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Laurent Oct 2015
Aimons toujours ! Aimons encore !
Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.
L'amour, c'est le cri de l'aurore,
L'amour c'est l'hymne de la nuit.

Ce que le flot dit aux rivages,
Ce que le vent dit aux vieux monts,
Ce que l'astre dit aux nuages,
C'est le mot ineffable : Aimons !

L'amour fait songer, vivre et croire.
Il a pour réchauffer le coeur,
Un rayon de plus que la gloire,
Et ce rayon c'est le bonheur !

Aime ! qu'on les loue ou les blâme,
Toujours les grand coeurs aimeront :
Joins cette jeunesse de l'âme
A la jeunesse de ton front !

Aime, afin de charmer tes heures !
Afin qu'on voie en tes beaux yeux
Des voluptés intérieures
Le sourire mystérieux !

Aimons-nous toujours davantage !
Unissons-nous mieux chaque jour.
Les arbres croissent en feuillage ;
Que notre âme croisse en amour !

Soyons le miroir et l'image !
Soyons la fleur et le parfum !
Les amants, qui, seuls sous l'ombrage,
Se sentent deux et ne sont qu'un !

Les poètes cherchent les belles.
La femme, ange aux chastes faveurs,
Aime à rafraîchir sous ses ailes
Ces grand fronts brûlants et réveurs.

Venez à nous, beautés touchantes !
Viens à moi, toi, mon bien, ma loi !
Ange ! viens à moi quand tu chantes,
Et, quand tu pleures, viens à moi !

Nous seuls comprenons vos extases.
Car notre esprit n'est point moqueur ;
Car les poètes sont les vases
Où les femmes versent leur cœurs.

Moi qui ne cherche dans ce monde
Que la seule réalité,
Moi qui laisse fuir comme l'onde
Tout ce qui n'est que vanité,

Je préfère aux biens dont s'enivre
L'orgueil du soldat ou du roi,
L'ombre que tu fais sur mon livre
Quand ton front se penche sur moi.

Toute ambition allumée
Dans notre esprit, brasier subtil,
Tombe en cendre ou vole en fumée,
Et l'on se dit : " Qu'en reste-t-il ? "

Tout plaisir, fleur à peine éclose
Dans notre avril sombre et terni,
S'effeuille et meurt, lis, myrte ou rose,
Et l'on se dit : " C'est donc fini ! "

L'amour seul reste. O noble femme
Si tu veux dans ce vil séjour,
Garder ta foi, garder ton âme,
Garder ton Dieu, garde l'amour !

Conserve en ton coeur,
sans rien craindre,
Dusses-tu pleurer et souffrir,
La flamme qui ne peut s'éteindre.

In English :

Let us love always! Let love endure!
When love goes, hope flies.
Love, that is the cry of the dawn,
Love, that is the hymn of the night.

How does the wave tell the shores,
How does the wind tell the old mountains,
How does the star tell the clouds,
It is with that ineffable phrase: "Let us love"!

Love dreams, lives and believes.
It is to nourish the heart.
A beam greater than glory
And this beam is happiness!

Love! That one may praise them or blame them,
Always, great hearts will love:
Join this youth of the soul
To the youth of your brow!

Love, in order to charm your hours!
In order that one can look into your beautiful eyes
With those voluptuous interiors
Of mysterious smiles!

Let us love always and more!
Let us unite better each day,
Trees grow their foliage;
That our souls should grow in love.

Let us be the mirror and image!
Let us be the flower and the perfume!
Lovers, who are alone beneath the shade,
Feel as two and are but one!

Poets search for beauties.
Woman, angel of pure tastes,
Loves to refresh beneath its wings
These large blazing and dreaming brows.

Come to us, touching beauties!
Come to me, to you, my own, my law!
Angel, come to me when you sing,
And, when you cry, come to me!

We alone understand your ecstasies,
For our spirit does not mock;
For poets are the vases
Where ladies send their hearts.

I, who has not found in the world
That single reality,
I, who lets flee like the wave
All that is only vanity.

I prefer rather than that which enervates
The arrogance of the soldier or the king,
The shadow that you place upon my life
When your brow inclines to me.

All ambition kindled
In our spirit, that subtle brazier,
Crumbles to ashes or flies in smoke,
And one says: "What will remain"?

All pleasure, a flower hardly in blossom
In our dark and tarnished April,
Sheds it's leaves and dies, lily, myrtle or rose,
And one says to oneself: "It is finished"!

Only love remains. O noble lady,
If you want to remain in this base state
Guard your faith, guard your soul,
Guard your God, guard love!

Conserve in your heart, without fearing anything,
If you should cry and suffer,
The flame that cannot be extinguished

And the flower that cannot die!
Victor Marie Hugo (26 February 1802 – 22 May 1885) was a French poet, novelist, and dramatist of the Romantic movement. He is considered one of the greatest and best known French writers. In France, Hugo's literary fame comes first from his poetry but also rests upon his novels and his dramatic achievements. Among many volumes of poetry, Les Contemplations and La Légende des siècles stand particularly high in critical esteem.
Hymne aux morts de juillet.

Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau.
Toute gloire près d'eux passe et tombe éphémère ;
Et, comme ferait une mère,
La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau.

Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Aux martyrs ! aux vaillants ! aux forts !
A ceux qu'enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple,
Et qui mourrons comme ils sont morts !

C'est pour ces morts, dont l'ombre est ici bienvenue,
Que le haut Panthéon élève dans la nue,
Au-dessus de Paris, la ville aux mille tours,
La reine de nos Tirs et de nos Babylone,
Cette couronne de colonnes
Que le soleil levant redore tous les jours !

Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Aux martyrs ! aux vaillants ! aux forts !
A ceux qu'enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple,
Et qui mourrons comme ils sont morts !

Ainsi, quand de tels morts sont couchés dans la tombe,
En vain l'oubli, nuit sombre où va tout ce qui tombe,
Passe sur leur sépulcre où nous inclinons ;
Chaque jour, pour eux seuls se levant plus fidèle,
La gloire, aube toujours nouvelle,
Fait luire leur mémoire et redore leurs noms !

Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Aux martyrs ! aux vaillants ! aux forts !
A ceux qu'enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple,
Et qui mourrons comme ils sont morts !

Juillet 1831.
L'aurore se levait, la mer battait la plage ;
Ainsi parla Sapho debout sur le rivage,
Et près d'elle, à genoux, les filles de ******
Se penchaient sur l'abîme et contemplaient les flots :

Fatal rocher, profond abîme !
Je vous aborde sans effroi !
Vous allez à Vénus dérober sa victime :
J'ai méconnu l'amour, l'amour punit mon crime.
Ô Neptune ! tes flots seront plus doux pour moi !
Vois-tu de quelles fleurs j'ai couronné ma tête ?
Vois : ce front, si longtemps chargé de mon ennui,
Orné pour mon trépas comme pour une fête,
Du bandeau solennel étincelle aujourd'hui !

On dit que dans ton sein... mais je ne puis le croire !
On échappe au courroux de l'implacable Amour ;
On dit que, par tes soins, si l'on renaît au jour,
D'une flamme insensée on y perd la mémoire !
Mais de l'abîme, ô dieu ! quel que soit le secours,
Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours !
Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices
Un oubli passager, vain remède à mes maux !
J'y viens, j'y viens trouver le calme des tombeaux !
Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices !
Et vous, pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces vains sanglots ?
Chantez, chantez un hymne, ô vierges de ****** !

Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse ?
C'était sous les bosquets du temple de Vénus ;
Moi-même, de Vénus insensible prêtresse,
Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse :
Aux pieds de ses autels, soudain je t'aperçus !
Dieux ! quels transports nouveaux ! ô dieux ! comment décrire
Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois ?
Ma langue se glaça, je demeurais sans voix,
Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre !
Non : jamais aux regards de l'ingrate Daphné
Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone ;
Jamais le thyrse en main, de pampres couronné,
Le jeune dieu de l'Inde, en triomphe traîné,
N'apparut plus brillant aux regards d'Erigone.
Tout sortit... de lui seul je me souvins, hélas !
Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure,
J'errais seule et pensive autour de sa demeure.
Un pouvoir plus qu'humain m'enchaînait sur ses pas !
Que j'aimais à le voir, de la foule enivrée,
Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux,
Lancer le disque au ****, d'une main assurée,
Et sur tous ses rivaux l'emporter dans nos jeux !
Que j'aimais à le voir, penché sur la crinière
D'un coursier de I'EIide aussi prompt que les vents,
S'élancer le premier au bout de la carrière,
Et, le front couronné, revenir à pas lents !
Ah ! de tous ses succès, que mon âme était fière !
Et si de ce beau front de sueur humecté
J'avais pu seulement essuyer la poussière...
Ô dieux ! j'aurais donné tout, jusqu'à ma beauté,
Pour être un seul instant ou sa soeur ou sa mère !
Vous, qui n'avez jamais rien pu pour mon bonheur !
Vaines divinités des rives du Permesse,
Moi-même, dans vos arts, j'instruisis sa jeunesse ;
Je composai pour lui ces chants pleins de douceur,
Ces chants qui m'ont valu les transports de la Grèce :
Ces chants, qui des Enfers fléchiraient la rigueur,
Malheureuse Sapho ! n'ont pu fléchir son coeur,
Et son ingratitude a payé ta tendresse !

Redoublez vos soupirs ! redoublez vos sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Si l'ingrat cependant s'était laissé toucher !
Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes
A son indifférence avaient pu l'arracher !
S'il eût été du moins attendri par mes larmes !
Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux
N'aurait filé des jours plus doux, plus glorieux !
Que d'éclat cet amour eût jeté sur sa vie !
Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie !
Et l'amant de Sapho, fameux dans l'univers,
Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers !
C'est pour lui que j'aurais, sur tes autels propices,
Fait fumer en tout temps l'encens des sacrifices,
Ô Vénus ! c'est pour lui que j'aurais nuit et jour
Suspendu quelque offrande aux autels de l'Amour !
C'est pour lui que j'aurais, durant les nuits entières
Aux trois fatales soeurs adressé mes prières !
Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux,
J'aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux !
Pour lui j'aurais voulu dans les jeux d'Ionie
Disputer aux vainqueurs les palmes du génie !
Que ces lauriers brillants à mon orgueil offerts
En les cueillant pour lui m'auraient été plus chers !
J'aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire,
Et couronné son front des rayons de ma gloire.

Souvent à la prière abaissant mon orgueil,
De ta porte, ô Phaon ! j'allais baiser le seuil.
Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse
Me refuse à jamais ce doux titre d'épouse,
Souffre, ô trop cher enfant, que Sapho, près de toi,
Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi !
Que m'importe ce nom et cette ignominie !
Pourvu qu'à tes côtés je consume ma vie !
Pourvu que je te voie, et qu'à mon dernier jour
D'un regard de pitié tu plaignes tant d'amour !
Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse ;
Vénus égalera ma force à ma tendresse.
Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas,
Tu me verras te suivre au milieu des combats ;
Tu me verras, de Mars affrontant la furie,
Détourner tous les traits qui menacent ta vie,
Entre la mort et toi toujours prompte à courir...
Trop heureuse pour lui si j'avais pu mourir !

Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone,
Sous la tente au sommeil ton âme s'abandonne,
Ce sommeil, ô Phaon ! qui n'est plus fait pour moi,
Seule me laissera veillant autour de toi !
Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière,
Assise à tes côtés durant la nuit entière,
Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour,
Je charmerai ta peine en attendant le jour !

Je disais; et les vents emportaient ma prière !
L'écho répétait seul ma plainte solitaire ;
Et l'écho seul encor répond à mes sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !
Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire !
Ô lyre ! que ma main fit résonner pour lui,
Ton aspect que j'aimais m'importune aujourd'hui,
Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire
Et mes feux, et ma honte, et l'ingrat qui m'a fui !
Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste !
Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis
Je ne te suspends pas ! que le courroux céleste
Sur ces flots orageux disperse tes débris !
Et que de mes tourments nul vestige ne reste !
Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers
Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers !
Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre !
Que ne puis-je aux Enfers descendre tout entière !
Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon,
Emporter avec moi l'opprobre de mon nom !

Cependant si les dieux que sa rigueur outrage
Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage ?
Si de ce lieu suprême il pouvait s'approcher ?
S'il venait contempler sur le fatal rocher
Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée,
Frappant de vains sanglots la rive désolée,
Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort,
Et dressant lentement les apprêts de sa mort ?
Sans doute, à cet aspect, touché de mon supplice,
Il se repentirait de sa longue injustice ?
Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer
Il dirait à Sapho : Vis encor pour aimer !
Qu'ai-je dit ? **** de moi quelque remords peut-être,
A défaut de l'amour, dans son coeur a pu naître :
Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux,
Il frissonne, il s'arrête, il revient vers ces lieux ?
Il revient m'arrêter sur les bords de l'abîme ;
Il revient !... il m'appelle... il sauve sa victime !...
Oh ! qu'entends-je ?... écoutez... du côté de ******
Une clameur lointaine a frappé les échos !
J'ai reconnu l'accent de cette voix si chère,
J'ai vu sur le chemin s'élever la poussière !
Ô vierges ! regardez ! ne le voyez-vous pas
Descendre la colline et me tendre les bras ?...
Mais non ! tout est muet dans la nature entière,
Un silence de mort règne au **** sur la terre :
Le chemin est désert !... je n'entends que les flots...
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Mais déjà s'élançant vers les cieux qu'il colore
Le soleil de son char précipite le cours.
Toi qui viens commencer le dernier de mes jours,
Adieu dernier soleil ! adieu suprême aurore !
Demain du sein des flots vous jaillirez encore,
Et moi je meurs ! et moi je m'éteins pour toujours !
Adieu champs paternels ! adieu douce contrée !
Adieu chère ****** à Vénus consacrée !
Rivage où j'ai reçu la lumière des cieux !
Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance
D'une tremblante main me consacrant aux dieux,
Au culte de Vénus dévoua mon enfance !
Et toi, forêt sacrée, où les filles du Ciel,
Entourant mon berceau, m'ont nourri de leur miel,
Adieu ! Leurs vains présents que le vulgaire envie,
Ni des traits de l'Amour, ni des coups du destin,
Misérable Sapho ! n'ont pu sauver ta vie !
Tu vécus dans les Pleurs, et tu meurs au matin !
Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée !
Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel.
Une jeune victime à ton temple amenée,
Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée,
Vient tomber avant l'âge au pied de ton autel !

Et vous qui reverrez le cruel que j'adore
Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux,
Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux !
Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore !

Elle dit, et le soir, quittant le bord des flots,
Vous revîntes sans elle, ô vierges de ****** !
I.

Ô vous, mes vieux amis, si jeunes autrefois,
Qui comme moi des jours avez porté le poids,
Qui de plus d'un regret frappez la tombe sourde,
Et qui marchez courbés, car la sagesse est lourde ;
Mes amis ! qui de vous, qui de nous n'a souvent,
Quand le deuil à l'œil sec, au visage rêvant,
Cet ami sérieux qui blesse et qu'on révère,
Avait sur notre front posé sa main sévère,
Qui de nous n'a cherché le calme dans un chant !
Qui n'a, comme une sœur qui guérit en touchant,
Laissé la mélodie entrer dans sa pensée !
Et, sans heurter des morts la mémoire bercée,
N'a retrouvé le rire et les pleurs à la fois
Parmi les instruments, les flûtes et les voix !

Qui de nous, quand sur lui quelque douleur s'écoule,
Ne s'est glissé, vibrant au souffle de la foule,
Dans le théâtre empli de confuses rumeurs !
Comme un soupir parfois se perd dans des clameurs,
Qui n'a jeté son âme, à ces âmes mêlée,
Dans l'orchestre où frissonne une musique ailée,
Où la marche guerrière expire en chant d'amour,
Où la basse en pleurant apaise le tambour !

II.

Écoutez ! écoutez ! du maître qui palpite,
Sur tous les violons l'archet se précipite.
L'orchestre tressaillant rit dans son antre noir.
Tout parle. C'est ainsi qu'on entend sans les voir,
Le soir, quand la campagne élève un sourd murmure,
Rire les vendangeurs dans une vigne mûre.
Comme sur la colonne un frêle chapiteau,
La flûte épanouie a monté sur l'alto.
Les gammes, chastes sœurs dans la vapeur cachées,
Vident et remplissent leurs amphores penchées,
Se tiennent par la main et chantent tour à tour.
Tandis qu'un vent léger fait flotter alentour,
Comme un voile folâtre autour d'un divin groupe,
Ces dentelles du son que le fifre découpe.
Ciel ! voilà le clairon qui sonne. À cette voix,
Tout s'éveille en sursaut, tout bondit à la fois.

La caisse aux mille échos, battant ses flancs énormes,
Fait hurler le troupeau des instruments difformes,
Et l'air s'emplit d'accords furieux et sifflants
Que les serpents de cuivre ont tordus dans leurs flancs.
Vaste tumulte où passe un hautbois qui soupire !
Soudain du haut en bas le rideau se déchire ;
Plus sombre et plus vivante à l'œil qu'une forêt,
Toute la symphonie en un hymne apparaît.
Puis, comme en un chaos qui reprendrait un monde,
Tout se perd dans les plis d'une brume profonde.
Chaque forme du chant passe en disant : Assez !
Les sons étincelants s'éteignent dispersés.
Une nuit qui répand ses vapeurs agrandies
Efface le contour des vagues mélodies,
Telles que des esquifs dont l'eau couvre les mâts ;
Et la strette, jetant sur leur confus amas
Ses tremblantes lueurs largement étalées,
Retombe dans cette ombre en grappes étoilées !

Ô concert qui s'envole en flamme à tous les vents !
Gouffre où le crescendo gonfle ses flots mouvants !
Comme l'âme s'émeut ! comme les cœurs écoutent !
Et comme cet archet d'où les notes dégouttent,
Tantôt dans le lumière et tantôt dans la nuit,
Remue avec fierté cet orage de bruit !

III.

Puissant Palestrina, vieux maître, vieux génie,
Je vous salue ici, père de l'harmonie,
Car, ainsi qu'un grand fleuve où boivent les humains,
Toute cette musique a coulé dans vos mains !
Car Gluck et Beethoven, rameaux sous qui l'on rêve,
Sont nés de votre souche et faits de votre sève !
Car Mozart, votre fils, a pris sur vos autels
Cette nouvelle lyre inconnue aux mortels,
Plus tremblante que l'herbe au souffle des aurores,
Née au seizième siècle entre vos doigts sonores !
Car, maître, c'est à vous que tous nos soupirs vont,
Sitôt qu'une voix chante et qu'une âme répond !

Oh ! ce maître, pareil au créateur qui fonde,
Comment dit-il jaillir de sa tête profonde
Cet univers de sons, doux et sombre à la fois,
Écho du Dieu caché dont le monde est la voix ?
Où ce jeune homme, enfant de la blonde Italie,
Prit-il cette âme immense et jusqu'aux bords remplie ?
Quel souffle, quel travail, quelle intuition,
Fit de lui ce géant, dieu de l'émotion,
Vers qui se tourne l'œil qui pleure et qui s'essuie,
Sur qui tout un côté du cœur humain s'appuie ?
D'où lui vient cette voix qu'on écoute à genoux ?
Et qui donc verse en lui ce qu'il reverse en nous ?

IV.

Ô mystère profond des enfances sublimes !
Qui fait naître la fleur au penchant des abîmes,
Et le poète au bord des sombres passions ?
Quel dieu lui trouble l'œil d'étranges visions ?
Quel dieu lui montre l'astre au milieu des ténèbres,
Et, comme sous un crêpe aux plis noirs et funèbres
On voit d'une beauté le sourire enivrant,
L'idéal à travers le réel transparent ?
Qui donc prend par la main un enfant dès l'aurore
Pour lui dire : - " En ton âme il n'est pas jour encore.
Enfant de l'homme ! avant que de son feu vainqueur
Le midi de la vie ait desséché ton cœur,
Viens, je vais t'entrouvrir des profondeurs sans nombre !
Viens, je vais de clarté remplir tes yeux pleins d'ombre !
Viens, écoute avec moi ce qu'on explique ailleurs,
Le bégaiement confus des sphères et des fleurs ;
Car, enfant, astre au ciel ou rose dans la haie,
Toute chose innocente ainsi que toi bégaie !
Tu seras le poète, un homme qui voit Dieu !
Ne crains pas la science, âpre sentier de feu,
Route austère, il est vrai, mais des grands cœurs choisies,
Que la religion et que la poésie
Bordent des deux côtés de leur buisson fleuri.
Quand tu peux en chemin, ô bel enfant chéri,
Cueillir l'épine blanche et les clochettes bleues,
Ton petit pas se joue avec les grandes lieues.
Ne crains donc pas l'ennui ni la fatigue. - Viens !
Écoute la nature aux vagues entretiens.
Entends sous chaque objet sourdre la parabole.
Sous l'être universel vois l'éternel symbole,
Et l'homme et le destin, et l'arbre et la forêt,
Les noirs tombeaux, sillons où germe le regret ;
Et, comme à nos douleurs des branches attachées,
Les consolations sur notre front penchées,
Et, pareil à l'esprit du juste radieux,
Le soleil, cette gloire épanouie aux cieux !

V.

Dieu ! que Palestrina, dans l'homme et dans les choses,
Dut entendre de voix joyeuse et moroses !
Comme on sent qu'à cet âge où notre cœur sourit,
Où lui déjà pensait, il a dans son esprit
Emporté, comme un fleuve à l'onde fugitive,
Tout ce que lui jetait la nuée ou la rive !
Comme il s'est promené, tout enfant, tout pensif,
Dans les champs, et, dès l'aube, au fond du bois massif,
Et près du précipice, épouvante des mères !
Tour à tour noyé d'ombre, ébloui de chimères,
Comme il ouvrait son âme alors que le printemps
Trempe la berge en fleur dans l'eau des clairs étangs,
Que le lierre remonte aux branches favorites,
Que l'herbe aux boutons d'or mêle les marguerites !

A cette heure indécise où le jour va mourir,
Où tout s'endort, le cœur oubliant de souffrir,
Les oiseaux de chanter et les troupeaux de paître,
Que de fois sous ses yeux un chariot champêtre,
Groupe vivant de bruit, de chevaux et de voix,
A gravi sur le flanc du coteau dans les bois
Quelque route creusée entre les ocres jaunes,
Tandis que, près d'une eau qui fuyait sous les aulnes,
Il écoutait gémir dans les brumes du soir
Une cloche enrouée au fond d'un vallon noir !

Que de fois, épiant la rumeur des chaumières,
Le brin d'herbe moqueur qui siffle entre deux pierres,
Le cri plaintif du soc gémissant et traîné,
Le nid qui jase au fond du cloître ruiné
D'où l'ombre se répand sur les tombes des moines,
Le champ doré par l'aube où causent les avoines
Qui pour nous voir passer, ainsi qu'un peuple heureux,
Se penchent en tumulte au bord du chemin creux,
L'abeille qui gaiement chante et parle à la rose,
Parmi tous ces objets dont l'être se compose,
Que de fois il rêva, scrutateur ténébreux,
Cherchant à s'expliquer ce qu'ils disaient entre eux !

Et chaque soir, après ses longues promenades,
Laissant sous les balcons rire les sérénades,
Quand il s'en revenait content, grave et muet,
Quelque chose de plus dans son cœur remuait.
Mouche, il avait son miel ; arbuste, sa rosée.
Il en vint par degrés à ce qu'en sa pensée
Tout vécut. - Saint travail que les poètes font ! -
Dans sa tête, pareille à l'univers profond,
L'air courait, les oiseaux chantaient, la flamme et l'onde
Se courbaient, la moisson dorait la terre blonde,
Et les toits et les monts et l'ombre qui descend
Se mêlaient, et le soir venait, sombre et chassant
La brute vers son antre et l'homme vers son gîte,
Et les hautes forêts, qu'un vent du ciel agite,
Joyeuses de renaître au départ des hivers,
Secouaient follement leurs grands panaches verts !

C'est ainsi qu'esprit, forme, ombre, lumière et flamme,
L'urne du monde entier s'épancha dans son âme !

VI.

