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Fable IX, Livre V.


Fier de sa charge magnifique,
Fier de porter, je ne sais où,
Pour je ne sais qui, l'or du Chili, du Pérou,
Et du Potose et du Mexique,
Un gros vaisseau marchand revenait d'Amérique.
Le joyeux équipage était des plus complets :
Passagers, matelots, soldats, maîtres, valets,
Favoris de Plutus, de Mars ou de Neptune,
L'emplissaient, l'encombraient de la cave au grenier
Ou du fond de cale à la hune,
Pour parler en vrai marinier.
De Noé l'arche était moins pleine.
Un rat cependant grimpe à bord,
Et, sans montrer de passe-port,
Sans saluer le capitaine,
S'établit parmi les agrès.
Un pareil commensal ne vit pas à ses frais.
Aussi s'aperçoit-on, tant au lard qu'au fromage,
Grignotés, écornés par l'animal rongeur,
Qu'on nourrissait un voyageur,
Qui n'avait pas payé passage.
Le conseil de guerre entendu,
Vu l'urgence, un décret rendu
Hors la loi met la pauvre bête.
En maint lieu maint piège est tendu,
Et des mâts maint chat descendu
De maint côté se met en quête ;
Le proscrit, qui d'un coin oyait et voyait tout,
Et tremblait un peu pour sa tête,
Dès que le conseil se dissout,
Au patron, d'un peu ****, présente sa requête.
« Pitié, pardon, grâce, seigneur !
« Je renonce à la friandise.
« Foi de rat, foi d'homme d'honneur,
« Je vous paierai le tort qu'a fait ma gourmandise.
« Seigneur, qu'on me débarque au port le plus voisin,
« J'y trouverai quelque cousin,
« Ou rat de cave ou rat d'église,
« Mais gens à vous payer tout prêts.
« Le continent doit être près.
« Que ce soit Angleterre, ou Chine, ou France, ou Perse,
« J'ai partout là des intérêts
« Ou de famille ou de commerce ;
« J'ai partout là crédit. - Ni crédit, ni pardons
« Pour les escroqueurs de lardons,
Dit en jurant l'homme à moustache.
« Force à la loi : Raton ! Minet ! » Le rat se cache.
Gascon, fils de Normand, il savait plus d'un tour.
Mais à quoi bon ? La nuit, le jour,
Cerné, guetté, chassé, harcelé sans relâche,
Il ne mange, boit, ni ne dort.
Peut-il échapper à son sort ?
Partout on a mis des ratières,
Partout on a fait des chatières,
Partout la peur, partout la mort !
Elle est préférable à la vie,
De terreurs ainsi poursuivie !
Mourons donc, mais en homme, et vengeons-nous d'abord.
Il dit, et de ses dents, meilleures que les nôtres,
Usant, limant, rongeant, perçant en maint endroit
La nef qui sur le Styx s'en va voguer tout droit,
Dans l'abîme qu'il s'ouvre il entraîne les autres.
Je tiens même d'un souriceau,
Qu'heureux plus que Samson au jour de sa revanche,
À la ruine du vaisseau
Il échappa sur une planche.

En préceptes, lecteur ami,
Ce petit apologue abonde.
Si je l'en crois, en ce bas monde
Il n'est pas de faible ennemi.
De plus, le sage en peut induire,
Et l'homme puissant doit y voir
Qu'il est dangereux de réduire
Le petit même au désespoir.
À Madame *.

Il est donc vrai, vous vous plaignez aussi,
Vous dont l'oeil noir, *** comme un jour de fête,
Du monde entier pourrait chasser l'ennui.
Combien donc pesait le souci
Qui vous a fait baisser la tête ?
C'est, j'imagine, un aussi lourd fardeau
Que le roitelet de la fable ;
Ce grand chagrin qui vous accable
Me fait souvenir du roseau.
Je suis bien **** d'être le chêne,
Mais, dites-moi, vous qu'en un autre temps
(Quand nos aïeux vivaient en bons enfants)
J'aurais nommée Iris, ou Philis, ou Climène,
Vous qui, dans ce siècle bourgeois,
Osez encor me permettre parfois
De vous appeler ma marraine,
Est-ce bien vous qui m'écrivez ainsi,
Et songiez-vous qu'il faut qu'on vous réponde ?
Savez-vous que, dans votre ennui,
Sans y penser, madame et chère blonde,
Vous me grondez comme un ami ?
Paresse et manque de courage,
Dites-vous ; s'il en est ainsi,
Je vais me remettre à l'ouvrage.
Hélas ! l'oiseau revient au nid,
Et quelquefois même à la cage.
Sur mes lauriers on me croit endormi ;
C'est trop d'honneur pour un instant d'oubli,
Et dans mon lit les lauriers n'ont que faire ;
Ce ne serait pas mon affaire.
Je sommeillais seulement à demi,
À côté d'un brin de verveine
Dont le parfum vivait à peine,
Et qu'en rêvant j'avais cueilli.
Je l'avouerai, ce coupable silence,
Ce long repos, si maltraité de vous,
Paresse, amour, folie ou nonchalance,
Tout ce temps perdu me fut doux.
Je dirai plus, il me fut profitable ;
Et, si jamais mon inconstant esprit
Sait revêtir de quelque fable
Ce que la vérité m'apprit,
Je vous paraîtrai moins coupable.
Le silence est un conseiller
Qui dévoile plus d'un mystère ;
Et qui veut un jour bien parler
Doit d'abord apprendre à se taire.
Et, quand on se tairait toujours,
Du moment qu'on vit et qu'on aime,
Qu'importe le reste ? et vous-même,
Quand avez-vous compté les jours ?
Et puisqu'il faut que tout s'évanouisse,
N'est-ce donc pas une folle avarice,
De conserver comme un trésor
Ce qu'un coup de vent nous enlève ?
Le meilleur de ma vie a passé comme un rêve
Si léger, qu'il m'est cher encor.
Mais revenons à vous, ma charmante marraine.
Vous croyez donc vous ennuyer ?
Et l'hiver qui s'en vient, rallumant le foyer,
A fait rêver la châtelaine.
Un roman, dites-vous, pourrait vous égayer ;
Triste chose à vous envoyer !
Que ne demandez-vous un conte à La Fontaine ?
C'est avec celui-là qu'il est bon de veiller ;
Ouvrez-le sur votre oreiller,
Vous verrez se lever l'aurore.
Molière l'a prédit, et j'en suis convaincu,
Bien des choses auront vécu
Quand nos enfants liront encore
Ce que le bonhomme a conté,
Fleur de sagesse et de gaieté.
Mais quoi ! la mode vient, et tue un vieil usage.
On n'en veut plus, du sobre et franc langage
Dont il enseignait la douceur,
Le seul français, et qui vienne du cœur ;
Car, n'en déplaise à l'Italie,
La Fontaine, sachez-le bien,
En prenant tout n'imita rien ;
Il est sorti du sol de la patrie,
Le vert laurier qui couvre son tombeau ;
Comme l'antique, il est nouveau.
Ma protectrice bien-aimée,
Quand votre lettre parfumée
Est arrivée à votre. enfant gâté,
Je venais de causer en toute liberté
Avec le grand ami Shakespeare.
Du sujet cependant Boccace était l'auteur ;
Car il féconde tout, ce charmant inventeur ;
Même après l'autre, il fallait le relire.
J'étais donc seul, ses Nouvelles en main,
Et de la nuit la lueur azurée,
Se jouant avec le matin,
Etincelait sur la tranche dorée
Du petit livre florentin ;
Et je songeais, quoi qu'on dise ou qu'on fasse,
Combien c'est vrai que les Muses sont sœurs ;
Qu'il eut raison, ce pinceau plein de grâce,
Qui nous les montre au sommet du Parnasse,
Comme une guirlande de fleurs !
La Fontaine a ri dans Boccace,
Où Shakespeare fondait en pleurs.
Sera-ce trop que d'enhardir ma muse
Jusqu'à tenter de traduire à mon tour
Dans ce livre amoureux une histoire d'amour ?
Mais tout est bon qui vous amuse.
Je n'oserais, si ce n'était pour vous,
Car c'est beaucoup que d'essayer ce style
Tant oublié, qui fut jadis si doux,
Et qu'aujourd'hui l'on croit facile.

Il fut donc, dans notre cité,
Selon ce qu'on nous a conté
(Boccace parle ainsi ; la cité, c'est Florence),
Un gros marchand, riche, homme d'importance,
Qui de sa femme eut un enfant ;
Après quoi, presque sur-le-champ,
Ayant mis ordre à ses affaires,
Il passa de ce monde ailleurs.
La mère survivait ; on nomma des tuteurs,
Gens loyaux, prudents et sévères ;
Capables de se faire honneur
En gardant les biens d'un mineur.
Le jouvenceau, courant le voisinage,
Sentit d'abord douceur de cœur
Pour une fille de son âge,
Qui pour père avait un tailleur ;
Et peu à peu l'enfant devenant homme,
Le temps changea l'habitude en amour,
De telle sorte que Jérôme
Sans voir Silvia ne pouvait vivre un jour.
À son voisin la fille accoutumée
Aima bientôt comme elle était aimée.
De ce danger la mère s'avisa,
Gronda son fils, longtemps moralisa,
Sans rien gagner par force ou par adresse.
Elle croyait que la richesse
En ce monde doit tout changer,
Et d'un buisson peut faire un oranger.
Ayant donc pris les tuteurs à partie,
La mère dit : « Cet enfant que voici,
Lequel n'a pas quatorze ans, Dieu merci !
Va désoler le reste de ma vie.
Il s'est si bien amouraché
De la fille d'un mercenaire,
Qu'un de ces jours, s'il n'en est empêché,
Je vais me réveiller grand'mère.
Soir ni matin, il ne la quitte pas.
C'est, je crois, Silvia qu'on l'appelle ;
Et, s'il doit voir quelque autre dans ses bras,
Il se consumera pour elle.
Il faudrait donc, avec votre agrément,
L'éloigner par quelque voyage ;
Il est jeune, la fille est sage,
Elle l'oubliera sûrement ;
Et nous le marierons à quelque honnête femme. »
Les tuteurs dirent que la dame
Avait parlé fort sagement.
« Te voilà grand, dirent-ils à Jérôme,
Il est bon de voir du pays.
Va-t'en passer quelques jours à Paris,
Voir ce que c'est qu'un gentilhomme,
Le bel usage, et comme on vit là-bas ;
Dans peu de temps tu reviendras. »
À ce conseil, le garçon, comme on pense,
Répondit qu'il n'en ferait rien,
Et qu'il pouvait voir aussi bien
Comment l'on vivait à Florence.
Là-dessus, la mère en fureur
Répond d'abord par une grosse injure ;
Puis elle prend l'enfant par la douceur ;
On le raisonne, on le conjure,
À ses tuteurs il lui faut obéir ;
On lui promet de ne le retenir
Qu'un an au plus. Tant et tant on le prie,
Qu'il cède enfin. Il quitte sa patrie ;
Il part, tout plein de ses amours,
Comptant les nuits, comptant les jours,
Laissant derrière lui la moitié de sa vie.
L'exil dura deux ans ; ce long terme passé,
Jérôme revint à Florence,
Du mal d'amour plus que jamais blessé,
Croyant sans doute être récompensé.
Mais. c'est un grand tort que l'absence.
Pendant qu'au **** courait le jouvenceau,
La fille s'était mariée.
En revoyant les rives de l'Arno,
Il n'y trouva que le tombeau
De son espérance oubliée.
D'abord il n'en murmura point,
Sachant que le monde, en ce point,
Agit rarement d'autre sorte.
De l'infidèle il connaissait la porte,
Et tous les jours il passait sur le seuil,
Espérant un signe, un coup d'oeil,
Un rien, comme on fait quand on aime.
Mais tous ses pas furent perdus
Silvia ne le connaissait plus,
Dont il sentit une douleur extrême.
Cependant, avant d'en mourir,
Il voulut de son souvenir
Essayer de parler lui-même.
Le mari n'était pas jaloux,
Ni la femme bien surveillée.
Un soir que les nouveaux époux
Chez un voisin étaient à la veillée,
Dans la maison, au tomber de la nuit,
Jérôme entra, se cacha près du lit,
Derrière une pièce de toile ;
Car l'époux était tisserand,
Et fabriquait cette espèce de voile
Qu'on met sur un balcon toscan.
Bientôt après les mariés rentrèrent,
Et presque aussitôt se couchèrent.
Dès qu'il entend dormir l'époux,
Dans l'ombre vers Silvia Jérôme s'achemine,
Et lui posant la main sur la poitrine,
Il lui dit doucement : « Mon âme, dormez-vous ?
La pauvre enfant, croyant voir un fantôme,
Voulut crier ; le jeune homme ajouta
« Ne criez pas, je suis votre Jérôme.
- Pour l'amour de Dieu, dit Silvia,
Allez-vous-en, je vous en prie.
Il est passé, ce temps de notre vie
Où notre enfance eut loisir de s'aimer,
Vous voyez, je suis mariée.
Dans les devoirs auxquels je suis liée,
Il ne me sied plus de penser
À vous revoir ni vous entendre.
Si mon mari venait à vous surprendre,
Songez que le moindre des maux
Serait pour moi d'en perdre le repos ;
Songez qu'il m'aime et que je suis sa femme. »
À ce discours, le malheureux amant
Fut navré jusqu'au fond de l'âme.
Ce fut en vain qu'il peignit son tourment,
Et sa constance et sa misère ;
Par promesse ni par prière,
Tout son chagrin ne put rien obtenir.
Alors, sentant la mort venir,
Il demanda que, pour grâce dernière,
Elle le laissât se coucher
Pendant un instant auprès d'elle,
Sans bouger et sans la toucher,
Seulement pour se réchauffer,
Ayant au cœur une glace mortelle,
Lui promettant de ne pas dire un mot,
Et qu'il partirait aussitôt,
Pour ne la revoir de sa vie.
La jeune femme, ayant quelque compassion,
Moyennant la condition,
Voulut contenter son envie.
Jérôme profita d'un moment de pitié ;
Il se coucha près de Silvie.
Considérant alors quelle longue amitié
Pour cette femme il avait eue,
Et quelle était sa cruauté,
Et l'espérance à tout jamais perdue,
Il résolut de cesser de souffrir,
Et rassemblant dans un dernier soupir
Toutes les forces de sa vie,
Il serra la main de sa mie,
Et rendit l'âme à son côté.
Silvia, non sans quelque surprise,
Admirant sa tranquillité,
Resta d'abord quelque temps indécise.
« Jérôme, il faut sortir d'ici,
Dit-elle enfin, l'heure s'avance. »
Et, comme il gardait le silence,
Elle pensa qu'il s'était endormi.
Se soulevant donc à demi,
Et doucement l'appelant à voix basse,
Elle étendit la main vers lui,
Et le trouva froid comme glace.
Elle s'en étonna d'abord ;
Bientôt, l'ayant touché plus fort,
Et voyant sa peine inutile,
Son ami restant immobile,
Elle comprit qu'il était mort.
Que faire ? il n'était pas facile
De le savoir en un moment pareil.
Elle avisa de demander conseil
À son mari, le tira de son somme,
Et lui conta l'histoire de Jérôme,
Comme un malheur advenu depuis peu,
Sans dire à qui ni dans quel lieu.
« En pareil cas, répondit le bonhomme,
Je crois que le meilleur serait
De porter le mort en secret
À son logis, l'y laisser sans rancune,
Car la femme n'a point failli,
Et le mal est à la fortune.
- C'est donc à nous de faire ainsi, »
Dit la femme ; et, prenant la main de son mari
Elle lui fit toucher près d'elle
Le corps sur son lit étendu.
Bien que troublé par ce coup imprévu,
L'époux se lève, allume sa chandelle ;
Et, sans entrer en plus de mots,
Sachant que sa femme est fidèle,
Il charge le corps sur son dos,
À sa maison secrètement l'emporte,
Le dépose devant la porte,
Et s'en revient sans avoir été vu.
Lorsqu'on trouva, le jour étant venu,
Le jeune homme couché par terre,
Ce fut une grande rumeur ;
Et le pire, dans ce malheur,
Fut le désespoir de la mère.
Le médecin aussitôt consulté,
Et le corps partout visité,
Comme on n'y vit point de blessure,
Chacun parlait à sa façon
De cette sinistre aventure.
La populaire opinion
Fut que l'amour de sa maîtresse
Avait jeté Jérôme en cette adversité,
Et qu'il était mort de tristesse,
Comme c'était la vérité.
Le corps fut donc à l'église porté,
Et là s'en vint la malheureuse mère,
Au milieu des amis en deuil,
Exhaler sa douleur amère.
Tandis qu'on menait le cercueil,
Le tisserand qui, dans le fond de l'âme,
Ne laissait pas d'être inquiet :
« Il est bon, dit-il à sa femme,
Que tu prennes ton mantelet,
Et t'en ailles à cette église
Où l'on enterre ce garçon
Qui mourut hier à la maison.
J'ai quelque peur qu'on ne médise
Sur cet inattendu trépas,
Et ce serait un mauvais pas,
Tout innocents que nous en sommes.
Je me tiendrai parmi les hommes,
Et prierai Dieu, tout en les écoutant.
De ton côté, prends soin d'en faire autant
À l'endroit qu'occupent les femmes.
Tu retiendras ce que ces bonnes âmes
Diront de nous, et nous ferons
Selon ce que nous entendrons. »
La pitié trop **** à Silvie
Etait venue, et ce discours lui plut.
Celui dont un baiser eût conservé la vie,
Le voulant voir encore, elle s'en fut.
Il est étrange, il est presque incroyable
Combien c'est chose inexplicable
Que la puissance de l'amour.
Ce cœur, si chaste et si sévère,
Qui semblait fermé sans retour
Quand la fortune était prospère,
Tout à coup s'ouvrit au malheur.
À peine dans l'église entrée,
De compassion et d'horreur
Silvia se sentit pénétrée ;
L'ancien amour s'éveilla tout entier.
Le front baissé, de son manteau voilée,
Traversant la triste assemblée,
Jusqu'à la bière il lui fallut aller ;
Et là, sous le drap mortuaire
Sitôt qu'elle vit son ami,
Défaillante et poussant un cri,
Comme une sœur embrasse un frère,
Sur le cercueil elle tomba ;
Et, comme la douleur avait tué Jérôme,
De sa douleur ainsi mourut Silvia.
Cette fois ce fut au jeune homme
A céder la moitié du lit :
L'un près de l'autre on les ensevelit.
Ainsi ces deux amants, séparés sur la terre,
Furent unis, et la mort fit
Ce que l'amour n'avait pu faire.
Enfin le roi lion venait d'avoir un fils ;
Partout dans ses états on se livrait en proie
Aux transports éclatants d'une bruyante joie :
Les rois heureux ont tant d'amis !
Sire lion, monarque sage,
Songeait à confier son enfant bien aimé
Aux soins d'un gouverneur vertueux, estimé,
Sous qui le lionceau fît son apprentissage.
Vous jugez qu'un choix pareil
Est d'assez grande importance
Pour que longtemps on y pense.
Le monarque indécis assemble son conseil :
En peu de mots il expose
Le point dont il s'agit, et supplie instamment
Chacun des conseillers de nommer franchement
Celui qu'en conscience il croit propre à la chose.
Le tigre se leva : sire, dit-il, les rois
N'ont de grandeur que par la guerre ;
Il faut que votre fils soit l'effroi de la terre :
Faites donc tomber votre choix
Sur le guerrier le plus terrible,
Le plus craint après vous des hôtes de ces bois.
Votre fils saura tout s'il sait être invincible.
L'ours fut de cet avis : il ajouta pourtant
Qu'il fallait un guerrier prudent,
Un animal de poids, de qui l'expérience
Du jeune lionceau sût régler la vaillance
Et mettre à profit ses exploits.
Après l'ours, le renard s'explique,
Et soutient que la politique
Est le premier talent des rois ;
Qu'il faut donc un mentor d'une finesse extrême
Pour instruire le prince et pour le bien former.
Ainsi chacun, sans se nommer,
Clairement s'indiqua soi-même :
De semblables conseils sont communs à la cour.
Enfin le chien parle à son tour :
Sire, dit-il, je sais qu'il faut faire la guerre,
Mais je crois qu'un bon roi ne la fait qu'à regret ;
L'art de tromper ne me plaît guère :
Je connais un plus beau secret
Pour rendre heureux l'état, pour en être le père,
Pour tenir ses sujets, sans trop les alarmer,
Dans une dépendance entière ;
Ce secret, c'est de les aimer.
Voilà pour bien régner la science suprême ;
Et, si vous désirez la voir dans votre fils,
Sire, montrez-la lui vous-même.
Tout le conseil resta muet à cet avis.
Le lion court au chien : ami, je te confie
Le bonheur de l'état et celui de ma vie ;
Prends mon fils, sois son maître, et, **** de tout flatteur,
S'il se peut, va former son cœur.
Il dit, et le chien part avec le jeune prince.
D'abord à son pupille il persuade bien
Qu'il n'est point lionceau, qu'il n'est qu'un pauvre
Chien,
Son parent éloigné ; de province en province
Il le fait voyager, montrant à ses regards
Les abus du pouvoir, des peuples la misère,
Les lièvres, les lapins mangés par les renards,
Les moutons par les loups, les cerfs par la panthère,
Partout le faible terrassé,
Le bœuf travaillant sans salaire,
Et le singe récompensé.
Le jeune lionceau frémissait de colère :
Mon père, disait-il, de pareils attentats
Sont-ils connus du roi ? Comment pourraient-ils l'être ?
Disait le chien : les grands approchent seuls du maître,
Et les mangés ne parlent pas.
Ainsi, sans raisonner de vertu, de prudence,
Notre jeune lion devenait tous les jours
Vertueux et prudent ; car c'est l'expérience
Qui corrige, et non les discours.
À cette bonne école il acquit avec l'âge
Sagesse, esprit, force et raison.
Que lui fallait-il davantage ?
Il ignorait pourtant encor qu'il fût lion ;
Lorsqu'un jour qu'il parlait de sa reconnaissance
À son maître, à son bienfaiteur,
Un tigre furieux, d'une énorme grandeur,
Paraissant tout-à-coup, contre le chien s'avance.
Le lionceau plus prompt s'élance,
Il hérisse ses crins, il rugit de fureur,
Bat ses flancs de sa queue, et ses griffes sanglantes
Ont bientôt dispersé les entrailles fumantes
De son redoutable ennemi.
À peine il est vainqueur qu'il court à son ami :
Oh ! Quel bonheur pour moi d'avoir sauvé ta vie !
Mais quel est mon étonnement !
Sais-tu que l'amitié, dans cet heureux moment,
M'a donné d'un lion la force et la furie ?
Vous l'êtes, mon cher fils, oui, vous êtes mon roi,
Dit le chien tout baigné de larmes.
Le voilà donc venu, ce moment plein de charmes,
Où, vous rendant enfin tout ce que je vous dois,
Je peux vous dévoiler un important mystère !
Retournons à la cour, mes travaux sont finis.
Cher prince, malgré moi cependant je gémis,
Je pleure ; pardonnez : tout l'état trouve un père,
Et moi je vais perdre mon fils.
L'amour fut de tout temps un bien rude Ananké.
Si l'on ne veut pas être à la porte flanqué,
Dès qu'on aime une belle, on s'observe, on se scrute ;
On met le naturel de côté ; bête brute,
On se fait ange ; on est le nain Micromégas ;
Surtout on ne fait point chez elle de dégâts ;
On se tait, on attend, jamais on ne s'ennuie,
On trouve bon le givre et la bise et la pluie,
On n'a ni faim, ni soif, on est de droit transi ;
Un coup de dent de trop vous perd. Oyez ceci :

Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Etait fort amoureux d'une fée, et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre coeur tout brut :
L'ogre, un beau jour d'hiver, peigne sa peau velue,
Se présente au palais de la fée, et salue,
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.
On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre.
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ?
L'ogre se mit alors à croquer le marmot.
C'est très simple. Pourtant c'est aller un peu vite,
Même lorsqu'on est ogre et qu'on est moscovite,
Que de gober ainsi les mioches du prochain.
Le bâillement d'un ogre est frère de la faim.
Quand la dame rentra, plus d'enfant. On s'informe.
La fée avise l'ogre avec sa bouche énorme.
As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j'ai ?
Le bon ogre naïf lui dit : Je l'ai mangé.

Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire,
Jugez ce que devint l'ogre devant la mère
Furieuse qu'il eût soupé de son dauphin.
Que l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin ;
Adorez votre belle, et soyez plein d'astuce ;
N'allez pas lui manger, comme cet ogre russe,
Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.
Jeune fille, crois-moi, s'il en est temps encore,
Choisis un fiancé joyeux, à l'œil vivant,
Au pas ferme, à la voix sonore,
Qui n'aille pas rêvant.

Sois généreuse, épargne aux cœurs de se méprendre.
Au tien même, imprudente, épargne des regrets,
N'en captive pas un trop tendre,
Tu t'en repentirais.

La nature t'a faite indocile et rieuse,
Crains une âme où la tienne apprendrait le souci,
La tendresse est trop sérieuse,
Trop exigeante aussi.

Un compagnon rêveur attristerait ta vie,
Tu sentirais toujours son ombre à ton côté
Maudire la rumeur d'envie
Où marche ta beauté.

Si, mauvais oiseleur, de ses caresses frêles
Il abaissait sur toi le délicat réseau,
Comme d'un seul petit coup d'ailes
S'affranchirait l'oiseau !

Et tu ne peux savoir tout le bonheur que broie
D'un caprice enfantin le vol brusque et distrait,
Quand il arrache au cœur la proie
Que la lèvre effleurait ;

Quand l'extase, pareille à ces bulles ténues
Qu'un souffle patient et peureux allégea,
S'évanouit si près des nues
Qui s'y miraient déjà.

Sois généreuse, épargne à des songeurs crédules
Ta grâce, et de tes yeux les appels décevants :
Ils chercheraient des crépuscules
Dans ces soleils levants ;

Il leur faut une amie à s'attendrir facile,
Souple à leurs vains soupirs comme aux vents le roseau,
Dont le cœur leur soit un asile
Et les bras un berceau,

Douce, infiniment douce, indulgente aux chimères,
Inépuisable en soins calmants ou réchauffants,
Soins muets comme en ont les mères,
Car ce sont des enfants.

Il leur faut pour témoin dans les heures d'étude,
Une âme qu'autour d'eux ils sentent se poser,
Il leur faut une solitude
Où voltige un baiser

Jeune fille, crois-m'en, cherche qui te ressemble,
Ils sont graves ceux-là, ne choisis aucun d'eux ;
Vous seriez malheureux ensemble
Bien qu'innocents tous deux.
Rien encore n'a germé de vos rameaux flottants
Sur notre jeune terre où, depuis quarante ans,
Tant d'âmes se sont échouées,
Doctrines aux fruits d'or, espoir des nations,
Que la hâtive main des révolutions
Sur nos têtes a secouées !

Nous attendons toujours ! Seigneur, prenez pitié
Des peuples qui, toujours satisfaits à moitié,
Vont d'espérance en espérance ;
Et montrez-nous enfin l'homme de votre choix
Parmi tous ces tribuns et parmi tous ces rois
Que vous essayez à la France !

Qui peut se croire fort, puissant et souverain ?
Qui peut dire en scellant des barrières d'airain :
Jamais vous ne serez franchies !
Dans ce siècle de bruit, de gloire et de revers,
Où les roseaux penchés au bord des étangs verts
Durent plus que les monarchies !

Rois ! la bure est souvent jalouse du velours.
Le peuple a froid l'hiver, le peuple a faim toujours.
Rendez-lui son sort plus facile.
Le peuple souvent porte un bien rude collier.
Ouvrez l'école aux fils, aux pères l'atelier,
À tous vos bras, auguste asile !

Par la bonté des rois rendez les peuples bons.
Sous d'étranges malheurs souvent nous nous courbons.
Songez que Dieu seul est le maître.
Un bienfait par quelqu'un est toujours ramassé.
Songez-y, rois minés sur qui pèse un passé
Gros du même avenir peut-être !

Donnez à tous. Peut-être un jour tous vous rendront !
Donnez, - on ne sait pas quels épis germeront
Dans notre siècle autour des trônes ! -
De la main droite aux bons, de la gauche aux méchants !
Comme le laboureur sème sa graine aux champs,
Ensemencez les cœurs d'aumônes !

Ô rois ! le pain qu'on porte au vieillard desséché,
La pauvre adolescente enlevée au marché,
Le bienfait souriant, toujours prêt à toute heure,
Qui vient, riche et voilé, partout où quelqu'un pleure,
Le cri reconnaissant d'une mère à genoux,
L'enfant sauvé qui lève, entre le peuple et vous,
Ses deux petites mains sincères et joyeuses,
Sont la meilleure digue aux foules furieuses.

Hélas ! je vous le dis, ne vous endormez pas
Tandis que l'avenir s'amoncelle là-bas !

Il arrive parfois, dans le siècle où nous sommes,
Qu'un grand vent tout à coup soulève à flots les hommes ;
Vent de malheur, formé, comme tous les autans,
De souffles quelque part comprimés trop longtemps ;
Vent qui de tout foyer disperse la fumée ;
Dont s'attise l'idée à cette heure allumée ;
Qui passe sur tout homme, et, torche ou flot amer,
Le fait étinceler ou le fait écumer ;
Ebranle tout digue et toute citadelle ;
Dans la société met à nu d'un coup d'aile
Des sommets jusqu'alors par des brumes voilés,
Des gouffres ténébreux ou des coins étoilés ;
Vent fatal qui confond les meilleurs et les pires,
Arrache mainte tuile au vieux toit des empires,
Et prenant dans l'état, en haut, en bas, partout,
Tout esprit qui dérive et toute âme qui bout,
Tous ceux dont un zéphyr fait remuer les têtes,
Tout ce qui devient onde à l'heure des tempêtes,
Amoncelant dans l'ombre et chassant à la fois
Ces flots, ces bruits, ce peuple, et ces pas et ces voix,
Et ces groupes sans forme et ces rumeurs sans nombre,
Pousse tout cet orage au seuil d'un palais sombre !

Palais sombre en effet, et plongé dans la nuit !
D'où les illusions s'envolent à grand bruit,
Quelques-unes en pleurs, d'autres qu'on entend rire !
C'en est fait. L'heure vient, le voile se déchire,
Adieu les songes d'or ! On se réveille, on voit
Un spectre aux mains de chair qui vous touche du doigt.
C'est la réalité ! qu'on sent là, qui vous pèse.
On rêvait Charlemagne, on pense à Louis seize !

Heure grande et terrible où, doutant des canons,
La royauté, nommant ses amis par leurs noms,
Recueillant tous les bruits que la tempête apporte,
Attend, l'œil à la vitre et l'oreille à la porte !
Où l'on voit dans un coin, ses filles dans ses bras,
La reine qui pâlit, pauvre étrangère, hélas !

Où les petits enfants des familles royales
De quelque vieux soldat pressent les mains loyales,
Et demandent, avec des sanglots superflus,
Aux valets, qui déjà ne leur répondent plus,
D'où viennent ces rumeurs, ces terreurs, ce mystère,
Et les ébranlements de cette affreuse terre
Qu'ils sentent remuer comme la mer aux vents,
Et qui ne tremble pas sous les autres enfants !

Hélas ! vous crénelez vos mornes Tuileries,
Vous encombrez les ponts de vos artilleries,
Vous gardez chaque rue avec un régiment,
À quoi bon ? à quoi bon ? De moment en moment
La tourbe s'épaissit, grosse et désespérée
Et terrible, et qu'importe, à l'heure où leur marée
Sort et monte en hurlant du fond du gouffre amer,
La mitraille à la foule et la grêle à la mer !

Ô redoutable époque ! et quels temps que les nôtres !
Où, rien qu'en se serrant les uns contre les autres,
Les hommes dans leurs plis écrasent tours, châteaux,
Donjons que les captifs rayaient de leurs couteaux,
Créneaux, portes d'airain comme un carton ployées,
Et sur leurs boulevards vainement appuyées
Les pâles garnisons, et les canons de fer
Broyés avec le mur comme l'os dans la chair !

Comment se défendra ce roi qu'un peuple assiège ?
Plus léger sur ce flot que sur l'onde un vain liège,
Plus vacillant que l'ombre aux approches du soir,
Ecoutant sans entendre et regardant sans voir,
Il est là qui frissonne, impuissant, infertile,
Sa main tremble, et sa tête est un crible inutile,
Hélas ! hélas ! les rois en ont seuls de pareils !
Qui laisse tout passer, hors les mauvais conseils !

Que servent maintenant ces sabres, ces épées,
Ces lignes de soldats par des caissons coupées,
Ces bivouacs, allumés dans les jardins profonds,
Dont la lueur sinistre empourpre ses plafonds,
Ce général choisi, qui déjà, vaine garde,
Sent peut-être à son front sourdre une autre cocarde,
Et tous ces cuirassiers, soldats vieux ou nouveaux,
Qui plantent dans la cour des pieux pour leurs chevaux ?
Que sert la grille close et la mèche allumée ?
Il faudrait une tête, et tu n'as qu'une armée !

Que faire de ce peuple à l'immense roulis,
Mer qui traîne du moins une idée en ses plis,
Vaste inondation d'hommes, d'enfants, de femmes,
Flots qui tous ont des yeux, vagues qui sont des âmes ?

Malheur alors ! O Dieu ! faut-il que nous voyions
Le côté monstrueux des révolutions !
Qui peut dompter la mer ? Seigneur ! qui peut répondre
Des ondes de Paris et des vagues de Londres,
Surtout lorsque la ville, ameutée aux tambours
Sent ramper dans ses flots l'hydre de ses faubourgs !

Dans ce palais fatal où l'empire s'écroule,
Dont la porte bientôt va ployer sous la foule,
Où l'on parle tout bas de passages secrets,
Où le roi sent déjà qu'on le sert de moins près,
Où la mère en tremblant rit à l'enfant qui pleure,
Ô mon Dieu ! que va-t-il se passer tout à l'heure ?
Comment vont-ils jouer avec ce nid de rois ?
Pourquoi faut-il qu'aux jours où le pauvre aux abois
Sent sa haine des grands de ce qu'il souffre accrue,
Notre faute ou la leur le lâchent dans la rue ?
Temps de deuil où l'émeute en fureur sort de tout !
Où le peuple devient difforme tout à coup !

Malheur donc ! c'est fini. Plus de barrière au trône !
Mais Dieu garde un trésor à qui lui fit l'aumône.
Si le prince a laissé, dans des temps moins changeants,
L'empreinte de ses pas à des seuils indigents,
Si des bienfaits cachés il fut parfois complice,
S'il a souvent dit : grâce ! où la loi dit : supplice !
Ne désespérez pas. Le peuple aux mauvais jours
A pu tout oublier, Dieu se souvient toujours !

