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IL semblait grelotter, car la bise était dure.
C'était, sous un amas de rameaux sans verdure,
Une pauvre statue, au dos noir, au pied vert,
Un vieux faune isolé dans le vieux parc désert,
Qui, de son front penché touchant aux branches d'arbre,
Se perdait à mi-corps dans sa gaine de marbre.

Il était là, pensif, à la terre lié,
Et, comme toute chose immobile, - oublié !

Des arbres l'entouraient, fouettés d'un vent de glace,
Et comme lui vieillis à cette même place ;
Des marronniers géants, sans feuilles, sans oiseaux
Sous leurs tailles brouillés en ténébreux réseaux,
Pâle, il apparaissait, et la terre était brune.
Une âpre nuit d'hiver, sans étoile et sans lune,
Tombait à larges pans dans le brouillard diffus.
D'autres arbres plus **** croisaient leurs sombres fûts ;
Plus **** d'autre encore, estompés par l'espace,
Poussaient dans le ciel gris où le vent du soir passe
Mille petits rameaux noirs, tordus et mêlés,
Et se posaient partout, l'un par l'autre voilés,
Sur l'horizon, perdu dans les vapeurs informes,
Comme un grand troupeau roux de hérissons énormes.

Rien de plus. Ce vieux faune, un ciel morne, un bois noir.

Peut-être dans la brume au **** pouvait-on voir
Quelque longue terrasse aux verdâtres assises,
Ou, près d'un grand bassin, des nymphes indécises,
Honteuses à bon droit dans ce parc aboli,
Autrefois des regards, maintenant de l'oubli.

Le vieux faune riait. - Dans leurs ombres douteuses
Laissant le bassin triste et les nymphes honteuses,
Le vieux faune riait, c'est à lui que je vins ;
Ému, car sans pitié tous ces sculpteurs divins
Condamnent pour jamais, contents qu'on les admire,
Les nymphes à la honte et les faunes au rire.

Moi, j'ai toujours pitié du pauvre marbre obscur.
De l'homme moins souvent, parce qu'il est plus dur.

Et, sans froisser d'un mot son oreille blessée,
Car le marbre entend bien la voix de la pensée,
Je lui dis : - Vous étiez du beau siècle amoureux.
Sylvain, qu'avez-vous vu quand vous étiez heureux ?
Vous étiez de la cour ? Vous assistiez aux fêtes ?
C'est pour vous divertir que ces nymphes sont faites.
C'est pour vous, dans ces bois, que de savantes mains
Ont mêlé les dieux grecs et les césars romains,
Et, dans les claires eaux mirant les vases rares,
Tordu tout ce jardin en dédales bizarres.
Quand vous étiez heureux, qu'avez-vous vu, Sylvain ?
Contez-moi les secrets de ce passé trop vain,
De ce passé charmant, plein de flammes discrètes,
Où parmi les grands rois croissaient les grands poètes.
Que de frais souvenirs dont encor vous riez !
Parlez-moi, beau Sylvain, comme vous parleriez
A l'arbre, au vent qui souffle, à l'herbe non foulée.
D'un bout à l'autre bout de cette épaisse allée,
Avez-vous quelquefois, moqueur antique et grec,
Quand près de vous passait avec le beau Lautrec
Marguerite aux yeux doux, la reine béarnaise,
Lancé votre œil oblique à l'Hercule Farnèse ?
Seul sous votre antre vert de feuillage mouillé,
Ô Sylvain complaisant, avez-vous conseillé,
Vous tournant vers chacun du côté qui l'attire,
Racan comme berger, Regnier comme satyre ?
Avez-vous vu parfois, sur ce banc, vers midi,
Suer Vincent de Paul à façonner Gondi ?
Faune ! avez-vous suivi de ce regard étrange
Anne avec Buckingham, Louis avec Fontange,
Et se retournaient-ils, la rougeur sur le front,
En vous entendant rire au coin du bois profond ?
Étiez-vous consulté sur le thyrse ou le lierre,
Lorsqu'en un grand ballet de forme singulière
La cour du dieu Phœbus ou la cour du dieu Pan
Du nom d'Amaryllis enivraient Montespan ?
Fuyant des courtisans les oreilles de pierre,
La Fontaine vint-il, les pleurs dans la paupière,
De ses nymphes de Vaux vous conter les regrets ?
Que vous disait Boileau, que vous disait Segrais,
A vous, faune lettré qui jadis dans l'églogue
Aviez avec Virgile un charmant dialogue,
Et qui faisiez sauter, sur le gazon naissant,
Le lourd spondée au pas du dactyle dansant ?
Avez-vous vu jouer les beautés dans les herbes,
Chevreuse aux yeux noyés, Thiange aux airs superbes ?
Vous ont-elles parfois de leur groupe vermeil
Entouré follement, si bien que le soleil
Découpait tout à coup, en perçant quelque nue,
Votre profil lascif sur leur gorge ingénue ?
Votre arbre a-t-il reçu sous son abri serein
L'écarlate linceul du pâle Mazarin ?
Avez-vous eu l'honneur de voir rêver Molière ?
Vous a-t-il quelquefois, d'une voix familière,
Vous jetant brusquement un vers mélodieux,
Tutoyé, comme on fait entre les demi-dieux ?
En revenant un soir du fond des avenues,
Ce penseur, qui, voyant les âmes toutes nues,
Ne pouvait avoir peur de votre nudité,
À l'homme en son esprit vous a-t-il confronté ?
Et vous a-t-il trouvé, vous le spectre cynique,
Moins triste, moins méchant, moins froid, moins ironique,
Alors qu'il comparait, s'arrêtant en chemin,
Votre rire de marbre à notre rire humain ? -

Ainsi je lui parlais sous l'épaisse ramure.
Il ne répondit pas même par un murmure.
J'écoutais, incliné sur le marbre glacé,
Mais je n'entendis rien remuer du passé.
La blafarde lueur du jour qui se retire
Blanchissait vaguement l'immobile satyre,
Muet à ma parole et sourd à ma pitié.
À le voir là, sinistre, et sortant à moitié
De son fourreau noirci par l'humide feuillée,
On eût dit la poignée en torse ciselée
D'un vieux glaive rouillé qu'on laisse dans l'étui.

Je secouai la tête et m'éloignai de lui.
Alors des buissons noirs, des branches desséchées
Comme des sœurs en deuil sur sa tête penchées,
Et des antres secrets dispersés dans les bois,
Il me sembla soudain qu'il sortait une voix,
Qui dans mon âme obscure et vaguement sonore
Éveillait un écho comme au fond d'une amphore.

- Ô poète imprudent, que fais-tu ? laisse en paix
Les faunes délaissés sous les arbres épais !
Poète ! ignores-tu qu'il est toujours impie
D'aller, aux lieux déserts où dort l'ombre assoupie,
Secouer, par l'amour fussiez-vous entraînés,
Cette mousse qui pend aux siècles ruinés,
Et troubler, du vain bruit de vos voix indiscrètes,
Le souvenir des morts dans ses sombres retraites ! -

Alors dans les jardins sous la brume enfouis
Je m'enfonçai, rêvant aux jours évanouis,
Tandis que les rameaux s'emplissaient de mystère,
Et que derrière moi le faune solitaire,
Hiéroglyphe obscur d'un antique alphabet,
Continuait de rire à la nuit qui tombait.

J'allais, et contemplant d'un regard triste encore
Tous ces doux souvenirs, beauté, printemps, aurore,
Dans l'air et sous mes pieds épars, mêlés, flottants,
Feuilles de l'autre été, femmes de l'autre temps,
J'entrevoyais au ****, sous les branchages sombres,
Des marbres dans le bois, dans le passé des ombres !

Le 19 mars 1837.
Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,

Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.

Et quand il a fui - tel qu'un écureuil -
Son rire tremble encore à chaque feuille,
Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.
Paul Arrighi Mar 2014
Notre ami, le Mouflon

Parfois ses cornes tire-bouchon e font ressembler le mâle à un faune farceur,
Peu haut sur pattes mais véloce, le Mouflon se révèle un remarquable Athlète bondissant de rochers en rochers,
Escaladant les rocs avec effronterie, il se   rend parfois en été ou lorsque la nourriture se fait rare, au cœur des clairières et dans le creux des vals
Pour goûter avec gourmandise ces mets de choix que sont pour lui les baies, glands, faînes, châtaignes et surtout les mannes du frêne à fleurs,
Le Mouflon est, avant tout animal des cimes et des à-pics ; il est aimant de tous les lieux inaccessibles sans le secours de jumelles ou de téléobjectifs.

