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Niveda Nahta May 2014
(English)
many days have passed since I saw your face,
Maybe its better this way,
since every time I see you I get a strong feeling,
Of carefully,
slapping or hitting and even killing!

(French)
nombreux jours se sont écoulés depuis que j'ai vu votre visage,
Peut-être son meilleur de cette façon,
car chaque fois que je vous vois je obtenez un sentiment fort,
De soin,
*gifles et même tuer!
Just goofing around! :D juste amusant autour! :D
Paul d'Aubin Dec 2013
Ulysse, la Méditerranée et ses rapports avec les  Femmes.

Parti à contre cœur, ayant même contrefait le fou, pour se soustraire à la guerre et élever ton fils Télémaque, tu dus partir à Troie, et sus t'y montrer brave, mais surtout fin stratège.
La guerre fut bien longue, pas du tout comme celle que chantait les Aèdes. L'ennemi ressemblait tant à nos guerriers Achéens, courageux et aussi sûrs de leur droit que nous l'étions du notre. Que de sang, que de peine ! Tu vis périr Patrocle, ne pus sauver Achille ; et les morts aux corps déchiquetés par les épées se substituèrent aux coupes de ce vin si enivrant qu'est la rhétorique guerrière et à la funeste illusion d'une victoire facile. Ulysse tu eus l'idée de bâtir ce grand vaisseau dont la proue figurait une tête de cheval. Ainsi les Achéens purent entrer dans le port forteresse si bien gardé. Mais quand la nuit noire et le vin mêlés ôtèrent aux courageux Troyens leur vigilance et leur garde, vous sortirent alors des flancs du bateau et vous précipitèrent pour ouvrir grands les portes aux guerriers Achéens. La suite fut un grand carnage de guerriers Troyens mais aussi de non combattants et même de femmes. Et Troie, la fière, la courageuse ne fut plus ville libre et les survivants de son Peuple connurent l'esclavage. Aussi quand Troie fut conquise et que ses rue coulèrent rouges du sang vermeil de ses défenseur, mais aussi de nombreux civils, tu songeas à retourner chez toi, car tu étais roi, et ton fils Télémaque aurait besoin de toi et Pénélope t'aimait. Les souvenirs d'émois et de tendres caresses faisaient encore frissonner la harpe de ton corps de souvenirs très doux. C'est alors que tu dus affronter la Déesse Athéna et ton double, tous deux vigilants, à tester ta sincérité et ta constance. Oh, toi Homme volage et point encore rassasié de voyages et de conquêtes. L'étendue de la mer te fut donnée comme le théâtre même de ta vérité profonde. Après bien des voyages et avoir perdu nombre de tes compagnons, tu fus poussé dans l'île de la nymphe Calypso. Cette immortelle à la chevelure, si joliment bouclée se trouvait dans son île d'arbustes odoriférants. Aussi fit-elle tout pour te garder. Toi-même, tu lui trouvas de l'ardeur et des charmes même si durant le jour tu te laissais aller à la nostalgie d'Ithaque. La belle immortelle te proposas, pour te garder, de te donner cet attribut si recherché qui empêche à jamais de sombrer dans le sommeil perpétuel. Mais toi, Ulysse, tu préféras garder ton destin d'homme mortel et ton inguérissable blessure pour Ithaque. Après sept années d’une prison si douce, l'intervention d'Athéna te rendit aux aventures de la Mer. Tu accostas, avec tes compagnons sur la côte d’une île malfaisante. C'était la demeure des Cyclopes. Parmi ce Peuple de géants, le cyclope Polyphème habitait une grotte profonde d'où il faisait rentrer chaque soir son troupeau. Ulysse quelle folie traversa ton esprit et celui de tes compagnons que de vouloir pénétrer dans cette antre maudite, mû à la fois par la curiosité et la volonté de faire quelques larcins de chèvres ? Vous payèrent bien cher cette offense par la cruelle dévoration que fit l'infâme Polyphème de plusieurs de tes compagnons dont vous entendîtes craquer les os sous la mâchoire du sauvage. Aussi votre courage fut renforcé par votre haine lorsque vous lui plantèrent l'épieu dans son œil unique alors que sa vigilance venait d'être endormie par le vin. Les barques ayant mouillés dans l'île d'Aiaé, tes compagnons imprudents furent transformés en pourceaux par la belle et cruelle Magicienne Circée. Doté d'un contre poison à ses filtres, tu ne restas cependant pas insensible aux charmes de la belle Magicienne mais tu lui fis prononcer le grand serment avant de répondre à tes avances. Elle accepta pour faire de toi son amant de redonner leur forme humaine à tes compagnons, Et vos nuits furent tendres, sensuelles et magiques car la Magicienne excellait dans les arts de l'amour et il en naquit un fils. Toi le rusé et courageux Ulysse, tu espérais enfin voguer avec délice sur une mer d'huile parcourue par les reflets d'argent des poissons volants et te réjouir des facéties des dauphins, Mais c'était oublier et compter pour peu la rancune de Poséidon, le maître des eaux, rendu furieux par le traitement subi par son fils Polyphème. C'est pour cela qu'une masse d'eau compacte, haute comme une haute tour avançant au grand galop ébranla et engloutit ton solide radeau. Seul ton réflexe prompt de t'accrocher au plus grand des troncs te permis de plonger longuement au fonds des eaux en retenant longtemps ton souffle avant d’émerger à nouveaux. La troisième des belles que ton voyage tumultueux te fit rencontrer fut la jeune Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, Alcinoos. Celle-ci, dans la floraison de sa jeunesse, ardente et vive, ne cédait en rien à l'éclat des plus belles et subtiles fleurs. Guidée par la déesse Athéna, elle vint auprès du fleuve ou tu dormais laver les habits royaux avec ses suivantes. Les voix des jeunes filles t'éveillèrent. Dans ta détresse et ta nudité, tu jetas l'effroi parmi les jeunes filles. Seule Nausicaa eut le courage de ne pas fuir et d'écouter ta demande d'aide. Elle rappela ses suivantes et te fit vêtir après que ton corps ait été lavé par l'eau du fleuve et enduit d'huile fine. Tu retrouvas ta force et ta beauté. Aussi Nausicaa vit en toi l'époux qu'elle désirait. Mais, ta nostalgie d'Ithaque fut encore plus forte. Alors Nausicaa te pria seulement, en ravalant ses larmes, de ne point oublier qu'elle t'avait sauvé des flots. Amené tout ensommeillé dans le vaisseau mené par les rameurs Phéaciens si bien aguerris à leur tâche, tu étais comme bercé par le bruit régulier des rames et le mouvement profond d'une mer douce mais étincelante. C'était comme dans ces rêves très rares qui vous mènent sur l'Olympe. Jamais tu ne te sentis si bien avec ce goût d’embrun salé sur tes lèvres et ce bruit régulier et sec du claquement des rames sur les flots. Tu éprouvas la sensation de voguer vers un nouveau Monde. Ce fut, Ulysse, l'un des rares moments de félicité absolue dans une vie de combats, de feu et du malheur d'avoir vu périr tous tes valeureux compagnons. Ulysse revenu dans ton palais, déguisé en mendiants pour châtier les prétendants, tu triomphas au tir à l'arc. Mais l'heure de la vindicte avait sonné. La première de tes flèches perça la gorge d'Antinoos, buvant sa coupe. Nul ne put te fléchir Ulysse, pas même, l'éloquent Eurymaque qui t'offrait de t'apporter réparations pour tes provisions goulument mangés et tes biens dilapidés. Le pardon s'effaça en toi car l'offense faite à ta femme et à ton fils et à ton honneur était trop forte. Aussi tu n'eus pas la magnanimité de choisir la clémence et le sang coula dans ton palais comme le vin des outres. Pas un des prétendants ne fut épargné à l'exception du chanteur de Lyre, Phénios et du héraut Médon qui avait protégé Télémaque.
Mais Ulysse, tu ne fus pas grand en laissant condamner à la pendaison hideuse, douze servantes qui avaient outragé Pénélope et partagé leur couche avec les prétendants. Ulysse tu fus tant aimé des déesses, des nymphes et des femmes et souvent sauvé du pire par celles qui te donnèrent plaisir et descendance. Mais obsédé par tes roches d'Ithaque ne sus pas leur rendre l'amour qu'elles te portèrent. Tu ne fus pas non plus à la hauteur de la constance et de la fidélité de Pénélope. Mais Ulysse poursuivi par la fatalité de l'exil et de l'errance et la rancune de Poséidon, tu fus aussi le préféré de la déesse Athéna qui fit tant et plus pour te sauver maintes fois de ta perte. Cette déesse fut la vraie sauvegarde de ta vie aventureuse et les femmes qui te chérirent t'apportèrent maintes douceurs et consolations dans ta vie tumultueuse.

Paul Arrighi, Toulouse, (France) 2013.
Paul d'Aubin Jul 2014
Ulysse adoré par les Femmes, les  Nymphes , protégé par Athéna et traqué par Poséidon.


Parti à contrecœur, ayant même contrefait le fou, pour se soustraire à la guerre et élever ton fils Télémaque, tu dus partir à Troie, et sus t'y montrer brave mais surtout fin stratège.
La guerre fut bien longue, pas du tout comme celle que chantaient les Aèdes. L'ennemi ressemblait tant à nos guerriers Achéens, courageux et aussi sûrs de leur droit que nous l'étions du notre.
Que de sang, que de peine ! Tu vis périr Patrocle, ne pus sauver Achille; et les morts aux corps déchiquetés par les épées se substituèrent aux coupes de ce vin si enivrant qu'est la rhétorique guerrière et à la funeste illusion d'une victoire facile.

Ulysse tu eus l'idée de bâtir ce grand vaisseau dont la proue figurait une tête de cheval. Ainsi les Achéens purent entrer dans le port forteresse si bien gardé. Mais quand la nuit noire et le vin mêlés ôtèrent aux courageux Troyens leur vigilance et leur garde, vous sortirent alors des flancs du bateau et vous précipitèrent pour ouvrir grands les portes aux guerriers Achéens.
La suite fut un grand carnage de guerriers Troyens mais aussi de non combattants et même de femmes. Et Troie, la fière, la courageuse ne fut plus ville libre et les survivants de son Peuple connurent l'esclavage.

Aussi quand Troie fut conquise et que ses rue coulèrent rouges du sang vermeil de ses défenseur, mais aussi de nombreux civils, tu songeas à retourner chez toi, car tu étais roi, et ton fils Télémaque aurait besoin de toi et Pénélope t'aimait. Les souvenirs d'émois et de tendres caresses faisaient encore frissonner la harpe de ton corps de souvenirs très doux.
C'est alors que tu dus affronter la Déesse Athéna et ton double, tous deux vigilants, a tester ta sincérité et ta constance. Oh, toi Homme volage et point encore rassasié de voyages et de conquêtes. L'étendue de la mer te fut donnée comme le théâtre même de ta vérité profonde.


Après bien des voyages et avoir perdu nombre de tes compagnons, tu fus poussé dans l'île de la nymphe Calypso.
Cette immortelle à la chevelure, si joliment bouclée se trouvait dans son île d'arbustes odoriférants. Aussi fit-elle tout pour te garder. Toi-même, tu lui trouvas de l'ardeur et des charmes même si durant le jour tu te laissais aller à la nostalgie d'Ithaque.
La belle immortelle te proposas, pour te garder, de te donner cet attribut si recherché qui empêche à jamais de sombrer dans le sommeil perpétuel.
Mais toi, Ulysse, tu préféras garder ton destin d'homme mortel et ton inguérissable blessure pour Ithaque.

Après sept années d’une prison si douce, l'intervention d'Athéna te rendit aux aventures de la Mer. Tu accostas, avec tes compagnons sur la côte d’une île malfaisante. C’était la demeure des Cyclopes. Parmi ce Peuple de géants, le cyclope Polyphème habitait une grotte profonde d'où il faisait rentrer chaque soir son troupeau.
Ulysse quelle folie traversa ton esprit et celui de tes compagnons que de vouloir pénétrer dans cette antre maudite, mû à la fois par la curiosité et la volonté de faire quelques larcins de chèvres ? Vous payèrent bien cher cette offense par la cruelle dévoration que fit l'infâme Polyphème de plusieurs de tes compagnons dont vous entendîtes craquer les os sous la mâchoire du sauvage. Aussi votre courage fut renforcé par votre haine lorsque vous lui plantèrent l'épieu dans son œil unique alors que sa vigilance venait d'être endormie par le vin.

Les barques ayant mouillés dans l'île d'Aiaé, tes compagnons imprudents furent transformés en pourceaux par la belle et cruelle Magicienne Circée.
Doté d'un contre poison à ses filtres, tu ne restas cependant pas insensible aux charmes de la belle Magicienne mais tu lui fis prononcer le grand serment avant de répondre à tes avances.
Elle accepta pour faire de toi son amant de redonner leur forme humaine à tes compagnons,
Et vos nuits furent tendres, sensuelles et magiques car la Magicienne excellait dans les arts de l'amour et il en naquit un fils.

Toi le rusé et courageux Ulysse, tu espérais enfin voguer avec délice sur une mer d'huile parcourue par les reflets d'argent des poissons volants et te réjouir des facéties des dauphins,
Mais c'était oublier et compter pour peu la rancune de Poséidon, le maître des eaux, rendu furieux par le traitement subi par son fils Polyphème.
C'est pour cela qu'une masse d'eau compacte, haute comme une haute tour avançant au grand galop ébranla et engloutit ton solide radeau.
Seul ton réflexe prompt de t'accrocher au plus grand des troncs te permis de plonger longuement au fonds des eaux en retenant longtemps ton souffle avant d’émerger à nouveaux.

La troisième des belles que ton voyage tumultueux te fit rencontrer fut la jeune Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, Alcinoos.
Celle-ci, dans la floraison de sa jeunesse, ardente et vive, ne cédait en rien à l'éclat des plus belles et subtiles fleurs. Guidée par la déesse Athéna, elle vint auprès du fleuve ou tu dormais laver les habits royaux avec ses suivantes. Les voix des jeunes filles t'éveillèrent. Dans ta détresse et ta nudité, tu jetas l'effroi parmi les jeunes filles. Seule Nausicaa eut le courage de ne pas fuir et d'écouter ta demande d'aide. Elle rappela ses suivantes et te fit vêtir après que ton corps ait été lavé par l'eau du fleuve et enduit d'huile fine. Tu retrouvas ta force et ta beauté. Aussi Nausicaa vit en toi l'époux qu'elle désirait. Mais, ta nostalgie d'Ithaque fut encore plus forte. Alors Nausicaa te pria seulement, en ravalant ses larmes, de ne point oublier qu'elle t'avait sauvé des flots.

Amené tout ensommeillé dans le vaisseau mené par les rameurs Phéaciens si bien aguerris à leur tâche, tu étais comme bercé par le bruit régulier des rames et le mouvement profond d'une mer douce mais étincelante. C'était comme dans ces rêves très rares qui vous mènent sur l'Olympe. Jamais tu ne te sentis si bien avec ce goût d’embrun salé sur tes lèvres et ce bruit régulier et sec du claquement des rames sur les flots. Tu éprouvas la sensation de voguer vers un nouveau Monde. Ce fut, Ulysse, l'un des rares moments de félicité absolue dans une vie de combats, de feu et du malheur d'avoir vu périr tous tes valeureux compagnons.

Ulysse revenu dans ton palais, déguisé en mendiants pour châtier les prétendants, tu triomphas au tir à l'arc. Mais l'heure de la vindicte avait sonné. La première de tes flèches perça la gorge d'Antinoüs, buvant sa coupe. Nul ne put te fléchir Ulysse, pas même, l'éloquent Eurymaque qui t'offrait de t'apporter réparations pour tes provisions goulument mangés et tes biens dilapidés. Le pardon s'effaça en toi car l'offense faite à ta femme et à ton fils et à ton honneur était trop forte. Aussi tu n'eus pas la magnanimité de choisir la clémence et le sang coula dans ton palais comme le vin des outres. Pas un des prétendants ne fut épargné à l'exception du chanteur de Lyre, Phénios et du héraut Médon qui avait protégé Télémaque. Mais Ulysse, tu ne fus pas grand en laissant condamner à la pendaison hideuse, douze servantes qui avaient outragé Pénélope et partagé leur couche avec les prétendants.