Ni peintre, ni sculpteur ! Il fut musicien.
Il vint, nouvel Orphée, après l'Orphée ancien ;
Et, comme l'océan n'apporte que sa vague,
Il n'apporta que l'art du mystère et du vague !
La lyre qui tout bas pleure en chantant bien haut !
Qui verse à tous un son où chacun trouve un mot !
Le luth où se traduit, plus ineffable encore,
Le rêve inexprimé qui s'efface à l'aurore !
Car il ne voyait rien par l'angle étincelant,
Car son esprit, du monde immense et fourmillant
Qui pour ses yeux nageait dans l'ombre indéfinie,
Éteignait la couleur et tirait l'harmonie !
Ainsi toujours son hymne, en descendant des cieux,
Pénètre dans l'esprit par le côté pieux,
Comme un rayon des nuits par un vitrail d'église !
En écoutant ses chants que l'âme idéalise,
Il semble, à ces accords qui, jusqu'au cœur touchant,
Font sourire le juste et songer le méchant,
Qu'on respire un parfum d'encensoirs et de cierges,
Et l'on croit voir passer un de ces anges-vierges
Comme en rêvait Giotto, comme Dante en voyait,
Êtres sereins posés sur ce monde inquiet,
À la prunelle bleue, à la robe d'opale,
Qui, tandis qu'au milieu d'un azur déjà pâle
Le point d'or d'une étoile éclate à l'orient,
Dans un beau champ de trèfle errent en souriant !

VII.

Heureux ceux qui vivaient dans ce siècle sublime
Où, du génie humain dorant encor la cime,
Le vieux soleil gothique à l'horizon mourait !
Où déjà, dans la nuit emportant son secret,
La cathédrale morte en un sol infidèle
Ne faisait plus jaillir d'églises autour d'elle !
Être immense obstruée encore à tous degrés,
Ainsi qu'une Babel aux abords encombrés,
De donjons, de beffrois, de flèches élancées,
D'édifices construits pour toutes les pensées ;
De génie et de pierre énorme entassement ;
Vaste amas d'où le jour s'en allait lentement !
Siècle mystérieux où la science sombre
De l'antique Dédale agonisait dans l'ombre,
Tandis qu'à l'autre bout de l'horizon confus,
Entre Tasse et Luther, ces deux chênes touffus,
Sereine, et blanchissant de sa lumière pure
Ton dôme merveilleux, ô sainte Architecture,
Dans ce ciel, qu'Albert Düre admirait à l'écart,
La Musique montait, cette lune de l'art !

Le 29 mai 1837.
Le prêtre portera l'étole blanche et noire
Lorsque les saints flambeaux pour vous s'allumeront.
Et de leurs longs cheveux voilant leurs fronts d'ivoire
Les jeunes filles pleureront.
A. Guiraud.

I.

Pourquoi m'apportez-vous ma lyre,
Spectres légers ? - que voulez-vous ?
Fantastiques beautés, ce lugubre sourire
M'annonce-t-il votre courroux ?
Sur vos écharpes éclatantes
Pourquoi flotte à longs plis ce crêpe menaçant ?
Pourquoi sur des festons ces chaînes insultantes,
Et ces roses, teintes de sang ?

Retirez-vous : rentrez dans les sombres abîmes...
Ah ! que me montrez-vous ?... quels sont ces trois tombeaux ?
Quel est ce char affreux, surchargé de victimes ?
Quels sont ces meurtriers, couverts d'impurs lambeaux ?
J'entends des chants de mort, j'entends des cris de fête.
Cachez-moi le char qui s'arrête !...
Un fer lentement tombe à mes regards troublés ; -
J'ai vu couler du sang... Est-il bien vrai, parlez,
Qu'il ait rejailli sur ma tête ?

Venez-vous dans mon âme éveiller le remord ?
Ce sang... je n'en suis point coupable !
Fuyez, vierges ; fuyez, famille déplorable :
Lorsque vous n'étiez plus, je n'étais pas encor.
Qu'exigez-vous de moi ? J'ai pleuré vos misères ;
Dois-je donc expier les crimes de mes pères ?
Pourquoi troublez-vous mon repos ?
Pourquoi m'apportez-vous ma lyre frémissante ?
Et des remords à vos bourreaux ?

II.

Sous les murs entourés de cohortes sanglantes,
Siège le sombre tribunal.
L'accusateur se lève, et ses lèvres tremblante
S'agitent d'un rire infernal.
C'est Tainville : on le voit, au nom de la patrie,
Convier aux forfaits cette horde flétrie
D'assassins, juges à leur tour ;
Le besoin du sang le tourmente ;
Et sa voix homicide à la hache fumante
Désigne les têtes du jour.

Il parle : ses licteurs vers l'enceinte fatale
Traînent les malheureux que sa fureur signale ;
Les portes devant eux s'ouvrent avec fracas ;
Et trois vierges, de grâce et de pudeur parées,
De leurs compagnes entourées,
Paraissent parmi les soldats.
Le peuple, qui se tait, frémit de son silence ;
Il plaint son esclavage en plaignant leurs malheurs,
Et repose sur l'innocence
Ses regards las du crime et troublés par ses pleurs.

Eh quoi ! quand ces beautés, lâchement accusées,
Vers ces juges de mort s'avançaient dans les fers,
Ces murs n'ont pas, croulant sous leurs voûtes brisées,
Rendu les monstres aux enfers !
Que faisaient nos guerriers ?... Leur vaillance trompée
Prêtait au vil couteau le secours de l'épée ;
Ils sauvaient ces bourreaux qui souillaient leurs combats.
Hélas ! un même jour, jour d'opprobre et de gloire,
Voyait Moreau monter au char de la victoire.
Et son père au char du trépas !

Quand nos chefs, entourés des armes étrangères,
Couvrant nos cyprès de lauriers,
Vers Paris lentement reportaient leurs bannières,
Frédéric sur Verdun dirigeait ses guerriers.
Verdun, premier rempart de la France opprimée,
D'un roi libérateur crut saluer l'armée.
En vain tonnaient d'horribles lois ;
Verdun se revêtit de sa robe de fête,
Et, libre de ses fers, vint offrir sa conquête
Au monarque vengeur des rois.

Alors, vierges, vos mains (ce fut là votre crime !)
Des festons de la joie ornèrent les vainqueurs.
Ah ! pareilles à la victime,
La hache à vos regards se cachait sous des fleurs.
Ce n'est pas tout ; hélas ! sans chercher la vengeance,
Quand nos bannis, bravant la mort et l'indigence,
Combattaient nos tyrans encor mal affermis,
Vos nobles cœurs ont plaint de si nobles misères ;
Votre or a secouru ceux qui furent nos frères
Et n'étaient pas nos ennemis.

Quoi ! ce trait glorieux, qui trahit leur belle âme,
Sera donc l'arrêt de leur mort !
Mais non, l'accusateur, que leur aspect enflamme,
Tressaille d'un honteux transport.
Il veut, vierges, au prix d'un affreux sacrifice,
En taisant vos bienfaits, vous ravir au supplice ;
Il croit vos chastes cœurs par la crainte abattus.
Du mépris qui le couvre acceptez le partage,
Souillez-vous d'un forfait, l'infâme aréopage
Vous absoudra de vos vertus.

Répondez-moi, vierges timides ;
Qui, d'un si noble orgueil arma ces yeux si doux ?
Dites, qui fit rouler dans vos regards humides
Les pleurs généreux du courroux ?
Je le vois à votre courage :
Quand l'oppresseur qui vous outrage
N'eût pas offert la honte en offrant son bienfait,
Coupables de pitié pour des français fidèles,
Vous n'auriez pas voulu, devant des lois cruelles,
Nier un si noble forfait !

C'en est donc fait ; déjà sous la lugubre enceinte
A retenti l'arrêt dicté par la fureur.
Dans un muet murmure, étouffé par la crainte,
Le peuple, qui l'écoute, exhale son horreur.
Regagnez des cachots les sinistres demeures,
O vierges ! encor quelques heures...
Ah ! priez sans effroi, votre âme est sans remord.
Coupez ces longues chevelures,
Où la main d'une mère enlaçait des fleurs pures,
Sans voir qu'elle y mêlait les pavots de la mort !

Bientôt ces fleurs encor pareront votre tête ;
Les anges vous rendront ces symboles touchants ;
Votre hymne de trépas sera l'hymne de fête
Que les vierges du ciel rediront dans leurs chants.
Vous verrez près de vous, dans ces chœurs d'innocence,
Charlotte, autre Judith, qui vous vengea d'avance ;
Cazotte ; Elisabeth, si malheureuse en vain ;
Et Sombreuil, qui trahit par ses pâleurs soudaines
Le sang glacé des morts circulant dans ses veines ;
Martyres, dont l'encens plaît au Martyr divin !

III.

Ici, devant mes yeux erraient des lueurs sombres ;
Des visions troublaient mes sens épouvantés ;
Les spectres sur mon front balançaient dans les ombres
De longs linceuls ensanglantés.
Les trois tombeaux, le char, les échafauds funèbres,
M'apparurent dans les ténèbres ;
Tout rentra dans la nuit des siècles révolus ;
Les vierges avaient fui vers la naissante aurore ;
Je me retrouvai seul, et je pleurais encor
Quand ma lyre ne chantait plus !

Octobre 1818.
Vous avez pris pitié de sa longue douleur !
Vous me rendez le jour, Dieu que l'amour implore !
Déjà mon front couvert d'une molle pâleur,
Des teintes de la vie à ses yeux se colore ;
Déjà dans tout mon être une douce chaleur
Circule avec mon sang, remonte dans mon coeur
Je renais pour aimer encore !

Mais la nature aussi se réveille en ce jour !
Au doux soleil de mai nous la voyons renaître ;
Les oiseaux de Vénus autour de ma fenêtre
Du plus chéri des mois proclament le retour !
Guidez mes premiers pas dans nos vertes campagnes !
Conduis-moi, chère Elvire, et soutiens ton amant :
Je veux voir le soleil s'élever lentement,
Précipiter son char du haut de nos montagnes,
Jusqu'à l'heure où dans l'onde il ira s'engloutir,
Et cédera les airs au nocturne zéphyr !
Viens ! que crains-tu pour moi ? Le ciel est sans nuage !
Ce plus beau de nos jours passera sans orage ;
Et c'est l'heure où déjà sur les gazons en fleurs
Dorment près des troupeaux les paisibles pasteurs !

Dieu ! que les airs sont doux ! que la lumière est pure !
Tu règnes en vainqueur sur toute la nature,
Ô soleil ! et des cieux, où ton char est porté,
Tu lui verses la vie et la fécondité !
Le jour où, séparant la nuit de la lumière,
L'éternel te lança dans ta vaste carrière,
L'univers tout entier te reconnut pour roi !
Et l'homme, en t'adorant, s'inclina devant toi !
De ce jour, poursuivant ta carrière enflammée,
Tu décris sans repos ta route accoutumée ;
L'éclat de tes rayons ne s'est point affaibli,
Et sous la main des temps ton front n'a point pâli !

Quand la voix du matin vient réveiller l'aurore,
L'Indien, prosterné, te bénit et t'adore !
Et moi, quand le midi de ses feux bienfaisants
Ranime par degrés mes membres languissants,
Il me semble qu'un Dieu, dans tes rayons de flamme,
En échauffant mon sein, pénètre dans mon âme !
Et je sens de ses fers mon esprit détaché,
Comme si du Très-Haut le bras m'avait touché !
Mais ton sublime auteur défend-il de le croire ?
N'es-tu point, ô soleil ! un rayon de sa gloire ?
Quand tu vas mesurant l'immensité des cieux,
Ô soleil ! n'es-tu point un regard de ses yeux ?

Ah ! si j'ai quelquefois, aux jours de l'infortune,
Blasphémé du soleil la lumière importune ;
Si j'ai maudit les dons que j'ai reçus de toi,
Dieu, qui lis dans les coeurs, ô Dieu ! pardonne-moi !
Je n'avais pas goûté la volupté suprême
De revoir la nature auprès de ce que j'aime,
De sentir dans mon coeur, aux rayons d'un beau jour,
Redescendre à la fois et la vie et l'amour !
Insensé ! j'ignorais tout le prix de la vie !
Mais ce jour me l'apprend, et je te glorifie !
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,
Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.

Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;
De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
L'amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l'air d'un moribond caressant son tombeau.

Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?

De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,
Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L'univers moins hideux et les instants moins lourds ?
Nuit, des amours ministre et sergente fidèle
Des arrêts de Venus, et des saintes lois d'elle,
Qui secrète accompagne
L'impatient ami de l'heure accoutumée,
Ô l'aimée des Dieux, mais plus encore aimée
Des étoiles compagnes,

Nature de tes dons adore l'excellence,
Tu caches les plaisirs dessous muet silence
Que l'amour jouissante
Donne, quand ton obscur étroitement assemble
Les amants embrassés, et qu'ils tombent ensemble
Sous l'ardeur languissante.

Lorsque l'amie main court par la cuisse, et ores
Par les tétins, auxquels ne se compare encore
Nul ivoire qu'on voie,
Et la langue en errant sur la joue, et la face,
Plus d'odeurs, et de fleurs, là naissantes, amasse
Que I'Orient n'envoie.

C'est toi qui les soucis, et les gênes mordantes,
Et tout le soin enclos en nos âmes ardentes
Par ton présent arraches.
C'est toi qui rends la vie aux vergers qui languissent,
Aux jardins la rosée, et aux cieux qui noircissent
Les idoles attaches.

Mais, si te plaît déesse une fin à ma peine,
Et donte sous mes bras celle qui est tant pleine  
De menaces cruelles.  
Afin que de ses yeux (yeux qui captifs me tiennent)  
Les trop ardents flambeaux plus brûler ne me viennent  
Le fond de mes mouelles.
I

Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange
Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange,
Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi.

Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi,
Ce livre qui contient le spectre de ma vie,
Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie,
L'ombre et son ouragan, la rose et son pistil,
Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ?
D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ?
Depuis quatre ans, j'habite un tourbillon d'écume ;
Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais ;
Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit. Je vais.
Et, quand j'eus terminé ces pages, quand ce livre
Se mit à palpiter, à respirer, à vivre,
Une église des champs, que le lierre verdit,
Dont la tour sonne l'heure à mon néant, m'a dit :
Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte.
- Je le réclame, a dit la forêt inquiète ;
Et le doux pré fleuri m'a dit : - Donne-le-moi.
La mer, en le voyant frémir, m'a dit : - Pourquoi
Ne pas me le jeter, puisque c'est une voile !
- C'est à moi qu'appartient cet hymne, a dit l'étoile.
- Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents.
Et les oiseaux m'ont dit : - Vas-tu pas aux vivants
Offrir ce livre, éclos si **** de leurs querelles ?
Laisse-nous l'emporter dans nos nids sur nos ailes ! -
Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds !
Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,
Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ;
Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ;
Ni l'église où le temps fait tourner son compas ;
Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas,
L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe,
Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe.

II

Autrefois, quand septembre en larmes revenait,
Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,
Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne !
J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne,
Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,
Sachant bien que j'irais où je devais aller ;
Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre !
Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre,
Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,
J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais.
Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines !
Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines,
Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir
Avec l'avidité morne du désespoir ;
Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ;
Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,
L'oeil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ;
Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient !
Les ronces écartaient leurs branches desséchées ;
Je marchais à travers les humbles croix penchées,
Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ;
Et je m'agenouillais au milieu des rameaux
Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure.
Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure
Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ?

Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets,
Et disaient : Qu'est-ce donc que cet homme qui songe ?
Et le jour, et le soir, et l'ombre qui s'allonge,
Et Vénus, qui pour moi jadis étincela,
Tout avait disparu que j'étais encor là.
J'étais là, suppliant celui qui nous exauce ;
J'adorais, je laissais tomber sur cette fosse,
Hélas ! où j'avais vu s'évanouir mes cieux,
Tout mon coeur goutte à goutte en pleurs silencieux ;
J'effeuillais de la sauge et de la clématite ;
Je me la rappelais quand elle était petite,
Quand elle m'apportait des lys et des jasmins,
Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains,
Gaie, et riant d'avoir de l'encre à ses doigts roses ;
Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses,
Je fixais mon regard sur ces froids gazons verts,
Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers
La pierre du tombeau, comme une lueur d'âme !

Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame
Tintait dans le ciel triste et dans mon coeur saignant,
Rien ne me retenait, et j'allais ; maintenant,
Hélas !... - Ô fleuve ! ô bois ! vallons dont je fus l'hôte,
Elle sait, n'est-ce pas ? que ce n'est pas ma faute
Si, depuis ces quatre ans, pauvre coeur sans flambeau,
Je ne suis pas allé prier sur son tombeau !

III

Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre
Que je contemplais, pâle, adossé contre un arbre,
Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher,
La nuit, que je voyais lentement approcher,
Ces ifs, ce crépuscule avec ce cimetière,
Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre,
Ô mon Dieu, tout cela, c'était donc du bonheur !

Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur,
Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ?
A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ?
As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ?
Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ?
T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre
De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître
Un passant, à travers le noir cercueil mal joint,
Attentive, écoutant si tu n'entendais point
Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ?
Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre,
En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas !
Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ?

Que de fois j'ai choisi, tout mouillés de rosée,
Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensée !
Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur !
Que de fois j'ai, là-bas, cherché la tour d'Harfleur,
Murmurant : C'est demain que je pars ! et, stupide,
Je calculais le vent et la voile rapide,
Puis ma main s'ouvrait triste, et je disais : Tout fuit !
Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit !
Oh ! que de fois, sentant qu'elle devait m'attendre,
J'ai pris ce que j'avais dans le coeur de plus tendre
Pour en charger quelqu'un qui passerait par là !

Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l'appela ;
Quand je lui parle, hélas ! pourquoi les ferme-t-elle ?
Où serait donc le mal quand de l'ombre mortelle
L'amour violerait deux fois le noir secret,
Et quand, ce qu'un dieu fit, un père le ferait ?

IV

Que ce livre, du moins, obscur message, arrive,
Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive !
Qu'il y tombe, sanglot, soupir, larme d'amour !
Qu'il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour
Le baiser, la jeunesse, et l'aube, et la rosée,
Et le rire adoré de la fraîche épousée,
Et la joie, et mon coeur, qui n'est pas ressorti !
Qu'il soit le cri d'espoir qui n'a jamais menti,
Le chant du deuil, la voix du pâle adieu qui pleure,
Le rêve dont on sent l'aile qui nous effleure !
Qu'elle dise : Quelqu'un est là ; j'entends du bruit !
Qu'il soit comme le pas de mon âme en sa nuit !

Ce livre, légion tournoyante et sans nombre
D'oiseaux blancs dans l'aurore et d'oiseaux noirs dans l'ombre,
Ce vol de souvenirs fuyant à l'horizon,
Cet essaim que je lâche au seuil de ma prison,
Je vous le confie, air, souffles, nuée, espace !
Que ce fauve océan qui me parle à voix basse,
Lui soit clément, l'épargne et le laisse passer !
Et que le vent ait soin de n'en rien disperser,
Et jusqu'au froid caveau fidèlement apporte
Ce don mystérieux de l'absent à la morte !

Ô Dieu ! puisqu'en effet, dans ces sombres feuillets,
Dans ces strophes qu'au fond de vos cieux je cueillais,
Dans ces chants murmurés comme un épithalame
Pendant que vous tourniez les pages de mon âme,
Puisque j'ai, dans ce livre, enregistré mes jours,
Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problèmes sourds,
Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure ;
Puisque vous ne voulez pas encor que je meure,
Et qu'il faut bien pourtant que j'aille lui parler ;
Puisque je sens le vent de l'infini souffler
Sur ce livre qu'emplit l'orage et le mystère ;
Puisque j'ai versé là toutes vos ombres, terre,
Humanité, douleur, dont je suis le passant ;
Puisque de mon esprit, de mon coeur, de mon sang,
J'ai fait l'âcre parfum de ces versets funèbres,
Va-t'en, livre, à l'azur, à travers les ténèbres !
Fuis vers la brume où tout à pas lents est conduit !
Oui, qu'il vole à la fosse, à la tombe, à la nuit,
Comme une feuille d'arbre ou comme une âme d'homme !
Qu'il roule au gouffre où va tout ce que la voix nomme !
Qu'il tombe au plus profond du sépulcre hagard,
A côté d'elle, ô mort ! et que là, le regard,
Près de l'ange qui dort, lumineux et sublime,
Le voie épanoui, sombre fleur de l'abîme !

V

Ô doux commencements d'azur qui me trompiez,
Ô bonheurs ! je vous ai durement expiés !
J'ai le droit aujourd'hui d'être, quand la nuit tombe,
Un de ceux qui se font écouter de la tombe,
Et qui font, en parlant aux morts blêmes et seuls,
Remuer lentement les plis noirs des linceuls,
Et dont la parole, âpre ou tendre, émeut les pierres,
Les grains dans les sillons, les ombres dans les bières,
La vague et la nuée, et devient une voix
De la nature, ainsi que la rumeur des bois.
Car voilà, n'est-ce pas, tombeaux ? bien des années,
Que je marche au milieu des croix infortunées,
Échevelé parmi les ifs et les cyprès,
L'âme au bord de la nuit, et m'approchant tout près,
Et que je vais, courbé sur le cercueil austère,
Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre
Qui pour moi sort des yeux de la tête de mort,
Le squelette qui rit, le squelette qui mord,
Les mains aux doigts noueux, les crânes, les poussières,
Et les os des genoux qui savent des prières !

Hélas ! j'ai fouillé tout. J'ai voulu voir le fond.
Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond,
J'ai voulu le savoir. J'ai dit : Que faut-il croire ?
J'ai creusé la lumière, et l'aurore, et la gloire,
L'enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur,
Et l'amour, et la vie, et l'âme, - fossoyeur.

Qu'ai-je appris ? J'ai, pensif , tout saisi sans rien prendre ;
J'ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre.
Qui sommes-nous ? que veut dire ce mot : Toujours ?
J'ai tout enseveli, songes, espoirs, amours,
Dans la fosse que j'ai creusée en ma poitrine.
Qui donc a la science ? où donc est la doctrine ?
Oh ! que ne suis-je encor le rêveur d'autrefois,
Qui s'égarait dans l'herbe, et les prés, et les bois,
Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille,
Tenant la main petite et blanche de sa fille,
Et qui, joyeux, laissant luire le firmament,
Laissant l'enfant parler, se sentait lentement
Emplir de cet azur et de cette innocence !

Entre Dieu qui flamboie et l'ange qui l'encense,
J'ai vécu, j'ai lutté, sans crainte, sans remord.
Puis ma porte soudain s'ouvrit devant la mort,
Cette visite brusque et terrible de l'ombre.
Tu passes en laissant le vide et le décombre,
Ô spectre ! tu saisis mon ange et tu frappas.
Un tombeau fut dès lors le but de tous mes pas.

VI

Je ne puis plus reprendre aujourd'hui dans la plaine
Mon sentier d'autrefois qui descend vers la Seine ;
Je ne puis plus aller où j'allais ; je ne puis,
Pareil à la laveuse assise au bord du puits,
Que m'accouder au mur de l'éternel abîme ;
Paris m'est éclipsé par l'énorme Solime ;
La hauteNotre-Dame à présent, qui me luit,
C'est l'ombre ayant deux tours, le silence et la nuit,
Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles ;
Et je vois sur mon front un panthéon d'étoiles ;
Si j'appelle Rouen, Villequier, Caudebec,
Toute l'ombre me crie : Horeb, Cédron, Balbeck !
Et, si je pars, m'arrête à la première lieue,
Et me dit: Tourne-toi vers l'immensité bleue !
Et me dit : Les chemins où tu marchais sont clos.
Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots !
A quoi penses-tu donc ? que fais-tu, solitaire ?
Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre ?
Où vas-tu de la sorte et machinalement ?
Ô songeur ! penche-toi sur l'être et l'élément !
Écoute la rumeur des âmes dans les ondes !
Contemple, s'il te faut de la cendre, les mondes ;
Cherche au moins la poussière immense, si tu veux
Mêler de la poussière à tes sombres cheveux,
Et regarde, en dehors de ton propre martyre,
Le grand néant, si c'est le néant qui t'attire !
Sois tout à ces soleils où tu remonteras !
Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras,
Ô proscrit de l'azur, vers les astres patries !
Revois-y refleurir tes aurores flétries ;
Deviens le grand oeil fixe ouvert sur le grand tout.
Penche-toi sur l'énigme où l'être se dissout,
Sur tout ce qui naît, vit, marche, s'éteint, succombe,
Sur tout le genre humain et sur toute la tombe !

Mais mon coeur toujours saigne et du même côté.
C'est en vain que les cieux, les nuits, l'éternité,
Veulent distraire une âme et calmer un atome.
Tout l'éblouissement des lumières du dôme
M'ôte-t-il une larme ? Ah ! l'étendue a beau
Me parler, me montrer l'universel tombeau,
Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie ;
J'écoute, et je reviens à la douce endormie.