Pour Mouflons et Mouflonnes, la saison de l’amour est l’automne ce qui révèle un goût de seigneur,
Car la vêture des clairières est alors rougeoyante de beauté, à l’instar de tapis persans,
Le Mouflon ne serait-il pas animal sauvage certes mais romantique car il se plait à admirer l’encolure des Mouflonnes, qui s’harmonise si bien avec les couleurs automnales ;  
Mais pour les Mouflons, le plaisir d’amour doit rester subtil et ne pas verser dans ces luttes meurtrières : l’ami Mouflon est un épicurien qui donne leçon de sagesse à tous les jaloux.

Le Mouflon fut longtemps, le maître des Montagnes et du maquis Corse qu'il ne partageait qu'avec l’aigle royal, les sangliers les plus hardis et quelques bandits ou patriotes traqués,
Mais trop chassé par certains Hommes, dépourvus de sagesse et à la gâchette trop faciles, il faillit disparaître de son île emblématique.
Aujourd'hui il revient de l'île sœur, la Sardaigne, mais reste encore plus caché dans quelques massifs impénétrables comme le «Monte Cinto» et les «aiguilles de Bavella».
C’est ainsi que la Corse retrouve l'un de ses plus beaux animaux dont le nom de ses enfants, "I Muvrini", a fait le tour des scènes du Monde pour magnifier son emblème et sa terre nourricière, la Corse.
Paul Arrighi
Un vieux faune de terre cuite

Rit au centre des boulingrins,

Présageant sans doute une suite

Mauvaise à ces instants sereins


Qui m'ont conduit et t'ont conduite,

- Mélancoliques pèlerins, -

Jusqu'à cette heure dont la fuite

Tournoie au son des tambourins.
Paul d'Aubin Jan 2016
Prolégomènes à un poème sur la disparition de notre Chienne cocker Laïka

Les Chiens et nous-mêmes
Je vous ferais parvenir le poème presque prémonitoire écrit, cet été à Letia en Corse , intitule «notre chien a onze ans»  (en fait elle en avait dix ans et demi).
Ayant déjà eu, un chien cocker de couleur noire; lors mon enfance passée en Kabylie, répondant au nom de «Bambi» (le Faon de la bande dessinée de Walt Disney) j'ai appris à adorer nos meilleurs compagnons avec les chevaux et compte désormais les temps de la vie humaine en durées moyennes de vie passée en compagnie avec ce merveilleux et surtout si fidèle compagnon et ami de l'homme.
C'est à dire que pour une durée de vie moyenne de soixante-quinze ans, au mieux, je considère qu'elle correspond à cinq temps possibles de compagnonnages et d'histoire d'amitié avec un chien (d'un âge maximal au mieux de 15 ans)
Par conséquent, cinq longs temps de bonheurs nous sont donnés par la Nature pour que nous puissions bénéficier des bienfaits et de la compagnie de cet «animal», souvent bien plus «humain» et «gentil» ;  hélas il faut bien l'avouer, que nombre de prétendus humains d'une cruauté inconnu dans la faune dite sauvage.
Nous allons demain et dans les jours qui viennent rechercher, un nouveau compagnon pour rester dans ce cycle de vie magique que je viens de vous révéler.

                                                          *
Notre chienne Cocker a déjà onze ans

Elle a parcouru onze ans de sa vie de Reine,
sans les soucis de l'étiquette et du labeur.
Notre chienne Laïka savoure sa quiétude,
mais se tient toujours près des valises et des sacs,
dès qu'elle observe un zéphyr de départ,
sa courte queue frétille devant sa laisse,
qu’elle prend dans sa gueule comme pour nous montrer le chemin,
car la « meute » doit se rendre ensemble sans jamais l'abandonner.
Ses deux pattes avec lesquelles elle se hisse sur les rebords de la table pour humer les plats.
Et son museau qu’elle love dans le coup de ta maîtresse pour lui signifier son amour.
Chère Laïka quand tes yeux attendrissants de cocker nous fixent je demande au Destin que tu puisses nous accompagner longtemps pour notre bonheur du présent et le demain de nos vies.
Seuls, ton museau blanchi et ta démarche moins vive, nous rappellent tes onze ans.

Paul Arrighi.
Quitterie Nov 2017
Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour.
Hier encore la fête, les nombreux petits-fours,
Le sel des cacahuètes et le son des tambours.

Aujourd'hui qu'elle est **** la joie de Mariette :
Quelques restes de pain sur la table - des miettes -
Et des grains de raisins que grignotent les guêpes,
Quand le rouge du vin nous fait perdre la tête.

Ils cliquettent les rires et grelottent les os ;
Il chuinte le sabir des cages dans ce zoo :
Mariette et Amir sont partis tout là-haut
Sans même prévenir : j'en ai froid dans le dos.

Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour.
Amir était poète, Mariette un amour.
Qui sait que la mort guette quand on a de l'humour ?

Hier, à la rivière, nous lancions des pierres,
Les canettes de bières et les traits de lumières
Éclairaient nos visages et plissaient nos regards :
Qui sait que les présages ressembl'nt aux nénuphars ?

Mariette portait ses jolies perles jaunes
Et son rire de Corte. Amir était un faune
Dont la longue crinière nous mettaient en chaleur.
Qu'ils étaient beaux et fiers : quand j'y pense je pleure

Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour.
C'est une étrange valse, une valse à trois temps,
Celle du temps qui passe et te chasse, entêtant.

Hier, ce jour, demain : étourdissant manège
Aux chevaux de bois dur où je pleurais enfant.
Osselets de mes mains, et mes pieds dans la neige :
Quelle est cette blessure où s'épuise mon sang ?

Mariette pleurait et riait à la fois,
Qu'Amir aux yeux dorés nous raconte l'émoi
De leur premier baiser sous un bel amandier.
Leurs visages apaisés nous ont incendiés.

Regarde les squelettes qui dansent dans la cour
Et l'odeur de violette qui va chassant le jour...
Au fond du parc qui se délabre,
Vieux, désert, mais encor charmant
Quand la lune, obscur candélabre,
S'allume en son écroulement,

Un moineau-franc, que rien ne gêne,
A son grenier, tout grand ouvert,
Au cinquième étage d'un chêne
Qu'avril vient de repeindre en vert.

Un saule pleureur se hasarde
À gémir sur le doux gazon,
À quelques pas de la mansarde
Où ricane ce polisson.

Ce saule ruisselant se penche ;
Un petit lac est à ses pieds,
Où tous ses rameaux, branche à branche,
Sont correctement copiés.

Tout en visitant sa coquine
Dans le nid par l'aube doré,
L'oiseau rit du saule, et taquine
Ce bon vieux lakiste éploré.

Il crie à toutes les oiselles
Qu'il voit dans les feuilles sautant :
- Venez donc voir, mesdemoiselles !
Ce saule a pleuré cet étang.

Il s'abat dans son tintamarre
Sur le lac qu'il ose insulter :
- Est-elle bête cette mare !
Elle ne sait que répéter.

Ô mare, tu n'es qu'une ornière.
Tu rabâches ton saule. Allons,
Change donc un peu de manière.
Ces vieux rameaux-là sont très longs.

Ta géorgique n'est pas drôle.
Sous prétexte qu'on est miroir,
Nous faire le matin un saule
Pour nous le refaire le soir !

C'est classique, cela m'assomme.
Je préférerais qu'on se tût.
Çà, ton bon saule est un bonhomme ;
Les saules sont de l'institut.

Je vois d'ici bâiller la truite.
Mare, c'est triste, et je t'en veux
D'être échevelée à la suite
D'un vieux qui n'a plus de cheveux.

Invente-nous donc quelque chose !
Calque, mais avec abandon.
Je suis fille, fais une rose,
Je suis âne, fais un chardon.

Aie une idée, un iris jaune,
Un bleu nénuphar triomphant !
Sapristi ! Il est temps qu'un faune
Fasse à ta naïade un enfant. -

Puis il s'adresse à la linotte :
- Vois-tu, ce saule, en ce beau lieu,
A pour état de prendre en note
Le diable à côté du bon Dieu.

De là son deuil. Il est possible
Que tout soit mal, ô ma catin ;
L'oiseau sert à l'homme de cible,
L'homme sert de cible au destin ;

Mais moi, j'aime mieux, sans envie,  
Errer de bosquet en bosquet,
Corbleu, que de passer ma vie
À remplir de pleurs un baquet ! -

Le saule à la morne posture,
Noir comme le bois des gibets,
Se tait, et la mère nature
Sourit dans l'ombre aux quolibets

Que jette, à travers les vieux marbres,
Les quinconces, les buis, les eaux,
À cet Héraclite des arbres
Ce Démocrite des oiseaux.
G Apr 2015
Rouge
Comme les pétales de roses
Envolées
Qui bougent,
Afin que j’ose
Te donner un baiser.

Orange
Comme la pleine lune
Qui séduit
Étrange,
Ta caresse opportune
Qui glisse et s’enfuit.

Jaune
Comme le diamant
De couleur
Trouvé dans la faune,
Je saisi dans l’instant
Et ton sourire cajoleur.

