Submit your work, meet writers and drop the ads. Become a member
I


Que ces vallons déserts, que ces vastes prairies

Où j'allais promener mes tristes rêveries,

Que ces rivages frais, que ces bois, que ces champs,

Que tout prenne une voix et retrouve des chants

Et porte jusqu'au sein de Ta Toute Puissance

Un hymne de bonheur et de reconnaissance !

Celle, qui dans un chaste et pur embrassement,

A reçu mon amour et mon premier serment,

Celle à qui j'ai juré de consacrer ma vie

Par d'injustes parents m'avait été ravie ;

Ils avaient repoussé mes pleurs, et les ingrats

Avaient osé venir l'arracher de mes bras ;

Et jaloux de m'ôter la dernière espérance

Qui pût me soutenir et calmer ma souffrance,

Un message trompeur nous avait informés

Que sur un bord lointain ses yeux s'étaient fermés.

Celui qui fut aimé, celui qui put connaître

Ce bonheur enivrant de confondre son être,

De vivre dans un autre, et de ne plus avoir

Que son cœur pour sentir, et que ses yeux pour voir,

Celui-là pourra seul deviner et comprendre

Ce qu'une voix humaine est impuissante à rendre ;

Celui-là saura seul tout ce que peut souffrir

Un homme, et supporter de tourments sans mourir.

Mais la main qui sur moi s'était appesantie

Semble de mes malheurs s'être enfin repentie.

Leur cœur s'est attendri, soit qu'un pouvoir caché,

Que sais-je ? Ou que la voix du remords l'ait touché.

Celle que je pleurais, que je croyais perdue,

Elle vit ! elle vient ! et va m'être rendue !

Ne demandez donc plus, amis, pourquoi je veux

Qu'on mêle ces boutons de fleurs dans mes cheveux.

Non ! Je n'ai point souffert et mes douleurs passées

En cet heureux instant sont toutes effacées ;

Que sont tous mes malheurs, que sont tous mes ennuis.

Et ces rêves de deuil qui tourmentaient mes nuits ?

Et moi ! J'osais du ciel accuser la colère !

Je reconnais enfin sa bonté tutélaire.

Et je bénis ces maux d'un jour qui m'ont appris

Que mes yeux ne devaient la revoir qu'à ce prix !


II


Quel bonheur est le mien ! Pourtant - ces deux années

Changent bien des projets et bien des destinées ;

- Je ne puis me celer, à parler franchement,

Que ce retour me gêne un peu, dans ce moment.

Certes, le souvenir de notre amour passé

N'est pas un seul instant sorti de ma pensée ;

Mais enfin je ne sais comment cela s'est fait :

Invité cet hiver aux bals chez le préfet.

J'ai vu sa fille aînée, et par étourderie

Risqué de temps en temps quelque galanterie :

Je convins aux parents, et fus bientôt admis

Dans cette intimité qu'on réserve aux amis.

J'y venais tous les soirs, je faisais la lecture,

Je présentais la main pour monter en voiture ;

Dans nos réunions en petit comité,

Toujours près de la fille, assis à son côté.

Je me rendais utile à tout, j'étais son page.

Et quand elle chantait, je lui tournais la page.

Enfin, accoutumé chaque jour à la voir.

60 Que sais-je ? J'ai rendu, sans m'en apercevoir,

Et bien innocemment, des soins, que je soupçonne

N'être pas dédaignés de la jeune personne :

Si bien que je ne sais trop comment m'arranger :

On jase, et les parents pourront bien exiger

Que j'ôte ce prétexte à la rumeur publique,

Et, quelque beau matin, vouloir que je m'explique.

C'est ma faute, après tout, je me suis trop pressé,

Et, comme un débutant, je me suis avancé.

Mais, d'un autre côté, comment prévoir… ? N'importe,

Mes serments sont sacrés, et mon amour l'emporte,

J'irai demain trouver le père, et s'il vous plaît,-

Je lui raconterai la chose comme elle est.

- C'est bien ! - Mais que va-t-on penser, que va-t-on dire ?

Le monde est si méchant, et si prompt à médire !

- Je le brave ! et s'il faut, je verserai mon sang...

Oui : mais toujours est-il que c'est embarrassant.


III


Comme tout ici-bas se flétrit et s'altère,

Et comme les malheurs changent un caractère !

