femmes ?

Seigneur ! autour de moi, ni le foyer joyeux,
Ni la famille douce,
Ni l'orgueilleux palais qui touche presque aux cieux,
Ni le nid dans la mousse,

Ni le fanal pieux qui montre le chemin,
Ni pitié, ni tendresse,
Hélas ! ni l'amitié qui nous serre la main,
Ni l'amour qui la presse,

Seigneur, autour de moi rien n'est resté debout !
Je pleure et je végète,
Oubliée au milieu des ruines de tout,
Comme ce qu'on rejette !

Pourtant je n'ai rien fait à ce monde d'airain,
Vous le savez vous-même.
Toutes mes actions passent le front serein
Devant votre œil suprême.

Jusqu'à ce que le pauvre en ait pris la moitié,
Tout ce que j'ai me pèse.
Personne ne me plaint. Moi, de tous j'ai pitié.
Moi, je souffre et j'apaise !

Jamais de votre haine ou de votre faveur
Je n'ai dit : Que m'importe !
J'ai toujours au passant que je voyais rêveur
Enseigné votre porte.

Vous le savez. - Pourtant mes pleurs que vous voyez,
Seigneur, qui les essuie ?
Tout se rompt sous ma main, tout tremble sous mes pieds,
Tout coule où je m'appuie.

Ma vie est sans bonheur, mon berceau fut sans jeux.
Cette loi, c'est la vôtre !
Tous les rayons de jour de mon ciel orageux
S'en vont l'un après l'autre.

Je n'ai plus même, hélas ! le flux et le reflux
Des clartés et des ombres.
Mon esprit chaque jour descend de plus en plus
Parmi les rêves sombres.

On dit que sur les cœurs, pleins de trouble et d'effroi,
Votre grâce s'épanche.
Soutenez-moi, Seigneur ! Seigneur, soutenez-moi,
Car je sens que tout penche ! »

V.

Et moi, je contemplais celle qui priait Dieu
Dans l'enceinte sacrée,
La trouvant grave et douce et digne du saint lieu,
Cette belle éplorée.

Et je lui dis, tâchant de ne pas la troubler,
La pauvre enfant qui pleure,
Si par hasard dans l'ombre elle entendait parler
Quelque autre voix meilleure,

Car au déclin des ans comme au matin des jours,
Joie, extase ou martyre,
Un autel que rencontre une femme a toujours
Quelque chose à lui dire !

VI.

« Ô madame ! pourquoi ce chagrin qui vous suit,
Pourquoi pleurer encore,
Vous, femme au cœur charmant, sombre comme la nuit,
Douce comme l'aurore ?

Qu'importe que la vie, inégale ici-bas
Pour l'homme et pour la femme,
Se dérobe et soit prête à rompre sous vos pas ?
N'avez-vous pas votre âme ?

Votre âme qui bientôt fuira peut-être ailleurs
Vers les régions pures,
Et vous emportera plus **** que nos douleurs,
Plus **** que nos murmures !

Soyez comme l'oiseau, posé pour un instant
Sur des rameaux trop frêles,
Qui sent ployer la branche et qui chante pourtant,
Sachant qu'il a des ailes ! »

Octobre 18...
Faire fondre au bain-marie
En remuant avec une maryse
Votre chocolat coupé en petits quatrains
Dans le café
Incorporer votre élixir de muse
Laisser tiédir.

Prendre une rime riche
Mise à tremper depuis la veille
Séparer les voyelles des consonnes
Fouetter les voyelles avec des mots pimentés
Monter les consonnes en neige éternelle
Avec une pincée de musc glacé
Et fouetter jusqu'au sang
Verser les voyelles dans le chocolat
En remuant énergiquement
Incorporer délicatement les consonnes en neige virtuelle.
Mélanger doucement avec une virgule éphémère

Verser votre mousse dans de petits ramequins
Réserver au frais pendant trois heures minimum
Déguster votre mousse d'élixir de muse au chocolat
Avec du melon et de la pastèque bien fraîche
II.

Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
D'un côté c'est l'Europe et de l'autre la France.
Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l'espérance
Tu désertais, victoire, et le sort était las.
Ô Waterloo ! je pleure et je m'arrête, hélas !
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d'airain !

Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
Il avait l'offensive et presque la victoire ;
Il tenait Wellington acculé sur un bois.
Sa lunette à la main, il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l'horizon, sombre comme la mer.
Soudain, joyeux, il dit : Grouchy ! - C'était Blücher.
L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme,
La mêlée en hurlant grandit comme une flamme.
La batterie anglaise écrasa nos carrés.
La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés,
Ne fut plus, dans les cris des mourants qu'on égorge,
Qu'un gouffre flamboyant, rouge comme une forge ;
Gouffre où les régiments comme des pans de murs
Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs
Les hauts tambours-majors aux panaches énormes,
Où l'on entrevoyait des blessures difformes !
Carnage affreux ! moment fatal ! L'homme inquiet
Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
Derrière un mamelon la garde était massée.
La garde, espoir suprême et suprême pensée !
« Allons ! faites donner la garde ! » cria-t-il.
Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,
Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires,
Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,
Portant le noir colback ou le casque poli,
Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,
Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette fête,
Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.
Leur bouche, d'un seul cri, dit : vive l'empereur !
Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La garde impériale entra dans la fournaise.
Hélas ! Napoléon, sur sa garde penché,
Regardait, et, sitôt qu'ils avaient débouché
Sous les sombres canons crachant des jets de soufre,
Voyait, l'un après l'autre, en cet horrible gouffre,
Fondre ces régiments de granit et d'acier
Comme fond une cire au souffle d'un brasier.
Ils allaient, l'arme au bras, front haut, graves, stoïques.
Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques !
Le reste de l'armée hésitait sur leurs corps
Et regardait mourir la garde. - C'est alors
Qu'élevant tout à coup sa voix désespérée,
La Déroute, géante à la face effarée
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
À de certains moments, spectre fait de fumées,
Se lève grandissante au milieu des armées,
La Déroute apparut au soldat qui s'émeut,
Et, se tordant les bras, cria : Sauve qui peut !
Sauve qui peut ! - affront ! horreur ! - toutes les bouches
Criaient ; à travers champs, fous, éperdus, farouches,
Comme si quelque souffle avait passé sur eux,
Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux,
Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles,
Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles,
Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil !
Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient ! - En un clin d'œil,
Comme s'envole au vent une paille enflammée,
S'évanouit ce bruit qui fut la grande armée,
Et cette plaine, hélas, où l'on rêve aujourd'hui,
Vit fuir ceux devant qui l'univers avait fui !
Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre,
Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire,
Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,
Tremble encor d'avoir vu la fuite des géants !

Napoléon les vit s'écouler comme un fleuve ;
Hommes, chevaux, tambours, drapeaux ; - et dans l'épreuve
Sentant confusément revenir son remords,
Levant les mains au ciel, il dit : « Mes soldats morts,
Moi vaincu ! mon empire est brisé comme verre.
Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère ? »
Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon,
Il entendit la voix qui lui répondait : Non !

Jersey, du 25 au 30 novembre 1852.
Sed satis est jam posse mori.
LUCAIN.