Ulysse tu fus tant aimé des déesses, des nymphes et des femmes et souvent sauvé du pire par celles qui te donnèrent plaisir et descendance. Mais obsédé par tes roches d'Ithaque ne sus pas leur rendre l'amour qu'elles te portèrent. Tu ne fus pas non plus à la hauteur de la constance et de la fidélité de Pénélope.
Mais Ulysse poursuivi par la fatalité de l'exil et de l'errance et la rancune de Poséidon, tu fus aussi le préféré de la déesse Athéna qui fit tant et plus pour te sauver maintes fois de ta perte. Cette déesse fut la vraie sauvegarde de ta vie aventureuse et les femmes qui te chérirent t'apportèrent maintes douceurs et consolations dans ta vie tumultueuse.

Paul Arrighi
The adventures of Ulysses in the Odyssey as beloved by Women and Nymphs protected by Athena and pursue by Poseidon
Ô Cloître Saint-Merry funèbre ! sombres rues !

Je ne foule jamais votre morne pavé

Sans frissonner devant les affres apparues.


Toujours ton mur en vain recrépit et lavé,

Ô maison Transnonain, coin maudit, angle infâme,

Saignera, monstrueux, dans mon coeur soulevé.


Quelques-uns d'entre ceux de Juillet, que le blâme

De leurs frères repus ne décourage point,

Trouvent bon de montrer la candeur de leur âme.


Alors dupes ? - Eh bien ! ils l'étaient à ce point

De mourir pour leur oeuvre incomplète et trahie.

Ils moururent contents, le drapeau rouge au poing.


Mort grotesque d'ailleurs, car la tourbe ébahie

Et pâle des bourgeois, leurs vainqueurs étonnés,

Ne comprit rien du tout à leur cause haïe.


C'était des jeunes gens francs qui riaient au nez

De tout intrigant comme au nez de tout despote,

Et de tout compromis désillusionnés.


Ils ne redoutaient pas pour la France la botte

Et l'éperon d'un Czar absolu, beaucoup plus

Que la molette d'un monarque en redingote.


Ils voulaient le devoir et le droit absolus,

Ils voulaient « la cavale indomptée et rebelle »,

Le soleil sans couchant, l'Océan sans reflux.


La République, ils la voulaient terrible et belle,

Rouge et non tricolore, et devenaient très froids

Quant à la liberté constitutionnelle...


Aussi, d'entre ceux de juillet, que le blâme

Ils étaient peu nombreux, tout au plus deux ou trois

Centaines d'écoliers, ayant maîtresse et mère,


Ils savaient qu'ils allaient mourir pour leur chimère,

Et n'avaient pas l'espoir de vaincre, c'est pourquoi

Un orgueil douloureux crispait leur lèvre amère ;


Et c'est pourquoi leurs yeux réverbéraient la foi

Calme ironiquement des martyres stériles,

Quand ils tombèrent sous les balles et la loi.


Et tous, comme à Pharsale et comme aux Thermopyles,

Vendirent cher leur vie et tinrent en échec

Par deux fois les courroux des généraux habiles.


Aussi, quand sous le nombre ils fléchirent, avec

Quelle rage les bons bourgeois de la milice

Tuèrent les blessés indomptés à l'oeil sec !


Et dans le sang sacré des morts où le pied glisse,

Barbotèrent, sauveurs tardifs et nasillards

Du nouveau Capitole et du Roi, leur complice.


- Jeunes morts, qui seriez aujourd'hui des vieillards,

Nous envions, hélas ! nous vos fils, nous la France,

Jusqu'au deuil qui suivit vos humbles corbillards.


Votre mort, en dépit des serments d'allégeance,

Fut-elle pas pleurée, admirée et plus ****

Vengée, et vos vengeurs sont-ils pas sans vengeance ?


Ils gisent, vos vengeurs, à Montmartre, à Clamart,

Ou sont devenus fous au soleil de Cayenne,

Ou vivent affamés et pauvres, à l'écart.


Oh ! oui, nous envions la fin stoïcienne

De ces calmes héros, et surtout jalousons

Leurs yeux clos, à propos, en une époque ancienne.


Car leurs yeux contemplant de lointains horizons

Se fermèrent parmi des visions sublimes,

Vierges de lâcheté comme de trahison,


Et ne virent jamais, jamais, ce que nous vîmes.
Paul d'Aubin Dec 2016
Ce si long chemin des Mages

Ils se mirent en route juchés sur leurs chameaux,
pour accomplir les prophéties prolongées par leurs subtils calculs.
C'étaient de fameux astrologues et des savants emplis de bonté, de sagesse et de savoir.
Ils n'avaient pu dresser du Cosmos et du chemin à parcourir que des cartes incomplètes mais se mirent d’accord pour suivre cette étoile nouvellement apparue, déjà annoncée dans les écrits anciens.
Cette étoile se manifesta à leurs longues scrutations du cosmos en brillant avec une clarté particulière dans le ciel des comètes.
Deux Mages partirent de Chaldée, le troisième vint des hautes sources du Nil.
Ils se rejoignirent à Jérusalem dans le palais du roi Hérode.
Leur entretien fut marqué par des échanges de présents, de paroles, de miel et d'observations méfiantes  mutuelles.
Cependant, Hérode, s'enquit avec cautèles du motif d'un si long voyage et demanda s'il était en lien avec cette étrange prophétie annonçant la naissance d'un nouveau-né destiné à devenir un jour le probable roi des Juifs.
Puis il demanda qu'ils veuillent bien lui faire connaître l'endroit exact où était tenu ce nouveau futur roi pour l’honorer à son tour.
Les Mages hochèrent la tête avec gravité et évitèrent de se prononcer sur la demande pressante qui leur était faite.
Puis les Mages prirent congé du Tyran Hérode en l'incitant à préférer la pratique de la sagesse plus que de verser dans l' « hubris » que blâmaient tant les philosophes Grecs.
Dès qu'ils eurent repris leur étrange voyage, le roi cruel rongé, par la peur, ordonna à ses espions de suivre les Mages jusqu'à leur probable découverte.
Bien sûr, les Mages furent suivis par de nombreux espions à cheval mais ils dormaient rarement dans des auberges ou des caravansérails.
Pour éloigner leurs suiveurs, les Mages voyageaient souvent de nuit car les suivre devenait alors difficile.
Et, eux seuls, connaissaient l'étoile messagère.
Plusieurs fois, ils perdirent leur chemin s'égarant entre les monts et le fleuve Jourdain.
C'est ainsi qu'ils finirent par égarer les espions.
Avant de s'endormir ils discutaient des sujets inépuisables des science mais surtout de cet enfant à naître promis à tant d'espoirs, du moins l'interprétaient-ils ainsi.
Ils ne savaient pas exactement quel nourrisson, ils allaient trouver, et qui et ou, étaient et résidaient ses parents.
Puis ils pénétrèrent dans un pays d'éleveurs, de rochers et de grottes.
Certains ont dit que c'était le pays de Bethléem de la tribu de David, d'autres ont rapporté que c'était le hameau lui aussi nommé Bethléem mais proche de Nazareth ou Joseph avait son atelier.
Mais le doute est resté tant les témoignages sont souvent bien difficiles à interpréter.
Ce qui est sûr, c'est que l'étoile messagère devint soudain rouge feu et projeta sa clarté tombante sur la terrasse d'une modeste auberge emplie de voyageurs.
Ils se firent connaître de l'hôtelier et demandèrent que leur soit présenté un nouveau-né qui serait abrité ici.
Jésus, fils de Joseph et de Marie, avait été placé dans une mangeoire servant de berceau dans une chambrette bien chèrement louée.
Mais le nourrisson dormait, le plus souvent, et parfois tétait comme tous les bébés de son âge.
Les Mages furent éblouis par tant de simplicité et d'innocence pour celui qui avait été annoncé par tant de prophéties lui annonçant un si grand destin.
Les Mages se présentèrent aux parents, firent connaître la prophétie, leur donnèrent les présents variés; l'or, l'encens et la myrrhe et incitèrent vivement Joseph à se défier du perfide Hérode mais aussi d'un roi criminel de Cœlé-Syrie nommé Cheb Bachar el-Assad et de son complice, le Boyard au visage anguleux et aux yeux froids d'esturgeon, vêtu d'une Chapka et d'un Kaftan et leur commun admirateur et complice Celte, « Fourbix Fillonix » à la triste figure.
Avec l'or qu'ils leurs avaient donné les parents pourraient se rendre aussi discrètement, le plus tôt possible, dans « le pays des pharaons. »
Ils ne pourraient revenir que lorsque la froideur et la rigidité des membres auraient saisi le corps du Tyran qui avait déjà fait périr sa magnifique femme Mariamne, l’Hasmonéenne et deux de ses propres enfants.

Les Mages comprirent alors que le sens profond de leur voyage était de mettre, à l’ abri, pour le futur ; eux, les hommes de savoir, une famille dont le nouveau-né était déjà, en quelque sorte, déjà un « réfugié politique » avant que d'avoir pu marcher et parler.
Car de tout temps le vrai savoir fut souvent l'un des rares secours des Peuples opprimés par ces tyrans ne vivant qu'entre peur et crimes, selon la très ancienne malédiction de ceux qui usent de ce pouvoir immodérément.
Joseph et Marie, avertis par les Mages et de surcroît par un songe fuirent avec discrétion en Egypte dans le pays de Pharaon mettre Jésus à l’abri de la folie sanguinaire de celui qui transmutait sa propre peur en sang. Plus de deux mille ans après,  les questions presque insolubles de la tyrannie et de l’accaparement de l'argent, de la liberté des consciences et religieuses et du pouvoir ne sont toujours pas réglées.

Paul Arrighi
Taisez-vous, ô mon cœur ! Taisez-vous, ô mon âme !

Et n'allez plus chercher de querelles au sort ;

Le néant vous appelle et l'oubli vous réclame.


Mon cœur, ne battez plus, puisque vous êtes mort ;

Mon âme, repliez le reste de vos ailes,

Car vous avez tenté votre suprême effort.


Vos deux linceuls sont prêts, et vos fosses jumelles

Ouvrent leur bouche sombre au flanc de mon passé,

Comme au flanc d'un guerrier deux blessures mortelles.


Couchez-vous tout du long dans votre lit glacé ;

Puisse avec vos tombeaux, que va recouvrir l'herbe,

Votre souvenir être à jamais effacé !


Vous n'aurez pas de croix ni de marbre superbe,

Ni d'épitaphe d'or, où quelque saule en pleurs

Laisse les doigts du vent éparpiller sa gerbe.


Vous n'aurez ni blasons, ni chants, ni vers, ni fleurs ;

On ne répandra pas les larmes argentées

Sur le funèbre drap, noir manteau des douleurs.


Votre convoi muet, comme ceux des athées,

Sur le triste chemin rampera dans la nuit ;

Vos cendres sans honneur seront au vent jetées.


La pierre qui s'abîme en tombant fait son bruit ;

Mais vous, vous tomberez sans que l'onde s'émeuve,

Dans ce gouffre sans fond où le remords nous suit.


Vous ne ferez pas même un seul rond sur le fleuve,

Nul ne s'apercevra que vous soyez absents,

Aucune âme ici-bas ne se sentira veuve.


Et le chaste secret du rêve de vos ans

Périra tout entier sous votre tombe obscure

Où rien n'attirera le regard des passants.


Que voulez-vous ? Hélas ! Notre mère Nature,

Comme toute autre mère, a ses enfants gâtés,

Et pour les malvenus elle est avare et dure.


Aux uns tous les bonheurs et toutes les beautés !

L'occasion leur est toujours bonne et fidèle :

Ils trouvent au désert des palais enchantés ;


Ils tètent librement la féconde mamelle ;

La chimère à leur voix s'empresse d'accourir,

Et tout l'or du Pactole entre leurs doigts ruisselle.


Les autres moins aimés, ont beau tordre et pétrir

Avec leurs maigres mains la mamelle tarie,

Leur frère a bu le lait qui les devait nourrir.


S'il éclot quelque chose au milieu de leur vie,

Une petite fleur sous leur pâle gazon,

Le sabot du vacher l'aura bientôt flétrie.


Un rayon de soleil brille à leur horizon,

Il fait beau dans leur âme ; à coup sûr, un nuage

Avec un flot de pluie éteindra le rayon.


L'espoir le mieux fondé, le projet le plus sage,

Rien ne leur réussit ; tout les trompe et leur ment.

Ils se perdent en mer sans quitter le rivage.


L'aigle, pour le briser, du haut du firmament,

Sur leur front découvert lâchera la tortue,

Car ils doivent périr inévitablement.


L'aigle manque son coup ; quelque vieille statue,

Sans tremblement de terre, on ne sait pas pourquoi,

Quitte son piédestal, les écrase et les tue.


Le cœur qu'ils ont choisi ne garde pas sa foi ;

Leur chien même les mord et leur donne la rage ;

Un ami jurera qu'ils ont trahi le roi.


Fils du Danube, ils vont se noyer dans le Tage ;

D'un bout du monde à l'autre ils courent à leur mort ;

Ils auraient pu du moins s'épargner le voyage !


Si dur qu'il soit, il faut qu'ils remplissent leur sort ;

Nul n'y peut résister, et le genou d'Hercule

Pour un pareil athlète est à peine assez fort.


Après la vie obscure une mort ridicule ;

Après le dur grabat, un cercueil sans repos

Au bord d'un carrefour où la foule circule.


Ils tombent inconnus de la mort des héros,

Et quelque ambitieux, pour se hausser la taille,

Se fait effrontément un socle de leurs os.


Sur son trône d'airain, le Destin qui s'en raille

Imbibe leur éponge avec du fiel amer,

Et la Nécessité les tord dans sa tenaille.


Tout buisson trouve un dard pour déchirer sa chair,

Tout beau chemin pour eux cache une chausse-trappe,

Et les chaînes de fleurs leur sont chaînes de fer.


Si le tonnerre tombe, entre mille il les frappe ;

Pour eux l'aveugle nuit semble prendre des yeux,

Tout plomb vole à leur cœur, et pas un seul n'échappe.


La tombe vomira leur fantôme odieux.

Vivants, ils ont servi de bouc expiatoire ;

Morts, ils seront bannis de la terre et des cieux.


Cette histoire sinistre est votre propre histoire ;

Ô mon âme ! Ô mon cœur ! Peut-être même, hélas !

La vôtre est-elle encore plus sinistre et plus noire.


C'est une histoire simple où l'on ne trouve pas

De grands événements et des malheurs de drame,

Une douleur qui chante et fait un grand fracas ;


Quelques fils bien communs en composent la trame,

Et cependant elle est plus triste et sombre à voir

Que celle qu'un poignard dénoue avec sa lame.


Puisque rien ne vous veut, pourquoi donc tout vouloir ;

Quand il vous faut mourir, pourquoi donc vouloir vivre,

Vous qui ne croyez pas et n'avez pas d'espoir ?


Ô vous que nul amour et que nul vin n'enivre,

Frères désespérés, vous devez être prêts

Pour descendre au néant où mon corps vous doit suivre !


Le néant a des lits et des ombrages frais.

La mort fait mieux dormir que son frère Morphée,

Et les pavots devraient jalouser les cyprès.


Sous la cendre à jamais, dors, ô flamme étouffée !

Orgueil, courbe ton front jusque sur tes genoux,

Comme un Scythe captif qui supporte un trophée.


Cesse de te raidir contre le sort jaloux,

Dans l'eau du noir Léthé plonge de bonne grâce,

Et laisse à ton cercueil planter les derniers clous.


Le sable des chemins ne garde pas ta trace,

L'écho ne redit pas ta chanson, et le mur

Ne veut pas se charger de ton ombre qui passe.


Pour y graver un nom ton airain est bien dur,

Ô Corinthe ! Et souvent froide et blanche Carrare,

Le ciseau ne mord pas sur ton marbre si pur.


Il faut un grand génie avec un bonheur rare

Pour faire jusqu'au ciel monter son monument,

Et de ce double don le destin est avare.


Hélas ! Et le poète est pareil à l'amant,

Car ils ont tous les deux leur maîtresse idéale,

Quelque rêve chéri caressé chastement :


Eldorado lointain, pierre philosophale

Qu'ils poursuivent toujours sans l'atteindre jamais,

Un astre impérieux, une étoile fatale.


L'étoile fuit toujours, ils lui courent après ;

Et, le matin venu, la lueur poursuivie,

Quand ils la vont saisir, s'éteint dans un marais.


C'est une belle chose et digne qu'on l'envie

Que de trouver son rêve au milieu du chemin,

Et d'avoir devant soi le désir de sa vie.


Quel plaisir quand on voit briller le lendemain

Le baiser du soleil aux frêles colonnades

Du palais que la nuit éleva de sa main !


Il est beau qu'un plongeur, comme dans les ballades,

Descende au gouffre amer chercher la coupe d'or

Et perce, triomphant, les vitreuses arcades.


