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Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, devisant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain ;
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Betty Ponder Oct 2013
Vous serez toujours dans mon coeur.
Vous serez egalement mon port dans la tempete.
Essayant de ne pas faire trop d'erreurs,
si je le fais, sourire, t'aime mon ami.
Paul d'Aubin Jan 2016
L’être Méditerranéen et la mer

« Écrit à partir d’un extrait d’une lettre à un ami prenant le bateau à Barcelone pour se rendre à Tanger »

Ce soir ou demain, vous serez sur notre chère «Mare nostrum» dont seuls les Romains arrivèrent à tisser, certes par la violence, l'unité provisoire.
Vous vous promènerez sur le pont en humant l'air marin, mêlé aux senteurs d’embruns salés, de peinture et de goudron et vous vous sentirez «en partance »; délicieuse sensation si rare de l'être libre enfin « désamarré » des vêtures de plomb de ses habitudes et contraintes, l’amoindrissent et le ligotent. Vous êtes enfin partis et pas si pressés que cela d'arriver « à bon port », tant le voyage, lui-même, est attrayant, enchanteur et bariolé de curiosités enfin assouvies. Vous serez alors en mer entre le goût de la méditation à laquelle nous incitent la vaste étendue marine et l'excitation bouillonnante de vos enfants ravis.
Cependant le temps ne sera ni à la nostalgie ni à la tristesse, mais a une forme de communion sans hostie, entre la terre et la mer, entre toutes ces hautes civilisations qui se sont succédées et se sont si souvent inutilement combattues sur ces flots irisés et ces rives empreintes d'une si grande beauté et d'une paix apparente, hélas, tant de fois brisée par la folie des hommes.
C'est alors, peut-être, que tous deux, ressentirez et peut-être voudrez bien transmettre à vos enfants  d'être, avant tout, des Méditerranéens.


En effet, « être méditerranéen», ce n'est pas seulement dû à un coup de dés du hasard, ni au seul hasard relevant de son lieu de naissance. Non; c'est d'abord la participation à un «art de vivre » qui mêle étroitement uni les idéaux Apollinien et Dionysien. C’est aussi une chance donnée d'atteindre ce si subtil équilibre de l'Esprit Humain qui nous a donné : Ulysse, Averroès, Le Maimonide, Cervantès, El Greco, Ibn Khaldoun, Leonardo da Vinci, Dante Alighieri, Pascal Paoli, Antoni Gaudi, Albert Camus, Yacine Kateb et Youssef Chahine.

« Etre Méditerranéen » c’est refuser le malheur des êtres, ce qui provoque et crée  ces actuels «naufragés de la honte», tous les  «attentats nihilistes et meurtriers» aux  prétextes divers qui  se déguisent sous des motifs pseudo ment religieux; ou sont le fruit d'indignes rivalités de puissances,  de la confiscation de cette ressource de l’Humanité, le pétrole. Car cette violence  risque de ruiner nos civilisations millénaires. A l’inverse;  « Etre Méditerranéen» c’est vibrer à ce vaste « chant du Monde», porté par les meilleurs poètes et philosophes, lesquels ont toujours œuvrés pour une humanité et une convivence meilleures, plus riantes, plus soucieuses des êtres et vraiment fraternelles.

Paul Arrighi (Texte écrit, cet été  sur le cargo «Le Girolata» relu et modifié à Toulouse le mardi 19 janvier  2016)
Ô lâches, la voilà ! Dégorgez dans les gares !
Le soleil essuya de ses poumons ardents
Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares.
Voilà la Cité sainte, assise à l'occident !

Allez ! on préviendra les reflux d'incendie,
Voilà les quais, voilà les boulevards, voilà
Les maisons sur l'azur léger qui s'irradie
Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila !

Cachez les palais morts dans des niches de planches !
L'ancien jour effaré rafraîchit vos regards.
Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches :
Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards !

Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,
Le cri des maisons d'or vous réclame. Volez !
Mangez ! Voici la nuit de joie aux profonds spasmes
Qui descend dans la rue. Ô buveurs désolés,

Buvez ! Quand la lumière arrive intense et folle,
Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants,
Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole,
Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs ?

Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes !
Ecoutez l'action des stupides hoquets
Déchirants ! Ecoutez sauter aux nuits ardentes
Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais !

Ô coeurs de saleté, bouches épouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs !
Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables...
Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs !

Ouvrez votre narine aux superbes nausées !
Trempez de poisons forts les cordes de vos cous !
Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisées
Le Poète vous dit : " Ô lâches, soyez fous !

Parce que vous fouillez le ventre de la Femme,
Vous craignez d'elle encore une convulsion
Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme
Sur sa poitrine, en une horrible pression.

Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,
Qu'est-ce que ça peut faire à la putain Paris,
Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques ?
Elle se secouera de vous, hargneux pourris !

Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles,
Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus,
La rouge courtisane aux seins gros de batailles
**** de votre stupeur tordra ses poings ardus !

Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères,
Paris ! quand tu reçus tant de coups de couteau,
Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires
Un peu de la bonté du fauve renouveau,

Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte,
La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir
Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes,
Cité que le Passé sombre pourrait bénir :

Corps remagnétisé pour les énormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable ! tu sens
Sourdre le flux des vers livides en tes veines,
Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants !

Et ce n'est pas mauvais. Les vers, les vers livides
Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès
Que les Stryx n'éteignaient l'oeil des Cariatides
Où des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrés."

Quoique ce soit affreux de te revoir couverte,
Ainsi ; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité
Ulcère plus puant à la Nature verte,
Le Poète te dit : " Splendide est ta Beauté !"

L'orage t'a sacrée suprême poésie ;
L'immense remuement des forces te secourt ;
Ton oeuvre bout, la mort gronde, Cité choisie !
Amasse les strideurs au coeur du clairon sourd.

Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,
La haine des Forçats, la clameur des Maudits ;
Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront : Voilà ! voilà ! bandits !

- Société, tout est rétabli : - les ******
Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars :
Et les gaz en délire, aux murailles rougies,
Flambent sinistrement vers les azurs blafards !
Les champs n'étaient point noirs, les cieux n'étaient pas mornes.
Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes
Sur la terre étendu,
L'air était plein d'encens et les prés de verdures
Quand il revit ces lieux où par tant de blessures
Son cœur s'est répandu !

L'automne souriait ; les coteaux vers la plaine
Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine ;
Le ciel était doré ;
Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme,
Disant peut-être à Dieu quelque chose de l'homme,
Chantaient leur chant sacré !

Il voulut tout revoir, l'étang près de la source,
La masure où l'aumône avait vidé leur bourse,
Le vieux frêne plié,
Les retraites d'amour au fond des bois perdues,
L'arbre où dans les baisers leurs âmes confondues
Avaient tout oublié !

Il chercha le jardin, la maison isolée,
La grille d'où l'œil plonge en une oblique allée,
Les vergers en talus.
Pâle, il marchait. - Au bruit de son pas grave et sombre,
Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l'ombre
Des jours qui ne sont plus !

Il entendait frémir dans la forêt qu'il aime
Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même,
Y réveille l'amour,
Et, remuant le chêne ou balançant la rose,
Semble l'âme de tout qui va sur chaque chose
Se poser tour à tour !

Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire,
S'efforçant sous ses pas de s'élever de terre,
Couraient dans le jardin ;
Ainsi, parfois, quand l'âme est triste, nos pensées
S'envolent un moment sur leurs ailes blessées,
Puis retombent soudain.

Il contempla longtemps les formes magnifiques
Que la nature prend dans les champs pacifiques ;
Il rêva jusqu'au soir ;
Tout le jour il erra le long de la ravine,
Admirant tour à tour le ciel, face divine,
Le lac, divin miroir !

Hélas ! se rappelant ses douces aventures,
Regardant, sans entrer, par-dessus les clôtures,
Ainsi qu'un paria,
Il erra tout le jour. Vers l'heure où la nuit tombe,
Il se sentit le cœur triste comme une tombe,
Alors il s'écria :

« Ô douleur ! j'ai voulu, moi dont l'âme est troublée,
Savoir si l'urne encor conservait la liqueur,
Et voir ce qu'avait fait cette heureuse vallée
De tout ce que j'avais laissé là de mon cœur !

« Que peu de temps suffit pour changer toutes choses !
Nature au front serein, comme vous oubliez !
Et comme vous brisez dans vos métamorphoses
Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés !

« Nos chambres de feuillage en halliers sont changées !
L'arbre où fut notre chiffre est mort ou renversé ;
Nos roses dans l'enclos ont été ravagées
Par les petits enfants qui sautent le fossé !

« Un mur clôt la fontaine où, par l'heure échauffée,
Folâtre, elle buvait en descendant des bois ;
Elle prenait de l'eau dans sa main, douce fée,
Et laissait retomber des perles de ses doigts !

« On a pavé la route âpre et mal aplanie,
Où, dans le sable pur se dessinant si bien,
Et de sa petitesse étalant l'ironie,
Son pied charmant semblait rire à côté du mien !

« La borne du chemin, qui vit des jours sans nombre,
Où jadis pour m'attendre elle aimait à s'asseoir,
S'est usée en heurtant, lorsque la route est sombre,
Les grands chars gémissants qui reviennent le soir.

