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Peins-moi, Janet, peins-moi, je te supplie
Dans ce tableau les beautés de m'amie
De la façon que je te les dirai.
Comme importun je ne te supplierai
D'un art menteur quelque faveur lui faire :
Il suffit bien si tu la sais portraire
Ainsi qu'elle est, sans vouloir déguiser
Son naturel pour la favoriser,
Car la faveur n'est bonne que pour celles
Qui se font peindre, et qui ne sont pas belles.

Fais-lui premier les cheveux ondelés,
Noués, retors, recrêpés, annelés,
Qui de couleur le cèdre représentent ;
Ou les démêle, et que libres ils sentent
Dans le tableau, si par art tu le peux,
La même odeur de ses propres cheveux,
Car ses cheveux comme fleurettes sentent,
Quand les Zéphyrs au printemps les éventent.

Que son beau front ne soit entrefendu
De nul sillon en profond étendu,
Mais qu'il soit tel qu'est la pleine marine,
Quand tant soit peu le vent ne la mutine,
Et que gisante en son lit elle dort,
Calmant ses flots sillés d'un somme mort.
Tout au milieu par la grève descende
Un beau rubis, de qui l'éclat s'épande
Par le tableau, ainsi qu'on voit de nuit
Briller les rais de la Lune qui luit
Dessus la neige au fond d'un val coulée,
De trace d'homme encore non foulée.

Après fais-lui son beau sourcil voûtis
D'ébène noir, et que son pli tortis
Semble un croissant qui montre par la nue
Au premier mois sa voûture cornue.
Ou si jamais tu as vu l'arc d'Amour,
Prends le portrait dessus le demi-tour
De sa courbure à demi-cercle dose,
Car l'arc d'Amour et lui n'est qu'une chose.
Mais las ! mon Dieu, mon Dieu je ne sais pas
Par quel moyen, ni comment, tu peindras
(Voire eusses-tu l'artifice d'Apelle)
De ses beaux yeux la grâce naturelle,
Qui font vergogne aux étoiles des Cieux.
Que l'un soit doux, l'autre soit furieux,
Que l'un de Mars, l'autre de Vénus tienne ;
Que du bénin toute espérance vienne,

Et du cruel vienne tout désespoir ;
L'un soit piteux et larmoyant à voir,
Comme celui d'Ariane laissée
Aux bords de Die, alors que l'insensée,
Près de la mer, de pleurs se consommait,
Et son Thésée en vain elle nommait ;
L'autre soit ***, comme il est bien croyable
Que l'eut jadis Pénélope louable
Quand elle vit son mari retourné,
Ayant vingt ans **** d'elle séjourné.
Après fais-lui sa rondelette oreille,
Petite, unie, entre blanche et vermeille,
Qui sous le voile apparaisse à l'égal
Que fait un lis enclos dans un cristal,
Ou tout ainsi qu'apparaît une rose
Tout fraîchement dedans un verre enclose.

Mais pour néant tu aurais fait si beau
Tout l'ornement de ton riche tableau,
Si tu n'avais de la linéature
De son beau nez bien portrait la peinture.
Peins-le-moi donc grêle, long, aquilin,
Poli, traitis, où l'envieux malin,
Quand il voudrait, n'y saurait que reprendre,
Tant proprement tu le feras descendre
Parmi la face, ainsi comme descend
Dans une plaine un petit mont qui pend.
Après au vif peins-moi sa belle joue
Pareille au teint de la rose qui noue
Dessus du lait, ou au teint blanchissant
Du lis qui baise un oeillet rougissant.
Dans le milieu portrais une fossette,
Fossette, non, mais d'Amour la cachette,
D'où ce garçon de sa petite main
Lâche cent traits, et jamais un en vain,
Que par les yeux droit au coeur il ne touche.

Hélas ! Janet, pour bien peindre sa bouche,
A peine Homère en ses vers te dirait
Quel vermillon égaler la pourrait,
Car pour la peindre ainsi qu'elle mérite,
Peindre il faudrait celle d'une Charite.
Peins-la-moi donc, qu'elle semble parler,
Ores sourire, ores embaumer l'air
De ne sais quelle ambrosienne haleine.
Mais par sur tout fais qu'elle semble pleine
De la douceur de persuasion.
Tout à l'entour attache un million
De ris, d'attraits, de jeux, de courtoisies,
Et que deux rangs de perlettes choisies
D'un ordre égal en la place des dents
Bien poliment soient arrangés dedans.
Peins tout autour une lèvre bessonne,
Qui d'elle-même, en s'élevant, semonne,
D'être baisée, ayant le teint pareil
Ou de la rose, ou du corail vermeil,
Elle flambante au Printemps sur l'épine,
Lui rougissant au fond de la marine.

Peins son menton au milieu fosselu,
Et que le bout en rondeur pommelu
Soit tout ainsi que l'on voit apparaître
Le bout d'un coin qui jà commence à croître.

Plus blanc que lait caillé dessus le jonc
Peins-lui le col, mais peins-le un petit long,
Grêle et charnu, et sa gorge douillette
Comme le col soit un petit longuette.

Après fais-lui, par un juste compas,
Et de Junon les coudes et les bras,
Et les beaux doigts de Minerve, et encore
La main pareille à celle de l'Aurore.

Je ne sais plus, mon Janet, où j'en suis,
Je suis confus et muet : je ne puis,
Comme j'ai fait, te déclarer le reste
De ses beautés, qui ne m'est manifeste.
Las ! car jamais tant de faveurs je n'eus
Que d'avoir vu ses beaux tétins à nu.
Mais si l'on peut juger par conjecture,
Persuadé de raisons, je m'assure
Que la beauté qui ne s'apparaît, doit
Du tout répondre à celle que l'on voit.
Doncque peins-la, et qu'elle me soit faite

Parfaite autant comme l'autre est parfaite.
Ainsi qu'en bosse élève-moi son sein,
Net, blanc, poli, large, profond et plein,
Dedans lequel mille rameuses veines
De rouge sang tressaillent toutes pleines.
Puis, quand au vif tu auras découvert
Dessous la peau les muscles et les nerfs,
Enfle au-dessus deux pommes nouvelettes,
Comme l'on voit deux pommes verdelettes
D'un oranger, qui encore du tout
Ne font qu'à l'heure à se rougir au bout.

Tout au plus haut des épaules marbrines,
Peins le séjour des Charites divines,
Et que l'Amour sans cesse voletant
Toujours les couve, et les aille éventant,
Pensant voler avec le Jeu son frère
De branche en branche ès vergers de Cythère.

Un peu plus bas, en miroir arrondi,
Tout poupellé, grasselet, rebondi,
Comme celui de Vénus, peins son ventre ;
Peins son nombril ainsi qu'un petit centre,
Le fond duquel paraisse plus vermeil
Qu'un bel oeillet entrouvert au Soleil.

Qu'attends-tu plus ? portrais-moi l'autre chose
Qui est si belle, et que dire je n'ose,
Et dont l'espoir impatient me point ;
Mais je te prie, ne me l'ombrage point,
Si ce n'était d'un voile fait de soie,
Clair et subtil, à fin qu'on l'entrevoie.

Ses cuisses soient comme faites au tour
A pleine chair, rondes tout à l'entour,
Ainsi qu'un Terme arrondi d'artifice
Qui soutient ferme un royal édifice.

Comme deux monts enlève ses genoux,
Douillets, charnus, ronds, délicats et mous,
Dessous lesquels fais-lui la grève pleine,
Telle que l'ont les vierges de Lacène,
Allant lutter au rivage connu
Du fleuve Eurote, ayant le corps tout nu,
Ou bien chassant à meutes découplées
Quelque grand cerf ès forêts Amyclées.
Puis, pour la fin, portrais-lui de Thétis
Les pieds étroits, et les talons petits.

Ha, je la vois ! elle est presque portraite,
Encore un trait, encore un, elle est faite !
Lève tes mains, ha mon Dieu ! je la vois !
Bien peu s'en faut qu'elle ne parle à moi.
Dedans des Prez je vis une Dryade,
Qui comme fleur s'assisoyt par les fleurs,
Et mignotoyt un chappeau de couleurs,
Echevelée en simple verdugade.

Des ce jour là ma raison fut malade,
Mon cuoeur pensif, mes yeulx chargez de pleurs,
Moy triste et lent : tel amas de douleurs
En ma franchise imprima son oeillade.

Là je senty dedans mes yeulx voller
Une doulx venin, qui se vint escouler
Au fond de lame : et depuis cest oultrage,

Comme un beau lis, au moys de Juin blessé
D'un ray trop chault, languist à chef baissé,
Je me consume au plus verd de mon age.
solenn fresnay Nov 2012
A six heures trente- neuf ce matin le grand sourire et un peu trop de blush sur la joue gauche
J'ai senti qu'entre nous deux un léger décalage dans les pratiques professionnelles il y avait
Je n'ai pas su déterminer quel nombre exact de cuillères à café je devais mettre pour l'équivalent d'une cafetière pleine
J'en ai mis six
Il n'en fallait que deux
A midi moins deux minutes nous n'avions toujours pas fini nos toilettes
Il ne restait plus une goutte d'eau, juste des amas de mousse anti-cancer qui s'entassaient là à même le sol, noyés par des milliards de fourmis portant sur leurs dos trop courts des litres de caillots de sang
Le pire c'est le cancer de la vessie, on dirait de la porcelaine, j'osais à peine vous toucher, vous m'excusez?
En attendant le prochain voyage pour la planète cancer j'ai tartiné mon pain de confiture de groseilles, ou était-ce de la prune ?
Peu importe, je ne me sentais pas très bien et je voulais boire le sang de ma propre mère en prenant soin de m'étouffer avec ses quelques caillots restants, en hommage à ses quelques non-dits d'une vie plus que passée et depuis longtemps oubliée
Comme dans la cour d'école, vous ne m'avez pas choisi et j'ai senti que mes jambes me lâchaient
NE FAIRE QUE COMME VOUS ET ÉLIRE DOMICILE DANS VOTRE CAGE D'ESCALIER
J'ai dit "encombré", vous m'avez corrigée et ouvrez les guillemets, je cite: "Pas encombré, mais dyspnéique, cela s'appelle de la dyspnée"
CONN-ASSE
Je me suis appuyée contre le mur, vous ai simplement souri et tout n'allait pas trop bien avec mon blush en surdosage
Les mots étaient là coincés au travers de ma glotte, impossibles à sortir, je ne vous trouvais plus, vous ai simplement servi un café dans une petite tasse en ayant au préalable pensé y cracher toute ma morve dedans
CONNASSE, ON DIT PEUT ETRE DYSPNEIQUE ET PAS ENCOMBRE MAIS QUI DIT QUE TEL PATIENT EST P-SSSY A TOUT BOUT DE CHAMP CA VEUT DIRE QUOI D'AILLEURS ETRE P-SSSY SURTOUT QUAND ON VA CREVER?
Putain, j'ai rien pu dire du tout jusqu'au yaourt aux fruits rouges
Mes seules paroles formulées ne furent pas prises au sérieux et mon salaire ne fut plus qu’une avalanche de vers de terre en pente descendante
Comme un tel visage dépoussiéré et quelques centimètres d'un seul poumon à la surface de vos quatre-vingt trois printemps
Mais que nous reste-t-il donc à vivre ?
La tumeur est là bien visible et vous empêche de parler, presque, de respirer
Vous perdez la tête
Nous perdons la tête
Mais qu'avez-vous donc fait pour mériter telle souffrance?
Chaque nuit le même rêve d'un père que je tue de mes propres mains bouffées par la vermine
De là je l'entends geindre et ses draps sont tachés de sang mais je continue de courir
Je cours encore
Je cours toujours
Je ne sais faire que ça, courir
Je vais m'évanouir
Bon Dieu que je déteste les gens.

Mes cheveux me démangeaient alors dès la sortie des classes je suis allée m'acheter de la compote à la cerise et sur le chemin du retour mes cheveux continuaient à me démanger je les ai donc déposés bien délicatement au fond du caniveau de la rue Edgar Quinet
Je suis nulle, je suis nouille et je travaille à Convention
Et à Convention, vous faites quoi?
Dans le théâtre, je travaille dans le théâtre
Il s'appelle Boris et en fait c'est pas ça du tout
Il n'y avait pas de chauffage chez moi et la femme n'était pas enceinte
Je n'ai jamais rien compris au fonctionnement propre d'un miroir et j'ai mes derniers textes qui attendent d'être classés ainsi que la syntaxe à rafraîchir
Appelez-moi comme vous voulez et arrachez moi toutes mes dents, peu m’importe
J'ai le poste de télévision qui dérive sur la droite
Laissez-moi finir mon chapitre et surtout ne dites à personne ce que je vous ai dit
Oubliez l’écrivaine qui écrit comme elle respire
Je ne fais que torcher des culs comme on emballe des endives, le monde tourne à l'envers, le bateau coule, c'est la crise, non l'escroquerie pardon, te souviens-tu du jour où tu as rêvé...
Prendre un paquebot à l'amiante et t'envoler pour la planète Néant
N'oubliez jamais que peut-être demain matin de votre lit vous ne pourrez plus parler car durant une nuit sans fin votre tête rongée par la culpabilité aura été tranchée
Je sens je pisse encore du sang et ma vie n'est plus qu'un cargo à la dérive
Baissez donc le rideau et laissez-moi, vous m'avez assez emmerdé pour aujourd'hui.

.../...

Je l'ai vraiment tué ?

.../...

Je ne sais plus
Alors j'ai avalé les derniers débris de glace
Il respirait encore quand je suis partie
J'ai chié dans mon jean troué aux deux genoux et j'ai simplement continué de courir.
Mon rêve le plus cher et le plus caressé,

Le seul qui rit encore à mon cœur oppressé,

C'est de m'ensevelir au fond d'une chartreuse,

Dans une solitude inabordable, affreuse ;

****, bien ****, tout là-bas, dans quelque Sierra

Bien sauvage, où jamais voix d'homme ne vibra,

Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches,

Où n'arrive pas même un bruit lointain de cloches ;

Dans quelque Thébaïde, aux lieux les moins hantés,

Comme en cherchaient les saints pour leurs austérités ;

Sous la grotte où grondait le lion de Jérôme,

Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume

Et boire la rosée à ton calice ouvert,

Ô frêle et chaste fleur, qui crois dans le désert

Aux fentes du tombeau de l'Espérance morte !

De non cœur dépeuplé je fermerais la porte

Et j'y ferais la garde, afin qu'un souvenir

Du monde des vivants n'y pût pas revenir ;

J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ;

Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire

Qu'aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait,

Pour y dormir ma nuit j'en ferais un chevet ;

Car je sais maintenant que vaut cette fumée

Qu'au-dessus du néant pousse une renommée.

J'ai regardé de près et la science et l'art :

J'ai vu que ce n'était que mensonge et hasard ;

J'ai mis sur un plateau de toile d'araignée

L'amour qu'en mon chemin j'ai reçue et donnée :

Puis sur l'autre plateau deux grains du vermillon

Impalpable, qui teint l'aile du papillon,

Et j'ai trouvé l'amour léger dans la balance.

Donc, reçois dans tes bras, ô douce somnolence,

Vierge aux pâles couleurs, blanche sœur de la mort,

Un pauvre naufragé des tempêtes du sort !

Exauce un malheureux qui te prie et t'implore,

Egraine sur son front le pavot inodore,

Abrite-le d'un pan de ton grand manteau noir,

Et du doigt clos ses yeux qui ne veulent plus voir.

Vous, esprits du désert, cependant qu'il sommeille,

Faites taire les vents et bouchez son oreille,

Pour qu'il n'entende pas le retentissement

Du siècle qui s'écroule, et ce bourdonnement

Qu'en s'en allant au but où son destin la mène

Sur le chemin du temps fait la famille humaine !


Je suis las de la vie et ne veux pas mourir ;

Mes pieds ne peuvent plus ni marcher ni courir ;

J'ai les talons usés de battre cette route

Qui ramène toujours de la science au doute.

Assez, je me suis dit, voilà la question.


Va, pauvre rêveur, cherche une solution

Claire et satisfaisante à ton sombre problème,

Tandis qu'Ophélia te dit tout haut : Je t'aime ;

Mon beau prince danois marche les bras croisés,

Le front dans la poitrine et les sourcils froncés,

D'un pas lent et pensif arpente le théâtre,

Plus pâle que ne sont ces figures d'albâtre,

Pleurant pour les vivants sur les tombeaux des morts ;

Épuise ta vigueur en stériles efforts,

Et tu n'arriveras, comme a fait Ophélie,

Qu'à l'abrutissement ou bien à la folie.

C'est à ce degré-là que je suis arrivé.

Je sens ployer sous moi mon génie énervé ;

Je ne vis plus ; je suis une lampe sans flamme,

Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme.


Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr,

Si dans un coin du cœur il éclot un désir,

Lui couper sans pitié ses ailes de colombe,

Être comme est un mort, étendu sous la tombe,

Dans l'immobilité savourer lentement,

Comme un philtre endormeur, l'anéantissement :

Voilà quel est mon vœu, tant j'ai de lassitude,

D'avoir voulu gravir cette côte âpre et rude,

Brocken mystérieux, où des sommets nouveaux

Surgissent tout à coup sur de nouveaux plateaux,

Et qui ne laisse voir de ses plus hautes cimes

Que l'esprit du vertige errant sur les abîmes.


C'est pourquoi je m'assieds au revers du fossé,

Désabusé de tout, plus voûté, plus cassé

Que ces vieux mendiants que jusques à la porte

Le chien de la maison en grommelant escorte.

C'est pourquoi, fatigué d'errer et de gémir,

Comme un petit enfant, je demande à dormir ;

Je veux dans le néant renouveler mon être,

M'isoler de moi-même et ne plus me connaître ;

Et comme en un linceul, sans y laisser un seul pli,

Rester enveloppé dans mon manteau d'oubli.


J'aimerais que ce fût dans une roche creuse,

Au penchant d'une côte escarpée et pierreuse,

Comme dans les tableaux de Salvator Rosa,

Où le pied d'un vivant jamais ne se posa ;

Sous un ciel vert, zébré de grands nuages fauves,

Dans des terrains galeux clairsemés d'arbres chauves,

Avec un horizon sans couronne d'azur,

Bornant de tous côtés le regard comme un mur,

Et dans les roseaux secs près d'une eau noire et plate

Quelque maigre héron debout sur une patte.

Sur la caverne, un pin, ainsi qu'un spectre en deuil

Qui tend ses bras voilés au-dessus d'un cercueil,

Tendrait ses bras en pleurs, et du haut de la voûte

Un maigre filet d'eau suintant goutte à goutte,

Marquerait par sa chute aux sons intermittents

Le battement égal que fait le cœur du temps.

Comme la Niobé qui pleurait sur la roche,

Jusqu'à ce que le lierre autour de moi s'accroche,

Je demeurerais là les genoux au menton,

Plus ployé que jamais, sous l'angle d'un fronton,

Ces Atlas accroupis gonflant leurs nerfs de marbre ;

Mes pieds prendraient racine et je deviendrais arbre ;

Les faons auprès de moi tondraient le gazon ras,

Et les oiseaux de nuit percheraient sur mes bras.


C'est là ce qu'il me faut plutôt qu'un monastère ;

Un couvent est un port qui tient trop à la terre ;

Ma nef tire trop d'eau pour y pouvoir entrer

Sans en toucher le fond et sans s'y déchirer.