Vert
Comme l’espoir
Qui s’installe
A découvert
Dans tes yeux noirs
Ou rayonne l’amour fatal.

Bleu
Comme le ciel pur
Aux reflets
Délicieux
Qui dessine notre futur,
Sans regrets.

Indigo
Qui es-tu ?
Plus bleu que bleu
Un faux ?
San vertu ?
Alors ami, fais le beau.

Enfin s’immisce le Violet
Dans le noir de l’encre
De tes tatouages.
Alors j’ouvre les volets
De nos amours tendres
Sans ambages.
Amours multicolores-le 16 juillet 2014, pour Charles
Il avait l'âme aride et vaine de sa mère,
L'œil froid du dieu voleur qui marche à reculons ;
Il promenait sa grâce, insouciante, altière,
Et les nymphes disaient : « Quel marbre nous aimons ! »

Un jour que cet enfant d'Hermès et d'Aphrodite
Méprisait Salmacis, nymphe du mont Ida,
La vierge, l'embrassant d'une étreinte subite,
Pénétra son beau corps si bien qu'elle y resta !

De surprise et d'horreur ses divines compagnes,
Qui dans cet être unique en reconnaissaient deux,
Comme un sphinx égaré dans leurs chastes montagnes,
Fuyaient ce double faune au visage douteux.

La volupté souffrait dans sa prunelle étrange,
Il faisait des serments d'une hésitante voix ;
L'amour et le dédain par un hideux mélange
Dans son vague sourire étaient peints à la fois.

Son inutile sein n'offrait ni lait ni flamme ;
En s'y posant, l'oreille, hélas ! eût découvert
Un cœur d'homme où chantait un pauvre cœur de femme,
Comme un oiseau perdu dans un temple désert.

Ô symbole effrayant de ces unions louches
Où l'un des deux amants, sans joie et sans désir,
Fuit le regard de l'autre ; où l'une des deux bouches
En goûtant les baisers sent l'autre les subir !
Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,

Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.

Et quand il a fui - tel qu'un écureuil -
Son rire tremble encore à chaque feuille,
Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.
Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues !
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues !
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l'idéal, la grâce et la beauté !
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car, avec l'air profond, vous êtes imbéciles !
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout !
Car vous êtes mauvais et méchants ! - Mon sang bout
Rien qu'à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique !
Que d'ennuis ! de fureurs ! de bêtises ! - gredins ! -
Que de froids châtiments et que de chocs soudains !
« Dimanche en retenue et cinq cents vers d'Horace ! »
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,
Et je balbutiais : « Monsieur... - Pas de raisons !
- Vingt fois l'ode à Plancus et l'épître aux Pisons ! »
Or j'avais justement, ce jour là, - douce idée.
Qui me faisait rêver d'Armide et d'Haydée, -
Un rendez-vous avec la fille du portier.
Grand Dieu ! perdre un tel jour ! le perdre tout entier !
Je devais, en parlant d'amour, extase pure !
En l'enivrant avec le ciel et la nature,
La mener, si le temps n'était pas trop mauvais,
Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais !
Rêve heureux ! je voyais, dans ma colère bleue,
Tout cet Éden, congé, les lilas, la banlieue,
Et j'entendais, parmi le thym et le muguet,
Les vagues violons de la mère Saguet !
Ô douleur ! furieux, je montais à ma chambre,
Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre ;
Et, là, je m'écriais :

« Horace ! ô bon garçon !
Qui vivais dans le calme et selon la raison,
Et qui t'allais poser, dans ta sagesse franche,
Sur tout, comme l'oiseau se pose sur la branche,
Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux
Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux !
Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,
Les rires étouffés des folles jeunes filles,
Les doux chuchotements dans l'angle obscur du bois ;
Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,
Myrtale aux blonds cheveux, qui s'irrite et se cabre
Comme la mer creusant les golfes de Calabre,
Ou bien tu t'accoudais à table, buvant sec
Ton vin que tu mettais toi-même en un *** grec.
Pégase te soufflait des vers de sa narine ;
Tu songeais ; tu faisais des odes à Barine,
À Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur,
À Chloë, qui passait le long de ton vieux mur,
Portant sur son beau front l'amphore délicate.
La nuit, lorsque Phœbé devient la sombre Hécate,
Les halliers s'emplissaient pour toi de visions ;
Tu voyais des lueurs, des formes, des rayons,
Cerbère se frotter, la queue entre les jambes,
À Bacchus, dieu des vins et père des ïambes ;
Silène digérer dans sa grotte, pensif ;
Et se glisser dans l'ombre, et s'enivrer, lascif,
Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues,
La faune aux pieds de chèvre, aux oreilles pointues !
Horace, quand grisé d'un petit vin sabin,
Tu surprenais Glycère ou Lycoris au bain,
Qui t'eût dit, ô Flaccus ! quand tu peignais à Rome
Les jeunes chevaliers courant dans l'hippodrome,
Comme Molière a peint en France les marquis,
Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis,
Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes,
D'instruments de torture à d'horribles bonshommes,
Mal peignés, mal vêtus, qui mâchent, lourds pédants,
Comme un singe une fleur, ton nom entre leurs dents !
Grimauds hideux qui n'ont, tant leur tête est vidée,
Jamais eu de maîtresse et jamais eu d'idée ! »

Puis j'ajoutais, farouche :

« Ô cancres ! qui mettez
Une soutane aux dieux de l'éther irrités,
Un béguin à Diane, et qui de vos tricornes
Coiffez sinistrement les olympiens mornes,
Eunuques, tourmenteurs, crétins, soyez maudits !
Car vous êtes les vieux, les noirs, les engourdis,
Car vous êtes l'hiver ; car vous êtes, ô cruches !
L'ours qui va dans les bois cherchant un arbre à ruches,
L'ombre, le plomb, la mort, la tombe, le néant !
Nul ne vit près de vous dressé sur son séant ;
Et vous pétrifiez d'une haleine sordide
Le jeune homme naïf, étincelant, splendide ;
Et vous vous approchez de l'aurore, endormeurs !
À Pindare serein plein d'épiques rumeurs,
À Sophocle, à Térence, à Plaute, à l'ambroisie,
Ô traîtres, vous mêlez l'antique hypocrisie,
Vos ténèbres, vos mœurs, vos jougs, vos exeats,
Et l'assoupissement des noirs couvents béats ;
Vos coups d'ongle rayant tous les sublimes livres,
Vos préjugés qui font vos yeux de brouillards ivres,
L'horreur de l'avenir, la haine du progrès ;
Et vous faites, sans peur, sans pitié, sans regrets,
À la jeunesse, aux cœurs vierges, à l'espérance,
Boire dans votre nuit ce vieil ***** rance !
Ô fermoirs de la bible humaine ! sacristains
De l'art, de la science, et des maîtres lointains,
Et de la vérité que l'homme aux cieux épèle,
Vous changez ce grand temple en petite chapelle !
Guichetiers de l'esprit, faquins dont le goût sûr
Mène en laisse le beau ; porte-clefs de l'azur,
Vous prenez Théocrite, Eschyle aux sacrés voiles,
Tibulle plein d'amour, Virgile plein d'étoiles ;
Vous faites de l'enfer avec ces paradis ! »

Et ma rage croissant, je reprenais :

« Maudits,
Ces monastères sourds ! bouges ! prisons haïes !
Oh ! comme on fit jadis au pédant de Veïes,
Culotte bas, vieux tigre ! Écoliers ! écoliers !
Accourez par essaims, par bandes, par milliers,
Du gamin de Paris au groeculus de Rome,
Et coupez du bois vert, et fouaillez-moi cet homme !
Jeunes bouches, mordez le metteur de bâillons !
Le mannequin sur qui l'on drape des haillons
À tout autant d'esprit que ce cuistre en son antre,
Et tout autant de cœur ; et l'un a dans le ventre
Du latin et du grec comme l'autre à du foin.
Ah ! je prends Phyllodoce et Xantis à témoin
Que je suis amoureux de leurs claires tuniques ;
Mais je hais l'affreux tas des vils pédants iniques !
Confier un enfant, je vous demande un peu,
À tous ces êtres noirs ! autant mettre, morbleu !
La mouche en pension chez une tarentule !
Ces moines, expliquer Platon, lire Catulle,
Tacite racontant le grand Agricola,
Lucrèce ! eux, déchiffrer Homère, ces gens-là !
Ces diacres ! ces bedeaux dont le groin renifle !
Crânes d'où sort la nuit, pattes d'où sort la gifle,
Vieux dadais à l'air rogue, au sourcil triomphant,
Qui ne savent pas même épeler un enfant !
Ils ignorent comment l'âme naît et veut croître.
Cela vous a Laharpe et Nonotte pour cloître !
Ils en sont à l'A, B, C, D, du cœur humain ;  
Ils sont l'horrible Hier qui veut tuer Demain ;
Ils offrent à l'aiglon leurs règles d'écrevisses.
Et puis ces noirs tessons ont une odeur de vices.
Ô vieux pots égueulés des soifs qu'on ne dit pas !
Le pluriel met une S à leurs meâs culpâs,
Les boucs mystérieux, en les voyants s'indignent,
Et, quand on dit : « Amour !  » terre et cieux ! ils se signent.
Leur vieux viscère mort insulte au cœur naissant.
Ils le prennent de haut avec l'adolescent,
Et ne tolèrent pas le jour entrant dans l'âme
Sous la forme pensée ou sous la forme femme.
Quand la muse apparaît, ces hurleurs de holà
Disent : « Qu'est-ce que c'est que cette folle-là ? »
Et, devant ses beautés, de ses rayons accrues,
Ils reprennent : « Couleurs dures, nuances crues ;
Vapeurs, illusions, rêves ; et quel travers
Avez-vous de fourrer l'arc-en-ciel dans vos vers ? »
Ils raillent les enfants, ils raillent les poètes ;
Ils font aux rossignols leurs gros yeux de chouettes :
L'enfant est l'ignorant, ils sont l'ignorantin ;
Ils raturent l'esprit, la splendeur, le matin ;
Ils sarclent l'idéal ainsi qu'un barbarisme,
Et ces culs de bouteille ont le dédain du prisme. »