J'ai cherché vainement, et n'ai point retrouvé

Cette aimable candeur qui m'avait captivé.

Celle que j'avais vue autrefois si craintive.

Dont la voix résonnait si douce et si plaintive,

Hautaine, au parler bref, et parfois emporté,

A rejeté bien **** cette timidité.

A moi, qui n'ai vécu, n'ai souffert que pour elle.

Est-ce qu'elle n'a pas déjà cherché querelle ?

Jetant sur le passé des regards curieux,

Elle m'a demandé d'un air impérieux

Si, pendant tout ce temps que j'ai passé **** d'elle.

Mon cœur à sa mémoire était resté fidèle :

Et de quel droit, bon Dieu ? Nous n'étions point liés.

Et nous aurions très bien pu nous être oubliés !

J'avais juré, promis ! - Qu'est-ce que cela prouve ?

Tous les jours, en amour, on jure ; et lorsqu'on trouve

Quelque distraction, on laisse rarement

Perdre l'occasion de trahir son serment :

Il n'est pas défendu d'avoir un cœur sensible,

Et ce n'est point du "tout un crime irrémissible.

Et puis d'ailleurs, après ce que j'ai découvert.

Entre nous, soyons franc, parlons à cœur ouvert :

J'en avais fait mon deuil, et la pauvre exilée

S'est bien de son côté quelque peu consolée ;

Et si je persistais à demander sa main.

C'était par conscience, et par respect humain ;

Je m'étais étourdi. Mais elle a, la première.

Fait ouvrir, par bonheur, mes yeux à la lumière,

Et certes, j'aime mieux encore, à beaucoup près,

Qu'elle se soit ainsi montrée avant qu'après.

Car enfin, rien n'est fait, au moins, et le notaire

N'a point à nos serments prêté son ministère.

- Mais quels emportements ! quels pleurs ! car elle croit

Exiger une dette et réclamer un droit.

Or il faut en finir : quoi qu'elle dise ou fasse,

J'en ai pris mon parti ; j'irai lui dire en face,

- Quoi ? - Que son caractère est à n'y pas tenir.

- Elle avait bien besoin aussi de revenir !

Nous étions si bien tous, quand son humeur altière

Vint troubler le repos d'une famille entière !

On nous la disait morte ; et je croirais aussi

Qu'il vaudrait beaucoup mieux que cela fût ainsi.
Triste et soudain fracas d'un trône héréditaire,

Profond enseignement aux puissants de la terre,

Qui vous eût pu prévoir, et dire : Dans trois jours,

Cette tige de rois par les siècles blanchie

Et ce vaste pouvoir et cette monarchie

Auront fui sans espoir et croulé pour toujours ?


Et toi qui n'es plus rien et qui fus roi naguère,

Charles ! n'avais-tu pas ton droit de paix, de guerre.

Ta large part d'impôts, tes châteaux à choisir,

Tes veneurs, tes laquais, tes chiens, tes équipages,

Tes chambellans dorés, tes hérauts et tes pages

Et tes vastes forêts où chasser à loisir ?


T'empêchait-on d'aller au sein des basiliques,

Courbant ton front royal et baisant les reliques.

Garder, comme un soldat, un prêtre à tes côtés.

Et, du ministre saint implorant l'assistance,

Consumer dans le jeûne et dans la pénitence

Tout le restant des jours que le ciel t'a comptés ?


On t'entourait d'honneurs, de respects, et la France,

Qui voyait tout cela d'un air d'indifférence.

T'eût laissé jusqu'au bout, sans haine et sans effroi.

Saluer de la main du haut des galeries,

Sourire à tes valets et dans tes Tuileries

Mourir tranquillement sur ton fauteuil de roi !


Mais des hommes t'ont dit : « Sire, l'heure est venue,

Où votre volonté, trop longtemps méconnue.

Doit être apprise à tous et s'ouvrir un chemin ;

Et si quelque mutin se dresse et se récrie.

Nous avons-là Foucault et sa gendarmerie ;

C'est l'affaire d'un coup de main.


« On en eut bon marché sous l'autre ministère.