Dût sombrer le navire avec toute sa charge,

J'aime mieux errer seul sur l'eau profonde et large.

Aux barques de pêcheur l'anse à l'abri du vent,

Aux simples naufragés de l'âme, le couvent.

À moi la solitude effroyable et profonde,

Par dedans, par dehors !


Par dedans, par dehors ! Un couvent, c'est un monde ;

On y pense, on y rêve, on y prie, on y croit :

La mort n'est que le seuil d'une autre vie ; on voit

Passer au long du cloître une forme angélique ;

La cloche vous murmure un chant mélancolique ;

La Vierge vous sourit, le bel enfant Jésus

Vous tend ses petits bras de sa niche ; au-dessus

De vos fronts inclinés, comme un essaim d'abeilles,

Volent les Chérubins en légions vermeilles.

Vous êtes tout espoir, tout joie et tout amour,

À l'escalier du ciel vous montez chaque jour ;

L'extase vous remplit d'ineffables délices,

Et vos cœurs parfumés sont comme des calices ;

Vous marchez entourés de célestes rayons

Et vos pieds après vous laissent d'ardents sillons !


Ah ! grands voluptueux, sybarites du cloître,

Qui passez votre vie à voir s'ouvrir et croître

Dans le jardin fleuri de la mysticité,

Les pétales d'argent du lis de pureté,

Vrais libertins du ciel, dévots Sardanapales,

Vous, vieux moines chenus, et vous, novices pâles,

Foyers couverts de cendre, encensoirs ignorés,

Quel don Juan a jamais sous ses lambris dorés

Senti des voluptés comparables aux vôtres !

Auprès de vos plaisirs, quels plaisirs sont les nôtres !

Quel amant a jamais, à l'âge où l'œil reluit,

Dans tout l'enivrement de la première nuit,

Poussé plus de soupirs profonds et pleins de flamme,

Et baisé les pieds nus de la plus belle femme

Avec la même ardeur que vous les pieds de bois

Du cadavre insensible allongé sur la croix !

Quelle bouche fleurie et d'ambroisie humide,

Vaudrait la bouche ouverte à son côté livide !

Notre vin est grossier ; pour vous, au lieu de vin,

Dans un calice d'or perle le sang divin ;

Nous usons notre lèvre au seuil des courtisanes,

Vous autres, vous aimez des saintes diaphanes,

Qui se parent pour vous des couleurs des vitraux

Et sur vos fronts tondus, au détour des arceaux,

Laissent flotter le bout de leurs robes de gaze :

Nous n'avons que l'ivresse et vous avez l'extase.

Nous, nos contentements dureront peu de jours,

Les vôtres, bien plus vifs, doivent durer toujours.

Calculateurs prudents, pour l'abandon d'une heure,

Sur une terre où nul plus d'un jour ne demeure,

Vous achetez le ciel avec l'éternité.

Malgré ta règle étroite et ton austérité,

Maigre et jaune Rancé, tes moines taciturnes

S'entrouvrent à l'amour comme des fleurs nocturnes,

Une tête de mort grimaçante pour nous

Sourit à leur chevet du rire le plus doux ;

Ils creusent chaque jour leur fosse au cimetière,

Ils jeûnent et n'ont pas d'autre lit qu'une bière,

Mais ils sentent vibrer sous leur suaire blanc,

Dans des transports divins, un cœur chaste et brûlant ;

Ils se baignent aux flots de l'océan de joie,

Et sous la volupté leur âme tremble et ploie,

Comme fait une fleur sous une goutte d'eau,

Ils sont dignes d'envie et leur sort est très-beau ;

Mais ils sont peu nombreux dans ce siècle incrédule

Creux qui font de leur âme une lampe qui brûle,

Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ,

Croire que tout s'est fait comme il était écrit.

Il en est qui n'ont pas le don des saintes larmes,

Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ;

Il est des malheureux qui ne peuvent prier

Et dont la voix s'éteint quand ils veulent crier ;

Tous ne se baignent pas dans la pure piscine

Et n'ont pas même part à la table divine :

Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas,

Si je n'ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas.


Aussi je me choisis un antre pour retraite

Dans une région détournée et secrète

D'où l'on n'entende pas le rire des heureux

Ni le chant printanier des oiseaux amoureux,

L'antre d'un loup crevé de faim ou de vieillesse,

Car tout son m'importune et tout rayon me blesse,

Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît,

Et je hais l'homme autant et plus que ne le hait

Le buffle à qui l'on vient de percer la narine.

De tous les sentiments croulés dans la ruine,

Du temple de mon âme, il ne reste debout

Que deux piliers d'airain, la haine et le dégoût.

Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ;

Ma tête de cheveux n'est pas découronnée ;

À peine vingt épis sont tombés du faisceau :

Je puis derrière moi voir encore mon berceau.

Mais les soucis amers de leurs griffes arides

M'ont fouillé dans le front d'assez profondes rides

Pour en faire une fosse à chaque illusion.

Ainsi me voilà donc sans foi ni passion,

Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre,

Et dès le premier mot sachant la fin du livre.

Car c'est ainsi que sont les jeunes d'aujourd'hui :

Leurs mères les ont faits dans un moment d'ennui.

Et qui les voit auprès des blancs sexagénaires

Plutôt que les enfants les estime les pères ;

Ils sont venus au monde avec des cheveux gris ;

Comme ces arbrisseaux frêles et rabougris

Qui, dès le mois de mai, sont pleins de feuilles mortes,

Ils s'effeuillent au vent, et vont devant leurs portes

Se chauffer au soleil à côté de l'aïeul,

Et du jeune et du vieux, à coup sûr, le plus seul,

Le moins accompagné sur la route du monde,

Hélas ! C'est le jeune homme à tête brune ou blonde

Et non pas le vieillard sur qui l'âge a neigé ;

Celui dont le navire est le plus allégé

D'espérance et d'amour, lest divin dont on jette

Quelque chose à la mer chaque jour de tempête,

Ce n'est pas le vieillard, dont le triste vaisseau

Va bientôt échouer à l'écueil du tombeau.

L'univers décrépit devient paralytique,

La nature se meurt, et le spectre critique

Cherche en vain sous le ciel quelque chose à nier.

Qu'attends-tu donc, clairon du jugement dernier ?

Dis-moi, qu'attends-tu donc, archange à bouche ronde

Qui dois sonner là-haut la fanfare du monde ?

Toi, sablier du temps, que Dieu tient dans sa main,

Quand donc laisseras-tu tomber ton dernier grain ?
Ce texte est une traduction de Pierre Corneille d'une œuvre
anonyme de piété chrétienne de la fin du XIVe ou début du XVe s.

(Que la vérité parle au dedans du coeur sans aucun bruit de paroles.)

Parle, parle, Seigneur, ton serviteur écoute :
Je dis ton serviteur, car enfin je le suis ;
Je le suis, je veux l'être, et marcher dans ta route
Et les jours et les nuits.

Remplis-moi d'un esprit qui me fasse comprendre
Ce qu'ordonnent de moi tes saintes volontés,
Et réduis mes désirs au seul désir d'entendre
Tes hautes vérités.

Mais désarme d'éclairs ta divine éloquence ;
Fais-la couler sans bruit au milieu de mon coeur
Qu'elle ait de la rosée et la vive abondance
Et l'aimable douceur.

Vous la craigniez, Hébreux, vous croyiez que la foudre,
Que la mort la suivît et dût tout désoler,
Vous qui dans le désert ne pouviez vous résoudre
A l'entendre parler.

" Parle-nous, parle-nous, disiez-vous à Moïse,
Mais obtiens du Seigneur qu'il ne nous parle pas ;
Des éclats de sa voix la tonnante surprise
Serait notre trépas. "

Je n'ai point ces frayeurs alors que je te prie ;
Je te fais d'autres voeux que ces fils d'Israël,  
Et plein de confiance, humblement je m'écrie
Avec ton Samuel :

" Quoi que tu sois le seul qu'ici-bas je redoute,
C'est toi seul qu'ici-bas je souhaite d'ouïr :
Parle donc, ô mon Dieu ! ton serviteur écoute,
Et te veut obéir. "

Je ne veux ni Moïse à m'enseigner tes voies,
Ni quelque autre prophète à m'expliquer tes lois ;
C'est toi qui les instruis, c'est toi qui les envois,
Dont je cherche la voix.

Comme c'est de toi seul qu'ils ont tous ces lumières
Dont la grâce par eux éclaire notre foi,
Tu peux bien sans eux tous me les donner entières,
Mais eux tous rien sans toi.

Ils peuvent répéter le son de tes paroles,
Mais il n'est pas en eux d'en conférer l'esprit,
Et leurs discours sans toi passent pour si frivoles
Que souvent on en rit.

Qu'ils parlent hautement, qu'ils disent des merveilles,
Qu'ils déclarent ton ordre avec pleine vigueur :
Si tu ne parles point, ils frappent les oreilles
Sans émouvoir le coeur.

Ils sèment la parole obscure, simple et nue ;
Mais dans l'obscurité tu rends l'oeil clairvoyant,
Et joins du haut du ciel à la lettre qui tue
L'esprit vivifiant.

Leur bouche sous l'énigme annonce le mystère,
Mais tu nous en fais voir le sens le plus caché ;
Ils nous prêchent tes lois, mais ton secours fait faire
Tout ce qu'ils ont prêché,

Ils montrent le chemin, mais tu donnes la force
D'y porter tous nos pas, d'y marcher jusqu'au bout ;
Et tout ce qui vient d'eux ne passe point l'écorce,
Mais tu pénètres tout.

Ils n'arrosent sans toi que les dehors de l'âme,
Mais sa fécondité veut ton bras souverain ;
Et tout ce qui l'éclaire, et tout ce qui l'enflamme
Ne part que de ta main.

Ces prophètes en fin ont beau crier et dire,
Ce ne sont que des voix, ce ne sont que des cris,
Si pour en profiter l'esprit qui les inspire
Ne touche nos esprits.

Silence donc, Moïse ! et toi, parle en sa place,
Eternelle, immuable, immense vérité :
Parle, que je ne meure enfoncé dans la glace
De ma stérilité.

C'est mourir en effet, qu'à ta faveur céleste
Ne rendre point pour fruit des désirs plus ardents ;
Et l'avis du dehors n'a rien que de funeste
S'il n'échauffe au dedans.

Cet avis écouté seulement par caprice,
Connu sans être aimé, cru sans être observé,
C'est ce qui vraiment tue, et sur quoi ta justice
Condamne un réprouvé.

Parle donc, ô mon Dieu ! ton serviteur fidèle
Pour écouter ta voix réunit tous ses sens,
Et trouve les douceurs de la vie éternelle
En ses divins accents.

Parle pour consoler mon âme inquiétée ;
Parle pour la conduire à quelque amendement ;
Parle, afin que ta gloire ainsi plus exaltée
Croisse éternellement.
Ma guiterre, je te chante,
Par qui seule je deçoy,
Je deçoy, je romps, j'enchante
Les amours que je reçoy.

Nulle chose, tant soit douce,
Ne te sçauroit esgaler,
Toi qui mes ennuis repousse
Si tost qu'ils t'oyent parler.

Au son de ton harmonie
Je refreschy ma chaleur ;
Ardante en flamme infinie,
Naissant d'infini malheur.

Plus chèrement je te garde
Que je ne garde mes yeux,
Et ton fust que je regarde
Peint dessus en mille lieux,

Où le nom de ma déesse
En maint amoureux lien,
En mains laz d'amour se laisse,
Joindre en chiffre avec le mien ;

Où le beau Phebus, qui baigne
Dans le Loir son poil doré,
Du luth aux Muses enseigne
Dont elles m'ont honoré,

Son laurier preste l'oreille,
Si qu'au premier vent qui vient,
De reciter s'apareille
Ce que par cœur il retient.

Icy les forests compagnes
Orphée attire, et les vents,
Et les voisines campagnes,
Ombrage de bois suivants.

Là est Ide la branchue,
Où l'oiseau de Jupiter
Dedans sa griffe crochue
Vient Ganymede empieter,

Ganymede délectable,
Chasserot délicieux,
Qui ores sert à la table
D'un bel échanson aux Dieux.

Ses chiens après l'aigle aboient,
Et ses gouverneurs aussi,
En vain étonnez, le voient
Par l'air emporter ainsi.

Tu es des dames pensives
L'instrument approprié,
Et des jeunesses lascives
Pour les amours dédié.

Les amours, c'est ton office,
Non pas les assaus cruels,
Mais le joyeux exercice
De souspirs continuels.

Encore qu'au temps d'Horace
Les armes de tous costez
Sonnassent par la menace
Des Cantabres indomtez,

Et que le Romain empire
Foullé des Parthes fust tant,
Si n'a-il point à sa lyre
Bellonne accordé pourtant,

Mais bien Venus la riante,
Ou son fils plein de rigueur,
Ou bien Lalagé fuyante
Davant avecques son cœur.

Quand sur toy je chanteroye
D'Hector les combas divers,
Et ce qui fut fait à Troye
Par les Grecs en dix hyvers,

Cela ne peut satisfaire
A l'amour qui tant me mord :
Que peut Hector pour moy faire ?
Que peut Ajax, qui est mort ?

Mieux vaut donc de ma maistresse
Chanter les beautez, afin
Qu'à la douleur qui me presse
Daigne mettre heureuse fin ;

Ces yeux autour desquels semble
Qu'amour vole, ou que dedans
II se cache, ou qu'il assemble
Cent traits pour les regardants.

Chantons donc sa chevelure,
De laquelle Amour vainqueur
Noua mille rets à l'heure
Qu'il m'encordela le cœur,

Et son sein, rose naïve,
Qui va et vient tout ainsi
Que font deux flots à leur rive
Poussez d'un vent adoucy.
Par un destin dedans mon cœur demeure
L'œil, et la main, et le poil délié,
Qui m'ont si fort brûlé, serré, lié,
Qu'ars, pris, lassé, par eux faut que je meure.

Le feu, la serre et le rets (1), à toute heure
Ardent, pressant, nouant mon amitié,
Occise aux pieds de ma fière moitié,
Font par sa mort ma vie être meilleure.

Œil, main et poil, qui brûlez et gênez,
Et enlacez mon cœur que vous tenez
Au labyrinthe de votre crêpe voie,

Hé ! que ne suis-je Ovide bien disant ?
Œil, tu serais un bel astre luisant ;
Main , un beau lis ; poil, un beau rets de soie.


1. Rets : Filet.
J'entrai dernièrement dans une vieille église ;

La nef était déserte, et sur la dalle grise,

Les feux du soir, passant par les vitraux dorés,

Voltigeaient et dansaient, ardemment colorés.

Comme je m'en allais, visitant les chapelles,

Avec tous leurs festons et toutes leurs dentelles,

Dans un coin du jubé j'aperçus un tableau

Représentant un Christ qui me parut très-beau.

On y voyait saint Jean, Madeleine et la Vierge ;

Leurs chairs, d'un ton pareil à la cire de cierge,

Les faisaient ressembler, sur le fond sombre et noir,

A ces fantômes blancs qui se dressent le soir,

Et vont croisant les bras sous leurs draps mortuaires ;

Leurs robes à plis droits, ainsi que des suaires,

S'allongeaient tout d'un jet de leur nuque à leurs pieds ;

Ainsi faits, l'on eût dit qu'ils fussent copiés

Dans le campo-Santo sur quelque fresque antique,

D'un vieux maître Pisan, artiste catholique,

Tant l'on voyait reluire autour de leur beauté,

Le nimbe rayonnant de la mysticité,

Et tant l'on respirait dans leur humble attitude,

Les parfums onctueux de la béatitude.


Sans doute que c'était l'œuvre d'un Allemand,

D'un élève d'Holbein, mort bien obscurément,

A vingt ans, de misère et de mélancolie,

Dans quelque bourg de Flandre, au retour d'Italie ;

Car ses têtes semblaient, avec leur blanche chair,

Un rêve de soleil par une nuit d'hiver.


Je restai bien longtemps dans la même posture,

Pensif, à contempler cette pâle peinture ;

Je regardais le Christ sur son infâme bois,

Pour embrasser le monde, ouvrant les bras en croix ;

Ses pieds meurtris et bleus et ses deux mains clouées,

Ses chairs, par les bourreaux, à coups de fouets trouées,

La blessure livide et béante à son flanc ;

Son front d'ivoire où perle une sueur de sang ;

Son corps blafard, rayé par des lignes vermeilles,

Me faisaient naître au cœur des pitiés nonpareilles,

Et mes yeux débordaient en des ruisseaux de pleurs,

Comme dut en verser la Mère de Douleurs.

Dans l'outremer du ciel les chérubins fidèles,

Se lamentaient en chœur, la face sous leurs ailes,

Et l'un d'eux recueillait, un ciboire à la main,

Le pur-sang de la plaie où boit le genre humain ;

La sainte vierge, au bas, regardait : pauvre mère

Son divin fils en proie à l'agonie amère ;

Madeleine et saint Jean, sous les bras de la croix

Mornes, échevelés, sans soupirs et sans voix,

Plus dégoutants de pleurs qu'après la pluie un arbre,

Étaient debout, pareils à des piliers de marbre.


C'était, certes, un spectacle à faire réfléchir,

Et je sentis mon cou, comme un roseau, fléchir

Sous le vent que faisait l'aile de ma pensée,

Avec le chant du soir, vers le ciel élancée.

Je croisai gravement mes deux bras sur mon sein,

Et je pris mon menton dans le creux de ma main,

Et je me dis : « O Christ ! Tes douleurs sont trop vives ;

Après ton agonie au jardin des Olives,

Il fallait remonter près de ton père, au ciel,

Et nous laisser à nous l'éponge avec le fiel ;

Les clous percent ta chair, et les fleurons d'épines

Entrent profondément dans tes tempes divines.

Tu vas mourir, toi, Dieu, comme un homme. La mort

Recule épouvantée à ce sublime effort ;

Elle a peur de sa proie, elle hésite à la prendre,

Sachant qu'après trois jours il la lui faudra rendre,

Et qu'un ange viendra, qui, radieux et beau,

Lèvera de ses mains la pierre du tombeau ;

Mais tu n'en as pas moins souffert ton agonie,

Adorable victime entre toutes bénie ;

Mais tu n'en a pas moins avec les deux voleurs,

Étendu tes deux bras sur l'arbre de douleurs.


Ô rigoureux destin ! Une pareille vie,

D'une pareille mort si promptement suivie !

Pour tant de maux soufferts, tant d'absinthe et de fiel,

Où donc est le bonheur, le vin doux et le miel ?

La parole d'amour pour compenser l'injure,

Et la bouche qui donne un baiser par blessure ?

Dieu lui-même a besoin quand il est blasphémé,

Pour nous bénir encore de se sentir aimé,

Et tu n'as pas, Jésus, traversé cette terre,

N'ayant jamais pressé sur ton cœur solitaire

Un cœur sincère et pur, et fait ce long chemin

Sans avoir une épaule où reposer ta main,

Sans une âme choisie où répandre avec flamme

Tous les trésors d'amour enfermés dans ton âme.


Ne vous alarmez pas, esprits religieux,

Car l'inspiration descend toujours des cieux,

Et mon ange gardien, quand vint cette pensée,

De son bouclier d'or ne l'a pas repoussée.