Souvent un cri du cœur sorti d'une humble bouche
Désarme, impérieux, une foule farouche
Qui tenait une proie en ses poings triomphants.
Les mères aux lions font rendre les enfants !

Oh ! dans cet instant même où le naufrage gronde,
Où l'on sent qu'un boulet ne peut rien contre une onde,
Où, liquide et fangeuse et pleine de courroux,
La populace à l'œil stupide, aux cheveux roux,
Aboyant sur le seuil comme un chien pour qu'on ouvre,
Arrive, éclaboussant les chapiteaux du Louvre,
Océan qui n'a pas d'heure pour son reflux !
Au moment où l'on voit que rien n'arrête plus
Ce flot toujours grossi, que chaque instant apporte,
Qui veut monter, qui hurle et qui mouille la porte,...
C'est un spectacle auguste et que j'ai vu déjà
Souvent, quand mon regard dans l'histoire plongea,
Qu'une bonne action, cachée en un coin sombre,
Qui sort subitement toute blanche de l'ombre,
Et comme autrefois Dieu qu'elle prend à témoin,
Dit au peuple écumant : Tu n'iras pas plus **** !

Le 28 décembre 1834.
Brûle aux yeux des femmes,
Mais garde ton coeur
Et crains la langueur
Des épithalames.

Bois pour oublier !
L'eau-de-vie est une
Qui porte la lune
Dans son tablier.

L'injure des hommes,
Qu'est-ce que ça fait ?
Va, notre coeur sait
Seul ce que nous sommes.

Ce que nous valons
Notre sang le chante !
L'épine méchante
Te mord aux talons ?

Le vent taquin ose
Te gifler souvent ?
Chante dans le vent
Et cueille la rose !

Va, tout est au mieux
Dans ce monde pire !
Surtout laisse dire,
Surtout sois joyeux

D'être une victime
A ces pauvres gens :
Les dieux indulgents
Ont aimé ton crime !

Tu refleuriras
Dans un élysée !
Ame méprisée,
Tu rayonneras !

Tu n'es pas de celles
Qu'un coup du Destin
Dissipe soudain
En mille étincelles.

Métal dur et clair,
Chaque coup t'affine
En arme divine
Pour un dessein fier.

Arrière la forge !
Et tu vas frémir,
Vibrer et jouir
Au poing de saint George

Et de saint Michel,
Dans des gloires calmes,
Au vent pur des palmes,
Sur l'aile du ciel !...

C'est d'être un sourire
Au milieu des pleurs,
C'est d'être des fleurs
Au champ du martyre,

C'est d'être le feu
Qui dort dans la pierre,
C'est d'être en prière,
C'est d'attendre un peu !
Paul d'Aubin Jan 2015
Dame Maladie lâchez moi donc un peu !

Dame Maladie vous fûtes une compagne,
Empressée, aux soins jaloux.
Souvent c'était le nez coulant, plus que nature.
qui  donnait  au sinus, brûlures de vinaigre.
Enfant c'était l'asthme, d'étouffements suivis,
M'empêchant de dormir, autrement qu'en fauteuil.

Puis dans les années ou tant de sots font carrière,
Ce fut la Melancholia et des longues angoisses,
La sensation terrible de ne pouvoir écrire,
En tout cas au rythme que l'on m'avait fixé,
et les conseil idiots, de tant de bien-portants,
souvent suivi de honte de me voir méprisé.

Puis vint cet eczéma comme une fournaise,
Faisant brûler la peau, comme de,  feu Nessus,
La tunique brûlante, puis l'envie de gratter,
Qui soulage la peine avant de l'aggraver.
et mon corps désormais, prenant peur du salé de la mer,
dont enfant j'aimais tant à chevaucher les vagues.

Quelques années plus ****, l'intestin, à son tour,
Vint s'occuper de moi et me tenir prostré,
Car riz, charbon et coing restaient insuffisants,
Pour stopper les coliques qui me tenaient chez moi,
la position couchée devenant un refuge,
et seule la lecture me tenait compagnie.

Certes la Médecine est une grande Dame.
Que j'appris a connaître au delà du commun.
Elle sait bien soulager mais rarement guérir.
Et sa fréquentation n'admet point le divorce.
Un jour, peut être, hélas, mes sens s'apaiseront.
Mais pour un long sommeil qui se nomme la Mort,

Paul Arrighi
À MADEMOISELLE LOUISE B.

I.

- Ainsi donc rien de grand, rien de saint, rien de pur,
Rien qui soit digne, ô ciel ! de ton regret d'azur !
Rien qui puisse anoblir le vil siècle où nous sommes,
Ne sortira du cœur de l'homme enfant des hommes !
Homme ! esprit enfoui sous les besoins du corps !
Ainsi, jouir ; descendre à tâtons chez les morts ;
Être à tout ce qui rampe, à tout ce qui s'envole,
A l'intérêt sordide, à la vanité folle ;
Ne rien savoir - qu'emplir, sans souci du devoir,
Une charte de mots ou d'écus un comptoir ;
Ne jamais regarder les voûtes étoilées ;
Rire du dévouement et des vertus voilées ;
Voilà ta vie, hélas ! et tu n'as, nuit et jour,
Pour espoir et pour but, pour culte et pour amour,
Qu'une immonde monnaie aux carrefours traînée
Et qui te laisse aux mains sa rouille empoissonnée !
Et tu ne comprends pas que ton destin, à toi,
C'est de penser ! c'est d'être un mage et d'être un roi ;
C'est d'être un alchimiste alimentant la flamme
Sous ce sombre alambic que tu nommes ton âme,
Et de faire passer par ce creuset de feu
La nature et le monde, et d'en extraire Dieu !

Quoi ! la brute a sa sphère et l'éléments sa règle !
L'onde est au cormoran et la neige est à l'aigle.
Tout a sa région, sa fonction, son but.
L'écume de la mer n'est pas un vain rebut ;
Le flot sait ce qu'il fait ; le vent sait qui le pousse ;
Comme un temple où toujours veille une clarté douce,
L'étoile obéissante éclaire le ciel bleu ;
Le lys s'épanouit pour la gloire de Dieu ;
Chaque matin, vibrant comme une sainte lyre,
L'oiseau chante ce nom que l'aube nous fait lire.
Quoi ! l'être est plein d'amour, le monde est plein de foi
Toute chose ici-bas suit gravement sa loi,
Et ne sait obéir, dans sa fierté divine,
L'oiseau qu'à son instinct, l'arbre qu'à sa racine !
Quoi ! l'énorme océan qui monte vers son bord,
Quoi ! l'hirondelle au sud et l'aimant vers le nord
La graine ailée allant au **** choisir sa place,
Le nuage entassé sur les îles de glace,
Qui, des cieux tout à coup traversant la hauteur,
Croule au souffle d'avril du pôle à l'équateur,
Le glacier qui descend du haut des cimes blanches,
La sève qui s'épand dans les fibres des branches,
Tous les objets créés, vers un but sérieux,
Les rayons dans les airs, les globes dans les cieux,
Les fleuves à travers les rochers et les herbes,
Vont sans se détourner de leurs chemins superbes !
L'homme a seul dévié ! - Quoi ! tout dans l'univers,
Tous les êtres, les monts, les forêts, les prés verts,
Le jour dorant le ciel, l'eau lavant les ravines,
Ont encore, comme au jour où de ses mains divines
Jéhova sur Adam imprima sa grandeur,
Toute leur innocence et toute leur candeur !
L'homme seul est tombé !- Fait dans l'auguste empire
Pour être le meilleur, il en devient le pire,
Lui qui devait fleurir comme l'arbre choisi,
Il n'est plus qu'un tronc vil au branchage noirci,
Que l'âge déracine et que le vice effeuille,
Dont les rameaux n'ont pas de fruit que Dieu recueille,
Où jamais sans péril nous ne nous appuyons,
Où la société greffe les passions !
Chute immense ! il ignore et nie, ô providence !
Tandis qu'autour de lui la création pense !

Ô honte ! en proie aux sens dont le joug l'asservit,
L'homme végète auprès de la chose qui vit !

II.

Comme je m'écriais ainsi, vous m'entendîtes ;
Et vous, dont l'âme brille en tout ce que vous dites,
Vous tournâtes alors vers moi paisiblement
Votre sourire triste, ineffable et calmant :

- L'humanité se lève, elle chancelle encore,
Et, le front baigné d'ombre, elle va vers l'aurore.
Tout l'homme sur la terre a deux faces, le bien
Et le mal. Blâmer tout, c'est ne comprendre rien.
Les âmes des humains d'or et de plomb sont faites.
L'esprit du sage est grave, et sur toutes les têtes
Ne jette pas sa foudre au hasard en éclats.
Pour le siècle où l'on vit - comme on y souffre, hélas ! -
On est toujours injuste, et tout y paraît crime.
Notre époque insultée a son côté sublime.
Vous l'avez dit vous-même, ô poète irrité ! -

Dans votre chambre, asile illustre et respecté,
C'est ainsi que, sereine et simple, vous parlâtes.
Votre front, au reflet des damas écarlates,
Rayonnait, et pour moi, dans cet instant profond,
Votre regard levé fit un ciel du plafond.

L'accent de la raison, auguste et pacifique,
L'équité, la pitié, la bonté séraphique,
L'oubli des torts d'autrui, cet oubli vertueux
Qui rend à leur insu les fronts majestueux,
Donnaient à vos discours, pleins de clartés si belles,
La tranquille grandeur des choses naturelles,
Et par moments semblaient mêler à votre voix
Ce chant doux et voilé qu'on entend dans les bois.

III.

Pourquoi devant mes yeux revenez-vous sans cesse,
Ô jours de mon enfance et de mon allégresse ?
Qui donc toujours vous rouvre en nos cœurs presque éteints
Ô lumineuse fleur des souvenirs lointains ?

Oh ! que j'étais heureux ! oh ! que j'étais candide !
En classe, un banc de chêne, usé, lustré, splendide,
Une table, un pupitre, un lourd encrier noir,
Une lampe, humble sœur de l'étoile du soir,
M'accueillaient gravement et doucement. Mon maître,
Comme je vous l'ai dit souvent, était un prêtre
A l'accent calme et bon, au regard réchauffant,
Naïf comme un savant, malin comme un enfant,
Qui m'embrassait, disant, car un éloge excite :
- Quoiqu'il n'ait que neuf ans, il explique Tacite. -
Puis près d'Eugène, esprit qu'hélas ! Dieu submergea,
Je travaillais dans l'ombre, - et je songeais déjà.

Tandis que j'écrivais, - sans peur, mais sans système,
Versant le barbarisme à grands flots sur le thème,
Inventant les auteurs de sens inattendus,
Le dos courbé, le front touchant presque au Gradus, -
Je croyais, car toujours l'esprit de l'enfant veille,
Ouïr confusément, tout près de mon oreille,
Les mots grecs et latins, bavards et familiers,
Barbouillés d'encre, et gais comme des écoliers,
Chuchoter, comme font les oiseaux dans une aire,
Entre les noirs feuillets du lourd dictionnaire.
Bruits plus doux que le bruit d'un essaim qui s'enfuit,
Souffles plus étouffés qu'un soupir de la nuit,
Qui faisaient par instants, sous les fermoirs de cuivre,
Frissonner vaguement les pages du vieux livre !

Le devoir fait, légers comme de jeunes daims,
Nous fuyions à travers les immenses jardins,
Éclatant à la fois en cent propos contraires.
Moi, d'un pas inégal je suivais mes grands frères ;
Et les astres sereins s'allumaient dans les cieux,
Et les mouches volaient dans l'air silencieux,
Et le doux rossignol, chantant dans l'ombre obscure,
Enseignait la musique à toute la nature,
Tandis qu'enfant jaseur aux gestes étourdis,
Jetant partout mes yeux ingénus et hardis
D'où jaillissait la joie en vives étincelles,
Je portais sous mon bras, noués par trois ficelles,
Horace et les festins, Virgile et les forêts,
Tout l'Olympe, Thésée, Hercule, et toi Cérès,
La cruelle Junon, Lerne et l'hydre enflammée,
Et le vaste lion de la roche Némée.

Mais, lorsque j'arrivais chez ma mère, souvent,
Grâce au hasard taquin qui joue avec l'enfant,
J'avais de grands chagrins et de grandes colères.
Je ne retrouvais plus, près des ifs séculaires,
Le beau petit jardin par moi-même arrangé.
Un gros chien en passant avait tout ravagé.
Ou quelqu'un dans ma chambre avait ouvert mes cages,
Et mes oiseaux étaient partis pour les bocages,
Et, joyeux, s'en étaient allés de fleur en fleur
Chercher la liberté bien ****, - ou l'oiseleur.
Ciel ! alors j'accourais, rouge, éperdu, rapide,
Maudissant le grand chien, le jardinier stupide,
Et l'infâme oiseleur et son hideux lacet,
Furieux ! - D'un regard ma mère m'apaisait.

IV.

Aujourd'hui, ce n'est pas pour une cage vide,
Pour des oiseaux jetés à l'oiseleur avide,
Pour un dogue aboyant lâché parmi les fleurs,
Que mon courroux s'émeut. Non, les petits malheurs
Exaspèrent l'enfant ; mais, comme en une église,
Dans les grandes douleurs l'homme se tranquillise.
Après l'ardent chagrin, au jour brûlant pareil,
Le repos vient au cœur comme aux yeux le sommeil.
De nos maux, chiffres noirs, la sagesse est la somme.
En l'éprouvant toujours, Dieu semble dire à l'homme :
- Fais passer ton esprit à travers le malheur ;
Comme le grain du crible, il sortira meilleur. -
J'ai vécu, j'ai souffert, je juge et je m'apaise.
Ou si parfois encor la colère mauvaise
Fait pencher dans mon âme avec son doigt vainqueur
La balance où je pèse et le monde et mon cœur ;
Si, n'ouvrant qu'un seul œil, je condamne et je blâme,
Avec quelques mots purs, vous, sainte et noble femme,
Vous ramenez ma voix qui s'irrite et s'aigrit
Au calme sur lequel j'ai posé mon esprit ;
Je sens sous vos rayons mes tempêtes se taire ;
Et vous faites pour l'homme incliné, triste, austère,
Ce que faisait jadis pour l'enfant doux et beau
Ma mère, ce grand cœur qui dort dans le tombeau !

V.

Écoutez à présent. - Dans ma raison qui tremble,
Parfois l'une après l'autre et quelquefois ensemble,
Trois voix, trois grandes voix murmurent.

L'une dit :
- « Courrouce-toi, poète. Oui, l'enfer applaudit
Tout ce que cette époque ébauche, crée ou tente.
Reste indigné. Ce siècle est une impure tente
Où l'homme appelle à lui, voyant le soir venu,
La volupté, la chair, le vice infâme et nu.
La vérité, qui fit jadis resplendir Rome,
Est toujours dans le ciel ; l'amour n'est plus dans l'homme.
« Tout rayon jaillissant trouve tout œil fermé.
Oh ! ne repousse pas la muse au bras armé
Qui visitait jadis comme une austère amie,
Ces deux sombres géants, Amos et Jérémie !
Les hommes sont ingrats, méchants, menteurs, jaloux.
Le crime est dans plusieurs, la vanité dans tous ;
Car, selon le rameau dont ils ont bu la sève,
Ils tiennent, quelques-uns de Caïn, et tous d'Ève.

