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L'hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,
Débris où n'est plus l'homme, où la vie est toujours ;
La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée,
La forêt sombre et fraîche et l'épaisse ramée,
La mousse, et, dans les noeuds des branches, les doux toits
Qu'en se superposant font les feuilles des bois.
Ainsi fait l'oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville,
Le coin désert, l'abri solitaire et tranquille.
Le seuil qui n'a pas d'yeux obliques et méchants,
La rue où les volets sont fermés ; dans les champs,
Nous cherchons le sentier du pâtre et du poète ;
Dans les bois, la clairière inconnue et muette
Où le silence éteint les bruits lointains et sourds.
L'oiseau cache son nid, nous cachons nos amours.

Fontainebleau, juin 18...
À Mme de P*.

Il est pour la pensée une heure... une heure sainte,
Alors que, s'enfuyant de la céleste enceinte,
De l'absence du jour pour consoler les cieux,
Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux.
On voit à l'horizon sa lueur incertaine,
Comme les bords flottants d'une robe qui traîne,
Balayer lentement le firmament obscur,
Où les astres ternis revivent dans l'azur.
Alors ces globes d'or, ces îles de lumière,
Que cherche par instinct la rêveuse paupière,
Jaillissent par milliers de l'ombre qui s'enfuit
Comme une poudre d'or sur les pas de la nuit ;
Et le souffle du soir qui vole sur sa trace,
Les sème en tourbillons dans le brillant espace.
L'oeil ébloui les cherche et les perd à la fois ;
Les uns semblent planer sur les cimes des bois,
Tel qu'un céleste oiseau dont les rapides ailes
Font jaillir en s'ouvrant des gerbes d'étincelles.
D'autres en flots brillants s'étendent dans les airs,
Comme un rocher blanchi de l'écume des mers ;
Ceux-là, comme un coursier volant dans la carrière,
Déroulent à longs plis leur flottante crinière ;
Ceux-ci, sur l'horizon se penchant à demi,
Semblent des yeux ouverts sur le monde endormi,
Tandis qu'aux bords du ciel de légères étoiles
Voguent dans cet azur comme de blanches voiles
Qui, revenant au port, d'un rivage lointain,
Brillent sur l'Océan aux rayons du matin.

De ces astres brillants, son plus sublime ouvrage,
Dieu seul connaît le nombre, et la distance, et l'âge ;
Les uns, déjà vieillis, pâlissent à nos yeux,
D'autres se sont perdus dans les routes des cieux,
D'autres, comme des fleurs que son souffle caresse,
Lèvent un front riant de grâce et de jeunesse,
Et, charmant l'Orient de leurs fraîches clartés,
Etonnent tout à coup l'oeil qui les a comptés.
Dans la danse céleste ils s'élancent... et l'homme,
Ainsi qu'un nouveau-né, les salue, et les nomme.
Quel mortel enivré de leur chaste regard,
Laissant ses yeux flottants les fixer au hasard,
Et cherchant le plus pur parmi ce choeur suprême,
Ne l'a pas consacré du nom de ce qu'il aime ?
Moi-même... il en est un, solitaire, isolé,
Qui, dans mes longues nuits, m'a souvent consolé,
Et dont l'éclat, voilé des ombres du mystère,
Me rappelle un regard qui brillait sur la terre.
Peut-être ?... ah ! puisse-t-il au céleste séjour
Porter au moins ce nom que lui donna l'Amour !

Cependant la nuit marche, et sur l'abîme immense
Tous ces mondes flottants gravitent en silence,
Et nous-même, avec eux emportés dans leur cours
Vers un port inconnu nous avançons toujours !
Souvent, pendant la nuit, au souffle du zéphire,
On sent la terre aussi flotter comme un navire.
D'une écume brillante on voit les monts couverts
Fendre d'un cours égal le flot grondant des airs ;
Sur ces vagues d'azur où le globe se joue,
On entend l'aquilon se briser sous la proue,
Et du vent dans les mâts les tristes sifflements,
Et de ses flancs battus les sourds gémissements ;
Et l'homme sur l'abîme où sa demeure flotte
Vogue avec volupté sur la foi du pilote !
Soleils ! mondes flottants qui voguez avec nous,
Dites, s'il vous l'a dit, où donc allons-nous tous ?
Quel est le port céleste où son souffle nous guide ?
Quel terme assigna-t-il à notre vol rapide ?
Allons-nous sur des bords de silence et de deuil,
Echouant dans la nuit sur quelque vaste écueil,
Semer l'immensité des débris du naufrage ?
Ou, conduits par sa main sur un brillant rivage,
Et sur l'ancre éternelle à jamais affermis,
Dans un golfe du ciel aborder endormis ?

Vous qui nagez plus près de la céleste voûte,
Mondes étincelants, vous le savez sans doute !
Cet Océan plus pur, ce ciel où vous flottez,
Laisse arriver à vous de plus vives clartés ;
Plus brillantes que nous, vous savez davantage ;
Car de la vérité la lumière est l'image !
Oui : si j'en crois l'éclat dont vos orbes errants
Argentent des forêts les dômes transparents,
Qui glissant tout à coup sur des mers irritées,
Calme en les éclairant les vagues agitées ;
Si j'en crois ces rayons dont le sensible jour
Inspire la vertu, la prière, l'amour,
Et quand l'oeil attendri s'entrouvre à leur lumière,
Attirent une larme au bord de la paupière ;
Si j'en crois ces instincts, ces doux pressentiments
Qui dirigent vers nous les soupirs des amants,
Les yeux de la beauté, les rêves qu'on regrette,
Et le vol enflammé de l'aigle et du poète !
Tentes du ciel, Edens ! temples! brillants palais !
Vous êtes un séjour d'innocence et de paix !
Dans le calme des nuits, à travers la distance,
Vous en versez sur nous la lointaine influence !
Tout ce que nous cherchons, l'amour, la vérité,
Ces fruits tombés du ciel dont la terre a goûté,
Dans vos brillants climats que le regard envie
Nourrissent à jamais les enfants de la vie,
Et l'homme, un jour peut-être à ses destins rendu,
Retrouvera chez vous tout ce qu'il a perdu ?
Hélas ! combien de fois seul, veillant sur ces cimes
Où notre âme plus libre a des voeux plus sublimes,
Beaux astres ! fleurs du ciel dont le lis est jaloux,
J'ai murmuré tout bas : Que ne suis-je un de vous ?
Que ne puis-je, échappant à ce globe de boue,
Dans la sphère éclatante où mon regard se joue,
Jonchant d'un feu de plus le parvis du saint lieu,
Eclore tout à coup sous les pas de mon Dieu,
Ou briller sur le front de la beauté suprême,
Comme un pâle fleuron de son saint diadème ?