Où donc est le bonheur ? disais-je. - Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné.

Naître, et ne pas savoir que l'enfance éphémère,
Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère,
Est l'âge du bonheur, et le plus beau moment
Que l'homme, ombre qui passe, ait sous le firmament !

Plus ****, aimer, - garder dans son coeur de jeune homme
Un nom mystérieux que jamais on ne nomme,
Glisser un mot furtif dans une tendre main,
Aspirer aux douceurs d'un ineffable *****,
Envier l'eau qui fuit, le nuage qui vole,
Sentir son coeur se fondre au son d'une parole,
Connaître un pas qu'on aime et que jaloux on suit,
Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit,
Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes,
Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes,
Tous les buissons d'avril, les feux du ciel vermeil,
Ne chercher qu'un regard, qu'une fleur, qu'un soleil !

Puis effeuiller en hâte et d'une main jalouse
Les boutons d'orangers sur le front de l'épouse ;
Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé
Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ;
Voir aux feux de midi, sans espoir qu'il renaisse,
Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse,
Perdre l'illusion, l'espérance, et sentir
Qu'on vieillit au fardeau croissant du repentir,
Effacer de son front des taches et des rides ;
S'éprendre d'art, de vers, de voyages arides,
De cieux lointains, de mers où s'égarent nos pas ;
Redemander cet âge où l'on ne dormait pas ;
Se dire qu'on était bien malheureux, bien triste,
Bien fou, que maintenant on respire, on existe,
Et, plus vieux de dix ans, s'enfermer tout un jour
Pour relire avec pleurs quelques lettres d'amour !

Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées
Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années,
Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris,
Boire le reste amer de ces parfums aigris,
Être sage, et railler l'amant et le poète,
Et, lorsque nous touchons à la tombe muette,
Suivre en les rappelant d'un oeil mouillé de pleurs
Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs !

Ainsi l'homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre
Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d'ombre.
C'est donc avoir vécu ! c'est donc avoir été !
Dans la joie et l'amour et la félicité
C'est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie.
Voilà de quel nectar la coupe était remplie !

Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort !
Grandir en regrettant l'enfance où le coeur dort,
Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,
Mourir en regrettant la vieillesse et la vie !

Où donc est le bonheur, disais-je ? - Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné !

Le 28 mai 1830.
Depuis longtemps, je voudrais faire
Son portrait, en pied, suis-moi bien :
Quand elle prend son air sévère,
Elle ne bouge et ne dit rien.

Ne croyez pas qu'Elle ne rie
Assez souvent ; alors, je vois
Luire un peu de sorcellerie
Dans les arcanes de sa voix.

Impérieuse, à n'y pas croire !
Pour le moment, pour son portrait,
(Encadré d'or pur, sur ivoire)
Plus sérieuse... qu'un décret.

Suivez-moi bien : son Âme est belle
Autant que son visage est beau,
Un peu plus... si je me rappelle
Que Psyché se rit du Tombeau.

Tout le Ciel est dans ses prunelles
Dont l'éclat... efface le jour,
Et qu'emplissent les éternelles
Magnificences de l'Amour ;

Et ses paupières sont ouvertes
Sur le vague de leur azur,
Toutes grandes et bien mieux, certes,
Que le firmament le plus pur.

L'arc brun de ses grands sourcils, digne
De la flèche d'amours rieurs,
Est presque un demi-cercle, signe
De sentiments supérieurs.

Sans ride morose ou vulgaire,
Son front, couronné... de mes vœux,
En fait de nuages n'a guère
Que l'ombre douce des cheveux.

Quand elle a dénoué sa tresse
Où flottent de légers parfums,
Sa chevelure la caresse
Par cascades de baisers bruns,

Qui se terminent en fumée
À l'autre bout de la maison,
Et quand sa natte est refermée
C'est la plus étroite prison,

Le nez aquilin est la marque
D'une âme prompte à la fureur,
Le sien serait donc d'un monarque
Ou d'une fille d'empereur ;

Ses deux narines frémissantes
Disent tout un trésor voilé
De délicatesses puissantes
Au fond duquel nul est allé.

Ses lèvres ont toutes les grâces
Comme ses yeux ont tout l'Amour,
Elles sont roses, point trop grasses,
Et d'un spirituel contour.

**, çà ! Monsieur, prenez bien garde
À tous les mots que vous jetez,
Son oreille fine les garde
Longtemps, comme des vérités.

L'ensemble vit, pense, palpite ;
L'ovale est fait de doux raccords ;
Et la tête est plutôt petite,
Proportionnée à son corps.

Esquissons sous sa nuque brune
Son cou qui semble... oh ! yes, indeed !
La Tour d'ivoire, sous la lune
Qui baigne la Tour de David ;

Laquelle, **** que je badine,
Existe encor, nous la voyons
Sur l'album de la Palestine,
Chez les gros marchands de crayons.

Je voudrais faire... les épaules.
Ici, madame, permettez
Que j'écarte l'ombre des saules
Que sur ces belles vous jetez...

Non ? vous aimez mieux cette robe
Teinte de la pourpre que Tyr
À ses coquillages dérobe
Dont son art vient de vous vêtir ;

Vous préférez à la nature
D'avant la pomme ou le péché,
Cette lâche et noble ceinture
Où votre pouce s'est caché.

Mais votre peintre aime l'éloge,
Et... l'on est le premier venu
Fort indigne d'entrer en loge,
Si l'on ne sait rendre le nu ;

S'il ne peut fondre avec noblesse
Cette indifférence d'acier
Où sa réflexion vous laisse,
Comment fera-t-il votre pied ?

Vos mains mignonnes, encor passe ;
Mais votre pied d'enfant de rois
Dont la cambrure se prélasse
Ainsi qu'un pont sur les cinq doigts,

Qu'on ne peut toucher sans qu'il parte
Avec un vif frémissement
Des doigts dont le pouce s'écarte,
Comme pour un... commandement...

Vous persistez, c'est votre affaire,
Faites, faites, ça m'est égal !
Je barbouille tout, de colère...
Et tant pis pour mon madrigal !
Sonnet.


Une musique amoureuse
Sous les doigts d'un guitariste
S'est éveillée, un peu triste,
Avec la brise peureuse ;

Et sous la feuillée ombreuse
Où le jour mourant résiste,
Tourne, se lasse, et persiste
Une valse langoureuse.

On sent, dans l'air qui s'effondre,
Son âme en extase fondre ;
- Et parmi la vapeur rose

De la nuit délicieuse
Monte cette blonde chose,
La lune silencieuse.
Je suis Orphie, fils d'Orphée et d'Eurydice
Petits fils d'Oeagre et de Calliope,
Bercé par les Muses et les Naïades
J'ai hérité de la lyre à sept cordes
D'Apollon et j'en ai rajouté deux
Rien que pour caresser ma Muse
Ma voix est miel
Ma voix est feu
Ma voix est pierre

Elle joue, elle chante, elle danse

Elle s'insinue comme un fleuve secret sous la roche et la fissure
L'attendrit et elle s'élève tel un ballon et flotte dans le vent

Elle dévie le cours des laves en fusion
Et pénètre au coeur du Stromboli intime
De la colère des Muses
Quand elles se font Furies.