« La forêt ici manque et là s'est agrandie.
De tout ce qui fut nous presque rien n'est vivant ;
Et, comme un tas de cendre éteinte et refroidie,
L'amas des souvenirs se disperse à tout vent !

« N'existons-nous donc plus ? Avons-nous eu notre heure ?
Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus ?
L'air joue avec la branche au moment où je pleure ;
Ma maison me regarde et ne me connaît plus.

« D'autres vont maintenant passer où nous passâmes.
Nous y sommes venus, d'autres vont y venir ;
Et le songe qu'avaient ébauché nos deux âmes,
Ils le continueront sans pouvoir le finir !

« Car personne ici-bas ne termine et n'achève ;
Les pires des humains sont comme les meilleurs ;
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve.
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs.

« Oui, d'autres à leur tour viendront, couples sans tache,
Puiser dans cet asile heureux, calme, enchanté,
Tout ce que la nature à l'amour qui se cache
Mêle de rêverie et de solennité !

« D'autres auront nos champs, nos sentiers, nos retraites ;
Ton bois, ma bien-aimée, est à des inconnus.
D'autres femmes viendront, baigneuses indiscrètes,
Troubler le flot sacré qu'ont touché tes pieds nus !

« Quoi donc ! c'est vainement qu'ici nous nous aimâmes !
Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris
Où nous fondions notre être en y mêlant nos flammes !
L'impassible nature a déjà tout repris.

« Oh ! dites-moi, ravins, frais ruisseaux, treilles mûres,
Rameaux chargés de nids, grottes, forêts, buissons,
Est-ce que vous ferez pour d'autres vos murmures ?
Est-ce que vous direz à d'autres vos chansons ?

« Nous vous comprenions tant ! doux, attentifs, austères,
Tous nos échos s'ouvraient si bien à votre voix !
Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères,
L'oreille aux mots profonds que vous dites parfois !

« Répondez, vallon pur, répondez, solitude,
Ô nature abritée en ce désert si beau,
Lorsque nous dormirons tous deux dans l'attitude
Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau ;

« Est-ce que vous serez à ce point insensible
De nous savoir couchés, morts avec nos amours,
Et de continuer votre fête paisible,
Et de toujours sourire et de chanter toujours ?

« Est-ce que, nous sentant errer dans vos retraites,  
Fantômes reconnus par vos monts et vos bois,
Vous ne nous direz pas de ces choses secrètes
Qu'on dit en revoyant des amis d'autrefois ?

« Est-ce que vous pourriez, sans tristesse et sans plainte,
Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas,
Et la voir m'entraîner, dans une morne étreinte,
Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas ?

« Et s'il est quelque part, dans l'ombre où rien ne veille,
Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports,
Ne leur irez-vous pas murmurer à l'oreille :
- Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts !

« Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines,
Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds
Et les cieux azurés et les lacs et les plaines,
Pour y mettre nos cœurs, nos rêves, nos amours !

« Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme ;
Il plonge dans la nuit l'antre où nous rayonnons ;
Et dit à la vallée, où s'imprima notre âme,
D'effacer notre trace et d'oublier nos noms.

« Eh bien ! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages !
Herbe, use notre seuil ! ronce, cache nos pas !
Chantez, oiseaux ! ruisseaux, coulez ! croissez, feuillages !
Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.

« Car vous êtes pour nous l'ombre de l'amour même !
Vous êtes l'oasis qu'on rencontre en chemin !
Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême
Où nous avons pleuré nous tenant par la main !

« Toutes les passions s'éloignent avec l'âge,
L'une emportant son masque et l'autre son couteau,
Comme un essaim chantant d'histrions en voyage
Dont le groupe décroît derrière le coteau.

« Mais toi, rien ne t'efface, amour ! toi qui nous charmes,
Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard !
Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes ;
Jeune homme on te maudit, on t'adore vieillard.

« Dans ces jours où la tête au poids des ans s'incline,
Où l'homme, sans projets, sans but, sans visions,
Sent qu'il n'est déjà plus qu'une tombe en ruine
Où gisent ses vertus et ses illusions ;

« Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles,
Comptant dans notre cœur, qu'enfin la glace atteint,
Comme on compte les morts sur un champ de batailles,
Chaque douleur tombée et chaque songe éteint,

« Comme quelqu'un qui cherche en tenant une lampe,
**** des objets réels, **** du monde rieur,
Elle arrive à pas lents par une obscure rampe
Jusqu'au fond désolé du gouffre intérieur ;

« Et là, dans cette nuit qu'aucun rayon n'étoile,
L'âme, en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encor palpiter sous un voile...
C'est toi qui dors dans l'ombre, ô sacré souvenir ! »

Le 21 octobre 1837.
Dans dix ans d'ici seulement,
Vous serez un peu moins cruelle.
C'est long, à parler franchement.
L'amour viendra probablement
Donner à l'horloge un coup d'aile.

Votre beauté nous ensorcelle,
Prenez-y garde cependant :
On apprend plus d'une nouvelle
En dix ans.

Quand ce temps viendra, d'un amant
Je serai le parfait modèle,
Trop bête pour être inconstant,
Et trop laid pour être infidèle.
Mais vous serez encor trop belle
Dans dix ans.
Un tout petit enfant s'en allait à l'école.
On avait dit : Allez !... il tâchait d'obéir ;
Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir.
Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.

« Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler ?
Moi, je vais à l'école : il faut apprendre à lire ;
Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire :
Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre à voler ? »

« Non, dit-elle ; j'arrive et je suis très pressée.
J'avais froid ; l'aquilon m'a longtemps oppressée :
Enfin, j'ai vu les fleurs, je redescends du ciel,
Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
Voyez ! j'en ai déjà puisé dans quatre roses ;
Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.
Vite, vite à la ruche ! on ne rit pas toujours :
C'est pour faire le miel qu'on nous rends les beaux jours. »

Elle fuit et se perd sur la route embaumée.
Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert ;
Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée
Se montrait sans nuage et riait de l'hiver.

Une hirondelle passe : elle effleure la joue
Du petit nonchalant qui s'attriste et qui joue.
Et dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.

« Oh ! bonjour ! dit l'enfant, qui se souvenait d'elle ;
Je t'ai vue à l'automne ; oh ! bonjour, hirondelle.
Viens ! tu portais bonheur à ma maison, et moi
Je voudrais du bonheur. Veux-tu m'en donner, toi ?
Jouons. » - « Je le voudrais, répond la voyageuse,
Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.
Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps ;
Ils rêveraient ma mort si je tardais longtemps.
Non, je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,
J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance.
Nous allons relever nos palais dégarnis :
L'herbe croît, c'est l'instant des amours et des nids.
J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,
Je vais chercher mes soeurs, là-bas, sur le chemin.
Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,
Il faut en profiler. Je me sauve... À demain ! »

L'enfant reste muet ; et, la tête baissée,
Rêve et compte ses pas, pour tromper son ennui,
Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
Rompt ses fragiles noeuds, et tombe auprès de lui.

Un dogue l'observait du seuil de sa demeure.
Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.
Hélas ! peut-on crier contre un enfant qui pleure ?
« Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu,
Dit l'écolier plaintif ? Je n'aime pas mon livre ;
Voyez ! ma main est rouge, il en est cause. Au jeu
Rien ne fatigue, on rit ; et moi je voudrais vivre
Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours ;
Je m'en plains tous les soirs, et j'y vais tous les jours ;
J'en suis très mécontent. Je n'aime aucune affaire.
Le sort des chiens me plaît, car ils n'ont rien à faire. »

« Écolier ! voyez-vous ce laboureur aux champs ?
Eh bien ! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître.
Il est très vigilant ; je le suis plus, peut-être.
Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants.
J'éveille aussi ce boeuf qui, d'un pied lent, mais ferme,
Va creuser les sillons quand je garde la ferme.
Pour vous même on travaille ; et, grâce à vos brebis,
Votre mère, en chantant, vous file des habits.
Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange. »

« Allez donc à l'école ; allez, mon petit ange !
Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux :
L'ignorance toujours mène à la servitude.
L'homme est fin, l'homme est sage, il nous défend l'étude,
« Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux ;
Les chiens vous serviront. » L'enfant l'écouta dire,
Et même il le baisa.
Son livre était moins lourd.
En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court.
L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.
À l'école, un peu ****, il arrive gaîment,
Et dans le mois des fruits il lisait couramment.
Je peux emporter votre douleur encore
une fois vous vous sentez comme retomber
dans le même lit c'était presque facile
de tomber en amour avec moi comme je t'aime , mais vous ne serez jamais m'aimer
comme que vous
êtes un ange et je suis Satan spawn

Très chers mère Marie veuillez me pardonner votre favori pécheur car je suis maintenant n'est plus capable de faire la lumière dans ce monde de la sombre et froide Blackhearts timide que j'adore
Enfants ! - Oh ! revenez ! Tout à l'heure, imprudent,
Je vous ai de ma chambre exilés en grondant,
Rauque et tout hérissé de paroles moroses.
Et qu'aviez-vous donc fait, bandits aux lèvres roses ?
Quel crime ? quel exploit ? quel forfait insensé ?
Quel vase du Japon en mille éclats brisé ?
Quel vieux portrait crevé ? Quel beau missel gothique
Enrichi par vos mains d'un dessin fantastique ?
Non, rien de tout cela. Vous aviez seulement,
Ce matin, restés seuls dans ma chambre un moment,
Pris, parmi ces papiers que mon esprit colore,
Quelques vers, groupe informe, embryons près d'éclore,
Puis vous les aviez mis, prompts à vous accorder,
Dans le feu, pour jouer, pour voir, pour regarder
Dans une cendre noire errer des étincelles,
Comme brillent sur l'eau de nocturnes nacelles,
Ou comme, de fenêtre en fenêtre, on peut voir
Des lumières courir dans les maisons le soir.