Dans le limpide azur de ces flots de cristal,
Me souvenant encor de mon globe natal,
Je viendrais chaque nuit, tardif et solitaire,
Sur les monts que j'aimais briller près de la terre ;
J'aimerais à glisser sous la nuit des rameaux,
A dormir sur les prés, à flotter sur les eaux ;
A percer doucement le voile d'un nuage,
Comme un regard d'amour que la pudeur ombrage :
Je visiterais l'homme ; et s'il est ici-bas
Un front pensif, des yeux qui ne se ferment pas,
Une âme en deuil, un coeur qu'un poids sublime oppresse,
Répandant devant Dieu sa pieuse tristesse ;
Un malheureux au jour dérobant ses douleurs
Et dans le sein des nuits laissant couler ses pleurs,
Un génie inquiet, une active pensée
Par un instinct trop fort dans l'infini lancée ;
Mon rayon pénétré d'une sainte amitié
Pour des maux trop connus prodiguant sa pitié,
Comme un secret d'amour versé dans un coeur tendre,
Sur ces fronts inclinés se plairait à descendre !
Ma lueur fraternelle en découlant sur eux
Dormirait sur leur sein, sourirait à leurs yeux :
Je leur révélerais dans la langue divine
Un mot du grand secret que le malheur devine ;
Je sécherais leurs pleurs ; et quand l'oeil du matin
Ferait pâlir mon disque à l'horizon lointain,
Mon rayon en quittant leur paupière attendrie
Leur laisserait encor la vague rêverie,
Et la paix et l'espoir ; et, lassés de gémir,
Au moins avant l'aurore ils pourraient s'endormir !

Et vous, brillantes soeurs! étoiles, mes compagnes,
Qui du bleu firmament émaillez les campagnes,
Et cadençant vos pas à la lyre des cieux,
Nouez et dénouez vos choeurs harmonieux !
Introduit sur vos pas dans la céleste chaîne,
Je suivrais dans l'azur l'instinct qui vous entraîne,
Vous guideriez mon oeil dans ce brillant désert,
Labyrinthe de feux où le regard se perd !
Vos rayons m'apprendraient à louer, à connaître
Celui que nous cherchons, que vous voyez peut-être !
Et noyant dans son sein mes tremblantes clartés,
Je sentirais en lui.., tout ce que vous sentez !
Quand je rêve sur la falaise,
Ou dans les bois, les soirs d'été,
Sachant que la vie est mauvaise,
Je contemple l'éternité.

A travers mon sort mêlé d'ombres,
J'aperçois Dieu distinctement,
Comme à travers des branches sombres
On entrevoit le firmament !

Le firmament ! où les faux sages
Cherchent comme nous des conseils !
Le firmament plein de nuages,
Le firmament plein de soleils !

Un souffle épure notre fange.
Le monde est à Dieu, je le sens.
Toute fleur est une louange,
Et tout parfum est un encens.

La nuit on croit sentir Dieu même
Penché sur l'homme palpitant.
La terre prie et le ciel aime.
Quelqu'un parle et quelqu'un entend.

Pourtant, toujours à notre extase,
Ô Seigneur, tu te dérobas ;
Hélas ! tu mets là-haut le vase,
Et tu laisses la lèvre en bas !

Mais un jour ton œuvre profonde,
Nous la saurons, Dieu redouté !
Nous irons voir de monde en monde
S'épanouir ton unité ;

Cherchant dans ces cieux que tu règles
L'ombre de ceux que nous aimons,
Comme une troupe de grands aigles
Qui s'envole à travers les monts !

Car, lorsque la mort nous réclame,
L'esprit des sens brise le sceau.
Car la tombe est un nid où l'âme
Prend des ailes comme l'oiseau !

Ô songe ! ô vision sereine !
Nous saurons le secret de tout,
Et ce rayon qui sur nous traîne,
Nous en pourrons voir l'autre bout !

Ô Seigneur ! l'humble créature
Pourra voir enfin à son tour
L'autre côté de la nature
Sur lequel tombe votre jour !

Nous pourrons comparer, poètes,
Penseurs croyant en nos raisons,
A tous les mondes que vous faites
Tous les rêves que nous faisons !




En attendant, sur cette terre,
Nous errons, troupeau désuni,
Portant en nous ce grand mystère :
Œil borné, regard infini.

L'homme au hasard choisit sa route ;
Et toujours, quoi que nous fassions,
Comme un bouc sur l'herbe qu'il broute,
Vit courbé sur ses passions.

Nous errons, et dans les ténèbres,
Allant où d'autres sont venus,
Nous entendons des voix funèbres
Qui disent des mots inconnus.

Dans ces ombres où tout s'oublie,
Vertu, sagesse, espoir, honneur,
L'un va criant : Élie ! Élie !
L'autre appelant : Seigneur ! Seigneur !

Hélas ! tout penseur semble avide
D'épouvanter l'homme orphelin ;
Le savant dit : Le ciel est vide !
Le prêtre dit : L'enfer est plein !

Ô deuil ! médecins sans dictames,
Vains prophètes aux yeux déçus,
L'un donne Satan à nos âmes,
L'autre leur retire Jésus !

L'humanité, sans loi, sans arche,
Suivant son sentier desséché,
Est comme un voyageur qui marche
Après que le jour est couché.

Il va ! la brume est sur la plaine.
Le vent tord l'arbre convulsif.
Les choses qu'il distingue à peine
Ont un air sinistre et pensif.

Ainsi, parmi de noirs décombres,
Dans ce siècle le genre humain
Passe et voit des figures sombres
Qui se penchent sur son chemin.

Nous, rêveurs, sous un toit qui croule,
Fatigués, nous nous abritons,
Et nous regardons cette foule
Se plonger dans l'ombre à tâtons !


*

Et nous cherchons, souci morose !
Hélas ! à deviner pour tous
Le problème que nous propose
Toute cette ombre autour de nous !

Tandis que, la tête inclinée,
Nous nous perdons en tristes vœux,
Le souffle de la destinée
Frissonne à travers nos cheveux.

Nous entendons, race asservie,
Ce souffle passant dans la nuit
Du livre obscur de notre vie
Tourner les pages avec bruit !

Que faire ? - À ce vent de la tombe,
Joignez les mains, baissez les yeux,
Et tâchez qu'une lueur tombe
Sur le livre mystérieux !