Elle dompte les bêtes féroces et charnelles
A distance elle fait fondre
Les résistances et les fantômes

On m'appelle aussi Amore

Les Furies pourront me déchiqueter

Me mettre en lambeaux

Me jeter comme mon père du haut du mont Rhodope

Je chanterai encore du fond des mers

L 'amour de mon éternelle Muse

Ma naïade bien aimée

Nue.
A la pâle clarté des lampes languissantes,
Sur de profonds coussins tout imprégnés d'odeur
Hippolyte rêvait aux caresses puissantes
Qui levaient le rideau de sa jeune candeur.

Elle cherchait, d'un oeil troublé par la tempête,
De sa naïveté le ciel déjà lointain,
Ainsi qu'un voyageur qui retourne la tête
Vers les horizons bleus dépassés le matin.

De ses yeux amortis les paresseuses larmes,
L'air brisé, la stupeur, la morne volupté,
Ses bras vaincus, jetés comme de vaines armes,
Tout servait, tout parait sa fragile beauté.

Etendue à ses pieds, calme et pleine de joie,
Delphine la couvait avec des yeux ardents,
Comme un animal fort qui surveille une proie,
Après l'avoir d'abord marquée avec les dents.

Beauté forte à genoux devant la beauté frêle,
Superbe, elle humait voluptueusement
Le vin de son triomphe, et s'allongeait vers elle,
Comme pour recueillir un doux remerciement.

Elle cherchait dans l'oeil de sa pâle victime
Le cantique muet que chante le plaisir,
Et cette gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupière ainsi qu'un long soupir.

- " Hippolyte, cher coeur, que dis-tu de ces choses ?
Comprends-tu maintenant qu'il ne faut pas offrir
L'holocauste sacré de tes premières roses
Aux souffles violents qui pourraient les flétrir ?

Mes baisers sont légers comme ces éphémères
Qui caressent le soir les grands lacs transparents,
Et ceux de ton amant creuseront leurs ornières
Comme des chariots ou des socs déchirants ;

Ils passeront sur toi comme un lourd attelage
De chevaux et de boeufs aux sabots sans pitié...
Hippolyte, ô ma soeur ! tourne donc ton visage,
Toi, mon âme et mon coeur, mon tout et ma moitié,

Tourne vers moi tes yeux pleins d'azur et d'étoiles !
Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles,
Et je t'endormirai dans un rêve sans fin ! "

Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tête :
- " Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je souffre et je suis inquiète,
Comme après un nocturne et terrible repas.

Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes
Et de noirs bataillons de fantômes épars,
Qui veulent me conduire en des routes mouvantes
Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts.

Avons-nous donc commis une action étrange ?
Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi :
Je frissonne de peur quand tu me dis : " Mon ange ! "
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi.

Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée !
Toi que j'aime à jamais, ma soeur d'élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition ! "

Delphine secouant sa crinière tragique,
Et comme trépignant sur le trépied de fer,
L'oeil fatal, répondit d'une voix despotique :
- " Qui donc devant l'amour ose parler d'enfer ?

Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S'éprenant d'un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté !

Celui qui veut unir dans un accord mystique
L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chauffera jamais son corps paralytique
A ce rouge soleil que l'on nomme l'amour !

Va, si tu veux, chercher un fiancé stupide ;
Cours offrir un coeur vierge à ses cruels baisers ;
Et, pleine de remords et d'horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatisés...

On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maître ! "
Mais l'enfant, épanchant une immense douleur,
Cria soudain : - " Je sens s'élargir dans mon être
Un abîme béant ; cet abîme est mon cœur !

Brûlant comme un volcan, profond comme le vide !
Rien ne rassasiera ce monstre gémissant
Et ne rafraîchira la soif de l'Euménide
Qui, la torche à la main, le brûle jusqu'au sang.

Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos !
Je veux m'anéantir dans ta gorge profonde,
Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux ! "

- Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l'enfer éternel !
Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes,
Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel,

Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d'orage.
Ombres folles, courez au but de vos désirs ;
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,
Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.

Jamais un rayon frais n'éclaira vos cavernes ;
Par les fentes des murs des miasmes fiévreux
Filtrent en s'enflammant ainsi que des lanternes
Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux.

L'âpre stérilité de votre jouissance
Altère votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieux drapeau.

**** des peuples vivants, errantes, condamnées,
A travers les déserts courez comme les loups ;
Faites votre destin, âmes désordonnées,
Et fuyez l'infini que vous portez en vous !
LES PARENTS

Nous sommes tes Grands-Parents,
Les Grands !
Couverts des froides sueurs
De la lune et des verdures.
Nos vins secs avaient du coeur !
Au soleil sans imposture
Que faut-il à l'homme ? boire.

Moi. - Mourir aux fleuves barbares.

Nous sommes tes Grands-Parents
Des champs.
L'eau est au fond des osiers :
Vois le courant du fossé
Autour du château mouillé.
Descendons en nos celliers ;
Après, le cidre et le lait.

MOI. - Aller où boivent les vaches.

Nous sommes tes Grands-Parents ;
Tiens, prends
Les liqueurs dans nos armoires ;
Le Thé, le Café, si rares,
Frémissent dans les bouilloires.

- Vois les images, les fleurs.
Nous rentrons du cimetière.

MOI. - Ah ! tarir toutes les urnes !

2. L'ESPRIT

Éternelles Ondines
Divisez l'eau fine.
Vénus, soeur de l'azur,
Émeus le flot pur.

Juifs errants de Norwège
Dites-moi la neige.
Anciens exilés chers,
Dites-moi la mer.

MOI. - Non, plus ces boissons pures,
Ces fleurs d'eau pour verres ;
Légendes ni figures
Ne me désaltèrent ;

Chansonnier, ta filleule
C'est ma soif si folle
Hydre intime sans gueules
Qui mine et désole.

3. LES AMIS

Viens, les vins vont aux plages,
Et les flots par millions !
Vois le Bitter sauvage
Rouler du haut des monts !

Gagnons, pèlerins sages,
L'absinthe aux verts piliers...

MOI. - Plus ces paysages.
Qu'est l'ivresse, Amis ?

J'aime autant, mieux, même,
Pourrir dans l'étang,
Sous l'affreuse crème,
Près des bois flottants.

4. LE PAUVRE SONGE

Peut-être un Soir m'attend
Où je boirai tranquille
En quelque vieille Ville,
Et mourrai plus content :
Puisque je suis patient !

Si mon mal se résigne,
Si j'ai jamais quelque or
Choisirai-je le Nord
Ou le Pays des Vignes ?...
- Ah ! songer est indigne

Puisque c'est pure perte !
Et si je redeviens
Le voyageur ancien,
Jamais l'auberge verte
Ne peut bien m'être ouverte.

5. CONCLUSION

Les pigeons qui tremblent dans la prairie,
Le gibier qui court et qui voit la nuit,
Les bêtes des eaux, la bête asservie,
Les derniers papillons !... ont soif aussi.