Voilà tout. Vous jouiez et vous croyiez bien faire.

Belle perte, en effet ! beau sujet de colère !
Une strophe, mal née au doux bruit de vos jeux,
Qui remuait les mots d'un vol trop orageux !
Une ode qui chargeait d'une rime gonflée
Sa stance paresseuse en marchant essoufflée !
De lourds alexandrins l'un sur l'autre enjambant
Comme des écoliers qui sortent de leur banc !
Un autre eût dit : - Merci ! Vous ôtez une proie
Au feuilleton méchant qui bondissait de joie
Et d'avance poussait des rires infernaux
Dans l'antre qu'il se creuse au bas des grands journaux.
Moi, je vous ai grondés. Tort grave et ridicule !

Nains charmants que n'eût pas voulu fâcher Hercule,
Moi, je vous ai fait peur. J'ai, rêveur triste et dur,
Reculé brusquement ma chaise jusqu'au mur,
Et, vous jetant ces noms dont l'envieux vous nomme,
J'ai dit : - Allez-vous-en ! laissez-moi seul ! - Pauvre homme !
Seul ! le beau résultat ! le beau triomphe ! seul !
Comme on oublie un mort roulé dans son linceul,
Vous m'avez laissé là, l'oeil fixé sur ma porte,
Hautain, grave et puni. - Mais vous, que vous importe !
Vous avez retrouvé dehors la liberté,
Le grand air, le beau parc, le gazon souhaité,
L'eau courante où l'on jette une herbe à l'aventure,
Le ciel bleu, le printemps, la sereine nature,
Ce livre des oiseaux et des bohémiens,
Ce poème de Dieu qui vaut mieux que les miens,
Où l'enfant peut cueillir la fleur, strophe vivante,
Sans qu'une grosse voix tout à coup l'épouvante !
Moi, je suis resté seul, toute joie ayant fui,
Seul avec ce pédant qu'on appelle l'ennui.
Car, depuis le matin assis dans l'antichambre,
Ce docteur, né dans Londres, un dimanche, en décembre,
Qui ne vous aime pas, ô mes pauvres petits,
Attendait pour entrer que vous fussiez sortis.
Dans l'angle où vous jouiez il est là qui soupire,
Et je le vois bâiller, moi qui vous voyais rire !

Que faire ? lire un livre ? oh non ! - dicter des vers ?
A quoi bon ? - Emaux bleus ou blancs, céladons verts,
Sphère qui fait tourner tout le ciel sur son axe,
Les beaux insectes peints sur mes tasses de Saxe,
Tout m'ennuie, et je pense à vous. En vérité,
Vous partis, j'ai perdu le soleil, la gaîté,
Le bruit joyeux qui fait qu'on rêve, le délire
De voir le tout petit s'aider du doigt pour lire,
Les fronts pleins de candeur qui disent toujours oui,
L'éclat de rire franc, sincère, épanoui,
Qui met subitement des perles sur les lèvres,
Les beaux grands yeux naïfs admirant mon vieux Sèvres,
La curiosité qui cherche à tout savoir,
Et les coudes qu'on pousse en disant : Viens donc voir !

Oh ! certes, les esprits, les sylphes et les fées
Que le vent dans ma chambre apporte par bouffées,
Les gnomes accroupis là-haut, près du plafond,
Dans les angles obscurs que mes vieux livres font,
Les lutins familiers, nains à la longue échine,
Qui parlent dans les coins à mes vases de Chine.
Tout l'invisible essaim de ces démons joyeux
A dû rire aux éclats, quand là, devant leurs yeux,
Ils vous ont vus saisir dans la boîte aux ébauches
Ces hexamètres nus, boiteux, difformes, gauches,
Les traîner au grand jour, pauvres hiboux fâchés,
Et puis, battant des mains, autour du feu penchés,
De tous ces corps hideux soudain tirant une âme,
Avec ces vers si laids faire une belle flamme !

Espiègles radieux que j'ai fait envoler,
Oh ! revenez ici chanter, danser, parler,
Tantôt, groupe folâtre, ouvrir un gros volume,
Tantôt courir, pousser mon bras qui tient ma plume,
Et faire dans le vers que je viens retoucher
Saillir soudain un angle aigu comme un clocher
Qui perce tout à coup un horizon de plaines.
Mon âme se réchauffe à vos douces haleines.
Revenez près de moi, souriant de plaisir,
Bruire et gazouiller, et sans peur obscurcir
Le vieux livre où je lis de vos ombres penchées,
Folles têtes d'enfants ! gaîtés effarouchées !

J'en conviens, j'avais tort, et vous aviez raison.
Mais qui n'a quelquefois grondé hors de saison ?
Il faut être indulgent. Nous avons nos misères.
Les petits pour les grands ont tort d'être sévères.
Enfants ! chaque matin, votre âme avec amour
S'ouvre à la joie ainsi que la fenêtre au jour.
Beau miracle, vraiment, que l'enfant, *** sans cesse,
Ayant tout le bonheur, ait toute la sagesse !
Le destin vous caresse en vos commencements.
Vous n'avez qu'à jouer et vous êtes charmants.
Mais nous, nous qui pensons, nous qui vivons, nous sommes
Hargneux, tristes, mauvais, ô mes chers petits hommes !
On a ses jours d'humeur, de déraison, d'ennui.
Il pleuvait ce matin. Il fait froid aujourd'hui.
Un nuage mal fait dans le ciel tout à l'heure
A passé. Que nous veut cette cloche qui pleure ?
Puis on a dans le coeur quelque remords. Voilà
Ce qui nous rend méchants. Vous saurez tout cela,
Quand l'âge à votre tour ternira vos visages,
Quand vous serez plus grands, c'est-à-dire moins sages.

J'ai donc eu tort. C'est dit. Mais c'est assez punir,
Mais il faut pardonner, mais il faut revenir.
Voyons, faisons la paix, je vous prie à mains jointes.
Tenez, crayons, papiers, mon vieux compas sans pointes,
Mes laques et mes grès, qu'une vitre défend,
Tous ces hochets de l'homme enviés par l'enfant,
Mes gros chinois ventrus faits comme des concombres,
Mon vieux tableau trouvé sous d'antiques décombres,
Je vous livrerai tout, vous toucherez à tout !
Vous pourrez sur ma table être assis ou debout,
Et chanter, et traîner, sans que je me récrie,
Mon grand fauteuil de chêne et de tapisserie,
Et sur mon banc sculpté jeter tous à la fois
Vos jouets anguleux qui déchirent le bois !
Je vous laisserai même, et gaîment, et sans crainte,
Ô prodige ! en vos mains tenir ma bible peinte,
Que vous n'avez touchée encor qu'avec terreur,
Où l'on voit Dieu le père en habit d'empereur !

Et puis, brûlez les vers dont ma table est semée,
Si vous tenez à voir ce qu'ils font de fumée !
Brûlez ou déchirez ! - Je serais moins clément
Si c'était chez Méry, le poète charmant,
Que Marseille la grecque, heureuse et noble ville,
Blonde fille d'Homère, a fait fils de Virgile.
Je vous dirais : - " Enfants, ne touchez que des yeux
A ces vers qui demain s'envoleront aux cieux.
Ces papiers, c'est le nid, retraite caressée,
Où du poète ailé rampe encor la pensée.
Oh ! n'en approchez pas ! car les vers nouveau-nés,
Au manuscrit natal encore emprisonnés,
Souffrent entre vos mains innocemment cruelles.
Vous leur blessez le pied, vous leur froissez les ailes ;
Et, sans vous en douter, vous leur faites ces maux
Que les petits enfants font aux petits oiseaux. "

Mais qu'importe les miens ! - Toute ma poésie,
C'est vous, et mon esprit suit votre fantaisie.
Vous êtes les reflets et les rayonnements
Dont j'éclaire mon vers si sombre par moments.
Enfants, vous dont la vie est faite d'espérance,
Enfants, vous dont la joie est faite d'ignorance,
Vous n'avez pas souffert et vous ne savez pas,
Quand la pensée en nous a marché pas à pas,
Sur le poète morne et fatigué d'écrire
Quelle douce chaleur répand votre sourire !
Combien il a besoin, quand sa tête se rompt,
De la sérénité qui luit sur votre front ;
Et quel enchantement l'enivre et le fascine,
Quand le charmant hasard de quelque cour voisine,
Où vous vous ébattez sous un arbre penchant,
Mêle vos joyeux cris à son douloureux chant !