C'est l'heure de l'extase où Dieu se laisse voir,

L'Angélus éploré tinte aux cloches du soir ;

Comme aux bras de l'amant, une vierge pâmée,

L'encensoir d'or exhale une haleine embaumée ;

La voix du jour s'éteint, les reflets des vitraux,

Comme des feux follets, passent sur les tombeaux,

Et l'on entend courir, sous les ogives frêles,

Un bruit confus de voix et de battements d'ailes ;

La foi descend des cieux avec l'obscurité ;

L'orgue vibre ; l'écho répond : Eternité !

Et la blanche statue, en sa couche de pierre,

Rapproche ses deux mains et se met en prière.

Comme un captif, brisant les portes du cachot,

L'âme du corps s'échappe et s'élance si haut,

Qu'elle heurte, en son vol, au détour d'un nuage,

L'étoile échevelée et l'archange en voyage ;

Tandis que la raison, avec son pied boiteux,

La regarde d'en-bas se perdre dans les cieux.

C'est à cette heure-là que les divins poètes,

Sentent grandir leur front et deviennent prophètes.


Ô mystère d'amour ! Ô mystère profond !

Abîme inexplicable où l'esprit se confond ;

Qui de nous osera, philosophe ou poète,

Dans cette sombre nuit plonger avant la tête ?

Quelle langue assez haute et quel cœur assez pur,

Pour chanter dignement tout ce poème obscur ?

Qui donc écartera l'aile blanche et dorée,

Dont un ange abritait cette amour ignorée ?

Qui nous dira le nom de cette autre Éloa ?

Et quelle âme, ô Jésus, à t'aimer se voua ?


Murs de Jérusalem, vénérables décombres,

Vous qui les avez vus et couverts de vos ombres,

Ô palmiers du Carmel ! Ô cèdres du Liban !

Apprenez-nous qui donc il aimait mieux que Jean ?

Si vos troncs vermoulus et si vos tours minées,

Dans leur écho fidèle, ont, depuis tant d'années,

Parmi les souvenirs des choses d'autrefois,

Conservé leur mémoire et le son de leur voix ;

Parlez et dites-nous, ô forêts ! ô ruines !

Tout ce que vous savez de ces amours divines !

Dites quels purs éclairs dans leurs yeux reluisaient,

Et quels soupirs ardents de leurs cœurs s'élançaient !

Et toi, Jourdain, réponds, sous les berceaux de palmes,

Quand la lune trempait ses pieds dans tes eaux calmes,

Et que le ciel semait sa face de plus d'yeux,

Que n'en traîne après lui le paon tout radieux ;

Ne les as-tu pas vus sur les fleurs et les mousses,

Glisser en se parlant avec des voix plus douces

Que les roucoulements des colombes de mai,

Que le premier aveu de celle que j'aimai ;

Et dans un pur baiser, symbole du mystère,

Unir la terre au ciel et le ciel à la terre.


Les échos sont muets, et le flot du Jourdain

Murmure sans répondre et passe avec dédain ;

Les morts de Josaphat, troublés dans leur silence,

Se tournent sur leur couche, et le vent frais balance

Au milieu des parfums dans les bras du palmier,

Le chant du rossignol et le nid du ramier.


Frère, mais voyez donc comme la Madeleine

Laisse sur son col blanc couler à flots d'ébène

Ses longs cheveux en pleurs, et comme ses beaux yeux,

Mélancoliquement, se tournent vers les cieux !

Qu'elle est belle ! Jamais, depuis Ève la blonde,

Une telle beauté n'apparut sur le monde ;

Son front est si charmant, son regard est si doux,

Que l'ange qui la garde, amoureux et jaloux,

Quand le désir craintif rôde et s'approche d'elle,

Fait luire son épée et le chasse à coups d'aile.


Ô pâle fleur d'amour éclose au paradis !

Qui répands tes parfums dans nos déserts maudits,

Comment donc as-tu fait, ô fleur ! Pour qu'il te reste

Une couleur si fraîche, une odeur si céleste ?

Comment donc as-tu fait, pauvre sœur du ramier,

Pour te conserver pure au cœur de ce bourbier ?

Quel miracle du ciel, sainte prostituée,

Que ton cœur, cette mer, si souvent remuée,

Des coquilles du bord et du limon impur,

N'ait pas, dans l'ouragan, souillé ses flots d'azur,

Et qu'on ait toujours vu sous leur manteau limpide,

La perle blanche au fond de ton âme candide !

C'est que tout cœur aimant est réhabilité,

Qu'il vous vient une autre âme et que la pureté

Qui remontait au ciel redescend et l'embrasse,

comme à sa sœur coupable une sœur qui fait grâce ;

C'est qu'aimer c'est pleurer, c'est croire, c'est prier ;

C'est que l'amour est saint et peut tout expier.


Mon grand peintre ignoré, sans en savoir les causes,

Dans ton sublime instinct tu comprenais ces choses,

Tu fis de ses yeux noirs ruisseler plus de pleurs ;

Tu gonflas son beau sein de plus hautes douleurs ;

La voyant si coupable et prenant pitié d'elle,

Pour qu'on lui pardonnât, tu l'as faite plus belle,

Et ton pinceau pieux, sur le divin contour,

A promené longtemps ses baisers pleins d'amour ;

Elle est plus belle encore que la vierge Marie,

Et le prêtre, à genoux, qui soupire et qui prie,

Dans sa pieuse extase, hésite entre les deux,

Et ne sait pas laquelle est la reine des cieux.


Ô sainte pécheresse ! Ô grande repentante !

Madeleine, c'est toi que j'eusse pour amante

Dans mes rêves choisie, et toute la beauté,

Tout le rayonnement de la virginité,

Montrant sur son front blanc la blancheur de son âme,

Ne sauraient m'émouvoir, ô femme vraiment femme,

Comme font tes soupirs et les pleurs de tes yeux,

Ineffable rosée à faire envie aux cieux !

Jamais lis de Saron, divine courtisane,

Mirant aux eaux des lacs sa robe diaphane,

N'eut un plus pur éclat ni de plus doux parfums ;

Ton beau front inondé de tes longs cheveux bruns,

Laisse voir, au travers de ta peau transparente,

Le rêve de ton âme et ta pensée errante,

Comme un globe d'albâtre éclairé par dedans !

Ton œil est un foyer dont les rayons ardents

Sous la cendre des cœurs ressuscitent les flammes ;

O la plus amoureuse entre toutes les femmes !

Les séraphins du ciel à peine ont dans le cœur,

Plus d'extase divine et de sainte langueur ;

Et tu pourrais couvrir de ton amour profonde,

Comme d'un manteau d'or la nudité du monde !

Toi seule sais aimer, comme il faut qu'il le soit,

Celui qui t'a marquée au front avec le doigt,

Celui dont tu baignais les pieds de myrrhe pure,

Et qui pour s'essuyer avait ta chevelure ;

Celui qui t'apparut au jardin, pâle encore

D'avoir dormi sa nuit dans le lit de la mort ;

Et, pour te consoler, voulut que la première

Tu le visses rempli de gloire et de lumière.


En faisant ce tableau, Raphaël inconnu,

N'est-ce pas ? Ce penser comme à moi t'est venu,

Et que ta rêverie a sondé ce mystère,

Que je voudrais pouvoir à la fois dire et taire ?

Ô poètes ! Allez prier à cet autel,

A l'heure où le jour baisse, à l'instant solennel,

Quand d'un brouillard d'encens la nef est toute pleine.

Regardez le Jésus et puis la Madeleine ;

Plongez-vous dans votre âme et rêvez au doux bruit

Que font en s'éployant les ailes de la nuit ;

Peut-être un chérubin détaché de la toile,

A vos yeux, un moment, soulèvera le voile,

Et dans un long soupir l'orgue murmurera

L'ineffable secret que ma bouche taira.
La Jongleuse Apr 2013
avant, à ta poursuite
aux pays du désert
où le soleil brûlait et
dévorait tout en vue

je me contentais de
suivre ce fameux chemin
des miettes et méandres,
des traces de ton sang

pendant des années,
j'ai traversé ce terrain aride,
la course sèche la journée
des balades noyées la nuit,

je buvais que de ta tristesse,
j'avalais ta faiblesse entière,
mon propre corps infecté
par tes batailles malades

affamée, assoiffée, puis morte
pendue par mes pas sans fin,
ma persistance m'a gagné
un aller sous la terre

une fois revenue au Paradis,
tes plumes m’appariassent,
légères et sales, chez les autres,
un départ irréel de ton Enfer

ton Phantom silencieux,
tes ombres brumeuses,
flashent à travers leurs yeux
alors que j'ai arraché les miens

aveugle, la danse royal éternelle,
les fleurs vivantes me caressaient
une partouze de l’Ambroisie et ses amis
j'ai absorbé le Bonheur comme une éponge  

les lunes ont pleurés et décédées,
& tu te présentés à ma face,
portant ce vase ancien & abordant,
comme un cadeau bien attendu

pourtant, je vois mon reflet dedans
& comme c'est étrange
que tu ne pèses plus rien

english translation
not quite as good
the mirage,

before, when in pursuit of you
I found myself in a land of deserts,
where the sun burnt &
devoured everything in sight

I contented myself to
follow this notorious path
of crumbs & curves,
of the blood you left behind

for years upon years,
I crossed this arid expanse
running dry in day
drowned ramble at night

I drank only of your sadness
I swallowed your weakness whole
my own body became infected
by your diseased battles

ravenous, athirst & finally dead,
hanged by my endless trek
my persistence brought me
a trip beneath the earth

once safely returned to Paradise
through others, your feathers,
appeared to me filthy & light,
an impossible withdrawal from your Hell

your mute Phantom,
your foggy shadows
danced in their eyes,
so I tore out my own

blinded, an endless royal dance
living flowers touched my flesh
an **** of Ambrosia & her friends
Joy permeated my skin like a sponge

many moons wept & died
& you arrive in front of me,
carrying this forgotten, overflowing vase
as if it were a long lost gift

yet, I see my own reflection inside
& how odd it is
that you no longer weigh a thing
La nuit, quand par hasard je m'éveille, et je pense
Que dehors et dedans tout est calme et silence,
Et qu'oubliant Laurence, auprès de moi dormant,
Mon cœur mal éveillé se croit seul un moment ;
Si j'entends tout à coup son souffle qui s'exhale,
Régulier, de son sein sortir à brise égale,
Ce souffle harmonieux d'un enfant endormi !
Sur un coude appuyé je me lève à demi,
Comme au chevet d'un fils, une mère qui veille ;
Cette haleine de paix rassure mon oreille ;
Je bénis Dieu tout bas de m'avoir accordé
Cet ange que je garde et dont je suis gardé ;
Je sens, aux voluptés dont ces heures sont pleines,
Que mon âme respire et vit dans deux haleines ;
Quelle musique aurait pour moi de tels accords ?
Je l'écoute longtemps dormir, et me rendors !

De la Grotte, 16 décembre 1793.
Parce que, jargonnant vêpres, jeûne et vigile,
Exploitant Dieu qui rêve au fond du firmament,
Vous avez, au milieu du divin évangile,
Ouvert boutique effrontément ;

Parce que vous feriez prendre à Jésus la verge,
Cyniques brocanteurs sortis on ne sait d'où ;
Parce que vous allez vendant la sainte vierge
Dix sous avec miracle, et sans miracle un sou ;

Parce que vous contez d'effroyables sornettes
Qui font des temples saints trembler les vieux piliers ;
Parce que votre style éblouit les lunettes
Des duègnes et des marguilliers ;

Parce que la soutane est sous vos redingotes,
Parce que vous sentez la crasse et non l'œillet,
Parce que vous bâclez un journal de bigotes
Pensé par Escobar, écrit par Patouillet ;

Parce qu'en balayant leurs portes, les concierges
Poussent dans le ruisseau ce pamphlet méprisé ;
Parce que vous mêlez à la cire des cierges
Votre affreux suif vert-de-grisé ;

Parce qu'à vous tout seuls vous faites une espèce
Parce qu'enfin, blanchis dehors et noirs dedans,
Criant mea culpa, battant la grosse caisse,
La boue au cœur, la larme à l'œil, le fifre aux dents,

Pour attirer les sots qui donnent tête-bêche
Dans tous les vils panneaux du mensonge immortel,
Vous avez adossé le tréteau de Bobèche
Aux saintes pierres de l'autel,

Vous vous croyez le droit, trempant dans l'eau bénite
Cette griffe qui sort de votre abject pourpoint,
De dire : Je suis saint, ange, vierge et jésuite,
J'insulte les passants et je ne me bats point !

Ô pieds plats ! votre plume au fond de vos masures
Griffonne, va, vient, court, boit l'encre, rend du fiel,
Bave, égratigne et crache, et ses éclaboussures
Font des taches jusques au ciel !

Votre immonde journal est une charretée
De masques déguisés en prédicants camus,
Qui passent en prêchant la cohue ameutée
Et qui parlent argot entre deux oremus.

Vous insultez l'esprit, l'écrivain dans ses veilles,
Et le penseur rêvant sur les libres sommets ;
Et quand on va chez vous pour chercher vos oreilles,
Vos oreilles n'y sont jamais.

Après avoir lancé l'affront et le mensonge,
Vous fuyez, vous courez, vous échappez aux yeux.
Chacun a ses instincts, et s'enfonce et se plonge,
Le hibou dans les trous et l'aigle dans les cieux !

Vous, où vous cachez-vous ? dans quel hideux repaire ?
Ô Dieu ! l'ombre où l'on sent tous les crimes passer
S'y fait autour de vous plus noire, et la vipère
S'y glisse et vient vous y baiser.

Là vous pouvez, dragons qui rampez sous les presses,
Vous vautrer dans la fange où vous jettent vos goûts.
Le sort qui dans vos cœurs mit toutes les bassesses
Doit faire en vos taudis passer tous les égouts.

Bateleurs de l'autel, voilà quels sont vos rôles.
Et quand un galant homme à de tels compagnons
Fait cet immense honneur de leur dire : Mes drôles,
Je suis votre homme ; dégaînons !

- Un duel ! nous ! des chrétiens ! jamais ! - Et ces crapules
Font des signes de croix et jurent par les saints.
Lâches gueux, leur terreur se déguise en scrupules,
Et ces empoisonneurs ont peur d'être assassins.

Bien, écoutez : la trique est là, fraîche coupée.
On vous fera cogner le pavé du menton ;
Car sachez-le, coquins, on n'esquive l'épée
Que pour rencontrer le bâton.

Vous conquîtes la Seine et le Rhin et le Tage.
L'esprit humain rogné subit votre compas.
Sur les publicains juifs vous avez l'avantage,
Maudits ! Judas est mort, Tartuffe ne meurt pas.

Iago n'est qu'un fat près de votre Basile.
La bible en vos greniers pourrit mangée aux vers.
Le jour où le mensonge aurait besoin d'asile,
Vos cœurs sont là, tout grands ouverts.

Vous insultez le juste abreuvé d'amertumes.
Tous les vices, quittant veste, cape et manteau,
Vont se masquer chez vous et trouvent des costumes.
On entre Lacenaire, on sort Contrafatto.

Les âmes sont pour vous des bourses et des banques.
Quiconque vous accueille a d'affreux repentirs.
Vous vous faites chasser, et par vos saltimbanques
Vous parodiez les martyrs.

L'église du bon Dieu n'est que votre buvette.
Vous offrez l'alliance à tous les inhumains.
On trouvera du sang au fond de la cuvette
Si jamais, par hasard, vous vous lavez les mains.

Vous seriez des bourreaux si vous n'étiez des cuistres.
Pour vous le glaive est saint et le supplice est beau.
Ô monstres ! vous chantez dans vos hymnes sinistres
Le bûcher, votre seul flambeau !

Depuis dix-huit cents ans Jésus, le doux pontife,
Veut sortir du tombeau qui lentement se rompt,
Mais vous faites effort, ô valets de Caïphe,
Pour faire retomber la pierre sur son front !

Ô cafards ! votre échine appelle l'étrivière.
Le sort juste et railleur fait chasser Loyola
De France par le fouet d'un pape, et de Bavière
Par la cravache de Lola.

Allez, continuez, tournez la manivelle
De votre impur journal, vils grimauds dépravés ;
Avec vos ongles noirs grattez votre cervelle
Calomniez, hurlez, mordez, mentez, vivez !

Dieu prédestine aux dents des chevreaux les brins d'herbes
La mer aux coups de vent, les donjons aux boulets,
Aux rayons du soleil les parthénons superbes,
Vos faces aux larges soufflets.

Sus donc ! cherchez les trous, les recoins, les cavernes !
Cachez-vous, plats vendeurs d'un fade orviétan,
Pitres dévots, marchands d'infâmes balivernes,
Vierges comme l'eunuque, anges comme Satan !

Ô saints du ciel ! est-il, sous l'œil de Dieu qui règne,
Charlatans plus hideux et d'un plus lâche esprit,
Que ceux qui, sans frémir, accrochent leur enseigne
Aux clous saignants de Jésus-Christ !

Septembre 1850.
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or traînant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle,
Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela !
" Or tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la
Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres :
Le Chanoine au soleil filait des patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor
Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache
Nous fouaillaient. - Hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient plus ; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair.., nous avions un pourboire :
On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit ;
Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit. ...
" Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises.
Or n'est-ce pas joyeux de voir au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Énormes ? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse ?
De voir des blés, des blés, des épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?...
Oh ! plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on était certain de pouvoir prendre un peu,
Étant homme, à la fin ! de ce que donne Dieu !
- Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire !

" Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,
Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau,
Et me dise : Mon gars, ensemence ma terre ;
Que l'on arrive encor quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !
- Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux !... - Tu vois bien, c'est stupide.
Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons :
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirons : C'est bien : les pauvres à genoux !
Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous !
Et tu te soûleras, tu feras belle fête.
- Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête !

" Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière.
Cette bête suait du sang à chaque pierre
Et c'était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !

- Citoyen ! citoyen ! c'était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour.
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là...
Nous marchions au soleil, front haut, - comme cela, -
Dans Paris ! On venait devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles,
Sire, nous étions soûls de terribles espoirs :
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n'eûmes pas de haine,
- Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !

" Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Le tas des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris, noir marteau sur l'épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !
- Puis, tu peux y compter tu te feras des frais
Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins ! se disent : " Qu'ils sont sots ! "
Pour mitonner des lois, coller de petits pots
Pleins de jolis décrets roses et de droguailles,
S'amuser à couper proprement quelques tailles.
Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux,
- Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux ! -
Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes...,
C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes !
Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats
Et de ces ventres-dieux. Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,
Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses !... "
Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignant de bonnets rouges :
L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au roi pâle et suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !
" C'est la Crapule,
Sire. Ça bave aux murs, ça monte, ça pullule :
- Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle croit trouver du pain aux Tuileries !
- On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. - Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille :
C'est la crapule. - Un homme était à la Bastille,
Un autre était forçat : et tous deux, citoyens
Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur l'ait mal, allez ! C'est terrible, et c'est cause
Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez !
Crapule. - Là-dedans sont des filles, infâmes ,
Parce que, - vous saviez que c'est faible, les femmes, -
Messeigneurs de la cour, - que ça veut toujours bien, -
Vous avez craché sur l'âme, comme rien !
Vos belles, aujourd'hui, sont là. C'est la crapule.

" Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-là sentent crever leur front...
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir,
Où l'Homme forgera du matin jusqu'au soir
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,
Où, lentement vainqueur il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,
Plus ! - Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible :
Nous saurons ! - Nos marteaux en main, passons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour :
Et l'on travaillerait fièrement tout le jour
Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l'on se sentirait très heureux ; et personne,
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !
On aurait un fusil au-dessus du foyer...

" Oh ! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille !
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs
Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à l'heure
Je parlais de devoir calme, d'une demeure...
Regarde donc le ciel ! - C'est trop petit pour nous,
Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !
Regarde donc le ciel ! - Je rentre dans la foule,
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :
- Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés
- Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France
Poussent leurs régiments en habits de gala,
Eh bien, n'est-ce pas, vous tous ? - Merde à ces chiens-là ! "

- Il reprit son marteau sur l'épaule.
La foule
Près de cet homme-là se sentait l'âme soûle,
Et, dans la grande cour dans les appartements,
Où Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Bien que le roi ventru suât, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !
À Stéphane Mallarmé


Il parle italien avec un accent russe.

Il dit : « Chère, il serait précieux que je fusse

Riche, et seul, tout demain et tout après-demain.

Mais riche à paver d'or monnayé le chemin

De l'Enfer, et si seul qu'il vous va falloir prendre

Sur vous de m'oublier jusqu'à ne plus entendre

Parler de moi sans vous dire de bonne foi :

Qu'est-ce que ce monsieur Félice ? Il vend de quoi ? »


Cela s'adresse à la plus blanche des comtesses.


Hélas ! toute grandeurs, toutes délicatesses,

Cœur d'or, comme l'on dit, âme de diamant,

Riche, belle, un mari magnifique et charmant

Qui lui réalisait toute chose rêvée,

Adorée, adorable, une Heureuse, la Fée,

La Reine, aussi la Sainte, elle était tout cela,

Elle avait tout cela.

Cet homme vint, vola

Son cœur, son âme, en fit sa maîtresse et sa chose

Et ce que la voilà dans ce doux peignoir rose

Avec ses cheveux d'or épars comme du feu,

Assise, et ses grands yeux d'azur tristes un peu.


Ce fut une banale et terrible aventure

Elle quitta de nuit l'hôtel. Une voiture

Attendait. Lui dedans. Ils restèrent six mois

Sans que personne sût où ni comment. Parfois

On les disait partis à toujours. Le scandale

Fut affreux. Cette allure était par trop brutale

Aussi pour que le monde ainsi mis au défi

N'eût pas frémi d'une ire énorme et poursuivi

De ses langues les plus agiles l'insensée.

Elle, que lui faisait ? Toute à cette pensée,

Lui, rien que lui, longtemps avant qu'elle s'enfuît,

Ayant réalisé son avoir (sept ou huit

Millions en billets de mille qu'on liasse

Ne pèsent pas beaucoup et tiennent peu de place.)

Elle avait tassé tout dans un coffret mignon

Et le jour du départ, lorsque son compagnon

Dont du rhum bu de trop rendait la voix plus tendre

L'interrogea sur ce colis qu'il voyait pendre

À son bras qui se lasse, elle répondit : « Ça

C'est notre bourse. »

Ô tout ce qui se dépensa !

Il n'avait rien que sa beauté problématique

(D'autant pire) et que cet esprit dont il se pique

Et dont nous parlerons, comme de sa beauté,

Quand il faudra... Mais quel bourreau d'argent ! Prêté,

Gagné, volé ! Car il volait à sa manière,

Excessive, partant respectable en dernière

Analyse, et d'ailleurs respectée, et c'était

Prodigieux la vie énorme qu'il menait

Quand au bout de six mois ils revinrent.


Le coffre

Aux millions (dont plus que quatre) est là qui s'offre

À sa main. Et pourtant cette fois - une fois

N'est pas coutume - il a gargarisé sa voix

Et remplacé son geste ordinaire de prendre

Sans demander, par ce que nous venons d'entendre.

Elle s'étonne avec douceur et dit : « Prends tout

Si tu veux. »

Il prend tout et sort.


Un mauvais goût

Qui n'avait de pareil que sa désinvolture

Semblait pétrir le fond même de sa nature,

Et dans ses moindres mots, dans ses moindres clins d'yeux,

Faisait luire et vibrer comme un charme odieux.

Ses cheveux noirs étaient trop bouclés pour un homme,

Ses yeux très grands, tout verts, luisaient comme à Sodome.

Dans sa voix claire et lente un serpent s'avançait,

Et sa tenue était de celles que l'on sait :

Du vernis, du velours, trop de linge, et des bagues.

D'antécédents, il en avait de vraiment vagues

Ou pour mieux dire, pas. Il parut un beau soir,

L'autre hiver, à Paris, sans qu'aucun pût savoir

D'où venait ce petit monsieur, fort bien du reste

Dans son genre et dans son outrecuidance leste.

Il fit rage, eut des duels célèbres et causa

Des morts de femmes par amour dont on causa.

Comment il vint à bout de la chère comtesse,

Par quel philtre ce gnome insuffisant qui laisse

Une odeur de cheval et de femme après lui

A-t-il fait d'elle cette fille d'aujourd'hui ?

Ah, ça, c'est le secret perpétuel que berce

Le sang des dames dans son plus joli commerce,

À moins que ce ne soit celui du Diable aussi.

Toujours est-il que quand le tour eut réussi

Ce fut du propre !


Absent souvent trois jours sur quatre,

Il rentrait ivre, assez lâche et vil pour la battre,

Et quand il voulait bien rester près d'elle un peu,

Il la martyrisait, en manière de jeu,

Par l'étalage de doctrines impossibles.


· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·


Mia, je ne suis pas d'entre les irascibles,

Je suis le doux par excellence, mais, tenez,

Ça m'exaspère, et je le dis à votre nez,

Quand je vous vois l'œil blanc et la lèvre pincée,

Avec je ne sais quoi d'étroit dans la pensée

Parce que je reviens un peu soûl quelquefois.

Vraiment, en seriez-vous à croire que je bois

Pour boire, pour licher, comme vous autres chattes,

Avec vos vins sucrés dans vos verres à pattes

Et que l'Ivrogne est une forme du Gourmand ?

Alors l'instinct qui vous dit ça ment plaisamment

Et d'y prêter l'oreille un instant, quel dommage !

Dites, dans un bon Dieu de bois est-ce l'image

Que vous voyez et vers qui vos vœux vont monter ?

L'Eucharistie est-elle un pain à cacheter

Pur et simple, et l'amant d'une femme, si j'ose

Parler ainsi consiste-t-il en cette chose

Unique d'un monsieur qui n'est pas son mari

Et se voit de ce chef tout spécial chéri ?

Ah, si je bois c'est pour me soûler, non pour boire.

Être soûl, vous ne savez pas quelle victoire

C'est qu'on remporte sur la vie, et quel don c'est !

On oublie, on revoit, on ignore et l'on sait ;

C'est des mystères pleins d'aperçus, c'est du rêve

Qui n'a jamais eu de naissance et ne s'achève

Pas, et ne se meut pas dans l'essence d'ici ;

C'est une espèce d'autre vie en raccourci,

Un espoir actuel, un regret qui « rapplique »,

Que sais-je encore ? Et quant à la rumeur publique,

Au préjugé qui hue un homme dans ce cas,

C'est hideux, parce que bête, et je ne plains pas

Ceux ou celles qu'il bat à travers son extase,

Ô que nenni !


· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·


« Voyons, l'amour, c'est une phrase

Sous un mot, - avouez, un écoute-s'il-pleut,

Un calembour dont un chacun prend ce qu'il veut,

Un peu de plaisir fin, beaucoup de grosse joie

Selon le plus ou moins de moyens qu'il emploie,

Ou pour mieux dire, au gré de son tempérament,

Mais, entre nous, le temps qu'on y perd ! Et comment !

Vrai, c'est honteux que des personnes sérieuses

Comme nous deux, avec ces vertus précieuses

Que nous avons, du cœur, de l'esprit, - de l'argent,

Dans un siècle que l'on peut dire intelligent

Aillent !... »


· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·


Ainsi de suite, et sa fade ironie

N'épargnait rien de rien dans sa blague infinie.

Elle écoutait le tout avec les yeux baissés

Des cœurs aimants à qui tous torts sont effacés,

Hélas !

L'après-demain et le demain se passent.

Il rentre et dit : « Altro ! Que voulez-vous que fassent

Quatre pauvres petits millions contre un sort ?

Ruinés, ruinés, je vous dis ! C'est la mort

Dans l'âme que je vous le dis. »

Elle frissonne

Un peu, mais sait que c'est arrivé.

- « Ça, personne,

« Même vous, diletta, ne me croit assez sot

Pour demeurer ici dedans le temps d'un saut

De puce. »

Elle pâlit très fort et frémit presque,

Et dit : « Va, je sais tout. » - « Alors c'est trop grotesque

Et vous jouez là sans atouts avec le feu.

- « Qui dit non ? » - « Mais je suis spécial à ce jeu. »

- « Mais si je veux, exclame-t-elle, être damnée ? »

- « C'est différent, arrange ainsi ta destinée,

« Moi, je sors. » « Avec moi ! » - « Je ne puis aujourd'hui. »

Il a disparu sans autre trace de lui

Qu'une odeur de soufre et qu'un aigre éclat de rire.


Elle tire un petit couteau.

Le temps de luire

Et la lame est entrée à deux lignes du cœur.

Le temps de dire, en renfonçant l'acier vainqueur :

« À toi, je t'aime ! » et la justice la recense.


Elle ne savait pas que l'Enfer c'est l'absence.
N'aimez plus tant, Phylis, à vous voir adorée :
Le plus ardent amour n'a pas grande durée ;
Les nœuds les plus serrés sont le plus tôt rompus ;
A force d'aimer trop, souvent on n'aime plus,
Et ces liens si forts ont des lois si sévères
Que toutes leurs douceurs en deviennent amères.

Je sais qu'il vous est doux d'asservir tous nos soins :
Mais qui se donne entier n'en exige pas moins ;
Sans réserve il se rend, sans réserve il se livre,
Hors de votre présence il doute s'il peut vivre :
Mais il veut la pareille, et son attachement
Prend compte de chaque heure et de chaque moment.
C'est un esclave fier qui veut régler son maître,
Un censeur complaisant qui cherche à trop connaître,
Un tyran déguisé qui s'attache à vos pas,
Un dangereux Argus qui voit ce qui n'est pas ;
Sans cesse il importune, et sans cesse il assiège,
Importun par devoir, fâcheux par privilège,
Ardent à vous servir jusqu'à vous en lasser,
Mais au reste un peu tendre et facile à blesser.
Le plus léger chagrin d'une humeur inégale,
Le moindre égarement d'un mauvais intervalle,
Un sourire par mégarde à ses yeux dérobé,
Un coup d'œil par hasard sur un autre tombé,
Le plus faible dehors de cette complaisance
Que se permet pour tous la même indifférence ;
Tout cela fait pour lui de grands crimes d'état ;
Et plus l'amour est fort, plus il est délicat.
Vous avez vu, Phylis, comme il brise sa chaîne
Sitôt qu'auprès de vous quelque chose le gêne ;
Et comme vos bontés ne sont qu'un faible appui
Contre un murmure sourd qui s'épand jusqu'à lui.
Que ce soit vérité, que ce soit calomnie,
Pour vous voir en coupable il suffit qu'on le dit ;
Et lorsqu'une imposture a quelque fondement
Sur un peu d'imprudence, ou sur trop d'enjouement,
Tout ce qu'il sait de vous et de votre innocence
N'ose le révolter contre cette apparence,
Et souffre qu'elle expose à cent fausses clartés
Votre humeur sociable et vos civilités.
Sa raison au dedans vous fait en vain justice,
Sa raison au dehors respecte son caprice ;
La peur de sembler dupe aux yeux de quelques fous
Etouffe cette voix qui parle trop pour vous.
La part qu'il prend sur lui de votre renommée
Forme un sombre dépit de vous avoir aimée ;
Et, comme il n'est plus temps d'en faire un désaveu,
Il fait gloire partout d'éteindre un si beau feu :
Du moins s'il ne l'éteint, il l'empêche de luire,
Et brave le pouvoir qu'il ne saurait détruire.

Voilà ce que produit le don de trop charmer.
Pour garder vos amants faites-vous moins aimer ;
Un amour médiocre est souvent plus traitable :
Mais pourriez-vous, Phylis, vous rendre moins aimable ?
Pensez-y, je vous prie, et n'oubliez jamais,
Quand on vous aimera, que l'amour est doux ; mais...
Fable XVII, Livre V.


Polichinelle, à toi nous voilà revenus.
J'y reviens volontiers, c'est un ami d'enfance ;
Garçon d'esprit d'ailleurs, dans son extravagance,
Fertile en mots profonds, des badauds retenus ;
Garçon d'humeur toujours égale,
Non pas comme un quidam que nous avons connu,
Du matin jusqu'au soir plus mauvais que la gale ;
Mais toujours avenant, mais partout bien venu,
Trinquant avec qui le régale,
Et point fier, quoique parvenu.
Rien n'est indifférent dans un homme aussi rare.
Sachez donc, mes amis, quelle ingénuité
En son accoutrement, qui vous paraît bizarre,
Lui fait joindre aux galons, dont le riche se pare,
Les sabots de la pauvreté.
La fortune en tout temps ne lui fut pas prospère.
Il eut un bûcheron pour père ;
Bon homme, en qui l'amour paternel décroissait
Juste dans la mesure où son fils grandissait ;
Et qui disait parfois : « Je crois, Dieu me pardonne,
Que j'aimais mieux l'enfant quand il était petit.
Dieu fait bien ce qu'il fait ; mais d'où vient qu'il me donne
Un fils de si bon appétit ? »
Il est vrai que ce fils, encore à la lisière,
Si j'en crois un voisin qui l'a vu de ses yeux,
Coûtait plus à lui seul que sa famille entière,
Ne faisait rien qui vaille, et n'en mangeait que mieux.
Sur la nature enfin l'avarice l'emporte.
L'indigent est cruel comme l'ambitieux.
Lassé d'une charge aussi forte,
Le bon père, un beau jour, met son fils à la porte.
Voilà Polichinelle à la grâce de Dieu ;
Ce qui, dans le siècle où nous sommes,
Veut dire abandonné des hommes,
Et n'ayant pain, ni feu, ni lieu.
Il ne lui reste rien au monde,
Que deux chemises sans jabots,
Une panse un peu large, une échine un peu ronde,
Un vieil habit et des sabots.
Au surplus, ne sachant rien faire,
Sinon boire et manger, talent assez commun ;
Il apprit vingt métiers, mais il n'en sait pas un :
Comment sortira-t-il d'affaire ?
Il y pense en pleurant. Cet heureux don des pleurs,
Qui dans le cœur d'autrui fait passer nos douleurs,
Bien qu'au cerf rarement l'épreuve en soit utile,
A servi quelquefois l'homme et le crocodile.
Il a sauvé Sinon, je l'ai lu dans Virgile ;
Il sauva notre ami : non pas qu'en larmoyant
Il ait produit l'effet que je viens de décrire,
Au contraire ; on pleurait peut-être en le voyant,
Mais c'était à force de rire.
Cet effet singulier lui tint lieu de talent
Près du sieur Brioché, si fameux dans l'histoire.
« Voilà, dit ce grand homme, un paillasse excellent
Pour mon théâtre de la Foire.
En place de mon grimacier,
Dont le public paraît ne plus se soucier,
Si j'engageais ce bon apôtre ? »
Polichinelle accepte ; il faut gagner son pain.
Hélas ! il serait mort de faim
S'il avait pleuré comme un autre.
Il débute ; en dehors d'abord il se montra,
Et puis en dedans il entra.
Or vous savez, messieurs, mesdames,
Dans son métier s'il prospéra,
S'il fut charmant dans l'opéra,
S'il fut excellent dans les drames.
Auprès de Melpomène il perdit son procès ;
Mais il fit sa fortune en faisant la culbute.
Que d'acteurs contre sa chute
Voudraient changer leurs succès !
Dans son heureux caractère
Rentré pour n'en plus sortir,
Grâce à l'argent des sots qu'il a su divertir,
Il est capitaliste, il est propriétaire.
C'est presque un seigneur, vraiment !
Au reste, employant gaîment
Le bien que gaîment il gagne,
Il a maison de ville et maison de campagne,
Et, ce point-là surtout ne doit pas être omis,
Bonne table pour ses amis.
Aussi, comme il en a ! Bravant mode et coutume,
Chacun sait qu'à sa guise il s'est fait un costume
Où, sans être obligé de se déboutonner,
Il boit, mange et rit tout à l'aise.
Cet habit vaut le nôtre , il l'a fait galonner.
En jabot de dentelle il a changé sa fraise.
Mais quand tout devrait l'inviter
A quitter les sabots, il veut, ne vous déplaise,
Il veut ne les jamais quitter.
La raison qu'il en donne au reste est fort honnête.
« Souvent les parvenus se sont trop oubliés ;
Quand l'orgueil me porte à la tête,
Dit-il, je regarde à mes pieds.
Ils me rappellent tout ; mes parents, leur misère,
La détresse où j'étais quand Brioché me prit. »
« - Polichinelle, en tout le sort te soit prospère !
C'est le fait d'un bon cœur, comme d'un bon esprit
De ne point rougir de son père. »
Quand je suis tout baissé sur votre belle face,
Je vois dedans vos yeux je ne sais quoi de blanc,
Je ne sais quoi de noir, qui m'émeut tout le sang,
Et qui jusques au coeur de veine en veine passe.


Je vois dedans Amour, qui va changeant de place,
Ores bas, ores haut, toujours me regardant,
Et son arc contre moi coup sur coup débandant.
Las ! si je faux, raison, que veux-tu que j'y fasse ?


Tant s'en faut que je sois alors maître de moi,
Que je vendrais mon père, et trahirais mon Roi,
Mon pays, et ma soeur, mes frères et ma mère :


Tant je suis hors du sens, après que j'ai tâté
A longs traits amoureux de la poison amère,
Qui sort de ces beaux yeux, dont je suis enchanté.
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
Ô mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
À l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger.
Hôtes de ce séjour d'angoisse et de souffrance,

Où Satan sur le seuil a mis : Plus d'espérance !

Qui vous brisez le front contre ses murs de fer,

Et vîntes échanger, dans cette fange immonde,

La perpétuité des peines de ce monde

Pour l'éternité de l'enfer !


Ô vous, bandits, larrons d'Italie ou d'Espagne,

Hôtes des grands chemins, qui courez la campagne

De Tarente à Venise, et de Rome au Simplon ;

Et vous, concitoyens, voleurs de ma patrie.

Qui, les cheveux rasés et l'épaule flétrie.

Ramiez dans Brest ou dans Toulon !


Et vous qui, franchissant les monts et les cascades,

Imploriez la madone, et braviez les alcades,

Castillans, Grenadins ! et vous qui, sourdement,

Sous le ciel de l'Écosse, alliez dans les ténèbres

Ressusciter les morts dans leurs linceuls funèbres

Avant le jour du jugement !


Filles de joie, ô vous qu'on voyait dans la rue.

Autour d'un mauvais lieu, faire le pied de grue.

Dont l'amour fut mortel, et le baiser fatal ;

Vous tous, morts dans le crime et dans l'impénitence,

Spectres, qu'ont ainsi faits la roue ou la potence,

La guillotine ou l'hôpital !