Ainsi l'on m'entendait dans ma geôle crier.

Le monologue avait le temps de varier.
Et je m'exaspérais, faisant la faute énorme,
Ayant raison au fond, d'avoir tort dans la forme.
Après l'abbé Tuet, je maudissais Bezout ;
Car, outre les pensums où l'esprit se dissout,
J'étais alors en proie à la mathématique.
Temps sombre ! Enfant ému du frisson poétique,
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux,
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux ;
On me faisait de force ingurgiter l'algèbre ;
On me liait au fond d'un Boisbertrand funèbre ;
On me tordait, depuis les ailes jusqu'au bec,
Sur l'affreux chevalet des X et des Y ;
Hélas ! on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires ;
Et je me débattais, lugubre patient
Du diviseur prêtant main-forte au quotient.
De là mes cris.

Un jour, quand l'homme sera sage,
Lorsqu'on n'instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l'enfant mieux compris se redresser leur front,
Que, des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles,
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.
Alors, tout en laissant au sommet des études
Les grands livres latins et grecs, ces solitudes
Où l'éclair gronde, où luit la mer, où l'astre rit,
Et qu'emplissent les vents immenses de l'esprit,
C'est en les pénétrant d'explication tendre,
En les faisant aimer, qu'on les fera comprendre.
Homère emportera dans son vaste reflux
L'écolier ébloui ; l'enfant ne sera plus
Une bête de somme attelée à Virgile ;
Et l'on ne verra plus ce vif esprit agile
Devenir, sous le fouet d'un cuistre ou d'un abbé,
Le lourd cheval poussif du pensum embourbé.
Chaque village aura, dans un temple rustique,
Dans la lumière, au lieu du magister antique,
Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât,
L'instituteur lucide et grave, magistrat
Du progrès, médecin de l'ignorance, et prêtre
De l'idée ; et dans l'ombre on verra disparaître
L'éternel écolier et l'éternel pédant.
L'aube vient en chantant, et non pas en grondant.
Nos fils riront de nous dans cette blanche sphère ;
Ils se demanderont ce que nous pouvions faire
Enseigner au moineau par le hibou hagard.
Alors, le jeune esprit et le jeune regard
Se lèveront avec une clarté sereine
Vers la science auguste, aimable et souveraine ;
Alors, plus de grimoire obscur, fade, étouffant ;
Le maître, doux apôtre incliné sur l'enfant,
Fera, lui versant Dieu, l'azur et l'harmonie,
Boire la petite âme à la coupe infinie.
Alors, tout sera vrai, lois, dogmes, droits, devoirs.
Tu laisseras passer dans tes jambages noirs
Une pure lueur, de jour en jour moins sombre,
Ô nature, alphabet des grandes lettres d'ombre !

Paris, mai 1831.
J'ai ri d'abord.
J'étais dans mon champ plein de roses.
J'errais. Âme attentive au clair-obscur des choses,
Je vois au fond de tout luire un vague flambeau.
C'était le matin, l'heure où le bois se fait beau,
Où la nature semble une immense prunelle
Éblouie, ayant Dieu presque visible en elle.
Pour faire fête à l'aube, au bord des flots dormants,
Les ronces se couvraient d'un tas de diamants ;
Les brins d'herbe coquets mettaient toutes leurs perles ;
La mer chantait ; les geais causaient avec les merles ;
Les papillons volaient du cytise au myrtil.
Entre un ami. - Bonjour. Savez-vous ? Me dit-il,
On vient de vous brûler sur la place publique.
- Où ça ? - Dans un pays honnête et catholique.
- Je le suppose. - Peste ! Ils vous ont pris vivant
Dans un livre où l'on voit le bagne et le couvent,
Vous ont brûlé, vous diable et juif, avec esclandre,
Ensuite ils ont au vent fait jeter votre cendre.
- Il serait peu décent qu'il en fût autrement.
Mais quand ça ? - L'autre jour. En Espagne. - Vraiment.
- Ils ont fait cuire au bout de leur grande pincette
Myriel, Jean ValJean, Marius et Cosette,
Vos Misérables, vous, toute votre âme enfin.
Vos êtes un de ceux dont Escobar a faim.
Vous voilà quelque peu grillé comme Voltaire.
- Donc j'ai chaud en Espagne et froid en Angleterre.
Tel est mon sort. - La chose est dans tous les journaux.
Ah ! Si vous n'étiez pas chez ces bons huguenots !
L'ennui, c'est qu'on ne peut jusqu'ici vous poursuivre.
Ne pouvant rôtir l'homme, on a flambé le livre.

- C'est le moins. - Vous voyez d'ici tous les détails.
De gros bonshommes noirs devant de grands portails,
Un feu, de quoi brûler une bibliothèque.
- Un évêque m'a fait cet honneur ! - Un évêque ?
Morbleu ! Pour vous damner ils se sont assemblés,
Et ce n'est pas un seul, c'est tous. ? Vous me comblez. -
Et nous rions.

Et puis je rentre, et je médite.
Ils en sont là.

Du temps de Vénus Aphrodite,
Parfois, seule, écoutant on ne sait quelles voix,
La déesse errait nue et blanche au fond des bois ;
Elle marchait tranquille, et sa beauté sans voiles,
Ses cheveux faits d'écume et ses yeux faits d'étoiles,
Étaient dans la forêt comme une vision ;
Cependant, retenant leur respiration,
Voyant au **** passer cette clarté, les faunes
S'approchaient ; l'ægipan, le satyre aux yeux jaunes,
Se glissaient en arrière ivres d'un vil désir,
Et brusquement tendaient le bras pour la saisir,
Et le bois frissonnait, et la surnaturelle,
Pâle, se retournait sentant leur main sur elle.
Ainsi, dans notre siècle aux mirages trompeurs,
La conscience humaine a d'étranges stupeurs ;
Lumineuse, elle marche en notre crépuscule,
Et tout à coup, devant le faune, elle recule.
Tartuffe est là, nouveau Satan d'un autre éden.
Nous constatons dans l'ombre, à chaque instant, soudain,
Le vague allongement de quelque griffe infâme
Et l'essai ténébreux de nous prendre notre âme.
L'esprit humain se sent tâté par un bourreau.
Mais doucement. On jette au noir quemadero
Ce qu'on peut, mais plus **** on fera mieux peut-être,
Et votre meurtrier est timide ; il est prêtre.
Il vous demanderait presque permission.
Il allume un brasier, fait sa procession,
Met des bûches au feu, du bitume au cilice,
Soit ; mais si gentiment qu'après votre supplice
Vous riez.

Grillandus n'est plus que Loyola.
Vous lui dites : ma foi, c'est drôle. Touchez là.

Eh bien, riez. C'est bon. Attendez, imbéciles !
Lui qui porte en ses yeux l'âme des noirs Basiles,
Il rit de vous voir rire. Il est Vichnou, Mithra,
Teutatès, et ce feu pour rire grandira.
Ah ! Vous criez : bravo ! Ta rage est ma servante.
Brûle mes livres. Bien, très bien ! Pousse à la vente !
Et lui songe. Il se dit : - La chose a réussi.
Quand le livre est brûlé, l'écrivain est roussi.
La suite à demain. - Vous, vous raillez. Il partage
Votre joie, avec l'air d'un prêtre de Carthage.
Il dit : leur cécité toujours me protégea.
Sa mâchoire, qui rit encor, vous mord déjà.
N'est-ce pas ? Ce brûleur avec bonté nous traite,
Et son autodafé n'est qu'une chaufferette !
Ah ! Les vrais tourbillons de flamme auront leur tour.
En elle, comme un œuf contient le grand vautour,
La petite étincelle a l'incendie énorme.
Attendez seulement que la France s'endorme,
Et vous verrez.