Revenez donc, hélas ! revenez dans mon ombre,
Si vous ne voulez pas que je sois triste et sombre,
Pareil, dans l'abandon où vous m'avez laissé,
Au pêcheur d'Etretat, d'un long hiver lassé,
Qui médite appuyé sur son coude, et s'ennuie
De voir à sa fenêtre un ciel rayé de pluie.
La vérité, toute nue,
Sortit un jour de son puits.
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits ;
Jeune et vieux fuyaient à sa vue.
La pauvre vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
A ses yeux vient se présenter
La fable, richement vêtue,
Portant plumes et diamants,
La plupart faux, mais très brillants.
Eh ! Vous voilà ! Bon jour, dit-elle :
Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La vérité répond : vous le voyez, je gèle ;
Aux passants je demande en vain
De me donner une retraite,
Je leur fais peur à tous : hélas ! Je le vois bien,
Vieille femme n'obtient plus rien.
Vous êtes pourtant ma cadette,
Dit la fable, et, sans vanité,
Partout je suis fort bien reçue :
Mais aussi, dame vérité,
Pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n'est pas adroit : tenez, arrangeons-nous ;
Qu'un même intérêt nous rassemble :
Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
Chez le sage, à cause de vous,
Je ne serai point rebutée ;
A cause de moi, chez les fous
Vous ne serez point maltraitée :
Servant, par ce moyen, chacun selon son goût,
Grâce à votre raison, et grâce à ma folie,
Vous verrez, ma soeur, que partout
Nous passerons de compagnie.
I.

Maintenant il se dit : - L'empire est chancelant
La victoire est peu sûre. -
Il cherche à s'en aller, furtif et reculant.
Reste dans la masure !

Tu dis : - Le plafond croule. Ils vont, si l'on me voit,
Empêcher que je sorte. -
N'osant rester ni fuir, tu regardes le toit,
Tu regardes la porte ;

Tu mets timidement la main sur le verrou.
Reste en leurs rangs funèbres !
Reste ! la loi qu'ils ont enfouie en un trou
Est là dans les ténèbres.

Reste ! elle est là, le flanc percé de leur couteau,
Gisante, et sur sa bière
Ils ont mis une dalle. Un pan de ton manteau
Est pris sous cette pierre !

Pendant qu'à l'Elysée en fête et plein d'encens
On chante, on déblatère,
Qu'on oublie et qu'on rit, toi tu pâlis ; tu sens
Ce spectre sous la terre !

Tu ne t'en iras pas ! quoi ! quitter leur maison
Et fuir leur destinée !
Quoi ! tu voudrais trahir jusqu'à la trahison,
Elle-même indignée !

Quoi ! tu veux renier ce larron au front bas
Qui t'admire et t'honore !
Quoi ! Judas pour Jésus, tu veux pour Barabbas
Etre Judas encore !

Quoi ! n'as-tu pas tenu l'échelle à ces fripons,
En pleine connivence ?
Le sac de ces voleurs ne fut-il pas, réponds,
Cousu par toi d'avance !

Les mensonges, la haine au dard froid et visqueux,
Habitent ce repaire ;
Tu t'en vas ! de quel droit ? étant plus renard qu'eux,
Et plus qu'elle vipère !

II.

Quand l'Italie en deuil dressa, du Tibre au Pô,
Son drapeau magnifique,
Quand ce grand peuple, après s'être couché troupeau,
Se leva république,

C'est toi, quand Rome aux fers jeta le cri d'espoir,
Toi qui brisas son aile,
Toi qui fis retomber l'affreux capuchon noir
Sur sa face éternelle !

C'est toi qui restauras Montrouge et Saint-Acheul,
Écoles dégradées,
Où l'on met à l'esprit frémissant un linceul,
Un bâillon aux idées.

C'est toi qui, pour progrès rêvant l'homme animal,
Livras l'enfant victime
Aux jésuites lascifs, sombres amants du mal,
En rut devant le crime !

Ô pauvres chers enfants qu'ont nourris de leur lait
Et qu'ont bercés nos femmes,
Ces blêmes oiseleurs ont pris dans leur filet
Toutes vos douces âmes !

Hélas ! ce triste oiseau, sans plumes sur la chair,
Rongé de lèpre immonde,
Qui rampe et qui se meurt dans leur cage de fer,
C'est l'avenir du monde !

Si nous les laissons faire, on aura dans vingt ans,
Sous les cieux que Dieu dore,
Une France aux yeux ronds, aux regards clignotants,
Qui haïra l'aurore !

Ces noirs magiciens, ces jongleurs tortueux,
Dont la fraude est la règle,
Pour en faire sortir le hibou monstrueux,
Ont volé l'oeuf de l'aigle !

III.

Donc, comme les baskirs, sur Paris étouffé,
Et comme les croates,
Créateurs du néant, vous avez triomphé
Dans vos haines béates ;

Et vous êtes joyeux, vous, constructeurs savants
Des préjugés sans nombre,
Qui, pareils à la nuit, versez sur les vivants
Des urnes pleines d'ombre !

Vous courez saluer le nain Napoléon ;
Vous dansez dans l'orgie.
Ce grand siècle est souillé ; c'était le Panthéon,
Et c'est la tabagie.

Et vous dites : c'est bien ! vous sacrez parmi nous
César, au nom de Rome,
L'assassin qui, la nuit, se met à deux genoux
Sur le ventre d'un homme.

Ah ! malheureux ! louez César qui fait trembler,
Adorez son étoile ;
Vous oubliez le Dieu vivant qui peut rouler
Les cieux comme une toile !

Encore un peu de temps, et ceci tombera ;
Dieu vengera sa cause !
Les villes chanteront, le lieu désert sera
Joyeux comme une rose !

Encore un peu de temps, et vous ne serez plus,
Et je viens vous le dire.
Vous êtes les maudits, nous sommes les élus.
Regardez-nous sourire !

Je le sais, moi qui vis au bord du gouffre amer
Sur les rocs centenaires,
Moi qui passe mes jours à contempler la mer
Pleine de sourds tonnerres !

IV.

Toi, leur chef, sois leur chef ! c'est là ton châtiment.
Sois l'homme des discordes !
Ces fourbes ont saisi le genre humain dormant
Et l'ont lié de cordes.

Ah ! tu voulus défaire, épouvantable affront !
Les âmes que Dieu crée ?
Eh bien, frissonne et pleure, atteint toi-même au front
Par ton œuvre exécrée !

À mesure que vient l'ignorance, et l'oubli,
Et l'erreur qu'elle amène,
À mesure qu'aux cieux décroît, soleil pâli,
L'intelligence humaine,

Et que son jour s'éteint, laissant l'homme méchant
Et plus froid que les marbres,
Votre honte, ô maudits, grandit comme au couchant
Grandit l'ombre des arbres !

V.

Oui, reste leur apôtre ! oui, tu l'as mérité.
C'est là ta peine énorme !
Regarde en frémissant dans la postérité !
Ta mémoire difforme.

On voit, louche rhéteur des vieux partis hurlants,
Qui mens et qui t'emportes,
Pendre à tes noirs discours, comme à des clous sanglants,
Toutes les grandes mortes,

La justice, la foi, bel ange souffleté
Par la goule papale,
La vérité, fermant les yeux, la liberté
Echevelée et pâle,

Et ces deux soeurs, hélas ! nos mères toutes deux,
Rome, qu'en pleurs je nomme,
Et la France sur qui, raffinement hideux,
Coule le sang de Rome !

Homme fatal ! l'histoire en ses enseignements
Te montrera dans l'ombre,
Comme on montre un gibet entouré d'ossements
Sur la colline sombre !

Jersey, le 24 janvier 1853.
Dans dix ans d'ici seulement,
Vous serez un peu moins cruelle.
C'est long, à parler franchement.
L'amour viendra probablement
Donner à l'horloge un coup d'aile.

Votre beauté nous ensorcelle,
Prenez-y garde cependant :
On apprend plus d'une nouvelle
En dix ans.

Quand ce temps viendra, d'un amant
Je serai le parfait modèle,
Trop bête pour être inconstant,
Et trop laid pour être infidèle.
Mais vous serez encor trop belle
Dans dix ans.
Rien encore n'a germé de vos rameaux flottants
Sur notre jeune terre où, depuis quarante ans,
Tant d'âmes se sont échouées,
Doctrines aux fruits d'or, espoir des nations,
Que la hâtive main des révolutions
Sur nos têtes a secouées !

Nous attendons toujours ! Seigneur, prenez pitié
Des peuples qui, toujours satisfaits à moitié,
Vont d'espérance en espérance ;
Et montrez-nous enfin l'homme de votre choix
Parmi tous ces tribuns et parmi tous ces rois
Que vous essayez à la France !

Qui peut se croire fort, puissant et souverain ?
Qui peut dire en scellant des barrières d'airain :
Jamais vous ne serez franchies !
Dans ce siècle de bruit, de gloire et de revers,
Où les roseaux penchés au bord des étangs verts
Durent plus que les monarchies !

Rois ! la bure est souvent jalouse du velours.
Le peuple a froid l'hiver, le peuple a faim toujours.
Rendez-lui son sort plus facile.
Le peuple souvent porte un bien rude collier.
Ouvrez l'école aux fils, aux pères l'atelier,
À tous vos bras, auguste asile !