« Seigneur ! ta croix chancelle et le respect s'en va.
La prière décroît. Jéhova ! Jéhova !
On va parlant tout haut de toi-même en ton temple.
Le livre était la loi, le prêtre était l'exemple ;
Livre et prêtre sont morts. Et la foi maintenant,
Cette braise allumée à ton foyer tonnant,
Qui, marquant pour ton Christ ceux qu'il préfère aux autres,
Jadis purifiait la lèvre des apôtres,
N'est qu'un charbon éteint dont les petits enfants
Souillent ton mur avec des rires triomphants ! » -

L'autre voix dit : - « Pardonne ! aime ! Dieu qu'on révère,
Dieu pour l'homme indulgent ne sera point sévère.
Respecte la fourmi non moins que le lion.
Rêveur ! rien n'est petit dans la création.
De l'être universel l'atome se compose ;
Dieu vit un peu dans tout, et rien n'est peu de chose.
Cultive en toi l'amour, la pitié, les regrets.
Si le sort te contraint d'examiner de près
L'homme souvent frivole, aveugle et téméraire,
Tempère l'œil du juge avec les pleurs du frère.
Et que tout ici-bas, l'air, la fleur, le gazon ;
Le groupe heureux qui joue au seuil de ta maison ;
Un mendiant assis à côté d'une gerbe ;
Un oiseau qui regarde une mouche dans l'herbe ;
Les vieux livres du quai, feuilletés par le vent,
D'où l'esprit des anciens, subtil, libre et vivant,
S'envole, et, souffle errant, se mêle à tes pensées ;
La contemplation de ces femmes froissées
Qui vivent dans les pleurs comme l'algue dans l'eau ;
L'homme, ce spectateur ; le monde, ce tableau ;
Que cet ensemble auguste où l'insensé se blase
Tourne de plus en plus ta vie et ton extase
Vers l'œil mystérieux qui nous regarde tous,
Invisible veilleur ! témoin intime et doux !
Principe ! but ! milieu ! clarté ! chaleur ! dictame !
Secret de toute chose entrevu par toute l'âme !
« N'allume aucun enfer au tison d'aucun feu.
N'aggrave aucun fardeau. Démontre l'âme et Dieu,
L'impérissable esprit, la tombe irrévocable ;
Et rends douce à nos fronts, que souvent elle accable,
La grande main qui grave en signes immortels
JAMAIS ! sur les tombeaux ; TOUJOURS ! sur les autels. »

La troisième voix dit : - « Aimer ? haïr ? qu'importe !
Qu'on chante ou qu'on maudisse, et qu'on entre ou qu'on sorte,
Le mal, le bien, la mort, les vices, les faux dieux,
Qu'est-ce que tout cela fait au ciel radieux ?
La végétation, vivante, aveugle et sombre,
En couvre-t-elle moins de feuillages sans nombre,
D'arbres et de lichens, d'herbe et de goëmons,
Les prés, les champs, les eaux, les rochers et les monts ?
L'onde est-elle moins bleue et le bois moins sonore ?
L'air promène-t-il moins, dans l'ombre et dans l'aurore,
Sur les clairs horizons, sur les flots décevants,
Ces nuages heureux qui vont aux quatre vents ?
Le soleil qui sourit aux fleurs dans les campagnes,
Aux rois dans les palais, aux forçats dans les bagnes,
Perd-il, dans la splendeur dont il est revêtu,
Un rayon quand la terre oublie une vertu ?
Non, Pan n'a pas besoin qu'on le prie et qu'on l'aime.
Ô sagesse ! esprit pur ! sérénité suprême !
Zeus ! Irmensul ! Wishnou ! Jupiter ! Jéhova !
Dieu que cherchait Socrate et que Jésus trouva !
Unique Dieu ! vrai Dieu ! seul mystère ! seule âme !
Toi qui, laissant tomber ce que la mort réclame,
Fis les cieux infinis pour les temps éternels !
Toi qui mis dans l'éther plein de bruits solennels,
Tente dont ton haleine émeut les sombres toiles,
Des millions d'oiseaux, des millions d'étoiles !
Que te font, ô Très-Haut ! les hommes insensés,
Vers la nuit au hasard l'un par l'autre poussés,
Fantômes dont jamais tes yeux ne se souviennent,
Devant ta face immense ombres qui vont et viennent ! »

VI.

Dans ma retraite obscure où, sous mon rideau vert,
Luit comme un œil ami maint vieux livre entrouvert,
Où ma bible sourit dans l'ombre à mon Virgile,
J'écoute ces trois voix. Si mon cerveau fragile
S'étonne, je persiste ; et, sans peur, sans effroi,
Je les laisse accomplir ce qu'elles font en moi.
Car les hommes, troublés de ces métamorphoses,
Composent leur sagesse avec trop peu de choses.
Tous ont la déraison de voir la Vérité
Chacun de sa fenêtre et rien que d'un côté,
Sans qu'aucun d'eux, tenté par ce rocher sublime,
Aille en faire le tour et monte sur sa cime.
Et de ce triple aspect des choses d'ici-bas,
De ce triple conseil que l'homme n'entend pas,
Pour mon cœur où Dieu vit, où la haine s'émousse,
Sort une bienveillance universelle et douce
Qui dore comme une aube et d'avance attendrit
Le vers qu'à moitié fait j'emporte en mon esprit
Pour l'achever aux champs avec l'odeur des plaines
Et l'ombre du nuage et le bruit des fontaines !

Avril 1840.
Ô Robert, un conseil. Ayez l'air moins candide.
Soyons homme d'esprit. Le moment est splendide,
Je le sais ; le quart d'heure est chatoyant, c'est vrai
Cette Californie est riche en minerai,
D'accord ; mais cependant quand un préfet, un maire,
Un évêque adorant le fils de votre mère,
Quand un Suin, un Parieu, payé pour sa ferveur,
Vous parlant en plein nez, vous appelle sauveur,
Vous promet l'avenir, atteste Fould et Magne,
Et vous fait coudoyer César et Charlemagne,
Mon cher, vous accueillez ces propos obligeants
D'un air de bonne foi qui prête à rire aux gens.
Vous avez l'œil béat d'un bailli de province.
Par ces simplicités vous affligez, ô prince,
Napoléon, votre oncle, et moi, votre parrain.
Ne soyons pas Jocrisse ayant été Mandrin.
On vole un trône, on prend un peuple en une attrape,
Mais il est de bon goût d'en rire un peu sous cape
Et de cligner de l'œil du côté des malins.
Etre sa propre dupe ! ah ! fi donc ! Verres pleins,
Poche pleine, et rions ! La France rampe et s'offre ;
Soyons un sage à qui Jupiter livre un coffre ;
Dépêchons-nous, pillons, régnons vite. - Mais quoi !
Le pape nous bénit ; czar, sultan, duc et roi
Sont nos cousins ; fonder un empire est facile
Il est doux d'être chef d'une race ! - Imbécile !
Te figures-tu donc que ceci durera ?
Prends-tu pour du granit ce décor d'opéra ?
Paris dompté ! par toi ! dans quelle apocalypse
Lit-on que le géant devant le nain s'éclipse ?
Crois-tu donc qu'on va voir, gaîment, l'œil impudent,
Ta fortune cynique écraser sous sa dent
La révolution que nos pères ont faite,
Ainsi qu'une guenon qui croque une noisette ?
Ote-toi de l'esprit ce rêve enchanteur. Crois
À Rose Tamisier faisant saigner la croix,
À l'âme de Baroche entrouvrant sa corolle,
Crois à l'honnêteté de Deutz, à ta parole,
C'est bien ; mais ne crois pas à ton succès ; il ment.
Rose Tamisier, Deutz, Baroche, ton serment,
C'est de l'or, j'en conviens ; ton sceptre est de l'argile.
Dieu, qui t'a mis au coche, écrit sur toi : fragile.

Jersey, le 29 mai 1853.
Le long bois de sapins se tord jusqu'au rivage,

L'étroit bois de sapins, de lauriers et de pins,

Avec la ville autour déguisée en village :

Chalets éparpillés rouges dans le feuillage

Et les blanches villas des stations de bains.


Le bois sombre descend d'un plateau de bruyère,

Va, vient, creuse un vallon, puis monte vert et noir

Et redescend en fins bosquets où la lumière

Filtre et dore l'obscur sommeil du cimetière

Qui s'étage bercé d'un vague nonchaloir.


À gauche la tour lourde (elle attend une flèche)

Se dresse d'une église invisible d'ici,

L'estacade très **** ; haute, la tour, et sèche :

C'est bien l'anglicanisme impérieux et rêche

À qui l'essor du cœur vers le ciel manque aussi.


Il fait un de ces temps ainsi que je les aime,

Ni brume ni soleil ! le soleil deviné,

Pressenti, du brouillard mourant dansant à même

Le ciel très haut qui tourne et fuit, rose de crème ;

L'atmosphère est de perle et la mer d'or fané.


De la tour protestante il part un chant de cloche,

Puis deux et trois et quatre, et puis huit à la fois,

Instinctive harmonie allant de proche en proche,

Enthousiasme, joie, appel, douleur, reproche,

Avec de l'or, du bronze et du feu dans la voix ;


Bruit immense et bien doux que le long bois écoute !

La musique n'est pas plus belle. Cela vient

Lentement sur la mer qui chante et frémit toute,

Comme sous une armée au pas sonne une route

Dans l'écho qu'un combat d'avant-garde retient.


La sonnerie est morte. Une rouge traînée

De grands sanglots palpite et s'éteint sur la mer.

L'éclair froid d'un couchant de la nouvelle année

Ensanglante là-bas la ville couronnée

De nuit tombante, et vibre à l'ouest encore clair.


Le soir se fonce. Il fait glacial. L'estacade

Frissonne et le ressac a gémi dans son bois

Chanteur, puis est tombé lourdement en cascade

Sur un rythme brutal comme l'ennui maussade

Qui martelait mes jours coupables d'autrefois :


Solitude du cœur dans le vide de l'âme,

Le combat de la mer et des vents de l'hiver,

L'orgueil vaincu, navré, qui râle et qui déclame,

Et cette nuit où rampe un guet-apens infâme,

Catastrophe flairée, avant-goût de l'Enfer !...


Voici trois tintements comme trois coups de flûtes,

Trois encor, trois encor ! l'Angelus oublié

Se souvient, le voici qui dit : Paix à ces luttes !

Le Verbe s'est fait chair pour relever tes chutes,

Une vierge a conçu, le monde est délié !


Ainsi Dieu parle par la voix de sa chapelle

Sise à mi-côte à droite et sur le bord du bois...

Ô Rome, ô Mère ! Cri, geste qui nous rappelle

Sans cesse au bonheur seul et donne au cœur rebelle

Et triste le conseil pratique de la Croix.


- La nuit est de velours. L'estacade laissée

Tait par degrés son bruit sous l'eau qui refluait,

Une route assez droite heureusement tracée

Guide jusque chez moi ma retraite pressée

Dans ce noir absolu sous le long bois muet.
Sukeey Sue Jun 2011
N'attends pas un sourire ... pour être gentil.

N'attends pas d'être seul ... pour apprécier un ami.

N'attends pas d'être aimé ... pour aimer.

N'attends pas de recevoir ... pour donner.

N'attends pas une blague ... pour que tu rit.

N'attends pas le silence ... pour que tu crie.

N'attends pas le vacarme ... pour te réveiller.

N'attends pas de meilleur emploi ... pour commencer à travailler.

N'attends pas d'avoir beaucoup ... pour partager.

N'attends pas le désastre ... pour regretter.

N'attends pas de souffrir ... pour agir.

N'attends pas d'avoir le temps ... pour pouvoir servir.

N'attends pas la chute ... pour te rappeler du conseil.

N'attends pas la nuit ... pour chercher le soleil.

N'attends pas l'erreur ... pour demander le pardon.

N'attends pas la folie ... pour chercher la raison.

N'attends pas la douleur ... pour croire à la prière.

N'attends pas le noir ... pour allumer la lumière.

N'attends pas la séparation ... pour te réconcilier.

N'attends pas la misère ... pour espérer.

N'attends pas la fin ... pour dire le non-dit.

N'attends pas la mort ... pour apprécier la vie.


...Car nul ne sait de combien de temps l'on dispose encore .
Ô temps miraculeux ! ô gaîtés homériques !
Ô rires de l'Europe et des deux Amériques !
Croûtes qui larmoyez ! bons dieux mal accrochés
Qui saignez dans vos coins ! madones qui louchez !
Phénomènes vivants ! ô choses inouïes !
Candeurs ! énormités au jour épanouies !
Le goudron déclaré fétide par le suif,
Judas flairant Shylock et criant : c'est un juif !
L'arsenic indigné dénonçant la morphine,
La hotte injuriant la borne, Messaline
Reprochant à Goton son regard effronté,
Et Dupin accusant Sauzet de lâcheté !

Oui, le vide-gousset flétrit le tire-laine,
Falstaff montre du doigt le ventre de Silène,
Lacenaire, pudique et de rougeur atteint,
Dit en baissant les yeux : J'ai vu passer Castaing !

Je contemple nos temps. J'en ai le droit, je pense.
Souffrir étant mon lot, rire est ma récompense.
Je ne sais pas comment cette pauvre Clio
Fera pour se tirer de cet imbroglio.
Ma rêverie au fond de ce règne pénètre,
Quand, ne pouvant dormir, la nuit, à ma fenêtre,
Je songe, et que là-bas, dans l'ombre, à travers l'eau,
Je vois briller le phare auprès de Saint-Malo.

Donc ce moment existe ! il est ! Stupeur risible !
On le voit ; c'est réel, et ce n'est pas possible.
L'empire est là, refait par quelques sacripants.
Bonaparte le Grand dormait. Quel guet-apens !
Il dormait dans sa tombe, absous par la patrie.
Tout à coup des brigands firent une tuerie
Qui dura tout un jour et du soir au matin ;
Napoléon le Nain en sortit. Le destin,
De l'expiation implacable ministre,
Dans tout ce sang versé trempa son doigt sinistre
Pour barbouiller, affront à la gloire en lambeau,
Cette caricature au mur de ce tombeau.

Ce monde-là prospère. Il prospère, vous dis-je !
Embonpoint de la honte ! époque callipyge !
Il trône, ce cokney d'Eglinton et d'Epsom,
Qui, la main sur son cœur, dit : Je mens, ergo sum.
Les jours, les mois, les ans passent ; ce flegmatique,
Ce somnambule obscur, brusquement frénétique,
Que Schœlcher a nommé le président Obus,
Règne, continuant ses crimes en abus.
Ô spectacle ! en plein jour, il marche et se promène,
Cet être horrible, insulte à la figure humaine !
Il s'étale effroyable, ayant tout un troupeau
De Suins et de Fortouls qui vivent sur sa peau,
Montrant ses nudités, cynique, infâme, indigne,
Sans mettre à son Baroche une feuille de vigne !
Il rit de voir à terre et montre à Machiavel
Sa parole d'honneur qu'il a tuée en duel.
Il sème l'or ; - venez ! - et sa largesse éclate.
Magnan ouvre sa griffe et Troplong tend sa patte.
Tout va. Les sous-coquins aident le drôle en chef.
Tout est beau, tout est bon, et tout est juste ; bref,
L'église le soutient, l'opéra le constate.
Il vola ! Te Deum. Il égorgea ! cantate.

Lois, mœurs, maître, valets, tout est à l'avenant.
C'est un bivouac de gueux, splendide et rayonnant.
Le mépris bat des mains, admire, et dit : courage !
C'est hideux. L'entouré ressemble à l'entourage.
Quelle collection ! quel choix ! quel Œil-de-boeuf !
L'un vient de Loyola, l'autre vient de Babeuf !
Jamais vénitiens, romains et bergamasques
N'ont sous plus de sifflets vu passer plus de masques.
La société va sans but, sans jour, sans droit,
Et l'envers de l'habit est devenu l'endroit.
L'immondice au sommet de l'état se déploie.
Les chiffonniers, la nuit, courbés, flairant leur proie,
Allongent leurs crochets du côté du sénat.
Voyez-moi ce coquin, normand, corse, auvergnat :
C'était fait pour vieillir bélître et mourir cuistre ;
C'est premier président, c'est préfet, c'est ministre.
Ce truand catholique au temps jadis vivait
Maigre, chez Flicoteaux plutôt que chez Chevet ;
Il habitait au fond d'un bouge à tabatière
Un lit fait et défait, hélas, par sa portière,
Et griffonnait dès l'aube, amer, affreux, souillé,
Exhalant dans son trou l'odeur d'un chien mouillé.
Il conseille l'état pour ving-cinq mille livres
Par an. Ce petit homme, étant teneur de livres
Dans la blonde Marseille, au pays du mistral,
Fit des faux. Le voici procureur général.
Celui-là, qui courait la foire avec un singe,
Est député ; cet autre, ayant fort peu de linge,
Sur la pointe du pied entrait dans les logis
Où bâillait quelque armoire aux tiroirs élargis,
Et du bourgeois absent empruntait la tunique
Nul mortel n'a jamais, de façon plus cynique,
Assouvi le désir des chemises d'autrui ;
Il était grinche hier, il est juge aujourd'hui.
Ceux-ci, quand il leur plaît, chapelains de la clique,
Au saint-père accroupi font pondre une encyclique ;
Ce sont des gazetiers fort puissants en haut lieu,
Car ils sont les amis particuliers de Dieu
Sachez que ces béats, quand ils parlent du temple
Comme de leur maison, n'ont pas tort ; par exemple,
J'ai toujours applaudi quand ils ont affecté
Avec les saints du ciel des airs d'intimité ;
Veuillot, certe, aurait pu vivre avec Saint-Antoine.
Cet autre est général comme on serait chanoine,
Parce qu'il est très gras et qu'il a trois mentons.
Cet autre fut escroc. Cet autre eut vingt bâtons
Cassés sur lui. Cet autre, admirable canaille,
Quand la bise, en janvier, nous pince et nous tenaille,
D'une savate oblique écrasant les talons,
Pour se garer du froid mettait deux pantalons
Dont les trous par bonheur n'étaient pas l'un sur l'autre.
Aujourd'hui, sénateur, dans l'empire il se vautre.
Je regrette le temps que c'était dans l'égout.
Ce ventre a nom d'Hautpoul, ce nez a nom d'Argout.
Ce prêtre, c'est la honte à l'état de prodige.
Passons vite. L'histoire abrège, elle rédige
Royer d'un coup de fouet, Mongis d'un coup de pied,
Et fuit. Royer se frotte et Mongis se rassied ;
Tout est dit. Que leur fait l'affront ? l'opprobre engraissé.
Quant au maître qui hait les curieux, la presse,
La tribune, et ne veut pour son règne éclatant
Ni regards, ni témoins, il doit être content
Il a plus de succès encor qu'il n'en exige ;
César, devant sa cour, son pouvoir, son quadrige,
Ses lois, ses serviteurs brodés et galonnés,
Veut qu'on ferme les veux : on se bouche le nez.

Prenez ce Beauharnais et prenez une loupe ;
Penchez-vous, regardez l'homme et scrutez la troupe.
Vous n'y trouverez pas l'ombre d'un bon instinct.
C'est vil et c'est féroce. En eux l'homme est éteint
Et ce qui plonge l'âme en des stupeurs profondes,
C'est la perfection de ces gredins immondes.