Mais fondre où fond ce nuage sans guide,
- Oh ! favorisé de ce qui est frais !
Expirer en ces violettes humides
Dont les aurores chargent ces forêts ?
Stance.


Depuis qu'un malheureux adieu
Rendit vers vous ma flamme criminelle,
Tout l'univers, prenant votre querelle,
Contre moi conspire en ce lieu.

Ayant osé me séparer
Du beau soleil qui luit seul à mon âme,
Pour le venger, l'autre cachant sa flamme,
Refuse de plus m'éclairer.

L'air, qui ne voit plus ce flambeau,
En témoignant ses regrets par ses larmes,
M'apprend assez qu'éloigné de vos charmes
Mes yeux se doivent fondre en eau.

Je vous jure, mon cher souci,
Qu'étant réduit à voir l'air qui distille,
Si j'ai le cœur prisonnier à la ville,
Mon corps ne l'est pas moins ici.
Dieu dit un jour à son soleil :
- Toi par qui mon nom luit, toi que ma droite envoie
Porter à l'univers ma splendeur et ma joie,
Pour que l'immensité me loue à son réveil ;
De ces dons merveilleux que répand ta lumière,
De ces pas de géant que tu fais dans les cieux,
De ces rayons vivants que boit chaque paupière,
Lequel te rend, dis-moi, dans toute ta carrière,
Plus semblable à moi-même et plus grand à tes yeux ?

Le soleil répondit en se voilant la face :
- Ce n'est point d'éclairer l'immensurable espace,
De faire étinceler les sables des déserts,
De fondre du Liban la couronne de glace,
Ni de me contempler dans le miroir des mers,
Ni d'écumer de feu sur les vagues des airs :
Mais c'est de me glisser aux fentes de la pierre
Du cachot où languit le captif dans sa tour,
Et d'y sécher des pleurs au bord d'une paupière
Que réjouit dans l'ombre un seul rayon du jour !

- Bien ! reprit Jéhovah ; c'est comme mon amour !
Ce que dit le rayon au Bienfaiteur suprême,
Moi, l'insecte chantant, je le dis à moi-même.
Ce qui donne à ma lyre un frisson de bonheur,
Ce n'est point de frémir au vain souffle de la gloire,
Ni de jeter au temps un nom pour sa mémoire,
Ni de monter au ciel dans un hymne vainqueur ;
Mais c'est de résonner, dans la nuit du mystère,
Pour l'âme sans écho d'un pauvre solitaire
Qui n'a qu'un son lointain pour tout bruit sur la terre,
Et d'y glisser ma voix par les fentes du cœur.
Seul Décébale et nul Autre, me dis-tu, pourrait de sa dague d'eau bénite
Eteindre le feu qui couve sous ta carapace douce et soyeuse!
Décébale le Dace seul aurait la fougue et le courage nécessaires
Pour te faire tournoyer
Et tu dis encore que toi et Décébale ne font quasiment qu'un.

Je ne suis pas jaloux !
A Décébale ce qui appartient à Décébale
A Nul Autre ce qui appartient à Nul Autre.

Moi, comme Nul Autre pareil
Je veux juste apaiser ton feu
L'apprivoiser, l'amadouer
Pour qu'il ne te brûle pas.
Pour cela il faut que je me muscle :
Affronter le feu de Décébale n 'est pas rien,
Décébale c'est dix hommes à la fois.
Je pourrais, s'il le fallait, convoquer dix diablotins,
Dix chats-huants pour me porter assistance
Et défier Décébale en combat singulier.
Sur l'échiquier de ton corps
Mais ce serait tricher
Et tricher n'est pas jouer.
Et à vaincre sans péril on triomphe sans gloire

En conclusion :
Je cède en vertu du droit d'aînesse
A Décébale le feu. A moi le sirocco, la glace !
Pistache, coco et rhum raisins si tu le permets !

Vois-tu ce sont tes lacs glacés que je veux réchauffer,
Tes pics et tes pitons enneigés que je veux faire fondre
A petit feu sous mon vent de braise
Et que la chevauchée prenne des lustres à se consommer
Je veux que partout où tu es
Tu saches
Que je suis là au fond de toi !

Je nage comme un saumon ivre dans tes eaux glacées.
C'est seulement dans ces criques et ces fjords que j'arrive à nager
Je fais du crawl, de la brasse, du ski nautique, du paddle.
Je suis casse-cou dans tes eaux
Comme jamais je ne l'ai été.

Je fais même du surf, du plongeon
et du water polo.
Tant que tu joues avec moi
Je flotte sans bouée
Tant que tu es généreuse
Je dérive
Tant que tu te donnes sans compter
Dans notre nage synchronisée
J'existe de figures en figures.

Et pendant que je te dis tout ça
Voila que ce fieffé diablotin lève la tête,
Bombe le torse,
Et se prend pour Décébale.
Ce n'est qu'un petit pétrel diablotin,
Un simple et infime cottous à peine sorti du nid
Mais j'ai beau lui dire
Qu'il n'est pas multiple de quatre
Il se prend pour Décébale
"Tu n'es pas Dace ",
Lui ai-je pourtant dit cent fois ce matin
Mais il persiste et signe.
Il chante même à tue-tête l'hymne :
Je suis Dacien, voila ma gloire, mon espérance et mon soutien
Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?

- Oui.
J'ai mis le feu là.

- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ;
Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !

- Je ne sais pas lire.
Lors que ta mere estoit preste à gesir de toi,
Si Jupiter, des Dieus et des hommes le roi,
Lui eust juré ces mots : l'enfant dont tu es pleine,
Sera tant qu'il vivra sans douleur et sans peine,
Et tousjours lui viendront les biens sans y songer,
Tu dirois à bon droit Jupiter mensonger.
Mais puis que tu es né, ainsi que tous nous sommes,
A la condition des miserables hommes,
Pour avoir en partage ennuis, soucis, travaus,
Douleurs, tristesses, soins, tormans, peines et maus,
Il faut baisser le dôs, et porter la fortune
Qui vient sans nul égard à tous hommes commune :
Ce que facilement patient tu feras,
Quand quelque fois le jour, en ton coeur penseras
Que tu n'es que pur homme, et qu'on ne voit au monde
Chose qui plus que l'homme en miseres abonde,
Qui plus soudain s'éleve, et qui plus soudain soit
Tombé quand il est haut : et certes à bon droit,
Car il n'a point de force, et si tousjours demande
D'atenter, plus que lui, quelque entreprise grande.
Ce que tu quiers du Roi, Maigni, n'est pas grand cas,
Et de l'avoir bien tost encores tu n'as pas
Du tout perdu l'espoir, pource pren bon courage,
Tu n'as garde de fondre au meillieu de l'orage,
Puis que tu as, en lieu du bel astre besson
Des Spartains, la faveur de ton grand d'Avanson,
Qui ja pousse ta nef sur la rive deserte,
Pour y payer tes veus à Glauque et Melicerte.
À François Coppée


Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde

Est aux enfers ainsi qu'un pauvre immonde

Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux,

Et si n'étaient la lueur de ses yeux

Et la beauté de sa maigre figure,

En le voyant ainsi quiconque jure

Qu'il est un gueux et non ce héros fier

Aux dames comme au poète si cher

Et dont l'auteur de ces humbles chroniques

Vous va parler sur des faits authentiques.