Par la bonté des rois rendez les peuples bons.
Sous d'étranges malheurs souvent nous nous courbons.
Songez que Dieu seul est le maître.
Un bienfait par quelqu'un est toujours ramassé.
Songez-y, rois minés sur qui pèse un passé
Gros du même avenir peut-être !

Donnez à tous. Peut-être un jour tous vous rendront !
Donnez, - on ne sait pas quels épis germeront
Dans notre siècle autour des trônes ! -
De la main droite aux bons, de la gauche aux méchants !
Comme le laboureur sème sa graine aux champs,
Ensemencez les cœurs d'aumônes !

Ô rois ! le pain qu'on porte au vieillard desséché,
La pauvre adolescente enlevée au marché,
Le bienfait souriant, toujours prêt à toute heure,
Qui vient, riche et voilé, partout où quelqu'un pleure,
Le cri reconnaissant d'une mère à genoux,
L'enfant sauvé qui lève, entre le peuple et vous,
Ses deux petites mains sincères et joyeuses,
Sont la meilleure digue aux foules furieuses.

Hélas ! je vous le dis, ne vous endormez pas
Tandis que l'avenir s'amoncelle là-bas !

Il arrive parfois, dans le siècle où nous sommes,
Qu'un grand vent tout à coup soulève à flots les hommes ;
Vent de malheur, formé, comme tous les autans,
De souffles quelque part comprimés trop longtemps ;
Vent qui de tout foyer disperse la fumée ;
Dont s'attise l'idée à cette heure allumée ;
Qui passe sur tout homme, et, torche ou flot amer,
Le fait étinceler ou le fait écumer ;
Ebranle tout digue et toute citadelle ;
Dans la société met à nu d'un coup d'aile
Des sommets jusqu'alors par des brumes voilés,
Des gouffres ténébreux ou des coins étoilés ;
Vent fatal qui confond les meilleurs et les pires,
Arrache mainte tuile au vieux toit des empires,
Et prenant dans l'état, en haut, en bas, partout,
Tout esprit qui dérive et toute âme qui bout,
Tous ceux dont un zéphyr fait remuer les têtes,
Tout ce qui devient onde à l'heure des tempêtes,
Amoncelant dans l'ombre et chassant à la fois
Ces flots, ces bruits, ce peuple, et ces pas et ces voix,
Et ces groupes sans forme et ces rumeurs sans nombre,
Pousse tout cet orage au seuil d'un palais sombre !

Palais sombre en effet, et plongé dans la nuit !
D'où les illusions s'envolent à grand bruit,
Quelques-unes en pleurs, d'autres qu'on entend rire !
C'en est fait. L'heure vient, le voile se déchire,
Adieu les songes d'or ! On se réveille, on voit
Un spectre aux mains de chair qui vous touche du doigt.
C'est la réalité ! qu'on sent là, qui vous pèse.
On rêvait Charlemagne, on pense à Louis seize !

Heure grande et terrible où, doutant des canons,
La royauté, nommant ses amis par leurs noms,
Recueillant tous les bruits que la tempête apporte,
Attend, l'œil à la vitre et l'oreille à la porte !
Où l'on voit dans un coin, ses filles dans ses bras,
La reine qui pâlit, pauvre étrangère, hélas !

Où les petits enfants des familles royales
De quelque vieux soldat pressent les mains loyales,
Et demandent, avec des sanglots superflus,
Aux valets, qui déjà ne leur répondent plus,
D'où viennent ces rumeurs, ces terreurs, ce mystère,
Et les ébranlements de cette affreuse terre
Qu'ils sentent remuer comme la mer aux vents,
Et qui ne tremble pas sous les autres enfants !

Hélas ! vous crénelez vos mornes Tuileries,
Vous encombrez les ponts de vos artilleries,
Vous gardez chaque rue avec un régiment,
À quoi bon ? à quoi bon ? De moment en moment
La tourbe s'épaissit, grosse et désespérée
Et terrible, et qu'importe, à l'heure où leur marée
Sort et monte en hurlant du fond du gouffre amer,
La mitraille à la foule et la grêle à la mer !

Ô redoutable époque ! et quels temps que les nôtres !
Où, rien qu'en se serrant les uns contre les autres,
Les hommes dans leurs plis écrasent tours, châteaux,
Donjons que les captifs rayaient de leurs couteaux,
Créneaux, portes d'airain comme un carton ployées,
Et sur leurs boulevards vainement appuyées
Les pâles garnisons, et les canons de fer
Broyés avec le mur comme l'os dans la chair !

Comment se défendra ce roi qu'un peuple assiège ?
Plus léger sur ce flot que sur l'onde un vain liège,
Plus vacillant que l'ombre aux approches du soir,
Ecoutant sans entendre et regardant sans voir,
Il est là qui frissonne, impuissant, infertile,
Sa main tremble, et sa tête est un crible inutile,
Hélas ! hélas ! les rois en ont seuls de pareils !
Qui laisse tout passer, hors les mauvais conseils !

Que servent maintenant ces sabres, ces épées,
Ces lignes de soldats par des caissons coupées,
Ces bivouacs, allumés dans les jardins profonds,
Dont la lueur sinistre empourpre ses plafonds,
Ce général choisi, qui déjà, vaine garde,
Sent peut-être à son front sourdre une autre cocarde,
Et tous ces cuirassiers, soldats vieux ou nouveaux,
Qui plantent dans la cour des pieux pour leurs chevaux ?
Que sert la grille close et la mèche allumée ?
Il faudrait une tête, et tu n'as qu'une armée !

Que faire de ce peuple à l'immense roulis,
Mer qui traîne du moins une idée en ses plis,
Vaste inondation d'hommes, d'enfants, de femmes,
Flots qui tous ont des yeux, vagues qui sont des âmes ?

Malheur alors ! O Dieu ! faut-il que nous voyions
Le côté monstrueux des révolutions !
Qui peut dompter la mer ? Seigneur ! qui peut répondre
Des ondes de Paris et des vagues de Londres,
Surtout lorsque la ville, ameutée aux tambours
Sent ramper dans ses flots l'hydre de ses faubourgs !

Dans ce palais fatal où l'empire s'écroule,
Dont la porte bientôt va ployer sous la foule,
Où l'on parle tout bas de passages secrets,
Où le roi sent déjà qu'on le sert de moins près,
Où la mère en tremblant rit à l'enfant qui pleure,
Ô mon Dieu ! que va-t-il se passer tout à l'heure ?
Comment vont-ils jouer avec ce nid de rois ?
Pourquoi faut-il qu'aux jours où le pauvre aux abois
Sent sa haine des grands de ce qu'il souffre accrue,
Notre faute ou la leur le lâchent dans la rue ?
Temps de deuil où l'émeute en fureur sort de tout !
Où le peuple devient difforme tout à coup !

Malheur donc ! c'est fini. Plus de barrière au trône !
Mais Dieu garde un trésor à qui lui fit l'aumône.
Si le prince a laissé, dans des temps moins changeants,
L'empreinte de ses pas à des seuils indigents,
Si des bienfaits cachés il fut parfois complice,
S'il a souvent dit : grâce ! où la loi dit : supplice !
Ne désespérez pas. Le peuple aux mauvais jours
A pu tout oublier, Dieu se souvient toujours !

Souvent un cri du cœur sorti d'une humble bouche
Désarme, impérieux, une foule farouche
Qui tenait une proie en ses poings triomphants.
Les mères aux lions font rendre les enfants !

Oh ! dans cet instant même où le naufrage gronde,
Où l'on sent qu'un boulet ne peut rien contre une onde,
Où, liquide et fangeuse et pleine de courroux,
La populace à l'œil stupide, aux cheveux roux,
Aboyant sur le seuil comme un chien pour qu'on ouvre,
Arrive, éclaboussant les chapiteaux du Louvre,
Océan qui n'a pas d'heure pour son reflux !
Au moment où l'on voit que rien n'arrête plus
Ce flot toujours grossi, que chaque instant apporte,
Qui veut monter, qui hurle et qui mouille la porte,...
C'est un spectacle auguste et que j'ai vu déjà
Souvent, quand mon regard dans l'histoire plongea,
Qu'une bonne action, cachée en un coin sombre,
Qui sort subitement toute blanche de l'ombre,
Et comme autrefois Dieu qu'elle prend à témoin,
Dit au peuple écumant : Tu n'iras pas plus **** !

Le 28 décembre 1834.
Jésu Jackna Feb 2020
Un amant ailé

Soleil éthéré d’été
Laissez-moi être ton Icare
Même si je tombe sur la mer
Blessez mes faibles ailes
Brûlez mes yeux du cristal
Pour avoir du plaisir de vous regarder
Seulement une fois dans l’aube

Tomber amoureux, ce n’est pas un canular
Mais comment peux-je dire si vous me trompez ou pas ?
Serez-vous capable de me susurrer des illusions ?
Serais-je capable d’être le guignol de tes mains ?




Larmes d’or
Dessous kilos du sel
Personne n’écoute le son des souffrances invisibles
Néanmoins, comment pourrais-je demeurer dans vos oreilles ?  
Quand l’air, c’est l’eau
Et quand mes veines ont des poissons,
Toujours cannibales,
En nageant dans le liquide sanglant.