- D'où viendra la lueur, ô père ?
Dieu dit : - De vous, en vérité.
Allumez, pour qu'il vous éclaire,
Votre cœur par quelque côté !

Quand le cœur brûle, on peut sans crainte
Lire ce qu'écrit le Seigneur.
Vertu, sous cette clarté sainte,
Est le même mot que Bonheur.

Il faut aimer ! l'ombre en vain couvre
L'œil de notre esprit, quel qu'il soit.
Croyez, et la paupière s'ouvre !
Aimez, et la prunelle voit !

Du haut des cieux qu'emplit leur flamme,
Les trop lointaines vérités
Ne peuvent au livre de l'âme
Jeter que de vagues clartés.

La nuit, nul regard ne sait lire
Aux seuls feux des astres vermeils ;
Mais l'amour près de nous vient luire,
Une lampe aide les soleils.

Pour que, dans l'ombre où Dieu nous mène,
Nous puissions lire à tous moments,
L'amour joint sa lumière humaine
Aux célestes rayonnements !

Aimez donc ! car tout le proclame,
Car l'esprit seul éclaire peu,
Et souvent le cœur d'une femme
Est l'explication de Dieu !


* *

Ainsi je rêve, ainsi je songe,
Tandis qu'aux yeux des matelots
La nuit sombre à chaque instant plonge
Des groupes d'astres dans les flots !

Moi, que Dieu tient sous son empire,
J'admire, humble et religieux,
Et par tous les pores j'aspire
Ce spectacle prodigieux !

Entre l'onde, des vents bercée,
Et le ciel, gouffre éblouissant,
Toujours, pour l'œil de la pensée,
Quelque chose monte ou descend.

Goutte d'eau pure ou jet de flamme,
Ce verbe intime et non écrit
Vient se condenser dans mon âme
Ou resplendir dans mon esprit ;

Et l'idée à mon cœur sans voile,
A travers la vague ou l'éther,
Du fond des cieux arrive étoile,
Ou perle du fond de la mer !

Le 25 août 1839.
Viens, si tu veux rêver d'amour,

Viens tresser ta couronne au fond de la campagne :

Voici l'heure, hâtons-nous, ô ma jeune compagne !

Les songes dans les fleurs se cachent tout le jour.


De leurs frêles prisons vont sortir les mensonges ;

Le rêve d'une vierge est dans le frais jasmin :

Hâtons-nous de cueillir et les fleurs et les songes,

Les songes et les fleurs ne seront plus demain.


Viens chercher le fragile espoir,

L'amandier le balance en sa fleur argentée :

Viens ! nous le saisirons sur la tige agitée ;

Dans un rêve d'amour il est doux de le voir.


De leurs frêles prisons vont sortir les mensonges ;

Le rêve d'une vierge est dans le frais jasmin.

Hâtons-nous de cueillir et les fleurs et les songes,

Les songes et les fleurs ne seront plus demain.


Ne pose jamais sur ton sein

L'effroi du meurtrier, la sombre mandragore ;

De sa tige brisée un cri s'échappe encore,

Avec le rêve affreux qui poursuit l'assassin.


De leurs frêles prisons vont sortir les mensonges ;

Le rêve d'une vierge est dans le frais jasmin :

Hâtons-nous de cueillir et les fleurs et les songes,

Les songes et les fleurs ne seront plus demain.


Cherchons celui qui vient des cieux ;

Il console en dormant la douleur méprisée :

Des larmes de la nuit la vanille arrosée

Parfume son sourire et son vol gracieux.


De leurs frêles prisons vont sortir les mensonges ;

Le rêve d'une vierge est dans le frais jasmin :

Hâtons-nous de cueillir et les fleurs et les songes,

Les songes et les fleurs ne seront plus demain.
Viens, cherchons cette ombre propice
Jusqu'à l'heure où de ce séjour
Les fleurs fermeront leur calice
Aux regards languissants du jour.
Voilà ton ciel, ô mon étoile !
Soulève, oh ! soulève ce voile,
Éclaire la nuit de ces lieux ;
Parle, chante, rêve, soupire,
Pourvu que mon regard attire
Un regard errant de tes yeux.

Laisse-moi parsemer de roses
La tendre mousse où tu t'assieds,
Et près du lit où tu reposes
Laisse-moi m'asseoir à tes pieds.
Heureux le gazon que tu foules,
Et le bouton dont tu déroules
Sous tes doigts les fraîches couleurs !
Heureuses ces coupes vermeilles
Que pressent tes lèvres, pareilles
Aux frelons qui tètent les fleurs !

Si l'onde des lis que tu cueilles
Roule les calices flétris,
Des tiges que ta bouche effeuille
Si le vent m'apporte un débris,
Si ta bouche qui se dénoue
Vient, en ondulant sur ma joue,
De ma lèvre effleurer le bord ;
Si ton souffle léger résonne,
Je sens sur mon front qui frissonne
Passer les ailes de la mort.

Souviens-toi de l'heure bénie
Où les dieux, d'une tendre main,
Te répandirent sur ma vie
Comme l'ombre sur le chemin.
Depuis cette heure fortunée,
Ma vie à ta vie enchaînée,
Qui s'écoule comme un seul jour,
Est une coupe toujours pleine,
Où mes lèvres à longue haleine
Puisent l'innocence et l'amour.

Ah ! lorsque mon front qui s'incline
Chargé d'une douce langueur,
S'endort bercé sur ta poitrine
Par le mouvement de ton coeur...
I.

Douce Vierge Marie, humble mère de Dieu
Que tout le ciel contemple,
Vous qui fûtes un lys debout dans l'encens bleu
Sur les marches du temple ;

Épouse agenouillée à qui l'ange parla ;
Ô divine accouchée,
Que virent les bergers, qu'une voix appela,
Sur la roche penchée ;

Qui regardiez dormir, l'abreuvant d'un doux lait,
L'adorant la première,
Un enfant frêle et nu, mais qui, la nuit, semblait
Être fait de lumière ;

Ô morte, qu'enleva dans les plis des rideaux
À la nuit de la tombe
L'essaim des chérubins, qui portent à leur dos
Des ailes de colombe,

Pour vous placer, au bruit de leurs psaltérions
Dont tressaillent les cordes,
Au Ciel où vous régnez, les doigts pleins de rayons
Et de miséricordes ;

Vous qu'un peuple sur qui votre bleu manteau pend
Doucement importune,
Vous qui foulez avec la tête du serpent
Le croissant de la lune ;

Vous à qui Dieu donna les grands voiles d'azur,
Le cortège des Vierges,
La cathédrale immense au maître-autel obscur
Étoilé par les cierges,

La couronne, le sceptre et les souliers bouffants,
Les cantiques en flammes,
Les baisers envoyés par la main des enfants,
Et les larmes des femmes ;

Vous dont l'image, aux jours gros d'orage et d'erreur,
Luisait sous mes paupières,
Et qui m'avez tendu sur les flots en fureur
L'échelle des prières ;

Vous qui m'avez cherché, portant votre fanal,
Aux pentes du Parnasse ;
Vous qui m'avez pêché dans les filets du mal
Et mis dans votre nasse ;

Que n'ai-je, pour le jour où votre fête aura
Mis les cloches en joie,
La règle du marchand qui pour vous aunera
Le velours et la soie !