VII

Des fleurs ! oh ! si j'avais des fleurs ! si je pouvais
Aller semer des lys sur ces deux froids chevets !
Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle !
Les fleurs sont l'or, l'azur, l'émeraude, l'opale !
Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher ;
Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher
Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes !
Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes,
Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir,
Puisqu'il nous fait lâcher ce qu'on croyait tenir,
Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde,
Sur la première porte en scelle une seconde,
Et, sur le père triste et sur l'enfant qui dort,
Ferme l'exil après avoir fermé la mort,
Puisqu'il est impossible à présent que je jette
Même un brin de bruyère à sa fosse muette,
C'est bien le moins qu'elle ait mon âme, n'est-ce pas ?
Ô vent noir dont j'entends sur mon plafond le pas !
Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle !
Mers, nuits ! et je l'ai mise en ce livre pour elle !

Prends ce livre ; et dis-toi : Ceci vient du vivant
Que nous avons laissé derrière nous, rêvant.
Prends. Et, quoique de ****, reconnais ma voix, âme !
Oh ! ta cendre est le lit de mon reste de flamme ;
Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi ;
Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi.
Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume !
Qu'entre tes vagues mains il devienne fantôme !
Qu'il blanchisse, pareil à l'aube qui pâlit,
A mesure que l'oeil de mon ange le lit,
Et qu'il s'évanouisse, et flotte, et disparaisse,
Ainsi qu'un âtre obscur qu'un souffle errant caresse,
Ainsi qu'une lueur qu'on voit passer le soir,
Ainsi qu'un tourbillon de feu de l'encensoir,
Et que, sous ton regard éblouissant et sombre,
Chaque page s'en aille en étoiles dans l'ombre !

VIII

Oh ! quoi que nous fassions et quoi que nous disions,
Soit que notre âme plane au vent des visions,
Soit qu'elle se cramponne à l'argile natale,
Toujours nous arrivons à ta grotte fatale,
Gethsémani ! qu'éclaire une vague lueur !
Ô rocher de l'étrange et funèbre sueur !
Cave où l'esprit combat le destin ! ouverture
Sur les profonds effrois de la sombre nature !
Antre d'où le lion sort rêveur, en voyant
Quelqu'un de plus sinistre et de plus effrayant,
La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée !
Ô chute ! asile ! ô seuil de la trouble vallée
D'où nous apercevons nos ans fuyants et courts,
Nos propres pas marqués dans la fange des jours,
L'échelle où le mal pèse et monte, spectre louche,
L'âpre frémissement de la palme farouche,
Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés,
Et les frissons aux fronts des anges effarés !

Toujours nous arrivons à cette solitude,
Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude !

Paix à l'ombre ! Dormez ! dormez ! dormez ! dormez !
Êtres, groupes confus lentement transformés !
Dormez, les champs ! dormez, les fleurs ! dormez, les tombes !
Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes,
Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids,
Dormez ! dormez, brins d'herbe, et dormez, infinis !
Calmez-vous, forêt, chêne, érable, frêne, yeuse !
Silence sur la grande horreur religieuse,
Sur l'océan qui lutte et qui ronge son mors,
Et sur l'apaisement insondable des morts !
Paix à l'obscurité muette et redoutée,
Paix au doute effrayant, à l'immense ombre athée,
A toi, nature, cercle et centre, âme et milieu,
Fourmillement de tout, solitude de Dieu !
Ô générations aux brumeuses haleines,
Reposez-vous ! pas noirs qui marchez dans les plaines !
Dormez, vous qui saignez ; dormez, vous qui pleurez !
Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés !
Tout est religio
Lorsque le grand Byron allait quitter Ravenne,
Et chercher sur les mers quelque plage lointaine
Où finir en héros son immortel ennui,
Comme il était assis aux pieds de sa maîtresse,
Pâle, et déjà tourné du côté de la Grèce,
Celle qu'il appelait alors sa Guiccioli
Ouvrit un soir un livre où l'on parlait de lui.

Avez-vous de ce temps conservé la mémoire,
Lamartine, et ces vers au prince des proscrits,
Vous souvient-il encor qui les avait écrits ?
Vous étiez jeune alors, vous, notre chère gloire.
Vous veniez d'essayer pour la première fois
Ce beau luth éploré qui vibre sous vos doigts.
La Muse que le ciel vous avait fiancée
Sur votre front rêveur cherchait votre pensée,
Vierge craintive encore, amante des lauriers.
Vous ne connaissiez pas, noble fils de la France,
Vous ne connaissiez pas, sinon par sa souffrance,
Ce sublime orgueilleux à qui vous écriviez.
De quel droit osiez-vous l'aborder et le plaindre ?
Quel aigle, Ganymède, à ce Dieu vous portait ?
Pressentiez-vous qu'un jour vous le pourriez atteindre,
Celui qui de si haut alors vous écoutait ?
Non, vous aviez vingt ans, et le coeur vous battait
Vous aviez lu Lara, Manfred et le Corsaire,
Et vous aviez écrit sans essuyer vos pleurs ;
Le souffle de Byron vous soulevait de terre,
Et vous alliez à lui, porté par ses douleurs.
Vous appeliez de **** cette âme désolée ;
Pour grand qu'il vous parût, vous le sentiez ami
Et, comme le torrent dans la verte vallée,
L'écho de son génie en vous avait gémi.
Et lui, lui dont l'Europe, encore toute armée,
Écoutait en tremblant les sauvages concerts ;
Lui qui depuis dix ans fuyait sa renommée,
Et de sa solitude emplissait l'univers ;
Lui, le grand inspiré de la Mélancolie,
Qui, las d'être envié, se changeait en martyr ;
Lui, le dernier amant de la pauvre Italie,
Pour son dernier exil s'apprêtant à partir ;
Lui qui, rassasié de la grandeur humaine,
Comme un cygne à son chant sentant sa mort prochaine,
Sur terre autour de lui cherchait pour qui mourir...
Il écouta ces vers que lisait sa maîtresse,
Ce doux salut lointain d'un jeune homme inconnu.
Je ne sais si du style il comprit la richesse ;
Il laissa dans ses yeux sourire sa tristesse :
Ce qui venait du coeur lui fut le bienvenu.

Poète, maintenant que ta muse fidèle,
Par ton pudique amour sûre d'être immortelle,
De la verveine en fleur t'a couronné le front,
À ton tour, reçois-moi comme le grand Byron.
De t'égaler jamais je n'ai pas l'espérance ;
Ce que tu tiens du ciel, nul ne me l'a promis,
Mais de ton sort au mien plus grande est la distance,
Meilleur en sera Dieu qui peut nous rendre amis.
Je ne t'adresse pas d'inutiles louanges,
Et je ne songe point que tu me répondras ;
Pour être proposés, ces illustres échanges
Veulent être signés d'un nom que je n'ai pas.
J'ai cru pendant longtemps que j'étais las du monde ;
J'ai dit que je niais, croyant avoir douté,
Et j'ai pris, devant moi, pour une nuit profonde
Mon ombre qui passait pleine de vanité.
Poète, je t'écris pour te dire que j'aime,
Qu'un rayon du soleil est tombé jusqu'à moi,
Et qu'en un jour de deuil et de douleur suprême
Les pleurs que je versais m'ont fait penser à toi.

Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse,
Ne sait par coeur ce chant, des amants adoré,
Qu'un soir, au bord d'un lac, tu nous as soupiré ?
Qui n'a lu mille fois, qui ne relit sans cesse
Ces vers mystérieux où parle ta maîtresse,
Et qui n'a sangloté sur ces divins sanglots,
Profonds comme le ciel et purs comme les flots ?
Hélas ! ces longs regrets des amours mensongères,
Ces ruines du temps qu'on trouve à chaque pas,
Ces sillons infinis de lueurs éphémères,
Qui peut se dire un homme et ne les connaît pas ?
Quiconque aima jamais porte une cicatrice ;
Chacun l'a dans le sein, toujours prête à s'ouvrir ;
Chacun la garde en soi, cher et secret supplice,
Et mieux il est frappé, moins il en veut guérir.
Te le dirai-je, à toi, chantre de la souffrance,
Que ton glorieux mal, je l'ai souffert aussi ?
Qu'un instant, comme toi, devant ce ciel immense,
J'ai serré dans mes bras la vie et l'espérance,
Et qu'ainsi que le tien, mon rêve s'est enfui ?
Te dirai-je qu'un soir, dans la brise embaumée,
Endormi, comme toi, dans la paix du bonheur,
Aux célestes accents d'une voix bien-aimée,
J'ai cru sentir le temps s'arrêter dans mon coeur ?
Te dirai-je qu'un soir, resté seul sur la terre,
Dévoré, comme toi, d'un affreux souvenir,
Je me suis étonné de ma propre misère,
Et de ce qu'un enfant peut souffrir sans mourir ?
Ah ! ce que j'ai senti dans cet instant terrible,
Oserai-je m'en plaindre et te le raconter ?
Comment exprimerai-je une peine indicible ?
Après toi, devant toi, puis-je encor le tenter ?
Oui, de ce jour fatal, plein d'horreur et de charmes,
Je veux fidèlement te faire le récit ;
Ce ne sont pas des chants, ce ne sont pas des larmes,
Et je ne te dirai que ce que Dieu m'a dit.

Lorsque le laboureur, regagnant sa chaumière,
Trouve le soir son champ rasé par le tonnerre,
Il croit d'abord qu'un rêve a fasciné ses yeux,
Et, doutant de lui-même, interroge les cieux.
Partout la nuit est sombre, et la terre enflammée.
Il cherche autour de lui la place accoutumée
Où sa femme l'attend sur le seuil entr'ouvert ;
Il voit un peu de cendre au milieu d'un désert.
Ses enfants demi-nus sortent de la bruyère,
Et viennent lui conter comme leur pauvre mère
Est morte sous le chaume avec des cris affreux ;
Mais maintenant au **** tout est silencieux.
Le misérable écoute et comprend sa ruine.
Il serre, désolé, ses fils sur sa poitrine ;
Il ne lui reste plus, s'il ne tend pas la main,
Que la faim pour ce soir et la mort pour demain.
Pas un sanglot ne sort de sa gorge oppressée ;
Muet et chancelant, sans force et sans pensée,
Il s'assoit à l'écart, les yeux sur l'horizon,
Et regardant s'enfuir sa moisson consumée,
Dans les noirs tourbillons de l'épaisse fumée
L'ivresse du malheur emporte sa raison.

Tel, lorsque abandonné d'une infidèle amante,
Pour la première fois j'ai connu la douleur,
Transpercé tout à coup d'une flèche sanglante,
Seul je me suis assis dans la nuit de mon coeur.
Ce n'était pas au bord d'un lac au flot limpide,
Ni sur l'herbe fleurie au penchant des coteaux ;
Mes yeux noyés de pleurs ne voyaient que le vide,
Mes sanglots étouffés n'éveillaient point d'échos.
C'était dans une rue obscure et tortueuse
De cet immense égout qu'on appelle Paris :
Autour de moi criait cette foule railleuse
Qui des infortunés n'entend jamais les cris.
Sur le pavé noirci les blafardes lanternes
Versaient un jour douteux plus triste que la nuit,
Et, suivant au hasard ces feux vagues et ternes,
L'homme passait dans l'ombre, allant où va le bruit.
Partout retentissait comme une joie étrange ;
C'était en février, au temps du carnaval.
Les masques avinés, se croisant dans la fange,
S'accostaient d'une injure ou d'un refrain banal.
Dans un carrosse ouvert une troupe entassée
Paraissait par moments sous le ciel pluvieux,
Puis se perdait au **** dans la ville insensée,
Hurlant un hymne impur sous la résine en feux.
Cependant des vieillards, des enfants et des femmes
Se barbouillaient de lie au fond des cabarets,
Tandis que de la nuit les prêtresses infâmes
Promenaient çà et là leurs spectres inquiets.
On eût dit un portrait de la débauche antique,
Un de ces soirs fameux, chers au peuple romain,
Où des temples secrets la Vénus impudique
Sortait échevelée, une torche à la main.
Dieu juste ! pleurer seul par une nuit pareille !
Ô mon unique amour ! que vous avais-je fait ?
Vous m'aviez pu quitter, vous qui juriez la veille
Que vous étiez ma vie et que Dieu le savait ?
Ah ! toi, le savais-tu, froide et cruelle amie,
Qu'à travers cette honte et cette obscurité
J'étais là, regardant de ta lampe chérie,
Comme une étoile au ciel, la tremblante clarté ?
Non, tu n'en savais rien, je n'ai pas vu ton ombre,
Ta main n'est pas venue entr'ouvrir ton rideau.
Tu n'as pas regardé si le ciel était sombre ;
Tu ne m'as pas cherché dans cet affreux tombeau !

Lamartine, c'est là, dans cette rue obscure,
Assis sur une borne, au fond d'un carrefour,
Les deux mains sur mon coeur, et serrant ma blessure,
Et sentant y saigner un invincible amour ;
C'est là, dans cette nuit d'horreur et de détresse,
Au milieu des transports d'un peuple furieux
Qui semblait en passant crier à ma jeunesse,
« Toi qui pleures ce soir, n'as-tu pas ri comme eux ? »
C'est là, devant ce mur, où j'ai frappé ma tête,
Où j'ai posé deux fois le fer sur mon sein nu ;
C'est là, le croiras-tu ? chaste et noble poète,
Que de tes chants divins je me suis souvenu.
Ô toi qui sais aimer, réponds, amant d'Elvire,
Comprends-tu que l'on parte et qu'on se dise adieu ?
Comprends-tu que ce mot la main puisse l'écrire,
Et le coeur le signer, et les lèvres le dire,
Les lèvres, qu'un baiser vient d'unir devant Dieu ?
Comprends-tu qu'un lien qui, dans l'âme immortelle,
Chaque jour plus profond, se forme à notre insu ;
Qui déracine en nous la volonté rebelle,
Et nous attache au coeur son merveilleux tissu ;
Un lien tout-puissant dont les noeuds et la trame
Sont plus durs que la roche et que les diamants ;
Qui ne craint ni le temps, ni le fer, ni la flamme,
Ni la mort elle-même, et qui fait des amants
Jusque dans le tombeau s'aimer les ossements ;
Comprends-tu que dix ans ce lien nous enlace,
Qu'il ne fasse dix ans qu'un seul être de deux,
Puis tout à coup se brise, et, perdu dans l'espace,
Nous laisse épouvantés d'avoir cru vivre heureux ?
Ô poète ! il est dur que la nature humaine,
Qui marche à pas comptés vers une fin certaine,
Doive encor s'y traîner en portant une croix,
Et qu'il faille ici-bas mourir plus d'une fois.
Car de quel autre nom peut s'appeler sur terre
Cette nécessité de changer de misère,
Qui nous fait, jour et nuit, tout prendre et tout quitter.
Si bien que notre temps se passe à convoiter ?
Ne sont-ce pas des morts, et des morts effroyables,
Que tant de changements d'êtres si variables,
Qui se disent toujours fatigués d'espérer,
Et qui sont toujours prêts à se transfigurer ?
Quel tombeau que le coeur, et quelle solitude !
Comment la passion devient-elle habitude,
Et comment se fait-il que, sans y trébucher,
Sur ses propres débris l'homme puisse marcher ?
Il y marche pourtant ; c'est Dieu qui l'y convie.
Il va semant partout et prodiguant sa vie :
Désir, crainte, colère, inquiétude, ennui,
Tout passe et disparaît, tout est fantôme en lui.
Son misérable coeur est fait de telle sorte
Qu'il fuit incessamment qu'une ruine en sorte ;
Que la mort soit son terme, il ne l'ignore pas,
Et, marchant à la mort, il meurt à chaque pas.
Il meurt dans ses amis, dans son fils, dans son père,
Il meurt dans ce qu'il pleure et dans ce qu'il espère ;
Et, sans parler des corps qu'il faut ensevelir,
Qu'est-ce donc qu'oublier, si ce n'est pas mourir ?
Ah ! c'est plus que mourir, c'est survivre à soi-même.
L'âme remonte au ciel quand on perd ce qu'on aime.
Il ne reste de nous qu'un cadavre vivant ;
Le désespoir l'habite, et le néant l'attend.

Eh bien ! bon ou mauvais, inflexible ou fragile,
Humble ou fier, triste ou ***, mais toujours gémissant,
Cet homme, tel qu'il est, cet être fait d'argile,
Tu l'as vu, Lamartine, et son sang est ton sang.
Son bonheur est le tien, sa douleur est la tienne ;
Et des maux qu'ici-bas il lui faut endurer
Pas un qui ne te touche et qui ne t'appartienne ;
Puisque tu sais chanter, ami, tu sais pleurer.
Dis-moi, qu'en penses-tu dans tes jours de tristesse ?
Que t'a dit le malheur, quand tu l'as consulté ?
Trompé par tes amis, trahi par ta maîtresse,
Du ciel et de toi-même as-tu jamais douté ?

Non, Alphonse, jamais. La triste expérience
Nous apporte la cendre, et n'éteint pas le feu.
Tu respectes le mal fait par la Providence,
Tu le laisses passer, et tu crois à ton Dieu.
Quel qu'il soit, c'est le mien ; il n'est pas deux croyances
Je ne sais pas son nom, j'ai regardé les cieux ;
Je sais qu'ils sont à Lui, je sais qu'ils sont immenses,
Et que l'immensité ne peut pas être à deux.
J'ai connu, jeune encore, de sévères souffrances,
J'ai vu verdir les bois, et j'ai tenté d'aimer.
Je sais ce que la terre engloutit d'espérances,
Et, pour y recueillir, ce qu'il y faut semer.
Mais ce que j'ai senti, ce que je veux t'écrire,
C'est ce que m'ont appris les anges de douleur ;
Je le sais mieux encore et puis mieux te le dire,
Car leur glaive, en entrant, l'a gravé dans mon coeur :

Créature d'un jour qui t'agites une heure,
De quoi viens-tu te plaindre et qui te fait gémir ?
Ton âme t'inquiète, et tu crois qu'elle pleure :
Ton âme est immortelle, et tes pleurs vont tarir.

Tu te sens le coeur pris d'un caprice de femme,
Et tu dis qu'il se brise à force de souffrir.
Tu demandes à Dieu de soulager ton âme :
Ton âme est immortelle, et ton coeur va guérir.

Le regret d'un instant te trouble et te dévore ;
Tu dis que le passé te voile l'avenir.
Ne te plains pas d'hier ; laisse venir l'aurore :
Ton âme est immortelle, et le temps va s'enfuir

Ton corps est abattu du mal de ta pensée ;
Tu sens ton front peser et tes genoux fléchir.
Tombe, agenouille-toi, créature insensée :
Ton âme est immortelle, et la mort va venir.

Tes os dans le cercueil vont tomber en poussière
Ta mémoire, ton nom, ta gloire vont périr,
Mais non pas ton amour, si ton amour t'est chère :
Ton âme est immortelle, et va s'en souvenir.
Paul d'Aubin Jan 2014
La Llorona

(ce poéme écrit après avoir écouté la chanson est
dédié à Frida Kahlo et à Joan Baez)

Sur les remparts de Tenochtitlan
tu ne sors qu'à la nuit couchante
les nuits ou la lune est orange tourne
rouge de sang et d'amertume.
Tu fais briller ta chevelure
de geai, tel un diamant noir,
ton nom est "Llorona la belle"
qui nous appelle de ses pleurs.
Et tente de nous attirer
Avec sa voix rauque et ses pleurs.

Tu annonces la venue de ceux
par qui la mort doit advenir.
Car telle est ta prophétie
magicienne, du Monde Indien.
Surtout passant, ferme les yeux
et retiens ton amour naissant
car la Llorona ne vient pas
pour te serrer dans ses bras
et te donner sa douce peau,
Ni te couvrir de baisers.

Elle se fait messagère de malheur.
Et annonce les temps nouveaux
D’où surgiront les hommes barbus, bardés de fer
avec ces animaux fabuleux
Et leur bâton de foudre et de tonnerre
qui tuent mieux que la guerre fleurie.
Son chant est hymne funèbre
ou la prophétie s'accomplit
dans les cliquetis d’acier,
la maudite soif de l’or
et le feu des bûchers.

Garde toi de suivre « la pleureuse »
qui t'annonce les jours maudits,
ou le sang indien va couler
et le Peuple être mis en servage.
Loran ta beauté est venin
cartes présages sont les flèches
que nous lancent les "temps nouveaux".
Pleurons, tous, notre liberté
et les jours de cendre venus,
et la chute des Dieux serpents.

Paul Arrighi, Toulouse
(ce poéme écrit après avoir écouté la chanson est
dédié à Frida Kahlo et à Joan Baez)
À la très chère, à la très belle
Qui remplit mon coeur de clarté,
À l'ange, à l'idole immortelle,
Salut en l'immortalité !

Elle se répand dans ma vie
Comme un air imprégné de sel,
Et dans mon âme inassouvie
Verse le goût de l'éternel.

Sachet toujours frais qui parfume
L'atmosphère d'un cher réduit,
Encensoir oublié qui fume
En secret à travers la nuit,

Comment, amour incorruptible,
T'exprimer avec vérité ?
Grain de musc qui gis, invisible,
Au fond de mon éternité !

À la très bonne, à la très belle
Qui fait ma joie et ma santé,
À l'ange, à l'idole immortelle,
Salut en l'immortalité !
I.

L'ÉGLISE est vaste et haute. À ses clochers superbes
L'ogive en fleur suspend ses trèfles et ses gerbes ;
Son portail resplendit, de sa rose pourvu ;
Le soir fait fourmiller sous la voussure énorme
Anges, vierges, le ciel, l'enfer sombre et difforme,
Tout un monde effrayant comme un rêve entrevu.

Mais ce n'est pas l'église, et ses voûtes, sublimes,
Ses porches, ses vitraux, ses lueurs, ses abîmes,
Sa façade et ses tours, qui fascinent mes yeux ;
Non ; c'est, tout près, dans l'ombre où l'âme aime à descendre
Cette chambre d'où sort un chant sonore et tendre,
Posée au bord d'un toit comme un oiseau joyeux.

Oui, l'édifice est beau, mais cette chambre est douce.
J'aime le chêne altier moins que le nid de mousse ;
J'aime le vent des prés plus que l'âpre ouragan ;
Mon cœur, quand il se perd vers les vagues béantes,
Préfère l'algue obscure aux falaises géantes.
Et l'heureuse hirondelle au splendide océan.

II.

Frais réduit ! à travers une claire feuillée
Sa fenêtre petite et comme émerveillée
S'épanouit auprès du gothique portail.
Sa verte jalousie à trois clous accrochée,
Par un bout s'échappant, par l'autre rattachée,
S'ouvre coquettement comme un grand éventail.

Au-dehors un beau lys, qu'un prestige environne,
Emplit de sa racine et de sa fleur couronne
- Tout près de la gouttière où dort un chat sournois -
Un vase à forme étrange en porcelaine bleue
Où brille, avec des paons ouvrant leur large queue,
Ce beau pays d'azur que rêvent les Chinois.

Et dans l'intérieur par moments luit et passe
Une ombre, une figure, une fée, une grâce,
Jeune fille du peuple au chant plein de bonheur,
Orpheline, dit-on, et seule en cet asile,
Mais qui parfois a l'air, tant son front est tranquille,
De voir distinctement la face du Seigneur.

On sent, rien qu'à la voir, sa dignité profonde.
De ce cœur sans limon nul vent n'a troublé l'onde.
Ce tendre oiseau qui jase ignore l'oiseleur.
L'aile du papillon a toute sa poussière.
L'âme de l'humble vierge a toute sa lumière.
La perle de l'aurore est encor dans la fleur.

À l'obscure mansarde il semble que l'œil voie
Aboutir doucement tout un monde de joie,
La place, les passants, les enfants, leurs ébats,
Les femmes sous l'église à pas lents disparues,
Des fronts épanouis par la chanson des rues,
Mille rayons d'en haut, mille reflets d'en bas.

Fille heureuse ! autour d'elle ainsi qu'autour d'un temple,
Tout est modeste et doux, tout donne un bon exemple.
L'abeille fait son miel, la fleur rit au ciel bleu,
La tour répand de l'ombre, et, devant la fenêtre,
Sans faute, chaque soir, pour obéir au maître,
L'astre allume humblement sa couronne de feu.

Sur son beau col, empreint de virginité pure,
Point d'altière dentelle ou de riche guipure ;
Mais un simple mouchoir noué pudiquement.
Pas de perle à son front, mais aussi pas de ride,
Mais un œil chaste et vif, mais un regard limpide.
Où brille le regard que sert le diamant ?