Serra ici le vide n’est plus un chose à craindre ?
Serra l’amour qui donne l’heure obscure ?
Alors, on paralysera et tombera sur un dimensionnelle lagune ?
Sans savoir où ou qui je serais
Malgré une existence n’est pas une réalité
Sans vous, les flammes, dans mon cœur avare
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis.

Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.

Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle,
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.

Pensez-y, belle marquise.
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi.
À Victor Hugo.


I.

Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,
Je guette, obéissant à mes humeurs fatales
Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,
Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus
Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes.
Sous des jupons troués et sous de froids tissus

Ils rampent, flagellés par les bises iniques,
Frémissant au fracas roulant des omnibus,
Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,
Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ;

Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ;
Se traînent, comme font les animaux blessés,
Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes
Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés

Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,
Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit ;
Ils ont les yeux divins de la petite fille
Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit.

- Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d'un goût bizarre et captivant,

Et lorsque j'entrevois un fantôme débile
Traversant de Paris le fourmillant tableau,
Il me semble toujours que cet être fragile
S'en va tout doucement vers un nouveau berceau ;

A moins que, méditant sur la géométrie,
Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords,
Combien de fois il faut que l'ouvrier varie
La forme de la boîte où l'on met tous ces corps.

- Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,
Des creusets qu'un métal refroidi pailleta...
Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes
Pour celui que l'austère Infortune allaita !

II.

De Frascati défunt Vestale enamourée ;
Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur
Enterré sait le nom ; célèbre évaporée
Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,

Toutes m'enivrent ; mais parmi ces êtres frêles
Il en est qui, faisant de la douleur un miel
Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes :
Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel !

L'une, par sa patrie au malheur exercée,
L'autre, que son époux surchargea de douleurs,
L'autre, par son enfant Madone transpercée,
Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs !

III.

Ah ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles !
Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombant
Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,
Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,

Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,
Dont les soldats parfois inondent nos jardins,
Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre,
Versent quelque héroïsme au coeur des citadins.

Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle,
Humait avidement ce chant vif et guerrier ;
Son oeil parfois s'ouvrait comme l'oeil d'un vieil aigle ;
Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier !

IV.

Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,
A travers le chaos des vivantes cités,
Mères au coeur saignant, courtisanes ou saintes,
Dont autrefois les noms par tous étaient cités.

Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,
Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivil
Vous insulte en passant d'un amour dérisoire ;
Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.

Honteuses d'exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;
Et nul ne vous salue, étranges destinées !
Débris d'humanité pour l'éternité mûrs !

Mais moi, moi qui de **** tendrement vous surveille,
L'oeil inquiet, fixé sur vos pas incertains,
Tout comme si j'étais votre père, ô merveille !
Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins :

Je vois s'épanouir vos passions novices ;
Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ;
Mon coeur multiplié jouit de tous vos vices !
Mon âme resplendit de toutes vos vertus !

Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères !
Je vous fais chaque soir un solennel adieu !
Où serez-vous demain, Èves octogénaires,
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ?
Aidons-nous mutuellement,
La charge des malheurs en sera plus légère ;
Le bien que l'on fait à son frère
Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.
Confucius l'a dit ; suivons tous sa doctrine.
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contait le trait suivant.

Dans une ville de l'Asie
Il existait deux malheureux,
L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux.
Ils demandaient au Ciel de terminer leur vie ;
Mais leurs cris étaient superflus,
Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint : il en souffrait bien plus.
L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,
Etait sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l'aimer et pour le conduire.
Un certain jour, il arriva
Que l'aveugle à tâtons, au détour d'une rue,
Près du malade se trouva ;
Il entendit ses cris, son âme en fut émue.
Il n'est tel que les malheureux
Pour se plaindre les uns les autres.
" J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres :
Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.
- Hélas ! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas ;
Vous-même vous n'y voyez pas :
A quoi nous servirait d'unir notre misère ?
- A quoi ? répond l'aveugle ; écoutez. A nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire :
J'ai des jambes, et vous des yeux.
Moi, je vais vous porter ; vous, vous serez mon guide :
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés ;
Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. "
Ma petite colombelle,
Ma mignonne toute belle,
Mon petit œil, baisez-moi ;
D'une bouche toute pleine
De musc, chassez-moi la peine
De mon amoureux émoi.

Quand je vous dirai, Mignonne,
Approchez-vous, qu'on me donne
Neuf baisers tout à la fois,
Donnez-m'en seulement trois,

Tels que Diane guerrière
Les donne à Phébus son frère,
Et l'Aurore à son vieillard :
Puis reculez votre bouche,
Et bien **** toute farouche
Fuyez d'un pied frétillard.

Comme un taureau par le pré
Court après son amourée,
Ainsi tout chaud de courroux
Je courrai fou après vous ;

Et prise d'une main forte
Vous tiendrai, de telle sorte
Qu'un Aigle un Cygne tremblant.
Lors faisant de la modeste,
De me redonner le reste
Des baisers, ferez semblant.

Mais en vain serez pendante
Toute à mon col, attendante
(Tenant un peu l'œil baissé)
Pardon de m'avoir laissé.

Car en lieu de six adonques (1)
J'en demanderai plus qu'oncques (2)
Tout le ciel d'étoiles n'eut ;
Plus que d'arène poussée
Aux bords, quand l'eau courroucée
Contre les rives s'émeut.


1. Adonques : Alors, maintenant.
2. Oncques : Jamais.
Ô vous que votre âge défend,
Riez ! tout vous caresse encore.
Jouez ! chantez ! soyez l'enfant !
Soyez la fleur ; soyez l'aurore !

Quant au destin, n'y songez pas.
Le ciel est noir, la vie est sombre.
Hélas ! que fait l'homme ici-bas ?
Un peu de bruit dans beaucoup d'ombre.

Le sort est dur, nous le voyons.
Enfant ! souvent l'oeil plein de charmes
Qui jette le plus de rayons
Répand aussi le plus de larmes.

Vous que rien ne vient éprouver,
Vous avez tout, joie et délire,
L'innocence qui fait rêver,
L'ignorance qui fait sourire.

Vous avez, lys sauvé des vents,
Coeur occupé d'humbles chimères,
Ce calme bonheur des enfants,
Pur reflet du bonheur des mères.

Votre candeur vous embellit.
Je préfère à toute autre flamme
Votre prunelle que remplit
La clarté qui sort de votre âme.

Pour vous ni soucis ni douleurs,
La famille vous idolâtre.
L'été, vous courez dans les fleurs ;
L'hiver, vous jouez près de l'âtre.

La poésie, esprit des cieux,
Près de vous, enfant, s'est posée ;
Votre mère l'a dans ses yeux,
Votre père dans sa pensée.

Profitez de ce temps si doux !
Vivez ! - La joie est vite absente ;
Et les plus sombres d'entre nous
Ont eu leur aube éblouissante.

Comme on prie avant de partir,
Laissez-moi vous bénir, jeune âme, -
Ange qui serez un martyr !
Enfant qui serez une femme !

Février 1840.
Non
Laissons le glaive à Rome et le stylet à Sparte.
Ne faisons pas saisir, trop pressés de punir,
Par le spectre Brutus le brigand Bonaparte.
Gardons ce misérable au sinistre avenir.

Vous serez satisfaits, je vous le certifie,
Bannis, qui de l'exil portez le triste faix,
Captifs, proscrits, martyrs qu'il foule et qu'il défie,
Vous tous qui frémissez, vous serez satisfaits.

Jamais au criminel son crime ne pardonne ;
Mais gardez, croyez-moi, la vengeance au fourreau
Attendez ; ayez foi dans les ordres que donne
Dieu, juge patient, au temps, tardif bourreau !

Laissons vivre le traître en sa honte insondable.
Ce sang humilierait même le vil couteau.
Laissons venir le temps, l'inconnu formidable
Qui tient le châtiment caché sous son manteau.

Qu'il soit le couronné parce qu'il est le pire ;
Le maître des fronts plats et des cœurs abrutis
Que son sénat décerne à sa race l'empire,
S'il trouve une femelle et s'il a des petits

Qu'il règne par la messe et par la pertuisane ;
Qu'on le fasse empereur dans son flagrant délit ;
Que l'église en rampant, que cette courtisane
Se glisse dans son antre et couche dans son lit

Qu'il soit cher à Troplong, que Sibour le vénère,
Qu'il leur donne son pied tout sanglant à baiser,
Qu'il vive, ce césar ! Louvel ou Lacenaire
Seraient pour le tuer forcés de se baisser.

Ne tuez pas cet homme, ô vous, songeurs sévères,
Rêveurs mystérieux, solitaires et forts,
Qui, pendant qu'on le fête et qu'il choque les verres,
Marchez, le poing crispé, dans l'herbe où sont les morts !

Avec l'aide d'en haut toujours nous triomphâmes.
L'exemple froid vaut mieux qu'un éclair de fureur.
Non, ne le tuez pas. Les piloris infâmes
Ont besoin d'être ornés parfois d'un empereur.