À ce ramas se joint un tas d'affreux poussahs,
Un tas de Triboulets et de Sancho Panças.
Sous vingt gouvernements ils ont palpé des sommes.
Aucune indignité ne manque à ces bonshommes ;
Rufins poussifs, Verrès goutteux, Séjans fourbus,
Selles à tout tyran, sénateurs omnibus.
On est l'ancien soudard, on est l'ancien bourgmestre ;
On tua Louis seize, on vote avec de Maistre ;
Ils ont eu leur fauteuil dans tous les Luxembourgs ;
Ayant vu les Maurys, ils sont faits aux Sibours ;
Ils sont gais, et, contant leurs antiques bamboches,
Branlent leurs vieux gazons sur leurs vieilles caboches.
Ayant été, du temps qu'ils avaient un cheveu,
Lâches sous l'oncle, ils sont abjects sous le neveu.
Gros mandarins chinois adorant le tartare,
Ils apportent leur cœur, leur vertu, leur catarrhe,
Et prosternent, cagneux, devant sa majesté
Leur bassesse avachie en imbécillité.

Cette bande s'embrasse et se livre à des joies.
Bon ménage touchant des vautours et des oies !

Noirs empereurs romains couchés dans les tombeaux,
Qui faisiez aux sénats discuter les turbots,
Toi, dernière Lagide, ô reine au cou de cygne,
Prêtre Alexandre six qui rêves dans ta vigne,
Despotes d'Allemagne éclos dans le Rœmer,
Nemrod qui hais le ciel, Xercès qui bats la mer,
Caïphe qui tressas la couronne d'épine,
Claude après Messaline épousant Agrippine,
Caïus qu'on fit césar, Commode qu'on fit dieu,
Iturbide, Rosas, Mazarin, Richelieu,
Moines qui chassez Dante et brisez Galilée,
Saint-office, conseil des dix, chambre étoilée,
Parlements tout noircis de décrets et d'olims,
Vous sultans, les Mourads, les Achmets, les Sélims,
Rois qu'on montre aux enfants dans tous les syllabaires,
Papes, ducs, empereurs, princes, tas de Tibères !
Bourreaux toujours sanglants, toujours divinisés,
Tyrans ! enseignez-moi, si vous le connaissez,
Enseignez-moi le lieu, le point, la borne où cesse
La lâcheté publique et l'humaine bassesse !

Et l'archet frémissant fait bondir tout cela !
Bal à l'hôtel de ville, au Luxembourg gala.
Allons, juges, dansez la danse de l'épée !
Gambade, ô Dombidau, pour l'onomatopée !
Polkez, Fould et Maupas, avec votre écriteau,
Toi, Persil-Guillotine, au profil de couteau !

Ours que Boustrapa montre et qu'il tient par la sangle,
Valsez, Billault, Parieu, Drouyn, Lebœuf, Delangle !
Danse, Dupin ! dansez, l'horrible et le bouffon !
Hyènes, loups, chacals, non prévus par Buffon,
Leroy, Forey, tueurs au fer rongé de rouilles,
Dansez ! dansez, Berger, d'Hautpoul, Murat, citrouilles !

Et l'on râle en exil, à Cayenne, à Blidah !
Et sur le Duguesclin, et sur le Canada,
Des enfants de dix ans, brigands qu'on extermine,
Agonisent, brûlés de fièvre et de vermine !
Et les mères, pleurant sous l'homme triomphant,
Ne savent même pas où se meurt leur enfant !
Et Samson reparaît, et sort de ses retraites !
Et, le soir, on entend, sur d'horribles charrettes
Qui traversent la ville et qu'on suit à pas lents,
Quelque chose sauter dans des paniers sanglants !
Oh ! laissez ! laissez-moi m'enfuir sur le rivage !
Laissez-moi respirer l'odeur du flot sauvage !
Jersey rit, terre libre, au sein des sombres mers ;
Les genêts sont en fleur, l'agneau paît les prés verts ;
L'écume jette aux rocs ses blanches mousselines ;
Par moments apparaît, au sommet des collines,
Livrant ses crins épars au vent âpre et joyeux,
Un cheval effaré qui hennit dans les cieux !

Jersey, le 24 mai 1853.
Sonnet.


Pour vous, enfants, le monde est une nouveauté ;
De leur nid vos vertus, colombes inquiètes,
Regardent en tremblant les printanières fêtes
Et cherchent le secret d'y vivre en sûreté.

Le voici : n'aimez l'or que pour sa pureté ;
N'aimez que la candeur dans vos blanches toilettes ;
Et si vous vous posez au front des violettes,
Aimez la modestie en leur simple beauté.

Qu'ainsi votre parure à vos yeux soit l'emblème
De toutes les vertus qui font la grâce même,
Ce geste aisé du cœur dont le luxe est jaloux ;

Et qu'au retour d'un bal innocemment profane,
Quand vous dépouillerez l'ornement qui se fane,
Rien ne tombe avec lui de ce qui plut en vous.
Amis, accueillez-moi, j'arrive dans la vie.

Dépensons l'existence au gré de notre envie :

Vivre, c'est être libre, et pouvoir à loisir

Abandonner son âme à l'attrait du plaisir ;

C'est chanter, s'enivrer des cieux, des bois, de l'onde,

Ou, parmi les tilleuls, suivre une vierge blonde !

- C'est bien là le discours d'un enfant. Écoutez :

Vous avez de l'esprit. - Trop bon. - Et méritez

Qu'un ami plus mûr vienne, en cette circonstance,

D'un utile conseil vous prêter l'assistance.

Il ne faut pas se faire illusion ici ;

Avant d'être poète, et de livrer ainsi

Votre âme à tout le feu de l'ardeur qui l'emporte.

Avez-vous de l'argent ? - Que sais-je ?et que m'importe ?

- Il importe beaucoup ; et c'est précisément

Ce qu'il faut, avant tout, considérer. - Vraiment ?

- S'il fut des jours heureux, où la voix des poètes

Enchaînait à son gré les nations muettes,

Ces jours-là ne sont plus, et depuis bien longtemps :

Est-ce un bien, est-ce un mal, je l'ignore, et n'entends

Que vous prouver un fait, et vous faire comprendre

Que si le monde est tel, tel il faut bien le prendre.

Le poète n'est plus l'enfant des immortels,

A qui l'homme à genoux élevait des autels ;

Ce culte d'un autre âge est perdu dans le nôtre,

Et c'est tout simplement un homme comme un autre.

Si donc vous n'avez rien, travaillez pour avoir ;

Embrassez un état : le tout est de savoir

Choisir, et sans jamais regarder en arrière,

D'un pas ferme et hardi poursuivre sa carrière.

- Et ce monde idéal que je me figurais !

Et ces accents lointains du cor dans les forêts !

Et ce bel avenir, et ces chants d'innocence !

Et ces rêves dorés de mon adolescence !

Et ces lacs, et ces mers, et ces champs émaillés,

Et ces grands peupliers, et ces fleurs ! - Travaillez.

Apprenez donc un peu, jeune homme, à vous connaître :

Vous croyez que l'on n'a que la peine de naître,

Et qu'on est ici-bas pour dormir, se lever,

Passer, les bras croisés, tout le jour à rêver ;

C'est ainsi qu'on se perd, c'est ainsi qu'on végète :

Pauvre, inutile à tous, le monde vous rejette :

Contre la faim, le froid, on lutte, on se débat

Quelque temps, et l'on va mourir sur un grabat.

Ce tableau n'est pas ***, ce discours n'est pas tendre.

C'est vrai ; mais j'ai voulu vous faire bien entendre,

Par amitié pour vous, et dans votre intérêt,

Où votre poésie un jour vous conduirait.


Cet homme avait raison, au fait : j'ai dû me taire.

Je me croyais poète, et me voici notaire.

J'ai suivi ses conseils, et j'ai, sans m'effrayer,

Subi le lourd fardeau d'une charge à payer.

Je dois être content : c'est un très bel office ;

C'est magnifique, à part même le bénéfice.

On a bonne maison, on reçoit les jeudis ;

On a des clercs, qu'on loge en haut, dans un taudis.

Il est vrai que l'état n'est pas fort poétique.

Et rien n'est positif comme l'acte authentique.

Mais il faut pourtant bien se faire une raison,

Et tous ces contes bleus ne sont plus de saison :

Il faut que le notaire, homme d'exactitude,

D'un travail assidu se fasse l'habitude ;

Va, malheureux ! et si quelquefois il advient

Qu'un riant souvenir d'enfance vous revient,

Si vous vous rappelez que la voix des génies

Vous berçait, tout petit, de vagues harmonies ;

Si, poursuivant encor un bonheur qu'il rêva.

L'esprit vers d'autres temps veut se retourner : Va !

Est-ce avec tout cela qu'on mène son affaire ?

N'as-tu pas ce matin un testament à faire ?

Le client est fort mal, et serait en état,

Si tu tardais encor, de mourir intestat.


Mais j'ai trente-deux ans accomplis ; à mon âge

Il faut songer pourtant à se mettre en ménage ;

Il faut faire une fin, tôt ou ****. Dans le temps.

J'y songeais bien aussi, quand j'avais dix-huit ans.

Je voyais chaque nuit, de la voûte étoilée,

Descendre sur ma couche une vierge voilée ;

Je la sentais, craintive, et cédant à mes vœux.

D'un souffle caressant effleurer mes cheveux ;

Et cette vision que j'avais tant rêvée.

Sur la terre, une fois, je l'avais retrouvée.

Oh ! qui me les rendra ces rapides instants,

Et ces illusions d'un amour de vingt ans !

L'automne à la campagne, et ses longues soirées,

Les mères, dans un coin du salon retirées,

Ces regards pleins de feu, ces gestes si connus,

Et ces airs si touchants que j'ai tous retenus ?

Tout à coup une voix d'en haut l'a rappelée :

Cette vie est si triste ! elle s'en est allée ;

Elle a fermé les yeux, sans crainte, sans remords ;

Mais pensent-ils encore à nous ceux qui sont morts ?


Il s'agit bien ici d'un amour platonique !

Me voici marié : ma femme est fille unique ;

Son père est épicier-droguiste retiré,

Et riche, qui plus est : je le trouve à mon gré.

Il n'est correspondant d'aucune académie.

C'est vrai ; mais il est rond, et plein de bonhomie :

Et puis j'aime ma femme, et je crois en effet,

En demandant sa main, avoir sagement fait.

Est-il un sort plus doux, et plus digne d'envie ?

On passe, au coin du feu, tranquillement sa vie :

On boit, on mange, on dort, et l'on voit arriver

Des enfants qu'il faut mettre en nourrice, élever,

Puis établir enfin : puis viennent les années,

Les rides au visage et les couleurs fanées,

Puis les maux, puis la goutte. On vit comme cela

Cinquante ou soixante ans, et puis on meurt. Voilà.
Des laboureurs vivaient paisibles et contents
Dans un riche et nombreux village ;
Dès l'aurore ils allaient travailler à leurs champs,
Le soir ils revenaient chantants
Au sein d'un tranquille ménage ;
Et la nature bonne et sage,
Pour prix de leurs travaux, leur donnait tous les ans
De beaux bleds et de beaux enfants.
Mais il faut bien souffrir, c'est notre destinée.
Or il arriva qu'une année,
Dans le mois où le blond Phébus
S'en va faire visite au brûlant Sirius,
La terre, de sucs épuisée,
Ouvrant de toutes parts son sein,
Haletait sous un ciel d'airain.
Point de pluie et point de rosée.
Sur un sol crevassé l'on voit noircir le grain,
Les épis sont brûlés, et leurs têtes penchées
Tombent sur leurs tiges séchées.
On trembla de mourir de faim ;
La commune s'assemble. En hâte on délibère ;
Et chacun, comme à l'ordinaire,
Parle beaucoup et rien ne dit.
Enfin quelques vieillards, gens de sens et d'esprit,
Proposèrent un parti sage :
Mes amis, dirent-ils, d'ici vous pouvez voir
Ce mont peu distant du village ;
Là se trouve un grand lac, immense réservoir
Des souterraines eaux qui s'y font un passage.
Allez saigner ce lac ; mais sachez ménager
Un petit nombre de saignées,
Afin qu'à votre gré vous puissiez diriger
Ces bienfaisantes eaux dans vos terres baignées.
Juste quand il faudra nous les arrêterons.
Prenez bien garde au moins... oui, oui, courons, courons,
S'écrie aussitôt l'assemblée.
Et voilà mille jeunes gens
Armés d'hoyaux, de pics, et d'autres instruments,
Qui volent vers le lac : la terre est travaillée
Tout autour de ses bords ; on perce en cent endroits
À la fois ;
D'un morceau de terrain chaque ouvrier se charge :
Courage ! Allons ! Point de repos !
L'ouverture jamais ne peut être assez large.
Cela fut bientôt fait. Avant la nuit, les eaux,
Tombant de tout leur poids sur leur digue affaiblie,
De partout roulent à grands flots.
Transports et compliments de la troupe ébahie,
Qui s'admire dans ses travaux.
Le lendemain matin ce ne fut pas de même :
On voit flotter les bleds sur un océan d'eau ;
Pour sortir du village il faut prendre un bateau ;
Tout est perdu, noyé. La douleur est extrême,
On s'en prend aux vieillards : c'est vous, leur disait-on,
Qui nous coûtez notre moisson ;
Votre maudit conseil... il était salutaire,
Répondit un d'entre eux ; mais ce qu'on vient de faire
Est fort **** du conseil comme de la raison.
Nous voulions un peu d'eau, vous nous lâchez la bonde ;
L'excès d'un très grand bien devient un mal très grand :
Le sage arrose doucement,
L'insensé tout de suite inonde.
L'ennui de vivre avec les gens et dans les choses

Font souvent ma parole et mon regard moroses.


Mais d'avoir conscience et souci dans tel cas

Exhausse ma tristesse, ennoblit mon tracas.


Alors mon discours chante et mes yeux de sourire

Où la divine certitude s'en vient luire.


Et la divine patience met son sel

Dans mon long bon conseil d'usage universel.


Car non pas tout à fait par effet de l'âge

A mes heures je suis une façon de sage,


Presque un sage sans trop d'emphase ou d'embarras.

Répandant quelque bien et faisant des ingrats.


Or néanmoins la vie et son morne problème

Rendent parfois ma voix maussade et mon front blême.


De ces tentations je me sauve à nouveau

En des moralités juste à mon seul niveau ;


Et c'est d'un examen méthodique et sévère,

Dieu qui sondez les reins ! que je me considère.


Scrutant mes moindres torts et jusques aux derniers,

Tel un juge interroge à fond des prisonniers.


Je poursuis à ce point l'humeur de mon scrupule,

Que de gens ont parlé qui m'ont dit ridicule.


N'importe ! en ces moments est-ce d'humilité ?

Je me semble béni de quelque charité,


De quelque loyauté, pour parler en pauvre homme.

De quelque encore charité. - Folie en somme !


Nous ne sommes rien. Dieu c'est tout. Dieu nous créa,

Dieu nous sauve. Voilà ! Voici mon aléa :


Prier obstinément. Plonger dans la prière,

C'est se tremper aux flots d'une bonne rivière


C'est faire de son être un parfait instrument

Pour combattre le mal et courber l'élément.


Prier intensément. Rester dans la prière

C'est s'armer pour l'élan et s'assurer derrière.


C'est de paraître doux et ferme pour autrui

Conformément à ce qu'on se rend envers lui.


La prière nous sauve après nous faire vivre,

Elle est le gage sûr et le mot qui délivre


Elle est l'ange et la dame, elle est la grande sœur

Pleine d'amour sévère et de forte douceur.


La prière a des pieds légers comme des ailes ;

Et des ailes pour que ses pieds volent comme elles ;


La prière est sagace ; elle pense, elle voit,

Scrute, interroge, doute, examine, enfin croit.


Elle ne peut nier, étant par excellence

La crainte salutaire et l'effort en silence.


Elle est universelle et sanglante ou sourit,

Vole avec le génie et court avec l'esprit.


Elle est ésotérique ou bégaie, enfantine

Sa langue est indifféremment grecque ou latine,


Ou vulgaire, ou patoise, argotique s'il faut !

Car souvent plus elle est bas, mieux elle vaut.


Je me dis tout cela, je voudrais bien le faire,

Seigneur, donnez-moi de m'élever de terre


En l'humble vœu que seul peut former un enfant

Vers votre volonté d'après comme d'avant.


Telle action quelconque en tel temps de ma vie

Et que cette action quelconque soit suivie


D'un abandon complet en vous que formulât

Le plus simple et le plus ponctuel postulat,


Juste pour la nécessité quotidienne

En attendant, toujours sans fin, ma mort chrétienne.
Certain roi qui régnait sur les rives du Tage,
Et que l'on surnomma le sage,
Non parce qu'il était prudent,
Mais parce qu'il était savant,
Alphonse, fut surtout un habile astronome.
Il connaissait le ciel bien mieux que son royaume,
Et quittait souvent son conseil
Pour la lune ou pour le soleil.
Un soir qu'il retournait à son observatoire,
Entouré de ses courtisans,
Mes amis, disait-il, enfin j'ai lieu de croire
Qu'avec mes nouveaux instruments
Je verrai cette nuit des hommes dans la lune.
Votre majesté les verra,
Répondait-on ; la chose est même trop commune,
Elle doit voir mieux que cela.
Pendant tous ces discours, un pauvre, dans la rue,
S'approche, en demandant humblement, chapeau bas,
Quelques maravédis : le roi ne l'entend pas,
Et, sans le regarder, son chemin continue.
Le pauvre suit le roi, toujours tendant la main,
Toujours renouvelant sa prière importune ;
Mais, les yeux vers le ciel, le roi, pour tout refrain,
Répétait : je verrai des hommes dans la lune.
Enfin le pauvre le saisit
Par son manteau royal, et gravement lui dit :
Ce n'est pas de là haut, c'est des lieux où nous sommes
Que Dieu vous a fait souverain.
Regardez à vos pieds ; là vous verrez des hommes,
Et des hommes manquant de pain.
(Mort le 31 décembre 1829.)