III.

L'angle de la cellule abrite un lit paisible.
Sur la table est ce livre où Dieu se fait visible,
La légende des saints, seul et vrai panthéon.
Et dans un coin obscur, près de la cheminée,
Entre la bonne Vierge et le buis de l'année,
Quatre épingles au mur fixent Napoléon.

Cet aigle en cette cage ! - et pourquoi non ? dans l'ombre
De cette chambre étroite et calme, où rien n'est sombre,
Où dort la belle enfant, douce comme son lys,
Où tant de paix, de grâce et de joie est versée,
Je ne hais pas d'entendre au fond de ma pensée
Le bruit des lourds canons roulant vers Austerlitz.

Et près de l'empereur devant qui tout s'incline,
- Ô légitime orgueil de la pauvre orpheline ! -
Brille une croix d'honneur, signe humble et triomphant,
Croix d'un soldat, tombé comme tout héros tombe,
Et qui, père endormi, fait du fond de sa tombe
Veiller un peu de gloire auprès de son enfant.

IV.

Croix de Napoléon ! joyau guerrier ! pensée !
Couronne de laurier de rayons traversée !
Quand il menait ses preux aux combats acharnés,
Il la laissait, afin de conquérir la terre,
Pendre sur tous les fronts durant toute la guerre ;
Puis, la grande œuvre faite, il leur disait : Venez !

Puis il donnait sa croix à ces hommes stoïques,
Et des larmes coulaient de leurs yeux héroïques ;
Muets, ils admiraient leur demi-dieu vainqueur ;
On eût dit qu'allumant leur âme avec son âme,
En touchant leur poitrine avec son doigt de flamme,
Il leur faisait jaillir cette étoile du cœur !

V.

Le matin elle chante et puis elle travaille,
Sérieuse, les pieds sur sa chaise de paille,
Cousant, taillant, brodant quelques dessins choisis ;
Et, tandis que, songeant à Dieu, simple et sans crainte,
Cette vierge accomplit sa tâche auguste et sainte,
Le silence rêveur à sa porte est assis.

Ainsi, Seigneur, vos mains couvrent cette demeure.
Dans cet asile obscur, qu'aucun souci n'effleure,
Rien qui ne soit sacré, rien qui ne soit charmant !
Cette âme, en vous priant pour ceux dont la nef sombre,
Peut monter chaque soir vers vous sans faire d'ombre
Dans la sérénité de votre firmament !

Nul danger ! nul écueil ! - Si ! l'aspic est dans l'herbe !
Hélas ! hélas ! le ver est dans le fruit superbe !
Pour troubler une vie il suffit d'un regard.
Le mal peut se montrer même aux clartés d'un cierge.
La curiosité qu'a l'esprit de la vierge
Fait une plaie au cœur de la femme plus ****.

Plein de ces chants honteux, dégoût de la mémoire,
Un vieux livre est là-haut sur une vieille armoire,
Par quelque vil passant dans cette ombre oublié ;
Roman du dernier siècle ! œuvre d'ignominie !
Voltaire alors régnait, ce singe de génie
Chez l'homme en mission par le diable envoyé.

VI.

Epoque qui gardas, de vin, de sang rougie,
Même en agonisant, l'allure de l'orgie !
Ô dix-huitième siècle, impie et châtié !
Société sans dieu, par qui Dieu fus frappée !
Qui, brisant sous la hache et le sceptre et l'épée,
Jeune offensas l'amour, et vieille la pitié !

Table d'un long festin qu'un échafaud termine !
Monde, aveugle pour Christ, que Satan illumine !
Honte à tes écrivains devant les nations !
L'ombre de tes forfaits est dans leur renommée
Comme d'une chaudière il sort une fumée,
Leur sombre gloire sort des révolutions !

VII.

Frêle barque assoupie à quelques pas d'un gouffre !
Prends garde, enfant ! cœur tendre où rien encor ne souffre !
Ô pauvre fille d'Ève ! ô pauvre jeune esprit !
Voltaire, le serpent, le doute, l'ironie,
Voltaire est dans un coin de ta chambre bénie !
Avec son œil de flamme il t'espionne, et rit.

Oh ! tremble ! ce sophiste a sondé bien des fanges !
Oh ! tremble ! ce faux sage a perdu bien des anges !
Ce démon, noir milan, fond sur les cœurs pieux,
Et les brise, et souvent, sous ses griffes cruelles,
Plume à plume j'ai vu tomber ces blanches ailles
Qui font qu'une âme vole et s'enfuit dans les cieux !

Il compte de ton sein les battements sans nombre.
Le moindre mouvement de ton esprit dans l'ombre,
S'il penche un peu vers lui, fait resplendir son œil.
Et, comme un loup rôdant, comme un tigre qui guette,
Par moments, de Satan, visible au seul poète,
La tête monstrueuse apparaît à ton seuil !

VIII.

Hélas ! si ta main chaste ouvrait ce livre infâme,
Tu sentirais soudain Dieu mourir dans ton âme.
Ce soir tu pencherais ton front triste et boudeur
Pour voir passer au **** dans quelque verte allée
Les chars étincelants à la roue étoilée,
Et demain tu rirais de la sainte pudeur !

Ton lit, troublé la nuit de visions étranges,
Ferait fuir le sommeil, le plus craintif des anges !
Tu ne dormirais plus, tu ne chanterais plus,
Et ton esprit, tombé dans l'océan des rêves,
Irait, déraciné comme l'herbe des grèves,
Du plaisir à l'opprobre et du flux au reflux !

IX.

Oh ! la croix de ton père est là qui te regarde !
La croix du vieux soldat mort dans la vieille garde !
Laisse-toi conseiller par elle, ange tenté !
Laisse-toi conseiller, guider, sauver peut-être
Par ce lys fraternel penché sur ta fenêtre,
Qui mêle son parfum à ta virginité !

Par toute ombre qui passe en baissant la paupière !
Par les vieux saints rangés sous le portail de pierre !
Par la blanche colombe aux rapides adieux !
Par l'orgue ardent dont l'hymne en longs sanglots se brise !
Laisse-toi conseiller par la pensive église !
Laisse-toi conseiller par le ciel radieux !

Laisse-toi conseiller par l'aiguille ouvrière,
Présente à ton labeur, présente à ta prière,
Qui dit tout bas : Travaille ! - Oh ! crois-la ! - Dieu, vois-tu,
Fit naître du travail, que l'insensé repousse,
Deux filles, la vertu, qui fait la gaîté douce,
Et la gaîté, qui rend charmante la vertu !

Entends ces mille voix, d'amour accentuées,
Qui passent dans le vent, qui tombent des nuées,
Qui montent vaguement des seuils silencieux,
Que la rosée apporte avec ses chastes gouttes,
Que le chant des oiseaux te répète, et qui toutes
Te disent à la fois : Sois pure sous les cieux !

Sois pure sous les cieux ! comme l'onde et l'aurore,
Comme le joyeux nid, comme la tour sonore,
Comme la gerbe blonde, amour du moissonneur,
Comme l'astre incliné, comme la fleur penchante,
Comme tout ce qui rit, comme tout ce qui chante,
Comme tout ce qui dort dans la paix du Seigneur !

Sois calme. Le repos va du cœur au visage ;
La tranquillité fait la majesté du sage.
Sois joyeuse. La foi vit sans l'austérité ;
Un des reflets du ciel, c'est le rire des femmes ;
La joie est la chaleur que jette dans les âmes
Cette clarté d'en haut qu'on nomme Vérité.

La joie est pour l'esprit une riche ceinture.
La joie adoucit tout dans l'immense nature.
Dieu sur les vieilles tours pose le nid charmant
Et la broussaille en fleur qui luit dans l'herbe épaisse ;
Car la ruine même autour de sa tristesse
A besoin de jeunesse et de rayonnement !

Sois bonne. La bonté contient les autres choses.
Le Seigneur indulgent sur qui tu te reposes
Compose de bonté le penseur fraternel.
La bonté, c'est le fond des natures augustes.
D'une seule vertu Dieu fait le cœur des justes,
Comme d'un seul saphir la coupole du ciel.

Ainsi, tu resteras, comme un lys, comme un cygne,
Blanche entre les fronts purs marqués d'un divin signe
Et tu seras de ceux qui, sans peur, sans ennuis,
Des saintes actions amassant la richesse,
Rangent leur barque au port, leur vie à la sagesse
Et, priant tous les soirs, dorment toutes les nuits !

Le poète à lui-même.

Tandis que sur les bois, les prés et les charmilles,
S'épanchent la lumière et la splendeur des cieux,
Toi, poète serein, répands sur les familles,
Répands sur les enfants et sur les jeunes filles,
Répands sur les vieillards ton chant religieux !

Montre du doigt la rive à tous ceux qu'une voile
Traîne sur le flot noir par les vents agité ;
Aux vierges, l'innocence, heureuse et noble étoile ;
À la foule, l'autel que l'impiété voile ;
Aux jeunes, l'avenir ; aux vieux, l'éternité !

Fais filtrer ta raison dans l'homme et dans la femme.
Montre à chacun le vrai du côté saisissant.
Que tout penseur en toi trouve ce qu'il réclame.
Plonge Dieu dans les cœurs, et jette dans chaque âme
Un mot révélateur, propre à ce qu'elle sent.

Ainsi, sans bruit, dans l'ombre, ô songeur solitaire,
Ton esprit, d'où jaillit ton vers que Dieu bénit,
Du peuple sous tes pieds perce le crâne austère ; -
Comme un coin lent et sûr, dans les flancs de la terre
La racine du chêne entr'ouvre le granit.

Du 24 au 29 juin 1839.
L'empereur vit, un soir, le soleil s'en aller ;
Il courba son front triste, et resta sans parler.
Puis, comme il entendit ses horloges de cuivre,
Qu'il venait d'accorder, d'un pied boiteux se suivre,
Il pensa qu'autrefois, sans avoir réussi,
D'accorder les humains il avait pris souci.
- Seigneur, Seigneur ! dit-il, qui m'en donna l'envie ?
J'ai traversé la mer onze fois dans ma vie ;
Dix fois les Pays-Bas ; l'Angleterre trois fois ;
Ai-je assez fait la guerre à ce pauvre François !
J'ai vu deux fois l'Afrique et neuf fois l'Allemagne,
Et voici que je meurs sujet du roi d'Espagne !
Eh ! que faire à régner ? je n'ai plus d'ennemi ;
Chacun s'est dans la tombe, à son tour, endormi.
Comme un chien affamé, l'oubli tous les dévore ;
Déjà le soir d'un siècle à l'autre sert d'aurore.
Ai-je donc, plus habile à plus longtemps souffrir,
Seul parmi tant de rois, oublié de mourir ?
Ou, dans leurs doigts roidis quand la coupe fut pleine,
Quand le glaive de Dieu, pour niveler la plaine,
Décima les grands monts, étais-je donc si bas,
Que l'archange, en passant, alors ne me vit pas ?
M'en vais-je donc vieillir à compter mes campagnes,
Comme un pasteur ses bœufs descendant des montagnes,
Pour qu'on lise en mon cœur les leçons du passé,
Comme en un livre pâle et bientôt effacé ?
Trop avant dans la nuit s'allonge ma journée.
Dieu sait à quels enfants l'Europe s'est donnée !
Sur quels bras va poser tout ce vieil univers,
Qu'avec ses cent Etats, avec ses quatre mers,
Je portais dans mon sein et dans ma tête chauve !
Philippe !... que saint Just de ses crimes le sauve !
Car du jour qu'héritier de son père, il sentit
Que pour sa grande épée il était trop petit,
N'a-t-il pas échangé le ciel contre la terre,
Contre un bourreau masqué son confesseur austère ?
La France !... oh ! quel destin, en ses jeux si profond,
Mit la duègne orgueilleuse aux mains d'un roi bouffon,
Qui s'en va, rajustant son pourpoint à sa taille,
Aux oisifs carrousels se peindre une bataille !
Ah ! quand mourut François, quel sage s'est douté
Que du seul Charles-Quint il mourait regretté ?
Avec son dernier cri sonna ma dernière heure.
Où trouver maintenant personne qui me pleure ?
Mon fils me laisse ici m'achever ; car enfin
Qui lui dira si c'est de vieillesse ou de faim ?
Il me donne la mort pour prix de sa naissance !
Mes bienfaits l'ont guéri de sa reconnaissance.
Il s'en vient me pousser lorsque j'ai trébuché. -
C'est bien. - Je vais tomber. - Le soleil s'est couché !
Ô terre ! reçois-moi ; car je te rends ma cendre !
Je vins nu de ton sein, nu j'y vais redescendre.

C'est ainsi que parla cet homme au cœur de fer ;
Puis, se voyant dans l'ombre, il eut peur de l'enfer !
- Ô mon Dieu ! si, cherchant un pardon qui m'efface,
Je trouvais la colère écrite sur ta face,
Comme ce soir, mon œil, cherchant le jour qui fuit,
Dans le ciel dépeuplé ne trouve que la nuit !
Quoi ! pas un rêve, un signe, un mot dit à l'oreille,
Dont l'écho formidable alors ne se réveille !
Non ! - Rien à vous, Seigneur, ne peut être caché.
Kyrie eleison ! car j'ai beaucoup péché ! »

Alors, avec des pleurs il disait sa prière,
Les genoux tout tremblants et le front sur la pierre.
Tout à coup il s'arrête, il se lève, et ses yeux
Se clouaient à la terre et sa pensée aux cieux.

Voici que, sur l'autel couvert de draps funèbres,
Les lugubres flambeaux ont rompu les ténèbres
Et les prêtres debout, comme de noirs cyprès,
S'assemblent, étonnés des sinistres apprêts.
Et les vieux serviteurs disaient : - Qui donc va naître
Ou mourir ? - et pourtant priaient sans le connaître ;
Car les sombres clochers s'agitaient à grand bruit,
Et semblaient deux géants qui pleurent dans la nuit.
Tous frappaient leur poitrine et respiraient à peine.
Sous les larmes d'argent le sépulcre d'ébène
S'ouvrait, lit nuptial par la mort apprêté,
Où la vie en ses bras reçoit l'éternité.
Alors un spectre vint, se traînant aux murailles,
Livide, épouvanter les mornes funérailles.
Maigre et les yeux éteints, et son pied, sur le seuil
De granit, chancelait dans les plis d'un linceul.
- Qui d'entre vous, dit-il, me respecte et m'honore ?
(Et sa voix sur l'écho de la voûte sonore
Frappait comme le pas d'un hardi cavalier.)
Qu'il s'en vienne avec moi dormir sous un pilier !
Je m'y couche, et j'attends que m'y suive qui m'aime.
Pour ceux qui m'ont haï, je les suivrai mot-même ;
Ils y sont. - Prions donc pour mes crimes passés ;
Pleurons et récitons l'hymne des trépassés !
Il marcha vers sa tombe, et pâlit : - Qui m'arrête,
Dit-il ? Ne faut-il pas un cadavre à la fête ?

Et le cercueil cria sous ses membres glacés,
Puis le chœur entonna l'hymne des trépassés.
Dian Eka Oct 2010
Love is Poison
Brings such emotions

My dear, it's like drinking stronger spirits in pray
But We do know We are poisoned by

Are We fool creatures for let it in?
Are We thirsty enough to **** it in?

Roots of heart welcome it
Is it heart's pleasure?

My dear, it is growing to branches
Unseen liquid
Rushing to blood spiralling in veins
Pomping heart too often,,,
Pushing it harder,,,
Getting tired,,,,,,,
Dying,,,,,,,,,,and then
Dies,,,,,,,,,,,,,,,,,,,

What hymne or ode for Us?
What We have when our hearts die?

No requiems but another poison.
DEAB
Prions ! voici l'ombre sereine.
Vers toi, grand Dieu, nos yeux et nos bras sont levés.
Ceux qui t'offrent ici leurs larmes et leur chaîne
Sont les plus douloureux parmi les éprouvés.
Ils ont le plus d'honneur ayant le plus de peine.

Souffrons ! le crime aura son tour.
Oiseaux qui passez, nos chaumières,
Vents qui passez, nos soeurs, nos mères
Sont là-bas, pleurant nuit et jour.
Oiseaux, dites-leur nos misères !
Ô vents, portez-leur notre amour !

Nous t'envoyons notre pensée,
Dieu ! nous te demandons d'oublier les proscrits,
Mais de rendre sa gloire à la France abaissée ;
Et laisse-nous mourir, nous brisés et meurtris,
Nous que le jour brûlant livre à la nuit glacée !

Souffrons ! le crime -

Comme un archer frappe une cible,
L'implacable soleil nous perce de ses traits
Après le dur labeur, le sommeil impossible ;
Cette chauve-souris qui sort des noirs marais,
La fièvre, bat nos fronts de son aile invisible.

Souffrons ! le crime -

On a soif, l'eau brûle la bouche
On a faim, du pain noir ; travaillez, malheureux !
À chaque coup de pioche en ce désert farouche
La mort sort de la terre avec son rire affreux,
Prend l'homme dans ses bras, l'étreint et se recouche.

Souffrons ! le crime -

Mais qu'importe ! rien ne nous dompte ;
Nous sommes torturés et nous sommes contents.
Nous remercions Dieu vers qui notre hymne monte
De nous avoir choisis pour souffrir dans ce temps
Où tous ceux qui n'ont pas la souffrance ont la honte.

Souffrons ! le crime -

Vive la grande République !
Paix à l'immensité du soir mystérieux !
Paix aux morts endormis dans la tombe stoïque !
Paix au sombre océan qui mêle sous les cieux
La plainte de Cayenne au sanglot de l'Afrique !

Souffrons ! le crime aura son tour.
Oiseaux qui passez, nos chaumières,
Vents qui passez, nos soeurs, nos mères
Sont là-bas, pleurant nuit et jour.
Oiseaux, dites-leur nos misères !
Ô vents, portez-leur notre amour !

Jersey, le 23 juillet 1853.
Tandis qu'au **** des nuées,
Qui semblent des paradis,
Dans le bleu sont remuées,
Je t'écoute, et tu me dis :

« Quelle idée as-tu de l'homme,
« De croire qu'il aide Dieu ?
« L'homme est-il donc l'économe
« De l'eau, de l'air et du feu ?

« Est-ce que, dans son armoire,
« Tu l'aurais vu de tes yeux
« Serrer les rouleaux de moire
« Que l'aube déploie aux cieux ?

« Est-ce lui qui gonfle et ride
« La vague, et lui dit : Assez !
« Est-ce lui qui tient la bride
« Des éléments hérissés ?

« Sait-il le secret de l'herbe ?
« Parle-t-il au nid vivant ?
« Met-il sa note superbe
« Dans le noir clairon du vent ?

« La marée âpre et sonore
« Craint-elle son éperon ?
« Connaît-il le météore ?
« Comprend-il le moucheron ?

« L'homme aider Dieu ! lui, ce songe,
« Ce spectre en fuite et tremblant !
« Est-ce grâce à son éponge
« Que le cygne reste blanc ?

« Le fait veut, l'homme acquiesce.
« Je ne vois pas que sa main
« Découpe à l'emporte-pièce
« Les pétales du jasmin.

« Donne-t-il l'odeur aux sauges,
« Parce qu'il sait faire un trou
« Pour mêler le grès des Vosges
« Au salpêtre du Pérou ?

« Règle-t-il l'onde et la brise,
« Parce qu'il disséquera
« De l'argile qu'il a prise
« Près de Rio-Madera ?

« Ôte Dieu ; puis imagine,
« Essaie, invente ; épaissis
« L'idéal subtil d'Égine
« Par les dogmes d'Éleusis ;

« Soude Orphée à Lamettrie ;
« Joins, pour ne pas être à court,
« L'école d'Alexandrie
« À l'école d'Edimbourg ;

« Va du conclave au concile,
« D'Anaximandre à Destutt ;
« Dans quelque cuve fossile
« Exprime tout l'institut ;

« Démaillote la momie ;
« Presse Œdipe et Montyon ;
« Mets en pleine académie
« Le sphinx à la question ;

« Fouille le doute et la grâce ;
« Amalgame en ton guano
« À la Sybaris d'Horace
« Les Chartreux de saint Bruno ;

« Combine Genève et Rome ;
« Fais mettre par ton fermier
« Toutes les vertus de l'homme
« Dans une fosse à fumier ;

« Travaille avec patience
« En puisant au monde entier ;
« Prends pour pilon la science
« Et l'abîme pour mortier ;

« Va, forge ! je te défie
« De faire de ton savoir
« Et de ta philosophie
« Sortir un grain de blé noir !

« Dieu, de sa droite, étreint, fauche,
« Sème, et tout est rajeuni ;
« L'homme n'est qu'une main gauche
« Tâtonnant dans l'infini.

« Aux heures mystérieuses,
« Quand l'eau se change en miroir,
« Rôdes-tu sous les yeuses,
« L'esprit plongé dans le soir ?

« Te dis-tu : - Qu'est-ce que l'homme ? -
« Sonde, ami, sa nullité ;
« Cherche, de quel chiffre, en somme,
« Il accroît l'éternité !

« L'homme est vain. Pourquoi, poète,
« Ne pas le voir tel qu'il est,
« Dans le sépulcre squelette,
« Et sur la terre valet !

« L'homme est nu, stérile, blême,
« Plus frêle qu'un passereau ;
« C'est le puits du néant même
« Qui s'ouvre dans ce zéro.

« Va, Dieu crée et développe
« Un lion très réussi,
« Un bélier, une antilope,
« Sans le concours de Poissy.

« Il fait l'aile de la mouche
« Du doigt dont il façonna
« L'immense taureau farouche
« De la Sierra Morena ;

« Et dans l'herbe et la rosée
« Sa génisse au fier sabot
« Règne, et n'est point éclipsée
« Par la vache Sarlabot.

« Oui, la graine dans l'espace
« Vole à travers le brouillard,
« Et de toi le vent se passe,
« Semoir Jacquet-Robillard !

« Ce laboureur, la tempête,
« N'a pas, dans les gouffres noirs,
« Besoin que Grignon lui prête
« Sa charrue à trois versoirs.

« Germinal, dans l'atmosphère,  
« Soufflant sur les prés fleuris,  
« Sait encor mieux son affaire  
« Qu'un maraîcher de Paris.

« Quand Dieu veut teindre de flamme
« Le scarabée ou la fleur,
« Je ne vois point qu'il réclame
« La lampe de l'émailleur.

« L'homme peut se croire prêtre,
« L'homme peut se dire roi,
« Je lui laisse son peut-être,
« Mais je doute, quant à moi,

« Que Dieu, qui met mon image
« Au lac où je prends mon bain,
« Fasse faire l'étamage
« Des étangs, à Saint-Gobain.

« Quand Dieu pose sur l'eau sombre
« L'arc-en-ciel comme un siphon,
« Quand au tourbillon plein d'ombre
« Il attelle le typhon,

« Quand il maintient d'âge en âge
« L'hiver, l'été, mai vermeil,
« Janvier triste, et l'engrenage
« De l'astre autour du soleil,

« Quand les zodiaques roulent,
« Amarrés solidement,
« Sans que jamais elles croulent,
« Aux poutres du firmament,

« Quand tournent, rentrent et sortent
« Ces effrayants cabestans
« Dont les extrémités portent
« Le ciel, les saisons, le temps ;

« Pour combiner ces rouages
« Précis comme l'absolu,
« Pour que l'urne des nuages
« Bascule au moment voulu,

« Pour que la planète passe,
« Tel jour, au point indiqué,
« Pour que la mer ne s'amasse
« Que jusqu'à l'ourlet du quai,

« Pour que jamais la comète
« Ne rencontre un univers,
« Pour que l'essaim sur l'Hymète
« Trouve en juin les lys ouverts,

« Pour que jamais, quand approche
« L'heure obscure où l'azur luit,
« Une étoile ne s'accroche
« À quelque angle de la nuit,

« Pour que jamais les effluves
« Les forces, le gaz, l'aimant,
« Ne manquent aux vastes cuves
« De l'éternel mouvement,

« Pour régler ce jeu sublime,
« Cet équilibre béni,
« Ces balancements d'abîme,
« Ces écluses d'infini,

« Pour que, courbée ou grandie,
« L'oeuvre marche sans un pli,
« Je crois peu qu'il étudie
« La machine de Marly ! »

Ton ironie est amère,
Mais elle se trompe, ami.
Dieu compte avec l'éphémère,
Et s'appuie à la fourmi.

Dieu n'a rien fait d'inutile.
La terre, hymne où rien n'est vain,
Chante, et l'homme est le dactyle
De l'hexamètre divin.