Jersey, le 12 novembre.
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !
Ne le tourmentez pas, il souffre. Il est celui
Sur qui, jusqu'à ce jour, pas un rayon n'a lui ;
Oh ! ne confondez pas l'esclave avec le maître !
Et, quand vous le voyez dans vos rangs apparaître,
Humble et calme, et s'asseoir la tête dans ses mains,
Ayant peut-être en lui l'esprit des vieux Romains
Dont il vous dit les noms, dont il vous lit les livres,
Écoliers, frais enfants de joie et d'aurore ivres,
Ne le tourmentez pas ! soyez doux, soyez bons.
Tous nous portons la vie et tous nous nous courbons
Mais lui, c'est le flambeau qui la nuit se consomme ;
L'ombre le tient captif, et ce pâle jeune homme,
Enfermé plus que vous, plus que vous enchaîné,
Votre frère, écoliers, et votre frère aîné,
Destin tronqué, matin noyé dans les ténèbres,
Ayant l'ennui sans fin devant ses yeux funèbres,
Indigent, chancelant, et cependant vainqueur,
Sans oiseaux dans son ciel, sans amours dans son cœur,
A l'heure du plein jour, attend que l'aube naisse,
Enfance, ayez pitié de la sombre jeunesse !

Apprenez à connaître, enfants qu'attend l'effort,
Les inégalités des âmes et du sort ;
Respectez-le deux fois, dans le deuil qui le mine,
Puisque de deux sommets, enfant, il vous domine,
Puisqu'il est le plus pauvre et qu'il est le plus grand.
Songez que, triste, en butte au souci dévorant,
A travers ses douleurs, ce fils de la chaumière
Vous verse la raison, le savoir, la lumière,
Et qu'il vous donne l'or, et qu'il n'a pas de pain.
Oh ! dans la longue salle aux tables de sapin,
Enfants, faites silence à la lueur des lampes !
Voyez, la morne angoisse a fait blêmir ses tempes :
Songez qu'il saigne, hélas ! sous ses pauvres habits.
L'herbe que mord la dent cruelle des brebis,
C'est lui ; vous riez, vous, et vous lui rongez l'âme.
Songez qu'il agonise, amer, sans air, sans flamme ;
Que sa colère dit : « Plaignez-moi ; » que ses pleurs
Ne peuvent pas couler devant vos yeux railleurs !
Aux heures du travail votre ennui le dévore,
Aux heures du plaisir vous le rongez encore ;
Sa pensée, arrachée et froissée, est à vous,
Et, pareille au papier qu'on distribue à tous,
Page blanche d'abord, devient lentement noire.
Vous feuilletez son cœur, vous videz sa mémoire ;
Vos mains, jetant chacune un bruit, un trouble, un mot,
Et raturant l'idée en lui dès qu'elle éclôt,
Toutes en même temps dans son esprit écrivent.
Si des rêves, parfois, jusqu'à son front arrivent,
Vous répandez votre encre à flots sur cet azur ;
Vos plumes, tas d'oiseaux hideux au vol obscur,
De leurs mille becs noirs lui fouillent la cervelle.
Le nuage d'ennui passe et se renouvelle.
Dormir, il ne le peut ; penser, il ne le peut.
Chaque enfant est un fil dont son cœur sent le nœud.
Oui, s'il veut songer, fuir, oublier, franchir l'ombre,
Laisser voler son âme aux chimères sans nombre,
Ces écoliers joueurs, vifs, légers et doux, aimants,
Pèsent sur lui, de l'aube au soir, à tous moments,
Et le font retomber des voûtes immortelles ;
Et tous ces papillons sont le plomb de ses ailes.
Saint et grave martyr changeant de chevalet,
Crucifié par vous, bourreaux charmants, il est
Votre souffre-douleurs et votre souffre-joies ;
Ses nuits sont vos hochets et ces jours sont vos proies,
Il porte sur son front votre essaim orageux ;
Il a toujours vos bruits, vos rires et vos jeux,
Tourbillonnant sur lui comme une âpre tempête.
Hélas ! il est le deuil dont vous êtes la fête ;
Hélas ! il est le cri dont vous êtes le chant.

Et, qui sait ? sans rien dire, austère, et se cachant
De sa bonne action comme d'une mauvaise,
Ce pauvre être qui rêve accoudé sur sa chaise,
Mal nourri, mal vêtu, qu'un mendiant plaindrait,
Peut-être a des parents qu'il soutient en secret,
Et fait de ses labeurs, de sa faim, de ses veilles,
Des siècles dont sa voix vous traduit les merveilles,
Et de cette sueur qui coule sur sa chair,
Des rubans au printemps, un peu de feu l'hiver,
Pour quelque jeune sœur ou quelque vieille mère ;
Changeant en goutte d'eau la sombre larme amère ;
De sorte que, vivant à son ombre sans bruit,
Une colombe vient la boire dans la nuit !
Songez que pour cette œuvre, enfants, il se dévoue,
Brûle ses yeux, meurtrit son cœur, tourne la roue,
Traîne la chaîne ! Hélas, pour lui, pour son destin,
Pour ses espoirs perdus à l'horizon lointain,
Pour ses vœux, pour son âme aux fers, pour sa prunelle,
Votre cage d'un jour est prison éternelle !
Songez que c'est sur lui que marchent tous vos pas !
Songez qu'il ne rit pas, songez qu'il ne vit pas !
L'avenir, cet avril plein de fleurs, vous convie ;
Vous vous envolerez demain en pleine vie ;
Vous sortirez de l'ombre, il restera. Pour lui,
Demain sera muet et sourd comme aujourd'hui ;
Demain, même en juillet, sera toujours décembre,
Toujours l'étroit préau, toujours la pauvre chambre,
Toujours le ciel glacé, gris, blafard, pluvieux ;
Et, quand vous serez grands, enfants, il sera vieux.
Et, si quelque heureux vent ne souffle et ne l'emporte,
Toujours il sera là, seul sous la sombre porte,
Gardant les beaux enfants sous ce mur redouté,
Ayant tout de leur peine et rien de leur gaîté.
Oh ! que votre pensée aime, console, encense
Ce sublime forçat du bagne d'innocence !
Pesez ce qu'il prodigue avec ce qu'il reçoit.
Oh ! qu'il se transfigure à vos yeux, et qu'il soit
Celui qui vous grandit, celui qui vous élève,
Qui donne à vos raisons les deux tranchants du glaive,
Art et science, afin qu'en marchant au tombeau,
Vous viviez pour le vrai, vous luttiez pour le beau !
Oh ! qu'il vous soit sacré dans cette tâche auguste
De conduire à l'utile, au sage, au grand, au juste,
Vos âmes en tumulte à qui le ciel sourit !
Quand les cœurs sont troupeau, le berger est esprit.

Et, pendant qu'il est là, triste, et que dans la classe
Un chuchotement vague endort son âme lasse,
Oh ! des poètes purs entr'ouverts sur vos bancs,
Qu'il sorte, dans le bruit confus des soirs tombants,
Qu'il sorte de Platon, qu'il sorte d'Euripide,
Et de Virgile, cygne errant du vers limpide,
Et d'Eschyle, lion du drame monstrueux,
Et d'Horace et d'Homère à demi dans les cieux,
Qu'il sorte, pour sa tête aux saints travaux baissée,
Pour l'humble défricheur de la jeune pensée,
Qu'il sorte, pour ce front qui se penche et se fend
Sur ce sillon humain qu'on appelle l'enfant,
De tous ces livres pleins de hautes harmonies,
La bénédiction sereine des génies !

Juin 1842.
Un gentil écureuil était le camarade,
Le tendre ami d'un beau danois.
Un jour qu'ils voyageaient comme Oreste et Pylade,
La nuit les surprit dans un bois.
En ce lieu point d'auberge ; ils eurent de la peine
À trouver où se bien coucher.
Enfin le chien se mit dans le creux d'un vieux chêne,
Et l'écureuil plus haut grimpa pour se nicher.
Vers minuit, c'est l'heure des crimes,
Longtemps après que nos amis
En se disant bon soir se furent endormis,
Voici qu'un vieux renard affamé de victimes
Arrive au pied de l'arbre, et, levant le museau,
Voit l'écureuil sur un rameau.
Il le mange des yeux, humecte de sa langue
Ses lèvres qui de sang brûlent de s'abreuver ;
Mais jusqu'à l'écureuil il ne peut arriver :
Il faut donc par une harangue
L'engager à descendre ; et voici son discours :
Ami, pardonnez, je vous prie,
Si de votre sommeil j'ose troubler le cours :
Mais le pieux transport dont mon âme est remplie
Ne peut se contenir ; je suis votre cousin
Germain :
Votre mère était sœur de feu mon digne père.
Cet honnête homme, hélas ! à son heure dernière,
M'a tant recommandé de chercher son neveu
Pour lui donner moitié du peu
Qu'il m'a laissé de bien ! Venez donc, mon cher frère,
Venez, par un embrassement,
Combler le doux plaisir que mon âme ressent.
Si je pouvais monter jusqu'aux lieux où vous êtes,
Oh ! J'y serais déjà, soyez-en bien certain.
Les écureuils ne sont pas bêtes,
Et le mien était fort malin ;
Il reconnaît le patelin,
Et répond d'un ton doux : je meurs d'impatience
De vous embrasser, mon cousin ;
Je descends : mais, pour mieux lier la connaissance,
Je veux vous présenter mon plus fidèle ami,
Un parent qui prit soin de nourrir mon enfance ;
Il dort dans ce trou-là : frappez un peu ; je pense
Que vous serez charmé de le connaître aussi.
Aussitôt maître renard frappe,
Croyant en manger deux : mais le fidèle chien
S'élance de l'arbre, le happe,
Et vous l'étrangle bel et bien.
Ceci prouve deux points : d'abord, qu'il est utile
Dans la douce amitié de placer son bonheur ;
Puis, qu'avec de l'esprit il est souvent facile
Au piège qu'il nous tend de surprendre un trompeur.
Ô lâches, la voilà ! Dégorgez dans les gares !
Le soleil essuya de ses poumons ardents
Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares.
Voilà la Cité sainte, assise à l'occident !