Hélas ! que fais-tu donc, ô Rabbe, ô mon ami,
Sévère historien dans la tombe endormi !

Je l'ai pensé souvent dans mes heures funèbres,
Seul près de mon flambeau qui rayait les ténèbres,
Ô noble ami, pareil aux hommes d'autrefois,
Il manque parmi nous ta voix, ta forte voix
Pleine de l'équité qui gonflait ta poitrine,
Il nous manque ta main qui grave et qui burine,
Dans ce siècle où par l'or les sages sont distraits,
Où l'idée est servante auprès des intérêts,
Temps de fruits avortés et de tiges rompues,
D'instincts dénaturés, de raisons corrompues,
Où, dans l'esprit humain tout étant dispersé,
Le présent au hasard flotte sur le passé !

Si parmi nous ta tête était debout encore,
Cette cime où vibrait l'éloquence sonore,
Au milieu de nos flots tu serais calme et grand.
Tu serais comme un pont posé sur ce courant.

Tu serais pour chacun la voix haute et sensée
Qui fait que tout brouillard s'en va de la pensée,
Et que la vérité, qu'en vain nous repoussions,
Sort de l'amas confus des sombres visions !

Tu dirais aux partis qu'ils font trop de poussière
Autour de la raison pour qu'on la voie entière ;
Au peuple, que la loi du travail est sur tous
Et qu'il est assez fort pour n'être pas jaloux ;
Au pouvoir, que jamais le pouvoir ne se venge,
Et que pour le penseur c'est un spectacle étrange
Et triste quand la loi, figure au bras d'airain,
Déesse qui ne doit avoir qu'un front serein,
Sort à de certains jours de l'urne consulaire
L'œil hagard, écumante et folle de colère !

Et ces jeunes esprits, à qui tu souriais,
Et que leur âge livre aux rêves inquiets,
Tu leurs dirais : « Amis, nés pour des temps prospères,
Oh ! n'allez pas errer comme ont erré vos pères !
Laissez mûrir vos fronts ! gardez-vous, jeunes gens,
Des systèmes dorés aux plumages changeants
Qui dans les carrefours s'en vont faire la roue !
Et de ce qu'en vos cœurs l'Amérique secoue,
Peuple à peine essayé, nation de hasard,
Sans tige, sans passé, sans histoire et sans art !
Et de cette' sagesse impie, envenimée,
Du cerveau de Voltaire éclose toute armée,
Fille de l'ignorance et de l'orgueil, posant
Les lois des anciens jours sur les mœurs d'à présent,
Qui refait un chaos partout où fut un monde,
Qui rudement enfonce, ô démence profonde !
Le casque étroit de Sparte au front du vieux Paris,
Qui dans les temps passés, mal lus et mal compris,
Viole effrontément tout sage pour lui faire
Un monstre qui serait la terreur de son père !
Si bien que les héros antiques tout tremblants
S'en sont voilé la face, et qu'après trois mille ans,
Par ses embrassements réveillé sous la pierre,
Lycurgue qu'elle épouse enfante Robespierre !  »

Tu nous dirais à tous : « Ne vous endormez pas !
Veillez, et soyez prêts ! car déjà pas à pas
La main de l'oiseleur dans l'ombre s'est glissée
Partout où chante un nid couvé par la pensée !
Car les plus nobles cœurs sont vaincus ou sont las !
Car la Pologne aux fers ne peut plus même, hélas !
Mordre le pied du czar appuyé sur sa gorge !
Car on voit chaque jour s'allonger dans la forge
La chaîne que les rois, craignant la liberté,
Font pour cette géante endormie à côté !
Ne vous endormez pas ! travaillez sans relâche !
Car les grands ont leur œuvre et les petits leur tâche,
Chacun a son ouvrage à faire. Chacun met
Sa pierre à l'édifice encor **** du sommet.
Qui croit avoir fini pour un roi qu'on dépose
Se trompe. Un roi qui tombe est toujours peu de chose.
Il est plus difficile et c'est un plus grand poids
De relever les mœurs que d'abattre les rois.
Rien chez vous n'est complet. La ruine ou l'ébauche.
L'épi n'est pas formé que votre main le fauche !
Vous êtes encombrés de plans toujours rêvés
Et jamais accomplis. Hommes, vous ne savez
Tant vous connaissez peu ce qui convient aux âmes,
Que faire des enfants ni que faire des femmes !
Où donc en êtes-vous ? Vous vous applaudissez
Pour quelques blocs de lois au hasard entassés !
Ah : l'heure du repos pour aucun n'est venue.
Travaillez ! Vous cherchez une chose inconnue,
Vous n'avez pas de foi, vous n'avez pas d'amour,
Rien chez vous n'est encore éclairé du vrai jour !
Crépuscule et brouillards que vos plus clairs systèmes !
Dans vos lois, dans vos mœurs, et dans vos esprits mêmes
Partout l'aube blanchâtre ou le couchant vermeil !
Nulle part le midi ! nulle part le soleil !  »

Tu parlerais ainsi dans des livres austères,
Comme parlaient jadis les anciens solitaires,
Comme parlent tous ceux devant qui l'on se tait,
Et l'on t'écouterait comme on les écoutait.
Et l'on viendrait vers toi dans ce siècle plein d'ombre
Où, chacun se heurtant aux obstacles sans nombre
Que faute de lumière on tâte avec la main,
Le conseil manque à l'âme et le guide au chemin !

Hélas ! à chaque instant des souffles de tempêtes
Amassent plus de brume et d'ombre sur nos têtes.
De moment en moment l'avenir s'assombrit.
Dans le calme du cœur, dans la paix de l'esprit,
Je t'adressais ces vers où mon âme sereine
N'a laissé sur ta pierre écumer nulle haine,
À toi qui dors couché dans le tombeau profond,
À toi qui ne sais plus ce que les hommes font !
Je t'adressais ces vers pleins de tristes présages.
Car c'est bien follement que nous nous croyions sages !
Le combat furieux recommence à gronder
Entre le droit de croître et le droit d'émonder ;
La bataille où les lois attaquent les idées
Se mêle de nouveau sur des mers mal sondées ;
Chacun se sent troublé comme l'eau sous le vent ;
Et moi-même, à cette heure, à mon foyer rêvant,
Voilà, depuis cinq ans qu'on oubliait Procuste,
Que j'entends aboyer au seuil du drame auguste
La censure à l'haleine immonde, aux ongles noirs,
Cette chienne au front bas qui suit tous les pouvoirs,
Vile, et mâchant toujours dans sa gueule souillée,
Ô muse ! quelque pan de ta robe étoilée !

Hélas ! que fais-tu donc, ô Rabbe, ô mon ami,
Sévère historien dans la tombe endormi !

Le 14 septembre 1835.
Fable I, Livre II.

À M. Andrieux, de L'Institut.


Toi qui vis vraiment comme un sage,
Sans te montrer, sans te cacher,
Sans fuir les grands, sans les chercher,
Exemple assez rare en notre âge ;
Pardonne-moi, cher Andrieux,
Dans ces vers qu'aux vents je confie,
De dévoiler à tous les yeux
Ta secrète philosophie.

Certain Lapon des plus trapus,
Certain Cafre des plus camus,
Équipaient, comme on dit, de la bonne manière,
Un homme qui, fermant l'oreille à leurs raisons
Vantait l'astre éclatant qui préside aux saisons,
Enfante la chaleur, et produit la lumière.
- Peut-il ériger, s'il n'est fou,
En bienfaiteur de la nature,
Un astre qui, six mois, me cache sa figure,
Et va briller je ne sais où,
Tandis que je gèle en mon trou,
Malgré ma femme et ma fourrure ?
On conçoit que celui qui s'exprimait ainsi
N'était pas l'habitant de la zone torride.
Pour moi, disait cet autre, en mon climat aride,
Je ne gèle pas, Dieu merci !
Mais je rôtis en récompense ;
Et sans avoir l'honneur d'être Lapon, je pense
Qu'un fou, lui seul, a pu vanter
La douce et bénigne influence
Du soleil, qui ne luit que pour me tourmenter ;
Qui, d'un bout de l'année à l'autre,
Embrase la terre, les airs,
Et porte en mon pays, jusques au fond des mers,
La chaleur qu'il refuse au vôtre.
Le fou, qui cependant célébrait les bienfaits
Du roi de la plaine éthérée,
Fils de la zone tempérée,
N'était rien moins que fou, quoiqu'il fût né Français.
Sans se formaliser des vives apostrophes
Du nègre et du nain philosophes,
Seigneur Lapon, dit-il, votre raisonnement
Est sans réplique, en Sibérie ;
Comme le vôtre en Cafrerie,
Monsieur le noir ; mais franchement,
Autre part, c'est tout autrement.
En France, par exemple, on ne vous croirait guère.
L'astre à qui vous faites la guerre,
Là, par ses rayons bienfaisants,
De fleurs et de fruits, tous les ans,
Couvre mes champs et mon parterre ;
S'éloignant sans trop me geler,
S'approchant sans trop me brûler,
De mon climat, qu'il favorise ;
À la faucille, au soc, il livre tour à tour
Mes campagnes, qu'il fertilise
Par son départ et son retour.
Vous qui craignez le feu, vous qui craignez la glace
Venez donc à Paris. Gens d'excellent conseil
Disent qu'un sage ne se place
Trop près ni trop **** du soleil.
Il est deux Amitiés comme il est deux Amours.
L'une ressemble à l'imprudence ;
Faite pour l'âge heureux dont elle a l'ignorance,
C'est une enfant qui rit toujours.
Bruyante, naïve, légère,
Elle éclate en transports joyeux.
Aux préjugés du monde indocile, étrangère,
Elle confond les rangs et folâtre avec eux.
L'instinct du cœur est sa science,
Et son guide est la confiance.
L'enfance ne sait point haïr ;
Elle ignore qu'on peut trahir.
Si l'ennui dans ses yeux (on l'éprouve à tout âge)
Fait rouler quelques pleurs,
L'Amitié les arrête, et couvre ce nuage
D'un nuage de fleurs.
On la voit s'élancer près de l'enfant qu'elle aime,
Caresser la douleur sans la comprendre encor,
Lui jeter des bouquets moins riants qu'elle-même,
L'obliger à la fuite et reprendre l'essor.

C'est elle, ô ma première amie !
Dont la chaîne s'étend pour nous unir toujours.
Elle embellit par toi l'aurore de ma vie,
Elle en doit embellir encor les derniers jours.
Oh ! que son empire est aimable !
Qu'il répand un charme ineffable
Sur la jeunesse et l'avenir,
Ce doux reflet du souvenir !
Ce rêve pur de notre enfance
En a prolongé l'innocence ;
L'Amour, le temps, l'absence, le malheur,
Semblent le respecter dans le fond de mon cœur.
Il traverse avec nous la saison des orages,
Comme un rayon du ciel qui nous guide et nous luit :
C'est, ma chère, un jour sans nuages
Qui prépare une douce nuit.

L'autre Amitié, plus grave, plus austère,
Se donne avec lenteur, choisit avec mystère ;
Elle observe en silence et craint de s'avancer ;
Elle écarte les fleurs, de peur de s'y blesser.
Choisissant la raison pour conseil et pour guide,
Elle voit par ses yeux et marche sur ses pas :
Son abord est craintif, son regard est timide ;
Elle attend, et ne prévient pas.
Fable VII, Livre III.


« Au diable soient les étourdis
Qui m'ont fait une horrible tache !...
Qu'ai-je dit, une ? en voilà dix ;
Et c'est à mon velours pistache ! »
Ainsi parlait monsieur Denis,
Marchand fameux dès l'ancien règne,
Marchand connu de tout Paris,
Marchand de soie à juste prix,
Du moins si j'en crois son enseigne.
« Conçois-tu bien tout mon malheur,
Ma fille ! un velours magnifique,
Un velours de cette couleur,
Va donc rester dans ma boutique !
L'art du dégraisseur n'y peut rien.
L'eau de Dupleix, à qui tout cède,
Est sans vertu ! - Mon père ! - Eh bien ?
- Essayons un autre remède ;
Envoyons l'étoffe au brodeur.
- Elle a raison ! » - Notre grondeur
Suit le conseil de la fillette.

Amis, plus souvent qu'on ne croit,
La tache est tout juste à l'endroit
Où l'on voit briller la paillette.
Devant les douze lords de la chambre étoilée,
Hugo Dundas fut grand.
Du fond d'une tribune une femme voilée
L'admirait en pleurant.

Nuit, flambeaux, murs drapés, blasons des deux royaumes,
C'était sinistre et beau.
Les douze pairs muets semblaient douze fantômes,
Assis dans un tombeau.

Une hache brillait. Le peuple criait : honte !
Le peuple et les soldats.
Tous menaçaient. Mais rien ne fit pâlir le comte,
Le comte Hugo Dundas.

La Révolte a troublé les monts où l'aigle plane,
Et vous étiez là tous.
Que faisiez-vous, mylord, à Dumbar, à Cartlane ?
Mylord, qu'y faisiez-vous ?

Mes pairs, j'ai défendu le roi que mon coeur nomme,
Mon clan, mon étendard.
J'aime l'aigle et le roi, car je suis gentilhomme
Et je suis montagnard.

Ainsi le juge austère et le comte superbe
Se parlaient dans la tour.
Heureux le bon soldat qui meurt, couché sur l'herbe,
En plein air, en plein jour !

La cour se retira. L'on voyait dans la salle
Le peuple fourmiller.
Enfin l'aube apparut comme une vierge pâle
Que l'homme va souiller.

Les portes du conseil, de bronze revêtues,
S'ébranlèrent alors ;
Et l'on vit, à pas lents, comme douze statues
Rentrer les douze lords.

Le juge en cheveux blancs, debout, parlant au comte,
Dit : « Nos jours durent peu.
Puisque cet homme au roi ne veut pas rendre compte,
Il rendra compte à Dieu.

Sachez qu'on va dresser devant la Tour de Londres
Un grand échafaud noir.
Lord comte Hugo Dundas, qu'avez-vous à répondre ?
Vous mourrez demain soir. »

Alors un de ces cris, qui font que l'effroi monte
Jusqu'au juge inquiet,
Retentit sous la voûte... - On regarda le comte ;
Le comte souriait.

Il dit : « Adieu la vie ! » Et ; sans trouble dans l'âme,
Il salua la cour.
Puis se tournant vers l'ombre où pleurait une femme,
« Adieu, dit-il, amour ! »

Le 14 janvier 1844.
I.

Aux champs, compagnons et compagnes !
Fils, j'élève à la dignité
De géorgiques les campagnes
Quelconques où flambe l'été !

Flamber, c'est là toute l'histoire
Du cœur, des sens, de la saison,
Et de la pauvre mouche noire
Que nous appelons la raison.

Je te fais molosse, ô mon dogue !
L'acanthe manque ? j'ai le thym.
Je nomme Vaugirard églogue ;
J'installe Amyntas à Pantin.

La nature est indifférente
Aux nuances que nous créons
Entre Gros-Guillaume et Dorante ;
Tout pampre a ses Anacréons.

L'idylle volontiers patoise.
Et je ne vois point que l'oiseau
Préfère Haliarte à Pontoise
Et Coronée à Palaiseau.

Les plus beaux noms de la Sicile
Et de la Grèce ne font pas
Que l'âne au fouet soit plus docile,
Que l'amour fuie à moins grand pas.

Les fleurs sont à Sèvre aussi fraîches
Que sur l'Hybla, cher au sylvain ;
Montreuil mérite avec ses pêches
La garde du dragon divin.

Marton nue est Phyllis sans voiles ;
Fils, le soir n'est pas plus vermeil,
Sous son chapeau d'ombre et d'étoiles,
A Blanduse qu'à Montfermeil.

Bercy pourrait griser sept sages ;
Les Auteuils sont fils des Tempés ;
Si l'Ida sombre a des nuages,
La guinguette a des canapés.

Rien n'est haut ni bas ; les fontaines
Lavent la pourpre et le sayon ;
L'aube d'Ivry, l'aube d'Athènes,
Sont faites du même rayon.

J'ai déjà dit parfois ces choses,
Et toujours je les redirai ;
Car du fond de toutes les proses
Peut s'élancer le vers sacré.

Si Babet a la gorge ronde,
Babet égale Pholoé.
Comme Chypre la Beauce est blonde.
Larifla descend d'Evohé.

Toinon, se baignant sur la grève,
A plus de cheveux sur le dos
Que la Callyrhoé qui rêve
Dans le grand temps d'Abydos.

Ça, que le bourgeois fraternise
Avec les satyres cornus !
Amis, le corset de Denise
Vaut la ceinture de Vénus.

II.

Donc, fuyons Paris ! plus de gêne !
Bergers, plantons là Tortoni !
Allons boire à la coupe pleine
Du printemps, ivre d'infini.