Il est beau d'arriver où tendait votre essor,

De trouver sa beauté, d'aborder à son monde,

Et, quand on a fouillé, d'exhumer un trésor ;


De faire, du plus creux de son âme profonde,

Rayonner son idée ou bien sa passion ;

D'être l'oiseau qui chante et la foudre qui gronde ;


D'unir heureusement le rêve à l'action,

D'aimer et d'être aimé, de gagner quand on joue,

Et de donner un trône à son ambition ;


D'arrêter, quand on veut, la Fortune et sa roue,

Et de sentir, la nuit, quelque baiser royal

Se suspendre en tremblant aux fleurs de votre joue.


Ceux-là sont peu nombreux dans notre âge fatal.

Polycrate aujourd'hui pourrait garder sa bague :

Nul bonheur insolent n'ose appeler le mal.


L'eau s'avance et nous gagne, et pas à pas la vague,

Montant les escaliers qui mènent à nos tours,

Mêle aux chants du festin son chant confus et vague.


Les phoques monstrueux, traînant leurs ventres lourds,

Viennent jusqu'à la table, et leurs larges mâchoires

S'ouvrent avec des cris et des grognements sourds.


Sur les autels déserts des basiliques noires,

Les saints, désespérés et reniant leur Dieu,

S'arrachent à pleins poings l'or chevelu des gloires.


Le soleil désolé, penchant son œil de feu,

Pleure sur l'univers une larme sanglante ;

L'ange dit à la terre un éternel adieu.


Rien ne sera sauvé, ni l'homme ni la plante ;

L'eau recouvrira tout : la montagne et la tour ;

Car la vengeance vient, quoique boiteuse et lente.


Les plumes s'useront aux ailes du vautour,

Sans qu'il trouve une place où rebâtir son aire,

Et du monde vingt fois il refera le tour ;


Puis il retombera dans cette eau solitaire

Où le rond de sa chute ira s'élargissant :

Alors tout sera dit pour cette pauvre terre.


Rien ne sera sauvé, pas même l'innocent.

Ce sera, cette fois, un déluge sans arche ;

Les eaux seront les pleurs des hommes et leur sang.


Plus de mont Ararat où se pose, en sa marche,

Le vaisseau d'avenir qui cache en ses flancs creux

Les trois nouveaux Adams et le grand patriarche !


Entendez-vous là-haut ces craquements affreux ?

Le vieil Atlas, lassé, retire son épaule

Au lourd entablement de ce ciel ténébreux.


L'essieu du monde ploie ainsi qu'un brin de saule ;

La terre ivre a perdu son chemin dans le ciel ;

L'aimant déconcerté ne trouve plus son pôle.


Le Christ, d'un ton railleur, tord l'éponge de fiel

Sur les lèvres en feu du monde à l'agonie,

Et Dieu, dans son Delta, rit d'un rire cruel.


Quand notre passion sera-t-elle finie ?

Le sang coule avec l'eau de notre flanc ouvert,

La sueur rouge teint notre face jaunie.


Assez comme cela ! Nous avons trop souffert ;

De nos lèvres, Seigneur, détournez ce calice,

Car pour nous racheter votre Fils s'est offert.


Christ n'y peut rien : il faut que le sort s'accomplisse ;

Pour sauver ce vieux monde il faut un Dieu nouveau,

Et le prêtre demande un autre sacrifice.


Voici bien deux mille ans que l'on saigne l'Agneau ;

Il est mort à la fin, et sa gorge épuisée

N'a plus assez de sang pour teindre le couteau.


Le Dieu ne viendra pas. L'Église est renversée.
Quitterie Nov 2017
Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour.
Hier encore la fête, les nombreux petits-fours,
Le sel des cacahuètes et le son des tambours.

Aujourd'hui qu'elle est **** la joie de Mariette :
Quelques restes de pain sur la table - des miettes -
Et des grains de raisins que grignotent les guêpes,
Quand le rouge du vin nous fait perdre la tête.

Ils cliquettent les rires et grelottent les os ;
Il chuinte le sabir des cages dans ce zoo :
Mariette et Amir sont partis tout là-haut
Sans même prévenir : j'en ai froid dans le dos.

Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour.
Amir était poète, Mariette un amour.
Qui sait que la mort guette quand on a de l'humour ?

Hier, à la rivière, nous lancions des pierres,
Les canettes de bières et les traits de lumières
Éclairaient nos visages et plissaient nos regards :
Qui sait que les présages ressembl'nt aux nénuphars ?

Mariette portait ses jolies perles jaunes
Et son rire de Corte. Amir était un faune
Dont la longue crinière nous mettaient en chaleur.
Qu'ils étaient beaux et fiers : quand j'y pense je pleure

Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour.
C'est une étrange valse, une valse à trois temps,
Celle du temps qui passe et te chasse, entêtant.

Hier, ce jour, demain : étourdissant manège
Aux chevaux de bois dur où je pleurais enfant.
Osselets de mes mains, et mes pieds dans la neige :
Quelle est cette blessure où s'épuise mon sang ?

Mariette pleurait et riait à la fois,
Qu'Amir aux yeux dorés nous raconte l'émoi
De leur premier baiser sous un bel amandier.
Leurs visages apaisés nous ont incendiés.

Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour...
Obscuritate rerum verba saepè obscurantur.
GERVASIUS TILBERIENSIS.


Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ;
Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
Et quand s'offre à vos yeux un océan qui dort,
Nagez à la surface ou jouez sur le bord.
Car la pensée est sombre ! Une pente insensible
Va du monde réel à la sphère invisible ;
La spirale est profonde, et quand on y descend,
Sans cesse se prolonge et va s'élargissant,
Et pour avoir touché quelque énigme fatale,
De ce voyage obscur souvent on revient pâle !

L'autre jour, il venait de pleuvoir, car l'été,
Cette année, est de bise et de pluie attristé,
Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre,
Prend le masque d'avril qui sourit et qui pleure.
J'avais levé le store aux gothiques couleurs.
Je regardais au **** les arbres et les fleurs.
Le soleil se jouait sur la pelouse verte
Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte
Apportait du jardin à mon esprit heureux
Un bruit d'enfants joueurs et d'oiseaux amoureux.

Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière,
Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière
De cet astre de mai dont le rayon charmant
Au bout de tout brin d'herbe allume un diamant !
Je me laissais aller à ces trois harmonies,
Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;
La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil
Faisait évaporer à la fois sur les grèves
L'eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves !

Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi
Mes amis, non confus, mais tels que je les vois
Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle,
Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle,
Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent,
Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant.
Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages,
Tous, même les absents qui font de longs voyages.
Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci,
Avec l'air qu'ils avaient quand ils vivaient aussi.
Quand j'eus, quelques instants, des yeux de ma pensée,
Contemplé leur famille à mon foyer pressée,
Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés
Pâlir en s'effaçant leurs fronts décolorés,
Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s'écoule,
Se perdre autour de moi dans une immense foule.

Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas.
Ceux qu'on n'a jamais vus, ceux qu'on ne connaît pas.
Tous les vivants ! - cités bourdonnant aux oreilles
Plus qu'un bois d'Amérique ou des ruches d'abeilles,
Caravanes campant sur le désert en feu,
Matelots dispersés sur l'océan de Dieu,
Et, comme un pont hardi sur l'onde qui chavire,
Jetant d'un monde à l'autre un sillon de navire,
Ainsi que l'araignée entre deux chênes verts
Jette un fil argenté qui flotte dans les airs !

Les deux pôles ! le monde entier ! la mer, la terre,
Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratère,
Tout à la fois, automne, été, printemps, hiver,
Les vallons descendant de la terre à la mer
Et s'y changeant en golfe, et des mers aux campagnes
Les caps épanouis en chaînes de montagnes,
Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés,
Par les grands océans sans cesse dévorés,
Tout, comme un paysage en une chambre noire
Se réfléchit avec ses rivières de moire,
Ses passants, ses brouillards flottant comme un duvet,
Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait !
Alors, en attachant, toujours plus attentives,
Ma pensée et ma vue aux mille perspectives
Que le souffle du vent ou le pas des saisons
M'ouvrait à tous moments dans tous les horizons,
Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes,
A côté des cités vivantes des deux mondes,
D'autres villes aux fronts étranges, inouïs,
Sépulcres ruinés des temps évanouis,
Pleines d'entassements, de tours, de pyramides,
Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides.

Quelques-unes sortaient de dessous des cités
Où les vivants encor bruissent agités,
Et des siècles passés jusqu'à l'âge où nous sommes
Je pus compter ainsi trois étages de Romes.
Et tandis qu'élevant leurs inquiètes voix,
Les cités des vivants résonnaient à la fois
Des murmures du peuple ou du pas des armées,
Ces villes du passé, muettes et fermées,
Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins,
Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims.
J'attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes
De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes,
Et je les vis marcher ainsi que les vivants,
Et jeter seulement plus de poussière aux vents.
Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes,
Je vis l'intérieur des vieilles Babylones,
Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions,
D'où sans cesse sortaient des générations.

Ainsi j'embrassais tout : et la terre, et Cybèle ;
La face antique auprès de la face nouvelle ;
Le passé, le présent ; les vivants et les morts ;
Le genre humain complet comme au jour du remords.
Tout parlait à la fois, tout se faisait comprendre,
Le pélage d'Orphée et l'étrusque d'Évandre,
Les runes d'Irmensul, le sphinx égyptien,
La voix du nouveau monde aussi vieux que l'ancien.

Or, ce que je voyais, je doute que je puisse
Vous le peindre : c'était comme un grand édifice
Formé d'entassements de siècles et de lieux ;
On n'en pouvait trouver les bords ni les milieux ;
A toutes les hauteurs, nations, peuples, races,
Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces,
Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas,
Parlant chacun leur langue et ne s'entendant pas ;
Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde,
De degrés en degrés cette Babel du monde.

La nuit avec la foule, en ce rêve hideux,
Venait, s'épaississant ensemble toutes deux,
Et, dans ces régions que nul regard ne sonde,
Plus l'homme était nombreux, plus l'ombre était profonde.
Tout devenait douteux et vague, seulement
Un souffle qui passait de moment en moment,
Comme pour me montrer l'immense fourmilière,
Ouvrait dans l'ombre au **** des vallons de lumière,
Ainsi qu'un coup de vent fait sur les flots troublés
Blanchir l'écume, ou creuse une onde dans les blés.

Bientôt autour de moi les ténèbres s'accrurent,
L'horizon se perdit, les formes disparurent,
Et l'homme avec la chose et l'être avec l'esprit
Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit.
J'étais seul. Tout fuyait. L'étendue était sombre.
Je voyais seulement au ****, à travers l'ombre,
Comme d'un océan les flots noirs et pressés,
Dans l'espace et le temps les nombres entassés !

Oh ! cette double mer du temps et de l'espace
Où le navire humain toujours passe et repasse,
Je voulus la sonder, je voulus en toucher
Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher,
Pour vous en rapporter quelque richesse étrange,
Et dire si son lit est de roche ou de fange.
Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu,
Au profond de l'abîme il nagea seul et nu,
Toujours de l'ineffable allant à l'invisible...
Soudain il s'en revint avec un cri terrible,
Ébloui, haletant, stupide, épouvanté,
Car il avait au fond trouvé l'éternité.

Mai 1830.
Un lièvre de bon caractère
Voulait avoir beaucoup d'amis.
Beaucoup ! Me direz-vous, c'est une grande affaire ;
Un seul est rare en ce pays.
J'en conviens ; mais mon lièvre avait cette marotte,
Et ne savait pas qu'Aristote
Disait aux jeunes grecs à son école admis :
Mes amis, il n'est point d'amis.
Sans cesse il s'occupait d'obliger et de plaire ;
S'il passait un lapin, d'un air doux et civil
Vite il courait à lui : mon cousin, disait-il,
J'ai du beau serpolet tout près de ma tanière,
De déjeuner chez moi faites-moi la faveur.
S'il voyait un cheval paître dans la campagne,
Il allait l'aborder : peut-être monseigneur
A-t-il besoin de boire ; au pied de la montagne
Je connais un lac transparent
Qui n'est jamais ridé par le moindre zéphyr :
Si monseigneur veut, dans l'instant
J'aurai l'honneur de l'y conduire.
Ainsi, pour tous les animaux,
Cerfs, moutons, coursiers, daims, taureaux,
Complaisant, empressé, toujours rempli de zèle,
Il voulait de chacun faire un ami fidèle,
Et s'en croyait aimé parce qu'il les aimait.
Certain jour que tranquille en son gîte il dormait,
Le bruit du cor l'éveille, il décampe au plus vite.
Quatre chiens s'élancent après,
Un maudit piqueur les excite ;
Et voilà notre lièvre arpentant les guérets.
Il va, tourne, revient, aux mêmes lieux repasse,
Saute, franchit un long espace
Pour dévoyer les chiens, et, prompt comme l'éclair,
Gagne pays, et puis s'arrête.
Assis, les deux pattes en l'air,
L'œil et l'oreille au guet, il élève la tête,
Cherchant s'il ne voit point quelqu'un de ses amis.
Il aperçoit dans des taillis
Un lapin que toujours il traita comme un frère ;
Il y court : par pitié, sauve-moi, lui dit-il,
Donne retraite à ma misère,
Ouvre-moi ton terrier ; tu vois l'affreux péril...
Ah ! Que j'en suis fâché ! Répond d'un air tranquille
Le lapin : je ne puis t'offrir mon logement,
Ma femme accouche en ce moment,
Sa famille et la mienne ont rempli mon asile ;
Je te plains bien sincèrement :
Adieu, mon cher ami. Cela dit, il s'échappe ;
Et voici la meute qui jappe.
Le pauvre lièvre part. à quelques pas plus ****,
Il rencontre un taureau que cent fois au besoin
Il avait obligé ; tendrement il le prie
D'arrêter un moment cette meute en furie
Qui de ses cornes aura peur.
Hélas ! Dit le taureau, ce serait de grand cœur :
Mais des génisses la plus belle
Est seule dans ce bois, je l'entends qui m'appelle ;
Et tu ne voudrais pas retarder mon bonheur.
Disant ces mots, il part. Notre lièvre hors d'haleine
Implore vainement un daim, un cerf dix-cors,
Ses amis les plus sûrs ; ils l'écoutent à peine,
Tant ils ont peur du bruit des cors.
Le pauvre infortuné, sans force et sans courage,
Allait se rendre aux chiens, quand, du milieu du bois,
Deux chevreuils reposant sous le même feuillage
Des chasseurs entendent la voix.
L'un d'eux se lève et part ; la meute sanguinaire
Quitte le lièvre et court après.
En vain le piqueur en colère
Crie, et jure, et se fâche ; à travers les forêts
Le chevreuil emmène la chasse,
Va faire un long circuit, et revient au buisson
Où l'attendait son compagnon,
Qui dans l'instant part à sa place.
Celui-ci fait de même, et, pendant tout le jour,
Les deux chevreuils lancés et quittés tour à tour
Fatiguent la meute obstinée.
Enfin les chasseurs tout honteux
Prennent le bon parti de retourner chez eux ;
Déjà la retraite est sonnée,
Et les chevreuils rejoints. Le lièvre palpitant
S'approche, et leur raconte, en les félicitant,
Que ses nombreux amis, dans ce péril extrême,
L'avaient abandonné. Je n'en suis pas surpris,
Répond un des chevreuils : à quoi bon tant d'amis ?
Un seul suffit quand il nous aime.
La Jongleuse Mar 2013
des espoirs,

toujours nombreux,

dans sa tête,


des regards,

souvent curieux,

dans ses yeux,



des clopes,

toujours une,

à sa bouche,



des verres,

toujours vidés,

dans sa gorge,



des angoisses,

toujours présents,

dans son cœur,



des papillons

parfois volants,

dans son ventre,


des pensées,

souvent gonflées,

à son sexe,


des mains,

jamais ses propres,

sur ses cuisses,



des trémoussements,

toujours violents

au niveau de ses genoux



de la danse,

toujours frappant,

prend ses pieds



la guerre prend lieu

sans approbation

dans son corps



des tensions,

et la détente

en bataille éternelle
french, français
Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu'on pourrait appeler l'Orient de l'Occident, la Chine de l'Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s'y est donné carrière, tant elle l'a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates végétations.

Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête ; où le luxe a plaisir à se mirer dans l'ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ; d'où le désordre, la turbulence et l'imprévu sont exclus ; où le bonheur est marié au silence ; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois ; où tout vous ressemble, mon cher ange.

Tu connais cette maladie fiévreuse qui s'empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu'on ignore, cette angoisse de la curiosité ? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C'est là qu'il faut aller vivre, c'est là qu'il faut aller mourir !