Quelques coups de mitraille à propos l'ont fait taire,

Ce peuple ; il faut qu'il sache, au moins, si c'est en vain

Que Charles Xdix est roi de France et de Navarre

Et si d'un peu de sang il lui sied d'être avare

Pour soutenir le droit divin,


« Et si des gens venaient, artisans d'imposture,

Vous parler de promesse et que c'est forfaiture

Que manquer de la sorte à la foi des serments

Jurés, devant l'autel, sur les saints Évangiles,

Et qu'après tout, la terre a des trônes fragiles,

Et l'avenir des châtiments ;


« Sophismes dangereux, maximes immorales !

Propos séditieux de feuilles libérales !

Mais seulement un mot, un signe de la main,

Et vous verrez pâlir tous ces faiseurs d'émeute,

Comme un gibier peureux qui fuit devant la meute,

Dans les forêts de Saint-Germain. »


Et toi, tu les as crus et, risquant la partie,

Sur un seul coup de dé perdu ta dynastie,

Bien puni maintenant, ô roi, pour avoir mis

Tant d'espoir dans ton Dieu, tant de foi dans sa grâce,

Et compté, pour ton trône et les gens de ta race,

Sur l'avenir sans fin qui leur était promis !


Mais comme au premier coup du marteau populaire

Ta vieille royauté, masure séculaire.

Lézardée et disjointe et qui n'en pouvait plus,

A craqué jusqu'au fond, tant l'heure était critique.

Tant sa chute était mûre et de ce dais gothique

La toile était usée et les ais vermoulus !


Et pour baisser si bas des têtes couronnées,

Qu'a-t-il fallu de temps au peuple ? Trois journées

D'ouvriers descendus en hâte des faubourgs,

Qui couraient sans savoir, au fort de la mêlée,

Ce que c'est qu'une marche, et comme elle est réglée

Sur les sons plus pressés ou plus lents des tambours.


Trois jours, et tout fut dit ; et la pâle bannière

Du faîte des palais a roulé dans l'ornière.

Et les trois fleurs de lis, honneur de ta maison,

N'ont d'asile aujourd'hui, tristes et détrônées,

Que dans quelques foyers de vieilles cheminées.

Ou les feuillets jaunis d'un traité de blason.


Eh quoi ! de tes malheurs le rude apprentissage

N'avait-il pu t'instruire et te faire assez sage,

Sans qu'il fallût encor, vieillard en cheveux gris,

Entendre le fracas de ton trône qui tombe.

Et retrouver si **** et si près de la tombe.

Ces leçons de l'exil qui ne t'ont rien appris ?


Tu l'as voulu pourtant ! Aussi bien, à ton âge.

Quand la mort à ce point est dans le voisinage,

A tout prendre, il vaut mieux, de tous ces vains joyaux

Débarrasser un front qu'a touché le Saint-Chrême,

Car pour qui va paraître au tribunal suprême.

Les plis sont bien persans des ornements royaux !


Va, mais ne songe plus, Majesté solitaire,

Qu'à ce royaume saint qui n'est plus de la terre ;

Songe au soin de ton âme, et, déchargé du faix

De cette royauté dont t'a perdu l'envie,

Songe à bien profiter, au moins pour l'autre vie,

De ces derniers loisirs que le peuple t'a faits.
I.

À présent que c'est fait, dans l'avilissement
Arrangeons-nous chacun notre compartiment
Marchons d'un air auguste et fier ; la honte est bue.
Que tout à composer cette cour contribue,
Tout, excepté l'honneur, tout, hormis les vertus.
Faites vivre, animez, envoyez vos foetus
Et vos nains monstrueux, bocaux d'anatomie
Donne ton crocodile et donne ta momie,
Vieille Égypte ; donnez, tapis-francs, vos filous ;
Shakespeare, ton Falstaff ; noires forêts, vos loups ;
Donne, ô bon Rabelais, ton Grandgousier qui mange ;
Donne ton diable, Hoffmann ; Veuillot, donne ton ange ;
Scapin, apporte-nous Géronte dans ton sac ;
Beaumarchais, prête-nous Bridoison ; que Balzac
Donne Vautrin ; Dumas, la Carconte ; Voltaire,
Son Frélon que l'argent fait parler et fait taire ;
Mabile, les beautés de ton jardin d'hiver ;
Le Sage, cède-nous Gil Blas ; que Gulliver
Donne tout Lilliput dont l'aigre est une mouche,
Et Scarron Bruscambille, et Callot Scaramouche.
Il nous faut un dévot dans ce tripot payen ;
Molière, donne-nous Montalembert. C'est bien,
L'ombre à l'horreur s'accouple, et le mauvais au pire.
Tacite, nous avons de quoi faire l'empire ;
Juvénal, nous avons de quoi faire un sénat.