Allons fêter les fleurs exquises,
Partons ! quittons, joyeux et fous,
Pour les dryades, les marquises,
Et pour les faunes, les voyous !

Plus de bouquins, point de gazettes !
Je hais cette submersion.
Nous irons cueillir des noisettes
Dans l'été, fraîche vision.

La banlieue, amis, peut suffire.
La fleur, que Paris souille, y naît.
Flore y vivait avec Zéphire
Avant de vivre avec Brunet.

Aux champs les vers deviennent strophes ;
A Paris, l'étang, c'est l'égout.
Je sais qu'il est des philosophes
Criant très haut : « Lutèce est tout !

« Les champs ne valent pas la ville ! »
Fils, toujours le bon sens hurla
Quand Voltaire à Damilaville
Dit ces calembredaines-là.

III.

Aux champs, la nuit est vénérable,
Le jour rit d'un rire enfantin ;
Le soir berne l'orme et l'érable,
Le soir est beau ; mais le matin,

Le matin, c'est la grande fête ;
C'est l'auréole où la nuit fond,
Où le diplomate a l'air bête,
Où le bouvier a l'air profond.

La fleur d'or du pré d'azur sombre,
L'astre, brille au ciel clair encor ;
En bas, le bleuet luit dans l'ombre,
Etoile bleue en un champ d'or.

L'oiseau court, les taureaux mugissent ;
Les feuillages sont enchantés ;
Les cercles du vent s'élargissent
Dans l'ascension des clartés.

L'air frémit ; l'onde est plus sonore ;
Toute âme entr-ouvre son secret ;
L'univers croit, quand vient l'aurore,
Que sa conscience apparaît.

IV.

Quittons Paris et ses casernes.
Plongeons-nous, car les ans sont courts,
Jusqu'au genoux dans les luzernes
Et jusqu'au cœur dans les amours.

Joignons les baisers aux spondées ;
Souvenons-nous que le hautbois
Donnait à Platon des idées
Voluptueuses, dans les bois.

Vanvre a d'indulgentes prairies ;
Ville-d'Avray ferme les yeux
Sur les douces gamineries
Des cupidons mystérieux.

Là, les Jeux, les Ris, et les Farces
Poursuivent, sous les bois flottants,
Les chimères de joie éparses
Dans la lumière du printemps.

L'onde à Triel est bucolique ;
Asnière a des flux et reflux
Où vogue l'adorable clique
De tous ces petits dieux joufflus.

Le sel attique et l'eau de Seine
Se mêlent admirablement.
Il n'est qu'une chose malsaine,
Jeanne, c'est d'être sans amant.

Que notre ivresse se signale !
Allons où Pan nous conduira.
Ressuscitons la bacchanale,
Cette aïeule de l'opéra.

Laissons, et même envoyons paître
Les bœufs, les chèvres, les brebis,
La raison, le garde-champêtre !
Fils, avril chante, crions bis !

Qu'à Gif, grâce à nous, le notaire
Et le marguillier soient émus,
Fils, et qu'on entende à Nanterre
Les vagues flûtes de l'Hémus !

Acclimatons Faune à Vincenne,
Sans pourtant prendre pour conseil
L'immense Aristophane obscène,
Effronté comme le soleil.

Rions du maire, ou de l'édile ;
Et mordons, en gens convaincus,
Dans cette pomme de l'idylle
Où l'on voit les dents de Moschus.
Un renard plein d'esprit, d'adresse, de prudence,
À la cour d'un lion servait depuis longtemps.
Les succès les plus éclatants
Avaient prouvé son zèle et son intelligence.
Pour peu qu'on l'employât, toute affaire allait bien.
On le louait beaucoup, mais sans lui donner rien ;
Et l'habile renard était dans l'indigence.
Lassé de servir des ingrats,
De réussir toujours sans en être plus gras,
Il s'enfuit de la cour ; dans un bois solitaire
Il s'en va trouver son grand-père,
Vieux renard retiré, qui jadis fut vizir.
Là, contant ses exploits, et puis les injustices,
Les dégoûts qu'il eut à souffrir,
Il demande pourquoi de si nombreux services
N'ont jamais pu rien obtenir.
Le bon homme renard, avec sa voix cassée,
Lui dit : mon cher enfant, la semaine passée,
Un blaireau mon cousin est mort dans ce terrier :
C'est moi qui suis son héritier,
J'ai conservé sa peau : mets-la dessus la tienne,
Et retourne à la cour. Le renard avec peine
Se soumit au conseil ; affublé de la peau
De feu son cousin le blaireau,
Il va se regarder dans l'eau d'une fontaine,
Se trouve l'air d'un sot, tel qu'était le cousin.
Tout honteux, de la cour il reprend le chemin.
Mais, quelques mois après, dans un riche équipage,
Entouré de valets, d'esclaves, de flatteurs,
Comblé de dons et de faveurs,
Il vient de sa fortune au vieillard faire hommage :
Il était grand vizir. Je te l'avais bien dit,
S'écrie alors le vieux grand-père :
Mon ami, chez les grands quiconque voudra plaire
Doit d'abord cacher son esprit.
C'était le sept août. Ô sombre destinée !
C'était le premier jour de leur dernière année.

Seuls dans un lieu royal, côte à côté marchant,
Deux hommes, par endroits du coude se touchant,
Causaient. Grand souvenir qui dans mon cœur se grave !
Le premier avait l'air fatigué, triste et grave,
Comme un trop faible front qui porte un lourd projet.
Une double épaulette à couronne chargeait
Son uniforme vert à ganse purpurine,
Et l'ordre et la toison faisaient sur sa poitrine,
Près du large cordon moiré de bleu changeant,
Deux foyers lumineux, l'un d'or, l'autre d'argent.
C'était un roi ; vieillard à la tête blanchie,
Penché du poids des ans et de la monarchie.
L'autre était un jeune homme étranger chez les rois,
Un poète, un passant, une inutile voix.

Ils se parlaient tous deux, sans témoins, sans mystère,
Dans un grand cabinet, simple, nu, solitaire,
Majestueux pourtant. Ce que les hommes font
Laisse une empreinte aux murs. Sous ce même plafond
Avaient passé jadis, ô splendeurs effacées !
De grands événements et de grandes pensées.
Là, derrière son dos, croisant ses fortes mains,
Ébranlant le plancher sous ses pas surhumains,
Bien souvent l'empereur quand il était le maître,
De la porte en rêvant allait à la fenêtre.

Dans un coin une table, un fauteuil de velours,
Miraient dans le parquet leurs pieds dorés et lourds.
Par une porte en vitre, au dehors, l'œil en foule
Apercevait au **** des armoires de Boulle,
Des vases du Japon, des laques, des émaux,
Et des chandeliers d'or aux immenses rameaux.
Un salon rouge orné de glaces de Venise,
Plein de ces bronzes grecs que l'esprit divinise,
Multipliait sans fin ses lustres de cristal ;
Et, comme une statue à lames de métal,
On voyait, casque au front, luire dans l'encoignure
Un garde argent et bleu d'une fière tournure.

Or entre le poète et le vieux roi courbé,
De quoi s'agissait-il ?

D'un pauvre ange tombé
Dont l'amour refaisait l'âme avec son haleine ;
De Marion, lavée ainsi que Madeleine,
Qui boitait et traînait son pas estropié,
La censure, serpent, l'ayant mordue au pied.

Le poète voulait faire un soir apparaître
Louis treize, ce roi sur qui régnait un prêtre ;
- Tout un siècle, marquis, bourreaux, fous, bateleurs ;
Et que la foule vînt, et qu'à travers des pleurs,
Par moments, dans un drame étincelant et sombre,
Du pâle cardinal on crût voir passer l'ombre.

Le vieillard hésitait : - Que sert de mettre à nu
Louis treize, ce roi chétif et mal venu ?
A quoi bon remuer un mort dans une tombe ?
Que veut-on ? où court-on ? sait-on bien où l'on tombe ?
Tout n'est-il pas déjà croulant de tout côté ?
Tout ne s'en va-t-il pas dans trop de liberté ?
N'est-il pas temps plutôt, après quinze ans d'épreuve,
De relever la digue et d'arrêter le fleuve ?
Certes, un roi peut reprendre alors qu'il a donné.
Quant au théâtre, il faut, le trône étant miné,
Étouffer des deux mains sa flamme trop hardie ;
Car la foule est le peuple, et d'une comédie
Peut jaillir l'étincelle aux livides rayons
Qui met le feu dans l'ombre aux révolutions. -
Puis il niait l'histoire, et, quoi qu'il puisse en être,
A ce jeune rêveur disputait son ancêtre ;
L'accueillant bien d'ailleurs, bon, royal, gracieux,
Et le questionnant sur ses propres aïeux.

Tout en laissant aux rois les noms dont on les nomme,
Le poète luttait fermement, comme un homme
Épris de liberté, passionné pour l'art,
Respectueux pourtant pour ce noble vieillard.

Il disait : - Tout est grave en ce siècle où tout penche.
L'art, tranquille et puissant, veut une allure franche.
Les rois morts sont sa proie ; il faut la lui laisser.
Il n'est pas ennemi ; pourquoi le courroucer,
Et le livrer dans l'ombre à des tortionnaires,
Lui dont la main fermée est pleine de tonnerres ?
Cette main, s'il l'ouvrait, redoutable envoyé,
Sur la France éblouie et le Louvre effrayé,
On l'épouvanterait - trop ****, s'il faut le dire -
D'y voir subitement tant de foudres reluire !
Oh ! les tyrans d'en bas nuisent au roi d'en haut.
Le peuple est toujours là qui prend la muse au mot,
Quand l'indignation, jusqu'au roi qu'on révère,
Monte du front pensif de l'artiste sévère !
- Sire à ce qui chancelle est-on bien appuyé ?
La censure est un toit mauvais, mal étayé,
Toujours prêt à tomber sur les noms qu'il abrite.
Sire, un souffle imprudent, **** de l'éteindre, irrite
Le foyer, tout à coup terrible et tournoyant,
Et d'un art lumineux fait un art flamboyant !

D'ailleurs, ne cherchât-on que la splendeur royale,
Pour cette nation moqueuse, mais loyale,
Au lieu des grands tableaux qu'offrait le grand Louis,
Roi-soleil, fécondant les lys épanouis,
Qui, tenant sous son sceptre un monde en équilibre,
Faisait Racine heureux, laissait Molière libre,
Quel spectacle, grand Dieu ! qu'un groupe de censeurs
Armés et parlant bas, vils esclaves chasseurs,
À plat ventre couchés, épiant l'heure où rentre
Le drame, fier lion, dans l'histoire, son antre ! -

Ici, voyant vers lui, d'un front plus incliné,
Se tourner doucement ce vieillard étonné,
Il hasardait plus **** sa pensée inquiète,
Et, laissant de côté le drame et le poète,
Attentif, il sondait le dessein vaste et noir
Qu'au fond de ce roi triste il venait d'entrevoir.
Se pourrait-il ? quelqu'un aurait cette espérance ?
Briser le droit de tous ! retrancher à la France,
Comme on ôte un jouet à l'enfant dépité,
De l'air, de la lumière, et de la liberté !
Le roi ne voudrait pas ! lui, roi sage et roi juste !

Puis, choisissant les mots pour cette oreille auguste,
Il disait que les temps ont des flots souverains ;
Que rien, ni ponts hardis, ni canaux souterrains,
Jamais, excepté Dieu, rien n'arrête et ne dompte
Le peuple qui grandit ou l'océan qui monte ;
Que le plus fort vaisseau sombre et se perd souvent
Qui veut rompre de front et la vague et le vent ;
Et que, pour s'y briser, dans la lutte insensée,
On a derrière soi, roche partout dressée,
Tout son siècle, les mœurs, l'esprit qu'on veut braver,
Le port même où la nef aurait pu se sauver !
Il osait s'effrayer. Fils d'une Vendéenne,
Cœur n'ayant plus d'amour, mais n'ayant pas de haine,
Il suppliait qu'au moins on l'en crût un moment,
Lui qui sur le passé s'incline gravement,
Et dont la piété, lierre qui s'enracine,
Hélas, s'attache aux rois comme à toute ruine !
Le destin a parfois de formidable jeux.
Les rois doivent songer dans ces jours orageux
Où, mer qui vient, esprit des temps, nuée obscure,
Derrière l'horizon quelque chose murmure !
A quoi bon provoquer d'avance et soulever
Les générations qu'on entend arriver ?
Pour des regards distraits la France était sereine ;
Mais dans ce ciel troublé d'un peu de brume à peine,
Où tout semblait azur, où rien n'agitait l'air,
Lui, rêveur, il voyait par instants un éclair ! -

Charles dix souriant répondit : - O poète !

Le soir, tout rayonnait de lumière et de fête.
Regorgeant de soldats, de princes, de valets,
Saint-Cloud joyeux et vert, autour du fier palais
Dont la Seine en fuyant reflète les beaux marbres,
Semblait avec amour presser sa touffe d'arbres.
L'arc de triomphe orné de victoires d'airain,
Le Louvre étincelant, fleurdelysé, serein,
Lui répondaient de **** du milieu de la ville ;
Tout ce royal ensemble avait un air tranquille,
Et, dans le calme aspect d'un repos solennel,
Je ne sais quoi de grand qui semblait éternel.


*

Holyrood ! Holyrood ! Ô fatale abbaye,
Où la loi du destin, dure, amère, obéie,
S'inscrit de tous côtés !
Cloître ! palais ! tombeau ! qui sous tes murs austères
Gardes les rois, la mort et Dieu ; trois grands mystères,
Trois sombres majestés !

Château découronné ! vallée expiatoire !
Où le penseur entend dans l'air et dans l'histoire,
Comme un double conseil pour nos ambitions,
Comme une double voix qui se mêle et qui gronde,
La rumeur de la mer profonde,
Et le bruit éloigné des révolutions !

Solitude où parfois des collines prochaines
On voit venir les faons qui foulent sous les chênes
Le gazon endormi,
Et qui, pour aspirer le vent dans la clairière,
Effarés, frissonnants, sur leurs pieds de derrière
Se dressent à demi !

Fière église où priait le roi des temps antiques,
Grave, ayant pour pavé sous les arches gothiques
Les tombeaux paternels qu'il usait du genou !
Porte où superbement tant d'archers et de gardes
Veillaient, multipliant l'éclair des hallebardes,
Et qu'un pâtre aujourd'hui ferme avec un vieux clou !

Patrie où, quand la guerre agitait leurs rivages,
Les grands lords montagnards comptaient leurs clans sauvages
Et leurs noirs bataillons ;
Où maintenant sur l'herbe, au soleil, sous des lierres,
Les vieilles aux pieds nus qui marchent dans les pierres
Font sécher des haillons !

Holyrood ! Holyrood ! la ronce est sur tes dalles.  
Le chevreau broute au bas de tes tours féodales.
Ô fureur des rivaux ardents à se chercher !
Amours ! - Darnley ! Rizzio ! quel néant est le vôtre !
Tous deux sont là, - l'un près de l'autre ; -
L'un est une ombre, et l'autre une tâche au plancher !

Hélas ! que de leçons sous tes voûtes funèbres !  
Oh ! que d'enseignements on lit dans les ténèbres  
Sur ton seuil renversé,
Sur tes murs tout empreints d'une étrange fortune,
Vaguement éclairés dans ce reflet de lune
Que jette le passé !

Ô palais, sois béni ! soyez bénie, ô ruine !
Qu'une auguste auréole à jamais t'illumine !
Devant tes noirs créneaux, pieux, nous nous courbons,
Car le vieux roi de France a trouvé sous ton ombre
Cette hospitalité mélancolique et sombre
Qu'on reçoit et qu'on rend de Stuarts à Bourbons !

Les 10 - 13 juin 1839.
Le conseil municipal de la ville de Paris a refusé de donner six pieds de terre dans le cimetière du
Père-Lachaise pour le tombeau de la veuve de Junot, ancien gouverneur de Paris. Le ministre de
l'intérieur a également refusé un morceau de marbre pour ce monument.
(Journaux de février 1840.)


Puisqu'ils n'ont pas compris, dans leur étroite sphère,
Qu'après tant de splendeur, de puissance et d'orgueil,
Il était grand et beau que la France dût faire
L'aumône d'une fosse à ton noble cercueil ;

Puisqu'ils n'ont pas senti que celle qui sans crainte
Toujours loua la gloire et flétrit les bourreaux
A le droit de dormir sur la colline sainte,
A le droit de dormir à l'ombre des héros ;

Puisque le souvenir de nos grandes batailles
Ne brûle pas en eux comme un sacré flambeau ;
Puisqu'ils n'ont pas de cœur, puisqu'ils n'ont point d'entrailles,
Puisqu'ils t'ont refusé la pierre d'un tombeau ;

C'est à nous de chanter un chant expiatoire !
C'est à nous de t'offrir notre deuil à genoux !
C'est à nous, c'est à nous de prendre ta mémoire
Et de l'ensevelir dans un vers triste et doux !

C'est à nous cette fois de garder, de défendre
La mort contre l'oubli, son pâle compagnon ;
C'est à nous d'effeuiller des roses sur ta cendre,
C'est à nous de jeter des lauriers sur ton nom !

Puisqu'un stupide affront, pauvre femme endormie,
Monte jusqu'à ton front que César étoila,
C'est à moi, dont ta main pressa la main amie,
De te dire tout bas : Ne crains rien ! je suis là !

Car j'ai ma mission ; car, armé d'une lyre.
Plein d'hymnes irrités ardents à s'épancher,
Je garde le trésor des gloires de l'Empire ;
Je n'ai jamais souffert qu'on osât y toucher !