Il a son front dans ses mains et paraît

Penser beaucoup à quelque grand secret.


Il marche à pas douloureux sur la neige :

Car c'est son châtiment que rien n'allège

D'habiter seul et vêtu de léger

**** de tout lieu où fleurit l'oranger

Et de mener ses tristes promenades

Sous un ciel veuf de toutes sérénades

Et qu'une lune morte éclaire assez

Pour expier tous ses soleils passés.

Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable

S'est vu réduire à l'état pitoyable

De tourmenteur et de geôlier gagé

Pour être las trop tôt, et trop âgé.

Du Révolté de jadis il ne reste

Plus qu'un bourreau qu'on paie et qu'on moleste

Si bien qu'enfin la cause de l'Enfer

S'en va tombant comme un fleuve à la mer,

Au sein de l'alliance primitive.

Il ne faut pas que cette honte arrive.


Mais lui, don Juan, n'est pas mort, et se sent

Le coeur vif comme un coeur d'adolescent

Et dans sa tête une jeune pensée

Couve et nourrit une force amassée ;

S'il est damné c'est qu'il le voulut bien,

Il avait tout pour être un bon chrétien,

La foi, l'ardeur au ciel, et le baptême,

Et ce désir de volupté lui-même,

Mais s'étant découvert meilleur que Dieu,

Il résolut de se mettre en son lieu.

À cet effet, pour asservir les âmes

Il rendit siens d'abord les cœurs des femmes.

Toutes pour lui laissèrent là Jésus,

Et son orgueil jaloux monta dessus

Comme un vainqueur foule un champ de bataille.

Seule la mort pouvait être à sa taille.

Il l'insulta, la défit. C'est alors

Qu'il vint à Dieu, lui parla face à face

Sans qu'un instant hésitât son audace.

Le défiant, Lui, son Fils et ses saints !

L'affreux combat ! Très calme et les reins ceints

D'impiété cynique et de blasphème,

Ayant volé son verbe à Jésus même,

Il voyagea, funeste pèlerin,

Prêchant en chaire et chantant au lutrin,

Et le torrent amer de sa doctrine,

Parallèle à la parole divine,

Troublait la paix des simples et noyait

Toute croyance et, grossi, s'enfuyait.


Il enseignait : « Juste, prends patience.

Ton heure est proche. Et mets ta confiance

En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant,

Et ton salut en sera sûr d'autant.

Femmes, aimez vos maris et les vôtres

Sans cependant abandonner les autres...

L'amour est un dans tous et tous dans un,

Afin qu'alors que tombe le soir brun

L'ange des nuits n'abrite sous ses ailes

Que cœurs mi-clos dans la paix fraternelle. »


Au mendiant errant dans la forêt

Il ne donnait un sol que s'il jurait.

Il ajoutait : « De ce que l'on invoque

Le nom de Dieu, celui-ci s'en choque,

Bien au contraire, et tout est pour le mieux.

Tiens, prends, et bois à ma santé, bon vieux. »

Puis il disait : « Celui-là prévarique

Qui de sa chair faisant une bourrique

La subordonne au soin de son salut

Et lui désigne un trop servile but.

La chair est sainte ! Il faut qu'on la vénère.

C'est notre fille, enfants, et notre mère,

Et c'est la fleur du jardin d'ici-bas !

Malheur à ceux qui ne l'adorent pas !

Car, non contents de renier leur être,

Ils s'en vont reniant le divin maître,

Jésus fait chair qui mourut sur la croix,

Jésus fait chair qui de sa douce voix

Ouvrait le coeur de la Samaritaine,

Jésus fait chair qu'aima la Madeleine ! »


À ce blasphème effroyable, voilà

Que le ciel de ténèbres se voila.

Et que la mer entrechoqua les îles.

On vit errer des formes dans les villes

Les mains des morts sortirent des cercueils,

Ce ne fut plus que terreurs et que deuils

Et Dieu voulant venger l'injure affreuse

Prit sa foudre en sa droite furieuse

Et maudissant don Juan, lui jeta bas

Son corps mortel, mais son âme, non pas !

Non pas son âme, on l'allait voir ! Et pâle

De male joie et d'audace infernale,

Le grand damné, royal sous ses haillons,

Promène autour son œil plein de rayons,

Et crie : « À moi l'Enfer ! ô vous qui fûtes

Par moi guidés en vos sublimes chutes,

Disciples de don Juan, reconnaissez

Ici la voix qui vous a redressés.-

Satan est mort, Dieu mourra dans la fête,

Aux armes pour la suprême conquête !


Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nés,

C'est le grand jour pour le tour des damnés. »

Il dit. L'écho frémit et va répandre

L'appel altier, et don Juan croit entendre

Un grand frémissement de tous côtés.

Ses ordres sont à coup sûr écoutés :

Le bruit s'accroît des clameurs de victoire,

Disant son nom et racontant sa gloire.

« À nous deux, Dieu stupide, maintenant ! »

Et don Juan a foulé d'un pied tonnant


Le sol qui tremble et la neige glacée

Qui semble fondre au feu de sa pensée...

Mais le voilà qui devient glace aussi

Et dans son coeur horriblement transi

Le sang s'arrête, et son geste se fige.

Il est statue, il est glace. Ô prodige

Vengeur du Commandeur assassiné !

Tout bruit s'éteint et l'Enfer réfréné

Rentre à jamais dans ses mornes cellules.

« Ô les rodomontades ridicules »,


Dit du dehors Quelqu'un qui ricanait,

« Contes prévus ! farces que l'on connaît !

Morgue espagnole et fougue italienne !

Don Juan, faut-il afin qu'il t'en souvienne,

Que ce vieux Diable, encore que radoteur,

Ainsi te prenne en délit de candeur ?

Il est écrit de ne tenter... personne

L'Enfer ni ne se prend ni ne se donne.

Mais avant tout, ami, retiens ce point :

On est le Diable, on ne le devient point. »
On dirait ton regard d'une vapeur couvert ;
Ton oeil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert ?)
Alternativement tendre, rêveur, cruel,
Réfléchit l'indolence et la pâleur du ciel.

Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés,
Qui font se fondre en pleurs les coeurs ensorcelés,
Quand, agités d'un mal inconnu qui les tord,
Les nerfs trop éveillés raillent l'esprit qui dort.

Tu ressembles parfois à ces beaux horizons
Qu'allument les soleils des brumeuses saisons...
Comme tu resplendis, paysage mouillé
Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé !

Ô femme dangereuse, ô séduisants climats !
Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas,
Et saurai-je tirer de l'implacable hiver
Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer ?
Voilà que tout cela est passé... Mon enfance n'est plus ;
Elle est morte, pour ainsi dire, quoique je vive encore.
Saint Augustin, Confessions.


I.