L'homme et Dieu sont parallèles :
Dieu créant, l'homme inventant.
Dieu donne à l'homme ses ailes.
L'éternité fait l'instant.

L'homme est son auxiliaire
Pour le bien et la vertu.
L'arbre est Dieu, l'homme est le lierre ;
Dieu de l'homme s'est vêtu.

Dieu s'en sert, donc il s'en aide.
L'astre apparaît dans l'éclair ;
Zeus est dans Archimède,
Et Jéhovah dans Képler.

Jusqu'à ce que l'homme meure,
Il va toujours en avant.
Sa pensée a pour demeure
L'immense idéal vivant.

Dans tout génie il s'incarne ;
Le monde est sous son orteil ;
Et s'il n'a qu'une lucarne,
Il y pose le soleil.

Aux terreurs inabordable,
Coupant tous les fatals noeuds,
L'homme marche formidable,
Tranquille et vertigineux.

De limon il se fait lave,
Et colosse d'embryon ;
Epictète était esclave,
Molière était histrion,

Ésope était saltimbanque,
Qu'importe ! - il n'est arrêté
Que lorsque le pied lui manque
Au bord de l'éternité.

L'homme n'est pas autre chose
Que le prête-nom de Dieu.
Quoi qu'il fasse, il sent la cause
Impénétrable, au milieu.

Phidias cisèle Athènes ;
Michel-Ange est surhumain ;
Cyrus, Rhamsès, capitaines,
Ont une flamme à la main ;

Euclide trouve le mètre,
Le rythme sort d'Amphion ;
Jésus-Christ vient tout soumettre,
Même le glaive, au rayon ;

Brutus fait la délivrance ;
Platon fait la liberté ;
Jeanne d'Arc sacre la France
Avec sa virginité ;

Dans le bloc des erreurs noires
Voltaire ses coins ;
Luther brise les mâchoires
De Rome entre ses deux poings ;

Dante ouvre l'ombre et l'anime ;
Colomb fend l'océan bleu... -
C'est Dieu sous un pseudonyme,
C'est Dieu masqué, mais c'est Dieu.

L'homme est le fanal du monde.
Ce puissant esprit banni
Jette une lueur profonde
Jusqu'au seuil de l'infini.

Cent carrefours se partagent
Ce chercheur sans point d'appui ;
Tous les problèmes étagent
Leurs sombres voûtes sur lui.

Il dissipe les ténèbres ;
Il montre dans le lointain
Les promontoires funèbres
De l'abîme et du destin.

Il fait voir les vagues marches
Du sépulcre, et sa clarté
Blanchit les premières arches
Du pont de l'éternité.

Sous l'effrayante caverne
Il rayonne, et l'horreur fuit.
Quelqu'un tient cette lanterne ;
Mais elle t'éclaire, ô nuit !

Le progrès est en litige
Entre l'homme et Jéhovah ;
La greffe ajoute à la tige ;
Dieu cacha, l'homme trouva.

De quelque nom qu'on la nomme,
La science au vaste voeu
Occupe le pied de l'homme
À faire les pas de Dieu.

La mer tient l'homme et l'isole,
Et l'égare **** du port ;
Par le doigt de la boussole
Il se fait montrer le nord.

Dans sa morne casemate,
Penn rend ce damné meilleur ;
Jenner dit : Va-t-en, stigmate !
Jackson dit : Va-t-en, douleur !

Dieu fait l'épi, nous la gerbe ;
Il est grand, l'homme est fécond ;
Dieu créa le premier verbe
Et Gutenberg le second.

La pesanteur, la distance,
Contre l'homme aux luttes prêt,
Prononcent une sentence ;
Montgolfier casse l'arrêt.

Tous les anciens maux tenaces,
Hurlant sous le ciel profond,
Ne sont plus que des menaces
De fantômes qui s'en vont.

Le tonnerre au bruit difforme
Gronde... - on raille sans péril
La marionnette énorme
Que Franklin tient par un fil.

Nemrod était une bête
Chassant aux hommes, parmi
La démence et la tempête
De l'ancien monde ennemi.

Dracon était un cerbère
Qui grince encor sous le ciel
Avec trois têtes : Tibère,
Caïphe et Machiavel.

Nemrod s'appelait la Force,
Dracon s'appelait la Loi ;
On les sentait sous l'écorce
Du vieux prêtre et du vieux roi.

Tous deux sont morts. Plus de haines !
Oh ! ce fut un puissant bruit
Quand se rompirent les chaînes
Qui liaient l'homme à la nuit !

L'homme est l'appareil austère
Du progrès mystérieux ;
Dieu fait par l'homme sur terre
Ce qu'il fait par l'ange aux cieux.

Dieu sur tous les êtres pose
Son reflet prodigieux,
Créant le bien par la chose,
Créant par l'homme le mieux.

La nature était terrible,
Sans pitié, presque sans jour ;
L'homme la vanne en son crible,
Et n'y laisse que l'amour.

Toutes sortes de lois sombres
Semblaient sortir du destin ;
Le mal heurtait aux décombres
Le pied de l'homme incertain.

Pendant qu'à travers l'espace
Elle roule en hésitant ;
Un flot de ténèbres passe
Sur la terre à chaque instant ;

Mais des foyers y flamboient,
Tout s'éclaircit, on le sent,
Et déjà les anges voient
Ce noir globe blanchissant.

Sous l'urne des jours sans nombre
Depuis qu'il suit son chemin,
La décroissance de l'ombre
Vient des yeux du genre humain.

L'autel n'ose plus proscrire ;
La misère est morte enfin ;
Pain à tous ! on voit sourire
Les sombres dents de la faim.

L'erreur tombe ; on l'évacue ;
Les dogmes sont muselés ;
La guerre est une vaincue ;
Joie aux fleurs et paix aux blés !

L'ignorance est terrassée ;
Ce monstre, à demi dormant,
Avait la nuit pour pensée
Et pour voix le bégaiement.

Oui, voici qu'enfin recule
L'affreux groupe des fléaux !
L'homme est l'invincible hercule,
Le balayeur du chaos.

Sa massue est la justice,
Sa colère est la bonté.
Le ciel s'appuie au solstice
Et l'homme à sa volonté.

Il veut. Tout cède et tout plie.
Il construit quand il détruit ;
Et sa science est remplie
Des lumières de la nuit.

Il enchaîne les désastres,
Il tord la rébellion,
Il est sublime ; et les astres
Sont sur sa peau de lion.
O altitudo !

Avez-vous quelquefois, calme et silencieux,
Monté sur la montagne, en présence des cieux ?
Était-ce aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ?
Aviez-vous l'océan au pied de la montagne ?
Et là, penché sur l'onde et sur l'immensité,
Calme et silencieux, avez-vous écouté ?

Voici ce qu'on entend : - du moins un jour qu'en rêve
Ma pensée abattit son vol sur une grève,
Et, du sommet d'un mont plongeant au gouffre amer,
Vit d'un côté la terre et de l'autre la mer,
J'écoutai, j'entendis, et jamais voix pareille
Ne sortit d'une bouche et n'émut une oreille.

Ce fut d'abord un bruit large, immense, confus,
Plus vague que le vent dans les arbres touffus,
Plein d'accords éclatants, de suaves murmures,
Doux comme un chant du soir, fort comme un choc d'armures
Quand la sourde mêlée étreint les escadrons
Et souffle, furieuse, aux bouches des clairons.
C'était une musique ineffable et profonde,
Qui, fluide, oscillait sans cesse autour du monde,
Et dans les vastes cieux, par ses flots rajeunis,
Roulait élargissant ses orbes infinis
Jusqu'au fond où son flux s'allait perdre dans l'ombre
Avec le temps, l'espace et la forme et le nombre !
Comme une autre atmosphère épars et débordé,
L'hymne éternel couvrait tout le globe inondé.
Le monde, enveloppé dans cette symphonie,
Comme il vogue dans l'air, voguait dans l'harmonie.

Et pensif, j'écoutais ces harpes de l'éther,
Perdu dans cette voix comme dans une mer.

Bientôt je distinguai, confuses et voilées,
Deux voix dans cette voix l'une à l'autre mêlées,
De la terre et des mers s'épanchant jusqu'au ciel,
Qui chantaient à la fois le chant universel ;
Et je les distinguai dans la rumeur profonde,
Comme on voit deux courants qui se croisent sous l'onde.

L'une venait des mers ; chant de gloire ! hymne heureux !
C'était la voix des flots qui se parlaient entre eux ;
L'autre, qui s'élevait de la terre où nous sommes,
Était triste : c'était le murmure des hommes ;
Et dans ce grand concert, qui chantait jour et nuit,
Chaque onde avait sa voix et chaque homme son bruit.

Or, comme je l'ai dit, l'océan magnifique
Épandait une voix joyeuse et pacifique,
Chantait comme la harpe aux temples de Sion,
Et louait la beauté de la création.
Sa clameur, qu'emportaient la brise et la rafale,
Incessamment vers Dieu montait plus triomphale,
Et chacun de ses flots, que Dieu seul peut dompter,
Quand l'autre avait fini, se levait pour chanter.
Comme ce grand lion dont Daniel fut l'hôte,
L'océan par moments abaissait sa voix haute ;
Et moi je croyais voir, vers le couchant en feu,
Sous sa crinière d'or passer la main de Dieu.

Cependant, à côté de l'auguste fanfare,
L'autre voix, comme un cri de coursier qui s'effare,
Comme le gond rouillé d'une porte d'enfer,
Comme l'archet d'airain sur la lyre de fer,
Grinçait ; et pleurs, et cris, l'injure, l'anathème,
Refus du viatique et refus du baptême,
Et malédiction, et blasphème, et clameur,
Dans le flot tournoyant de l'humaine rumeur
Passaient, comme le soir on voit dans les vallées
De noirs oiseaux de nuit qui s'en vont par volées.
Qu'était-ce que ce bruit dont mille échos vibraient ?
Hélas ! c'était la terre et l'homme qui pleuraient.

Frères ! de ces deux voix étranges, inouïes,
Sans cesse renaissant, sans cesse évanouies,
Qu'écoute l'Eternel durant l'éternité,
L'une disait : NATURE ! et l'autre : HUMANITÉ !

Alors je méditai ; car mon esprit fidèle,
Hélas ! n'avait jamais déployé plus grande aile ;
Dans mon ombre jamais n'avait lui tant de jour ;
Et je rêvai longtemps, contemplant tour à tour,
Après l'abîme obscur que me cachait la lame,
L'autre abîme sans fond qui s'ouvrait dans mon âme.
Et je me demandai pourquoi l'on est ici,
Quel peut être après tout le but de tout ceci,
Que fait l'âme, lequel vaut mieux d'être ou de vivre,
Et pourquoi le Seigneur, qui seul lit à son livre,
Mêle éternellement dans un fatal *****
Le chant de la nature au cri du genre humain ?

Juillet 1829.
Paul d'Aubin May 2014
Liberté Egalité Fraternité,  
le vrai Triptyque Républicain

En hommage à nos ancêtres qui surent être ambitieux et fonder un triptyque toujours primordial, jamais accompli ni vraiment réalisé.

LIBERTE !

Frêle comme doigts d’enfants,
Plus précieuse qu’un diamant,
Ton seul parfum nous enivre
Et comme, un bon vin, nous grise.
Tu es hymne à la vie
Qui fait lever des envies.
Tu suscite des passions,
Libère des émotions.
Tu fus conquise de haute lutte
Par nos ancêtres en tumulte.
Ils nous donnèrent pour mission

D’en multiplier les brandons.
A trop de Peuples, elle fait défaut.
Elle ne supporte aucun bâillon
Car si l’être vit bien de pain,
Il veut aussi choisir son chemin.
Si tous les pouvoirs la craignent,
Ma, si belle, tu charmes et envoute,
Mets les tyrans en déroute,
Sœur de Marianne la belle.

*
EGALITE !

Elle fut la devise d’Athènes,
Et révérée par les Romains.
Elle naquit en 89, avec la liberté du Peuple,
Est fille de Révolution.
Elle abolit les distinctions
Séparant les êtres sans raison.
Ouvre la voie à tous talents
Sans s’encombrer de parchemins.
C’est un alcool enivrant
Que l’égalité des droits.
C’est aussi une promesse
De secourir celui qui choit.
Si l’égalité fait tant peur,
C’est que son regard de lynx

Perce les supercheries
Et voit les hommes tels qu’ils sont.

FRATERNITE !

Elle coule, coule comme le miel,
Nectar de la ruche humaine.
Elle sait embellir nos vies,
Et faire reculer la grisaille,
Du calcul, froid et égoïste.
Dans la devise Républicaine
Elle tient la baguette de l’orchestre.
Comme un peintre inspiré, elle met,
Sur la toile, vive et vermillon.
Elle nous incite à l’humanisme.
Elle est petite fille de 89, fille de quarante –huit
Mais sut renaître en 68.
Elle est crainte par les puissants,
Qui n’ont jamais connu qu’argent,
C’est pourtant une essence rare.
Dans les temps durs, elle se cache,
Mais vient ouvrir la porte
Au Résistant pourchassé. Elle n’hésite pas aujourd’hui
À secourir un «sans papier»
Sa sœur est générosité.
Elle est la valeur suprême,
Qui rend possible le «vivre ensemble»
Et permet même au solitaire
De faire battre un cœur solidaire.
La fraternité reste la vraie conquête de l’humain.

Paul d’Aubin (Paul Arrighi) à Toulouse; France.
I


Que ces vallons déserts, que ces vastes prairies

Où j'allais promener mes tristes rêveries,

Que ces rivages frais, que ces bois, que ces champs,

Que tout prenne une voix et retrouve des chants

Et porte jusqu'au sein de Ta Toute Puissance

Un hymne de bonheur et de reconnaissance !

Celle, qui dans un chaste et pur embrassement,

A reçu mon amour et mon premier serment,

Celle à qui j'ai juré de consacrer ma vie

Par d'injustes parents m'avait été ravie ;

Ils avaient repoussé mes pleurs, et les ingrats

Avaient osé venir l'arracher de mes bras ;

Et jaloux de m'ôter la dernière espérance

Qui pût me soutenir et calmer ma souffrance,

Un message trompeur nous avait informés

Que sur un bord lointain ses yeux s'étaient fermés.

Celui qui fut aimé, celui qui put connaître

Ce bonheur enivrant de confondre son être,

De vivre dans un autre, et de ne plus avoir

Que son cœur pour sentir, et que ses yeux pour voir,

Celui-là pourra seul deviner et comprendre

Ce qu'une voix humaine est impuissante à rendre ;

Celui-là saura seul tout ce que peut souffrir

Un homme, et supporter de tourments sans mourir.

Mais la main qui sur moi s'était appesantie

Semble de mes malheurs s'être enfin repentie.

Leur cœur s'est attendri, soit qu'un pouvoir caché,

Que sais-je ? Ou que la voix du remords l'ait touché.

Celle que je pleurais, que je croyais perdue,

Elle vit ! elle vient ! et va m'être rendue !

Ne demandez donc plus, amis, pourquoi je veux

Qu'on mêle ces boutons de fleurs dans mes cheveux.

Non ! Je n'ai point souffert et mes douleurs passées

En cet heureux instant sont toutes effacées ;

Que sont tous mes malheurs, que sont tous mes ennuis.

Et ces rêves de deuil qui tourmentaient mes nuits ?

Et moi ! J'osais du ciel accuser la colère !

Je reconnais enfin sa bonté tutélaire.

Et je bénis ces maux d'un jour qui m'ont appris

Que mes yeux ne devaient la revoir qu'à ce prix !


II


Quel bonheur est le mien ! Pourtant - ces deux années

Changent bien des projets et bien des destinées ;

- Je ne puis me celer, à parler franchement,

Que ce retour me gêne un peu, dans ce moment.

Certes, le souvenir de notre amour passé

N'est pas un seul instant sorti de ma pensée ;

Mais enfin je ne sais comment cela s'est fait :

Invité cet hiver aux bals chez le préfet.

J'ai vu sa fille aînée, et par étourderie

Risqué de temps en temps quelque galanterie :

Je convins aux parents, et fus bientôt admis

Dans cette intimité qu'on réserve aux amis.

J'y venais tous les soirs, je faisais la lecture,

Je présentais la main pour monter en voiture ;

Dans nos réunions en petit comité,

Toujours près de la fille, assis à son côté.

Je me rendais utile à tout, j'étais son page.

Et quand elle chantait, je lui tournais la page.

Enfin, accoutumé chaque jour à la voir.

60 Que sais-je ? J'ai rendu, sans m'en apercevoir,

Et bien innocemment, des soins, que je soupçonne

N'être pas dédaignés de la jeune personne :

Si bien que je ne sais trop comment m'arranger :

On jase, et les parents pourront bien exiger

Que j'ôte ce prétexte à la rumeur publique,

Et, quelque beau matin, vouloir que je m'explique.

C'est ma faute, après tout, je me suis trop pressé,

Et, comme un débutant, je me suis avancé.

Mais, d'un autre côté, comment prévoir… ? N'importe,

Mes serments sont sacrés, et mon amour l'emporte,

J'irai demain trouver le père, et s'il vous plaît,-

Je lui raconterai la chose comme elle est.

- C'est bien ! - Mais que va-t-on penser, que va-t-on dire ?

Le monde est si méchant, et si prompt à médire !

- Je le brave ! et s'il faut, je verserai mon sang...

Oui : mais toujours est-il que c'est embarrassant.


III


Comme tout ici-bas se flétrit et s'altère,

Et comme les malheurs changent un caractère !

J'ai cherché vainement, et n'ai point retrouvé

Cette aimable candeur qui m'avait captivé.

Celle que j'avais vue autrefois si craintive.

Dont la voix résonnait si douce et si plaintive,

Hautaine, au parler bref, et parfois emporté,

A rejeté bien **** cette timidité.

A moi, qui n'ai vécu, n'ai souffert que pour elle.

Est-ce qu'elle n'a pas déjà cherché querelle ?

Jetant sur le passé des regards curieux,

Elle m'a demandé d'un air impérieux

Si, pendant tout ce temps que j'ai passé **** d'elle.

Mon cœur à sa mémoire était resté fidèle :

Et de quel droit, bon Dieu ? Nous n'étions point liés.

Et nous aurions très bien pu nous être oubliés !

J'avais juré, promis ! - Qu'est-ce que cela prouve ?

Tous les jours, en amour, on jure ; et lorsqu'on trouve

Quelque distraction, on laisse rarement

Perdre l'occasion de trahir son serment :

Il n'est pas défendu d'avoir un cœur sensible,

Et ce n'est point du "tout un crime irrémissible.

Et puis d'ailleurs, après ce que j'ai découvert.

Entre nous, soyons franc, parlons à cœur ouvert :

J'en avais fait mon deuil, et la pauvre exilée

S'est bien de son côté quelque peu consolée ;

Et si je persistais à demander sa main.

C'était par conscience, et par respect humain ;

Je m'étais étourdi. Mais elle a, la première.

Fait ouvrir, par bonheur, mes yeux à la lumière,

Et certes, j'aime mieux encore, à beaucoup près,

Qu'elle se soit ainsi montrée avant qu'après.

Car enfin, rien n'est fait, au moins, et le notaire

N'a point à nos serments prêté son ministère.

- Mais quels emportements ! quels pleurs ! car elle croit

Exiger une dette et réclamer un droit.

Or il faut en finir : quoi qu'elle dise ou fasse,

J'en ai pris mon parti ; j'irai lui dire en face,

- Quoi ? - Que son caractère est à n'y pas tenir.

- Elle avait bien besoin aussi de revenir !

Nous étions si bien tous, quand son humeur altière

Vint troubler le repos d'une famille entière !

On nous la disait morte ; et je croirais aussi

Qu'il vaudrait beaucoup mieux que cela fût ainsi.
Le roi brillant du jour, se couchant dans sa gloire,
Descend avec lenteur de son char de victoire.
Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux
Conserve en sillons d'or sa trace dans les cieux,
Et d'un reflet de pourpre inonde l'étendue.
Comme une lampe d'or, dans l'azur suspendue,
La lune se balance aux bords de l'horizon ;
Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon,
Et le voile des nuits sur les monts se déplie :
C'est l'heure où la nature, un moment recueillie,
Entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit,
S'élève au Créateur du jour et de la nuit,
Et semble offrir à Dieu, dans son brillant langage,
De la création le magnifique hommage.
Voilà le sacrifice immense, universel !
L'univers est le temple, et la terre est l'autel ;
Les cieux en sont le dôme : et ces astres sans nombre,
Ces feux demi-voilés, pâle ornement de l'ombre,
Dans la voûte d'azur avec ordre semés,
Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés :
Et ces nuages purs qu'un jour mourant colore,
Et qu'un souffle léger, du couchant à l'aurore,
Dans les plaines de l'air, repliant mollement,
Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament,
Sont les flots de l'encens qui monte et s'évapore
Jusqu'au trône du Dieu que la nature adore.
Mais ce temple est sans voix. Où sont les saints concerts ?
D'où s'élèvera l'hymne au roi de l'univers ?
Tout se tait : mon coeur seul parle dans ce silence.
La voix de l'univers, c'est mon intelligence.
Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent,
Elle s'élève à Dieu comme un parfum vivant ;
Et, donnant un langage à toute créature,
Prête pour l'adorer mon âme à la nature.
Seul, invoquant ici son regard paternel,
Je remplis le désert du nom de I'Eternel ;
Et celui qui, du sein de sa gloire infinie,
Des sphères qu'il ordonne écoute l'harmonie,
Ecoute aussi la voix de mon humble raison,
Qui contemple sa gloire et murmure son nom.
Salut, principe et fin de toi-même et du monde,
Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde ;
Ame de l'univers, Dieu, père, créateur,
Sous tous ces noms divers je crois en toi, Seigneur ;
Et, sans avoir besoin d'entendre ta parole,
Je lis au front des cieux mon glorieux symbole.
L'étendue à mes yeux révèle ta grandeur,
La terre ta bonté, les astres ta splendeur.
Tu t'es produit toi-même en ton brillant ouvrage ;
L'univers tout entier réfléchit ton image,
Et mon âme à son tour réfléchit l'univers.
Ma pensée, embrassant tes attributs divers,
Partout autour de soi te découvre et t'adore,
Se contemple soi-même et t'y découvre encore
Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux,
Se réfléchit dans l'onde et se peint à mes yeux.
C'est peu de croire en toi, bonté, beauté suprême ;
Je te cherche partout, j'aspire à toi, je t'aime ;
Mon âme est un rayon de lumière et d'amour
Qui, du foyer divin, détaché pour un jour,
De désirs dévorants **** de toi consumée,
Brûle de remonter à sa source enflammée.
Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi.
Ce monde qui te cache est transparent pour moi ;
C'est toi que je découvre au fond de la nature,
C'est toi que je bénis dans toute créature.
Pour m'approcher de toi, j'ai fui dans ces déserts ;
Là, quand l'aube, agitant son voile dans les airs,
Entr'ouvre l'horizon qu'un jour naissant colore,
Et sème sur les monts les perles de l'aurore,
Pour moi c'est ton regard qui, du divin séjour,
S'entr'ouvre sur le monde et lui répand le jour :
Quand l'astre à son midi, suspendant sa carrière,
M'inonde de chaleur, de vie et de lumière,
Dans ses puissants rayons, qui raniment mes sens,
Seigneur, c'est ta vertu, ton souffle que je sens ;
Et quand la nuit, guidant son cortège d'étoiles,
Sur le monde endormi jette ses sombres voiles,
Seul, au sein du désert et de l'obscurité,
Méditant de la nuit la douce majesté,
Enveloppé de calme, et d'ombre, et de silence,
Mon âme, de plus près, adore ta présence ;
D'un jour intérieur je me sens éclairer,
Et j'entends une voix qui me dit d'espérer.
Oui, j'espère, Seigneur, en ta magnificence :
Partout à pleines mains prodiguant l'existence,
Tu n'auras pas borné le nombre de mes jours
A ces jours d'ici-bas, si troublés et si courts.
Je te vois en tous lieux conserver et produire ;
Celui qui peut créer dédaigne de détruire.
Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté
J'attends le jour sans fin de l'immortalité.
La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres,
Ma raison voit le jour à travers ces ténèbres.
C'est le dernier degré qui m'approche de toi,
C'est le voile qui tombe entre ta face et moi.
Hâte pour moi, Seigneur, ce moment que j'implore ;
Ou, si, dans tes secrets tu le retiens encore,
Entends du haut du ciel le cri de mes besoins ;
L'atome et l'univers sont l'objet de tes soins,
Des dons de ta bonté soutiens mon indigence,
Nourris mon corps de pain, mon âme d'espérance ;
Réchauffe d'un regard de tes yeux tout-puissants
Mon esprit éclipsé par l'ombre de mes sens
Et, comme le soleil aspire la rosée,
Dans ton sein, à jamais, absorbe ma pensée.
Le jour s'éteint sur tes collines,
Ô terre où languissent mes pas !
Quand pourrez-vous, mes yeux, quand pourrez-vous, hélas !
Saluer les splendeurs divines
Du jour qui ne s'éteindra pas ?