Que n'ai-je les ciseaux sonores du tailleur,
Pour couper votre robe !
Et que n'ai-je le four qu'allume l'émailleur !
J'émaillerais le globe

Où votre pied se pose, ainsi qu'un oiseau blanc
Planant sur nos désastres,
Globe d'azur et d'or, frêle univers roulant
Son soleil et ses astres !

Que ne suis-je de ceux dont les rois font grand cas,
Et qui sont des orfèvres !
Je vous cisèlerais des bijoux délicats,
Moins vermeils que nos lèvres ;

Mais, puisque je ne suis ni l'émailleur plaisant,
Ni le marchand notable,
Ni l'orfèvre fameux, ni le tailleur croisant
Les jambes sur sa table ;

Que je n'ai nul vaisseau sur les grands océans,
Nul trésor dans mon coffre,
J'ai rimé ce bouquet de vertus que céans
De bon coeur je vous offre.

Je vous offre humblement ce bouquet que voici :
La couleur en est franche
Et le parfum sincère, et ce bouquet choisi
C'est la chasteté blanche ;

C'est l'humilité bleue et douce, et c'est encor
Fleur du coeur, non du bouge,
La pauvreté si riche et toute jaune d'or
Et la charité rouge.

Ce n'est pas que je croie habiter les sommets
De la science avare,
Et je n'ai pas le fruit de la sagesse, mais
L'amour de ce fruit rare ;

Au surplus, je n'ai pas l'améthyste à mon doigt,
Je ne suis pas du temple,
Et je sais qu'un chrétien pur et simple ne doit
À tous que son exemple.

Je ne suis pas un prêtre arrachant au plaisir
Un peuple qu'il relève ;
Je ne suis qu'un rêveur et je n'ai qu'un désir :
Dire ce que je rêve.

II.

Aimez : l'amour vous met au cœur un peu de jour ;
Aimez, l'amour allège ;
Aimez, car le bonheur est pétri dans l'amour
Comme un lys dans la neige !

L'amour n'est pas la fleur facile qu'au printemps
L'on cueille sous son aile,
Ce n'est pas un baiser sur tes lèvres du temps :
C'est la fleur éternelle.

Nous faisons pour aimer d'inutiles efforts,
Pauvres cœurs que nous sommes !
Et nous cherchons l'amour dans l'étreinte des corps,
Et l'amour fuit les hommes !

Et c'est pourquoi l'on voit la haine dans nos yeux
Et dans notre mémoire,
Et ce vautour ouvrir sur nos front soucieux
Son affreuse aile noire ;

Et c'est pourquoi l'on voit jaillir de leur étui
Tant de poignards avides ;
Et c'est pourquoi l'on voit que les cœurs d'aujourd'hui
Sont des sépulcres vides.

Voici l'éternel cri que je sème au vent noir,
Sur la foule futile ;
Tel est le grain d'encens qui fume en l'encensoir
De ma vie inutile.

III.

Cependant bien que j'eusse encor peu combattu
Pour sa sainte querelle,
Mes yeux, l'ayant fixée, ont vu que la vertu
Est étrangement belle ;

Que son corps s'enveloppe en de puissants contours,
Et que sa joue est pleine ;
Qu'elle est comme une ville, assise avec ses tours,
Au milieu de la plaine ;

Que ses yeux sont sereins, ignorant l'éclair vil,
Ainsi que les pleurs lâches ;
Que son sourire est *** comme une aube en avril,
Que, pour de nobles tâches,

Les muscles de ses bras entrent en mouvement,
Comme un arc qui s'anime,
Pendant que son cou porte impérialement
Sa tête magnanime ;

Qu'un astre sur son front luit plus haut que le sort,
Et que sa lèvre est grasse,
Et qu'elle est dans le calme, enveloppant l'effort,
L'autre nom de la grâce ;

Qu'elle est comme le chêne en qui la sève bout
Jusqu'à rompre l'écorce ;
Et qu'elle est, dans l'orage, indomptable et debout,
L'autre nom de la force ;

Que sa mamelle est vaste et pleine d'un bon lait,
Et que le mal recule
Comme une feuille au vent de son geste, et qu'elle est
La compagne d'Hercule.

Et je vous dis : Ô vous qui comme elle régnez,
Ô vierge catholique !
Les saints joyeux sont morts, nos temps sont condamnés !
Au mal mélancolique ;

La joie et la vertu se sont voilé le front,
Ces sœurs sont exilées ;
Et je ne vois pas ceux qui les rappelleront
Avec des voix ailées !

Ô Vierge! Hâtez-vous! Déjà l'ange s'enfuit
Sous le ciel noir qui gronde,
Et le monde déjà s'enfonce dans la nuit,
Comme un noyé dans l'onde !

Tout ce qui fleurissait et parfumait l'été
De la vie et de l'âme,
L'amour loyal de l'homme et la fidélité
Pieuse de la femme,

Ces choses ne sont plus, l'haleine des autans
A balayé ces roses,
Et l'homme a changé l'homme, et les gens de nos temps
Sont repus et moroses ;

Oui, c'est la nuit qui vient, la nuit qui filtre au fond
De l'âme qui décline,
Et grelotte déjà dans cet hiver profond,
Comme une ombre orpheline.

Aussi je crie ; Ô Vous, n'aurez-vous pas pitié
De notre temps qui souffre,
Naufragé qui s'aveugle et qui chante, à moitié
Dévoré par le gouffre ?

Ô vite, envoyez-nous, le cœur plein de pardons
Et les yeux pleins de flammes,
Celui qui doit venir, puisque nous l'attendons :
Lui seul prendra les âmes ;

Sa main se lèvera seulement sur les fronts
Noirs de gloire usurpée,
Et les divins conseils de Dieu lui donneront
La parole et l'épée ;

Il sera le pasteur, il sera le nocher ;
Il fera pour l'Église
Jaillir le sentiment, comme l'eau du rocher
Sous la main de Moïse.