J'ai des rêves de guerre en mon âme inquiète ;
J'aurais été soldat, si je n'étais poète.
Ne vous étonnez point que j'aime les guerriers !
Souvent, pleurant sur eux, dans ma douleur muette,
J'ai trouvé leur cyprès plus beau que nos lauriers.

Enfant, sur un tambour ma crèche fut posée.
Dans un casque pour moi l'eau sainte fut puisée.
Un soldat, m'ombrageant d'un belliqueux faisceau,
De quelque vieux lambeau d'une bannière usée
Fit les langes de mon berceau.

Parmi les chars poudreux, les armes éclatantes,
Une muse des camps m'emporta sous les tentes ;
Je dormis sur l'affût des canons meurtriers ;
J'aimai les fiers coursiers, aux crinières flottantes,
Et l'éperon froissant les rauques étriers.

J'aimai les forts tonnants, aux abords difficiles ;
Le glaive nu des chefs guidant les rangs dociles ;
La vedette, perdue en un bois isolé ;
Et les vieux bataillons qui passaient dans les villes,
Avec un drapeau mutilé.

Mon envie admirait et le hussard rapide,
Parant de gerbes d'or sa poitrine intrépide,
Et le panache blanc des agiles lanciers,
Et les dragons, mêlant sur leur casque gépide
Le poil taché du tigre aux crins noirs des coursiers.

Et j'accusais mon âge : « Ah ! dans une ombre obscure,
Grandir, vivre ! laisser refroidir sans murmure
Tout ce sang jeune et pur, bouillant chez mes pareils,
Qui dans un noir combat, sur l'acier d'une armure,
Coulerait à flots si vermeils !

Et j'invoquais la guerre, aux scènes effrayantes ;
Je voyais en espoir, dans les plaines bruyantes,
Avec mille rumeurs d'hommes et de chevaux,
Secouant à la fois leurs ailes foudroyantes,
L'un sur l'autre à grands cris fondre deux camps rivaux.

J'entendais le son clair des tremblantes cymbales,
Le roulement des chars, le sifflement des balles,
Et de monceaux de morts semant leurs pas sanglants,
Je voyais se heurter au ****, par intervalles,
Les escadrons étincelants !

II.

Avec nos camps vainqueurs, dans l'Europe asservie
J'errai, je parcourus la terre avant la vie ;
Et, tout enfant encor, les vieillards recueillis
M'écoutaient racontant, d'une bouche ravie,
Mes jours si peu nombreux et déjà si remplis !

Chez dix peuples vaincus je passai sans défense,
Et leur respect craintif étonnait mon enfance.
Dans l'âge où l'on est plaint, je semblais protéger.
Quand je balbutiais le nom chéri de France,
Je faisais pâlir l'étranger.

Je visitai cette île, en noirs débris féconde,
Plus ****, premier degré d'une chute profonde.
Le haut Cenis, dont l'aigle aime les rocs lointains,
Entendit, de son antre où l'avalanche gronde,
Ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins.

Vers l'Adige et l'Arno je vins des bords du Rhône.
Je vis de l'Occident l'auguste Babylone,
Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux,
Reine du monde encor sur un débris de trône,
Avec une pourpre en lambeaux.

Puis Turin, puis Florence aux plaisirs toujours prête,
Naples, aux bords embaumés, où le printemps s'arrête
Et que Vésuve en feu couvre d'un dais brûlant,
Comme un guerrier jaloux qui, témoin d'une fête,
Jette au milieu des fleurs son panache sanglant.

L'Espagne m'accueillit, livrée à la conquête.
Je franchis le Bergare, où mugit la tempête ;
De ****, pour un tombeau, je pris l'Escurial ;
Et le triple aqueduc vit s'incliner ma tête
Devant son front impérial.

Là, je voyais les feux des haltes militaires
Noircir les murs croulants des villes solitaires ;
La tente, de l'église envahissait le seuil ;
Les rires des soldats, dans les saints monastères,
Par l'écho répétés, semblaient des cris de deuil.

III.

Je revins, rapportant de mes courses lointaines
Comme un vague faisceau de lueurs incertaines.
Je rêvais, comme si j'avais, durant mes jours,
Rencontré sur mes pas les magiques fontaines
Dont l'onde enivre pour toujours.

L'Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles ;
Burgos, sa cathédrale aux gothiques aiguilles ;
Irun, ses toits de bois ; Vittoria, ses tours ;
Et toi, Valadolid, tes palais de familles,
Fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours.

Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée ;
J'allais, chantant des vers d'une voix étouffée ;
Et ma mère, en secret observant tous mes pas,
Pleurait et souriait, disant : « C'est une fée
Qui lui parle, et qu'on ne voit pas ! »

1823.
Lorsque l'on est monté jusqu'au nid des aiglons,

Et que l'on voit, sous soi, les plus fiers mamelons

Se fondre et s'effacer au flanc de la montagne,

Et, comme un lac, bleuir tout au fond la campagne,

On s'aperçoit enfin qu'on grimperait mille ans,

Tant que la chair tiendrait à vos talons sanglants,

Sans approcher du ciel qui toujours se recule,

Et qu'on n'est, après tout, qu'un Titan ridicule.

On n'est plus dans le monde, on n'est pas dans les cieux,

Et des fantômes vains dansent devant vos yeux.

Le silence est profond ; la chanson de la terre

Ne vient pas jusqu'à vous, et la voix du tonnerre

Qui roule sous vos pieds, semble le bâillement

Du Brocken, ennuyé de son désœuvrement.

Votre cri, sans trouver d'écho qui le répète,

S'éteint subitement sous la voûte muette ;

C'est un calme sinistre, on n'entend pas encore

Les violes d'amour et les cithares d'or,

Car le ciel est bien haut et l'échelle est petite ;

Votre guide, effrayé, redescend et vous quitte,

Et, roulant une larme au fond de son œil bleu,

La dernière des fleurs vous jette son adieu.

La neige cependant descend silencieuse,

Et, sous ses fils d'argent, la lune soucieuse

Apparaît à côté d'un soleil sans rayons ;

Le ciel est tout rayé de ses pâles sillons,

Et la mort, dans ses doigts, tordant ce fil qui tombe,

Vous tisse un blanc linceul pour votre froide tombe.
Me voilà revenu de ce voyage sombre,
Où l'on n'a pour flambeaux et pour astre dans l'ombre
Que les yeux du hibou ;
Comme, après tout un jour de labourage, un buffle
S'en retourne à pas lents, morne et baissant le mufle,
Je vais ployant le cou.

Me voilà revenu du pays des fantômes,
Mais je conserve encor, **** des muets royaumes
Le teint pâle des morts.
Mon vêtement, pareil au crêpe funéraire
Sur une urne jeté, de mon dos jusqu'à terre
Pend au long de mon corps.

Je sors d'entre les mains d'une mort plus avare
Que celle qui veillait au tombeau de Lazare ;
Elle garde son bien :
Elle lâche le corps, mais elle retient l'âme ;
Elle rend le flambeau, mais elle éteint la flamme,
Et Christ n'y pourrait rien.

Je ne suis plus, hélas ! Que l'ombre de moi-même,
Que la tombe vivante où gît tout ce que j'aime,
Et je me survis seul ;
Je promène avec moi les dépouilles glacées
De mes illusions, charmantes trépassées
Dont je suis le linceul.