Peut-on calculer le chemin
Que ferait pas à pas, hier, aujourd'hui, demain,
L'effroyable tortue avec ses pieds fossiles ?
Qui sait ? Bientôt peut-être on aura des conciles !
On entendra, qui sait ? Un homme dire à Dieu :
- L'infaillible, c'est moi. Place ! Recule un peu. -
Quoi ! Recommence-t-on ? Ciel ! Serait-il possible
Que l'homme redevînt pâture, proie et cible !
Et qu'on revît les temps difformes ! Qu'on revît
Le double joug qui tue autant qu'il asservit !
Qu'on revît se dresser sur le globe, vil bouge,
Près du sceptre d'airain la houlette en fer rouge !
Nos pères l'ont subi, ce double pouvoir-là !
Nuit ! Mort ! Melchisédech compliqué d'Attila !
Ils ont vu sur leurs fronts, eux parias sans nombre,
Le côte à côte affreux des deux sceptres dans l'ombre ;
Ils entendaient leur foudre au fond du firmament,
Moins effrayante encor que leur chuchotement.
- Prends les peuples, César. - Toi, Pierre, prends les âmes.
- Prends la pourpre, César. - Mais toi, qu'as-tu ? - Les flammes.
- Et puis ? - Cela suffit. - Régnons.

Âges hideux !
L'homme blanc, l'homme sombre. Ils sont un. Ils sont deux.
Là le guerrier, ici le pontife ; et leurs suites,
Confesseurs, massacreurs, tueurs, bourreaux, jésuites !
Ô deuil ! Sur les bûchers et les sanbenitos
Rome a, quatre cents ans, braillé son vil pathos,
Jetant sur l'univers terrifié qui souffre
D'une main l'eau bénite et de l'autre le soufre.
Tous ces prêtres portaient l'affreux masque aux trous noirs ;
Leurs mitres ressemblaient dans l'ombre aux éteignoirs ;
Ils ont été la Nuit dans l'obscur moyen-âge ;
Ils sont tout prêts à faire encor ce personnage,
Et jusqu'en notre siècle, à cette heure engourdi,
On les verrait, avec leur torche en plein midi,
Avec leur crosse, avec leurs bedeaux, populace,
Reparaître et rentrer, s'ils trouvaient de la place
Pour passer, ô Voltaire, entre Jean-Jacques et toi !

Non, non, non ! Reculez, faux pouvoir, fausse foi !
Oh ! La Rome des frocs ! Oh ! L'Espagne des moines !
Disparaissez ! Prêcheurs captant les patrimoines !
Bonnets carrés ! Camails ! Capuchons ! Clercs ! Abbés !
Tas d'horribles fronts bas, tonsurés ou nimbés !
Ô mornes visions du tison et du glaive !

Exécrable passé qui toujours se relève
Et sur l'humanité se dresse menaçant !
Saulx-Tavanne, écumant une écume de sang,
Criant : égorgez tout ! Dieu fera le triage !
La juive de seize ans brûlée au mariage
De Charles deux avec Louise d'Orléans,
Et dans l'autodafé plein de brasiers béants
Offerte aux fiancés comme un cierge de noce ;
Campanella brisé par l'église féroce ;
Jordan Bruno lié sous un ruisseau de poix
Qui ronge par sa flamme et creuse par son poids ;
D'Albe qui dans l'horreur des bûchers se promène
Séchant sa main sanglante à cette braise humaine ;
Galilée abaissant ses genoux repentants ;
La place d'Abbeville où Labarre à vingt ans,
Pour avoir chansonné toute cette canaille,
Eut la langue arrachée avec une tenaille,
Et hurla dans le feu, tordant ses noirs moignons ;
Le marché de Rouen dont les sombres pignons
Ont le rouge reflet de ton supplice, ô Jeanne !
Huss brûlé par Martin, l'aigle tué par l'âne ;
Farnèse et Charles-Quint, Grégoire et Sigismond,
Toujours ensemble assis comme au sommet d'un mont,
À leurs pieds toute l'âme humaine épouvantée
Sous cet effrayant Dieu qui fait le monde athée ;
Ce passé m'apparaît ! Vous me faites horreur,
Croulez, toi monstre pape, et toi monstre empereur !
Au poète Mérante.

I.

Ami, viens me rejoindre.
Les bois sont innocents.
Il est bon de voir poindre
L'aube des paysans.

Paris, morne et farouche,
Pousse des hurlements
Et se tord sous la ******
Des noirs événements.

Il revient, loi sinistre,
Étrange état normal !
À l'ennui par le cuistre
Et par le monstre au mal.

II.

J'ai fui ; viens. C'est dans l'ombre
Que nous nous réchauffons.
J'habite un pays sombre
Plein de rêves profonds.

Les récits de grand-mère
Et les signes de croix
Ont mis une chimère
Charmante dans les bois.

Ici, sous chaque porte,
S'assied le fabliau,
Nain du foyer qui porte
Perruque in-folio.

L'elfe dans les nymphées
Fait tourner ses fuseaux ;
Ici l'on a des fées
Comme ailleurs des oiseaux.

Le conte, aimé des chaumes,
Trouve au bord des chemins,
Parfois, un nid de gnomes
Qu'il prend dans ses deux mains.

Les follets sont des drôles
Pétris d'ombre et d'azur
Qui font au creux des saules
Un flamboiement obscur.

Le faune aux doigts d'écorce
Rapproche par moments
Sous la table au pied torse
Les genoux des amants.

Le soir un lutin cogne
Aux plafonds des manoirs ;
Les étangs de Sologne
Sont de pâles miroirs.

Les nénuphars des berges
Me regardent la nuit ;
Les fleurs semblent des vierges ;
L'âme des choses luit.

III.

Cette bruyère est douce ;
Ici le ciel est bleu,
L'homme vit, le blé pousse
Dans la bonté de Dieu.

J'habite sous les chênes
Frémissants et calmants ;
L'air est tiède, et les plaines
Sont des rayonnements.

Je me suis fait un gîte
D'arbres, sourds à nos pas ;
Ce que le vent agite,
L'homme ne l'émeut pas.

Le matin, je sommeille
Confusément encor.
L'aube arrive vermeille
Dans une gloire d'or.

- Ami, dit la ramée,
Il fait jour maintenant. -
Une mouche enfermée
M'éveille en bourdonnant.

IV.

Viens, **** des catastrophes,
Mêler sous nos berceaux
Le frisson de tes strophes
Au tremblement des eaux.

Viens, l'étang solitaire
Est un poème aussi.
Les lacs ont le mystère,
Nos coeurs ont le souci.

Tout comme l'hirondelle,
La stance quelquefois
Aime à mouiller son aile
Dans la mare des bois.

C'est, la tête inondée
Des pleurs de la forêt,
Que souvent le spondée
À Virgile apparaît.

C'est des sources, des îles,
Du hêtre et du glaïeul
Que sort ce tas d'idylles
Dont Tityre est l'aïeul.

Segrais, chez Pan son hôte,
Fit un livre serein
Où la grenouille saute
Du sonnet au quatrain.

Pendant qu'en sa nacelle
Racan chantait Babet,
Du bec de la sarcelle
Une rime tombait.

Moi, ce serait ma joie
D'errer dans la fraîcheur
D'une églogue où l'on voie
Fuir le martin-pêcheur.

L'ode même, superbe,
Jamais ne renia
Toute cette grande herbe
Où rit Titania.

Ami, l'étang révèle
Et mêle, brin à brin,
Une flore nouvelle
Au vieil alexandrin.

Le style se retrempe
Lorsque nous le plongeons
Dans cette eau sombre où rampe
Un esprit sous les joncs.

Viens, pour peu que tu veuilles
Voir croître ton vers
La sphaigne aux larges feuilles
Et les grands roseaux verts.
Pour faire sourire ma muse
Malgré elle je fais le pitre :
Je me fais animal en extinction
Tamarin lion de jour
Et Ara cobalt de nuit
Et je fais constamment la mue
Entre Anodorhynchus leari
Et Leontopithecus rosalia
Et à force de mues
Je perds le Nord
Je me pends par la queue
Aux branches de mon nid
Je fais des grimaces
et je lèche le bec des femelles
En rut.
Mais ma muse raffole
Non pas de ma race folle
De tamarin-ara métis
Mais des gorilles, bonobos et magots
Et autre faune libertine...
Elle adore !
Elle est admirative !
J'ai beau lui sortir ma généalogie ascendante de mandrill
Mes trois seizièmes de sang bonobo,
Mes trois seizièmes de gènes de gorille,
Mes trois seizièmes d'âme de macaque de barbarie
Et mon blason d'argent à quatre fasces de gueules
Ma muse n'en a cure.
Elle n 'a d'yeux que pour ces bonobos,
Gorilles et magots légitimes
D'authentique Afrique mythique.
I.