Oui, c'est là qu'il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l'infini des sensations. Un musicien a écrit l'Invitation à la valse ; quel est celui qui composera l'Invitation au voyage, qu'on puisse offrir à la femme aimée, à la sœur d'élection ?

Oui, c'est dans cette atmosphère qu'il ferait bon vivre, - là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité.

Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d'une richesse sombre, vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent. Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en nombreux compartiments. Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et de secrets comme des âmes raffinées. Les miroirs, les métaux, les étoffes, l'orfèvrerie et la faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse ; et de toutes choses, de tous les coins, des fissures des tiroirs et des plis des étoffes s'échappe un parfum singulier, un revenez-y de Sumatra, qui est comme l'âme de l'appartement.

Un vrai pays de Cocagne, te dis-je, où tout est riche, propre et luisant, comme une belle conscience, comme une magnifique batterie de cuisine, comme une splendide orfèvrerie, comme une bijouterie bariolée ! Les trésors du monde y affluent, comme dans la maison d'un homme laborieux et qui a bien mérité du monde entier. Pays singulier, supérieur aux autres, comme l'Art l'est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue.

Qu'ils cherchent, qu'ils cherchent encore, qu'ils reculent sans cesse les limites de leur bonheur, ces alchimistes de l'horticulture ! Qu'ils proposent des prix de soixante et de cent mille florins pour qui résoudra leurs ambitieux problèmes ! Moi, j'ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu !

Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c'est là, n'est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu'il faudrait aller vivre et fleurir ? Ne serais-tu pas encadrée dans ton analogie, et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parler comme les mystiques, dans ta propre correspondance ?

Des rêves ! toujours des rêves ! et plus l'âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l'éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d'***** naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d'heures remplies par la jouissance positive, par l'action réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu'a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ?

Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c'est toi. C'est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu'ils charrient, tout chargés de richesses, et d'où montent les chants monotones de la manœuvre, ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers la mer qui est l'Infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta belle âme ; - et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l'Orient, ils rentrent au port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l'infini vers toi.
Mon rêve le plus cher et le plus caressé,

Le seul qui rit encore à mon cœur oppressé,

C'est de m'ensevelir au fond d'une chartreuse,

Dans une solitude inabordable, affreuse ;

****, bien ****, tout là-bas, dans quelque Sierra

Bien sauvage, où jamais voix d'homme ne vibra,

Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches,

Où n'arrive pas même un bruit lointain de cloches ;

Dans quelque Thébaïde, aux lieux les moins hantés,

Comme en cherchaient les saints pour leurs austérités ;

Sous la grotte où grondait le lion de Jérôme,

Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume

Et boire la rosée à ton calice ouvert,

Ô frêle et chaste fleur, qui crois dans le désert

Aux fentes du tombeau de l'Espérance morte !

De non cœur dépeuplé je fermerais la porte

Et j'y ferais la garde, afin qu'un souvenir

Du monde des vivants n'y pût pas revenir ;

J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ;

Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire

Qu'aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait,

Pour y dormir ma nuit j'en ferais un chevet ;

Car je sais maintenant que vaut cette fumée

Qu'au-dessus du néant pousse une renommée.

J'ai regardé de près et la science et l'art :

J'ai vu que ce n'était que mensonge et hasard ;

J'ai mis sur un plateau de toile d'araignée

L'amour qu'en mon chemin j'ai reçue et donnée :

Puis sur l'autre plateau deux grains du vermillon

Impalpable, qui teint l'aile du papillon,

Et j'ai trouvé l'amour léger dans la balance.

Donc, reçois dans tes bras, ô douce somnolence,

Vierge aux pâles couleurs, blanche sœur de la mort,

Un pauvre naufragé des tempêtes du sort !

Exauce un malheureux qui te prie et t'implore,

Egraine sur son front le pavot inodore,

Abrite-le d'un pan de ton grand manteau noir,

Et du doigt clos ses yeux qui ne veulent plus voir.

Vous, esprits du désert, cependant qu'il sommeille,

Faites taire les vents et bouchez son oreille,

Pour qu'il n'entende pas le retentissement

Du siècle qui s'écroule, et ce bourdonnement

Qu'en s'en allant au but où son destin la mène

Sur le chemin du temps fait la famille humaine !


Je suis las de la vie et ne veux pas mourir ;

Mes pieds ne peuvent plus ni marcher ni courir ;

J'ai les talons usés de battre cette route

Qui ramène toujours de la science au doute.

Assez, je me suis dit, voilà la question.


Va, pauvre rêveur, cherche une solution

Claire et satisfaisante à ton sombre problème,

Tandis qu'Ophélia te dit tout haut : Je t'aime ;

Mon beau prince danois marche les bras croisés,

Le front dans la poitrine et les sourcils froncés,

D'un pas lent et pensif arpente le théâtre,

Plus pâle que ne sont ces figures d'albâtre,

Pleurant pour les vivants sur les tombeaux des morts ;

Épuise ta vigueur en stériles efforts,

Et tu n'arriveras, comme a fait Ophélie,

Qu'à l'abrutissement ou bien à la folie.

C'est à ce degré-là que je suis arrivé.

Je sens ployer sous moi mon génie énervé ;

Je ne vis plus ; je suis une lampe sans flamme,

Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme.


Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr,

Si dans un coin du cœur il éclot un désir,

Lui couper sans pitié ses ailes de colombe,

Être comme est un mort, étendu sous la tombe,

Dans l'immobilité savourer lentement,

Comme un philtre endormeur, l'anéantissement :

Voilà quel est mon vœu, tant j'ai de lassitude,

D'avoir voulu gravir cette côte âpre et rude,

Brocken mystérieux, où des sommets nouveaux

Surgissent tout à coup sur de nouveaux plateaux,

Et qui ne laisse voir de ses plus hautes cimes

Que l'esprit du vertige errant sur les abîmes.


C'est pourquoi je m'assieds au revers du fossé,

Désabusé de tout, plus voûté, plus cassé

Que ces vieux mendiants que jusques à la porte

Le chien de la maison en grommelant escorte.

C'est pourquoi, fatigué d'errer et de gémir,

Comme un petit enfant, je demande à dormir ;

Je veux dans le néant renouveler mon être,

M'isoler de moi-même et ne plus me connaître ;

Et comme en un linceul, sans y laisser un seul pli,

Rester enveloppé dans mon manteau d'oubli.


J'aimerais que ce fût dans une roche creuse,

Au penchant d'une côte escarpée et pierreuse,

Comme dans les tableaux de Salvator Rosa,

Où le pied d'un vivant jamais ne se posa ;

Sous un ciel vert, zébré de grands nuages fauves,

Dans des terrains galeux clairsemés d'arbres chauves,

Avec un horizon sans couronne d'azur,

Bornant de tous côtés le regard comme un mur,

Et dans les roseaux secs près d'une eau noire et plate

Quelque maigre héron debout sur une patte.

Sur la caverne, un pin, ainsi qu'un spectre en deuil

Qui tend ses bras voilés au-dessus d'un cercueil,

Tendrait ses bras en pleurs, et du haut de la voûte

Un maigre filet d'eau suintant goutte à goutte,

Marquerait par sa chute aux sons intermittents

Le battement égal que fait le cœur du temps.

Comme la Niobé qui pleurait sur la roche,

Jusqu'à ce que le lierre autour de moi s'accroche,

Je demeurerais là les genoux au menton,

Plus ployé que jamais, sous l'angle d'un fronton,

Ces Atlas accroupis gonflant leurs nerfs de marbre ;

Mes pieds prendraient racine et je deviendrais arbre ;

Les faons auprès de moi tondraient le gazon ras,

Et les oiseaux de nuit percheraient sur mes bras.


C'est là ce qu'il me faut plutôt qu'un monastère ;

Un couvent est un port qui tient trop à la terre ;

Ma nef tire trop d'eau pour y pouvoir entrer

Sans en toucher le fond et sans s'y déchirer.

Dût sombrer le navire avec toute sa charge,

J'aime mieux errer seul sur l'eau profonde et large.

Aux barques de pêcheur l'anse à l'abri du vent,

Aux simples naufragés de l'âme, le couvent.

À moi la solitude effroyable et profonde,

Par dedans, par dehors !


Par dedans, par dehors ! Un couvent, c'est un monde ;

On y pense, on y rêve, on y prie, on y croit :

La mort n'est que le seuil d'une autre vie ; on voit

Passer au long du cloître une forme angélique ;

La cloche vous murmure un chant mélancolique ;

La Vierge vous sourit, le bel enfant Jésus

Vous tend ses petits bras de sa niche ; au-dessus

De vos fronts inclinés, comme un essaim d'abeilles,

Volent les Chérubins en légions vermeilles.

Vous êtes tout espoir, tout joie et tout amour,

À l'escalier du ciel vous montez chaque jour ;

L'extase vous remplit d'ineffables délices,

Et vos cœurs parfumés sont comme des calices ;

Vous marchez entourés de célestes rayons

Et vos pieds après vous laissent d'ardents sillons !


Ah ! grands voluptueux, sybarites du cloître,

Qui passez votre vie à voir s'ouvrir et croître

Dans le jardin fleuri de la mysticité,

Les pétales d'argent du lis de pureté,

Vrais libertins du ciel, dévots Sardanapales,

Vous, vieux moines chenus, et vous, novices pâles,

Foyers couverts de cendre, encensoirs ignorés,

Quel don Juan a jamais sous ses lambris dorés

Senti des voluptés comparables aux vôtres !

Auprès de vos plaisirs, quels plaisirs sont les nôtres !

Quel amant a jamais, à l'âge où l'œil reluit,

Dans tout l'enivrement de la première nuit,

Poussé plus de soupirs profonds et pleins de flamme,

Et baisé les pieds nus de la plus belle femme

Avec la même ardeur que vous les pieds de bois

Du cadavre insensible allongé sur la croix !

Quelle bouche fleurie et d'ambroisie humide,

Vaudrait la bouche ouverte à son côté livide !

Notre vin est grossier ; pour vous, au lieu de vin,

Dans un calice d'or perle le sang divin ;

Nous usons notre lèvre au seuil des courtisanes,

Vous autres, vous aimez des saintes diaphanes,

Qui se parent pour vous des couleurs des vitraux

Et sur vos fronts tondus, au détour des arceaux,

Laissent flotter le bout de leurs robes de gaze :

Nous n'avons que l'ivresse et vous avez l'extase.

Nous, nos contentements dureront peu de jours,

Les vôtres, bien plus vifs, doivent durer toujours.

Calculateurs prudents, pour l'abandon d'une heure,

Sur une terre où nul plus d'un jour ne demeure,

Vous achetez le ciel avec l'éternité.

Malgré ta règle étroite et ton austérité,

Maigre et jaune Rancé, tes moines taciturnes

S'entrouvrent à l'amour comme des fleurs nocturnes,

Une tête de mort grimaçante pour nous

Sourit à leur chevet du rire le plus doux ;

Ils creusent chaque jour leur fosse au cimetière,

Ils jeûnent et n'ont pas d'autre lit qu'une bière,

Mais ils sentent vibrer sous leur suaire blanc,

Dans des transports divins, un cœur chaste et brûlant ;

Ils se baignent aux flots de l'océan de joie,

Et sous la volupté leur âme tremble et ploie,

Comme fait une fleur sous une goutte d'eau,

Ils sont dignes d'envie et leur sort est très-beau ;

Mais ils sont peu nombreux dans ce siècle incrédule

Creux qui font de leur âme une lampe qui brûle,

Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ,

Croire que tout s'est fait comme il était écrit.

Il en est qui n'ont pas le don des saintes larmes,

Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ;

Il est des malheureux qui ne peuvent prier

Et dont la voix s'éteint quand ils veulent crier ;

Tous ne se baignent pas dans la pure piscine

Et n'ont pas même part à la table divine :

Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas,

Si je n'ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas.


Aussi je me choisis un antre pour retraite

Dans une région détournée et secrète

D'où l'on n'entende pas le rire des heureux

Ni le chant printanier des oiseaux amoureux,

L'antre d'un loup crevé de faim ou de vieillesse,

Car tout son m'importune et tout rayon me blesse,

Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît,

Et je hais l'homme autant et plus que ne le hait

Le buffle à qui l'on vient de percer la narine.

De tous les sentiments croulés dans la ruine,

Du temple de mon âme, il ne reste debout

Que deux piliers d'airain, la haine et le dégoût.

Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ;

Ma tête de cheveux n'est pas découronnée ;

À peine vingt épis sont tombés du faisceau :

Je puis derrière moi voir encore mon berceau.

Mais les soucis amers de leurs griffes arides

M'ont fouillé dans le front d'assez profondes rides

Pour en faire une fosse à chaque illusion.

Ainsi me voilà donc sans foi ni passion,

Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre,

Et dès le premier mot sachant la fin du livre.

Car c'est ainsi que sont les jeunes d'aujourd'hui :

Leurs mères les ont faits dans un moment d'ennui.

Et qui les voit auprès des blancs sexagénaires

Plutôt que les enfants les estime les pères ;

Ils sont venus au monde avec des cheveux gris ;

Comme ces arbrisseaux frêles et rabougris

Qui, dès le mois de mai, sont pleins de feuilles mortes,

Ils s'effeuillent au vent, et vont devant leurs portes

Se chauffer au soleil à côté de l'aïeul,

Et du jeune et du vieux, à coup sûr, le plus seul,

Le moins accompagné sur la route du monde,

Hélas ! C'est le jeune homme à tête brune ou blonde

Et non pas le vieillard sur qui l'âge a neigé ;

Celui dont le navire est le plus allégé

D'espérance et d'amour, lest divin dont on jette

Quelque chose à la mer chaque jour de tempête,

Ce n'est pas le vieillard, dont le triste vaisseau

Va bientôt échouer à l'écueil du tombeau.

L'univers décrépit devient paralytique,

La nature se meurt, et le spectre critique

Cherche en vain sous le ciel quelque chose à nier.

Qu'attends-tu donc, clairon du jugement dernier ?

Dis-moi, qu'attends-tu donc, archange à bouche ronde

Qui dois sonner là-haut la fanfare du monde ?

Toi, sablier du temps, que Dieu tient dans sa main,

Quand donc laisseras-tu tomber ton dernier grain ?
Ma sœur n'est pas un cachalot ordinaire,
Elle ne se met presque jamais en colère.
Depuis que je suis née,
Elle et moi sommes liées.
Elle me plantait son doigt dodu dans la joue,
Et je pleurais parce qu'elle me prenait pour son joujou.
Nous avons fais de nombreux voyages,
Et ensemble nous n'avons jamais été sages.
A l'arrière de la voiture on se léchait la tête,
Bien qu'à chaque fois qu'on voyageait, c'était jour de fête.
On se léchait les mains graisseuses de Cheetos au fromage, c'était le pied!
Et on chantait à tue-tête du Jennifer, Najoua Belyzel et Jesse McCartney.
Comme toutes les sœurs on se chamaille, on se bat,
Mais au fond, on sait bien que ce n'est que du cinéma.
On se soutient, on partage nos secrets,
Et quand l'une est triste, l'autre sait toujours comment la réconforter.
Les kilomètres entre nous ne nous effraient même pas,
L'avion, le bus, la voiture, le train, le bateau, rien ne nous séparera.
Ma grande sœur est tout ce que j'aime,
Et c'est pourquoi je lui dédis ce poème.
J'ai peur de ne jamais faire les choses bien,
Et parfois j'oublie l'amour dont elle a besoin,
Mais je ne pourrai jamais lui faire du mal,
J'ai trop besoin d'elle, elle est mon petit soleil.
Je sais bien qu'elle me surveille de ****,
Et ne t'inquiètes pas, bientôt, je serai dans le coin.
Jeune homme ! je te plains ; et cependant j'admire
Ton grand parc enchanté qui semble nous sourire,
Qui fait, vu de ton seuil, le tour de l'horizon,
Grave ou joyeux suivant le jour et la saison,  
Coupé d'herbe et d'eau vive, et remplissant huit lieues
De ses vagues massifs et de ses ombres bleues.
J'admire ton domaine, et pourtant je te plains !
Car dans ces bois touffus de tant de grandeur pleins,
Où le printemps épanche un faste sans mesure,
Quelle plus misérable et plus pauvre masure
Qu'un homme usé, flétri, mort pour l'illusion,
Riche et sans volupté, jeune et sans passion,  
Dont le coeur délabré, dans ses recoins livides,
N'a plus qu'un triste amas d'anciennes coupes vides,  
Vases brisés qui n'ont rien gardé que l'ennui,
Et d'où l'amour, la joie et la candeur ont fui !

Oui, tu me fais pitié, toi qui crois faire envie !
Ce splendide séjour sur ton coeur, sur ta vie,
Jette une ombre ironique, et rit en écrasant
Ton front terne et chétif d'un cadre éblouissant.