Car rien ne sert d'avoir, pour fonder sur le cœur
Incertain de la foule,
Un monument qui monte et qui sorte vainqueur
Du siècle qui s'écroule,

Une lyre géante, et des lauriers autour
D'un front lourd de conquêtes,
Et les rimes du vers, dramatique tambour
Que frappent deux baguettes ;

De mouvoir une lèvre allumée au soleil,
D'éloquente frottée,
D'où s'échappe un torrent de paroles, pareil
À la lave irritée,

Ni même de tenir à son poing souverain
Le glaive à lame amère
Qu'Achille ramassa sur l'enclume d'airain
Du forgeron Homère,

Qu'Alexandre saisit, qui le passe aux Césars
Dont la gloire est jalouse,
Et que Napoléon cueille dans les hasards,
Aux pieds de Charles douze ;

Tandis qu'il suffira, sous le regard de feu
De l'amour qui féconde,
D'un seul Juste, sur qui souffle l'esprit de Dieu,
Pour transformer le monde.
Fall Aug 2019
Amour et Vérité, mots singuliers, mais étant intrinsèquement pluriels

Cherchons le sens, l'origine, la profondeurs de nos chers mots

Non, non, non, je refuse de t'user car il n'y a point une fin pour toi

Langues, vaste tel l'eau que possède ces océans

Libre comme si elle glissait sur le bleuâtre gaz qui protège du photon courant

Rieurs des caprices de ses petits écrivains et poetes

Oh désolé , mais tes enfants sont morts

T'ennuie tu ma chère langue ?

Je suis désolé car le monde te refuse

Léchons les marmoneurs , mais refusons les mots qui cherche les artists

Nanananana
I hate " mumble rappers" self proclaiming themselves as artists. Sorry but you are not as long as you can pronounce words correctly.
Le plus aimé des rois est toujours le plus fort.
En vain la fortune l'accable ;
En vain mille ennemis ligués avec le sort
Semblent lui présager sa perte inévitable :
L'amour de ses sujets, colonne inébranlable,
Rend inutiles leurs efforts.
Le petit-fils d'un roi grand par son malheur même,
Philippe, sans argent, sans troupes, sans crédit,
Chassé par l'anglais de Madrid,
Croyait perdu son diadème.
Il fuyait presque seul, accablé de douleur.
Tout-à-coup à ses yeux s'offre un vieux laboureur,
Homme franc, simple et droit, aimant plus que sa vie
Ses enfants et son roi, sa femme et sa patrie,
Parlant peu de vertu, la pratiquant beaucoup,
Riche et pourtant aimé, cité dans les Castilles
Comme l'exemple des familles.
Son habit, filé par ses filles,
Était ceint d'une peau de loup.
Sous un large chapeau sa tête bien à l'aise
Faisait voir des yeux vifs et des traits basanés,
Et ses moustaches de son nez
Descendaient jusques sur sa fraise.
Douze fils le suivaient, tous grands, beaux, vigoureux.
Un mulet chargé d'or était au milieu d'eux.
Cet homme, dans cet équipage,
Devant le roi s'arrête, et lui dit : où vas-tu ?
Un revers t'a-t-il abattu ?
Vainement l'archiduc a sur toi l'avantage ;
C'est toi qui régneras, car c'est toi qu'on chérit.
Qu'importe qu'on t'ait pris Madrid ?
Notre amour t'est resté, nos corps sont tes murailles ;
Nous périrons pour toi dans les champs de l'honneur.
Le hasard gagne les batailles ;
Mais il faut des vertus pour gagner notre cœur.
Tu l'as, tu régneras. Notre argent, notre vie,
Tout est à toi, prends tout. Grâces à quarante ans
De travail et d'économie,
Je peux t'offrir cet or. Voici mes douze enfants,
Voilà douze soldats ; malgré mes cheveux blancs,
Je ferai le treizième : et, la guerre finie,
Lorsque tes généraux, tes officiers, tes grands,
Viendront te demander, pour prix de leurs services,
Des biens, des honneurs, des rubans,
Nous ne demanderons que repos et justice.
C'est tout ce qu'il nous faut. Nous autres pauvres gens
Nous fournissons au roi du sang et des richesses ;
Mais, **** de briguer ses largesses,
Moins il donne et plus nous l'aimons.
Quand tu seras heureux, nous fuirons ta présence,
Nous te bénirons en silence :
On t'a vaincu, nous te cherchons.
Il dit, tombe à genoux. D'une main paternelle
Philippe le relève en poussant des sanglots ;
Il presse dans ses bras ce sujet si fidèle,
Veut parler, et les pleurs interrompent ses mots.
Bientôt, selon la prophétie
Du bon vieillard, Philippe fut vainqueur,
Et, sur le trône d'Ibérie,
N'oublia point le laboureur.
À M. A. de V*.

Arrêtons-nous sur la colline
A l'heure où, partageant les jours,
L'astre du matin qui décline
Semble précipiter son cours !
En avançant dans sa carrière,
Plus faible il rejette en arrière
L'ombre terrestre qui le suit,
Et de l'horizon qu'il colore
Une moitié le voit encore,
C'est l'heure où, sous l'ombre inclinée,
Le laboureur dans le vallon
Suspend un moment sa journée,
Et s'assied au bord du sillon !
C'est l'heure où, près de la fontaine,
Le voyageur reprend haleine
Après sa course du matin
Et c'est l'heure où l'âme qui pense
Qui l'abandonne en son chemin !

Ainsi notre étoile pâlie,
Jetant de mourantes lueurs
Sur le midi de notre vie,
De notre rapide existence
L'ombre de la mort qui s'avance
Obscurcit déjà la moitié !
Et, près de ce terme funeste,
Comme à l'aurore, il ne nous reste
Que l'espérance et l'amitié !

Ami qu'un même jour vit naître,
Compagnon depuis le berceau,
Et qu'un même jour doit peut-être
Endormir au même tombeau !
Voici la borne qui partage

Qu'un même sort nous a tracé !
De ce sommet qui nous rassemble,
Viens, jetons un regard ensemble
Sur l'avenir et le passé !

Repassons nos jours, si tu l'oses !
Jamais l'espoir des matelots
Le navire qu'on lance aux flots ?
Jamais d'une teinte plus belle
L'aube en riant colora-t-elle
Le front rayonnant du matin ?
Jamais, d'un oeil perçant d'audace,
L'aigle embrassa-t-il plus d'espace
Que nous en ouvrait le destin ?