Aux champs, compagnons et compagnes !
Fils, j'élève à la dignité
De géorgiques les campagnes
Quelconques où flambe l'été !

Flamber, c'est là toute l'histoire
Du cœur, des sens, de la saison,
Et de la pauvre mouche noire
Que nous appelons la raison.

Je te fais molosse, ô mon dogue !
L'acanthe manque ? j'ai le thym.
Je nomme Vaugirard églogue ;
J'installe Amyntas à Pantin.

La nature est indifférente
Aux nuances que nous créons
Entre Gros-Guillaume et Dorante ;
Tout pampre a ses Anacréons.

L'idylle volontiers patoise.
Et je ne vois point que l'oiseau
Préfère Haliarte à Pontoise
Et Coronée à Palaiseau.

Les plus beaux noms de la Sicile
Et de la Grèce ne font pas
Que l'âne au fouet soit plus docile,
Que l'amour fuie à moins grand pas.

Les fleurs sont à Sèvre aussi fraîches
Que sur l'Hybla, cher au sylvain ;
Montreuil mérite avec ses pêches
La garde du dragon divin.

Marton nue est Phyllis sans voiles ;
Fils, le soir n'est pas plus vermeil,
Sous son chapeau d'ombre et d'étoiles,
A Blanduse qu'à Montfermeil.

Bercy pourrait griser sept sages ;
Les Auteuils sont fils des Tempés ;
Si l'Ida sombre a des nuages,
La guinguette a des canapés.

Rien n'est haut ni bas ; les fontaines
Lavent la pourpre et le sayon ;
L'aube d'Ivry, l'aube d'Athènes,
Sont faites du même rayon.

J'ai déjà dit parfois ces choses,
Et toujours je les redirai ;
Car du fond de toutes les proses
Peut s'élancer le vers sacré.

Si Babet a la gorge ronde,
Babet égale Pholoé.
Comme Chypre la Beauce est blonde.
Larifla descend d'Evohé.

Toinon, se baignant sur la grève,
A plus de cheveux sur le dos
Que la Callyrhoé qui rêve
Dans le grand temps d'Abydos.

Ça, que le bourgeois fraternise
Avec les satyres cornus !
Amis, le corset de Denise
Vaut la ceinture de Vénus.

II.

Donc, fuyons Paris ! plus de gêne !
Bergers, plantons là Tortoni !
Allons boire à la coupe pleine
Du printemps, ivre d'infini.

Allons fêter les fleurs exquises,
Partons ! quittons, joyeux et fous,
Pour les dryades, les marquises,
Et pour les faunes, les voyous !

Plus de bouquins, point de gazettes !
Je hais cette submersion.
Nous irons cueillir des noisettes
Dans l'été, fraîche vision.

La banlieue, amis, peut suffire.
La fleur, que Paris souille, y naît.
Flore y vivait avec Zéphire
Avant de vivre avec Brunet.

Aux champs les vers deviennent strophes ;
A Paris, l'étang, c'est l'égout.
Je sais qu'il est des philosophes
Criant très haut : « Lutèce est tout !

« Les champs ne valent pas la ville ! »
Fils, toujours le bon sens hurla
Quand Voltaire à Damilaville
Dit ces calembredaines-là.

III.

Aux champs, la nuit est vénérable,
Le jour rit d'un rire enfantin ;
Le soir berne l'orme et l'érable,
Le soir est beau ; mais le matin,

Le matin, c'est la grande fête ;
C'est l'auréole où la nuit fond,
Où le diplomate a l'air bête,
Où le bouvier a l'air profond.

La fleur d'or du pré d'azur sombre,
L'astre, brille au ciel clair encor ;
En bas, le bleuet luit dans l'ombre,
Etoile bleue en un champ d'or.

L'oiseau court, les taureaux mugissent ;
Les feuillages sont enchantés ;
Les cercles du vent s'élargissent
Dans l'ascension des clartés.

L'air frémit ; l'onde est plus sonore ;
Toute âme entr-ouvre son secret ;
L'univers croit, quand vient l'aurore,
Que sa conscience apparaît.

IV.

Quittons Paris et ses casernes.
Plongeons-nous, car les ans sont courts,
Jusqu'au genoux dans les luzernes
Et jusqu'au cœur dans les amours.

Joignons les baisers aux spondées ;
Souvenons-nous que le hautbois
Donnait à Platon des idées
Voluptueuses, dans les bois.

Vanvre a d'indulgentes prairies ;
Ville-d'Avray ferme les yeux
Sur les douces gamineries
Des cupidons mystérieux.

Là, les Jeux, les Ris, et les Farces
Poursuivent, sous les bois flottants,
Les chimères de joie éparses
Dans la lumière du printemps.

L'onde à Triel est bucolique ;
Asnière a des flux et reflux
Où vogue l'adorable clique
De tous ces petits dieux joufflus.

Le sel attique et l'eau de Seine
Se mêlent admirablement.
Il n'est qu'une chose malsaine,
Jeanne, c'est d'être sans amant.

Que notre ivresse se signale !
Allons où Pan nous conduira.
Ressuscitons la bacchanale,
Cette aïeule de l'opéra.

Laissons, et même envoyons paître
Les bœufs, les chèvres, les brebis,
La raison, le garde-champêtre !
Fils, avril chante, crions bis !

Qu'à Gif, grâce à nous, le notaire
Et le marguillier soient émus,
Fils, et qu'on entende à Nanterre
Les vagues flûtes de l'Hémus !

Acclimatons Faune à Vincenne,
Sans pourtant prendre pour conseil
L'immense Aristophane obscène,
Effronté comme le soleil.

Rions du maire, ou de l'édile ;
Et mordons, en gens convaincus,
Dans cette pomme de l'idylle
Où l'on voit les dents de Moschus.
Masmer Sep 2018
Au coin de ma lucarne, j’aperçois la verdure,
Les couleurs naturelles, et le gris des voitures.
J’entrevois toute la faune dansant main dans la main
Sans poser de question sur le jour qu’est demain.

Les oiseaux et leurs chants raviveront en moi
Des souvenirs et des vues de ce qu’était autrefois.
Les arbres et leurs mouvements me feront me souvenir
Des longs moments passés à pleurer et à rire.

Les sons sourds et les bruits qui surviennent tout le soir,
Les crissements et les coups qui sévissent dans le noir,
N’empêcheront pas mon âme d’échapper à leurs voix.

Mais quoi que disent leurs bouches, et quoi que pointent leurs doigts,
Je resterai heureux, et j’affronterai les ombres,
Je resterai debout, à regarder les arbres.
This was a homework. The title was : Write a poem about what you see at the window, no matter which. Got a nice mark, so thought about sharing it with yall here. Leave me your feedback if you want, but if you don't, then keep scrolling, it's up to you.
Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,
Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ;

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays,

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d'un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,
Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ;

Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;

Colères de boxeur, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand coeur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats,

Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et légers éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;

Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C'est pour les coeurs mortels un divin ***** !

C'est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C'est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !

Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !
Pourquoi pas montés sur des ânes ?
Pourquoi pas au bois de Meudon ?
Les sévères sont les profanes ;
Ici tout est joie et pardon.

Rien n'est tel que cette ombre verte,
Et que ce calme un peu moqueur,
Pour aller à la découverte
Tout au fond de son propre coeur.

On chante. L'été nous procure
Un bois pour nous perdre. Ô buissons !
L'amour met dans la mousse obscure
La fin de toutes les chansons.

Paris foule ces violettes ;
Breda, terre où Ninon déchut,
Y répand ces vives toilettes
À qui l'on dirait presque : Chut !

Prenez garde à ce lieu fantasque !
Ève à Meudon achèvera
Le rire ébauché sous le masque
Avec le diable à l'Opéra.

Le démon dans ces bois repose ;
Non le grand vieux Satan fourchu ;
Mais ce petit Belzébuth rose
Qu'Agnès cache dans son fichu.

On entre plein de chaste flamme,
L'oeil au ciel, le coeur dilaté ;
On est ici conduit par l'âme,
Mais par le faune on est guetté.

La source, c'est la nymphe nue ;
L'ombre au doigt vous passe un anneau ;
Et le liseron insinue
Ce que conseille le moineau.

Tout chante ; et pas de fausses notes.
L'hymne est tendre ; et l'esprit de corps
Des fauvettes et des linottes
Éclate en ces profonds accords.

Ici l'aveu que l'âme couve
Échappe aux coeurs les plus discrets ;
La clef des champs qu'à terre on trouve
Ouvre le tiroir aux secrets.

Ici l'on sent, dans l'harmonie,
Tout ce que le grand Pan caché
Peut mêler de vague ironie
Au bois sombre où rêve Psyché.