Vous tous, mes vieux damnés, races de Dieu maudites,

Approchez-vous ici, parlez-nous, et nous dites

Aux gouffres de Satan combien a rapporté

Chaque péché mortel qui damne l'autre vie ;

Combien l'Orgueil, combien l'Avarice ou l'Envie,

Combien surtout la Pauvreté ?


C'est Elle qui flétrit une âme encor novice,

L'enlace, et la conduit au crime par le vice.

Courbant les plus hauts fronts avec sa main de fer ;

Qui mêle le poison et qui tire l'épée :

Elle, la plus féconde et la mieux occupée

Des pourvoyeuses de l'enfer !


Pauvreté ! vaste mot. Puissances de la terre,

Qui portez de vos noms l'orgueil héréditaire,

Savez-vous ce que c'est qu'avoir soif, avoir faim :

L'hiver, dans un grabat juché sous la toiture,

Passer le jour sans feu, la nuit sans couverture ;

Ce que c'est que le pauvre, enfin ?


- C'est un homme qui va, sur les places publiques,

Colporter, tout perclus, une boîte à reliques ;

Un aveugle en haillons, qu'on voit par les chemins

Accompagné d'un chien qui porte une sébile,

Agenouillé par terre, et qui chante, immobile,

Un cantique, en joignant les mains :


C'est un homme qui veille au seuil la nuit entière,

Et vient, sortants du bal, vous ouvrir la portière,

Recommandant sa peine aux cœurs compatissants ;

C'est une femme en pleurs qui voile son visage

Et tient à ses côtés deux enfants en bas-âge

Dressés à suivre les passants.


C'est cela : rien de plus. D'ailleurs, c'est une classe,

Les pauvres : il faut bien que chacun ait sa place ;

Dieu seul sait comme tout ici doit s'ordonner :

Il a mis la santé près de la maladie,

Le riche près du pauvre : il faut que l'un mendie

Pour que l'autre puisse donner.


Et quand, lassés de voir qu'on vous suit à la trace,

Vous vous êtes saignés, à grand'peine, et par grâce,

Du denier qu'un laquais insolent a jeté :

Grands seigneurs, financiers, belles dames, duchesses.

Vous vous tenez contenus, et croyez vos richesses

Quittes envers la pauvreté !


Mais il en est une autre, une autre cent fois pire,

Qui n'a point de haillons, celle-là, qui n'inspire

Ni pitié, ni dégoût, qui se pare de fleurs :

Qui ne se montre point, mendiante et quêteuse,

Mais, sous de beaux habits, cache, toute honteuse.

Ses ulcères et ses douleurs.


Elle vient au concert, et chante : au bal, et danse :

Jamais, jamais un geste, un mot dont l'imprudence

Trahirait des tourments qui ne sont point compris ;

C'est un combat sans fin, une longue détresse,

Une fièvre qui mine, un cauchemar qui presse

Et tue en étouffant vos cris.


C'est ce mal qui travaille une âme bien placée,

Qui s'indigne du rang où le sort l'a laissée ;

Qui demeure toujours triste au sein des plaisirs,

Parce qu'elle en sait bien le terme, et s'importune

De n'égaler jamais ses vœux à sa fortune,

Ni son espoir à ses désirs.


C'est le fléau du siècle, et cette maladie

Gagne de proche en proche, ainsi qu'un incendie :

Le monde dans son sein porte un hôte inconnu :

C'est un ver dans le cœur, c'est le cheval de Troie,

D'où les Grecs tout armés tomberont sur leur proie

Quand le moment sera venu.


Or, quand cela se voit, c'est une marque sûre

Qu'il s'est fait au-dedans une grande blessure.

Enseignement certain, par où Dieu nous apprend

Qu'une société vieillie et décrépite

S'émeut au plus profond de sa base, et palpite

Du dernier râle d'un mourant.


Je vous en avertis, riches ; prenez-y garde !

L'édifice est usé : si quelqu'un par mégarde

Passe trop chargé d'or sur ses planchers pourris,

- Un grain de blé suffit pour combler la mesure :

Au choc le plus léger cette vieille masure

Vous étouffe sous ses débris.


Peu de jours sont passés depuis qu'en sa colère

Lyon a vu rugir le monstre populaire :

Vous aviez cru le voir arriver en trois bonds,

Le sang dans les regards, le feu dans les narines.

Et vous aviez serré votre or sur vos poitrines.

Pâles comme des moribonds.


S'il n'a pas cette fois encor, rompu sa chaîne,

Si la porte est de fer et la cage de chêne,

Pourtant n'approchez pas des barreaux trop souvent.

Car sa force s'accroît, et sa rage, en silence ;

Et gare qu'un beau jour il les brise, et s'élance

Libre enfin, et les crins au vent !
(Suite.)

Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant.
La main du songeur vibre et tremble en l'écrivant ;
La plume, qui d'une aile allongeait l'envergure,
Frémit sur le papier quand sort cette figure,
Le mot, le terme, type on ne sait d'où venu,
Face de l'invisible, aspect de l'inconnu ;
Créé, par qui ? forgé, par qui ? jailli de l'ombre ;
Montant et descendant dans notre tête sombre,
Trouvant toujours le sens comme l'eau le niveau ;
Formule des lueurs flottantes du cerveau.
Oui, vous tous, comprenez que les mots sont des choses.
Ils roulent pêle-mêle au gouffre obscur des proses,
Ou font gronder le vers, orageuse forêt.
Du sphinx Esprit Humain le mot sait le secret.
Le mot veut, ne veut pas, accourt, fée ou bacchante,
S'offre, se donne ou fuit ; devant Néron qui chante
Ou Charles-Neuf qui rime, il recule hagard ;
Tel mot est un sourire, et tel autre un regard ;
De quelque mot profond tout homme est le disciple ;
Toute force ici-bas à le mot pour multiple ;
Moulé sur le cerveau, vif ou lent, grave ou bref,
Le creux du crâne humain lui donne son relief ;
La vieille empreinte y reste auprès de la nouvelle ;
Ce qu'un mot ne sait pas, un autre le révèle ;
Les mots heurtent le front comme l'eau le récif ;
Ils fourmillent, ouvrant dans notre esprit pensif
Des griffes ou des mains, et quelques uns des ailes ;
Comme en un âtre noir errent des étincelles,

Rêveurs, tristes, joyeux, amers, sinistres, doux,
Sombre peuple, les mots vont et viennent en nous ;
Les mots sont les passants mystérieux de l'âme.

Chacun d'eux porte une ombre ou secoue une flamme ;
Chacun d'eux du cerveau garde une région ;
Pourquoi ? c'est que le mot s'appelle Légion ;
C'est que chacun, selon l'éclair qui le traverse,
Dans le labeur commun fait une oeuvre diverse ;
C'est que de ce troupeau de signes et de sons
Qu'écrivant ou parlant, devant nous nous chassons,
Naissent les cris, les chants, les soupirs, les harangues,
C'est que, présent partout, nain caché sous les langues,
Le mot tient sous ses pieds le globe et l'asservit ;
Et, de même que l'homme est l'animal où vit
L'âme, clarté d'en haut par le corps possédée,
C'est que Dieu fait du mot la bête de l'idée.
Le mot fait vibrer tout au fond de nos esprits.
Il remue, en disant : Béatrix, Lycoris,
Dante au Campo-Santo, Virgile au Pausilippe.
De l'océan pensée il est le noir polype.
Quand un livre jaillit d'Eschyle ou de Manou,
Quand saint Jean à Patmos écrit sur son genou,
On voit parmi leurs vers pleins d'hydres et de stryges,
Des mots monstres ramper dans ces oeuvres prodiges.

O main de l'impalpable ! ô pouvoir surprenant !
Mets un mot sur un homme, et l'homme frissonnant
Sèche et meurt, pénétré par la force profonde ;
Attache un mot vengeur au flanc de tout un monde,
Et le monde, entraînant pavois, glaive, échafaud,
Ses lois, ses moeurs, ses dieux, s'écroule sous le mot.
Cette toute-puissance immense sort des bouches.
La terre est sous les mots comme un champ sous les mouches

Le mot dévore, et rien ne résiste à sa dent.
A son haleine, l'âme et la lumière aidant,
L'obscure énormité lentement s'exfolie.
Il met sa force sombre en ceux que rien ne plie ;
Caton a dans les reins cette syllabe : NON.
Tous les grands obstinés, Brutus, Colomb, Zénon,
Ont ce mot flamboyant qui luit sous leur paupière :
ESPÉRANCE ! -- Il entr'ouvre une bouche de pierre
Dans l'enclos formidable où les morts ont leur lit,
Et voilà que don Juan pétrifié pâlit !
Il fait le marbre spectre, il fait l'homme statue.
Il frappe, il blesse, il marque, il ressuscite, il tue ;
Nemrod dit : « Guerre !  » alors, du Gange à l'Illissus,
Le fer luit, le sang coule. « Aimez-vous ! » dit Jésus.
Et se mot à jamais brille et se réverbère
Dans le vaste univers, sur tous, sur toi, Tibère,
Dans les cieux, sur les fleurs, sur l'homme rajeuni,
Comme le flamboiement d'amour de l'infini !

Quand, aux jours où la terre entr'ouvrait sa corolle,
Le premier homme dit la première parole,
Le mot né de sa lèvre, et que tout entendit,
Rencontra dans les cieux la lumière, et lui dit :
« Ma soeur !

Envole-toi ! plane ! sois éternelle !
Allume l'astre ! emplis à jamais la prunelle !
Échauffe éthers, azurs, sphères, globes ardents !
Éclaire le dehors, j'éclaire le dedans.
Tu vas être une vie, et je vais être l'autre.
Sois la langue de feu, ma soeur, je suis l'apôtre.
Surgis, effare l'ombre, éblouis l'horizon,
Sois l'aube ; je te vaux, car je suis la raison ;
A toi les yeux, à moi les fronts. O ma soeur blonde,
Sous le réseau Clarté tu vas saisir le monde ;
Avec tes rayons d'or, tu vas lier entre eux
Les terres, les soleils, les fleurs, les flots vitreux,  
Les champs, les cieux ; et moi, je vais lier les bouches ;
Et sur l'homme, emporté par mille essors farouches,
Tisser, avec des fils d'harmonie et de jour,
Pour prendre tous les coeurs, l'immense toile Amour.
J'existais avant l'âme, Adam n'est pas mon père.
J'étais même avant toi ; tu n'aurais pas pu, lumière,
Sortir sans moi du gouffre où tout rampe enchaîné ;
Mon nom est FIAT LUX, et je suis ton aîné ! »

Oui, tout-puissant ! tel est le mot. Fou qui s'en joue !
Quand l'erreur fait un noeud dans l'homme, il le dénoue.
Il est foudre dans l'ombre et ver dans le fruit mûr.
Il sort d'une trompette, il tremble sur un mur,
Et Balthazar chancelle, et Jéricho s'écroule.
Il s'incorpore au peuple, étant lui-même foule.
Il est vie, esprit, germe, ouragan, vertu, feu ;
Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu.

Jersey, juin 1855.
Que devant les coquins l'honnête homme soupire ;
Que l'histoire soit laide et plate ; que l'empire
Boîte avec Talleyrand ou louche avec Parieu ;
Qu'un tour d'escroc bien fait ait nom grâce de Dieu ;
Que le pape en massue ait changé sa houlette ;
Qu'on voie au Champ de Mars piaffer sous l'épaulette
Le Meurtre général, le Vol aide de camp ;
Que hors de l'Elysée un prince débusquant,
Qu'un flibustier quittant l'île de la Tortue,
Assassine, extermine, égorge, pille et tue ;
Que les bonzes chrétiens, cognant sur leur tam-tam
Hurlent devant Soufflard : Attollite portam !
Que pour claqueurs le crime ait cent journaux infâmes,
Ceux qu'à la maison d'or, sur les genoux des femmes,
Griffonnent les Romieux, le verre en main, et ceux
Que saint-Ignace inspire à des gredins crasseux ;
Qu'en ces vils tribunaux, où le regard se heurte
De Moreau de la Seine à Moreau de la Meurthe,
La justice ait reçu d'horribles horions ;
Que, sur un lit de camp, par des centurions
La loi soit violée et râle à l'agonie ;
Que cet être choisi, créé par Dieu génie,
L'homme, adore à genoux le loup fait empereur ;
Qu'en un éclat de rire abrégé par l'horreur,
Tout ce que nous voyons aujourd'hui se résume ;
Qu'Hautpoul vende son sabre et Cucheval sa plume ;
Que tous les grands bandits, en petit copiés,
Revivent ; qu'on emplisse un sénat de plats-pieds
Dont la servilité négresse et mamelouque
Eût révolté Mahmoud et lasserait Soulouque ;
Que l'or soit le seul culte, et qu'en ce temps vénal,
Coffre-fort étant Dieu, Gousset soit cardinal ;
Que la vieille Thémis ne soit plus qu'une gouine
Baisant Mandrin dans l'antre où Mongis baragouine ;
Que Montalembert bave accoudé sur l'autel ;
Que Veuillot sur Sibour crève sa poche au fiel ;
Qu'on voie aux bals de cour s'étaler des guenipes
Qui le long des trottoirs traînaient hier leurs nippes,
Beautés de lansquenet avec un profil grec ;
Que Haynau dans Brescia soit pire que Lautrec ;
Que partout, des Sept-Tours aux colonnes d'Hercule,
Napoléon, le poing sur la hanche, recule,
Car l'aigle est vieux, Essling grisonne, Marengo
À la goutte, Austerlitz est pris d'un lombago ;
Que le czar russe ait peur tout autant que le nôtre ;
Que l'ours noir et l'ours blanc tremblent l'un devant l'autre ;
Qu'avec son grand panache et sur son grand cheval
Rayonne Saint-Arnaud, ci-devant Florival,
Fort dans la pantomime et les combats à l'hache ;
Que Sodome se montre et que Paris se cache ;
Qu'Escobar et Houdin vendent le même onguent ;
Que grâce à tous ces gueux qu'on touche avec le gant,
Tout dorés au dehors, au dedans noirs de lèpres,
Courant les bals, courant les jeux, allant à vêpres,
Grâce à ces bateleurs mêlés aux scélérats,
La Saint-Barthélemy s'achève en mardi gras ;
Ô nature profonde et calme, que t'importe !
Nature, Isis voilée assise à notre porte,
Impénétrable aïeule aux regards attendris,
Vieille comme Cybèle et fraîche comme Iris,
Ce qu'on fait ici-bas s'en va devant ta face ;
À ton rayonnement toute laideur s'efface ;
Tu ne t'informes pas quel drôle ou quel tyran
Est fait premier chanoine à Saint-Jean-de-Latran ;
Décembre, les soldats ivres, les lois faussées,
Les cadavres mêlés aux bouteilles cassées,
Ne te font rien ; tu suis ton flux et ton reflux.
Quand l'homme des faubourgs s'endort et ne sait plus
Bourrer dans un fusil des balles de calibre ;
Quand le peuple français n'est plus le peuple libre ;
Quand mon esprit, fidèle au but qu'il se fixa,
Sur cette léthargie applique un vers moxa,
Toi, tu rêves ; souvent du fond des geôles sombres,
Sort, comme d'un enfer, le murmure des ombres
Que Baroche et Rouher gardent sous les barreaux,
Car ce tas de laquais est un tas de bourreaux ;
Etant les cœurs de boue, ils sont les cœurs de roche ;
Ma strophe alors se dresse, et, pour cingler Baroche,
Se taille un fouet sanglant dans Rouher écorché ;
Toi, tu ne t'émeus point ; flot sans cesse épanché,
La vie indifférente emplit toujours tes urnes ;
Tu laisses s'élever des attentats nocturnes,
Des crimes, des fureurs, de Rome mise en croix,
De Paris mis aux fers, des guets-apens des rois,
Des pièges, des serments, des toiles d'araignées,
L'orageuse clameur des âmes indignées ;
Dans ce calme où toujours tu te réfugias,
Tu laisses le fumier croupir chez Augias,
Et renaître un passé dont nous nous affranchîmes,
Et le sang rajeunir les abus cacochymes,
La France en deuil jeter son suprême soupir,
Les prostitutions chanter, et se tapir
Les lâches dans leurs trous, la taupe en ses cachettes,
Et gronder les lions, et rugir les poètes !
Ce n'est pas ton affaire à toi de t'irriter.
Tu verrais, sans frémir et sans te révolter,
Sur tes fleurs, sous tes pins, tes ifs et tes érables,
Errer le plus coquin de tous ces misérables.
Quand Troplong, le matin, ouvre un œil chassieux,
Vénus, splendeur sereine éblouissant les cieux,
Vénus, qui devrait fuir courroucée et hagarde,
N'a pas l'air de savoir que Troplong la regarde !
Tu laisserais cueillir une rose à Dupin !
Tandis que, de velours recouvrant le sapin,
L'escarpe couronné que l'Europe surveille,
Trône et guette, et qu'il a, lui parlant à l'oreille,
D'un côté Loyola, de l'autre Trestaillon,
Ton doigt au blé dans l'ombre entrouvre le sillon.
Pendant que l'horreur sort des sénats, des conclaves,
Que les États-Unis ont des marchés d'esclaves
Comme en eut Rome avant que Jésus-Christ passât,
Que l'américain libre à l'africain forçat
Met un bât, et qu'on vend des hommes pour des piastres,
Toi, tu gonfles la mer, tu fais lever les astres,
Tu courbes l'arc-en-ciel, tu remplis les buissons
D'essaims, l'air de parfums et les nids de chansons,
Tu fais dans le bois vert la toilette des roses,
Et tu fais concourir, **** des hommes moroses,
Pour des prix inconnus par les anges cueillis,
La candeur de la vierge et la blancheur du lys.
Et quand, tordant ses mains devant les turpitudes,
Le penseur douloureux fuit dans tes solitudes,
Tu lui dis : Viens ! c'est moi ! moi que rien ne corrompt !
Je t'aime ! et tu répands dans l'ombre, sur son front
Où de l'artère ardente il sent battre les ondes,
L'âcre fraîcheur de l'herbe et des feuilles profondes !
Par moments, à te voir, parmi les trahisons,
Mener paisiblement tes mois et tes saisons,
À te voir impassible et froide, quoi qu'on fasse,
Pour qui ne creuse point plus bas que la surface,
Tu sembles bien glacée, et l'on s'étonne un peu.
Quand les proscrits, martyrs du peuple, élus de Dieu,
Stoïques, dans la mort se couchent sans se plaindre,
Tu n'as l'air de songer qu'à dorer et qu'à peindre
L'aile du scarabée errant sur leurs tombeaux.
Les rois font les gibets, toi, tu fais les corbeaux.
Tu mets le même ciel sur le juste et l'injuste.
Occupée à la mouche, à la pierre, à l'arbuste,
Aux mouvements confus du vil monde animal,
Tu parais ignorer le bien comme le mal ;
Tu laisses l'homme en proie à sa misère aiguë.
Que t'importe Socrate ! et tu fais la ciguë.
Tu créas le besoin, l'instinct et l'appétit ;
Le fort mange le faible et le grand le petit,
L'ours déjeune du rat, l'autour de la colombe,
Qu'importe ! allez, naissez, fourmillez pour la tombe,
Multitudes ! vivez, tuez, faites l'amour,
Croissez ! le pré verdit, la nuit succède au jour,
L'âne brait, le cheval hennit, le taureau beugle.
Ô figure terrible, on te croirait aveugle !
Le bon et le mauvais se mêlent sous tes pas.
Dans cet immense oubli, tu ne vois même pas
Ces deux géants lointains penchés sur ton abîme,
Satan, père du mal, Caïn, père du crime !