En vain sur la route fatale,
Dont les cyprès tracent le bord,
Quelques tombeaux par intervalle
Nous avertissaient de la mort !
Ces monuments mélancoliques
Nous semblaient, comme aux jours antiques,
Un vain ornement du chemin !
Nous nous asseyions sous leur ombre,
Et nous rêvions des jours sans nombre,
Hélas ! entre hier et demain !

Combien de fois, près du rivage
Où Nisida dort sur les mers,
La beauté crédule ou volage
Accourut à nos doux concerts !
Combien de fois la barque errante
Berça sur l'onde transparente
Deux couples par l'Amour conduits !
Tandis qu'une déesse amie
Jetait sur la vague endormie
Le voile parfumé des nuits !

Combien de fois, dans le délire
Qui succédait à nos festins,
Aux sons antiques de la lyre,
J'évoquai des songes divins !
Aux parfums des roses mourantes,
Aux vapeurs des coupes fumantes,
Ils volaient à nous tour à tour !
Et sur leurs ailes nuancées,
Dans les dédales de l'Amour !

Mais dans leur insensible pente,
Les jours qui succédaient aux jours
Entraînaient comme une eau courante
Et nos songes et nos amours ;
Pareil à la fleur fugitive
Qui du front joyeux d'un convive
Tombe avant l'heure du festin,
Ce bonheur que l'ivresse cueille,
De nos fronts tombant feuille à feuille,

Et maintenant, sur cet espace
Que nos pas ont déjà quitté,
Retourne-toi ! cherchons la trace
De l'amour, de la volupté !
En foulant leurs rives fanées,
Remontons le cours des années,
Tandis qu'un souvenir glacé,
Comme l'astre adouci des ombres,
Eclaire encor de teintes sombres
La scène vide du passé !

Ici, sur la scène du monde,
Se leva ton premier soleil !
Regarde ! quelle nuit profonde
A remplacé ce jour vermeil !
Tout sous les cieux semblait sourire,
La feuille, l'onde, le zéphire
Murmuraient des accords charmants !
Ecoute ! la feuille est flétrie !
Et les vents sur l'onde tarie
Rendent de sourds gémissements !

Cette mer aux flots argentés,
Qui ne fait que bercer l'image
Des bords dans son sein répétés ?
Un nom chéri vole sur l'onde !...
Mais pas une voix qui réponde,
Que le flot grondant sur l'écueil !
Malheureux ! quel nom tu prononces !
Ne vois-tu pas parmi ces ronces
Ce nom gravé sur un cercueil ?...

Plus **** sur la rive où s'épanche
Vois-tu ce palais qui se penche
Et jette une ombre au sein des eaux ?
Là, sous une forme étrangère,
Un ange exilé de sa sphère
D'un céleste amour t'enflamma !
Pourquoi trembler ? quel bruit t'étonne ?
Ce n'est qu'une ombre qui frissonne
Aux pas du mortel qu'elle aima !

Hélas ! partout où tu repasses,
C'est le deuil, le vide ou la mort,
Et rien n'a germé sur nos traces
Que la douleur ou le remord !
Voilà ce coeur où ta tendresse
Sema des fruits que ta vieillesse,
Hélas ! ne recueillera pas :
Là, l'oubli perdit ta mémoire !
Là, l'envie étouffa ta gloire !
Là, ta vertu fit des ingrats !

Là, l'illusion éclipsée
S'enfuit sous un nuage obscur !
Ici, l'espérance lassée
Replia ses ailes d'azur !
Là, sous la douleur qui le glace,
Ton sourire perdit sa grâce,
Ta voix oublia ses concerts !
Tes sens épuisés se plaignirent,
Et tes blonds cheveux se teignirent
Au souffle argenté des hivers !

Ainsi des rives étrangères,
Quand l'homme, à l'insu des tyrans,
Vers la demeure de ses pères
Porte en secret ses pas errants,
L'ivraie a couvert ses collines,
Son toit sacré pend en ruines,
Dans ses jardins l'onde a tari ;
Et sur le seuil qui fut sa joie,
Dans l'ombre un chien féroce aboie
Contre les mains qui l'ont nourri !

Mais ces sens qui s'appesantissent
Et du temps subissent la loi,
Ces yeux, ce coeur qui se ternissent,
Cette ombre enfin, ce n'est pas toi !
Sans regret, au flot des années,
Livre ces dépouilles fanées
Qu'enlève le souffle des jours,
La feuille aride et vagabonde
Que l'onde entraîne dans son cours !

Ce n'est plus le temps de sourire
A ces roses de peu de jours !
De mêler aux sons de la lyre
Les tendres soupirs des amours !
De semer sur des fonds stériles
Ces voeux, ces projets inutiles,
Par les vents du ciel emportés,
A qui le temps qui nous dévore
Ne donne pas l'heure d'éclore
Pendant nos rapides étés !

Levons les yeux vers la colline
Où luit l'étoile du matin !
Saluons la splendeur divine
Qui se lève dans le lointain !
Cette clarté pure et féconde
Aux yeux de l'âme éclaire un monde
Où la foi monte sans effort !
D'un saint espoir ton coeur palpite ;
Ami ! pour y voler plus vite,
Prenons les ailes de la mort !

En vain, dans ce désert aride,
Sous nos pas tout s'est effacé !
Viens ! où l'éternité réside,
On retrouve jusqu'au passé !
Là, sont nos rêves pleins de charmes,
Et nos adieux trempés de larmes,
Nos voeux et nos espoirs perdus !
Là, refleuriront nos jeunesses ;
Et les objets de nos tristesses
A nos regrets seront rendus !

Ainsi, quand les vents de l'automne
Ont balayé l'ombre des bois,
L'hirondelle agile abandonne
Le faîte du palais des rois !
Suivant le soleil dans sa course,
Elle remonte vers la source
D'où l'astre nous répand les jours ;
Et sur ses pas retrouve encore
Un autre ciel, une autre aurore,
Un autre nid pour ses amours !

Ce roi, dont la sainte tristesse
Immortalisa les douleurs,
Vit ainsi sa verte jeunesse
Se renouveler sous ses pleurs !
Sa harpe, à l'ombre de la tombe,
Soupirait comme la colombe
Sous les verts cyprès du Carmel !
Et son coeur, qu'une lampe éclaire,
Résonnait comme un sanctuaire
Où retentit l'hymne éternel !
Voulant te fuir (fuir ses amours !

Mais un poète est bête),

J'ai pris, l'un de ces derniers jours,

La poudre d'escampette.

Qui fut penaud, qui fut nigaud

Dès après un quart d'heure ?

Et je revins en mendigot

Qui supplie et qui pleure.