Les belles deviennent jolies ;
Les cupidons viennent et vont ;
Les roses disent des folies
Et les chardonnerets en font.

La vaste genèse est tournée
Vers son but : renaître à jamais.
Tout vibre ; on sent de l'hyménée
Et de l'amour sur les sommets.

Tout veut que tout vive et revive,
Et que les coeurs et que les nids,
L'aube et l'azur, l'onde et la rive,
Et l'âme et Dieu, soient infinis.

Il faut aimer. Et sous l'yeuse,
On sent, dans les beaux soirs d'été,
La profondeur mystérieuse
De cette immense volonté.

Cachant son feu sous sa main rose,  
La vestale ici n'entendrait
Que le sarcasme grandiose
De l'aurore et de la forêt.

Le printemps est une revanche.
Ce bois sait à quel point les thyms,
Les joncs, les saules, la pervenche,
Et l'églantier, sont libertins.

La branche cède, l'herbe plie ;
L'oiseau rit du prix Montyon ;
Toute la nature est remplie
De rappels à la question.

Le hallier sauvage est bien aise
Sous l'oeil serein de Jéhovah,
Quand un papillon déniaise
Une violette, et s'en va.

Je me souviens qu'en mon bas âge,
Ayant à peine dix-sept ans,
Ma candeur un jour fit usage
De tous ces vieux rameaux flottants.

J'employai, rôdant avec celle
Qu'admiraient mes regards heureux,
Toute cette ombre où l'on chancelle,
À me rendre plus amoureux.

Nous fîmes des canapés d'herbes ;
Nous nous grisâmes de lilas ;
Nous palpitions, joyeux, superbes,
Éblouis, innocents, hélas !

Penchés sur tout, nous respirâmes
L'arbre, le pré, la fleur, Vénus ;
Ivres, nous remplissions nos âmes
De tous les souffles inconnus.

Nos baisers devenaient étranges,
De sorte que, sous ces berceaux,
Après avoir été deux anges,
Nous n'étions plus que deux oiseaux.

C'était l'heure où le nid se couche,
Où dans le soir tout se confond ;
Une grande lune farouche
Rougissait dans le bois profond.

L'enfant, douce comme une fête,
Qui m'avait en chantant suivi,
Commençait, pâle et stupéfaite,
À trembler de mon oeil ravi ;

Son sein soulevait la dentelle...
Homère ! ô brouillard de l'Ida :
- Marions-nous ! s'écria-t-elle,
Et la belle fille gronda :

- Cherche un prêtre, et sans plus attendre,
Qu'il nous marie avec deux mots.
Puis elle reprit, sans entendre
Le chuchotement des rameaux,

Sans remarquer dans ce mystère
Le profil des buissons railleurs :
- Mais où donc est le presbytère ?
Quel est le prêtre de ces fleurs ?

Un vieux chêne était là ; sa tige
Eût orné le seuil d'un palais.
- Le curé de Meudon ? Lui dis-je.
L'arbre me dit : - C'est Rabelais.
Rôdeur vanné, ton œil fané

Tout plein d'un désir satané

Mais qui n'est pas l'œil d'un bélître,

Quand passe quelqu'un de gentil

Lance un éclair comme une vitre.


Ton blaire flaire, âpre et subtil,

Et l'étamine et le pistil,

Toute fleur, tout fruit, toute viande,

Et ta langue d'homme entendu

Pourlèche ta lèvre friande.


Vieux faune en l'air guettant ton dû,

As-tu vraiment bandé, tendu

L'arme assez de tes paillardises ?

L'as-tu, drôle, braquée assez ?

Ce n'est rien que tu nous le dises.


Quoi, malgré ces reins fricassés,

Ce cœur éreinté, tu ne sais

Que dévouer à la luxure

Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel,

Ta rate et toute ta fressure !


Sucrés et doux comme le miel,

Damnants comme le feu du ciel,

Bleus comme fleur, noirs comme poudre,

Tu raffoles beaucoup des yeux

De tout genre en dépit du Foudre.


Les nez te plaisent, gracieux

Ou simplement malicieux,

Étant la force des visages,

Étant aussi, suivant des gens,

Des indices et des présages.


Longs baisers plus clairs que des chants,

Tout petits baisers astringents

Qu'on dirait qui vous sucent l'âme,

Bons gros baisers d'enfant, légers

Baisers danseurs, telle une flamme,


Baisers mangeurs, baisers mangés,

Baisers buveurs, bus, enragés,

Baisers languides et farouches,

Ce que t'aimes bien, c'est surtout,

N'est-ce pas ? les belles boubouches.


Les corps enfin sont de ton goût,

Mieux pourtant couchés que debout,

Se mouvant sur place qu'en marche,

Mais de n'importe quel climat,

Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l'Arche.


Pour que ce goût les acclamât

Minces, grands, d'aspect plutôt mat,

Faudrait pourtant du jeune en somme :

Pieds fins et forts, tout légers bras

Musculeux et les cheveux comme


Ça tombe, longs, bouclés ou ras, -

Sinon pervers et scélérats

Tout à fait, un peu d'innocence

En moins, pour toi sauver, du moins,

Quelque ombre encore de décence ?


Nenni dà ! Vous, soyez témoins,

Dieux la connaissant dans les coins,

Que ces manières, de parts telles,

Sont pour s'amuser mieux au fond

Sans trop muser aux bagatelles.


C'est ainsi que les choses vont

Et que les raillards fieffés font.

Mais tu te ris de ces morales, -

Tel un quelqu'un plus que pressé

Passe outre aux défenses murales.


Et tu réponds, un peu lassé

De te voir ainsi relancé,

De ta voix que la soif dégrade

Mais qui n'est pas d'un marmiteux :

« Qu'y peux-tu faire, camarade,


Si nous sommes cet amiteux ? »
Dans les vieilles forêts où la sève à grands flots
Court du fût noir de l'aulne au tronc blanc des bouleaux,
Bien des fois, n'est-ce pas ? à travers la clairière,
Pâle, effaré, n'osant regarder en arrière,
Tu t'es hâté, tremblant et d'un pas convulsif,
Ô mon maître Albert Dure, ô vieux peintre pensif !

On devine, devant tes tableaux qu'on vénère,
Que dans les noirs taillis ton œil visionnaire
Voyait distinctement, par l'ombre recouverts,
Le faune aux doigts palmés, le sylvain aux yeux verts,
Pan, qui revêt de fleurs l'antre où tu te recueilles,
Et l'antique dryade aux mains pleines de feuilles.

Une forêt pour toi, c'est un monde hideux.
Le songe et le réel s'y mêlent tous les deux.
Là se penchent rêveurs les vieux pins, les grands ormes
Dont les rameaux tordus font cent coudes difformes,
Et dans ce groupe sombre agité par le vent,
Rien n'est tout à fait mort ni tout à fait vivant.
Le cresson boit ; l'eau court ; les frênes sur les pentes,
Sous la broussaille horrible et les ronces grimpantes,
Contractent lentement leurs pieds noueux et noirs.
Les fleurs au cou de cygne ont les lacs pour miroirs ;
Et sur vous qui passez et l'avez réveillée,
Mainte chimère étrange à la gorge écaillée,
D'un arbre entre ses doigts serrant les larges nœuds,
Du fond d'un antre obscur fixe un œil lumineux.
Ô végétation ! esprit ! matière ! force !
Couverte de peau rude ou de vivante écorce !

Aux bois, ainsi que toi, je n'ai jamais erré,
Maître, sans qu'en mon cœur l'horreur ait pénétré,
Sans voir tressaillir l'herbe, et, par le vent bercées,
Pendre à tous les rameaux de confuses pensées.
Dieu seul, ce grand témoin des faits mystérieux,
Dieu seul le sait, souvent, en de sauvages lieux,
J'ai senti, moi qu'échauffe une secrète flamme,
Comme moi palpiter et vivre avec une âme,
Et rire, et se parler dans l'ombre à demi-voix,
Les chênes monstrueux qui remplissent les bois.

Le 20 avril 1837.
Jean Sévère était fort ivre.
Ô barrière ! ô lieu divin
Où Surène nous délivre
Avec l'azur de son vin !

Un faune habitant d'un antre,
Sous les pampres de l'été,
Aurait approuvé son ventre
Et vénéré sa gaieté.

Il était beau de l'entendre.
On voit, quand cet homme rit,
Chacun des convives tendre
Comme un verre son esprit.

À travers les mille choses
Qu'on dit parmi les chansons,
Tandis qu'errent sous les roses
Les filles et les garçons,

On parla d'une bataille ;
Deux peuples, russe et prussien,
Sont hachés par la mitraille ;
Les deux rois se portent bien.

Chacun de ces deux bons princes
(De là tous leurs différends)
Trouve ses États trop minces
Et ceux du voisin trop grands.