II.

Ô Ducos le gascon, ô Rouher l'auvergnat,
Et vous, juifs, Fould Shylock, Sibour Iscariote,
Toi Parieu, toi Bertrand, horreur du patriote,
Bauchart, bourreau douceâtre et proscripteur plaintif,
Baroche, dont le nom n'est plus qu'un vomitif,
Ô valets solennels, ô majestueux fourbes,
Travaillant votre échine à produire des courbes,
Bas, hautains, ravissant les Daumiers enchantés
Par vos convexités et vos concavités,
Convenez avec moi, vous tous qu'ici je nomme,
Que Dieu dans sa sagesse a fait exprès cet homme
Pour régner sur la France, ou bien sur Haïti.
Et vous autres, créés pour grossir son parti,
Philosophes gênés de cuissons à l'épaule,
Et vous, viveurs râpés, frais sortis de la geôle,
Saluez l'être unique et providentiel,
Ce gouvernant tombé d'une trappe du ciel,
Ce césar moustachu, gardé par cent guérites,
Qui sait apprécier les gens et les mérites,
Et qui, prince admirable et grand homme en effet,
Fait Poissy sénateur et Clichy sous-préfet.

III.

Après quoi l'on ajuste au fait la théorie
« A bas les mots ! à bas loi, liberté, patrie !
Plus on s'aplatira, plus ou prospérera.
Jetons au feu tribune et presse, et cætera.

Depuis quatre-vingt-neuf les nations sont ivres.
Les faiseurs de discours et les faiseurs de livres
Perdent tout ; le poëte est un fou dangereux ;
Le progrès ment, le ciel est vide, l'art est creux,
Le monde est mort. Le peuple ? un âne qui se cabre !
La force, c'est le droit. Courbons-nous. Gloire au sabre !
À bas les Washington ! vivent les Attila ! »
On a des gens d'esprit pour soutenir cela.

Oui, qu'ils viennent tous ceux qui n'ont ni cœur ni flamme,
Qui boitent de l'honneur et qui louchent de l'âme ;
Oui, leur soleil se lève et leur messie est né.
C'est décrété, c'est fait, c'est dit, c'est canonné
La France est mitraillée, escroquée et sauvée.
Le hibou Trahison pond gaîment sa couvée.

IV.

Et partout le néant prévaut ; pour déchirer
Notre histoire, nos lois, nos droits, pour dévorer
L'avenir de nos fils et les os de nos pères,
Les bêtes de la nuit sortent de leurs repaires
Sophistes et soudards resserrent leur réseau
Les Radetzky flairant le gibet du museau,
Les Giulay, poil tigré, les Buol, face verte,
Les Haynau, les Bomba, rôdent, la gueule ouverte,
Autour du genre humain qui, pâle et garrotté,
Lutte pour la justice et pour la vérité ;
Et de Paris à Pesth, du Tibre aux monts Carpathes,
Sur nos débris sanglants rampent ces mille-pattes.

V.

Du lourd dictionnaire où Beauzée et Batteux
Ont versé les trésors de leur bon sens goutteux,
Il faut, grâce aux vainqueurs, refaire chaque lettre.
Ame de l'homme, ils ont trouvé moyen de mettre
Sur tes vieilles laideurs un tas de mots nouveaux,
Leurs noms. L'hypocrisie aux yeux bas et dévots
À nom Menjaud, et vend Jésus dans sa chapelle ;
On a débaptisé la honte, elle s'appelle
Sibour ; la trahison, Maupas ; l'assassinat
Sous le nom de Magnan est membre du Sénat ;
Quant à la lâcheté, c'est Hardouin qu'on la nomme ;
Riancey, c'est le mensonge, il arrive de Rome
Et tient la vérité renfermée en son puits ;
La platitude a nom Montlaville-Chapuis ;
La prostitution, ingénue, est princesse ;
La férocité, c'est Carrelet ; la bassesse
Signe Rouher, avec Delangle pour greffier.
Ô muse, inscris ces noms. Veux-tu qualifier
La justice vénale, atroce, abjecte et fausse ?
Commence à Partarieu pour finir par Lafosse.
J'appelle Saint-Arnaud, le meurtre dit : c'est moi.
Et, pour tout compléter par le deuil et l'effroi,
Le vieux calendrier remplace sur sa carte
La Saint-Barthélemy par la Saint-Bonaparte.