Dis-moi, crois-tu, vraiment posséder ce royaume
D'ombre et de fleurs, où l'arbre arrondi comme un dôme,
L'étang, lame d'argent que le couchant fait d'or,
L'allée entrant au bois comme un noir corridor,
Et là, sur la forêt, ce mont qu'une tour garde,
Font un groupe si beau pour l'âme qui regarde !
Lieu sacré pour qui sait dans l'immense univers,
Dans les prés, dans les eaux et dans les vallons verts,
Retrouver les profils de la face éternelle
Dont le visage humain n'est qu'une ombre charnelle !

Que fais-tu donc ici ? Jamais on ne te voit,
Quand le matin blanchit l'angle ardoisé du toit,
Sortir, songer, cueillir la fleur, coupe irisée
Que la plante à l'oiseau tend pleine de rosée,
Et parfois t'arrêter, laissant pendre à ta main
Un livre interrompu, debout sur le chemin,
Quand le bruit du vent coupe en strophes incertaines
Cette longue chanson qui coule des fontaines.

Jamais tu n'as suivi de sommets en sommets
La ligne des coteaux qui fait rêve ; jamais
Tu n'as joui de voir, sur l'eau qui reflète,
Quelque saule noueux tordu comme un athlète.
Jamais, sévère esprit au mystère attaché,
Tu n'as questionné le vieux orme penché
Qui regarde à ses pieds toute la pleine vivre
Comme un sage qui rêve attentif à son livre.

L'été, lorsque le jour est par midi frappé,
Lorsque la lassitude a tout enveloppé,
A l'heure où l'andalouse et l'oiseau font la sieste,
Jamais le faon peureux, tapi dans l'antre agreste,
Ne te vois, à pas lents, **** de l'homme importun,
Grave, et comme ayant peur de réveiller quelqu'un,
Errer dans les forêts ténébreuses et douces
Où le silence dort sur le velours des mousses.

Que te fais tout cela ? Les nuages des cieux,
La verdure et l'azur sont l'ennui de tes yeux.
Tu n'est pas de ces fous qui vont, et qui s'en vantent,
Tendant partout l'oreille aux voix qui partout chantent,
Rendant au Seigneur d'avoir fait le printemps,
Qui ramasse un nid, ou contemple longtemps
Quelque noir champignon, monstre étrange de l'herbe.
Toi, comme un sac d'argent, tu vois passer la gerbe.
Ta futaie, en avril, sous ses bras plus nombreux
A l'air de réclamer bien des pas amoureux,
Bien des coeurs soupirants, bien des têtes pensives ;

Toi qui jouis aussi sous ses branches massives,
Tu songes, calculant le taillis qui s'accroît,
Que Paris, ce vieillard qui, l'hiver, a si froid,
Attend, sous ses vieux quais percés de rampes neuves,
Ces longs serpents de bois qui descendent les fleuves !
Ton regard voit, tandis que ton oeil flotte au ****,
Les blés d'or en farine et la prairie en foin ;
Pour toi le laboureur est un rustre qu'on paie ;
Pour toi toute fumée ondulant, noire ou gaie,
Sur le clair paysage, est un foyer impur
Où l'on cuit quelque viande à l'angle d'un vieux mur.
Quand le soir tend le ciel de ses moires ardentes
Au dos d'un fort cheval assis, jambes pendantes,
Quand les bouviers hâlés, de leur bras vigoureux
Pique tes boeufs géants qui par le chemin creux
Se hâtent pêle-mêle et s'en vont à la crèche,
Toi, devant ce tableau tu rêves à la brèche
Qu'il faudra réparer, en vendant tes silos,
Dans ta rente qui tremble aux pas de don Carlos !

Au crépuscule, après un long jour monotone,
Tu t'enfermes chez toi. Les tièdes nuits d'automne
Versent leur chaste haleine aux coteaux veloutés.
Tu n'en sais rien. D'ailleurs, qu'importe ! A tes côtés,
Belles, leur bruns cheveux appliqués sur les tempes,
Fronts roses empourprés par le reflet des lampes,
Des femmes aux yeux purs sont assises, formant
Un cercle frais qui borde et cause doucement ;
Toutes, dans leurs discours où rien n'ose apparaître,
Cachant leurs voeux, leur âmes et leur coeur que peut-être
Embaume un vague amour, fleur qu'on ne cueille pas,
Parfum qu'on sentirait en se baissant tout bas.
Tu n'en sais rien. Tu fais, parmi ces élégies,
Tomber ton froid sourire, où, sous quatre bougies,
D'autres hommes et toi, dans un coin attablés
Autour d'un tapis vert, bruyants, vous querellez
Les caprices du whist, du brelan ou de l'hombre.
La fenêtre est pourtant pleine de lune et d'ombre !

Ô risible insensé ! vraiment, je te le dis,
Cette terre, ces prés, ces vallons arrondis,
Nids de feuilles et d'herbe où jasent les villages,
Ces blés où les moineaux ont leurs joyeux pillages,
Ces champs qui, l'hiver même, ont d'austères appas,
Ne t'appartiennent point : tu ne les comprends pas.

Vois-tu, tous les passants, les enfants, les poètes,
Sur qui ton bois répand ses ombres inquiètes,
Le pauvre jeune peintre épris de ciel et d'air,
L'amant plein d'un seul nom, le sage au coeur amer,
Qui viennent rafraîchir dans cette solitude,
Hélas ! l'un son amour et l'autre son étude,
Tous ceux qui, savourant la beauté de ce lieu,
Aiment, en quittant l'homme, à s'approcher de Dieu,
Et qui, laissant ici le bruit vague et morose
Des troubles de leur âme, y prennent quelque chose
De l'immense repos de la création,
Tous ces hommes, sans or et sans ambition,
Et dont le pied poudreux ou tout mouillé par l'herbe
Te fait rire emporté par ton landau superbe,
Sont dans ce parc touffu, que tu crois sous ta loi,
Plus riches, plus chez eux, plus les maîtres que toi,
Quoique de leur forêt que ta main grille et mure
Tu puisses couper l'ombre et vendre le murmure !

Pour eux rien n'est stérile en ces asiles frais.
Pour qui les sait cueillir tout a des dons secrets.
De partout sort un flot de sagesse abondante.
L'esprit qu'a déserté la passion grondante,
Médite à l'arbre mort, aux débris du vieux pont.
Tout objet dont le bois se compose répond
A quelque objet pareil dans la forêt de l'âme.
Un feu de pâtre éteint parle à l'amour en flamme.
Tout donne des conseils au penseur, jeune ou vieux.
On se pique aux chardons ainsi qu'aux envieux ;
La feuille invite à croître ; et l'onde, en coulant vite,
Avertit qu'on se hâte et que l'heure nous quitte.
Pour eux rien n'est muet, rien n'est froid, rien n'est mort.
Un peu de plume en sang leur éveille un remord ;
Les sources sont des pleurs ; la fleur qui boit aux fleuves,
Leur dit : Souvenez-vous, ô pauvres âmes veuves !

Pour eux l'antre profond cache un songe étoilé ;
Et la nuit, sous l'azur d'un beau ciel constellé,
L'arbre sur ses rameaux, comme à travers ses branches,
Leur montre l'astre d'or et les colombes blanches,
Choses douces aux coeurs par le malheur ployés,
Car l'oiseau dit : Aimez ! et l'étoile : Croyez !

Voilà ce que chez toi verse aux âmes souffrantes
La chaste obscurité des branches murmurantes !
Mais toi, qu'en fais tu ? dis. - Tous les ans, en flots d'or,
Ce murmure, cette ombre, ineffable trésor,
Ces bruits de vent qui joue et d'arbre qui tressaille,
Vont s'enfouir au fond de ton coffre qui bâille ;
Et tu changes ces bois où l'amour s'enivra,
Toute cette nature, en loge à l'opéra !

Encor si la musique arrivait à ton âme !
Mais entre l'art et toi l'or met son mur infâme.
L'esprit qui comprend l'art comprend le reste aussi.
Tu vas donc dormir là ! sans te douter qu'ainsi
Que tous ces verts trésors que dévore ta bourse,
Gluck est une forêt et Mozart une source.

Tu dors ; et quand parfois la mode, en souriant,
Te dit : Admire, riche ! alors, joyeux, criant,
Tu surgis, demandant comment l'auteur se nomme,
Pourvu que toutefois la muse soit un homme !
Car tu te roidiras dans ton étrange orgueil
Si l'on t'apporte, un soir, quelque musique en deuil,
Urne que la pensée a chauffée à sa flamme,
Beau vase où s'est versé tout le coeur d'une femme.

Ô seigneur malvenu de ce superbe lieu !
Caillou vil incrusté dans ces rubis en feu !
Maître pour qui ces champs sont pleins de sourdes haines !
Gui parasite enflé de la sève des chênes !
Pauvre riche ! - Vis donc, puisque cela pour toi
C'est vivre. Vis sans coeur, sans pensée et sans foi.
Vis pour l'or, chose vile, et l'orgueil, chose vaine.
Végète, toi qui n'as que du sang dans la veine,
Toi qui ne sens pas Dieu frémir dans le roseau,
Regarder dans l'aurore et chanter dans l'oiseau !

Car, - et bien que tu sois celui qui rit aux belles
Et, le soir, se récrie aux romances nouvelles, -
Dans les coteaux penchants où fument les hameaux,
Près des lacs, près des fleurs, sous les larges rameaux,
Dans tes propres jardins, tu vas aussi stupide,
Aussi peu clairvoyant dans ton instinct cupide,
Aussi sourd à la vie à l'harmonie, aux voix,
Qu'un loup sauvage errant au milieu des grands bois !

Le 22 mai 1837.
(Au Marquis de Lamaisonfort)

Oh ! qui m'emportera vers les tièdes rivages,
Où l'Arno couronné de ses pâles ombrages,
Aux murs des Médicis en sa course arrêté,
Réfléchit le palais par un sage habité,
Et semble, au bruit flatteur de son onde plus lente,
Murmurer les grands noms de Pétrarque et du Dante ?
Ou plutôt, que ne puis-je, au doux tomber du jour,
Quand le front soulagé du fardeau de la cour,
Tu vas sous tes bosquets chercher ton Égérie,
Suivre, en rêvant, tes pas de prairie en prairie ;
Jusqu'au modeste toit par tes mains embelli,
Où tu cours adorer le silence et l'oubli !
J'adore aussi ces dieux : depuis que la sagesse
Aux rayons du malheur a mûri ma jeunesse,
Pour nourrir ma raison des seuls fruits immortels,
J'y cherche en soupirant l'ombre de leurs autels ;
Et, s'il est au sommet de la verte colline,
S'il est sur le penchant du coteau qui s'incline,
S'il est aux bords déserts du torrent ignoré
Quelque rustique abri, de verdure entouré,
Dont le pampre arrondi sur le seuil domestique
Dessine en serpentant le flexible portique ;
Semblable à la colombe errante sur les eaux,
Qui, des cèdres d'Arar découvrant les rameaux,
Vola sur leur sommet poser ses pieds de rose,
Soudain mon âme errante y vole et s'y repose !
Aussi, pendant qu'admis dans les conseils des rois,
Représentant d'un maître honoré par son choix,
Tu tiens un des grands fils de la trame du monde ;
Moi, parmi les pasteurs, assis aux bords de l'onde,
Je suis d'un oeil rêveur les barques sur les eaux ;
J'écoute les soupirs du vent dans les roseaux ;
Nonchalamment couché près du lit des fontaines,
Je suis l'ombre qui tourne autour du tronc des chênes,
Ou je grave un vain nom sur l'écorce des bois,
Ou je parle à l'écho qui répond à ma voix,
Ou dans le vague azur contemplant les nuages,
Je laisse errer comme eux mes flottantes images ;
La nuit tombe, et le Temps, de son doigt redouté,
Me marque un jour de plus que je n'ai pas compté !

Quelquefois seulement quand mon âme oppressée
Sent en rythmes nombreux déborder ma pensée ;
Au souffle inspirateur du soir dans les déserts,
Ma lyre abandonnée exhale encor des vers !
J'aime à sentir ces fruits d'une sève plus mûre,
Tomber, sans qu'on les cueille, au gré de la nature,
Comme le sauvageon secoué par les vents,
Sur les gazons flétris, de ses rameaux mouvants
Laisse tomber ces fruits que la branche abandonne,
Et qui meurent au pied de l'arbre qui les donne !
Il fut un temps, peut-être, où mes jours mieux remplis,
Par la gloire éclairés, par l'amour embellis,
Et fuyant **** de moi sur des ailes rapides,
Dans la nuit du passé ne tombaient pas si vides.
Aux douteuses clartés de l'humaine raison,
Egaré dans les cieux sur les pas de Platon,
Par ma propre vertu je cherchais à connaître
Si l'âme est en effet un souffle du grand être ;
Si ce rayon divers, dans l'argile enfermé,
Doit être par la mort éteint ou rallumé ;
S'il doit après mille ans revivre sur la terre ;
Ou si, changeant sept fois de destins et de sphère,
Et montant d'astre en astre à son centre divin,
D'un but qui fuit toujours il s'approche sans fin ?
Si dans ces changements nos souvenirs survivent ?
Si nos soins, nos amours, si nos vertus nous suivent
S'il est un juge assis aux portes des enfers,
Qui sépare à jamais les justes des pervers ?
S'il est de saintes lois qui, du ciel émanées,
Des empires mortels prolongent les années,
Jettent un frein au peuple indocile à leur voix,
Et placent l'équité sous la garde des rois ?
Ou si d'un dieu qui dort l'aveugle nonchalance
Laisse au gré du destin trébucher sa balance,
Et livre, en détournant ses yeux indifférents,
La nature au hasard, et la terre aux tyrans ?
Mais ainsi que des cieux, où son vol se déploie,
L'aigle souvent trompé redescend sans sa proie,
Dans ces vastes hauteurs où mon oeil s'est porté
Je n'ai rien découvert que doute et vanité !
Et las d'errer sans fin dans des champs sans limite,
Au seul jour où je vis, au seul bord que j'habite,
J'ai borné désormais ma pensée et mes soins :
Pourvu qu'un dieu caché fournisse à mes besoins !
Pourvu que dans les bras d'une épouse chérie
Je goûte obscurément les doux fruits de ma vie !
Que le rustique enclos par mes pères planté
Me donne un toit l'hiver, et de l'ombre l'été ;
Et que d'heureux enfants ma table couronnée
D'un convive de plus se peuple chaque année !
Ami ! je n'irai plus ravir si **** de moi,
Dans les secrets de Dieu ces comment ; ces pourquoi,
Ni du risible effort de mon faible génie,
Aider péniblement la sagesse infinie !
Vivre est assez pour nous ; un plus sage l'a dit :
Le soin de chaque jour à chaque jour suffit.
Humble, et du saint des saints respectant les mystères,
J'héritai l'innocence et le dieu de mes pères ;
En inclinant mon front j'élève à lui mes bras,
Car la terre l'adore et ne le comprend pas :
Semblable à l'Alcyon, que la mer dorme ou gronde,
Qui dans son nid flottant s'endort en paix sur l'onde,
Me reposant sur Dieu du soin de me guider
A ce port invisible où tout doit aborder,
Je laisse mon esprit, libre d'inquiétude,
D'un facile bonheur faisant sa seule étude,
Et prêtant sans orgueil la voile à tous les vents,
Les yeux tournés vers lui, suivre le cours du temps.

Toi, qui longtemps battu des vents et de l'orage,
Jouissant aujourd'hui de ce ciel sans nuage,
Du sein de ton repos contemples du même oeil
Nos revers sans dédain, nos erreurs sans orgueil ;
Dont la raison facile, et chaste sans rudesse,
Des sages de ton temps n'a pris que la sagesse,
Et qui reçus d'en haut ce don mystérieux
De parler aux mortels dans la langue des dieux ;
De ces bords enchanteurs où ta voix me convie,
Où s'écoule à flots purs l'automne de ta vie,
Où les eaux et les fleurs, et l'ombre, et l'amitié,
De tes jours nonchalants usurpent la moitié,
Dans ces vers inégaux que ta muse entrelace,
Dis-nous, comme autrefois nous l'aurait dit Horace,
Si l'homme doit combattre ou suivre son destin ?
Si je me suis trompé de but ou de chemin ?
S'il est vers la sagesse une autre route à suivre ?
Et si l'art d'être heureux n'est pas tout l'art de vivre.
Le Démon, dans ma chambre haute,
Ce matin est venu me voir,
Et, tâchant à me prendre en faute,
Me dit : " Je voudrais bien savoir,

Parmi toutes les belles choses
Dont est fait son enchantement,
Parmi les objets noirs ou roses
Qui composent son corps charmant,

Quel est le plus doux. " - Ô mon âme !
Tu répondis à l'Abhorré :
" Puisqu'en Elle tout est dictame,
Rien ne peut être préféré.