Tu pardonnas : mais pas longtemps

Depuis la fois première

Je filais, pareil aux autans,

Comme la fois dernière.

Tu me cherchas, me dénichas ;

Courte et bonne, l'enquête !

Qui fut content du doux pourchas ?

Moi donc, ta grosse bête !


Puisque nous voici réunis,

Dis, sans ruse et sans feinte,

Ne nous cherchons plus d'autres nids

Que ma, que ton étreinte.

Malgré mon caractère affreux,

Malgré ton caractère

Affreux, restons toujours heureux :

Fois première et dernière.
Tombez, larmes silencieuses,
Sur une terre sans pitié ;
Non plus entre des mains pieuses,
Ni sur le sein de l'amitié !

Tombez comme une aride pluie
Qui rejaillit sur le rocher,
Que nul rayon du ciel n'essuie,
Que nul souffle ne vient sécher.

Qu'importe à ces hommes mes frères
Le coeur brisé d'un malheureux ?
Trop au-dessus de mes misères,
Mon infortune est si **** d'eux !

Jamais sans doute aucunes larmes
N'obscurciront pour eux le ciel ;
Leur avenir n'a point d'alarmes,
Leur coupe n'aura point de fiel.

Jamais cette foule frivole
Qui passe en riant devant moi
N'aura besoin qu'une parole
Lui dise: " Je pleure avec toi ! "

Eh bien ! ne cherchons plus sans cesse
La vaine pitié des humains ;
Nourrissons-nous de ma tristesse,
Et cachons mon front dans mes mains.

À l'heure où l'âme solitaire
S'enveloppe d'un crêpe noir,
Et n'attend plus rien de la terre,
Veuve de son dernier espoir ;

Lorsque l'amitié qui l'oublie
Se détourne de son chemin,
Que son dernier bâton, qui plie,
Se brise et déchire sa main ;

Quand l'homme faible, et qui redoute
La contagion du malheur,
Nous laisse seul sur notre route
Face à face avec la douleur ;

Quand l'avenir n'a plus de charmes
Qui fassent désirer demain,
Et que l'amertume des larmes
Est le seul goût de notre pain ;

C'est alors que ta voix s'élève
Dans le silence de mon coeur,
Et que ta main, mon Dieu ! soulève
Le poids glacé de ma douleur.

On sent que ta tendre parole
À d'autres ne peut se mêler,
Seigneur ! et qu'elle ne console
Que ceux qu'on n'a pu consoler.

Ton bras céleste nous attire
Comme un ami contre son coeur,
Le monde, qui nous voit sourire,
Se dit : " D'où leur vient ce bonheur ? "

Et l'âme se fond en prière
Et s'entretient avec les cieux,
Et les larmes de la paupière
Sèchent d'elles-même à nos yeux,

Comme un rayon d'hiver essuie,
Sur la branche ou sur le rocher,
La dernière goutte de pluie
Qu'aucune ombre n'a pu sécher.
Jéhova de la terre a consacré les cimes ;
Elles sont de ses pas le divin marchepied,
C'est là qu'environné de ses foudres sublimes
Il vole, il descend, il s'assied.

Sina, l'Olympe même, en conservent la trace ;
L'Oreb, en tressaillant, s'inclina sous ses pas ;
Thor entendit sa voix, Gelboé vit sa face ;
Golgotha pleura son trépas.

Dieu que l'Hébron connait, Dieu que Cédar adore,
Ta gloire à ces rochers jadis se dévoila ;
Sur le sommet des monts nous te cherchons encore ;
Seigneur, réponds-nous ! es-tu là ?

Paisibles habitants de ces saintes retraites,
Comme l'ont entendu les guides d'Israël,
Dans le calme des nuits, des hauteurs où vous êtes
N'entendez-vous donc rien du ciel ?

Ne voyez-vous jamais les divines phalanges
Sur vos dômes sacrés descendre et se pencher ?
N'entendez-vous jamais des doux concerts des anges
Retentir l'écho du rocher ?

Quoi ! l'âme en vain regarde, aspire, implore, écoute ;
Entre le ciel et nous, est-il un mur d'airain ?
Vos yeux, toujours levés vers la céleste voûte,
Vos yeux sont-ils levés en vain ?

Pour s'élancer, Seigneur, où ta voix les appelle,
Les astres de la nuit ont des chars de saphirs,
Pour s'élever à toi, l'aigle au moins a son aile ;
Nous n'avons rien que nos soupirs !

Que la voix de tes saints s'élève et te désarme,
La prière du juste est l'encens des mortels ;
Et nous, pêcheurs, passons: nous n'avons qu'une larme
A répandre sur tes autels.
Quand tout se fait petit, femmes, vous restez grandes.
En vain, aux murs sanglants accrochant des guirlandes,
Ils ont ouvert le bal et la danse ; ô nos soeurs,
Devant ces scélérats transformés en valseurs
Vous haussez, - châtiment ! - vos charmantes épaules.
Votre divin sourire extermine ces drôles.
En vain leur frac brodé scintille ; en vain, brigands,
Pour vous plaire ils ont mis à leurs griffes des gants,
Et de leur vil tricorne ils ont doré les ganses ;
Vous bafouez ces gants, ces fracs, ces élégances,
Cet empire tout neuf et déjà vermoulu.
Dieu vous a tout donné, femmes ; il a voulu
Que les seuls alcyons tinssent tête à l'orage,
Et qu'étant la beauté, vous fussiez le courage.

Les femmes ici-bas et là-haut les aïeux,
Voilà ce qui nous reste !