Quant au peuple, il admire et vote ; on est suspect
D'en douter, et Paris écoute avec respect
Sibour et ses sermons, Trolong et ses troplongues.
Les deux Napoléon s'unissent en diphthongues,
Et Berger entrelace en un chiffre hardi
Le boulevard Montmartre entre Arcole et Lodi.
Spartacus agonise en un bagne fétide ;
On chasse Thémistocle, on expulse Aristide,
On jette Daniel dans la fosse aux lions ;
Et maintenant ouvrons le ventre aux millions !

Jersey, novembre 1852.
Atlas
I beg you
teach me to support the sky

Atlas
je t'en prie
apprend moi a soutenir le ciel
by Atlas I am referring to the Titan and not to an encyclopedia.
Sonnet.

Non, quand bien même une amère souffrance
Dans ce cœur mort pourrait se ranimer ;
Non, quand bien même une fleur d'espérance
Sur mon chemin pourrait encor germer ;

Quand la pudeur, la grâce et l'innocence
Viendraient en toi me plaindre et me charmer,
Non, chère enfant, si belle d'ignorance,
Je ne saurais, je n'oserais t'aimer.

Un jour pourtant il faudra qu'il te vienne
L'instant suprême où l'univers n'est rien.
De mon respect alors qu'il te souvienne !

Tu trouveras, dans la joie ou la peine,
Ma triste main pour soutenir la tienne,
Mon triste cœur pour écouter le tien.
La mort vient dégager de la vile matière
Notre esprit, souffle de la pur divinité,
Et l'ombre des tombeaux nous cache une lumière
Dont nos yeux ne pourraient soutenir la clarté.

La mort vient délivrer notre âme prisonnière
Et lui faire connaître enfin la liberté,
Nous mourons, c'est la vie ; et notre heure dernière
Est le premier moment de l'immortalité.

Ah ! ne redoutons pas de tomber dans l'abîme
Où paraît s'engloutir à jamais l'être humain,
Le trépas nous promet l'éternel lendemain ;

Et par un privilège éclatant et sublime,
Quand il meurt ici-bas, l'homme naît dans le ciel
Car Dieu le fait mourir pour le rendre immortel.
Ainsi les plus abjects, les plus vils, les plus minces
Vont régner ! ce n'était pas assez des vrais princes
Qui de leur sceptre d'or insultent le ciel bleu,
Et sont rois et méchants par la grâce de Dieu !
Quoi ! tel gueux qui, pourvu d'un titre en bonne forme,
À pour toute splendeur sa bâtardise énorme,
Tel enfant du hasard, rebut des échafauds,
Dont le nom fut un vol et la naissance un faux,
Tel bohème pétri de ruse et d'arrogance,
Tel intrus entrera dans le sang de Bragance,
Dans la maison d'Autriche ou dans la maison d'Est,
Grâce à la fiction légale is pater est,
Criera : je suis Bourbon, ou : je suis Bonaparte,
Mettra cyniquement ses deux poings sur la carte,
Et dira : c'est à moi ! je suis le grand vainqueur !
Sans que les braves gens, sans que les gens de coeur
Rendent à Curtius ce monarque de cire !
Et, quand je dis : faquin ! l'écho répondra : sire !
Quoi ! ce royal croquant, ce maraud couronné,
Qui, d'un boulet de quatre à la cheville orné,
Devrait dans un ponton pourrir à fond de cale,
Cette altesse en ruolz, ce prince en chrysocale,
Se fait devant la France, horrible, ensanglanté,
Donner de l'empereur et de la majesté,
Il trousse sa moustache en croc et la caresse,
Sans que sous les soufflets sa face disparaisse,
Sans que, d'un coup de pied l'arrachant à Saint-Cloud,
On le jette au ruisseau, dût-on salir l'égout !