Sont-ils ouverts pour les ténèbres,
Ces regards altérés du jour ?
De son éclat, ô Nuit ! à tes ombres funèbres
Pourquoi passent-ils tour à tour ?

Mon âme n'est point lasse encore
D'admirer l'œuvre du Seigneur ;
Les élans enflammés de ce sein qui l'adore
N'avaient pas épuisé mon cœur !

Dieu du jour ! Dieu des nuits ! Dieu de toutes les heures !
Laisse-moi m'envoler sur les feux du soleil !
Où va vers l'occident ce nuage vermeil ?
Il va voiler le seuil de tes saintes demeures
Où l'œil ne connaît plus la nuit ni le sommeil !

Cependant ils sont beaux à l'œil de l'espérance,
Ces champs du firmament ombragés par la nuit ;
Mon Dieu ! dans ces déserts mon œil retrouve et suit
Les miracles de ta présence !
Ces chœurs étincelants que ton doigt seul conduit,
Ces océans d'azur où leur foule s'élance,
Ces fanaux allumés de distance en distance,
Cet astre qui paraît, cet astre qui s'enfuit,
Je les comprends, Seigneur ! tout chante, tout m'instruit
Que l'abîme est comblé par ta magnificence,
Que les cieux sont vivants, et que ta providence
Remplit de sa vertu tout ce qu'elle a produit !
Ces flots d'or, d'azur, de lumière,
Ces mondes nébuleux que l'œil ne compte pas,
Ô mon Dieu, c'est la poussière
Qui s'élève sous tes pas !

Ô Nuits, déroulez en silence
Les pages du livre des cieux ;
Astres, gravitez en cadence
Dans vos sentiers harmonieux ;
Durant ces heures solennelles,
Aquilons, repliez vos ailes,
Terre, assoupissez vos échos ;
Étends tes vagues sur les plages,
Ô mer ! et berce les images
Du Dieu qui t'a donné tes flots.

Savez-vous son nom ? La nature
Réunit en vain ses cent voix,
L'étoile à l'étoile murmure
Quel Dieu nous imposa nos lois ?
La vague à la vague demande
Quel est celui qui nous gourmande ?
La foudre dit à l'aquilon :
Sais-tu comment ton Dieu se nomme ?
Mais les astres, la terre et l'homme
Ne peuvent achever son nom.

Que tes temples, Seigneur, sont étroits pour mon âme !
Tombez, murs impuissants, tombez !  
Laissez-moi voir ce ciel que vous me dérobez !
Architecte divin, tes dômes sont de flamme !
Que tes temples, Seigneur, sont étroits pour mon âme !
Tombez, murs impuissants, tombez !

Voilà le temple où tu résides !
Sous la voûte du firmament
Tu ranimes ces feux rapides
Par leur éternel mouvement !
Tous ces enfants de ta parole,
Balancés sur leur double pôle,
Nagent au sein de tes clartés,
Et des cieux où leurs feux pâlissent
Sur notre globe ils réfléchissent
Des feux à toi-même empruntés !

L'Océan se joue
Aux pieds de son Roi ;
L'aquilon secoue
Ses ailes d'effroi ;
La foudre te loue
Et combat pour toi ;
L'éclair, la tempête,
Couronnent ta tête
D'un triple rayon ;
L'aurore t'admire,
Le jour te respire,
La nuit te soupire,
Et la terre expire
D'amour à ton nom !

Et moi, pour te louer, Dieu des soleils, qui suis-je ?
Atome dans l'immensité,
Minute dans l'éternité,
Ombre qui passe et qui n'a plus été,
Peux-tu m'entendre sans prodige ?
Ah ! le prodige est ta bonté !

Je ne suis rien, Seigneur, mais ta soif me dévore ;
L'homme est néant, mon Dieu, mais ce néant t'adore,
Il s'élève par son amour ;
Tu ne peux mépriser l'insecte qui t'honore,
Tu ne peux repousser cette voix qui t'implore,
Et qui vers ton divin séjour,
Quand l'ombre s'évapore,
S'élève avec l'aurore,
Le soir gémit encore,
Renaît avec le jour.

Oui, dans ces champs d'azur que ta splendeur inonde,
Où ton tonnerre gronde,
Où tu veilles sur moi,
Ces accents, ces soupirs animés par la foi,
Vont chercher, d'astre en astre, un Dieu qui me réponde,
Et d'échos en échos, comme des voix sur l'onde,
Roulant de monde en monde
Retentir jusqu'à toi.

Florence, le 9 mars 1826.
Ô toi qui dans mon âme vibres,
Ô mon cher esprit familier,
Les espaces sont clairs et libres ;
J'y consens, défais ton collier,

Mêle les dieux, confonds les styles,
Accouple au poean les agnus ;
Fais dans les grands cloîtres hostiles
Danser les nymphes aux seins nus.

Sois de France, sois de Corinthe,
Réveille au bruit de ton clairon
Pégase fourbu qu'on éreinte
Au vieux coche de Campistron.

Tresse l'acanthe et la liane ;
Grise l'augure avec l'abbé ;
Que David contemple Diane,
Qu'Actéon guette Bethsabé.

Du nez de Minerve indignée
Au crâne chauve de saint Paul
Suspends la toile d'araignée
Qui prendra les rimes au vol.

Fais rire Marion courbée
Sur les oegipans ahuris.
Cours, saute, emmène Alphésibée
Souper au Café de Paris.

Sois ***, hardi, glouton, vorace ;
Flâne, aime ; sois assez coquin
Pour rencontrer parfois Horace
Et toujours éviter Berquin.

Peins le nu d'après l'Homme antique,
Païen et biblique à la fois,
Constate la pose plastique
D'Ève ou de Rhée au fond des bois.

Des amours observe la mue.
Défais ce que les pédants font,
Et, penché sur l'étang, remue
L'art poétique jusqu'au fond.

Trouble La Harpe, ce coq d'Inde,
Et Boileau, dans leurs sanhédrins ;
Saccage tout ; jonche le Pinde
De césures d'alexandrins.

Prends l'abeille pour soeur jumelle ;
Aie, ô rôdeur du frais vallon,
Un alvéole à miel, comme elle,
Et, comme elle, un brave aiguillon.

Plante là toute rhétorique,
Mais au vieux bon sens fais écho ;
Monte en croupe sur la bourrique,
Si l'ânier s'appelle Sancho.

Qu'Argenteuil soit ton Pausilippe.
Sois un peu diable, et point démon,
Joue, et pour Fanfan la Tulipe
Quitte Ajax fils de Télamon.

Invente une églogue lyrique
Prenant terre au bois de Meudon,
Où le vers danse une pyrrhique
Qui dégénère en rigodon.

Si Loque, Coche, Graille et Chiffe
Dans Versailles viennent à toi,
Présente galamment la griffe
À ces quatre filles de roi.

Si Junon s'offre, fais ta tâche ;
Fête Aspasie, admets Ninon ;
Si Goton vient, sois assez lâche
Pour rire et ne pas dire : Non.

Sois le chérubin et l'éphèbe.
Que ton chant libre et disant tout
Vole, et de la lyre de Thèbe
Aille au mirliton de Saint-Cloud.

Qu'en ton livre, comme au bocage,
On entende un hymne, et jamais
Un bruit d'ailes dans une cage !
Rien des bas-fonds, tout des sommets !

Fais ce que tu voudras, qu'importe !
Pourvu que le vrai soit content ;
Pourvu que l'alouette sorte
Parfois de ta strophe en chantant ;

Pourvu que Paris où tu soupes
N'ôte rien à ton naturel ;
Que les déesses dans tes groupes
Gardent une lueur du ciel ;

Pourvu que la luzerne pousse
Dans ton idylle, et que Vénus
Y trouve une épaisseur de mousse
Suffisante pour ses pieds nus ;

Pourvu que Grimod la Reynière
Signale à Brillat-Savarin
Une senteur de cressonnière
Mêlée à ton hymne serein ;

Pourvu qu'en ton poème tremble
L'azur réel des claires eaux ;
Pourvu que le brin d'herbe semble
Bon au nid des petits oiseaux ;

Pourvu que Psyché soit baisée
Par ton souffle aux cieux réchauffé ;
Pourvu qu'on sente la rosée
Dans ton vers qui boit du café.
Amour qui voles dans les nues,
Baisers blancs, fuyant sur l'azur,
Et qui palpites dans les mues,
Au nid sourd des forêts émues ;

Qui cours aux fentes des vieux murs,
Dans la mer qui de joie écume,
Au flanc des navires, et sur
Les grandes voiles de lin pur ;

Amour sommeillant sur la plume
Des aigles et des traversins,
Que clame la sibylle à Cume,
Amour qui chantes sur l'enclume ;

Amour qui rêves sur les seins
De Lucrèce et de Messaline,
Noir dans les yeux des assassins,
Rouge aux lèvres des spadassins ;

Amour riant à la babine
Des dogues noirs et des taureaux,
Au bout de la patte féline
Et de la rime féminine ;

Amour qu'on noie au fond des brocs
Ou qu'on reporte sur la lune,
Cher aux galons des caporaux,
Doux aux guenilles des marauds ;

Aveugle qui suis la fortune,
Menteur naïf dont les leçons
Enflamment, dans l'ombre opportune,
L'oreille rose de la brune ;

Amour bu par les nourrissons
Aux boutons sombres des Normandes ;
Amour des ducs et des maçons,
Vieil amour des jeunes chansons ;

Amour qui pleures sur les brandes
Avec l'angélus du matin,
Sur les steppes et sur les landes
Et sur les polders des Hollandes ;

Amour qui voles du hautain
Et froid sourire des poètes
Aux yeux des filles dont le teint
Semble de fleur et de satin ;

Qui vas, sous le ciel des prophètes,
Du chêne biblique au palmier,
De la reine aux anachorètes,
Du coeur de l'homme au coeur des bêtes ;

De la tourterelle au ramier,
Du valet à la demoiselle,
Des doigts du chimiste à l'herbier,
De la prière au bénitier ;

Du prêtre à l'hérétique belle,
D'Abel à Caïn réprouvé ;
Amour, tu mêles sous ton aile
Toute la vie universelle !

Mais, ô vous qui m'avez trouvé,
Moi, pauvre pécheur que Dieu pousse
Diseur de Pater et d'Ave,
Sans oreiller que le pavé,

Votre présence me soit douce.
Ô champs paternels hérissés de charmilles
Où glissent le soir des flots de jeunes filles !

Ô frais pâturage où de limpides eaux
Font bondir la chèvre et chanter les roseaux !

Ô terre natale ! à votre nom que j'aime,
Mon âme s'en va toute hors d'elle-même ;

Mon âme se prend à chanter sans effort ;
À pleurer aussi, tant mon amour est fort !

J'ai vécu d'aimer, j'ai donc vécu de larmes ;
Et voilà pourquoi mes pleurs eurent leurs charmes ;

Voilà, mon pays, n'en ayant pu mourir,
Pourquoi j'aime encore au risque de souffrir ;

Voilà, mon berceau, ma colline enchantée
Dont j'ai tant foulé la robe veloutée,

Pourquoi je m'envole à vos bleus horizons,
Rasant les flots d'or des pliantes moissons.

La vache mugit sur votre pente douce,
Tant elle a d'herbage et d'odorante mousse,

Et comme au repos appelant le passant,
Le suit d'un regard humide et caressant.

Jamais les bergers pour leurs brebis errantes
N'ont trouvé tant d'eau qu'à vos sources courantes.

J'y rampai débile en mes plus jeunes mois,
Et je devins rose au souffle de vos bois.

Les bruns laboureurs m'asseyaient dans la plaine
Où les blés nouveaux nourrissaient mon haleine.

Albertine aussi, sœur des blancs papillons,
Poursuivait les fleurs dans les mêmes sillons ;

Car la liberté toute riante et mûre
Est là, comme aux cieux, sans glaive, sans armure,

Sans peur, sans audace et sans austérité,
Disant : « Aimez-moi, je suis la liberté !

« Je suis le pardon qui dissout la colère,
Et je donne à l'homme une voix juste et claire.

« Je suis le grand souffle exhalé sur la croix
Où j'ai dit : « Mon père ! on m'immole, et je crois ! »

« Le bourreau m'étreint : je l'aime ! et l'aime encore,
Car il est mon frère, ô père que j'adore !

« Mon frère aveuglé qui s'est jeté sur moi,
Et que mon amour ramènera vers toi ! »

Ô patrie absente ! ô fécondes campagnes,
Où vinrent s'asseoir les ferventes Espagnes !

Antiques noyers, vrais maîtres de ces lieux,
Qui versez tant d'ombre où dorment nos aïeux !

Échos tout vibrants de la voix de mon père
Qui chantaient pour tous : « Espère ! espère ! espère ! »

Ce chant apporté par des soldats pieux
Ardents à planter tant de croix sous nos cieux,

Tant de hauts clochers remplis d'airain sonore
Dont les carillons les rappellent encore :

Je vous enverrai ma vive et blonde enfant
Qui rit quand elle a ses longs cheveux au vent.

Parmi les enfants nés à votre mamelle,
Vous n'en avez pas qui soit si charmant qu'elle !

Un vieillard a dit en regardant ses yeux :
« Il faut que sa mère ait vu ce rêve aux cieux ! »

En la soulevant par ses blanches aisselles
J'ai cru bien souvent que j'y sentais des ailes !

Ce fruit de mon âme, à cultiver si doux,
S'il faut le céder, ce ne sera qu'à vous !

Du lait qui vous vient d'une source divine
Gonflez le cœur pur de cette frêle ondine.

Le lait jaillissant d'un sol vierge et fleuri
Lui paiera le mien qui fut triste et tari.

Pour voiler son front qu'une flamme environne
Ouvrez vos bluets en signe de couronne :

Des pieds si petits n'écrasent pas les fleurs,
Et son innocence a toutes leurs couleurs.

Un soir, près de l'eau, des femmes l'ont bénie,
Et mon cœur profond soupira d'harmonie.

Dans ce cœur penché vers son jeune avenir
Votre nom tinta, prophète souvenir,

Et j'ai répondu de ma voix toute pleine
Au souffle embaumé de votre errante haleine.

Vers vos nids chanteurs laissez-la donc aller :
L'enfant sait déjà qu'ils naissent pour voler.

Déjà son esprit, prenant goût au silence,
Monte où sans appui l'alouette s'élance,

Et s'isole et nage au fond du lac d'azur
Et puis redescend le gosier plein d'air pur.

Que de l'oiseau gris l'hymne haute et pieuse
Rende à tout jamais son âme harmonieuse ;

Que vos ruisseaux clairs, dont les bruits m'ont parlé,
Humectent sa voix d'un long rythme perlé !

Avant de gagner sa couche de fougère,
Laissez-la courir, curieuse et légère,

Au bois où la lune épanche ses lueurs
Dans l'arbre qui tremble inondé de ses pleurs,

Afin qu'en dormant sous vos images vertes
Ses grâces d'enfant en soient toutes couvertes.

Des rideaux mouvants la chaste profondeur
Maintiendra l'air pur alentour de son cœur,

Et, s'il n'est plus là, pour jouer avec elle,
De jeune Albertine à sa trace fidèle,

Vis-à-vis les fleurs qu'un rien fait tressaillir
Elle ira danser, sans jamais les cueillir,

Croyant que les fleurs ont aussi leurs familles
Et savent pleurer comme les jeunes filles.

Sans piquer son front, vos abeilles là-bas
L'instruiront, rêveuse, à mesurer ses pas ;

Car l'insecte armé d'une sourde cymbale
Donne à la pensée une césure égale.

Ainsi s'en ira, calme et libre et content,
Ce filet d'eau vive au bonheur qui l'attend ;

Et d'un chêne creux la Madone oubliée
La regardera dans l'herbe agenouillée.

Quand je la berçais, doux poids de mes genoux,
Mon chant, mes baisers, tout lui parlait de vous ;

Ô champs paternels, hérissés de charmilles
Où glissent le soir des flots de jeunes filles.

Que ma fille monte à vos flancs ronds et verts,
Et soyez béni, doux point de l'Univers !
Ô père qu'adore mon père !
Toi qu'on ne nomme qu'à genoux !
Toi, dont le nom terrible et doux
Fait courber le front de ma mère !

On dit que ce brillant soleil
N'est qu'un jouet de ta puissance ;
Que sous tes pieds il se balance
Comme une lampe de vermeil.

On dit que c'est toi qui fais naître
Les petits oiseaux dans les champs,
Et qui donne aux petits enfants
Une âme aussi pour te connaître !

On dit que c'est toi qui produis
Les fleurs dont le jardin se pare,
Et que, sans toi, toujours avare,
Le verger n'aurait point de fruits.

Aux dons que ta bonté mesure
Tout l'univers est convié ;
Nul insecte n'est oublié
À ce festin de la nature.

L'agneau broute le serpolet,
La chèvre s'attache au cytise,
La mouche au bord du vase puise
Les blanches gouttes de mon lait !

L'alouette a la graine amère
Que laisse envoler le glaneur,
Le passereau suit le vanneur,
Et l'enfant s'attache à sa mère.

Et, pour obtenir chaque don,
Que chaque jour tu fais éclore,
À midi, le soir, à l'aurore,
Que faut-il ? prononcer ton nom !

Ô Dieu ! ma bouche balbutie
Ce nom des anges redouté.
Un enfant même est écouté
Dans le choeur qui te glorifie !

On dit qu'il aime à recevoir
Les voeux présentés par l'enfance,
À cause de cette innocence
Que nous avons sans le savoir.

On dit que leurs humbles louanges
A son oreille montent mieux,
Que les anges peuplent les cieux,
Et que nous ressemblons aux anges !

Ah ! puisqu'il entend de si ****
Les voeux que notre bouche adresse,
Je veux lui demander sans cesse
Ce dont les autres ont besoin.

Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux,
Et la laine aux petits agneaux,
Et l'ombre et la rosée aux plaines.

Donne au malade la santé,
Au mendiant le pain qu'il pleure,
À l'orphelin une demeure,
Au prisonnier la liberté.

Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur,
Donne à moi sagesse et bonheur,
Pour que ma mère soit heureuse !

Que je sois bon, quoique petit,
Comme cet enfant dans le temple,
Que chaque matin je contemple,
Souriant au pied de mon lit.

Mets dans mon âme la justice,
Sur mes lèvres la vérité,
Qu'avec crainte et docilité
Ta parole en mon coeur mûrisse !

Et que ma voix s'élève à toi
Comme cette douce fumée
Que balance l'urne embaumée
Dans la main d'enfants comme moi !
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

- Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !

II

Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son cors Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

III

Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !

- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.

Ô ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...

IV

Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens  
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur,
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire,
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !

Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au **** dans une longue extase...
C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini !

Le 29 avril 1870.
I bequeath thy fragmented hymne
would thee not embrace within?
quiet thy head be
in such a wrong time to see.
we see, we see, we see
but what we hear is not what we be
Vague but true I am
to tell you the world is nothing but a pea
space is infinite so they say
but how can we say?
for no one knows how to win...
don't say, know.
for one day you may scrape your shin
Dieu fit votre corps noble et votre âme charmante.
Le corps sort de la terre et l'âme aspire aux cieux ;
L'un est un amoureux et l'autre est une amante.

Dans la paix d'un jardin vaste et délicieux,
Dieu souffla dans un peu de boue un peu de flamme,
Et le corps s'en alla sur ses pieds gracieux.

Et ce souffle enchantait le corps, et c'était l'âme
Qui, mêlée à l'amour des bêtes et des bois,
Chez l'homme adorait Dieu que contemplait la femme.

L'âme rit dans les yeux et vole avec la voix,
Et l'âme ne meurt pas, mais le corps ressuscite,
Sortant du limon noir une seconde fois.

Dieu fit suave et beau votre corps immortel :
Les jambes sont les deux colonnes de ce temple,
Les genoux sont la chaise et le buste est l'autel.

Et la ligne du torse, à son sommet plus ample,
Comme aux flancs purs de vase antique, rêve et court
Dans l'ordre harmonieux dont la lyre est l'exemple.

Pendant qu'un hymne à Dieu, dans un battement court,
Comme au coeur de la lyre une éternelle phrase,
Chante aux cordes du coeur mélodieux et sourd.

Des épaules, planant comme les bords du vase,
La tête émerge, et c'est une adorable fleur
Noyée en une longue et lumineuse extase.

Si l'âme est un oiseau, le corps est l'oiseleur.
Le regard brûle au fond des yeux qui sont des lampes
Où chaque larme douce est l'huile de douleur.

La mesure du temps tinte aux cloisons des tempes ;
Et les bras longs aux mains montant au firmament
Ont charitablement la sûreté des rampes.

Le coeur s'embrase et fond dans leur embrasement,
Comme sous les pressoirs fond le fruit de la vigne,
Et sur les bras croisés vit le recueillement.

Ni les béliers frisés ni les plumes de cygne,
Ni la crinière en feu des crieurs de la faim
N'effacent ta splendeur, ô chevelure insigne,

Faite avec l'azur noir de la nuit, ou l'or fin
De l'aurore, et sur qui nage un parfum farouche,
Où la femme endort l'homme en une mer sans fin.

Rossignol vif et clair, grave et sonore mouche
Frémis ou chante au bord des lèvres, douce voix !
Douce gloire du rire, épanouis la bouche !

Chaque chose du corps est soumise à tes lois,
Dieu grand, qui fais tourner la terre sous ton geste,
Dans la succession régulière des mois.

Tes lois sont la santé de ce compagnon leste
De l'âme, ainsi qu'un rythme est l'amour de ses pas,
Mais l'âme solitaire est joyeuse où Dieu reste.

La souffrance du corps s'éteint dans le trépas,
Mais la douleur de l'âme est l'océan sans borne ;
Et ce sont deux présents que l'on estime pas.

Oh ! ne négligez pas votre âme ! L'âme est morne
Que l'on néglige, et va s'effaçant, comme au jour
Qui monte le croissant voit s'effacer sa corne.

Et le corps, pour lequel l'âme n'a pas d'amour,
Dans la laideur, que Dieu condamne, s'étiole,
Comme un fou relégué dans le fond d'une cour.

La grâce de votre âme éclôt dans la parole,
Et l'autre dans le geste, aimant les frais essors,
Au vêtement léger comme une âme qui vole.

Sachez aimer votre âme en aimant votre corps,
Cherchez l'eau musicale aux bains de marbre pâle,
Et l'onde du génie au coeur des hommes forts.

Mêlez vos membres lourds de fatigue, où le hâle
De la vie imprima son baiser furieux,
Au gémissement frais que la Naïade exhale ;

Afin qu'au jour prochain votre corps glorieux,
Plus léger que celui des Mercures fidèles,
Monte à travers l'azur du ciel victorieux.

Dans l'onde du génie, aux sources sûres d'elles,
Plongez votre âme à nu, comme les bons nageurs,
Pour qu'elle en sorte avec la foi donneuse d'ailes !

Dans la nuit, vers une aube aux divines rougeurs,
Marchez par le sentier de la bonne habitude,
Soyez de patients et graves voyageurs.

Que cette jeune soeur charmante de l'étude
Et du travail tranquille et ***, la Chasteté,
Parfume vos discours et votre solitude.

La pâture de l'âme est toute vérité ;
Le corps, content de peu, cueille une nourriture
Dans le baiser mystique où règne la beauté.

Puisque Dieu répandit l'homme dans la nature,
Sachez l'aimer en vous, et d'abord soyez doux
A vous-mêmes, et doux à toute créature.

Si vous ne vous aimez en Dieu, vous aimez-vous ?
Ils vont sans trêve ; ils vont sous le ciel bas et sombre,
Les Fugitifs, chassés des anciens paradis ;
Et toute la tribu, depuis des jours sans nombre,
Dans leur sillon fatal traîne ses pieds roidis.