Lorsque tout me ravit, j'ignore
Si quelque chose me séduit.
Elle éblouit comme l'Aurore
Et console comme la Nuit ;

Et l'harmonie est trop exquise,
Qui gouverne tout son beau corps,
Pour que l'impuissante analyse
En note les nombreux accords.

Ô métamorphose mystique
De tous mes sens fondus en un !
Son haleine fait la musique,
Comme sa voix fait le parfum ! "
Mon fils, disait un jour Jupiter à Minos,
Toi qui juges la race humaine,
Explique-moi pourquoi l'enfer suffit à peine
Aux nombreux criminels que t'envoie Atropos.
Quel est de la vertu le fatal adversaire
Qui corrompt à ce point la faible humanité ?
C'est, je crois, l'intérêt. - L'intérêt ? Non, mon père.
- Et qu'est-ce donc ? - l'oisiveté.
Fable XI, Livre III.


Le vent s'élève ; un gland tombe dans la poussière :
Un chêne en sort. - Un chêne ! Osez-vous appeler
Chêne cet avorton qu'un souffle fait trembler ?
Ce fétu, près de qui la plus humble bruyère
Serait un arbre ? - Et pourquoi non ?
Je ne m'en dédis pas, docteur ; cet avorton,
Ce fétu, c'est un chêne, un vrai chêne, tout comme
Cet enfant qu'on berce est un homme.
Quoi de plus naturel, d'ailleurs, que vos propos !
Vous n'avez rien dit là, docteur, qu'en leur langage
Tous les buissons du voisinage
Sur mon chêne, avant vous, n'aient dit en d'autres mots :
« Quel brin d'herbe, en rampant, sous notre abri se range ?
Quel germe inutile, égaré,
À nos pieds végète enterré
Dans la poussière et dans la fange ? »
« - Messieurs, » leur répondait, sans discours superflus,
Le germe, au fond du cœur, chêne dès sa naissance,
« Messieurs, pour ma jeunesse ayez plus d'indulgence :
Je croîs, ne vous déplaise, et vous ne croissez plus. »
Le germe raisonnait fort juste :
Le temps, qui détruit tout, fait tout croître d'abord ;
Par lui le faible devient fort ;
Le petit, grand ; le germe, arbuste.
Les buissons, indignés qu'en une année ou deux
Un chêne devînt grand comme eux,
Se récriaient contre l'audace
De cet aventurier qui, comme un champignon,
Né d'hier et de quoi ? sans gêne ici se place,
Et prétend nous traiter de pair à compagnon !
L'égal qu'ils dédaignaient cependant les surpasse ;
D'arbuste il devient arbre, et les sucs généreux
Qui fermentent sous son écorce,
De son robuste tronc à ses rameaux nombreux
Renouvelant sans cesse et la vie et la force,
Il grandit, il grossit, il s'allonge, il s'étend,
Il se développe, il s'élance ;
Et l'arbre, comme on en voit tant,
Finit par être un arbre immense.
De protégé qu'il fut, le voilà protecteur,
Abritant, nourrissant des peuplades sans nombre :
Les troupeaux, les chiens, le pasteur,
Vont dormir en paix sous son ombre ;
L'abeille dans son sein vient déposer son miel,
Et l'aigle suspendre son aire
À l'un des mille bras dont il perce le ciel,
Tandis que mille pieds l'attachent à la terre.
L'impétueux Eurus, l'Aquilon mugissant,
En vain contre sa masse ont déchaîné leur rage ;
Il rit de leurs efforts, et leur souffle impuissant
Ne fait qu'agiter son feuillage.
Cybèle aussi n'a pas de nourrissons,
De l'orme le plus fort au genêt le plus mince,
Qui des forêts en lui ne respecte le prince :
Tout l'admire aujourd'hui, tout, hormis les buissons.
« L'orgueilleux ! disent-ils ; il ne se souvient guères
De notre ancienne égalité ;
Enflé de sa prospérité,
A-t-il donc oublié que les arbres sont frères ? »
« - Si nous naissons égaux, repart avec bonté
L'arbre de Jupiter, dans la même mesure
Nous ne végétons pas ; et ce tort, je vous jure,
Est l'ouvrage de la nature,
Et non pas de ma volonté.
Le chêne vers les cieux portant un front superbe,
L'arbuste qui se perd sous l'herbe,
Ne font qu'obéir à sa loi.
Vous la voulez changer ; ce n'est pas mon affaire ;
Je ne dois pas, en bonne foi,
Me rapetisser pour vous plaire.
Mes frères, tâchez donc de grandir comme moi. »
J'avais toujours rêvé le bonheur en ménage,
Comme un port où le cœur, trop longtemps agité,
Vient trouver, à la fin d'un long pèlerinage,
Un dernier jour de calme et de sérénité.

Une femme modeste, à peu près de mon âge
Et deux petits enfants jouant à son côté ;
Un cercle peu nombreux d'amis du voisinage,
Et de joyeux propos dans les beaux soirs d'été.

J'abandonnais l'amour à la jeunesse ardente
Je voulais une amie, une âme confidente,
Où cacher mes chagrins, qu'elle seule aurait lus ;

Le ciel m'a donné plus que je n'osais prétendre ;
L'amitié, par le temps, a pris un nom plus tendre,
Et l'amour arriva qu'on ne l'attendait plus.
Un bœuf, un baudet, un cheval,
Se disputaient la préséance.
Un baudet ! direz-vous, tant d'orgueil lui sied mal.
A qui l'orgueil sied-il ? et qui de nous ne pense
Valoir ceux que le rang, les talents, la naissance,
Elèvent au-dessus de nous ?
Le bœuf, d'un ton modeste et doux,
Alléguait ses nombreux services,
Sa force, sa docilité ;
Le coursier, sa valeur, ses nobles exercices ;
Et l'âne son utilité.
Prenons, dit le cheval, les hommes pour arbitres :
En voici venir trois ; exposons-leur nos titres.
Si deux sont d'un avis, le procès est jugé.
Les trois hommes venus, notre bœuf est chargé
D'être le rapporteur ; il explique l'affaire,
Et demande le jugement.
Un des juges choisis, maquignon bas-normand,
Crie aussitôt : La chose est claire,
Le cheval a gagné. Non pas, mon cher confrère,
Dit le second jugeur ; c'était un gros meunier ;
L'âne doit marcher le premier :
Tout autre avis serait d'une injustice extrême.
Oh ! que nenni, dit le troisième,
Fermier de sa paroisse et riche laboureur,
Au bœuf appartient cet honneur.
Quoi ! reprend le coursier, écumant de colère,
Votre avis n'est dicté que par votre intérêt ?
Eh mais ! dit le Normand, par quoi donc, s'il vous plaît ?
N'est-ce pas le code ordinaire ?
Les sots sont un peuple nombreux,
Trouvant toutes choses faciles :
Il faut le leur passer, souvent ils sont heureux ;
Grand motif de se croire habiles.
Un âne, en broutant ses chardons,
Regardait un pasteur jouant, sous le feuillage,
D'une flûte dont les doux sons
Attiraient et charmaient les bergers du bocage.
Cet âne mécontent disait : ce monde est fou !
Les voilà tous, bouche béante,
Admirant un grand sot qui sue et se tourmente
À souffler dans un petit trou.
C'est par de tels efforts qu'on parvient à leur plaire,
Tandis que moi... suffit... allons-nous-en d'ici,
Car je me sens trop en colère.
Notre âne, en raisonnant ainsi,
Avance quelques pas, lorsque sur la fougère
Une flûte oubliée en ces champêtres lieux
Par quelque pasteur amoureux
Se trouve sous ses pieds. Notre âne se redresse,
Sur elle de côté fixe ses deux gros yeux ;
Une oreille en avant, lentement il se baisse,
Applique son naseau sur le pauvre instrument,
Et souffle tant qu'il peut. ô hasard incroyable !
Il en sort un son agréable.
L'âne se croit un grand talent,
Et tout joyeux s'écrie en faisant la culbute :
Eh ! Je joue aussi de la flûte !
C'en est fait, je quitte le monde ;
Je veux fuir pour jamais le spectacle odieux
Des crimes, des horreurs, dont sont blessés mes yeux.
Dans une retraite profonde,
**** des vices, **** des abus,
Je passerai mes jours doucement à maudire
Les méchants de moi trop connus.
Seule ici bas j'ai des vertus :
Aussi pour ennemi j'ai tout ce qui respire,
Tout l'univers m'en veut ; homme, enfants, animaux,
Jusqu'au plus petit des oiseaux,
Tous sont occupés de me nuire.
Eh ! Qu'ai-je fait pourtant ? ... que du bien. Les ingrats !
Ils me regretteront, mais après mon trépas.
Ainsi se lamentait certaine sauterelle,
Hypocondre et n'estimant qu'elle.
Où prenez-vous cela, ma sœur ?
Lui dit une de ses compagnes :
Quoi ! Vous ne pouvez pas vivre dans ces campagnes
En broutant de ces prés la douce et tendre fleur,
Sans vous embarrasser des affaires du monde ?
Je sais qu'en travers il abonde :
Il fut ainsi toujours, et toujours il sera ;
Ce que vous en direz grand'chose n'y fera.
D'ailleurs où vit-on mieux ? Quant à votre colère
Contre ces ennemis qui n'en veulent qu'à vous,
Je pense, ma sœur, entre nous,
Que c'est peut-être une chimère,
Et que l'orgueil souvent donne ces visions.
Dédaignant de répondre à ces sottes raisons,
La sauterelle part, et sort de la prairie
Sa patrie.
Elle sauta deux jours pour faire deux cents pas.
Alors elle se croit au bout de l'hémisphère,
Chez un peuple inconnu, dans de nouveaux états ;
Elle admire ces beaux climats,
Salue avec respect cette rive étrangère.
Près de là, des épis nombreux
Sur de longs chalumeaux, à six pieds de la terre,
Ondoyants et pressés se balançaient entre eux.
Ah que voilà bien mon affaire !
Dit-elle avec transport : dans ces sombres taillis
Je trouverai sans doute un désert solitaire ;
C'est un asile sûr contre mes ennemis.
La voilà dans le bled. Mais, dès l'aube suivante,
Voici venir les moissonneurs.
Leur troupe nombreuse et bruyante
S'étend en demi-cercle, et, parmi les clameurs,
Les ris, les chants des jeunes filles,
Les épis entassés tombent sous les faucilles,
La terre se découvre, et les bleds abattus
Laissent voir les sillons tout nus.
Pour le coup, s'écriait la triste sauterelle,
Voilà qui prouve bien la haine universelle
Qui partout me poursuit : à peine en ce pays
A-t-on su que j'étais, qu'un peuple d'ennemis
S'en vient pour chercher sa victime.
Dans la fureur qui les anime,
Employant contre moi les plus affreux moyens,
De peur que je n'échappe ils ravagent leurs biens :
Ils y mettraient le feu, s'il était nécessaire.
Eh ! Messieurs, me voilà, dit-elle en se montrant ;
Finissez un travail si grand,
Je me livre à votre colère.
Un moissonneur, dans ce moment,
Par hasard la distingue ; il se baisse, la prend,
Et dit, en la jetant dans une herbe fleurie :
Va manger, ma petite amie.
Muse, un nommé Ségur, évêque, m'est hostile ;
Cet homme violet me damne en mauvais style ;
Sa prose réjouit les hiboux dans leurs trous.
Ô Muse, n'ayons point contre lui de courroux.
Laissons-lui ce joujou qu'il prend pour un tonnerre,
Sa haine.

Il est d'ailleurs à plaindre. Au séminaire,
Un jour que ce petit bonhomme plein d'ennui
Bêlait un oremus au hasard devant lui,
Comme glousse l'oison, comme la vache meugle,
Il s'écria : - Mon Dieu ! Je voudrais être aveugle ! -
Ne trouvant pas qu'il fît assez nuit comme ça.
Le bon Dieu, le faisant idiot, l'exauça.

L'insulte est aujourd'hui très perfectionnée.
On prend un peu de suie en une cheminée,
Un peu d'ordure au coin d'une borne, à l'égoût
De la fange, et cela tient lieu d'esprit, de goût,
De bon sens, de syntaxe et d'honneur ; c'est la mode.
Bons ulémas, tel est le procédé commode
Que votre zèle met au service du ciel,
Et c'est avec la bouche écumante de fiel,
Avec la diatribe en guise de sourire,
Que vous venez, damnant ceux qu'on n'ose proscrire,
Nous faire vos gros yeux, nous montrer vos gros poings,
Nous dire vos gros mots, ô nos chers talapoins !

On vous pardonne. Eh bien, quoi, Ségur m'exorcise.
Après ?

Il me maudit d'une façon concise ;
Il me peint de son mieux, et voici le pastel
À peu près :

- « Monstre horrible. On n'a rien vu de tel.
Informe, épouvantable et ténébreux. Un homme
Qui brûlerait Paris et démolirait Rome.
Voluptueux. Un peu le chef des assassins.
Bref, capable de tout. Foulant aux pieds les saints,
Les lois, l'église et Dieu. Ruinant son libraire. »
Faisons chorus. Hurler avec le loup, et braire
Avec l'évêque, eh bien, c'est un droit. Usons-en.
J'aime en ce noble abbé ce style paysan.
C'est poissard, c'est exquis. Bravo. Cela vous plonge
Dans une vague extase où l'on sent le mensonge.
Doux prêtre ! On entend rire aux éclats Diderot,
Molière, Rabelais, et l'on ne sait pas trop,
Dans cette vision où le démon chuchote,
Si l'on voit un évêque ayant au dos la hotte
Ou bien un chiffonnier ayant la mitre au front.
L'antienne, quand un peu de bave l'interrompt,
À du charme ; on est prêtre et l'on a de la bile.
D'ailleurs, Muse, chacun sur terre a son Zoïle,
Et Voltaire a Fréron comme Dante a Cecchi.
Et puis cela se vend. Combien ? Six sous. À qui ?
Aux sots. C'est un public. Les mâchoires fossiles
Veulent rire ; le clan moqueur des imbéciles
Veut qu'on l'amuse ; il est fort nombreux aujourd'hui ;
N'a-t-il donc pas le droit qu'on travaille pour lui ?
Depuis quand n'est-il plus permis d'emplir les cruches ?
Tout a son instinct. Comme un frelon vole aux ruches,
Comme à Lucrèce au lit court Alexandre six,
Comme Corydon suit le charmant Alexis,
Comme un loup suit les boucs, et le bouc les cytises,
Comme avril fait des fleurs, Ségur fait des sottises.
Il le faut.

Muse, il sied que le sage indulgent
Rêve, écoute, et devienne un bon homme en songeant,
Qu'il regarde passer les vivants, qu'il les pèse,
Et qu'au lieu de l'aigrir, ce spectacle l'apaise.
Ainsi soit-il.

Et puis, allons au fait. Voyons,
Suis-je correct ? L'hostie avec tous ses rayons
M'éblouit-elle autant que le soleil ? Ce prêtre
Me voit-il le dimanche à sa messe apparaître ?
Ai-je même jamais fait semblant de vouloir
Lui conter mes péchés tous bas dans son parloir ?
Quand suis-je allé chez lui, reniant ma doctrine,
Me donner de grands coups de poing dans la poitrine ?
Je suis un endurci. Ségur s'en aperçoit.
Je suis athée au point de douter que Dieu soit
Charmé de se chauffer les mains au feu du diable,
Qu'il ait mis l'incurable et l'irrémédiable
Dans l'homme, être ignorant, faible, chétif, charnel,
Afin d'en faire hommage au supplice éternel,
Qu'il ait exprès fourré Satan dans la nature,
Et qu'il ait, lui, l'auteur de toute créature,
Pouvant vider l'enfer et le fermer à clé,
Fait un brûleur, afin de créer un brûlé ;
Que les mille soleils dont là-haut le feu tremble
Se mettent un beau jour à tomber tous ensemble,
J'en doute ; et quand je vois, au fond du zénith bleu,
Les sept astres de l'Ourse allumés, je crois peu
Que jamais le plafond céleste se délabre
Jusqu'à ne pouvoir plus porter ce candélabre.
Je sais que dans la bible on trouve ce cliché,
La Fin du Monde ; mais la science a marché.
Moïse est vieux ; est-il sur terre un quadrumane
Qui lève au ciel les yeux pour voir pleuvoir la manne ?
Je trouve par moments plus d'esprit, je le dis,
Aux singes d'à présent qu'aux hommes de jadis.
Pape, Dieu, ce n'est pas le même personnage.
J'aime la cathédrale et non le moyen-âge.