- Paix ! disent cent crétins. C'est fini. Chose faite.
Le Trois pour cent est Dieu, Mandrin est son prophète.
Il règne. Nous avons voté ! Vox populi. -
Oui, je comprends, l'opprobre est un fait accompli.
Mais qui donc a voté ? Mais qui donc tenait l'urne ?
Mais qui donc a vu clair dans ce scrutin nocturne ?
Où donc était la loi dans ce tour effronté ?
Où donc la nation ? Où donc la liberté ?
Ils ont voté !

Troupeau que la peur mène paître
Entre le sacristain et le garde champêtre
Vous qui, pleins de terreur. voyez, pour vous manger,
Pour manger vos maisons, vos bois, votre verger,
Vos meules de luzerne et vos pommes à cidre,
S'ouvrir tous les matins les mâchoires d'une hydre
Braves gens, qui croyez en vos foins, et mettez
De la religion dans vos propriétés ;
Âmes que l'argent touche et que l'or fait dévotes
Maires narquois, traînant vos paysans aux votes ;
Marguilliers aux regards vitreux ; curés camus
Hurlant à vos lutrins : Dæmonem laudamus ;
Sots, qui vous courroucez comme flambe une bûche ;
Marchands dont la balance incorrecte trébuche ;
Vieux bonshommes crochus, hiboux hommes d'état,
Qui déclarez, devant la fraude et l'attentat,
La tribune fatale et la presse funeste ;
Fats, qui, tout effrayés de l'esprit, cette peste,
Criez, quoique à l'abri de la contagion ;
Voltairiens, viveurs, fervente légion,
Saints gaillards, qui jetez dans la même gamelle
Dieu, l'orgie et la messe, et prenez pêle-mêle
La défense du ciel et la taille à Goton ;
Bons dos, qui vous courbez, adorant le bâton ;
Contemplateurs béats des gibets de l'Autriche
Gens de bourse effarés, qui trichez et qu'on triche ;
Invalides, lions transformés en toutous ;
Niais, pour qui cet homme est un sauveur ; vous tous
Qui vous ébahissez, bestiaux de Panurge,
Aux miracles que fait Cartouche thaumaturge ;
Noircisseurs de papier timbré, planteurs de choux,
Est-ce que vous croyez que la France, c'est vous,
Que vous êtes le peuple, et que jamais vous eûtes
Le droit de nous donner un maître, ô tas de brutes ?

Ce droit, sachez-le bien, chiens du berger Maupas,
Et la France et le peuple eux-mêmes ne l'ont pas.
L'altière Vérité jamais ne tombe en cendre.
La Liberté n'est pas une guenille à vendre,
Jetée au tas, pendue au clou chez un fripier.
Quand un peuple se laisse au piège estropier,
Le droit sacré, toujours à soi-même fidèle,
Dans chaque citoyen trouve une citadelle ;
On s'illustre en bravant un lâche conquérant,
Et le moindre du peuple en devient le plus grand.
Donc, trouvez du bonheur, ô plates créatures,
À vivre dans la fange et dans les pourritures,
Adorez ce fumier sous ce dais de brocart,
L'honnête homme recule et s'accoude à l'écart.
Dans la chute d'autrui je ne veux pas descendre.
L'honneur n'abdique point. Nul n'a droit de me prendre
Ma liberté, mon bien, mon ciel bleu, mon amour.
Tout l'univers aveugle est sans droit sur le jour.
Fût-on cent millions d'esclaves, je suis libre.
Ainsi parle Caton. Sur la Seine ou le Tibre,
Personne n'est tombé tant qu'un seul est debout.
Le vieux sang des aïeux qui s'indigne et qui bout,
La vertu, la fierté, la justice, l'histoire,
Toute une nation avec toute sa gloire
Vit dans le dernier front qui ne veut pas plier.
Pour soutenir le temple il suffit d'un pilier ;
Un français, c'est la France ; un romain contient Rome,
Et ce qui brise un peuple avorte aux pieds d'un homme.