Ils vont, les derniers-nés des races primitives,
Les derniers dont les yeux, sur les divins sommets,
Dans les herbes en fleur ont vu fuir les Eaux vives
Et grandir un Soleil, oublié désormais.

Tout est mort et flétri sur les plateaux sublimes
Où l'aurore du monde a lui pour leurs aïeux ;
Et voici que les fils, à l'étroit sur les cimes,
Vers l'Occident nocturne ont cherché d'autres cieux.

Ils ont fui. Le vent souffle et pousse dans l'espace
La neige inépuisable en tourbillons gonflés ;
Un hiver éternel suspend, en blocs de glace,
De rigides torrents aux flancs des monts gelés.

Des amas de rochers, blancs d'une lourde écume,
Témoins rugueux d'un monde informe et surhumain.
Visqueux, lavés de pluie et noyés dans la brume,
De leurs blocs convulsés ferment l'âpre chemin.

Des forêts d'arbres morts, tordus par les tempêtes,
S'étendent ; et le cri des voraces oiseaux,
Près de grands lacs boueux, répond au cri des bêtes
Qui râlent en glissant sur l'épaisseur des eaux.

Mais l'immense tribu, par les sentiers plus rudes,
Par les ravins fangeux où s'engouffre le vent,
Comme un troupeau perdu, s'enfonce aux solitudes,
Sans hâte, sans relâche et toujours plus avant.

En tête, interrogeant l'ombre de leurs yeux ternes,
Marchent les durs chasseurs, les géants et les forts,
Plus monstrueux que l'ours qu'au seuil de leurs cavernes
Ils étouffaient naguère en luttant corps à corps.

Leurs longs cheveux, pareils aux lianes farouches,
En lanières tombaient de leurs crânes étroits,
Tandis qu'en se figeant l'haleine de leurs bouchés
Hérissait de glaçons leurs barbes aux poils droits.

Les uns, ceints de roseaux tressés ou d'herbes sèches,
Aux rafales de grêle offraient leurs larges flancs ;
D'autres, autour du col attachant des peaux fraîches,
D'un manteau ******* couvraient leurs reins sanglants.

Et les femmes marchaient, lentes, mornes, livides,
Haletant et pliant sous les doubles fardeaux
Des blêmes nourrissons pendus à leurs seins vides
Et des petits enfants attachés sur leur dos.

En arrière, portés sur des branches unies,
De grands vieillards muets songeaient aux jours lointains
Et, soulevant parfois leurs paupières ternies,
Vers l'horizon perdu tournaient des yeux éteints.

Ils allaient. Mais soudain, quand la nuit dans, l'espace
Roulait, avec la peur, l'obscurité sans fin,
La tribu tout entière, épuisée et trop lasse,
Multipliait le cri terrible de sa faim.

Les chasseurs ont hier suivi des pistes fausses ;
Le renne prisonnier a rompu ses liens ;
L'ours défiant n'a pas trébuché dans les fosses ;
Le cerf n'est pas tombé sous les crocs blancs des chiens.

Le sol ne livre plus ni germes ni racines,
Le poisson se dérobe aux marais submergés ;
Rien, ni les acres fruits ni le flux des résines,
Ni la moelle épaisse au creux des os rongés.

Et voici qu'appuyés sur des haches de pierre,
Les mâles, dans l'horreur d'un songe inassouvi,
Ont compté tous les morts dont la chair nourricière
Fut le festin des loups, sur le chemin suivi.

Voici la proie humaine, offerte à leur délire,
Vieillards, femmes, enfants, les faibles, autour d'eux
Vautrés dans leur sommeil stupide, sans voir luire
Les yeux des carnassiers en un cercle hideux.

Les haches ont volé. Devant les corps inertes,
Dans la pourpre qui bout et coule en noirs ruisseaux,
Les meurtriers, fouillant les poitrines ouvertes,
Mangent les cœurs tout vifs, arrachés par morceaux.

Et tous, repus, souillés d'un sang qui fume encore,
Parmi les os blanchis épars sur le sol nu,
Aux blafardes lueurs de la nouvelle aurore,
Marchent, silencieux, vers le but inconnu.

Telle, de siècle en siècle incessamment errante,
Sur la neige durcie et le désert glacé
Ne laissant même pas sa trace indifférente,
La tribu, sans espoir et sans rêve, a passé.

Tels, les Fils de l'Exil, suivant le bord des fleuves
Dont les vallons emplis traçaient le large cours,
Sauvages conquérants des solitudes neuves,
Ont avancé, souffert et pullulé toujours ;

Jusqu'à l'heure où, du sein des vapeurs méphitiques,
Dont le rideau flottant se déchira soudain,
Une terre, pareille aux demeures antiques,
A leurs yeux éblouis fleurit comme un jardin.

Devant eux s'étalait calme, immense et superbe,
Comme un tapis changeant au pied des monts jeté,
Un pays, vierge encore, où, mugissant dans l'herbe,
Des vaches au poil blanc paissaient en liberté.

Et sous les palmiers verts, parmi les fleurs nouvelles,
Les étalons puissants, les cerfs aux pieds légers
Et les troupeaux épars des fuyantes gazelles
Écoutaient sans effroi les pas des étrangers.

C'était là. Le Destin, dans l'aube qui se lève,
Au terme de l'Exil ressuscitait pour eux,
Comme un réveil tardif après un sombre rêve,
Le vivant souvenir des siècles bienheureux.

La Vie a rejailli de la source féconde,
Et toute soif s'abreuve à son flot fortuné,
Et le désert se peuple et toute chair abonde,
Et l'homme pacifique est comme un nouveau-né.

Il revoit le Soleil, l'immortelle Lumière,
Et le ciel où, témoins des clémentes saisons,
Des astres reconnus, à l'heure coutumière,
Montent, comme autrefois, sur les vieux horizons.

Et plus ****, par delà le sable monotone,
Il voit irradier, comme un profond miroir,
L'étincelante mer dont l'infini frissonne
Quand le Soleil descend dans la rougeur du soir.

Et le Ciel sans limite et la Nature immense,
Les eaux, les bois, les monts, tout s'anime à ses yeux.
Moins aveugle et moins sourd, un univers commence
Où son cœur inquiet sent palpiter des Dieux.

Ils naissent du chaos où s'ébauchaient leurs formes,
Multiples et sans noms, l'un par l'autre engendrés ;
Et le reflet sanglant de leurs ombres énormes
D'une terreur barbare emplit les temps sacrés.

Ils parlent dans l'orage ; ils pleurent dans l'averse.
Leur bras libérateur darde et brandit l'éclair,
Comme un glaive strident qui poursuit et transperce
Les monstres nuageux accumulés dans l'air.

Sur l'abîme éternel des eaux primordiales
Nagent des Dieux prudents, tels que de grands poissons ;
D'infaillibles Esprits peuplent les nuits astrales ;
Des serpents inspirés sifflent dans les buissons.

Puis, lorsque surgissant comme un roi, dans l'aurore,
Le Soleil triomphal brille au firmament bleu,
L'homme, les bras tendus, chante, contemple, adore
La Majesté suprême et le plus ancien Dieu ;

Celui qui féconda la Vie universelle,
L'ancêtre vénéré du jour propice et pur,
Le guerrier lumineux dont le disque étincelle
Comme un bouclier d'or suspendu dans l'azur ;

Et celui qui parfois, formidable et néfaste,
Immobile au ciel fauve et morne de l'Été,
Flétrit, dévore, embrase, et du désert plus vaste
Fait, jusqu'aux profondeurs, flamber l'immensité.

Mais quand l'homme, éveillant l'éternelle Nature,
Ses formes, ses couleurs, ses clartés et ses voix,
Fut seul devant les Dieux, fils de son âme obscure,
Il tressaillit d'angoisse et supplia ses Rois.

Alors, ô Souverains ! les taureaux et les chèvres
D'un sang expiatoire ont inondé le sol ;
Et l'hymne évocateur, en s'échappant des lèvres,
Comme un aiglon divin tenta son premier vol.

Idoles de granit, simulacres de pierre,
Bétyles, Pieux sacrés, Astres du ciel serein,
Vers vous, avec l'offrande, a monté la prière,
Et la graisse a fumé sur les autels d'airain.

Les siècles ont passé ; les races successives
Ont bâti des palais, des tours et des cités
Et des temples jaloux, dont les parois massives
Aux profanes regards cachaient les Dieux sculptés.

Triomphants tour à tour ou livrés aux insultes,
Voluptueux, cruels, terribles ou savants,
Tels, vous avez versé pour jamais, ô vieux cultes !
L'ivresse du Mystère aux âmes des vivants.

Tels vous traînez encore, au fond de l'ombre ingrate,
Vos cortèges sacrés, lamentables et vains,
Du vieux Nil à la mer et du Gange à l'Euphrate,
Ô spectres innommés des ancêtres divins !

Et dans le vague abîme où gît le monde antique,
Luit, comme un astre mort, au ciel religieux,
La sombre majesté de l'Orient mystique,
Berceau des nations et sépulcre des Dieux.
I

Que m'importe que tu sois sage ?
Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs
Ajoutent un charme au visage,
Comme le fleuve au paysage ;
L'orage rajeunit les fleurs.

Je t'aime surtout quand la joie
S'enfuit de ton front terrassé ;
Quand ton coeur dans l'horreur se noie ;
Quand sur ton présent se déploie
Le nuage affreux du passé.

Je t'aime quand ton grand oeil verse
Une eau chaude comme le sang ;
Quand, malgré ma main qui te berce,
Ton angoisse, trop lourde, perce
Comme un râle d'agonisant.

J'aspire, volupté divine !
Hymne profond, délicieux !
Tous les sanglots de ta poitrine,
Et crois que ton coeur s'illumine
Des perles que versent tes yeux !

II

Je sais que ton coeur, qui regorge
De vieux amours déracinés,
Flamboie encor comme une forge,
Et que tu couves sous ta gorge
Un peu de l'orgueil des damnés ;

Mais tant, ma chère, que tes rêves
N'auront pas reflété l'Enfer,
Et qu'en un cauchemar sans trêves,
Songeant de poisons et de glaives,
Eprise de poudre et de fer,

N'ouvrant à chacun qu'avec crainte,
Déchiffrant le malheur partout,
Te convulsant quand l'heure tinte,
Tu n'auras pas senti l'étreinte
De l'irrésistible Dégoût,

Tu ne pourras, esclave reine
Qui ne m'aimes qu'avec effroi,
Dans l'horreur de la nuit malsaine,
Me dire, l'âme de cris pleine :
" Je suis ton égale, Ô mon Roi ! "
I.

DAVID ! comme un grand roi qui partage à des princes
Les états paternels provinces par provinces,
Dieu donne à chaque artiste un empire divers ;
Au poète le souffle épars dans l'univers,
La vie et la pensée et les foudres tonnantes,
Et le splendide essaim des strophes frissonnantes
Volant de l'homme à l'ange et du monstre à la fleur ;
La forme au statuaire ; au peintre la couleur ;
Au doux musicien, rêveur limpide et sombre,
Le monde obscur des sons qui murmure dans l'ombre.

La forme au statuaire ! - Oui, mais, tu le sais bien,
La forme, ô grand sculpteur, c'est tout et ce n'est rien.
Ce n'est rien sans l'esprit, c'est tout avec l'idée !
Il faut que, sous le ciel, de soleil inondée,
Debout sous les flambeaux d'un grand temple doré,
Ou seule avec la nuit dans un antre sacré,
Au fond des bois dormants comme au seuil d'un théâtre,
La figure de pierre, ou de cuivre, ou d'albâtre,
Porte divinement sur son front calme et fier
La beauté, ce rayon, la gloire, cet éclair !
Il faut qu'un souffle ardent lui gonfle la narine,
Que la force puissante emplisse sa poitrine,
Que la grâce en riant ait arrondi ses doigts,
Que sa bouche muette ait pourtant une voix !
Il faut qu'elle soit grave et pour les mains glacée,
Mais pour les yeux vivante, et, devant la pensée,
Devant le pur regard de l'âme et du ciel bleu,
Nue avec majesté comme Adam devant Dieu !
Il faut que, Vénus chaste, elle sorte de l'onde,
Semant au **** la vie et l'amour sur le monde,
Et faisant autour d'elle, en son superbe essor,
Partout où s'éparpille et tombe en gouttes d'or,
L'eau de ses longs cheveux, humide et sacré voile,
De toute herbe une fleur, de tout œil une étoile !
Il faut, si l'art chrétien anime le sculpteur,
Qu'avec le même charme elle ait plus de hauteur ;
Qu'Âme ailée, elle rie et de Satan se joue ;
Que, Martyre, elle chante à côté de la roue ;
Ou que, Vierge divine, astre du gouffre amer,
Son regard soit si doux qu'il apaise la mer !

II.

Voilà ce que tu sais, ô noble statuaire !
Toi qui dans l'art profond, comme en un sanctuaire,
Entras bien jeune encor pour n'en sortir jamais !
Esprit, qui, te posant sur les plus purs sommets
Pour créer ta grande œuvre, où sont tant d'harmonies,
Près de la flamme au front de tous les fiers génies !
Voilà ce que tu sais, toi qui sens, toi qui vois !
Maître sévère et doux qu'éclairent à la fois,
Comme un double rayon qui jette un jour étrange,
Le jeune Raphaël et le vieux Michel-Ange !
Et tu sais bien aussi quel souffle inspirateur
Parfois, comme un vent sombre, emporte le sculpteur,
Âme dans Isaïe et Phidias trempée,
De l'ode étroite et haute à l'immense épopée !

III.

Les grands hommes, héros ou penseurs, - demi-dieux ! -  
Tour à tour sur le peuple ont passé radieux,
Les uns armés d'un glaive et les autres d'un livre,
Ceux-ci montrant du doigt la route qu'il faut suivre,
Ceux-là forçant la cause à sortir de l'effet ;
L'artiste ayant un rêve et le savant un fait ;
L'un a trouvé l'aimant, la presse, la boussole,
L'autre un monde où l'on va, l'autre un vers qui console ;
Ce roi, juste et profond, pour l'aider en chemin,
A pris la liberté franchement par la main ;
Ces tribuns ont forgé des freins aux républiques ;
Ce prêtre, fondateur d'hospices angéliques,
Sous son toit, que réchauffe une haleine de Dieu,
A pris l'enfant sans mère et le vieillard sans feu,
Ce mage, dont l'esprit réfléchit les étoiles,
D'Isis l'un après l'autre a levé tous les voiles ;
Ce juge, abolissant l'infâme tombereau,
A raturé le code à l'endroit du bourreau ;
Ensemençant malgré les clameurs insensées,
D'écoles les hameaux et les cœurs de pensées,
Pour nous rendre meilleurs ce vrai sage est venu ;
En de graves instant cet autre a contenu,
Sous ses puissantes mains à la foule imposées,
Le peuple, grand faiseur de couronnes brisées ;
D'autres ont traversé sur un pont chancelant,
Sur la mine qu'un fort recelait en son flanc,
Sur la brèche par où s'écroule une muraille,
Un horrible ouragan de flamme et de mitraille ;
Dans un siècle de haine, âge impie et moqueur,
Ceux-là, poètes saints, ont fait entendre en chœur,
Aux sombres nations que la discorde pousse,
Des champs et des forêts la voix auguste et douce
Car l'hymne universel éteint les passions ;
Car c'est surtout aux jours des révolutions,
Morne et brûlant désert où l'homme s'aventure,
Que l'art se désaltère à ta source, ô nature !
Tous ces hommes, cœurs purs, esprits de vérité,
Fronts où se résuma toute l'humanité,
Rêveurs ou rayonnants, sont debout dans l'histoire,
Et tous ont leur martyre auprès de leur victoire.
La vertu, c'est un livre austère et triomphant
Où tout père doit faire épeler son enfant ;
Chaque homme illustre, ayant quelque divine empreinte,
De ce grand alphabet est une lettre sainte.
Sous leurs pieds sont groupés leurs symboles sacrés,
Astres, lyres, compas, lions démesurés,
Aigles à l'œil de flamme, aux vastes envergures.
- Le sculpteur ébloui contemple ces figures ! -
Il songe à la patrie, aux tombeaux solennels,
Aux cités à remplir d'exemples éternels ;
Et voici que déjà, vision magnifique !
Mollement éclairés d'un reflet pacifique,
Grandissant hors du sol de moment en moment,
De vagues bas-reliefs chargés confusément,
Au fond de son esprit, que la pensée encombre,
Les énormes frontons apparaissent dans l'ombre !

IV.

N'est-ce pas ? c'est ainsi qu'en ton cerveau, sans bruit,
L'édifice s'ébauche et l'œuvre se construit ?
C'est là ce qui se passe en ta grande âme émue
Quand tout un panthéon ténébreux s'y remue ?
C'est ainsi, n'est-ce pas, ô maître ! que s'unit
L'homme à l'architecture et l'idée au granit ?
Oh ! qu'en ces instants-là ta fonction est haute !
Au seuil de ton fronton tu reçois comme un hôte
Ces hommes plus qu'humains. Sur un bloc de Paros
Tu t'assieds face à face avec tous ces héros
Et là, devant tes yeux qui jamais ne défaillent,
Ces ombres, qui seront bronze et marbre, tressaillent.
L'avenir est à toi, ce but de tous leurs vœux,
Et tu peux le donner, ô maître, à qui tu veux !
Toi, répandant sur tous ton équité complète,
Prêtre autant que sculpteur, juge autant que poète,
Accueillant celui-ci, rejetant celui-là,
Louant Napoléon, gourmandant Attila,
Parfois grandissant l'un par le contact de l'autre,
Dérangeant le guerrier pour mieux placer l'apôtre,
Tu fais des dieux ! - tu dis, abaissant ta hauteur,
Au pauvre vieux soldat, à l'humble vieux pasteur :
- Entrez ! je vous connais. Vos couronnes sont prêtes.
Et tu dis à des rois : - Je ne sais qui vous êtes.

V.

Car il ne suffit point d'avoir été des rois,
D'avoir porté le sceptre, et le globe, et la croix,
Pour que le fier poète et l'altier statuaire
Étoilent dans sa nuit votre drap mortuaire,
Et des hauts panthéons vous ouvrent les chemins !

C'est vous-mêmes, ô rois, qui de vos propres mains  
Bâtissez sur vos noms ou la gloire ou la honte !
Ce que nous avons fait tôt ou **** nous raconte.
On peut vaincre le monde, avoir un peuple, agir
Sur un siècle, guérir sa plaie ou l'élargir, -
Lorsque vos missions seront enfin remplies,
Des choses qu'ici-bas vous aurez accomplies
Une voix sortira, voix de haine ou d'amour,
Sombre comme le bruit du verrou dans la tour,
Ou douce comme un chant dans le nid des colombes,
Qui fera remuer la pierre de vos tombes.
Cette voix, l'avenir, grave et fatal témoin,
Est d'avance penché qui l'écoute de ****.
Et là, point de caresse et point de flatterie,
Point de bouche à mentir façonnée et nourrie,
Pas d'hosanna payé, pas d'écho complaisant
Changeant la plainte amère en cri reconnaissant.
Non, les vices hideux, les trahisons, les crimes,
Comme les dévouements et les vertus sublimes,
Portent un témoignage intègre et souverain.
Les actions qu'on fait ont des lèvres d'airain.

VI.

Que sur ton atelier, maître, un rayon demeure !
Là, dans le silence, l'art, l'étude oubliant l'heure,
Dans l'ombre les essais que tu répudias,
D'un côté Jean Goujon, de l'autre Phidias,
Des pierres, de pensée à demi revêtues,
Un tumulte muet d'immobiles statues,
Les bustes méditant dans les coins assombris,
Je ne sais quelle paix qui tombe des labris,
Tout est grand, tout est beau, tout charme et tout domine.
Toi qu'à l'intérieur l'art divin illumine,
Tu regardes passer, grave et sans dire un mot,
Dans ton âme tranquille où le jour vient d'en haut,
Tous les nobles aspects de la figure humaine.
Comme dans une église à pas lents se promène
Un grand peuple pensif auquel un dieu sourit,
Ces fantômes sereins marchent dans ton esprit.
Ils errent à travers tes rêves poétiques
Faits d'ombres et de lueurs et de vagues portiques,
Parfois palais vermeil, parfois tombeau dormant,
Secrète architecture, immense entassement
Qui, jetant des rumeurs joyeuses et plaintives,
De ta grande pensée emplit les perspectives,
Car l'antique Babel n'est pas morte, et revit
Sous les front des songeurs. Dans ta tête, ô David !
La spirale se tord, le pilier se projette ;
Et dans l'obscurité de ton cerveau végète
La profonde forêt, qu'on ne voit point ailleurs,
Des chapiteaux touffus pleins d'oiseaux et de fleurs !

VII.

Maintenant, - toi qui vas hors des routes tracées,  
Ô pétrisseur de bronze, ô mouleur de pensées,
Considère combien les hommes sont petits,
Et maintiens-toi superbe au-dessus des partis !
Garde la dignité de ton ciseau sublime.
Ne laisse pas toucher ton marbre par la lime
Des sombres passions qui rongent tant d'esprits.
Michel-Ange avait Rome et David a Paris.
Donne donc à ta ville, ami, ce grand exemple
Que, si les marchands vils n'entrent pas dans le temple,
Les fureurs des tribuns et leur songe abhorré
N'entrent pas dans le cœur de l'artiste sacré.
Refuse aux cours ton art, donne aux peuples tes veilles,
C'est bien, ô mon sculpteur ! mais **** de tes oreilles
Chasse ceux qui s'en vont flattant les carrefours.
Toi, dans ton atelier, tu dois rêver toujours,
Et, de tout vice humain écrasant la couleuvre,
Toi-même par degrés t'éblouir de ton œuvre !
Ce que ces hommes-là font dans l'ombre ou défont
Ne vaut pas ton regard levé vers le plafond
Cherchant la beauté pure et le grand et le juste.
Leur mission est basse et la tienne est auguste.
Et qui donc oserait mêler un seul moment
Aux mêmes visions, au même aveuglement,
Aux mêmes vœux haineux, insensés ou féroces,
Eux, esclaves des nains, toi, père des colosses !

Avril 1840.
Ooolywoo Feb 2021
Il est 1h27 du matin à Dakar
Debout sur le balcon; un désir d'aventurier de l'inconnu m'envahit, de celle qui s'échappe du temps et de la terre mère qui l'étouffe ensevelie sous son noyau.
Le vent me caressant le visage, je l'entend m'inviter à l'hymne de ma liberté. Le bruit des avions m'emportent dans un monde d'aisance et d'émancipation, l'échos des Zikrs me tirent vers ma raison profonde et ma familiarité.
Je ferme les yeux en proie à la nostalgie. Essayant de me souvenir des beaux moments de ma vie; le vent me berce dans l'abstrait où mon âme se jette dans l'aura poétique de la magie des rêves.
Le marchand des rêves m'emporte sur une plage éclairée par la claire de lune et un feu de camp; jouissant d'un ciel dégagé et très étoilé.
La brise me mets à nu devant ses caresses ardentes et m'enivre de son odeur. Je me laisse flotter sur ses ondes.
Le sable en velours réchauffant mes pieds au rythme d'un Samba; riant de toute mon âme et transpirant au rythme de la danse. Nos âmes se transforment en une unité d'énergie donnant naissance à un cycle d'existence de désirs.
Je me confie à mon instinct comme pour consoler mon amour.
A l'horizon, la morosité morbide condamnée dans le concret. Aimant ardemment et follement cet abstrait merveilleux qui me berce.
Qui berce cet amour non réclamé, et cette liberté condamnée. Qui depuis longtemps poussent leur barque fragile à bout de force.
Aussi romantique que la poésie, je danse amoureusement et passionnément avec l'inconnu de mes pensées. Et dans cette passion insensée, de l'infini sublime rêve que cherche l'esprit, la réalité envahit l'abstrait et en fait un asile.
Un asile qui éveille mon cœur à chaque moment d'inattention ou de solitude. Un asile qui m'ouvre ses portes à ses extases fantaisistes quand l'ivresse de la réalité devient lourde et étouffante.
A poem I wrote in 2012 when all I wanted back then was to escape my life, travel around the world and see other realities, get away from everything. Translating in English will not give it justice.
Céleste fille du poète,
La vie est un hymne à deux voix.
Son front sur le tien se reflète,
Sa lyre chante sous tes doigts.

Sur tes yeux quand sa bouche pose
Le baiser calme et sans frisson,
Sur ta paupière blanche et rose
Le doux baiser à plus de son.