Qu'est-ce qu'un dogme, un culte, un rite ? Un objet d'art.
Je puis l'admirer ; mais s'il égare un soudard,
S'il grise un fou, s'il tue un homme, je l'abhorre.
Plus d'idole ! Et j'oppose à l'encens l'ellébore.
Quand une abbesse, à qui quelque nonne déplaît,
Lui fait brouter de l'herbe à côté d'un mulet,
J'ose dire que c'est mal nourrir une femme ;
J'admire un arbre en fleurs plus qu'un bûcher en flamme ;
Je suis peu furieux ; j'aime Voltaire enfin
Mieux que saint Cupertin et que saint Cucufin,
Et je préfère à tout ce que dit saint Pancrace,
Saint Loup, saint Labre ou saint Pacôme, un vers d'Horace.
Tels sont mes goûts. Je suis incorrigible. Et quand
Floréal, comme un chef qui réveille le camp,
Met les nids en rumeur, et quand mon vers patauge,
Éperdu, dans le thym, la verveine et la sauge,
Quand la plaine est en joie, et quand l'aube est en feu,
Je crois tout bonnement, tout bêtement en Dieu.

En même temps j'ai l'âme âprement enivrée
Du sombre ennui de voir tant d'hommes en livrée,
Tant de deuils, tant de fronts courbés, tant de cœurs bas,
Là, tant de lits de pourpre, et là, tant de grabats.
Mon Dieu n'est ni payen, ni chrétien, ni biblique ;
Ce Dieu-là, je l'implore en la douleur publique ;
C'est vers lui que je suis tourné, vieux lutteur las,
Quand je crie au milieu des ténèbres : - Hélas !
Sur la grève que bat toute la mer humaine,
Grève où le flux apporte, où le reflux remmène
Les flots hideux jetant l'écume aux alcyons,
Qui donc apportera dans l'ombre aux nations
Ou l'éclair de Paris ou le rayon de France ?
Qui donc rallumera ce phare, l'espérance ? -

Donc j'ai ce grave tort de n'être point dévot ;
Je ne le suis pas même au parti qui prévaut ;
Je n'aime pas qu'après la victoire on sévisse ;
C'est affreux, je pardonne ; et je suis au service
Des vaincus ; et, songeant que ma mère aux abois
Fut jadis vendéenne, en fuite dans les bois,
J'ose de la pitié faire la propagande ;
Je suis le fils brigand d'une mère brigande.
Être clément, c'est être atroce ; ou pour le moins,
Stupide. Je le suis, toujours, devant témoins,
Partout. Les autres sont les vautours ; je suis l'oie.
Oui, quand la lâcheté publique se déploie,
Il me plaît d'être seul et d'être le dernier.
Quand le væ victis règne, et va jusqu'à nier
La quantité de droit qui reste à ceux qui tombent,
Quand, nul ne protestant, les principes succombent,
Cette fuite de tous m'attire. Me voilà.

Comment veut-on qu'un prêtre accepte tout cela !
Dès la pointe du jour, sortant de son hameau,
Colas, jeune pasteur d'un assez beau troupeau,
Le conduisait au pâturage :
Sur sa route il trouve un ruisseau
Que, la nuit précédente, un effroyable orage
Avait rendu torrent ; comment passer cette eau ?
Chiens, brebis et berger, tout s'arrête au rivage.
En faisant un circuit, l'on eût gagné le pont ;
C'était bien le plus sûr, mais c'était le plus long ;
Colas veut abréger. D'abord il considère
Qu'il peut franchir cette rivière :
Et comme ses béliers sont forts, Il conclut que, sans grands efforts,
Le troupeau sautera. Cela dit, il s'élance ;
Son chien saute après lui, béliers d'entrer en danse,
A qui mieux mieux ; courage, allons !
Après les béliers, les moutons ;
Tout est en l'air, tout saute, et Colas les excite
En s'applaudissant du moyen.
Les béliers, les moutons, sautèrent assez bien ;
Mais les brebis vinrent ensuite,
Les agneaux, les vieillards, les faibles, les peureux,
Les mutins, corps toujours nombreux,
Qui refusaient le saut ou sautaient de colère
Et, soit faiblesse, soit dépit,
Se laissaient choir dans la rivière.
Il s'en noya le quart ; un autre quart s'enfuit,
Et sous la dent du loup périt.
Colas, réduit à la misère,
S'aperçut, mais trop ****, que pour un bon pasteur
Le plus court n'est pas le meilleur.
Ô Don Quichotte, vieux paladin, grand Bohème,

En vain la foule absurde et vile rit de toi :

Ta mort fut un martyre et ta vie un poème,

Et les moulins à vent avaient tort, ô mon roi !


Va toujours, va toujours, protégé par ta foi,

Monté sur ton coursier fantastique que j'aime.

Glaneur sublime, va ! - les oublis de la loi

Sont plus nombreux, plus grands qu'au temps jadis lui-même.


Hurrah ! nous te suivons, nous, les poètes saints

Aux cheveux de folie et de verveine ceints.

Conduis-nous à l'assaut des hautes fantaisies,


Et bientôt, en dépit de toute trahison,

Flottera l'étendard ailé des Poésies

Sur le crâne chenu de l'inepte raison !
Un renard plein d'esprit, d'adresse, de prudence,
À la cour d'un lion servait depuis longtemps.
Les succès les plus éclatants
Avaient prouvé son zèle et son intelligence.
Pour peu qu'on l'employât, toute affaire allait bien.
On le louait beaucoup, mais sans lui donner rien ;
Et l'habile renard était dans l'indigence.
Lassé de servir des ingrats,
De réussir toujours sans en être plus gras,
Il s'enfuit de la cour ; dans un bois solitaire
Il s'en va trouver son grand-père,
Vieux renard retiré, qui jadis fut vizir.
Là, contant ses exploits, et puis les injustices,
Les dégoûts qu'il eut à souffrir,
Il demande pourquoi de si nombreux services
N'ont jamais pu rien obtenir.
Le bon homme renard, avec sa voix cassée,
Lui dit : mon cher enfant, la semaine passée,
Un blaireau mon cousin est mort dans ce terrier :
C'est moi qui suis son héritier,
J'ai conservé sa peau : mets-la dessus la tienne,
Et retourne à la cour. Le renard avec peine
Se soumit au conseil ; affublé de la peau
De feu son cousin le blaireau,
Il va se regarder dans l'eau d'une fontaine,
Se trouve l'air d'un sot, tel qu'était le cousin.
Tout honteux, de la cour il reprend le chemin.
Mais, quelques mois après, dans un riche équipage,
Entouré de valets, d'esclaves, de flatteurs,
Comblé de dons et de faveurs,
Il vient de sa fortune au vieillard faire hommage :
Il était grand vizir. Je te l'avais bien dit,
S'écrie alors le vieux grand-père :
Mon ami, chez les grands quiconque voudra plaire
Doit d'abord cacher son esprit.
Je rêvais dans un grand cimetière désert ;
De mon âme et des morts j'écoutais le concert,
Parmi les fleurs de l'herbe et les croix de la tombe.
Dieu veut que ce qui naît sorte de ce qui tombe.
Et l'ombre m'emplissait.

Autour de moi, nombreux,
Gais, sans avoir souci de mon front ténébreux,
Dans ce champ, lit fatal de la sieste dernière,
Des moineaux francs faisaient l'école buissonnière.
C'était l'éternité que taquine l'instant.
Ils allaient et venaient, chantant, volant, sautant,
Égratignant la mort de leurs griffes pointues,
Lissant leur bec au nez lugubre des statues,
Becquetant les tombeaux, ces grains mystérieux.
Je pris ces tapageurs ailés au sérieux ;
Je criai : « Paix aux morts ! vous êtes des harpies.
- Nous sommes des moineaux, me dirent ces impies.
- Silence ! allez-vous en ! » repris-je, peu clément.
Ils s'enfuirent ; j'étais le plus fort. Seulement,
Un d'eux resta derrière, et, pour toute musique,
Dressa la queue, et dit : « Quel est ce vieux classique ? »

Comme ils s'en allaient tous, furieux, maugréant,
Criant, et regardant de travers le géant,
Un houx noir qui songeait près d'une tombe, un sage,
M'arrêta brusquement par la manche au passage,
Et me dit : « Ces oiseaux sont dans leur fonction.
Laisse-les. Nous avons besoin de ce rayon.
Dieu les envoie. Ils font vivre le cimetière.
Homme, ils sont la gaîté de la nature entière ;
Ils prennent son murmure au ruisseau, sa clarté
A l'astre, son sourire au matin enchanté ;
Partout où rit un sage, ils lui prennent sa joie,
Et nous l'apportent ; l'ombre en les voyant flamboie ;
Ils emplissent leurs becs des cris des écoliers ;
A travers l'homme et l'herbe, et l'onde, et les halliers,
Ils vont pillant la joie en l'univers immense.
Ils ont cette raison qui te semble démence.
Ils ont pitié de nous qui **** d'eux languissons ;
Et, lorsqu'ils sont bien pleins de jeux et de chansons ;
D'églogues, de baisers, de tous les commérages
Que les nids en avril font sous les verts ombrages,
Ils accourent, joyeux, charmants, légers, bruyants,
Nous jeter tout cela dans nos trous effrayants ;
Et viennent, des palais, des bois, de la chaumière,
Vider dans notre nuit toute cette lumière ! »
Quand mai nous les ramène, ô songeur, nous disons :
« Les voilà ! » tout s'émeut, pierres, tertres, gazons ;
Le moindre arbrisseau parle, et l'herbe est en extase ;
Le saule pleureur chante en achevant sa phrase ;
Ils confessent les ifs, devenus babillards ;
Ils jasent de la vie avec les corbillards ;
Des linceuls trop pompeux ils décrochent l'agrafe ;
Ils se moquent du marbre ; ils savent l'orthographe ;
Et, moi qui suis ici le vieux chardon boudeur,
Devant qui le mensonge étale sa laideur,
Et ne se gène pas, me traitant comme un hôte,
Je trouve juste, ami, qu'en lisant à voix haute
L'épitaphe où le mort est toujours bon et beau,
Ils fassent éclater de rire le tombeau.

Paris, mai 1835.
Des laboureurs vivaient paisibles et contents
Dans un riche et nombreux village ;
Dès l'aurore ils allaient travailler à leurs champs,
Le soir ils revenaient chantants
Au sein d'un tranquille ménage ;
Et la nature bonne et sage,
Pour prix de leurs travaux, leur donnait tous les ans
De beaux bleds et de beaux enfants.
Mais il faut bien souffrir, c'est notre destinée.
Or il arriva qu'une année,
Dans le mois où le blond Phébus
S'en va faire visite au brûlant Sirius,
La terre, de sucs épuisée,
Ouvrant de toutes parts son sein,
Haletait sous un ciel d'airain.
Point de pluie et point de rosée.
Sur un sol crevassé l'on voit noircir le grain,
Les épis sont brûlés, et leurs têtes penchées
Tombent sur leurs tiges séchées.
On trembla de mourir de faim ;
La commune s'assemble. En hâte on délibère ;
Et chacun, comme à l'ordinaire,
Parle beaucoup et rien ne dit.
Enfin quelques vieillards, gens de sens et d'esprit,
Proposèrent un parti sage :
Mes amis, dirent-ils, d'ici vous pouvez voir
Ce mont peu distant du village ;
Là se trouve un grand lac, immense réservoir
Des souterraines eaux qui s'y font un passage.
Allez saigner ce lac ; mais sachez ménager
Un petit nombre de saignées,
Afin qu'à votre gré vous puissiez diriger
Ces bienfaisantes eaux dans vos terres baignées.
Juste quand il faudra nous les arrêterons.
Prenez bien garde au moins... oui, oui, courons, courons,
S'écrie aussitôt l'assemblée.
Et voilà mille jeunes gens
Armés d'hoyaux, de pics, et d'autres instruments,
Qui volent vers le lac : la terre est travaillée
Tout autour de ses bords ; on perce en cent endroits
À la fois ;
D'un morceau de terrain chaque ouvrier se charge :
Courage ! Allons ! Point de repos !
L'ouverture jamais ne peut être assez large.
Cela fut bientôt fait. Avant la nuit, les eaux,
Tombant de tout leur poids sur leur digue affaiblie,
De partout roulent à grands flots.
Transports et compliments de la troupe ébahie,
Qui s'admire dans ses travaux.
Le lendemain matin ce ne fut pas de même :
On voit flotter les bleds sur un océan d'eau ;
Pour sortir du village il faut prendre un bateau ;
Tout est perdu, noyé. La douleur est extrême,
On s'en prend aux vieillards : c'est vous, leur disait-on,
Qui nous coûtez notre moisson ;
Votre maudit conseil... il était salutaire,
Répondit un d'entre eux ; mais ce qu'on vient de faire
Est fort **** du conseil comme de la raison.
Nous voulions un peu d'eau, vous nous lâchez la bonde ;
L'excès d'un très grand bien devient un mal très grand :
Le sage arrose doucement,
L'insensé tout de suite inonde.
La chose fut exquise et fort bien ordonnée.
C'était au mois d'avril, et dans une journée
Si douce, qu'on eût dit qu'amour l'eût faite exprès.
Thérèse la duchesse à qui je donnerais,
Si j'étais roi, Paris, si j'étais Dieu, le monde,
Quand elle ne serait que Thérèse la blonde ;
Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant,
Nous avait conviés dans son jardin charmant.
On était peu nombreux. Le choix faisait la fête.
Nous étions tous ensemble et chacun tête à tête.
Des couples pas à pas erraient de tous côtés.
C'étaient les fiers seigneurs et les rares beautés,
Les Amyntas rêvant auprès des Léonores,
Les marquises riant avec les monsignores ;
Et l'on voyait rôder dans les grands escaliers
Un nain qui dérobait leur bourse aux cavaliers.

A midi, le spectacle avec la mélodie.
Pourquoi jouer Plautus la nuit ? La comédie
Est une belle fille, et rit mieux au grand jour.
Or, on avait bâti, comme un temple d'amour,
Près d'un bassin dans l'ombre habité par un cygne,
Un théâtre en treillage où grimpait une vigne.
Un cintre à claire-voie en anse de panier,
Cage verte où sifflait un bouvreuil prisonnier,
Couvrait toute la scène, et, sur leurs gorges blanches,
Les actrices sentaient errer l'ombre des branches.
On entendait au **** de magiques accords ;
Et, tout en haut, sortant de la frise à mi-corps,
Pour attirer la foule aux lazzis qu'il répète,
Le blanc Pulcinella sonnait de la trompette.
Deux faunes soutenaient le manteau d'Arlequin ;
Trivelin leur riait au nez comme un faquin.
Parmi les ornements sculptés dans le treillage,
Colombine dormait dans un gros coquillage,
Et, quand elle montrait son sein et ses bras nus,
On eût cru voir la conque, et l'on eût dit Vénus.
Le seigneur Pantalon, dans une niche, à droite,
Vendait des limons doux sur une table étroite,
Et criait par instants : " Seigneurs, l'homme est divin.
- Dieu n'avait fait que l'eau, mais l'homme a fait le vin. "
Scaramouche en un coin harcelait de sa batte
Le tragique Alcantor, suivi du triste Arbate ;
Crispin, vêtu de noir, jouait de l'éventail ;
Perché, jambe pendante, au sommet du portail,
Carlino se penchait, écoutant les aubades,
Et son pied ébauchait de rêveuses gambades.

Le soleil tenait lieu de lustre ; la saison
Avait brodé de fleurs un immense gazon,
Vert tapis déroulé sous maint groupe folâtre.
Rangés des deux côtés de l'agreste théâtre,
Les vrais arbres du parc, les sorbiers, les lilas,
Les ébéniers qu'avril charge de falbalas,
De leur sève embaumée exhalant les délices,
Semblaient se divertir à faire les coulisses,
Et, pour nous voir, ouvrant leurs fleurs comme des yeux,
Joignaient aux violons leur murmure joyeux ;
Si bien qu'à ce concert gracieux et classique,
La nature mêlait un peu de sa musique.

Tout nous charmait, les bois, le jour serein, l'air pur,
Les femmes tout amour, et le ciel tout azur.

Pour la pièce, elle était fort bonne, quoique ancienne,
C'était, nonchalamment assis sur l'avant-scène,
Pierrot qui haranguait, dans un grave entretien,
Un singe timbalier à cheval sur un chien.