Erreur ! erreur ! erreur ! ô géante aux cent yeux,
Tu fais un grand labeur, saint et mystérieux !
Oh ! qu'un autre que moi te blasphème, ô nature
Tandis que notre chaîne étreint notre ceinture,
Et que l'obscurité s'étend de toutes parts,
Les principes cachés, les éléments épars,
Le fleuve, le volcan à la bouche écarlate,
Le gaz qui se condense et l'air qui se dilate,
Les fluides, l'éther, le germe sourd et lent,
Sont autant d'ouvriers dans l'ombre travaillant ;
Ouvriers sans sommeil, sans fatigue, sans nombre.
Tu viens dans cette nuit, libératrice sombre !
Tout travaille, l'aimant, le bitume, le fer,
Le charbon ; pour changer en éden notre enfer,
Les forces à ta voix sortent du fond des gouffres.

Tu murmures tout bas : - Race d'Adam qui souffres,
Hommes, forçats pensants au vieux monde attachés,
Chacune de mes lois vous délivre. Cherchez ! -
Et chaque jour surgit une clarté nouvelle,
Et le penseur épie et le hasard révèle ;
Toujours le vent sema, le calcul récolta.
Ici Fulton, ici Galvani, là Volta,
Sur tes secrets profonds que chaque instant nous livre,
Rêvent ; l'homme ébloui déchiffre enfin ton livre.

D'heure en heure on découvre un peu plus d'horizon
Comme un coup de bélier au mur d'une prison,
Du genre humain qui fouille et qui creuse et qui sonde,
Chaque tâtonnement fait tressaillir le monde.
L'***** des nations s'accomplit. Passions,
Intérêts, mœurs et lois, les révolutions
Par qui le cœur humain germe et change de formes,
Paris, Londres, New-York, les continents énormes,
Ont pour lien un fil qui tremble au fond des mers.
Une force inconnue, empruntée aux éclairs,
Mêle au courant des flots le courant des idées.
La science, gonflant ses ondes débordées,
Submerge trône et sceptre, idole et potentat.
Tout va, pense, se meut, s'accroît. L'aérostat
Passe, et du haut des cieux ensemence les hommes.
Chanaan apparaît ; le voilà, nous y sommes !
L'amour succède aux pleurs et l'eau vive à la mort,
Et la bouche qui chante à la bouche qui mord.
La science, pareille aux antiques pontifes,
Attelle aux chars tonnants d'effrayants hippogriffes
Le feu souffle aux naseaux de la bête d'airain.
Le globe esclave cède à l'esprit souverain.
Partout où la terreur régnait, où marchait l'homme,
Triste et plus accablé que la bête de somme,
Traînant ses fers sanglants que l'erreur a forgés,
Partout où les carcans sortaient des préjugés,
Partout où les césars, posant le pied sur l'âme,
Etouffaient la clarté, la pensée et la flamme,
Partout où le mal sombre, étendant son réseau,
Faisait ramper le ver, tu fais naître l'oiseau !
Par degrés, lentement, on voit sous ton haleine
La liberté sortir de l'herbe de la plaine,
Des pierres du chemin, des branches des forêts,
Rayonner, convertir la science en décrets,
Du vieil univers mort briser la carapace,
Emplir le feu qui luit, l'eau qui bout, l'air qui passe,
Gronder dans le tonnerre, errer dans les torrents,
Vivre ! et tu rends le monde impossible aux tyrans !
La matière, aujourd'hui vivante, jadis morte,
Hier écrasait l'homme et maintenant l'emporte.

Le bien germe à toute heure et la joie en tout lieu.
Oh ! sois fière en ton cœur, toi qui, sous l'œil de Dieu,
Nous prodigues les dons que ton mystère épanche,
Toi qui regardes, comme une mère se penche
Pour voir naître l'enfant que son ventre a porté,
De ton flanc éternel sortir l'humanité !

Vie ! idée ! avenir bouillonnant dans les têtes !
Le progrès, reliant entre elles ses conquêtes,
Gagne un point après l'autre, et court contagieux.
De cet obscur amas de faits prodigieux
Qu'aucun regard n'embrasse et qu'aucun mot ne nomme,
Tu nais plus frissonnant que l'aigle, esprit de l'homme,
Refaisant mœurs, cités, codes, religion.
Le passé n'est que l'oeuf d'où tu sors, Légion !

Ô nature ! c'est là ta genèse sublime.
Oh ! l'éblouissement nous prend sur cette cime !
Le monde, réclamant l'essor que Dieu lui doit,
Vibre, et dès à présent, grave, attentif, le doigt
Sur la bouche, incliné sur les choses futures,
Sur la création et sur les créatures,
Une vague lueur dans son œil éclatant,
Le voyant, le savant, le philosophe entend
Dans l'avenir, déjà vivant sous ses prunelles,
La palpitation de ces millions d'ailes !

Jersey, le 23 mai 1853.
Chantez ! chantez ! jeune inspirée !
La femme qui chante est sacrée
Même aux jaloux, même aux pervers !
La femme qui chante est bénie !
Sa beauté défend son génie.
Les beaux yeux sauvent les beaux vers !

Moi que déchire tant de rage,
J'aime votre aube sans orage ;
Je souris à vos yeux sans pleurs.
Chantez donc vos chansons divines.
À moi la couronne d'épines !
À vous la couronne de fleurs !

Il fut un temps, un temps d'ivresse,
Où l'aurore qui vous caresse
Rayonnait sur mon beau printemps
Où l'orgueil, la joie et l'extase,
Comme un vin pur d'un riche vase,
Débordaient de mes dix-sept ans !

Alors, à tous mes pas présente,
Une chimère éblouissante
Fixait sur moi ses yeux dorés ;
Alors, prés verts, ciels bleus, eaux vives,
Dans les riantes perspectives
Mes regards flottaient égarés !

Alors je disais aux étoiles :
Ô mon astre, en vain tu te voiles.
Je sais que tu brilles là-haut !
Alors je disais à la rive :
Vous êtes la gloire, et j'arrive.
Chacun de mes jours est un flot !

Je disais au bois : forêt sombre,
J'ai comme toi des bruits sans nombre.
À l'aigle : contemple mon front !
Je disais aux coupes vidées :
Je suis plein d'ardentes idées
Dont les âmes s'enivreront !

Alors, du fond de vingt calices,
Rosée, amour, parfums, délices,
Se répandaient sur mon sommeil ;
J'avais des fleurs plein mes corbeilles ;
Et comme un vif essaim d'abeilles,
Mes pensers volaient au soleil !

Comme un clair de lune bleuâtre
Et le rouge brasier du pâtre
Se mirent au même ruisseau ;
Comme dans les forêts mouillées,
À travers le bruit des feuillées
On entend le bruit d'un oiseau ;

Tandis que tout me disait : Aime !
Écoutant tout hors de moi-même,
Ivre d'harmonie et d'encens,
J'entendais, ravissant murmure,
Le chant de toute la nature
Dans le tumulte de mes sens !

Et roses par avril fardées,
Nuits d'été de lune inondées,
Sentiers couverts de pas humains,
Tout, l'écueil aux hanches énormes,
Et les vieux troncs d'arbres difformes
Qui se penchent sur les chemins,

Me parlaient cette langue austère,
Langue de l'ombre et du mystère,
Qui demande à tous : Que sait-on ?
Qui, par moments presque étouffée,
Chante des notes pour Orphée,
Prononce des mots pour Platon !

La terre me disait Poète !
Le ciel me répétait Prophète !
Marche ! parle ! enseigne ! bénis !
Penche l'urne des chants sublimes !
Verse aux vallons noirs comme aux cimes,
Dans les aires et dans les nids !

Ces temps sont passés. - À cette heure,
Heureux pour quiconque m'effleure,
Je suis triste au dedans de moi ;
J'ai sous mon toit un mauvais hôte ;
Je suis la tour splendide et haute
Qui contient le sombre beffroi.

L'ombre en mon cœur s'est épanchée ;
Sous mes prospérités cachée
La douleur pleure en ma maison ;
Un ver ronge ma grappe mûre ;
Toujours un tonnerre murmure
Derrière mon vague horizon !

L'espoir mène à des portes closes.
Cette terre est pleine de choses
Dont nous ne voyons qu'un côté.
Le sort de tous nos vœux se joue ;
Et la vie est comme la roue
D'un char dans la poudre emporté !

À mesure que les années,
Plus pâles et moins couronnées,
Passent sur moi du haut du ciel,
Je vois s'envoler mes chimères
Comme des mouches éphémères
Qui n'ont pas su faire de miel !

Vainement j'attise en moi-même
L'amour, ce feu doux et suprême
Qui brûle sur tous les trépieds,
Et toute mon âme enflammée
S'en va dans le ciel en fumée
Ou tombe en cendre sous mes pieds !

Mon étoile a fui sous la nue.
La rose n'est plus revenue
Se poser sur mon rameau noir.
Au fond de la coupe est la lie,
Au fond des rêves la folie,
Au fond de l'aurore le soir !

Toujours quelque bouche flétrie,
Souvent par ma pitié nourrie,
Dans tous mes travaux m'outragea.
Aussi que de tristes pensées,
Aussi que de cordes brisées
Pendent à ma lyre déjà !

Mon avril se meurt feuille à feuille ;
Sur chaque branche que je cueille
Croît l'épine de la douleur ;
Toute herbe a pour moi sa couleuvre ;
Et la haine monte à mon œuvre
Comme un bouc au cytise en fleur !

La nature grande et touchante,
La nature qui vous enchante
Blesse mes regards attristés.
Le jour est dur, l'aube est meilleure.
Hélas ! la voix qui me dit : Pleure !
Est celle qui vous dit : Chantez !

Chantez ! chantez ! belle inspirée !
Saluez cette aube dorée
Qui jadis aussi m'enivra.
Tout n'est pas sourire et lumière.
Quelque jour de votre paupière
Peut-être une larme éclora !

Alors je vous plaindrai, pauvre âme !
Hélas ! les larmes d'une femme,
Ces larmes où tout est amer,
Ces larmes où tout est sublime,
Viennent d'un plus profond abîme
Que les gouttes d'eau de la mer !
Quand je te voy seule assise à par-toy,
Toute amusée avecques ta pensée,
Un peu la ***** encontre bas baissée,
Te retirant du vulgaire et de moy :

Je veux souvent pour rompre ton esmoy,
Te saluer, mais ma voix offensée,
De trop de peur se retient amassée
Dedans la bouche, et me laisse tout coy.

Souffrir ne puis les rayons de ta veuë :
Craintive au corps, mon ame tremble esmeuë :
Langue ne voix ne font leur action :

Seuls mes souspirs, seul mon triste visage
Parlent pour moy, et telle passion
De mon amour donne assez tesmoignage.
Ode XXVIII.

Si j'avois un riche tresor,
Ou des vaisseaux engravez d'or,
Tableaux ou medailles de cuivre,
Ou ces joyaux qui font passer
Tant de mers pour les amasser,
Où le jour se laisse revivre,

Je t'en ferois un beau present.
Mais quoy ! cela ne t'est plaisant,
Aux richesses tu ne t'amuses
Qui ne font que nous estonner ;
C'est pourquoy je te veux donner
Le bien que m'ont donné les Muses.

Je sçay que tu contes assez
De biens l'un sur l'autre amassez,
Qui perissent comme fumée,
Ou comme un songe qui s'enfuit
Du cerveau si tost que la nuit
Au second somme est consumée.

L'un au matin s'enfle en son bien,
Qui au soleil couchant n'a rien,
Par défaveur, ou par disgrace,
Ou par un changement commun,
Ou par l'envie de quelqu'un
Qui ravit ce que l'autre amasse.

Mais les beaux vers ne changent pas,
Qui durent contre le trespas,
Et en devançant les années,
Hautains de gloire et de bonheur,
Des hommes emportent l'honneur
Dessur leurs courses empennées.

Dy-moy, Verdun, qui penses-tu
Qui ait deterré la vertu
D'Hector, d'Achille et d'Alexandre,
Envoyé Bacchus dans les Cieux,
Et Hercule au nombre des dieux,
Et de Junon l'a fait le gendre,

Sinon le vers bien accomply,
Qui tirant leurs noms de l'oubly,
Plongez au plus profond de l'onde
De Styx, les a remis au jour,
Les relogeant au grand sejour
Par deux fois de nostre grand monde ?

Mort est l'honneur de tant de rois
Espagnols, germains et françois,
D'un tombeau pressant leur mémoire ;
Car les rois et les empereurs
Ne different aux laboureurs
Si quelcun ne chante leur gloire.

Quant à moy, je ne veux souffrir
Que ton beau nom se vienne offrir
A la Mort, sans que je le vange,
Pour n'estre jamais finissant,
Mais d'âge en âge verdissant,
Surmonter la Mort et le change.

Je veux, malgré les ans obscurs,
Que tu sois des peuples futurs
Cognu sur tous ceux de nostre âge,
Pour avoir conçeu volontiers
Des neuf Pucelles les mestiers,
Qui t'ont enflamé le courage,

Non pas au gain ny au vil prix,
Mais pour estre des mieux appris
Entre les hommes qui s'assemblent
Sur Parnasse au double sourci ;
C'est pourquoy tu aimes aussi
Les bons esprits qui te ressemblent.

Or pour le plaisir, quant à moy,
Verdun, que j'ay reçeu de toy,
Tu n'auras rien de ton poète
Sinon ces vers que je t'ay faits,
Et avec ces vers les souhaits
Que pour bonheur je te souhaite.

Dieu vueille benir ta maison
De beaux enfans naiz à foison
De ta femme belle et pudique ;
La concorde habite en ton lit,
Et bien **** de toy soit le bruit
De toute noise domestique.

Sois gaillard, dispost et joyeux,
Ny convoiteux ny soucieux
Des choses qui nous rongent l'âme ;
Fuy toutes sortes de douleurs,
Et ne pren soucy des malheurs
Qui sont predits par Nostradame.

Ne romps ton tranquille repos
Pour papaux, ny pour huguenots,
Ny amy d'eux, ny adversaire,
Croyant que Dieu père très doux
(Qui n'est partial comme nous)
Sçait ce qui nous est nécessaire.

N'ayes soucy du lendemain,
Mais, serrant le temps en la main,
Vy joyeusement la journée
Et l'heure en laquelle seras :
Et que sçais-tu si tu verras
L'autre lumiere retournée ?

Couche-toy à l'ombre d'un bois,
Ou près d'un rivage où la vois
D'une fontaine jazeresse
Tressaute, et tandis que tes ans
Sont encore et verds et plaisans,
Par le jeu trompe la vieillesse.

Tout incontinent nous mourrons,
Et bien **** bannis nous irons
Dedans une nacelle obscure
Où plus de rien ne nous souvient,
Et d'où jamais on ne revient :
Car ainsi l'a voulu Nature.
Ma muse, j'ai un tout petit dilemne.
Il est écrit qu'il y a en tout et pour tout neuf muses
Qui ont pour nom par ordre alphabétique
Calliope, Clio, Erato, Euterpe
Melpomène, Polymnie, Terspichore, Thalia et Uranie
Nulle trace d'Aura.

Es-tu vraiment celle que tu prétends être ?
Aimes-tu vraiment le chant de deux voix qui s'alternent ?

Et dans le cas où tu serais bien l'une des neuf
Pourquoi m'as-tu dit que tu étais le huit ?

Si je te pose la question
C'est que j'avais accès à ton site sur muses.com/aura
et j'ai égaré mon mot de passe.
Tu sais, ce mot de passe sécurisé
Qui nous permettait de nous exhiber tranquillement
A l'abri des regards indiscrets.
Je ne me souviens pas s'il y avait douze, quatorze ou vingt caractères.
mais il y en avait plus que huit
Il était fort et aléatoire
Entre majuscules, minuscules, symboles et chiffres
Impossible à craquer
C'était mieux que Fort Knox
Dedans tu avais mis ton âge, ton poids, ta taille, ta pointure
Et les lettres, arbmu et umz
Et un symbole étrange un t avec une virgule souscrite.
J'ai appelé à gauche et à droite les Muses pour retrouver ta trace,
Je t'ai googlisé. En vain.
Es tu vraiment ma Muse ou Furie ?
Par acquit de conscience j 'ai vérifié les noms des Furies
Tisiphone, Mégère et Alecton.
Et j'en reviens à la seule et unique question :
Qui es-tu ? Mon ombre, certes, mais encore ?

J'ai rêvé que tu étais astronaute et moi Martien.
Tu m'avais réduit de la taille d'un minuscule atome
Que tu gardais bien au chaud dans son berceau
Au fond de la planète Utérus.
Et tu m'allaitais d'eau de vie de mirabelle et me berçais
De câlins sucrés. Et je gazouillais
En regardant tes yeux, Aura,
A l'époque rouges jaunes orange bleus
Puis un jour tes yeux sont passé au vert
Et tu m'as sevré sans un mot, sans une parole.
Tu m'as mis hors du miroir
Et tu m'as dit d'aller caresser l'oiseau.

Et depuis j'erre comme un bateau ivre
Mais revenons à nos orphies :
Le mot de passe !!!
Pour simplifier je te propose
Qu'on efface tout ça et qu'on mette à la place
Juste une phrase comme :

Amant alterna camenae (Virg. egl III,59)
À M. B *


Lorsqu'autrefois, au seuil des saintes basiliques,

Des rois, couverts d'un sac, et baisant des reliques.

Les reins ceints d'une corde, et les pieds tout meurtris,

Venaient s'agenouiller repentants et contrits ;

En expiation de quelques grands scandales

Humiliaient leur front dans la poudre des dalles.

Et dans le sanctuaire où Dieu s'était caché

Se frappaient la poitrine en criant : J'ai péché !

Dans le fond de ces cœurs à qui voulait descendre

L'orgueil apparaissait bientôt sous cette cendre,

Et laissait voir à nu ce que de vanité

Recelait en dedans si haute humilité.


Mais quand un homme obscur qui n'eut jamais l'envie

Que de cacher à tous la trace de sa vie,

Qui va suivant sa route en marquant chaque pas,

Par quelque œuvre de bien que l'on ne connaît pas,

Quand par hasard cet homme, après soixante années

D'honneur et de vertus l'une à l'autre enchaînées,

Arrivant près du terme, et las d'avoir marché,

Dans cette voie étroite une fois a bronché.

Alors il faut gémir qu'aux choses de la terre

La main d'un Dieu jaloux ait fait ce caractère

De ne pouvoir toujours, entre tant de combats,

Garder une vertu qui n'est point d'ici-bas,

Et vienne tôt ou **** jeter quelque mélange

Sur cette pureté qu'il réserve pour l'ange.

Comme pour faire voir que toujours d'un côté

Un cœur, si haut qu'il soit, touche à l'humanité.


Mais lors qu'après, cet homme, ayant dans le silence

Pesé cette action au poids de sa balance,

S'en revient devant tous pensif et recueilli,

Dire en plein jour, tout haut : Mes frères, j'ai failli !