Je suis trop jeune encor, je veux aimer et vivre,
Ô mort... et je ne puis me résoudre à te suivre
Dans le sombre chemin ;
Je n'ai pas eu le temps de bâtir la colonne
Où la gloire viendra suspendre ma couronne ;
Ô mort, reviens demain !

Vierge aux beaux seins d'albâtre, épargne ton poète,
Souviens-toi que c'est moi, qui le premier, t'ai faite
Plus belle que le jour ;
J'ai changé ton teint vert en pâleur diaphane,
Sous de beaux cheveux noirs j'ai caché ton vieux crâne,
Et je t'ai fait la cour.

Laisse-moi vivre encor, je dirai tes louanges ;
Pour orner tes palais, je sculpterai des anges,
Je forgerai des croix ;
Je ferai, dans l'église et dans le cimetière,
Fondre le marbre en pleurs et se plaindre la pierre
Comme au tombeau des rois !

Je te consacrerai mes chansons les plus belles :
Pour toi j'aurai toujours des bouquets d'immortelles
Et des fleurs sans parfum.
J'ai planté mon jardin, ô mort, avec tes arbres ;
L'if, le buis, le cyprès y croisent sur les marbres
Leurs rameaux d'un vert brun.

J'ai dit aux belles fleurs, doux honneur du parterre,
Au lis majestueux ouvrant son blanc cratère,
À la tulipe d'or,
À la rose de mai que le rossignol aime,
J'ai dit au dahlia, j'ai dit au chrysanthème,
À bien d'autres encor :

Ne croissez pas ici ! Cherchez une autre terre,
Frais amours du printemps ; pour ce jardin austère
Votre éclat est trop vif ;
Le houx vous blesserait de ses pointes aiguës,
Et vous boiriez dans l'air le poison des ciguës,
L'odeur âcre de l'if.

Ne m'abandonne pas, ô ma mère, ô nature,
Tu dois une jeunesse à toute créature,
À toute âme un amour ;
Je suis jeune et je sens le froid de la vieillesse,
Je ne puis rien aimer. Je veux une jeunesse,
N'eût-elle qu'un seul jour !
Je vis cloîtré dans mon âme profonde,
Sans rien d'humain, sans amour, sans amis,
Seul comme un dieu, n'ayant d'égaux au monde
Que mes aïeux sous la tombe endormis !
Hélas ! grandeur veut dire solitude.
Comme une idole au geste surhumain,
Je reste là, gardant mon attitude,
La pourpre au dos, le monde dans la main.

Comme Jésus, j'ai le cercle d'épines ;
Les rayons d'or du nimbe sidéral
Percent ma peau comme des javelines,
Et sur mon front perle mon sang royal.
Le bec pointu du vautour héraldique
Fouille mon flanc en proie aux noirs soucis :
Sur son rocher, le Prométhée antique
N'était qu'un roi sur son fauteuil assis.

De mon olympe entouré de mystère,
Je n'entends rien que la voix des flatteurs ;
C'est le seul bruit qui des bruits de la terre
Puisse arriver à de telles hauteurs ;
Et si parfois mon peuple, qu'on outrage,
En gémissant entrechoque ses fers :
« Sire ! dormez, me dit-on, c'est l'orage ;
Les cieux bientôt vont devenir plus clairs. »

Je puis tout faire, et je n'ai plus d'envie.
Ah ! si j'avais seulement un désir !
Si je sentais la chaleur de la vie !
Si je pouvais partager un plaisir !
Mais le soleil va toujours sans cortège ;
Les plus hauts monts sont aussi les plus froids ;
Et nul été ne peut fondre la neige
Sur les sierras et dans le coeur des rois !
T'oseroit bien quelque poète
Nyer des vers, douce alouette ?
Quant à moy je ne l'oserois,
Je veux celebrer ton ramage
Sur tous oyseaus qui sont en cage,
Et sur tous ceus qui sont es bois.

Qu'il te fait bon ouyr ! à l'heure
Que le bouvier les champs labeure
Quand la terre le printems sent,
Qui plus de ta chanson est gaye,
Que couroussée de la playe
Du soc, qui l'estomac lui fend.

Si tost que tu es arrosée
Au point du jour, de la rosée,
Tu fais en l'air mile discours
En l'air des ailes tu fretilles,
Et pendue au ciel, tu babilles,
Et contes aus vens tes amours.

Puis du ciel tu te laisses fondre
Dans un sillon vert, soit pour pondre,
Soit pour esclorre, ou pour couver,
Soit pour aporter la bechée
A tes petis, ou d'une Achée
Ou d'une chenille, ou d'un ver.

Lors moi couché dessus l'herbette
D'une part j'oy ta chansonnette ;
De l'autre, sus du poliot,
A l'abry de quelque fougere
J'ecoute la jeune bergere
Qui degoise son lerelot.

Puis je di, tu es bien-heureuse,
Gentille Alouette amoureuse,
Qui n'as peur ny soucy de riens,
Qui jamais au coeur n'as sentie
Les dedains d'une fiere amie,
Ny le soin d'amasser des biens.

Ou si quelque souci te touche,
C'est, lors que le Soleil se couche,
De dormir, et de reveiller
De tes chansons avec l'Aurore
Et bergers et passans encore,
Pour les envoyer travailler.

Mais je vis toujours en tristesse,
Pour les fiertez d'une maistresse
Qui paye ma foi de travaus,
Et d'une plesante mensonge,
Qui jour et nuit tous-jours alonge
La longue trame de mes maus.
LES PARENTS

Nous sommes tes Grands-Parents,
Les Grands !
Couverts des froides sueurs
De la lune et des verdures.
Nos vins secs avaient du coeur !
Au soleil sans imposture
Que faut-il à l'homme ? boire.

Moi. - Mourir aux fleuves barbares.

Nous sommes tes Grands-Parents
Des champs.
L'eau est au fond des osiers :
Vois le courant du fossé
Autour du château mouillé.
Descendons en nos celliers ;
Après, le cidre et le lait.

MOI. - Aller où boivent les vaches.

Nous sommes tes Grands-Parents ;
Tiens, prends
Les liqueurs dans nos armoires ;
Le Thé, le Café, si rares,
Frémissent dans les bouilloires.

- Vois les images, les fleurs.
Nous rentrons du cimetière.

MOI. - Ah ! tarir toutes les urnes !

2. L'ESPRIT

Éternelles Ondines
Divisez l'eau fine.
Vénus, soeur de l'azur,
Émeus le flot pur.

Juifs errants de Norwège
Dites-moi la neige.
Anciens exilés chers,
Dites-moi la mer.

MOI. - Non, plus ces boissons pures,
Ces fleurs d'eau pour verres ;
Légendes ni figures
Ne me désaltèrent ;

Chansonnier, ta filleule
C'est ma soif si folle
Hydre intime sans gueules
Qui mine et désole.

3. LES AMIS

Viens, les vins vont aux plages,
Et les flots par millions !
Vois le Bitter sauvage
Rouler du haut des monts !