Rien de plus. C'était simple et beau. - Par intervalles,
Le singe faisait rage et cognait ses timbales ;
Puis Pierrot répliquait. - Écoutait qui voulait.
L'un faisait apporter des glaces au valet ;
L'autre, galant drapé d'une cape fantasque,
Parlait bas à sa dame en lui nouant son masque ;
Trois marquis attablés chantaient une chanson ;
Thérèse était assise à l'ombre d'un buisson :
Les roses pâlissaient à côté de sa joue,
Et, la voyant si belle, un paon faisait la roue.

Moi, j'écoutais, pensif, un profane couplet
Que fredonnait dans l'ombre un abbé violet.

La nuit vint, tout se tut ; les flambeaux s'éteignirent ;
Dans les bois assombris les sources se plaignirent.
Le rossignol, caché dans son nid ténébreux,
Chanta comme un poète et comme un amoureux.
Chacun se dispersa sous les profonds feuillages ;
Les folles en riant entraînèrent les sages ;
L'amante s'en alla dans l'ombre avec l'amant ;
Et, troublés comme on l'est en songe, vaguement,
Ils sentaient par degrés se mêler à leur âme,
A leurs discours secrets, à leurs regards de flamme,
A leur coeur, à leurs sens, à leur molle raison,
Le clair de lune bleu qui baignait l'horizon.
Oh ! talk not to me of a name great in story ;
The days of our youth are the days of our glory ;
And the myrtle and ivy of sweet two-and-twenty
Are worth all your laurels, though ever so plenty.
BYRON.


Un jour vient où soudain l'artiste généreux
A leur poids sur son front sent les ans plus nombreux.
Un matin il s'éveille avec cette pensée :
- Jeunesse aux jours dorés, je t'ai donc dépensée !
Oh ! qu'il m'en reste peu ! Je vois le fond du sort,
Comme un prodigue en pleurs le fond du coffre-fort. -
Il sent, sous le soleil qui plus ardent s'épanche,
Comme à midi les fleurs, sa tête qui se penche ;
Si d'aventure il trouve, en suivant son destin,
Le gazon sous ses pas mouillé comme au matin,
Il dit, car il sait bien que son aube est passée :
- C'est de la pluie, hélas ! et non de la rosée ! -

C'en est fait. Son génie est plus mûr désormais.
Son aile atteint peut-être à de plus fiers sommets ;
La fumée est plus rare au foyer qu'il allume ;
Son astre haut monté soulève moins de brumes ;
Son coursier applaudi, parcourt mieux le champ clos ;
Mais il n'a plus en lui, pour l'épandre à grands flots
Sur des œuvres, de grâce et d'amour couronnées,
Le frais enchantement de ses jeunes années !

Oh ! rien ne rend cela ! - Quand il s'en va cherchant
Ces pensers de hasard que l'on trouve en marchant,
Et qui font que le soir l'artiste chez son hôte
Rentre le cœur plus fier et la tête plus haute,
Quand il sort pour rêver, et qu'il erre incertain,
Soit dans les prés lustrés, au gazon de satin,
Soit dans un bois qu'emplit cette chanson sonore
Que le petit oiseau chante à la jeune aurore,
Soit dans le carrefour bruyant et fréquenté,
- Car Paris et la foule ont aussi leur beauté,
Et les passants ne sont, le soir, sur les quais sombres,
Q'un flux et qu'un reflux de lumières et d'ombres ; -
Toujours, au fond de tout, toujours, dans son esprit,
Même quand l'art le tient, l'enivre et lui sourit,
Même dans ses chansons, même dans ses pensées
Les plus joyeusement écloses et bercées,
Il retrouve, attristé, le regret morne et froid
Du passé disparu, du passé, quel qu'il soit !

Novembre 1831.
Certain monarque un jour déplorait sa misère,
Et se lamentait d'être roi :
Quel pénible métier ! disait-il : sur la terre
Est-il un seul mortel contredit comme moi ?
Je voudrais vivre en paix, on me force à la guerre ;
Je chéris mes sujets, et je mets des impôts ;
J'aime la vérité, l'on me trompe sans cesse ;
Mon peuple est accablé de maux,
Je suis consumé de tristesse :
Partout je cherche des avis,
Je prends tous les moyens, inutile est ma peine ;
Plus j'en fais, moins je réussis.
Notre monarque alors aperçoit dans la plaine
Un troupeau de moutons maigres, de près tondus,
Des brebis sans agneaux, des agneaux sans leurs mères,
Dispersés, bêlants, éperdus,
Et des béliers sans force errant dans les bruyères.
Leur conducteur Guillot allait, venait, courait,
Tantôt à ce mouton qui gagne la forêt,
Tantôt à cet agneau qui demeure derrière,
Puis à sa brebis la plus chère ;
Et, tandis qu'il est d'un côté,
Un loup prend un mouton qu'il emporte bien vite ;
Le berger court, l'agneau qu'il quitte
Par une louve est emporté.
Guillot tout haletant s'arrête,
S'arrache les cheveux, ne sait plus où courir ;
Et, de son poing frappant sa tête,
Il demande au ciel de mourir.
Voilà bien ma fidèle image !
S'écria le monarque ; et les pauvres bergers,
Comme nous autres rois, entourés de dangers,
N'ont pas un plus doux esclavage :
Cela console un peu. Comme il disait ces mots,
Il découvre en un pré le plus beau des troupeaux,
Des moutons gras, nombreux, pouvant marcher à peine,
Tant leur riche toison les gêne,
Des béliers grands et fiers, tous en ordre paissants,
Des brebis fléchissant sous le poids de la laine,
Et de qui la mamelle pleine
Fait accourir de **** les agneaux bondissants.
Leur berger, mollement étendu sous un hêtre,
Faisait des vers pour son Iris,
Les chantait doucement aux échos attendris,
Et puis répétait l'air sur son hautbois champêtre.
Le roi tout étonné disait : Ce beau troupeau
Sera bientôt détruit ; les loups ne craignent guère
Les pasteurs amoureux qui chantent leur bergère ;
On les écarte mal avec un chalumeau.
Ah ! comme je rirais !... Dans l'instant le loup passe,
Comme pour lui faire plaisir ;
Mais à peine il paraît, que, prompt à le saisir,
Un chien s'élance et le terrasse.
Au bruit qu'ils font en combattant,
Deux moutons effrayés s'écartent dans la plaine :
Un autre chien part, les ramène,
Et pour rétablir l'ordre il suffit d'un instant.
Le berger voyait tout, couché dessus l'herbette,
Et ne quittait pas sa musette.
Alors le roi presque en courroux
Lui dit : Comment fais-tu ? Les bois sont pleins de loups,
Tes moutons gras et beaux sont au nombre de mille,
Et, sans en être moins tranquille,
Dans cet heureux état toi seul tu les maintiens !
Sire, dit le berger, la chose est fort facile ;
Tout mon secret consiste à choisir de bons chiens.
Voilà que tout cela est passé... Mon enfance n'est plus ;
Elle est morte, pour ainsi dire, quoique je vive encore.
Saint Augustin, Confessions.


I.

J'ai des rêves de guerre en mon âme inquiète ;
J'aurais été soldat, si je n'étais poète.
Ne vous étonnez point que j'aime les guerriers !
Souvent, pleurant sur eux, dans ma douleur muette,
J'ai trouvé leur cyprès plus beau que nos lauriers.

Enfant, sur un tambour ma crèche fut posée.
Dans un casque pour moi l'eau sainte fut puisée.
Un soldat, m'ombrageant d'un belliqueux faisceau,
De quelque vieux lambeau d'une bannière usée
Fit les langes de mon berceau.

Parmi les chars poudreux, les armes éclatantes,
Une muse des camps m'emporta sous les tentes ;
Je dormis sur l'affût des canons meurtriers ;
J'aimai les fiers coursiers, aux crinières flottantes,
Et l'éperon froissant les rauques étriers.

J'aimai les forts tonnants, aux abords difficiles ;
Le glaive nu des chefs guidant les rangs dociles ;
La vedette, perdue en un bois isolé ;
Et les vieux bataillons qui passaient dans les villes,
Avec un drapeau mutilé.

Mon envie admirait et le hussard rapide,
Parant de gerbes d'or sa poitrine intrépide,
Et le panache blanc des agiles lanciers,
Et les dragons, mêlant sur leur casque gépide
Le poil taché du tigre aux crins noirs des coursiers.

Et j'accusais mon âge : « Ah ! dans une ombre obscure,
Grandir, vivre ! laisser refroidir sans murmure
Tout ce sang jeune et pur, bouillant chez mes pareils,
Qui dans un noir combat, sur l'acier d'une armure,
Coulerait à flots si vermeils !

Et j'invoquais la guerre, aux scènes effrayantes ;
Je voyais en espoir, dans les plaines bruyantes,
Avec mille rumeurs d'hommes et de chevaux,
Secouant à la fois leurs ailes foudroyantes,
L'un sur l'autre à grands cris fondre deux camps rivaux.

J'entendais le son clair des tremblantes cymbales,
Le roulement des chars, le sifflement des balles,
Et de monceaux de morts semant leurs pas sanglants,
Je voyais se heurter au ****, par intervalles,
Les escadrons étincelants !

II.

Avec nos camps vainqueurs, dans l'Europe asservie
J'errai, je parcourus la terre avant la vie ;
Et, tout enfant encor, les vieillards recueillis
M'écoutaient racontant, d'une bouche ravie,
Mes jours si peu nombreux et déjà si remplis !

Chez dix peuples vaincus je passai sans défense,
Et leur respect craintif étonnait mon enfance.
Dans l'âge où l'on est plaint, je semblais protéger.
Quand je balbutiais le nom chéri de France,
Je faisais pâlir l'étranger.

Je visitai cette île, en noirs débris féconde,
Plus ****, premier degré d'une chute profonde.
Le haut Cenis, dont l'aigle aime les rocs lointains,
Entendit, de son antre où l'avalanche gronde,
Ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins.

Vers l'Adige et l'Arno je vins des bords du Rhône.
Je vis de l'Occident l'auguste Babylone,
Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux,
Reine du monde encor sur un débris de trône,
Avec une pourpre en lambeaux.

Puis Turin, puis Florence aux plaisirs toujours prête,
Naples, aux bords embaumés, où le printemps s'arrête
Et que Vésuve en feu couvre d'un dais brûlant,
Comme un guerrier jaloux qui, témoin d'une fête,
Jette au milieu des fleurs son panache sanglant.

L'Espagne m'accueillit, livrée à la conquête.
Je franchis le Bergare, où mugit la tempête ;
De ****, pour un tombeau, je pris l'Escurial ;
Et le triple aqueduc vit s'incliner ma tête
Devant son front impérial.

Là, je voyais les feux des haltes militaires
Noircir les murs croulants des villes solitaires ;
La tente, de l'église envahissait le seuil ;
Les rires des soldats, dans les saints monastères,
Par l'écho répétés, semblaient des cris de deuil.

III.

Je revins, rapportant de mes courses lointaines
Comme un vague faisceau de lueurs incertaines.
Je rêvais, comme si j'avais, durant mes jours,
Rencontré sur mes pas les magiques fontaines
Dont l'onde enivre pour toujours.

L'Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles ;
Burgos, sa cathédrale aux gothiques aiguilles ;
Irun, ses toits de bois ; Vittoria, ses tours ;
Et toi, Valadolid, tes palais de familles,
Fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours.

Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée ;
J'allais, chantant des vers d'une voix étouffée ;
Et ma mère, en secret observant tous mes pas,
Pleurait et souriait, disant : « C'est une fée
Qui lui parle, et qu'on ne voit pas ! »

1823.
Sonnet.

Ma pauvre muse, hélas ! qu'as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
La folie et l'horreur, froides et taciturnes.

Le succube verdâtre et le rose lutin
T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes ?
Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin,
T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes ?

Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé
Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques,

Comme les sons nombreux des syllabes antiques,
Où règnent tour à tour le père des chansons,
Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.
Vous portez une robe grise,
M'a dit Suzanne l'autre jour ;
Or, vous aurai-je bien comprise ?
Ça veut-il dire qu'elle est grise,
Qu'elle est toute grise d'amour ?

Qu'elle est grise comme la mine
De mes lettres dont le contour
S'éveille sous la plombagine
Qui trace en gris, pour Valentine,
Sur le papier mes vers d'amour ?

Car cette robe si charmante,
À moins que, par un gueux de tour,
Ma mémoire ici ne me mente,
De nœuds de couleur s'agrémente,
Comme tous mes billets d'amour.

Je sais que, fière et délicate,
Comme une Reine pour sa cour,
La femme très femme, et très... chatte,
Ne peut remuer une patte
Sans quelque intention d'amour.

L'intention ne se dérobe,
Dans son capricieux détour,
Qu'aux sots, peu nombreux sur le globe :
Ma poésie et votre robe
Sont toutes deux grises d'amour.
Un jour Ali passait : les têtes les plus hautes
Se courbaient au niveau des pieds de ses arnautes ;
Tout le peuple disait : Allah !
Un derviche soudain, cassé par l'âge aride,
Fendit la foule, prit son cheval par la bride,
Et voici comme il lui parla :

« Ali-Tépéléni, lumière des lumières,
Qui sièges au divan sur les marches premières,
Dont le grand nom toujours grandit,
Ecoute-moi, vizir de ces guerriers sans nombre,
Ombre du padischah qui de Dieu même est l'ombre,
Tu n'es qu'un chien et qu'un maudit !

« Un flambeau du sépulcre à ton insu t'éclaire.
Comme un vase trop plein tu répands ta colère
Sur tout un peuple frémissant ;
Tu brilles sur leurs fronts comme une faulx dans l'herbe
Et tu fait un ciment à ton palais superbe
De leur os broyés dans leur sang.

« Mais ton jour vient. Il faut, dans Janina qui tombe,
Que sous tes pas enfin croule et s'ouvre la tombe ;
Dieu te garde un carcan de fer
Sous l'arbre du segjin chargé d'âmes impies
Qui sur ses rameaux noirs frissonnent accroupies,
Dans la nuit du septième enfer !

« Ton âme fuira nue ; au livre de tes crimes
Un démon te lira les noms de tes victimes ;
Tu les verras autour de toi,
Ces spectres, teints du sang qui n'est plus dans leurs veines,
Se presser, plus nombreux que les paroles vaines
Que balbutiera ton effroi !

« Ceci t'arrivera, sans que ta forteresse
Ou ta flotte te puisse aider dans ta détesse
De sa rame ou de son canon ;
Quand même Ali-Pacha, comme le juif immonde,
Pour tromper l'ange noir qui l'attend hors du monde,
En mourant changerait de nom ! »

Ali sous sa pelisse avait un cimeterre,
Un tromblon tout chargé, s'ouvrant comme un cratère,
Trois longs pistolets, un poignard ;
Il écouta le prêtre et lui laissa tout dire,
Pencha son front rêveur, puis avec un sourire
Donna sa pelisse au vieillard.

Le 8 novembre 1828.
Sonnet.

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ;
Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d'une main distraite et légère caresse
Avant de s'endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,
Et la met dans son coeur **** des yeux du soleil.
Fuyez au mont inabordable !
Fuyez dans le creux du vallon !
Une nation formidable
Vient du côté de l'aquilon.

Ils auront de bons capitaines,
Ils auront de bons matelots,
Ils viendront à travers les plaines,
Ils viendront à travers les flots.

Ils auront des artilleries,
Des chariots, des pavillons ;
Leurs immenses cavaleries
Seront comme des tourbillons.

Comme crie une aigle échappée,
Ils crieront : Nous venons enfin !
Meurent les hommes par l'épée !
Meurent les femmes par la faim !

On les distinguera dans l'ombre
Jetant la lueur et l'éclair.
Ils feront en marche un bruit sombre
Comme les vagues de la mer.

Ils sembleront avoir des ailes,
Ils voleront dans le ciel noir
Plus nombreux que les étincelles
D'un chaume qui brûle le soir.

Ils viendront, le coeur plein de haines
Avec des glaives dans les mains...
- Oh ! ne sortez pas dans les plaines !
- Oh ! n'allez pas dans les chemins !

Car dans nos campagnes antiques
On n'entend plus que les clairons,
Et l'on n'y voit plus que les piques,
Que les piques des escadrons !

Oh ! que de chars ! que de fumée !
Ils viendront, hurlant et riant,
Ils seront une grande armée,
Ils seront un peuple effrayant,

Mais que Dieu, sous qui le ciel tremble,
Montre sa face dans ce bruit,
Ils disparaîtront tous ensemble
Comme une vision de nuit.

Le 5 août 1846.
I

Dans ma cervelle se promène
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l'entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.

Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux !

II

De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?

Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tirés comme par un aimant
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même

Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.

— The End —