Oh ! s'il a fait cela, la victoire est plus belle

Qu'il vient de remporter sur cette âme rebelle.

Cet effort est plus grand et plus beau, que d'avoir

Achevé, sans combat, la route du devoir.

Là, ce n'est pas le cri d'un vain orgueil qui pense

Dans son abaissement trouver sa récompense,

C'est le sublime aveu d'un cœur qui ne veut pas

Se faire un tel fardeau pour l'heure du trépas :

- Donc, relevez la tête, et ne vous touchez guères

De ce qu'ont dit en soi tous ces hommes vulgaires

Qui n'ont jamais senti, n'ayant point combattu,

Ce que donne de prix la lutte à la vertu.

Laissez-les ces gens-là, traîner sans résistance

Dans de froides vertus une pâle existence,

Par les chemins battus laissez-les pas-à-pas

S'avancer vers un but qu'ils ne comprennent pas ;

Et tenez pour certain qu'il est moins méritoire

D'avoir toujours suivi sans lutte et sans victoire

La monotone voix d'un honneur rétréci.

Qu'après être tombé se relever ainsi.
M Solav Dec 2019
Incapable d'agir. De quoi parlent-ils tous?
Est-ce encore un livre, la perte de ses pages?
Où que l'on creuse, là n'est pas la source;
Déduira-t-on ainsi qu'elle est introuvable?

Écoutant les murmures au travers du ciment
Encore qui mugissent des propos absurdes;
Puis d'une jointure, l’on cognera dedans:
« Encore et toujours vide, l'écho ridicule. »

Criant au secours, qu'on leur vienne en aide;
Celui de tout perdre, connait-on le sacrifice?
C'est donnant ainsi tout qu'enfin l'on nous cède
Le vrai pour et contre l'artifice.

Incapable d'agir. Que racontent-ils donc?
Lorsqu'ouvrir la bouche est un pas de trop,
À la course ils se ruent vers les fronts:
« Cette inertie qui maintient en sursaut. »

En ouverture vers le vide, voici le message
Des parois décousues d'un fort abyssal:
« Écouter le silence, le silence qui n'entend rien. »
Écrit en janvier 2016.


— Droits d'auteur © M. Solav —
www.msolav.com

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__________
À Joseph, comte de S.
Cuncta supercilio.
HORACE.


Dans une grande fête, un jour, au Panthéon,
J'avais sept ans, je vis passer Napoléon.
Pour voir cette figure illustre et solennelle,
Je m'étais échappé de l'aile maternelle ;
Car il tenait déjà mon esprit inquiet.
Mais ma mère aux doux yeux, qui souvent s'effrayait
En m'entendant parler guerre, assauts et bataille,
Craignait pour moi la foule, à cause de ma taille.

Et ce qui me frappa, dans ma sainte terreur,
Quand au front du cortège apparut l'empereur,
Tandis que les enfants demandaient à leurs mères
Si c'est là ce héros dont on fait cent chimères,
Ce ne fut pas de voir tout ce peuple à grand bruit,
Le suivre comme on suit un phare dans la nuit
Et se montrer de ****, sur la tête suprême,
Ce chapeau tout usé plus beau qu'un diadème,
Ni, pressés sur ses pas, dix vassaux couronnés
Regarder en tremblant ses pieds éperonnés,
Ni ses vieux grenadiers, se faisant violence,
Des cris universels s'enivrer en silence ;
Non, tandis qu'à genoux la ville tout en feu,
Joyeuse comme on est lorsqu'on n'a qu'un seul vœu
Qu'on n'est qu'un même peuple et qu'ensemble on respire,
Chantait en chœur : VEILLONS AU SALUT DE L'EMPIRE !

Ce qui me frappa, dis-je, et me resta gravé,
Même après que le cri sur la route élevé
Se fut évanoui dans ma jeune mémoire,
Ce fut de voir, parmi ces fanfares de gloire,
Dans le bruit qu'il faisait, cet homme souverain
Passer muet et grave ainsi qu'un dieu d'airain.

Et le soir, curieux, je le dis à mon père,
Pendant qu'il défaisait son vêtement de guerre,
Et que je me jouais sur son dos indulgent
De l'épaulette d'or aux étoiles d'argent.
Mon père secoua la tête sans réponse.
Mais souvent une idée en notre esprit s'enfonce ;
Ce qui nous a frappés nous revient par moments,
Et l'enfance naïve a ses étonnements.

Le lendemain, pour voir le soleil qui s'incline,
J'avais suivi mon père en haut de la colline
Qui domine Paris du côté du levant,
Et nous allions tous deux, lui pensant, moi rêvant.
Cet homme en mon esprit restait comme un prodige,
Et, parlant à mon père : Ô mon père, lui dis-je,
Pourquoi notre empereur, cet envoyé de Dieu,
Lui qui fait tout mouvoir et qui met tout en feu,
A-t-il ce regard froid et cet air immobile ?
Mon père dans ses mains prit ma tête débile,
Et me montrant au **** l'horizon spacieux :
« Vois, mon fils, cette terre, immobile à tes yeux,
Plus que l'air, plus que l'onde et la flamme, est émue,
Car le germe de tout dans son ventre remue.
Dans ses flancs ténébreux, nuit et jour en rampant
Elle sent se plonger la racine, serpent
Qui s'abreuve aux ruisseaux des sèves toujours prêtes,
Et fouille et boit sans cesse avec ses mille têtes.
Mainte flamme y ruisselle, et tantôt lentement
Imbibe le cristal qui devient diamant,
Tantôt, dans quelque mine éblouissante et sombre,
Allume des monceaux d'escarboucles sans nombre,
Ou, s'échappant au jour, plus magnifique encor,
Au front du vieil Etna met une aigrette d'or.
Toujours l'intérieur de la terre travaille.
Son flanc universel incessamment tressaille.
Goutte à goutte, et sans bruit qui réponde à son bruit,
La source de tout fleuve y filtre dans la nuit.
Elle porte à la fois, sur sa face où nous sommes,
Les blés et les cités, les forêts et les hommes.
Vois, tout est vert au ****, tout rit, tout est vivant.
Elle livre le chêne et le brin d'herbe au vent.
Les fruits et les épis la couvrent à cette heure.
Eh bien ! déjà, tandis que ton regard l'effleure,
Dans son sein que n'épuise aucun enfantement,
Les futures moissons tremblent confusément.

« Ainsi travaille, enfant, l'âme active et féconde
Du poète qui crée et du soldat qui fonde.
Mais ils n'en font rien voir. De la flamme à pleins bords
Qui les brûle au dedans, rien ne luit au dehors.
Ainsi Napoléon, que l'éclat environne
Et qui fit tant de bruit en forgeant sa couronne,
Ce chef que tout célèbre et que pourtant tu vois,
Immobile et muet, passer sur le pavois,
Quand le peuple l'étreint, sent en lui ses pensées,
Qui l'étreignent aussi, se mouvoir plus pressées.

« Déjà peut-être en lui mille choses se font,
Et tout l'avenir germe en son cerveau profond.
Déjà, dans sa pensée immense et clairvoyante,
L'Europe ne fait plus qu'une France géante,
Berlin, Vienne, Madrid, Moscou, Londres, Milan,
Viennent rendre à Paris hommage une fois l'an,
Le Vatican n'est plus que le vassal du Louvre,
La terre à chaque instant sous les vieux trônes s'ouvre
Et de tous leurs débris sort pour le genre humain
Un autre Charlemagne, un autre globe en main.
Et, dans le même esprit où ce grand dessein roule,
Des bataillons futurs déjà marchent en foule,
Le conscrit résigné, sous un avis fréquent,
Se dresse, le tambour résonne au front du camp,
D'ouvriers et d'outils Cherbourg couvre sa grève,
Le vaisseau colossal sur le chantier s'élève,
L'obusier rouge encor sort du fourneau qui bout,
Une marine flotte, une armée est debout !
Car la guerre toujours l'illumine et l'enflamme,
Et peut-être déjà, dans la nuit de cette âme,
Sous ce crâne, où le monde en silence est couvé,
D'un second Austerlitz le soleil s'est levé ! »

Plus ****, une autre fois, je vis passer cet homme,
Plus grand dans son Paris que César dans sa Rome.
Des discours de mon père alors. je me souvins.
On l'entourait encor d'honneurs presque divins,
Et je lui retrouvai, rêveur à son passage,
Et la même pensée et le même visage.
Il méditait toujours son projet surhumain.
Cent aigles l'escortaient en empereur romain.
Ses régiments marchaient, enseignes déployées ;
Ses lourds canons, baissant leurs bouches essuyées,
Couraient, et, traversant la foule aux pas confus,
Avec un bruit d'airain sautaient sur leurs affûts.
Mais bientôt, au soleil, cette tête admirée
Disparut dans un flot de poussière dorée ;
Il passa. Cependant son nom sur la cité
Bondissait, des canons aux cloches rejeté ;
Son cortège emplissait de tumultes les rues ;
Et, par mille clameurs de sa présence accrues,
Par mille cris de joie et d'amour furieux,
Le peuple saluait ce passant glorieux.

Novembre 1830.
Écoutez ce que c'est que la femme adultère.

Sa joie est un tourment, sa douleur un mystère :

Dans son cœur dégradé que le crime avilit

Un autre a pris la place à l'époux réservée ;

D'impures voluptés elle s'est abreuvée ;

Un autre est venu dans son lit.


Dévorée au dedans d'une flamme cachée,

Toujours, devant les yeux son image attachée

Jusqu'aux bras d'un époux vient encor la troubler ;

Elle reste au logis des heures à l'attendre.

Prête l'oreille et dit, quand elle croit l'entendre,

A ses enfants de s'en aller.


Son complice ! des lois il brave la vengeance !

Qui pourrait, trahissant leur sourde intelligence,

Éveiller dans les cœurs le soupçon endormi ?

De son crime impuni le succès l'encourage,

La mère lui sourit, et l'époux qu'il outrage

L'embrasse en disant : mon ami.


Voici venir enfin l'heure tant retardée ;

Les voilà seuls, la porte est close et bien gardée :

Pourquoi cet air pensif, pourquoi cet œil distrait ?

Pourquoi toujours trembler et pâlir d'épouvante ?

Personne ne l'a vu monter, et la suivante

A reçu le prix du secret.


Dans un festin brillant le hasard les rassemble ;

Leurs sièges sont voisins. Que vont-ils dire ensemble ?

Quel sinistre bonheur dans leurs regards a lui !

Oh retiens les éclairs de ta prunelle ardente,

Garde de te trahir, et de boire, imprudente !

Dans la même coupe après lui !


Que dis-je ? Du mépris et de l'indifférence

Elle sait à son œil imposer l'apparence :

Un regard indiscret jamais ne révéla

De son cœur déchiré la sombre inquiétude.

Elle s'observe, et sait, à force d'habitude,

Rester froide quand il est là !


Ses tourments sont cachés à tous, soyez sans crainte ;

Aussi regardez-la sans gêne et sans contrainte

Répondre à vingt propos, sourire… oh si du moins,

Pour apaiser l'ardeur dont elle est embrasée,

Elle pouvait, auprès d'une obscure croisée,

L'avoir un instant sans témoins !


Sentir le bruit léger de sa robe froissée,

Dans les plis de satin sa jambe entrelacée,

Lui donner d'un regard l'heure du lendemain,

Et, dans ce tourbillon qui roule et qui l'emporte.

Lui dire… ou seulement debout, près de la porte,

En passant lui serrer la main !


Cependant, pas à pas, la vieillesse est venue

Troubler son cœur flétri d'une crainte inconnue.

Le prestige enivrant s'est enfin dissipé :

Il faut quitter l'amour, l'amour et son ivresse ;

Il faut se trouver seule et subir la tendresse

De cet homme qu'elle a trompé.
Je vois bien l'arbre aux pommes d'or
Prospérer dans vos prés humides ;
Mais cela n'en fait pas encor
Un vrai jardin des Hespérides.

La timide sécurité
N'avait pas de plus doux asile
Que le verger riche çt tranquille,
Par les fils d'Atlas habité.

**** du loup, la brebis, en joie,
Y bondissait parmi les fleurs,
Et de l'hyène aux yeux menteurs
Les agneaux n'étaient pas la proie.

L'honnête homme, sans passe-ports,
S'y promenait exempt d'alarmes.
Un dragon veillait au dehors ;
Mais au dedans pas de gendarmes.

Écrit à La Haye, en 1818.
Quand au temple nous serons
Agenouillés, nous ferons
Les dévots selon la guise
De ceux qui pour louer Dieu
Humbles se courbent au lieu
Le plus secret de l'église.

Mais quand au lit nous serons
Entrelacés, nous ferons
Les lascifs selon les guises
Des amants qui librement
Pratiquent folâtrement
Dans les draps cent mignardises.

Pourquoi donque, quand je veux
Ou mordre tes beaux cheveux,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans un cloître enfermée ?

Pour qui gardes-tu tes yeux
Et ton sein délicieux,
Ta joue et ta bouche belle ?
En veux-tu baiser Pluton
Là-bas, après que Charon
T'aura mise en sa nacelle ?

Après ton dernier trépas,
Grêle, tu n'auras là-bas
Qu'une bouchette blêmie ;
Et quand mort, je te verrais
Aux Ombres je n'avouerais
Que jadis tu fus m'amie.

Ton test n'aura plus de peau,
Ni ton visage si beau
N'aura veines ni artères :
Tu n'auras plus que les dents
Telles qu'on les voit dedans
Les têtes des cimeteres.

Donque, tandis que tu vis,
Change, maîtresse, d'avis,
Et ne m'épargne ta bouche :
Incontinent tu mourras,
Lors tu te repentiras
De m'avoir été farouche.

Ah, je meurs ! Ah, baise-moi !
Ah, maîtresse, approche-toi !
Tu fuis comme faon qui tremble.
Au moins souffre que ma main
S'ébatte un peu dans ton sein,
Ou plus bas, si bon te semble.
En vertu des pouvoirs qui leur sont conférés
Les muses réunies en conclave extraordinaire
Sous le très haut patronage de la révérende muse
Dérébénale
M'ont défait chevalier de la Calypso
Baron du Tiers-Ordre de l'Impénétrable
Avec pour mission expresse la Jouissance plénière
De l'Obéissance et de la Chasteté.
Ainsi investi de Toute Puissance
J'ai usé abusé de mes prérogatives
Pour adouber de mes oxymores
La virginité froissée des muses désabusées.
Or de même que ce n'est pas le bonheur
Mais la quête du bonheur qui nous vivifie
C'est non pas l'orgasme mais la quête de l'orgasme qui sanctifie les muses.
Les muses ne connaissent ni frustration
Ni dégoût ni appétence particulière.
Les muses ont toujours envie
Et offrent tous leurs orifices avides à l'exploration,
Au boire et au manger
Des poètes maudits.
C'est sans peur et sans reproches
Qu'elles cèdent et rient aux éclats
Sous les coups de boutoir des mots
Qui giclent au fond de leur labyrinthe
Et qui les fertilisent et les parfument
De leur piment infiniment précieux.
Les muses sont des hydres gourmandes 
À la fois clitoridiennes, anales
Buccales, vaginales, lustrales,
Visuelles, olfactives, auditives
Et zygomatiques
Et c'est en cela qu'elles sont en même temps inverties
Tendres et cruelles
En dedans et en dehors d'elles mêmes
Fatalement soumises à la passion
Et hystériquement libérées
Par effraction symbolique.
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or traînant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle,
Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela !
" Or tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la
Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres :
Le Chanoine au soleil filait des patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor
Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache
Nous fouaillaient. - Hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient plus ; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair.., nous avions un pourboire :
On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit ;
Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit. ...
" Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises.
Or n'est-ce pas joyeux de voir au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Énormes ? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse ?
De voir des blés, des blés, des épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?...
Oh ! plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on était certain de pouvoir prendre un peu,
Étant homme, à la fin ! de ce que donne Dieu !
- Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire !

" Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,
Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau,
Et me dise : Mon gars, ensemence ma terre ;
Que l'on arrive encor quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !
- Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux !... - Tu vois bien, c'est stupide.
Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons :
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirons : C'est bien : les pauvres à genoux !
Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous !
Et tu te soûleras, tu feras belle fête.
- Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête !

" Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière.
Cette bête suait du sang à chaque pierre
Et c'était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !

- Citoyen ! citoyen ! c'était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour.
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là...
Nous marchions au soleil, front haut, - comme cela, -
Dans Paris ! On venait devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles,
Sire, nous étions soûls de terribles espoirs :
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n'eûmes pas de haine,
- Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !

" Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Le tas des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris, noir marteau sur l'épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !
- Puis, tu peux y compter tu te feras des frais
Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins ! se disent : " Qu'ils sont sots ! "
Pour mitonner des lois, coller de petits pots
Pleins de jolis décrets roses et de droguailles,
S'amuser à couper proprement quelques tailles.
Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux,
- Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux ! -
Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes...,
C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes !
Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats
Et de ces ventres-dieux. Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,
Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses !... "
Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignant de bonnets rouges :
L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au roi pâle et suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !
" C'est la Crapule,
Sire. Ça bave aux murs, ça monte, ça pullule :
- Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle croit trouver du pain aux Tuileries !
- On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. - Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille :
C'est la crapule. - Un homme était à la Bastille,
Un autre était forçat : et tous deux, citoyens
Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur l'ait mal, allez ! C'est terrible, et c'est cause
Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez !
Crapule. - Là-dedans sont des filles, infâmes ,
Parce que, - vous saviez que c'est faible, les femmes, -
Messeigneurs de la cour, - que ça veut toujours bien, -
Vous avez craché sur l'âme, comme rien !
Vos belles, aujourd'hui, sont là. C'est la crapule.

" Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-là sentent crever leur front...
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir,
Où l'Homme forgera du matin jusqu'au soir
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,
Où, lentement vainqueur il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,
Plus ! - Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible :
Nous saurons ! - Nos marteaux en main, passons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour :
Et l'on travaillerait fièrement tout le jour
Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l'on se sentirait très heureux ; et personne,
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !
On aurait un fusil au-dessus du foyer...

" Oh ! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille !
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs
Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à l'heure
Je parlais de devoir calme, d'une demeure...
Regarde donc le ciel ! - C'est trop petit pour nous,
Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !
Regarde donc le ciel ! - Je rentre dans la foule,
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :
- Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés
- Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France
Poussent leurs régiments en habits de gala,
Eh bien, n'est-ce pas, vous tous ? - Merde à ces chiens-là ! "

- Il reprit son marteau sur l'épaule.
La foule
Près de cet homme-là se sentait l'âme soûle,
Et, dans la grande cour dans les appartements,
Où Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Bien que le roi ventru suât, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !
Pren ceste rose aimable comme toy,
Qui sers de rose aux roses les plus belles,
Qui sers de fleur aux fleurs les plus nouvelles,
Qui sers de Muse aux Muses et à moy.

Pren ceste rose, et ensemble reçoy
Dedans ton sein mon coeur qui n'a point d'ailes :
Il vit blessé de cent playes cruelles,
Opiniastre à garder trop sa foy.