Allez ! on préviendra les reflux d'incendie,
Voilà les quais, voilà les boulevards, voilà
Les maisons sur l'azur léger qui s'irradie
Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila !

Cachez les palais morts dans des niches de planches !
L'ancien jour effaré rafraîchit vos regards.
Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches :
Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards !

Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,
Le cri des maisons d'or vous réclame. Volez !
Mangez ! Voici la nuit de joie aux profonds spasmes
Qui descend dans la rue. Ô buveurs désolés,

Buvez ! Quand la lumière arrive intense et folle,
Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants,
Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole,
Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs ?

Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes !
Ecoutez l'action des stupides hoquets
Déchirants ! Ecoutez sauter aux nuits ardentes
Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais !

Ô coeurs de saleté, bouches épouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs !
Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables...
Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs !

Ouvrez votre narine aux superbes nausées !
Trempez de poisons forts les cordes de vos cous !
Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisées
Le Poète vous dit : " Ô lâches, soyez fous !

Parce que vous fouillez le ventre de la Femme,
Vous craignez d'elle encore une convulsion
Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme
Sur sa poitrine, en une horrible pression.

Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,
Qu'est-ce que ça peut faire à la putain Paris,
Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques ?
Elle se secouera de vous, hargneux pourris !

Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles,
Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus,
La rouge courtisane aux seins gros de batailles
**** de votre stupeur tordra ses poings ardus !

Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères,
Paris ! quand tu reçus tant de coups de couteau,
Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires
Un peu de la bonté du fauve renouveau,

Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte,
La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir
Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes,
Cité que le Passé sombre pourrait bénir :

Corps remagnétisé pour les énormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable ! tu sens
Sourdre le flux des vers livides en tes veines,
Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants !

Et ce n'est pas mauvais. Les vers, les vers livides
Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès
Que les Stryx n'éteignaient l'oeil des Cariatides
Où des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrés."

Quoique ce soit affreux de te revoir couverte,
Ainsi ; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité
Ulcère plus puant à la Nature verte,
Le Poète te dit : " Splendide est ta Beauté !"

L'orage t'a sacrée suprême poésie ;
L'immense remuement des forces te secourt ;
Ton oeuvre bout, la mort gronde, Cité choisie !
Amasse les strideurs au coeur du clairon sourd.

Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,
La haine des Forçats, la clameur des Maudits ;
Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront : Voilà ! voilà ! bandits !

- Société, tout est rétabli : - les ******
Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars :
Et les gaz en délire, aux murailles rougies,
Flambent sinistrement vers les azurs blafards !
I.

Oh ! je sais qu'ils feront des mensonges sans nombre
Pour s'évader des mains de la Vérité sombre,
Qu'ils nieront, qu'ils diront : ce n'est pas moi, c'est lui.
Mais, n'est-il pas vrai, Dante, Eschyle, et vous, prophètes ?
Jamais, du poignet des poètes,
Jamais, pris en collet, les malfaiteurs n'ont fui.
J'ai fermé sur ceux-ci mon livre expiatoire ;
J'ai mis des verrous à l'histoire ;
L'histoire est un bagne aujourd'hui.

Le poète n'est plus l'esprit qui rêve et prie ;
Il a la grosse clef de la conciergerie.
Quand ils entrent au greffe, où pend leur chaîne au clou,
On regarde le prince aux poches, comme un drôle,
Et les empereurs à l'épaule ;
Macbeth est un escroc, César est un filou.
Vous gardes des forçats, ô mes strophes ailées !
Les Calliopes étoilées
Tiennent des registres d'écrou.

II.

Ô peuples douloureux, il faut bien qu'on vous venge !
Les rhéteurs froids m'ont dit : Le poète, c'est l'ange,
Il plane, ignorant Fould, Magnan, Morny, Maupas ;
Il contemple la nuit sereine avec délices... -
Non, tant que vous serez complices
De ces crimes hideux que je suis pas à pas,
Tant que vous couvrirez ces brigands de vos voiles,
Cieux azurés, soleils, étoiles,
Je ne vous regarderai pas !

Tant qu'un gueux forcera les bouches à se taire,
Tant que la liberté sera couchée à terre
Comme une femme morte et qu'on vient de noyer,
Tant que dans les pontons on entendra des râles,
J'aurai des clartés sépulcrales
Pour tous ces fronts abjects qu'un bandit fait ployer ;
Je crierai : Lève-toi, peuple ! ciel, tonne et gronde !
La France, dans sa nuit profonde,
Verra ma torche flamboyer !

III.

Ces coquins vils qui font de la France une Chine,
On entendra mon fouet claquer sur leur échine.
Ils chantent : Te Deum, je crierai : Memento !
Je fouaillerai les gens, les faits, les noms, les titres,
Porte-sabres et porte-mitres ;
Je les tiens dans mon vers comme dans un étau.
On verra choir surplis, épaulettes, bréviaires,
Et César, sous mes étrivières,
Se sauver, troussant son manteau !

Et les champs, et les prés, le lac, la fleur, la plaine,
Les nuages, pareils à des flocons de laine,
L'eau qui fait frissonner l'algue et les goëmons,
Et l'énorme océan, hydre aux écailles vertes,
Les forêts de rumeurs couvertes,
Le phare sur les flots, l'étoile sur les monts,
Me reconnaîtront bien et diront à voix basse
C'est un esprit vengeur qui passe,
Chassant devant lui les démons !

Jersey, le 13 novembre 1852.
Enfant, on vous dira plus **** que le grand-père
Vous adorait ; qu'il fit de son mieux sur la terre,
Qu'il eut fort peu de joie et beaucoup d'envieux,
Qu'au temps où vous étiez petits il était vieux,
Qu'il n'avait pas de mots bourrus ni d'airs moroses,
Et qu'il vous a quittés dans la saison des roses ;
Qu'il est mort, que c'était un bonhomme clément ;
Que, dans l'hiver fameux du grand bombardement,
Il traversait Paris tragique et plein d'épées,
Pour vous porter des tas de jouets, des poupées,
Et des pantins faisant mille gestes bouffons ;
Et vous serez pensifs sous les arbres profonds.

Le 1er janvier 1871.
II.

C'est fini. Le silence est partout, et l'horreur.
Vive Poulmann césar et Soufflard empereur !
On fait des feux de joie avec les barricades ;
La porte Saint-Denis sous ses hautes arcades
Voit les brasiers trembler au vent et rayonner.
C'est fait, reposez-vous ; et l'on entend sonner
Dans les fourreaux le sabre et l'argent dans les poches.
De la banque aux bivouacs on vide les sacoches.
Ceux qui tuaient le mieux et qui n'ont pas bronché
Auront la croix d'honneur par-dessus le marché.
Les vainqueurs en hurlant dansent sur les décombres.
Des tas de corps saignants gisent dans les coins sombres.
Le soldat, ***, féroce, ivre, complice obscur,
Chancelle, et, de la main dont il s'appuie au mur,
Achève d'écraser quelque cervelle humaine.
On boit, on rit, on chante, on ripaille, on amène
Des vaincus qu'on fusille, hommes, femmes, enfants.
Les généraux dorés galopent triomphants,
Regardés par les morts tombés à la renverse.
Bravo ! César a pris le chemin de traverse !
Courons féliciter l'Elysée à présent.
Du sang dans les maisons, dans les ruisseaux du sang,
Partout ! Pour enjamber ces effroyables mares
Les juges lestement retroussent leurs simarres,
Et l'église joyeuse en emporte un caillot
Tout fumant, pour servir d'écritoire à Veuillot.
Oui, c'est bien vous qu'hier, riant de vos férules,
Un caporal chassa de vos chaises curules,
Magistrats ! Maintenant que, reprenant du coeur,
Vous êtes bien certains que Mandrin est vainqueur,
Que vous ne serez pas obligés d'être intègres,
Que Mandrin dotera vos dévouements allègres,
Que c'est lui qui paîra désormais, et très bien,
Qu'il a pris le budget, que vous ne risquez rien,
Qu'il a bien étranglé la loi, qu'elle est bien morte,
Et que vous trouverez ce cadavre à la porte,
Accourez, acclamez, et chantez hosanna !
Oubliez le soufflet qu'hier il vous donna,
Et puisqu'il a tué vieillards, mères et filles,
Puisqu'il est dans le meurtre entré jusqu'aux chevilles,
Prosternez-vous devant l'assassin tout-puissant,
Et léchez-lui les pieds pour effacer le sang !

Du 16 au 22 novembre 1852, à Jersey

— The End —