Les peuples, eux, sont candides ;
Tout se termine à leur gré
Par un dôme d'Invalides
Plein d'infirmes et doré.

Les rois font pour la victoire
Un hospice, où le guerrier
Ira boiter dans la gloire,
Borgne, et coiffé d'un laurier.

Nous admirions ; mais, farouche,
En nous voyant tous béats,
Jean Sévère ouvrit la bouche
Et dit ces alinéas :

« Le pauvre genre humain pleure,
« Nos pas sont tremblants et courts,
« Je suis très ivre, et c'est l'heure
« De faire un sage discours.

« Le penseur joint sous la treille
« La logique à la boisson ;
« Le sage, après la bouteille,
« Doit déboucher la raison.

« Faire, au lieu des deux armées,
« Battre les deux généraux,
« Diminuerait les fumées
« Et grandirait les héros.

« Que me sert le dithyrambe
« Qu'on va chantant devant eux,
« Et que Dieu m'ait fait ingambe
« Si les rois me font boiteux ?

« Ils ne me connaissent guère
« S'ils pensent qu'il me suffit
« D'avoir les coups de la guerre
« Quand ils en ont le profit.

« Foin des beaux portails de marbre
« De la Flèche et de Saint-Cyr !
« Lorsqu'avril fait pousser l'arbre,
« Je n'éprouve aucun plaisir,

« En voyant la branche, où flambe
« L'aurore qui m'éveilla,
« À dire : « C'est une jambe
« Peut-être qui me vient là ! »

« L'invalide altier se traîne,
« Du poids d'un bras déchargé ;
« Mais moi je n'ai nulle haine
« Pour tous les membres que j'ai.

« Recevoir des coups de sabre,
« Choir sous les pieds furieux
« D'un escadron qui se cabre,
« C'est charmant ; boire vaut mieux.

« Plutôt gambader sur l'herbe
« Que d'être criblé de plomb !
« Le nez coupé, c'est superbe ;
« J'aime autant mon nez trop long.

« Décoré par mon monarque,
« Je m'en reviens, ébloui,
« Mais bancal, et je remarque
« Qu'il a ses deux pattes, lui.

« Manchot, fier, l'***** m'attire ;
« Je vois celle qui me plaît
« En lorgner d'autres et dire :
« Je l'aimerais mieux complet. »

« Fils, c'est vrai, je ne savoure
« Qu'en douteur voltairien
« Cet effet de ma bravoure
« De n'être plus bon à rien.

« La jambe de bois est noire ;
« La guerre est un dur sentier ;
« Quant à ce qu'on nomme gloire,
« La gloire, c'est d'être entier.

« L'infirme adosse son râble,
« En trébuchant, aux piliers ;
« C'est une chose admirable,
« Fils, que d'user deux souliers.

« Fils, j'aimerais que mon prince,
« En qui je mets mon orgueil,
« Pût gagner une province
« Sans me faire perdre un oeil.

« Un discours de cette espèce
« Sortant de mon hiatus,
« Prouve que la langue épaisse
« Ne fait pas l'esprit obtus. »

Ainsi parla Jean Sévère,
Ayant dans son coeur sans fiel
La justice, et dans son verre
Un vin bleu comme le ciel.

L'ivresse mit dans sa tête
Ce bon sens qu'il nous versa.
Quelquefois Silène prête
Son âne à Sancho Pança.
Orphée, au bois du Caystre,
Ecoutait, quand l'astre luit,
Le rire obscur et sinistre
Des inconnus de la nuit.

Phtas, la sibylle thébaine,
Voyait près de Phygalé
Danser des formes d'ébène
Sur l'horizon étoilé.

Eschyle errait à la brune
En Sicile, et s'enivrait
Des flûtes du clair de lune
Qu'on entend dans la forêt.

Pline, oubliant toutes choses
Pour les nymphes de Milet,
Epiait leurs jambes roses
Quand leur robe s'envolait.

Plaute, rôdant à Viterbe
Dans les vergers radieux,
Ramassait parfois dans l'herbe
Des fruits mordus par les dieux.

Versailles est un lieu sublime
Où le faune, un pied dans l'eau,
Offre à Molière la rime,
Etonnement de Boileau.

Le vieux Dante, à qui les âmes
Montraient leur sombre miroir,
Voyait s'évader des femmes
Entre les branches le soir.

André Chénier sous les saules
Avait l'éblouissement
De ces fuyantes épaules
Dont Virgile fut l'amant.

Shakespeare, aux aguets derrière
Le chêne aux rameaux dormants,
Entendait dans la clairière
De vagues trépignements.

Ô feuillage, tu m'attires ;
Un dieu t'habite ; et je crois
Que la danse des satyres
Tourne encore au fond des bois.
Sachez qu'hier, de ma lucarne,
J'ai vu, j'ai couvert de clins d'yeux
Une fille qui dans la Marne
Lavait des torchons radieux.

Près d'un vieux pont, dans les saulées,
Elle lavait, allait, venait ;
L'aube et la brise étaient mêlées
À la grâce de son bonnet.

Je la voyais de ****. Sa mante
L'entourait de plis palpitants.
Aux folles broussailles qu'augmente
L'intempérance du printemps,

Aux buissons que le vent soulève,
Que juin et mai, frais barbouilleurs,
Foulant la cuve de la sève,
Couvrent d'une écume de fleurs,

Aux sureaux pleins de mouches sombres,
Aux genêts du bord, tous divers
Aux joncs échevelant leurs ombres
Dans la lumière des flots verts,

Elle accrochait des loques blanches,
Je ne sais quels haillons charmants
Qui me jetaient, parmi les branches,
De profonds éblouissements.

Ces nippes, dans l'aube dorée,
Semblaient, sous l'aulne et le bouleau,
Les blancs cygnes de Cythérée
Battant de l'aile au bord de l'eau.

Des cupidons, fraîche couvée,
Me montraient son pied fait au tour ;
Sa jupe semblait relevée
Par le petit doigt de l'amour.

On voyait, je vous le déclare,
Un peu plus haut que le genou.
Sous un pampre un vieux faune hilare
Murmurait tout bas : Casse-cou !

Je quittai ma chambre d'auberge,
En souriant comme un bandit ;
Et je descendis sur la berge
Qu'une herbe, glissante, verdit.

Je pris un air incendiaire
Je m'adossai contre un pilier,
Et je lui dis : « Ô lavandière !
(Blanchisseuse étant familier)

«  L'oiseau gazouille, l'agneau bêle,
«  Gloire à ce rivage écarté !
«  Lavandière, vous êtes belle.
« Votre rire est de la clarté.

« Je suis capable de faiblesses.
« Ô lavandière, quel beau jour !
« Les fauvettes sont des drôlesses
« Qui chantent des chansons d'amour.

« Voilà six mille ans que les roses
« Conseillent, en se prodiguant,
« L'amour aux coeurs les plus moroses.
« Avril est un vieil intrigant.

« Les rois sont ceux qu'adorent celles  
« Qui sont charmantes comme vous ;
« La Marne est pleine d'étincelles ;
« Femme, le ciel immense est doux.

« Ô laveuse à la taille mince
« Qui vous aime est dans un palais.
« Si vous vouliez, je serais prince ;
« Je serais dieu, si tu voulais. -  »

La blanchisseuse, gaie et tendre,
Sourit, et, dans le hameau noir,
Sa mère au **** cessa d'entendre
Le bruit vertueux du battoir.

Les vieillards grondent et reprochent,
Mais, ô jeunesse ! il faut oser.
Deux sourires qui se rapprochent
Finissent par faire un baiser.

Je m'arrête. L'idylle est douce,
Mais ne veut pas, je vous le dis,
Qu'au delà du baiser on pousse
La peinture du paradis.
Pancrace entre au lit de Lucinde ;
Et l'heureux ***** est bâclé
Quand un maire a mis le coq d'Inde
Avec la fauvette sous clé.

Un docteur tout noir d'encre passe
Avec Cyllanire à son bras ;
Un bouc mène au bal une grâce ;
L'aurore épouse le fatras.

C'est la vieille histoire éternelle ;
Faune et Flore ; on pourrait, hélas,
Presque dire : - À quoi bon la belle ?
Si la bête n'existait pas.

Dans un vase une clématite,
Qui tremble, et dont l'avril est court !
Je trouve la fleur bien petite,
Et je trouve le *** bien lourd.

Que Philistine est adorable,
Et que Philistin est hideux !
L'épaule blanche à l'affreux râble
S'appuie, en murmurant : Nous deux !

Le capricieux des ténèbres,
Cupidon compose, ô destin !
De toutes ces choses funèbres
Son éclat de rire enfantin.

Fatal amour ! Charmant, morose,
Taquin, il prend le mal au mot ;
D'autant plus sombre qu'il est rose,
D'autant plus dieu qu'il est marmot !

— The End —