Gagnons, pèlerins sages,
L'absinthe aux verts piliers...

MOI. - Plus ces paysages.
Qu'est l'ivresse, Amis ?

J'aime autant, mieux, même,
Pourrir dans l'étang,
Sous l'affreuse crème,
Près des bois flottants.

4. LE PAUVRE SONGE

Peut-être un Soir m'attend
Où je boirai tranquille
En quelque vieille Ville,
Et mourrai plus content :
Puisque je suis patient !

Si mon mal se résigne,
Si j'ai jamais quelque or
Choisirai-je le Nord
Ou le Pays des Vignes ?...
- Ah ! songer est indigne

Puisque c'est pure perte !
Et si je redeviens
Le voyageur ancien,
Jamais l'auberge verte
Ne peut bien m'être ouverte.

5. CONCLUSION

Les pigeons qui tremblent dans la prairie,
Le gibier qui court et qui voit la nuit,
Les bêtes des eaux, la bête asservie,
Les derniers papillons !... ont soif aussi.

Mais fondre où fond ce nuage sans guide,
- Oh ! favorisé de ce qui est frais !
Expirer en ces violettes humides
Dont les aurores chargent ces forêts ?
Adityan Apr 2020
I’d die for you

With a bullet wound through and through

For the memories were not a few

And for why i fell for you i have no clue

Locked in the louvre

Rooms full of art

I would stare at you

Counting every second, we spent apart

Pour Toi oeuvre

Je compose cette symphonie

d’amour et de d’amour

et pour toi je séjour

Je t’aimerai

mille livres sur notre amour j’imprime

dans cette langue d’amour

je t’apporterai du glamour

From your eyes

To the stars in the skies

You make shine

You are so much more than fine

For you are divine

and may never be mine

I love you for your flaws

Everytime our eyes meet

I hear that downbeat

you make the world pause

My heart stops without cause

regarder dans les yeux

fait fondre mon cœur

sans toi la vie est ennuyeux

mon amour n’est pas un moqueur

c’est vrai

dis-je alors que nous commençons à danser

The mozartiana suite, Starts playing

Intimately, swaying

We dance under the midnight moon

by the blood white lagoon

loved you make me feel

Every moment spent with you is surreal

For u are a poem i cant end

My love for you is perhaps,

one that none can comprehend
This is a standard love poem i felt like i was obliged to write one as a poet and was around the time i was falling in love, the french is terrible and i am sorry for that.
Tu dis que mes délires
D'orphie volante
Pour attendrir ta chair de conque
Sont nuls et non avenus.
Et que le chemin qui mène
A la crête du mont de Vénus
Est ardu et pentu et glissant
Surtout pour celui qui grimpe à bicyclette.

Je serais vantard
Je ne serais que vent fripon et couillonnade
Et tu n'as nul besoin de la marchandise
Que je te présente fraîche et dispose sur l'étal
Avec ce bec aux dents soi-disant acérées.

Je te promets pourtant de t'attendrir
J'ai la recette : elle est rare et je te l'offre
C'est une recette simple et infaillible
Comme gage de notre désir de nous fondre dans nos ombres

Je te chante en latin lubricus
Première classe des adjectifs masculins,
Nominatif singulier
Comme l'ont chanté avant moi Tacite, Horace, Virgile, Pline
Ovide et autres
Qui est la racine de lubrique
Et qui veut dire glissant

C'est-à-dire lisse, poli, gluant, dangereux, périlleux, coulant,
Insaisissable, fuyant, inconstant, incertain, décevant, trompeur, séduisant,

Chancelant, disposé, prêt à, hasardeux, délicat et mobile
Si l'on en croit le Gaffiot de 1934
Et je m'enroule en Aspidelaps lubricus
Serpent corail venimeux autour de ton ombre

Souffre donc que je te lustre de l'antidote
De mon ombre glissante
Et c'est dans l'ombre de nos ombres
Que nous sommes lubriques
Que nous sommes lumière
Haletant, bavant, buvant goutte à goutte
Nos cantiques les plus luxurieux.

Ce sont comme des envies de femme enceinte
Irrépressibles
Inexplicables
Incompréhensibles
Et pourtant sourdes et réelles
Incontournables
Je veux que ces envies jaillissent
De nos inconsciences charnelles
Et prolifèrent, nous mordent
Nous griffent, nous lacèrent
Nous démantibulent.

Nos pondaisons ne sont jamais stériles.
Nos jaunes pochés éclatent
Dans l'eau bouillante de nos verbes
De toutes les couleurs de l'arc en ciel
Et nos coquilles ont toutes les formes géométriques
Et s'imbriquent
Comme par miracle
Comme des poupées-gigognes.
Ne vous croyez ni grand, ni petit ! Contemplez.
Asseyez-vous le soir sous les cieux étoilés,
Sur le penchant d'un mont, près de la mer profonde.
Voyez s'évanouir les écumes sur l'onde ;

Voyez sortir des flots les constellations ;
Regardez trembler l'algue et fuir les alcyons ;
Écoutez les bruits sourds qu'on entend dans cette ombre ;
De vos ans écoulés rappelez-vous le nombre ;

Laissez votre âme, en deuil de la fuite des jours,
Se fondre au souvenir de vos jeunes amours ;
Pleurez, tandis que l'eau murmure sur la grève ;
Et puis, songez à Dieu, qui regarde et qui rêve,

Toujours clément, toujours penché, toujours veillant,
À Dieu qui du même oeil égal et bienveillant
Voit la comète ouvrant sa flamboyante queue,
Et l'humble oiseau perdu dans l'immensité bleue.

Le 28 juillet 1846.
PROLOGUE D'UN LIVRE DONT IL NE PARAITRA

QUE LES EXTRAITS CI-APRÈS.


Ce n'est pas de ces dieux foudroyés.

Ce n'est pas encore une infortune

Poétique autant qu'inopportune,

Lecteur de bon sens, ne fuyez !


On sait trop tout le prix du malheur

Pour le perdre en disert gaspillage.

Vous n'aurez ni mes traits ni mon âge,

Ni le vrai mal secret de mon cœur.


Et de ce que ces vers maladifs

Furent faits en prison, pour tout dire,

On ne va pas crier au martyre.

Que Dieu vous garde des expansifs !


On vous donne un livre fait ainsi.

Prenez-le pour ce qu'il vaut en somme.

C'est l'ægri somnium d'un brave homme

Étonné de se trouver ici.


On y met, avec la « bonne foy »,

L'orthographe à peu près qu'on possède

Regrettant de n'avoir à son aide

Que ce prestige d'être bien soi.


Vous lirez ce libelle tel quel,

Tout ainsi que vous feriez d'un autre.

Ce vœu bien modeste est le seul nôtre.

N'étant guère après tout criminel.


Un mot encor, car je vous dois

Quelque lueur en définitive

Concernant la chose qui m'arrive :

Je compte parmi les maladroits.


J'ai perdu ma vie, et je sais bien

Que tout blâme sur moi s'en va fondre ;

A cela je ne puis que répondre

Que je suis vraiment né Saturnien.

— The End —