La rose et moy differons d'une chose :
Un Soleil voit naistre et mourir la rose,
Mille Soleils ont veu naistre m'amour

Qui ne se passe, et jamais ne repose.
Que pleust à Dieu que mon amour éclose,
Comme une fleur, ne m'eust duré qu'un jour.
C'est une grande allée à deux rangs de tilleuls.
Les enfants, en plein jour, n'osent y marcher seuls,
Tant elle est haute, large et sombre.
Il y fait froid l'été presque autant que l'hiver ;
On ne sait quel sommeil en appesantit l'air,
Ni quel deuil en épaissit l'ombre.

Les tilleuls sont anciens ; leurs feuillages pendants
Font muraille au dehors et font voûte au dedans,
Taillés selon leurs vieilles formes ;
L'écorce en noirs lambeaux quitte leurs troncs fendus ;
Ils ressemblent, les bras l'un vers l'autre tendus,
À des candélabres énormes ;

Mais en haut, feuille à feuille, ils composent leur nuit :
Par les jours de soleil pas un caillou ne luit
Dans le sable dur de l'allée,
Et par les jours de pluie à peine l'on entend
Le dôme vert bruire, et, d'instant en instant,
Tomber une goutte isolée.

Tout au fond, dans un temple en treillis dont le bois,
Par la mousse pourri, plie et rompt sous le poids
De la vigne vierge et du lierre,
Un amour malin rit, et de son doigt cassé
Désigne encore au **** les cœurs du temps passé
Qu'ont meurtris ses flèches de pierre.

À toute heure on sent là les mystères du soir :
Autour de la statue impassible on croit voir
Deux à deux voltiger des flammes.
L'esprit du souvenir pleure en paix dans ces lieux ;
C'est là que, malgré l'âge et les derniers adieux,
Se donnent rendez-vous les âmes,

Les âmes de tous ceux qui se sont aimés là,
De tous ceux qu'en avril le dieu jeune appela
Sous les roses de sa tonnelle ;
Et sans cesse vers lui montent ces pauvres morts ;
Ils viennent, n'ayant plus de lèvres comme alors,
S'unir sur sa bouche éternelle.
C'était du temps que j'étais jeune ;
Je maigrissais ; rien ne maigrit
Comme cette espèce de jeûne
Qu'on appelle nourrir l'esprit.

J'étais devenu vieux, timide,
Et jaune comme un parchemin,
À l'ombre de la pyramide
Des bouquins de l'esprit humain.

Tous ces tomes que l'âge rogne
Couvraient ma planche et ma cloison.
J'étais parfois comme un ivrogne
Tant je m'emplissais de raison.

Cent bibles encombraient ma table ;
Cent systèmes étaient dedans ;
On eût, par le plus véritable,
Pu se faire arracher les dents.

Un jour que je lisais Jamblique,
Callinique, Augustin, Plotin,
Un nain tout noir à mine oblique
Parut et me dit en latin :

- « Ne va pas plus ****. Jette l'ancre,
« Fils, contemple en moi ton ancien,
« Je m'appelle Bouteille-à-l'encre ;
« Je suis métaphysicien.

« Ton front fait du tort à ton ventre.
« Je viens te dire le fin mot
« De tous ces livres où l'on entre
« Jocrisse et d'où l'on sort grimaud.

« Amuse-toi. Sois jeune, et digne
« De l'aurore et des fleurs. Isis
« Ne donnait pas d'autre consigne
« Aux sages que l'ombre a moisis.

« Un verre de vin sans litharge
« Vaut mieux, quand l'homme le boit pur,
« Que tous ces tomes dont la charge
« Ennuie énormément ton mur.

« Une bamboche à la Chaumière,
« D'où l'on éloigne avec soin l'eau,
« Contient cent fois plus de lumière
« Que Longin traduit par Boileau.

« Hermès avec sa bandelette
« Occupe ton coeur grave et noir ;
« Bacon est le livre où s'allaite
« Ton esprit, marmot du savoir.

« Si Ninette, la giletière,
« Veut la bandelette d'Hermès
« Pour s'en faire une jarretière,
« Donne-la-lui sans dire mais.

« Si Fanchette ou Landerirette
« Prend dans ton Bacon radieux
« Du papier pour sa cigarette,
« Fils des muses, rends grâce aux dieux.

« Veille, étude, ennui, patience,
« Travail, cela brûle les yeux ;
« L'unique but de la science
« C'est d'être immensément joyeux.

« Le vrai savant cherche et combine
« Jusqu'à ce que de son bouquin
« Il jaillisse une Colombine
« Qui l'accepte pour Arlequin.

« Maxime : N'être point morose,
« N'être pas bête, tout goûter,
« Dédier son nez à la rose,
« Sa bouche à la femme, et chanter.

« Les anciens vivaient de la sorte ;
« Mais vous êtes dupes, vous tous,
« De la fausse barbe que porte
« Le profil grec de ces vieux fous.

« Fils, tous ces austères visages
« Sur les plaisirs étaient penchés.
« L'homme ayant inventé sept sages,
« Le bon Dieu créa sept péchés.

« Ô docteurs, comme vous rampâtes !
« Campaspe est nue en son grenier
« Sur Aristote à quatre pattes ;
« L'esprit a l'amour pour ânier.

« Grâce à l'amour, Socrate est chauve.
« L'amour d'Homère est le bâton.
« Phryné rentrait dans son alcôve
« En donnant le bras à Platon.

« Salomon, repu de mollesses,
« Étudiant les tourtereaux,
« Avait juste autant de drôlesses
« Que Léonidas de héros.

« Sénèque, aujourd'hui sur un socle,
« Prenait Chloé sous le menton.
« Fils, la sagesse est un binocle
« Braqué sur Minerve et Goton.

« Les nymphes n'étaient pas des ourses,
« Horace n'était pas un loup ;
« Lise aujourd'hui se baigne aux sources,
« Et Tibur s'appelle Saint-Cloud.

« Les arguments dont je te crible
« Te sauveront, toi-même aidant,
« De la stupidité terrible,
« Robe de pierre du pédant.

« Guette autour de toi si quelque être
« Ne sourit pas innocemment ;
« Un chant dénonce une fenêtre,
« Un *** de fleurs cherche un amant.

« La grisette n'est point difforme,
« On donne aux noirs soucis congé
« Pour peu que le soir on s'endorme
« Sur un oreiller partagé.

« Aime. C'est ma dernière botte.
« Et je mêle à mes bons avis
« Cette fillette qui jabote
« Dans la mansarde vis-à-vis. »

Or je n'écoutai point ce drôle,
Et je le chassai. Seulement,
Aujourd'hui que sur mon épaule
Mon front penche, pâle et clément,

Aujourd'hui que mon oeil plus blême
Voit la griffe du sphinx à nu,
Et constate au fond du problème
Plus d'infini, plus d'inconnu,

Aujourd'hui que, hors des ivresses,
Près des mers qui vont m'abîmer,
Je regarde sur les sagesses
Les religions écumer,

Aujourd'hui que mon esprit sombre
Voit sur les dogmes, flot changeant,
L'épaisseur croissante de l'ombre,
Ô ciel bleu, je suis indulgent

Quand j'entends, dans le vague espace
Où toujours ma pensée erra,
Une belle fille qui passe
En chantant traderidera.
Il ne faut plus courir à travers les bruyères,
Enfant, ni sans congé vous hasarder au ****.
Vous êtes très petit, et vous avez besoin
Que l'on vous aide encore à dire vos prières.
Que feriez-vous aux champs, si vous étiez perdu ?
Si vous ne trouviez plus le sentier du village ?
On dirait : « Quoi, si jeune, il est mort ? c'est dommage ! »
Vous crierez... De si **** seriez-vous entendu ?
Vos petits compagnons, à l'heure accoutumée,
Danseraient à la porte et chanteraient tout bas ;
Il faudrait leur répondre, en la tenant fermée :
« Une mère est malade, enfants, ne chantez pas ! »
Et vos cris rediraient : « Ô ma mère ! ô ma mère ! »
L'écho vous répondrait, l'écho vous ferait peur.
L'herbe humide et la nuit vous transiraient le coeur.
Vous n'auriez à manger que quelque plante amère ;
Point de lait, point de lit !... Il faudrait donc mourir ?
J'en frissonne ! et vraiment ce tableau fait frémir.
Embrassons-nous, je vais vous conter une histoire ;
Ma tendresse pour vous éveille ma mémoire.

« Il était un berger, veillant avec amour
Sur des agneaux chéris, qui l'aimaient à leur tour.
Il les désaltérait dans une eau claire et saine,
Les baignait à la source, et blanchissait leur laine ;
Du serpolet, du thym, parfumait leurs repas ;
Des plus faibles encor guidait les premiers pas ;
D'un ruisseau quelquefois permettait l'escalade.
Si l'un d'eux, au retour, traînait un pied malade,
Il était dans ses bras tout doucement porté ;
Et, la nuit, sur son lit, dormait à son côté ;
Réveillés le matin par l'aurore vermeille,
Il leur jouait des airs à captiver l'oreille ;
Plus ****, quand ils broutaient leur souper sous ses yeux,
Aux sons de sa musette il les rendait joyeux.
Enfin il renfermait sa famille chérie
Dedans la bergerie.
Quand l'ombre sur les champs jetait son manteau noir,
Il leur disait : « Bonsoir,
Chers agneaux ! sans danger reposez tous ensemble ;
L'un par l'autre pressés, demeurez chaudement ;
Jusqu'à ce qu'un beau jour se lève et nous rassemble,
Sous la garde des chiens dormez tranquillement. »

Les chiens rôdaient alors, et le pasteur sensible
Les revoyait heureux dans un rêve paisible.
Eh ! ne l'étaient-ils pas ? Tous bénissaient leur sort,
Excepté le plus jeune ; hardi, malin, folâtre,
Des fleurs, du miel, des blés et des bois idolâtre,
Seul il jugeait tout bas que son maître avait tort.

Un jour, riant d'avance, et roulant sa chimère,
Ce petit fou d'agneau s'en vint droit à sa mère,
Sage et vieille brebis, soumise au bon pasteur.
« Mère ! écoutez, dit-il : d'où vient qu'on nous enferme ?
Les chiens ne le sont pas, et j'en prends de l'humeur.
Cette loi m'est trop dure, et j'y veux mettre un terme.
Je vais courir partout, j'y suis très résolu.
Le bois doit être beau pendant le clair de lune :
Oui, mère, dès ce soir je veux tenter fortune :
Tant pis pour le pasteur, c'est lui qui l'a voulu. »

- « Demeurez, mon agneau, dit la mère attendrie ;
Vous n'êtes qu'un enfant, bon pour la bergerie ;
Restez-y près de moi ! Si vous voulez partir,
Hélas ! j'ose pour vous prévoir un repentir. »

- « J'ose vous dire non ; cria le volontaire... »
Un chien les obligea tous les deux à se taire.

Quand le soleil couchant au parc les rappela,
Et que par flots joyeux le troupeau s'écoula,
L'agneau sous une haie établit sa cachette ;
Il avait finement détaché sa clochette.
Dès que le parc fut clos, il courut à l'entour,
Il jouait, gambadait, sautait à perdre haleine.
« Je voyage, dit-il, je suis libre à mon tour !
Je ris, je n'ai pas peur ; la lune est claire et pleine :
Allons au bois, dansons, broutons ! » Mais, par malheur,
Des loups pour leurs enfants cherchaient alors curée :
Un peu de laine, hélas ! sanglante et déchirée,
Fut tout ce que le vent daigna rendre au pasteur.
Jugez comme il fut triste, à l'aube renaissante !
Jugez comme on plaignit la mère gémissante !
« Quoi ! ce soir, cria-t-elle, on nous appellera,
Et ce soir... et jamais l'agneau ne répondra ! »
En l'appelant en vain elle affligea l'Aurore ;
Le soir elle mourut en l'appelant encore.
Enter your collective and inner consciousness
Seek, deep inside, the energies within.
Take a deep breath and expect this rebirth
That this new era is slowly paving in
Be a part of this revolution. Breathe in.

Pénètre ta conscience collective et unique
Cherche, au plus profond, les énergies cachées
Respire profondément et espère cette renaissance
Que cette période est en train de mettre en place doucement
Fais partie de cette révolution. Respire.

Your body is light as a feather
Floating on a silver river
A delicate cherry-blossom petal
Trusting the wind to propel it forward
To the edges of eternity, for this voyage

Ton corps est aussi léger qu’une plume
Flottant sur une rivière argentée
Telle une délicate fleur de cerisier
Qui fait confiance au vent pour la mener à bon port
Aux confins de l’espace-temps, pour ce voyage.


Birds of a rare rainbow plumage hum a prayer
A song of gratitude and joy
Your eyes marvel at the sight
Of this inner zen garden, made home

Des oiseaux dotés d’un rare plumage arc-en-ciel
Murmurent une prière
Un chant de gratitude et de joie
Tes yeux s’émerveillent à la vue
De ce jardin zen intérieur, fait tien.

Emerald-hued bamboos form a cathedral
Of protection and wisdom that you pass
Cradled by the fresh stream on which you rest
Light, free, you continue your journey deeper

Des bambous de la teinte d’une émeraude forment une cathédrale
De protection et de sagesse que tu découvres maintenant
Bercé par le frais courant sur lequel tu te trouves
Libre et léger, tu continues ton voyage profondément

And deeper, moved back and forth by nature
A vivid orange koi carp salutes you, undulating
You feel her breath create air bubbles underneath you
And from within, you become a calming mantra

Au plus profond, te mouvant par la nature
Une carpe koï aux vives écailles orange te salue, ondulant
Tu sens son souffle qui crée des bulles d’air en-dessous de toi
Et, de l’intérieur, tu deviens un mantra apaisant

Resonating throughout this luxuriant garden
Alone and well, encountering your own self
Meditating in a pure, regenerative slumber
Stay there, don’t come back up into the world

Qui résonne à travers ce jardin luxuriant
Tu y es seul(e) et tu y es bien, rencontrant ton être propre
En méditation, dans un sommeil pur et réparateur
Restes-y, ne remonte pas dans le monde

For a few more instants of silence and unity
With nature and everything that vibrates within
You are carried to a waterfall of turquoise waters
Become part of this whole, color your own soul

Pour quelques instants de plus de silence et d’unité
Avec la nature et tout ce qui vibre en dedans
Tu es porté(e) jusqu’à une cascade aux eaux limpides
Deviens une partie de ce tout, colore ta propre âme

Vibrate an echo that is yours only. Let it resonate
As you come back up refreshed. Throughout the Earth
Be a channel of joy and happiness for the planet
And close your eyes, go back, to this enchanted place.

Vibre un écho qui te définit. Laisse-le résonner.
Alors que tu remontes, rassasié. Autour de toute la Terre
Sois ce canal de joie et de bonheur pour la planète entière
Et ferme les yeux, retourne, vers cet endroit enchanté.

Nancy, April 15, 2020. 12 :45 pm. 15 Avril 2020, 12h 45.
This poem didn't receive that many an edit. I wanted to really capture the stream of my meditative thought. It first came to me in English, I translated the stanza in French just underneath.
Ce poème n'a pas fait l'objet de tant de modifications. Je voulais qu'il traduise le flux de ma pensée méditative. Il m'est d'abord venu en anglais,  tout est traduit en dessous de chaque strophe.
Qui peut en ce moment où Dieu peut-être échoue,
Deviner
Si c'est du côté sombre ou joyeux que la roue
Va tourner ?

Qu'est-ce qui va sortir de ta main qui se voile,
Ô destin ?
Sera-ce l'ombre infâme et sinistre, ou l'étoile
Du matin ?

Je vois en même temps le meilleur et le pire ;
Noir tableau !
Car la France mérite Austerlitz, et l'empire
Waterloo.

J'irai, je rentrerai dans ta muraille sainte,
Ô Paris !
Je te rapporterai l'âme jamais éteinte
Des proscrits.

Puisque c'est l'heure où tous doivent se mettre à l'oeuvre,
Fiers, ardents,
Écraser au dehors le tigre, et la couleuvre
Au dedans ;

Puisque l'idéal pur, n'ayant pu nous convaincre,
S'engloutit ;
Puisque nul n'est trop grand pour mourir, ni pour vaincre
Trop petit ;

Puisqu'on voit dans les cieux poindre l'aurore noire
Du plus fort ;
Puisque tout devant nous maintenant est la gloire
Ou la mort ;

Puisqu'en ce jour le sang ruisselle, les toits brûlent,
Jour sacré !
Puisque c'est le moment où les lâches reculent,
J'accourrai.

Et mon ambition, quand vient sur la frontière
L'étranger,
La voici : part aucune au pouvoir, part entière
Au danger.

Puisque ces ennemis, hier encor nos hôtes,
Sont chez nous,
J'irai, je me mettrai, France, devant tes fautes
À genoux !

J'insulterai leurs chants, leurs aigles noirs, leurs serres,
Leurs défis ;
Je te demanderai ma part de tes misères,
Moi ton fils.

Farouche, vénérant, sous leurs affronts infâmes,
Tes malheurs,
Je baiserai tes pieds, France, l'oeil plein de flammes
Et de pleurs.

France, tu verras bien qu'humble tête éclipsée
J'avais foi,
Et que je n'eus jamais dans l'âme une pensée
Que pour toi.

Tu me permettras d'être en sortant des ténèbres
Ton enfant ;
Et tandis que rira ce tas d'hommes funèbres
Triomphant,

Tu ne trouveras pas mauvais que je t'adore,
En priant,
Ébloui par ton front invincible, que dore
L'Orient.

Naguère, aux jours d'orgie où l'homme joyeux brille,
Et croit peu,
Pareil aux durs sarments desséchés où pétille
Un grand feu,

Quand, ivre de splendeur, de triomphe et de songes,
Tu dansais
Et tu chantais, en proie aux éclatants mensonges
Du succès,

Alors qu'on entendait ta fanfare de fête
Retentir,
Ô Paris, je t'ai fui comme noir prophète
Fuyait Tyr.

Quand l'empire en Gomorrhe avait changé Lutèce,
Morne, amer,
Je me suis envolé dans la grande tristesse
De la mer.

Là, tragique, écoutant ta chanson, ton délire,
Bruits confus,
J'opposais à ton luxe, à ton rève, à ton rire,
Un refus.

Mais aujourd'hui qu'arrive avec sa sombre foule
Attila,
Aujourd'hui que le monde autour de toi s'écroule,
Me voilà.

France, être sur ta claie à l'heure où l'on te traîne
Aux cheveux,
Ô ma mère, et porter mon anneau de ta chaîne,
Je le veux !

J'accours, puisque sur toi la bombe et la mitraille
Ont craché ;
Tu me regarderas debout sur ta muraille,
Ou couché.

Et peut-être, en la terre où brille l'espérance,
Pur flambeau,
Pour prix de mon exil, tu m'accorderas, France,
Un tombeau.

Bruxelles, 31 août 1870.
Ces liens d'or, cette bouche vermeille,
Pleine de lis, de roses et d'oeillets,
Et ces coraux chastement vermeillets,
Et cette joue à l'Aurore pareille ;

Ces mains, ce col, ce front, et cette oreille,
Et de ce sein les boutons verdelets,
Et de ces yeux les astres jumelés,
Qui font trembler les âmes de merveille,

Firent nicher Amour dedans mon sein,
Qui gros de germe avait le ventre plein
D'œufs non formés qu'en notre sang il couve.

Comment vivrai-je autrement qu'en langueur,
Quand une engeance immortelle je trouve
D'Amours éclos et couvés en mon cœur ?

— The End —