Abjection ! nos yeux
Plongent dans une nuit toujours plus épaissie.
Oui, le peuple français, oui, le peuple messie,
Oui, ce grand forgeron du droit universel
Dont, depuis soixante ans, l'enclume sous le ciel
Luit et sonne, dont l'âtre incessamment pétille,
Qui fit voler au vent les tours de la Bastille,
Qui broya, se dressant tout à coup souverain,
Mille ans de royauté sous son talon d'airain,
Ce peuple dont le souffle, ainsi que des fumées,
Faisait tourbillonner les rois et les armées,
Qui, lorsqu'il se fâchait, brisait sous son bâton
Le géant Robespierre et le titan Danton,
Oui, ce peuple invincible, oui, ce peuple superbe
Tremble aujourd'hui, pâlit, frissonne comme l'herbe,
Claque des dents, se cache et n'ose dire un mot
Devant Magnan, ce reître, et Troplong, ce grimaud !
Oui, nous voyons cela ! Nous tenant dans leurs serres,
Mangeant les millions en face des misères,
Les Fortoul, les Rouher, êtres stupéfiants,
S'étalent ; on se tait. Nos maîtres ruffians
À Cayenne, en un bagne, abîme d'agonie,
Accouplent l'héroïsme avec l'ignominie ;
On se tait. Les pontons râlent ; que dit-on ? rien.
Des enfants sont forçats en Afrique ; c'est bien.
Si vous pleurez, tenez votre larme secrète.
Le bourreau, noir faucheur, debout dans sa charrette,
Revient de la moisson avec son panier plein
Pas un souffle. Il est là, ce Tibère-Ezzelin
Qui se croit scorpion et n'est que scolopendre,
Fusillant, et jaloux de Haynau qui peut pendre ;
Eclaboussé de sang, le prêtre l'applaudit ;
Il est là, ce César chauve-souris qui dit
Aux rois : voyez mon sceptre ; aux gueux : voyez mon crime
Ce vainqueur qui, béni, lavé, sacré, sublime,
De deux pourpres vêtu, dans l'histoire s'assied
Le globe dans sa main, un boulet à son pied ;
Il nous crache au visage, il règne ! nul ne bouge.

Et c'est à votre front qu'on voit monter le rouge,
C'est vous qui vous levez et qui vous indignez,
Femmes ; le sein gonflé, les yeux de pleurs baignés,
Vous huez le tyran, vous consolez les tombes,
Et le vautour frémit sous le bec des colombes !

Et moi, proscrit pensif, je vous dis : Gloire à vous !
Oh ! oui, vous êtes bien le sexe fier et doux,
Ardent au dévouement, ardent à la souffrance,
Toujours prêt à la lutte, à Béthulie, en France,
Dont l'âme à la hauteur des héros s'élargit,
D'où se lève Judith, d'où Charlotte surgit !
Vous mêlez la bravoure à la mélancolie.
Vous êtes Porcia, vous êtes Cornélie,
Vous êtes Arria qui saigne et qui sourit ;
Oui, vous avez toujours en vous ce même esprit
Qui relève et soutient les nations tombées,
Qui suscite la Juive et les sept Machabées,
Qui dans toi, Jeanne d'Arc, fait revivre Amadis,
Et qui, sur le chemin des tyrans interdits,
Pour les épouvanter dans leur gloire éphémère,
Met tantôt une vierge et tantôt une mère !

Si bien que, par moments, lorsqu'en nos visions
Nous voyons, secouant un glaive de rayons,
Dans les cieux apparaître une figure ailée,
Saint-Michel sous ses pieds foulant l'hydre écaillée,
Nous disons : c'est la Gloire et c'est la Liberté !
Et nous croyons, devant sa grâce et sa beauté,
Quand nous cherchons le nom dont il faut qu'on le nomme,
Que l'archange est plutôt une femme qu'un homme !

Jersey, le 30 mai 1853.
Fable XVIII, Livre III.


Toi, chez qui tant de sens à tant d'esprit s'allie,
Chez qui les préjugés n'ont jamais eu d'accès ;
Toi qui fuis en tout les excès,
En tout, même en philosophie ;
Lis ce court apologue où je crois, j'en conviens,
Peindre les sentiments dont tout sage s'honore.
Si dans ces sentiments tu retrouves les tiens,
Je le croirai bien plus encore.

Dans son manoir gothique, en tourelle arrondi,
Entre quatre vitraux noircis par la fumée,
Un certain vieux baron n'y voyait, à midi,
Qu'avec la chandelle allumée.
Les barons sont mortels : le ténébreux donjon,
Un beau soir passe à d'autres maîtres.
Ceux-là voulaient y voir. « C'est pour cette raison,
« Disait l'un d'eux, qu'à sa maison
« D'ordinaire on fait des fenêtres.
« D'un si beau privilège usons à notre tour.
« C'est trop longtemps souffrir qu'un importun nuage
« Ferme ce noble asile aux doux rayons du jour.
« Qu'on y mette ordre avant que je sois de retour. »
Il dit et part. Il eût été plus sage
S'il en avait dit davantage ;
Car il s'adressait à des gens
Bien plus zélés qu'intelligents.
Dans la ferveur qui les anime,
Les servantes et les valets
De s'armer aussitôt de manches à balais ;
Et Dieu sait comme on s'en escrime !
Vingt écoliers, dans le château,
N'auraient pas fait pis ni plus vite.
En moins d'un quart d'heure, en son gîte,
Le nouveau possesseur n'avait plus un carreau.
On y vit clair : d'accord ; mais la neige, la grêle,
Mais la pluie et le vent d'arriver pêle-mêle,
Dans le salon glacé d'où l'obscurité fuit.
Nos gens, en faisant à leur tête,
Ont changé l'antre de la nuit
En caverne de la tempête.

Aux maux produits par l'incrédulité,
Sur ceux qu'enfante l'ignorance
Pourquoi donner la préférence ?
Entre ces deux erreurs cherchons la vérité.
Précepteurs de l'humanité,
Pour réponse à vos longs chapitres,
Au maître de ma fable il faut vous renvoyer.
Ce qu'il dit à ses gens, sans trop les rudoyer,
Vous conviendrait à bien des titres :
« Il ne faut pas casser les vitres,
« Mais il faut bien les nettoyer. »
Nous errions, elle et moi, dans les monts de Sicile.
Elle est fière pour tous et pour moi seul docile.
Les deux et nos pensers rayonnaient à la fois.
Oh ! connue aux lieux déserts les cœurs sont peu farouches !
Que de fleurs aux buissons, que de baisers aux bouches,
Quand on est dans l'ombre des bois !

Pareils à deux oiseaux qui vont de cime en cime,
Nous parvînmes enfin tout au bord d'un abîme.
Elle osa s'approcher de ce sombre entonnoir ;
Et, quoique mainte épine offensât ses mains blanches,
Nous tâchâmes, penchés et nous tenant aux branches,
D'en voir le fond lugubre et noir.

En ce même moment, un titan centenaire,
Qui venait d'y rouler sous vingt coups de tonnerre,
Se tordait dans ce gouffre où le jour n'ose entrer ;
Et d'horribles vautours au bec impitoyable,
Attirés par le bruit de sa chute effroyable,
Commençaient à le dévorer.

Alors, elle me dit : « J'ai peur qu'on ne nous voie !
Cherchons un antre afin d'y cacher notre joie !
Vois ce pauvre géant ! nous aurions notre tour !
Car les dieux envieux qui l'ont fait disparaître,
Et qui furent jaloux de sa grandeur, peut-être
Seraient jaloux de notre amour ! »

Septembre 183...

— The End —