Jersey, le 4 mai 1853.
Un bon mari, sa femme et deux jolis enfants
Coulaient en paix leurs jours dans le simple ermitage
Où, paisibles comme eux, vécurent leurs parents.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
Cultivaient leur jardin, recueillaient leurs moissons ;
Et le soir, dans l'été, soupant sous le feuillage,
Dans l'hiver, devant leurs tisons,
Ils prêchaient à leurs fils la vertu, la sagesse,
Leur parlaient du bonheur qu'ils procurent toujours.
Le père par un conte égayait ses discours,
La mère par une caresse.
L'aîné de ces enfants, né grave, studieux,
Lisait et méditait sans cesse ;
Le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautait, riait toujours, ne se plaisait qu'aux jeux.
Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,
Assis près d'une table où s'appuyait la mère,
L'aîné lisait Rollin ; le cadet, peu soigneux
D'apprendre les hauts faits des Romains ou des Parthes,
Employait tout son art, toutes ses facultés,
A joindre, à soutenir par les quatre côtés
Un fragile château de cartes.
Il n'en respirait pas d'attention, de peur.
Tout à coup voici le lecteur
Qui s'interrompt. " Papa, dit-il, daigne m'instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérants,
Et d'autres fondateurs d'empire ;
Ces deux noms sont-ils différents ? "
Le père méditait une réponse sage,
Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d'avoir pu parvenir
A placer son second étage,
S'écrie : " Il est fini ! " Son frère, murmurant,
Se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage ;
Et voilà le cadet pleurant.
" Mon fils, répond alors le père,
Le fondateur c'est votre frère,
Et vous êtes le conquérant. "
Sonnet.


Quand on a tant aimé, c'est un rude réveil !
Tu t'es cru dans un nid semblable aux nids des haies,
Caché, sûr et profond. Vain songe ! Tu t'effraies
D'avoir osé dormir ce dangereux sommeil.

La foi, bonne ou mauvaise, a donc un front pareil !
Tu ne veux même plus croire les larmes vraies ;
Et si l'amitié cherche à te panser tes plaies,
Ton désespoir viril arrache l'appareil.

Tu goûtes l'âcreté de l'insulte récente :
Gonflé de sa douleur en niant qu'il la sente,
Ton grand cœur se console à la bien soutenir.

Mais, si tu veux garder vivace ta rancune,
Marche au soleil, et fuis les pâles clairs de lune,
Et crains plus que la mort ton plus doux souvenir.
Comme un ange gardien prenez-moi sous votre aile ;

Tendez, en souriant et daignant vous pencher,

À ma petite main votre main maternelle,

Pour soutenir mes pas et me faire marcher !


Car Jésus le doux maître, aux célestes tendresses,

Permettait aux enfants de s'approcher de lui ;

Comme un père indulgent il souffrait leurs caresses,

Et jouait avec eux sans témoigner d'ennui.


Ô vous qui ressemblez à ces tableaux d'église

Où l'on voit, sur fond d'or, l'auguste Charité

Préservant de la faim, préservant de la bise

Un groupe frais et blond dans sa robe abrité ;


Comme le nourrisson de la Mère divine,

Par pitié, laissez-moi monter sur vos genoux,

Moi pauvre jeune fille, isolée, orpheline,

Qui n'ai d'espoir qu'en Dieu, qui n'ai d'espoir qu'en vous !
Non ! je ne verrai plus de si belle vallée,
Que celle où sur tes pas je descendis un jour ;
Où l'eau, parmi les fleurs lentement écoulée,
Trouve une eau qui la cherche et s'y joint sans retour.
J'étais bien ! tout parlait à mon âme ravie.
Ah ! les derniers rayons du jour et de la vie
Répandront sur mes yeux leur mourante langueur,
Avant que ce tableau s'efface de mon cœur.

Et, pourtant, ce n'est pas cette belle verdure,
Ces ruisseaux murmurants sous les jeunes roseaux,
Ni cette ombre des bois, cette ombre où la nature
Mêlait son harmonie au doux chant des oiseaux ;
Non, ce n'est pas du ciel la lumière enchantée,
Ni l'onde éblouissante, où ma vue arrêtée
Ne pouvait soutenir l'éclat d'un sable d'or,
Qui fait en y rêvant que je tressaille encor :
C'était toi, mon amour, mon avenir, mon âme !
C'était toi, qui m'aimais ; toi, qui semblais heureux !
C'était ton regard pur qui répandait sa flamme
Sur notre plus beau jour réfléchi dans tes yeux.
Le veux-tu ? retournons sous ces paisibles ombres,
**** d'un monde orageux, **** de nos cités sombres ;
Viens ! cachés dans les fleurs, nos destins, nos amours,
Comme les deux ruisseaux se confondront toujours !

— The End —