Dans ses bras quand il te soulève
Pour te montrer au ciel jaloux,
On croit voir son plus divin rêve
Qu'il caresse sur ses genoux !

Quand son doigt te permet de lire
Les vers qu'il vient de soupirer,
On dirait l'âme de sa lyre
Qui se penche pour l'inspirer.

Il récite ; une larme brille
Dans tes yeux attachés sur lui.
Dans cette larme de sa fille
Son cœur nage ; sa gloire a lui !

Du chant que ta bouche répète
Son cœur ému jouit deux fois.
Céleste fille du poète,
La vie est une hymne à deux voix.
SHAKESPEARE.
À lui la baguette magique
Le pouvoir de tout enchaîner ;
Il riva la Nature aux plis de sa tunique,
Et la Création a su le couronner.

MILTON.
Son esprit était un pactole
Dont les flots roulaient de l'or pur,
Un temple à la vertu dont la vaste coupole
Se perdait dans les cieux au milieu de l'azur.

THOMPSON.
Après le jour la nuit obscure,
Après les saisons les saisons,
Ses chants qui sont gravés au sein de la nature
Iront de l'avenir dorer les horizons.

GRAY.
D'un vol grandiose il s'élève,
La foudre il la brave de l'œil,
Le nuage orageux il le passe, puis s'enlève
Lumineuse trainée au sein de son orgueil.

BURNS.
De la lyre de sa patrie
Il fit vibrer les plus doux sons,
Et son âme de feu, céleste rêverie
Se fondit dans des flots d'admirables chansons.

SOUTHEY.
Où règne la nécromancie
Dans les pays orientaux,
Il aimait promener sa riche fantaisie,
Son esprit à cheval sur les vieux fabliaux.

COLERIDGE.
Par le charme de sa magie
Au clair de la lune le soir
Il évoquait le preux, et du preux la vigie,
La superstition, hôte du vieux manoir.

WORDSWORTH.
Au livre de philosophie
Il suspendit sa harpe un jour,
Là, placé près des lacs, il chante, il magnifie
Dans ses paisibles vers la nature et l'amour.

CAMPBELL.
Enfant gâté de la nature
L'art polit son vers enchanteur,
Il sut pincer sa lyre et gracieuse et pure,
Pour amuser l'esprit, et réchauffer le cœur.

SCOTT.
Il chante, et voyez ! là s'élance
Le Roman que l'on croyait mort,
Et la Chevalerie et la Dague et la Lance,
Sortent de l'Arsenal poussés par son ressort !

WILSON.
Son chant comme une hymne sacrée
S'infiltre de l'oreille au cœur ;
On croirait qu'il vous vient de la voûte éthérée
La voix d'un chérubin, d'un saint enfant de chœur.

HEMANS.
Elle ouvre la source des larmes
Et les fait doucement couler,
La pitié dans ses vers elle a les plus doux charmes
Et le lecteur ému s'y laisse affrioler.

SHELLEY.
Un rocher nu, bien solitaire
Au **** par de là l'océan,
Crévassé par le choc des volcans, du tonnerre,
Voilà quel fut Shelley, l'audacieux Titan !

HOGG.
Vêtu d'un rayon de lumière
Qu'il sut voler à l'arc-en-ciel,
Il voit fée et lutin danser dans la clairière,
Et faire le sabbat **** de tout œil mortel.

BYRON.
La tête ceinte de nuages,
Ses pieds étaient jonchés de fleurs,
L'ivresse et la gaité, le calme et les orages
Trouvent en ses beaux vers un écho dans les cœurs.

MOORE.
Couronné de vertes louanges
Et pour chaque œuvre tour à tour,
Moore dans les bosquets se plait avec les anges
À chanter les plaisirs de son Dieu... de l'Amour !
Cygnes au blanc plumage, au port majestueux,
Est-il vrai, dites-moi, qu'un chant harmonieux,
De vos jours écoulés rompant le long silence,
Lorsque va se briser votre frêle existence,
Comme un cri de bonheur s'élève vers les cieux ?

Quand sous votre aile, un soir, votre long col se ploie
Pour le dernier sommeil... d'où vous vient cette joie ?
De vos jours rien ne rompt l'indolente douceur :
Lorsque tout va finir, cet hymne de bonheur,
Comme à des cœurs brisés, quel penser vous l'envoie ?

Ô cygnes de nos lacs ! votre destin est doux ;
De votre sort heureux chacun serait jaloux.
Vous voguez lentement de l'une à l'autre rive,
Vous suivez les détours de l'onde fugitive :
Que ne puis-je en ces flots m'élancer avec vous !

Moi, sous l'ardent soleil, je demeure au rivage...
Pour vous, l'onde s'entr'ouvre et vous livre passage ;
Votre col gracieux, dans les eaux se plongeant,
Fait jaillir sur le lac mille perles d'argent
Qui laissent leur rosée à votre blanc plumage ;

Et les saules pleureurs, ondoyants, agités,
- Alors que vous passez, par le flot emportés -
D'un rameau caressant, doucement vous effleurent
Sur votre aile qui fuit quelques feuilles demeurent,
Ainsi qu'un souvenir d'amis qu'on a quittés.

Puis le soir, abordant à la rive odorante
Où fleurit à l'écart le muguet ou la menthe,
Sur un lit de gazon vous reposez, bercés
Par la brise des nuits, par les bruits cadencés
Des saules, des roseaux , de l'onde murmurante.

Oh ! pourquoi donc chanter un chant mélodieux
Quand s'arrête le cours de vos jours trop heureux ?
Pleurez plutôt, pleurez vos nuits au doux silence,
Les étoiles, les fleurs, votre fraîche existence ;
Pourquoi fêter la mort ?... vous êtes toujours deux !

C'est à nous de chanter quand vient l'heure suprême,
Nous, tristes pèlerins, dont la jeunesse même
Ne sait pas découvrir un verdoyant sentier,
Dont le bonheur s'effeuille ainsi que l'églantier ;
Nous, si tôt oubliés de l'ami qui nous aime !

C'est à nous de garder pour un jour à venir,
Tristes comme un adieu, doux comme un souvenir,
Des trésors d'harmonie inconnus à la terre,
Qui ne s'exhaleront qu'à notre heure dernière.
Pour qui souffre ici-bas, il est doux de mourir !

Ô cygnes ! laissez donc ce cri de délivrance
À nos cœurs oppressés de muette souffrance ;
La vie est un chemin où l'on cache ses pleurs...
Celui qui les comprend est plus ****, est ailleurs.
À nous les chants !... la mort, n'est-ce pas l'espérance ?
Oh ! Quand donc aurez-vous fini, petits oiseaux,
De jaser au milieu des branches et des eaux,
Que nous nous expliquions et que je vous querelle ?
Rouge-gorge, verdier, fauvette, tourterelle,
Oiseaux, je vous entends, je vous connais. Sachez
Que je ne suis pas dupe, ô doux ténors cachés,
De votre mélodie et de votre langage.
Celle que j'aime est **** et pense à moi ; je gage,
O rossignol dont l'hymne, exquis et gracieux,
Donne un frémissement à l'astre dans les cieux,
Que ce que tu dis là, c'est le chant de son âme.
Vous guettez les soupirs de l'homme et de la femme,
Oiseaux ; Quand nous aimons et quand nous triomphons,
Quand notre être, tout bas, s'exhale en chants profonds,
Vous, attentifs, parmi les bois inaccessibles,
Vous saisissez au vol ces strophes invisibles,
Et vous les répétez tout haut, comme de vous ;
Et vous mêlez, pour rendre encor l'hymne plus doux,
A la chanson des coeurs, le battement des ailes ;
Si bien qu'on vous admire, écouteurs infidèles,
Et que le noir sapin murmure aux vieux tilleuls :
« Sont-ils charmants d'avoir trouvé cela tout seuls ! »
Et que l'eau, palpitant sous le chant qui l'effleure,
Baise avec un sanglot le beau saule qui pleure ;
Et que le dur tronc d'arbre a des airs attendris ;
Et que l'épervier rêve, oubliant la perdrix ;
Et que les loups s'en vont songer auprès des louves !
« Divin ! » dit le hibou ; le moineau dit : « Tu trouves ? »
Amour, lorsqu'en nos coeurs tu te réfugias,
L'oiseau vint y puiser ; ce sont ces plagiats,
Ces chants qu'un rossignol, belles, prend sur vos bouches,
Qui font que les grands bois courbent leurs fronts farouches,
Et que les lourds rochers, stupides et ravis,
Se penchent, les laissant piller le chènevis,
Et ne distinguent plus, dans leurs rêves étranges,
La langue des oiseaux de la langue des anges.

Caudebec, septembre 183...
Que j'aime à voir, dans la vallée
Désolée,
Se lever comme un mausolée
Les quatre ailes d'un noir moutier !
Que j'aime à voir, près de l'austère
Monastère,
Au seuil du baron feudataire,
La croix blanche et le bénitier !

Vous, des antiques Pyrénées
Les aînées,
Vieilles églises décharnées,
Maigres et tristes monuments,
Vous que le temps n'a pu dissoudre,
Ni la foudre,
De quelques grands monts mis en poudre
N'êtes-vous pas les ossements ?

J'aime vos tours à tête grise,
Où se brise
L'éclair qui passe avec la brise,
J'aime vos profonds escaliers
Qui, tournoyant dans les entrailles
Des murailles,
À l'hymne éclatant des ouailles
Font répondre tous les piliers !

Oh ! lorsque l'ouragan qui gagne
La campagne,
Prend par les cheveux la montagne,
Que le temps d'automne jaunit,
Que j'aime, dans le bois qui crie
Et se plie,
Les vieux clochers de l'abbaye,
Comme deux arbres de granit !

Que j'aime à voir, dans les vesprées
Empourprées,
Jaillir en veines diaprées
Les rosaces d'or des couvents !
Oh ! que j'aime, aux voûtes gothiques
Des portiques,
Les vieux saints de pierre athlétiques
Priant tout bas pour les vivants !
Le poète naïf, qui pense avant d'écrire,
S'étonne, en ce temps-ci, des choses qui font rire.
Au théâtre parfois il se tourne, et, voyant
La gaîté des badauds qui va se déployant,

Pour un plat calembour, des loges au parterre,
Il se sent tout à coup tellement solitaire
Parmi ces gros rieurs au ventre épanoui,
Que, le front lourd et l'œil tristement ébloui,

Il s'esquive, s'il peut, sans attendre la toile.
Enfin libre il respire, et, d'étoile en étoile,
Dans l'azur sombre et vaste il laisse errer ses yeux.
Ah ! Quand on sort de là, comme la nuit plaît mieux !

Qu'il fait bon regarder la Seine lente et noire
En silence rouler sous les vieux ponts sa moire,
Et les reflets tremblants des feux traîner sur l'eau
Comme les pleurs d'argent sur le drap d'un tombeau !

Ce deuil fait oublier ces rires qu'on abhorre.
Hélas ! Où donc la joie est-elle saine encore ?
Quel vice a donc en nous gâté le sang gaulois ?
Quand rirons-nous le rire honnête d'autrefois ?

Ce ne sont aujourd'hui qu'absurdes bacchanales ;
Farces au masque impur sur des planches banales ;
Vil patois qui se fraye impudemment accès
Parmi le peuple illustre et cher des mots français ;

Couplets dont les refrains changent la bouche en gueule ;
Romans hideux, miroir de l'abjection seule,
Commérage où le fiel assaisonne des riens :
Feuilletons à voleurs, drames à galériens,

Funestes aux cœurs droits qui battent sous les blouses ;
Vaudevilles qui font, corrupteurs des épouses,
Un ridicule impie à l'affront des maris ;
Spectacles où la chair des femmes, mise à prix,

Comme aux crocs de l'étal exhibée en guirlande,
Allèche savamment la luxure gourmande ;
Parades à décors dont les fables sans art
N'esquivent le sifflet qu'en soûlant le regard ;

Coups d'archets polissons sur la lyre d'Homère,
Et tous les jeux maudits d'un amour éphémère
Qui va se dégradant du caprice au métier :
Voilà ce qui ravit un peuple tout entier !

Bêtise, éternel veau d'or des multitudes,
Toi dont le culte aisé les plie aux servitudes
Et complice du joug les y soumet sans bruit,
Monstre cher à la force et par la ruse instruit

À bafouer la libre et sévère pensée,
Règne ! Mais à ton tour, brute, qu'à la risée,
Au comique mépris tu serves de jouet !
Que sur toi le bon sens fasse claquer son fouet,

Qu'il se lève, implacable à son tour, et qu'il rie,
Et qu'il raille à son tour l'inepte raillerie,
Et qu'il fasse au soleil luire en leur nudité
Ta grotesque laideur et ta stupidité !

Molière, dresse-toi ! Debout, Aristophane !
Allons ! Faites entendre au vulgaire profane
L'hymne de l'idéal au fond du rire amer,
Du grand rire où, pareil au cliquetis du fer,

Sonne le choc rapide et franc des pensers justes,
Du beau rire qui sied aux poitrines robustes,
Vengeur de la sagesse, héroïque moqueur,
Où vibre la jeunesse immortelle du cœur !
Vos premières saisons à peine sont écloses,

Enfant, et vous avez déjà vu plus de choses

Qu'un vieillard qui trébuche au seuil de son tombeau.

Tout ce que la nature a de grand et de beau,

Tout ce que Dieu nous fit de sublimes spectacles,

Les deux mondes ensemble avec tous leurs miracles.

Que n'avez-vous pas vu ? Les montagnes, la mer,

La neige et les palmiers, le printemps et l'hiver,

L'Europe décrépite et la jeune Amérique ;

Car votre peau cuivrée aux ardeurs du tropique,

Sous le soleil en flamme et les cieux toujours bleus,

S'est faite presque blanche à nos étés frileux.

Votre enfance joyeuse a passé comme un rêve

Dans la verte savane et sur la blonde grève ;

Le vent vous apportait des parfums inconnus ;

Le sauvage Océan baisait vos beaux pieds nus,

Et comme une nourrice au seuil de sa demeure

Chante et jette un hochet au nouveau-né qui pleure,

Quand il vous voyait triste, il poussait devant vous

Ses coquilles de moire et son murmure doux.

Pour vous laisser passer, jam-roses et lianes

Écartaient dans les bois leurs rideaux diaphanes ;

Les tamaniers en fleurs vous prêtaient des abris ;

Vous aviez pour jouer des nids de colibris ;

Les papillons dorés vous éventaient de l'aile ;

L'oiseau-mouche valsait avec la demoiselle ;

Les magnolias penchaient la tête en souriant ;

La fontaine au flot clair s'en allait babillant ;

Les bengalis coquets, se mirant à son onde,

Vous chantaient leur romance ; et, seule et vagabonde,

Vous marchiez sans savoir par les petits chemins,

Un refrain à la bouche et des fleurs dans les mains !

Aux heures du midi, nonchalante créole,

Vous aviez le hamac et la sieste espagnole,

Et la bonne négresse aux dents blanches qui rit

Chassant les moucherons d'auprès de votre lit.

Vous aviez tous les biens, heureuse créature,

La belle liberté dans la belle nature ;

Et puis un grand désir d'inconnu vous a pris,

Vous avez voulu voir et la France et Paris.

La brise a du vaisseau fait onder la bannière,

Le vieux monstre Océan, secouant sa crinière

Et courbant devant vous sa tête de lion,

Sur son épaule bleue, avec soumission,

Vous a jusques aux bords de la France vantée,

Sans rugir une fois, fidèlement portée.

Après celles de Dieu, les merveilles de l'art

Ont étonné votre âme avec votre regard :

Vous avez vu nos tours, nos palais, nos églises,

Nos monuments tout noirs et nos coupoles grises,

Nos beaux jardins royaux, où, de Grèce venus,

Étrangers comme vous, frissonnent les dieux nus,

Notre ciel morne et froid, notre horizon de brume,

Où chaque maison dresse une gueule qui fume.

Quel spectacle pour vous, ô fille du soleil,

Vous toute brune encore de son baiser vermeil.

La pluie a ruisselé sur vos vitres jaunies,

Et, triste entre vos sœurs au foyer réunies,

En entendant pleurer les bûches dans le feu,

Vous avez regretté l'Amérique au ciel bleu,

Et la mer amoureuse avec ses tièdes lames

Qui se brodent d'argent et chantent sous les rames ;

Les beaux lataniers verts, les palmiers chevelus,

Les mangliers traînant leurs bras irrésolus ;

Toute cette nature orientale et chaude,

Où chaque herbe flamboie et semble une émeraude ;

Et vous avez souffert, votre cœur a saigné,

Vos yeux se sont levés vers ce ciel gris baigné

D'une vapeur étrange et d'un brouillard de houille,

Vers ces arbres chargés d'un feuillage de rouille ;

Et vous avez compris, pâle fleur du désert,

Que **** du sol natal votre arôme se perd,

Qu'il vous faut le soleil et la blanche rosée

Dont vous étiez là-bas toute jeune arrosée ;

Les baisers parfumés des brises de la mer,

La place libre au ciel, l'espace et le grand air ;

Et, pour s'y renouer, l'hymne saint des poètes

Au fond de vous trouva des fibres toutes prêtes ;

Au chœur mélodieux votre voix put s'unir ;

Le prisme du regret dorant le souvenir

De cent petits détails, de mille circonstances,

Les vers naissaient en foule et se groupaient par stances.

Chaque larme furtive échappée à vos yeux

Se condensait en perle, en joyau précieux ;

Dans le rythme profond votre jeune pensée

Brillait plus savamment, chaque jour enchâssée ;

Vous avez pénétré les mystères de l'art.

Aussi, tout éplorée, avant votre départ,

Pour vous baiser au front, la belle poésie

Vous a parmi vos sœurs avec amour choisie ;

Pour dire votre cœur vous avez une voix,

Entre deux univers Dieu vous laissait le choix ;

Vous avez pris de l'un, heureux sort que le vôtre !

De quoi vous faire aimer et regretter dans l'autre.
Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne !
Ô mère au coeur profond, mère, vous avez beau
Laisser la porte ouverte afin qu'elle revienne,
Cette pierre là-bas dans l'herbe est un tombeau !

La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ;
Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t'envolas.
Est-ce donc que là-haut dans l'ombre elles s'appellent,
Qu'elles s'en vont ainsi l'une après l'autre, hélas ?

Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse,
Que ta mère jadis berçait de sa chanson,
Qui d'abord la charmas avec ta petitesse
Et plus **** lui remplis de clarté l'horizon,

Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise !
Voilà que tu n'es plus, ayant à peine été !
L'astre attire le lys, et te voilà reprise,
Ô vierge, par l'azur, cette virginité !

Te voilà remontée au firmament sublime,
Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois,
Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l'abîme
Des rayons, des amours, des parfums et des voix !

Nous ne t'entendrons plus rire en notre nuit noire.
Nous voyons seulement, comme pour nous bénir,
Errer dans notre ciel et dans notre mémoire
Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir !

Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ?
Marchant sur notre monde à pas silencieux,
De tous les idéals tu composais ton âme,
Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux !

En te voyant si calme et toute lumineuse,
Les coeurs les plus saignants ne haïssaient plus rien.
Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse,
Et, comme Ruth l'épi, tu ramassais le bien.

La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce,
L'aurore sa candeur, et les champs leur bonté ;
Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe,
Toute cette douceur dans toute ta beauté !

Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose
Que la forme qui sort des cieux éblouissants ;
Et de tous les rosiers elle semblait la rose,
Et de tous les amours elle semblait l'encens.

Ceux qui n'ont pas connu cette charmante fille
Ne peuvent pas savoir ce qu'était ce regard
Transparent comme l'eau qui s'égaie et qui brille
Quand l'étoile surgit sur l'océan hagard.

Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ;
Chantant à demi-voix son chant d'illusion,
Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne
De vague et de lointain comme la vision.

On sentait qu'elle avait peu de temps sur la terre,
Qu'elle n'apparaissait que pour s'évanouir,
Et qu'elle acceptait peu sa vie involontaire ;
Et la tombe semblait par moments l'éblouir.

Elle a passé dans l'ombre où l'homme se résigne ;
Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit,
Belle, candide, ainsi qu'une plume de cygne
Qui reste blanche, même en traversant la nuit !

Elle s'en est allée à l'aube qui se lève,
Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu,
Bouche qui n'a connu que le baiser du rêve,
Ame qui n'a dormi que dans le lit de Dieu !

Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes,
Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés,
Regardant à jamais dans les ténèbres mornes
La disparition des êtres adorés !

Croire qu'ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse.
Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous,
Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse
Ces fantômes charmants que nous croyons à nous.

Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ;
Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur,
Et derrière eux, et sans que leur candeur s'en doute,
Leurs ailes font parfois de l'ombre sur le mur.

Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ;
Nous leur disons : Ma fille, ou : Mon fils ; ils sont doux,
Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent.
Ô mère, ce sont là les anges, voyez-vous !

C'est une volonté du sort, pour nous sévère,
Qu'ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ;
Et qu'avant d'avoir mis leur lèvre à notre verre,
Avant d'avoir rien fait et d'avoir rien souffert,

Ils partent radieux ; et qu'ignorant l'envie,
L'erreur, l'orgueil, le mal, la haine, la douleur,
Tous ces êtres bénis s'envolent de la vie
A l'âge où la prunelle innocente est en fleur !

Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres,
Nous devons travailler, attendre, préparer ;
Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d'autres ;
Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer.

Eux, ils sont l'air qui fuit, l'oiseau qui ne se pose
Qu'un instant, le soupir qui vole, avril vermeil
Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose
Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil !

Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l'âme
Pour notre chair coupable et pour notre destin ;
Ils ont, êtres rêveurs qu'un autre azur réclame,
Je ne sais quelle soif de mourir le matin !

Ils sont l'étoile d'or se couchant dans l'aurore,
Mourant pour nous, naissant pour l'autre firmament ;
Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore,
Continue, au delà, l'épanouissement !

Oui, mère, ce sont là les élus du mystère,
Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs,
A qui Dieu n'a permis que d'effleurer la terre
Pour faire un peu de joie à quelques pauvres coeurs.

Comme l'ange à Jacob, comme Jésus à Pierre,
Ils viennent jusqu'à nous qui **** d'eux étouffons,
Beaux, purs, et chacun d'eux portant sous sa paupière
La sereine clarté des paradis profonds.

Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes nos plaies,
Pansé notre douleur, azuré nos raisons,
Et fait luire un moment l'aube à travers nos claies,
Et chanté la chanson du ciel dam nos maisons,

Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes,
Et, pour lui faire voir quel est notre chemin,
Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes,
S'en vont avec un peu de terre dans la main.

Ils s'en vont ; c'est tantôt l'éclair qui les emporte,
Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus.
Alors, nous, pâles, froids, l'oeil fixé sur la porte,
Nous ne savons plus rien, sinon qu'ils ne sont plus.

Nous disons : - A quoi bon l'âtre sans étincelles ?
A quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ?
A quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ?
Qui donc attendons-nous s'ils ne reviendront pas ?

Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres.
Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit,
Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires
Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit.

Car ils sont revenus, et c'est là le mystère ;
Nous entendons quelqu'un flotter, un souffle errer,
Des robes effleurer notre seuil solitaire,
Et cela fait alors que nous pouvons pleurer.

Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ;
Nous sentons, lorsqu'ayant la lassitude en nous,
Nous nous levons après quelque prière sombre,
Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux.

Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre :
"Mon père, encore un peu ! ma mère, encore un jour !
"M'entends-tu ? je suis là, je reste pour t'attendre
"Sur l'échelon d'en bas de l'échelle d'amour.

"Je t'attends pour pouvoir nous en aller ensemble.
"Cette vie est amère, et tu vas en sortir.
"Pauvre coeur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble.
"Tu redeviendras ange ayant été martyr."

Oh ! quand donc viendrez-vous ? Vous retrouver, c'est naître.
Quand verrons-nous, ainsi qu'un idéal flambeau,
La douce étoile mort, rayonnante, apparaître
A ce noir horizon qu'on nomme le tombeau ?

Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes !
Où sont les enfants morts et les printemps enfuis,
Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes,
Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ?

Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames,
Les aimés, les absents, les êtres purs et doux,
Les baisers des esprits et les regards des âmes,
Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ?

Quand nous en irons-nous où sont l'aube et la foudre ?
Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor,
Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre,
Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d'or ?

Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie
Où les hymnes vivants sont des anges voilés,
Où l'on voit, à travers l'azur de l'harmonie,
La strophe bleue errer sur les luths étoilés ?

Quand viendrez-vous chercher notre humble coeur qui sombre ?
Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel,
Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l'ombre,
Sous l'éblouissement du regard éternel ?

— The End —