Car ton cœur abondait en souvenirs fidèles !
Dans notre ciel sinistre et sur nos tristes jours,
Ton noble esprit planait avec de nobles ailes,
Comme un aigle souvent, comme un ange toujours !

Car, forte pour tes maux et bonne pour les nôtres,
Livrée à la tempête et femme en proie au sort,
Jamais tu n'imitas l'exemple de tant d'autres,
Et d'une lâcheté tu ne te fis un port !

Car toi, la muse illustre, et moi, l'obscur apôtre,
Nous avons dans ce monde eu le même mandat,
Et c'est un nœud profond qui nous joint l'un à l'autre,
Toi, veuve d'un héros, et moi, fils d'un soldat !

Aussi, sans me lasser dans celte Babylone,
Des drapeaux insultés baisant chaque lambeau,
J'ai dit pour l'Empereur : Rendez-lui sa colonne !
Et je dirai pour toi : Donnez-lui son tombeau !

Février 1840.
Il en est encore une au monde,
Je la rencontre quelquefois,
Je dois vous dire qu'elle est blonde
Et qu'elle habite au fond des bois.

N'était que Vous, Vous êtes brune
Et que Vous habitez Paris,
Vous vous ressemblez... sous la lune,
Et quand le temps est un peu gris.

Or, dernièrement, sur ma route
J'ai vu ma fée aux yeux subtils :
« Que faites-vous ? - Je vous écoute.
- Et les amours, comment vont-ils ?

- Ah ! ne m'en parlez pas, Madame,
C'est toujours là que l'on a mal ;
Si ce n'est au corps... c'est à l'âme.
L'amour, au diable l'animal !

- Méchant ! voulez-vous bien vous taire,
Vous n'iriez pas en Paradis ;
Si son nom n'est pas un mystère,
Dites-le moi » - Je le lui dis.

- « Que fait-elle ? - Elle... attend sa fête.
- C'est dire qu'elle ne fait rien.
Comment est-elle ! - Elle est parfaite.
- Et vous l'aimez ? - Je le crois bien.

- Vous l'adorez ! - J'en perds la tête.
- Vous la suivriez n'importe où ;
Ah ! mon ami... quel grand poète
Vous faites... oui, vous êtes fou.

Mais si votre femme est sans tache,
Sans le moindre... petit défaut,
Inutile qu'on vous le cache,
Ce n'est pas celle qu'il vous faut.

Il faut partir... battre les routes,
Et vous verrez à l'horizon
Luire enfin la femme entre toutes
Que vous destine... la Raison.

Voulez-vous que je vous la peigne
Comme on se peint dans les miroirs ?
Ses cheveux mordus par le peigne
Ont des fils blancs dans leurs fils noirs ;

Elle n'a... qu'une faim de louve,
Et du cœur... si vous en avez ;
C'est une femme qui se trouve
Un peu comme vous vous trouvez.

Elle n'est ni laide ni bête,
Avec... comment dire... un travers...
Un petit coup... quoi ! sur la tête,
Et capable d'aimer les vers ;

Ni très mauvaise ni très bonne,
Tâchant de vivre... comme il sied,
Et... dans un coin de sa personne
Elle a... mettons... un cor au pied !

- Ah !... quelle horreur !... jamais, Madame !
- Je vous dis, clair comme le jour :
Ce qu'il faut avoir dans la femme
N'est pas la femme, c'est l'amour.

Pour avoir l'amour, imbécile !
On ne prend pas trente partis,
La chanson le dit, c'est facile :
Il faut des époux assortis.

L'amour n'est pas fils de Bohême ;
Il a parfaitement sa loi :
Si tu n'es digne que je t'aime
Je me fiche pas mal de toi.

Bonsoir ». Ainsi parla ma fée
Qui parle... presque avec ta voix ;
Puis je la vis, d'aube coiffée,
Reprendre le chemin des bois.

Son conseil est bon ; qu'il se perde,
Saint Antoine, on peut vous prier ;
Mais partir !... au ****... et puis, merde !
Je ne veux pas me marier.
Nous sommes en des temps infâmes

Où le mariage des âmes

Doit sceller l'union des cœurs ;

À cette heure d'affreux orages,

Ce n'est pas trop de deux courages

Pour vivre sous de tels vainqueurs.


En face de ce que l'on ose

Il nous siérait, sur toute chose,

De nous dresser, couple ravi

Dans l'extase austère du juste

Et proclamant, d'un geste auguste

Notre amour fier, comme un défi !


Mais quel besoin de te le dire ?

Toi la bonté, toi le sourire,

N'es-tu pas le conseil aussi,

Le bon conseil loyal et brave,

Enfant rieuse au penser grave,

À qui tout mon cœur dit : merci !
Fable XVI, Livre I.


On admirait l'oiseau de Jupiter,
Qui déployant ses vastes ailes,
Aussi rapide que l'éclair,
Remontait vers son maître aux voûtes éternelles.
Toute la basse-cour avait les yeux en l'air.
Ce n'est pas sans raison qu'un grand dieu le préfère !
S'écriait un vieux coq ; parmi ses envieux,
Qui pourrait, comme lui, laissant bien **** la terre,
Voler en un clin-d'oeil au séjour du tonnerre,
Et d'un élan franchir l'immensité des cieux ?
Qui ? reprit un chapon ; vous et moi, mon confrère.
Moi, vous dis-je. Laissons les dindons s'étonner
De ce qui sort de leurs coutumes :
Osons, au lieu de raisonner.
D'aussi près qu'il voudra verra Jupin tonner
Quiconque a du cœur et des plumes.
Il dit, et de l'exemple appuyant la leçon,
Il a déjà pris vol vers la céleste plaine.
Mais c'était le vol du chapon.
L'enfant gâté du Mans s'élève, et, comme un plomb,
Va tomber sur le toit de l'étable prochaine.
On sait que l'indulgence, en un malheur pareil,
N'est pas le fort de la canaille :
On suit le pauvre hère, on le hue, on le raille,
Les plus petits exprès montaient sur la muraille.
Le vieux coq, plus sensé, lui donna ce conseil :
Que ceci te serve de règle ;
Raser la terre est ton vrai lot :
Renonce à prendre un vol plus haut,
Mon ami, tu n'es pas un aigle.
Je te regarde à travers le glory hole de ton texte
Et comme je suis voyant extra-lucide
Je te lis comme si je t'avais moi-même écrite
Mot par mot
Lettre par lettre
Signe par signe
Tu m'avoues tous tes fantasmes inavouables
Les mille fantasmes inavouables
Qui te traversent la chair.
Je suis le majordome intime de ton confessional
Et tu me confesses tout tout tout
Tout tout
Tout et son contraire
Agenouillée sur l'autel de la cuisine
Pour pouvoir communier, excitée comme une puce vierge,
À ma soupe aux poissons,
À mes pieds de porc à la mode de Caen
Et à ma caille aux raisins
Tu me confesses ton désir de mariage à ma sainte Trinité
Ce piment mortel
Et tu réclames la fraise consacrée
Le vin de messe bio sans sulphites
Et tu m'implores d'être le témoin
De tes énièmes noces en quatre jours
Pour le meilleur et pour le pire
Le vingt-six du joli mois des plaisirs.
Tu me demandes conseil pour les préparatifs :
La robe de mariée, les dragées, les deux cents invités
Le traiteur, l'orchestre, la jarretière
Tu passes tout en *****
Du faire-part
Jusqu'à la petite lune de miel
Jusqu'à ce que la petite rigor mortis nous sépare.
Et moi je te suggère de me prendre Comme réalisateur pour épicer le film En panoramique de tes fantasmes.
Libre à toi d'en être la script-girl,
La monteuse, la scénariste ou
projectionniste
En plus d'être l'actrice principale,
Je me réserverai tout juste une apparition en cameo
Te servant en morceau de bravoure,
En longs travellings avant et arrière
À fleuret moucheté, ton fantasme inavouable.
VIII.

« II ne faut s'ébahir, disaient ces bons vieillards
Dessus le mur Troyen, voyants passer Hélène,
Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine,
Notre mal ne vaut pas un seul de ses regards.

« Toutefois il vaut mieux, pour n'irriter point Mars,
La rendre à son époux, afin qu'il la ramène,
Que voir de tant de sang notre campagne pleine,
Notre haure (1) gagnée, l'assaut à nos remparts. »

Pères, il ne fallait, à qui la force tremble,
Par un mauvais conseil les jeunes retarder ;
Mais, et jeunes et vieux, vous deviez tous ensemble

Pour elle corps et biens et ville bazarder.
Ménélas fut bien sage, et Pâris, ce me semble,
L'un de la demander, l'autre de la garder.


1. Haure : Forteresse.
Impérial, royal, sacerdotal, comme une

République Française en ce Quatre-vingt-treize

Brûlant empereur, roi, prêtre dans sa fournaise,

Avec la danse, autour, de la grande Commune ;


L'étudiant et sa guitare et sa fortune

À travers les décors d'une Espagne mauvaise

Mais blanche de pieds nains et noire d'yeux de braise,

Héroïque au soleil et folle sous la lune ;


Néoptolème, âme charmante et chaste tête,

Dont je serais en même temps le Philoctète

Au cœur ulcéré plus encor que sa blessure,


Et, pour un conseil froid et bon parfois, l'Ulysse ;

Artiste pur, poète où la gloire s'assure ;

Cher aux femmes, cher aux Lettres, Charles Morice !
Or, vous voici promus, petits amis,

Depuis les temps de ma lettre première,

Promus, disais-je, aux fiers emplois promis

À votre thèse, en ces jours de lumière.


Vous voici rois de France ! À votre tour !

(Rois à plusieurs d'une France postiche,

Mais rois de fait et non sans quelque amour

D'un trône lourd avec un budget riche.)


À l'œuvre, amis petits ! Nous avons droit

De vous y voir, payant de notre poche,

Et d'être un peu réjouis à l'endroit

De votre état sans peur et sans reproche.


Sans peur ? Du maître ? Ô le maître, mais c'est

L'Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre,

Total, le peuple, « un âne » fort « qui s'est

Cabré », pour vous espoir clair, puis fait sombre.


Cabré comme une chèvre, c'est le mot.

Et votre bras, saignant jusqu'à l'aisselle,

S'efforce en vain : fort comme Béhémot,

Le monstre tire... et votre peur est telle


Quand l'âne brait, que le voilà parti

Qui par les dents vous boute cent ruades

En forme de reproche bien senti...

Courez après, frottant vos reins malades !


Ô Peuple, nous t'aimons immensément :

N'es-tu donc pas la pauvre âme ignorante

En proie à tout ce qui sait et qui ment ?

N'es-tu donc pas l'immensité souffrante ?


La charité nous fait chercher tes maux,

La foi nous guide à travers tes ténèbres.

On t'a rendu semblable aux animaux,

Moins leur candeur, et plein d'instincts funèbres.


L'orgueil t'a pris en ce quatre-vingt-neuf,

Nabuchodonosor, et te fait paître,

Âne obstiné, mouton buté, dur bœuf,

Broutant pouvoir, famille, soldat, prêtre !


Ô paysan cassé sur tes sillons,

Pâle ouvrier qu'esquinte la machine,

Membres sacrés de Jésus-Christ, allons,

Relevez-vous, honorez votre échine,


Portez l'amour qu'il faut à vos bras forts,

Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde,

Respectez-les, fuyez ces chemins tors,

Fermez l'oreille à ce conseil immonde,


Redevenez les Français d'autrefois,

Fils de l'Eglise, et dignes de vos pères !

Ô s'ils savaient ceux-ci sur vos pavois,

Leurs os sueraient de honte aux cimetières.


- Vous, nos tyrans minuscules d'un jour

(L'énormité des actes rend les princes

Surtout de souche impure, et malgré cour

Et splendeur et le faste, encor plus minces),


Laissez le règne et rentrez dans le rang.

Aussi bien l'heure est proche où la tourmente

Vous va donner des loisirs, et tout blanc

L'avenir flotte avec sa Fleur charmante


Sur la Bastille absurde où vous teniez

La France aux fers d'un blasphème et d'un schisme,

Et la chronique en de cléments Téniers

Déjà vous peint allant au catéchisme.
Pépa, quand la nuit est venue,
Que ta mère t'a dit adieu ;
Que sous ta lampe, à demie nue,
Tu t'inclines pour prier Dieu ;

A cette heure où l'âme inquiète
Se livre au conseil de la nuit ;
Au moment d'ôter ta cornette
Et de regarder sous ton lit ;

Quand le sommeil sur ta famille
Autour de toi s'est répandu ;
O Pépita, charmante fille,
Mon amour, à quoi penses-tu ?

Qui sait ? Peut-être à l'héroïne
De quelque infortuné roman ;
A tout ce que l'espoir devine
Et la réalité dément ;

Peut-être à ces grandes montagnes
Qui n'accouchent que de souris ;
A des amoureux en Espagne,
A des bonbons, à des maris ;

Peut-être aux tendres confidences
D'un coeur naïf comme le tien ;
A ta robe, aux airs que tu danses ;
Peut-être à moi, peut-être à rien.
LE SÉNAT.

Vibrez, trombone et chanterelle !
Les oiseaux chantent dans les nids.
La joie est chose naturelle.
Que Magnan danse la trénis
Et Saint-Arnaud la pastourelle !

LES CAVES DE LILLE.

Miserere !
Miserere !

LE CONSEIL D'ÉTAT.

Des lampions dans les charmilles !
Des lampions dans les buissons !
Mêlez vous, sabres et mantilles !
Chantez en choeur, les beaux garçons !
Dansez en rond, les belles filles !

xxLES GRENIERS DE ROUEN.

Miserere !
Miserere !

LE CORPS LÉGISLATIF.

Jouissons ! l'amour nous réclame.
Chacun, pour devenir meilleur,
Cueille son miel, nourrit son âme,
L'abeille aux lèvres de la fleur,
Le sage aux lèvres de la femme !

xBRUXELLES, LONDRES,BELLE-ISLE, JERSEY.

Miserere !
Miserere !

L'HÔTEL DE VILLE.

L'empire se met aux croisées
Rions, jouons, soupons, dînons.
Des pétards aux Champs-Elysées !
A l'oncle il fallait des canons,
Il faut au neveu des fusées.

LES PONTONS.

Miserere !
Miserere !

L'ARMÉE.

Pas de scrupules ! pas de morgue !
A genoux ! un bedeau paraît.
Le tambour obéit à l'orgue.
Notre ardeur sort du cabaret,
Et notre gloire est à la morgue.

LAMBESSA.

Miserere !
Miserere !

LA MAGISTRATURE.

Mangeons, buvons, tout le conseille !
Heureux l'ami du raisin mûr,
Qui toujours, riant sous sa treille,
Trouve une grappe sur son mur
Et dans sa cave une bouteille !

CAYENNE.

Miserere !
Miserere !

LES ÉVÊQUES.

Jupiter l'ordonne, on révère
Le succès, sur le trône assis.
Trinquons ! Le prêtre peu sévère
Vide son âme de soucis
Et de vin vieux emplit son verre !

LE CIMETIÈRE MONTMARTRE.

Miserere !
Miserere !

Jersey, le 7 avril.
Je ne suis plus de ces esprits philosophiques,

Et ce n'est pas de morale que tu te piques

Deux admirables conditions pour l'amour

Tel que nous l'entendrons, c'est-à-dire sans tour

Aucun de bête convenance ou de limites,

Mais chaud, rieur - et zut à tous us hypocrites !


Aimons gaîment

Et franchement.


J'ai reconnu que la vertu, quand s'agit d'Elles,

Est duperie et que la plupart d'elles ont

Raison de s'en passer, nous prenant pour modèles :

Si bien qu'il est très bien de faire comme font

Les bonnes bêtes de la terre et les célestes,

N'est-ce pas ? prompts moineaux, n'est-ce pas, les cerfs prestes.


Aimons bien fort

Jusqu'à la mort.


Pratique mon bon conseil et reste amusante.

S'il se peut, sois-le plus encore et représente

Toi bien que c'est ta loi d'être pour nous charmer

Et la fleur n'est pas plus faite pour se fermer

Que vos cœurs et vos sens, ô nos belles amies...

Tête en l'air, sens au clair, vos « pudeurs » endormies,


Aimons dûment

Et verdement.
Le « sort » fantasque qui me gâte à sa manière -

M'a logé cette fois, peut-être la dernière

Et la dernière c'est la bonne - à l'hôpital !

De mon rêve à ceci le réveil est brutal

Mais explicable par le fait d'une voleuse

(Dont l'histoire posthume est, dit-on, graveleuse)

Du fait d'un rhumatisme aussi, moindre détail ;

Puis d'un gîte où l'on est qu'importe le portail ?

J'y suis, j'y vis. « Non, j'y végète », on rectifie ;

On se trompe. J'y vis dans le strict de la vie,

Le pain qu'il faut, pas trop de vin, et mieux couché !

Évidemment j'expie un très ancien péché

(Très ancien ?) dont mon sang a des fois la secousse,

Et la pénitence est relativement douce

Dans le martyrologe et sur l'armorial

Des poètes, peut-être un peu proverbial.

C'est un lieu comme un autre, on en prend l'habitude:

A prison bonne enfant longanime Latude.

Sans compter qu'au rimeur, pour en parler, alors !

Pauvre et fier, il ne reste qu'à mourir dehors

Ou tout comme, en ces temps vraiment trop peu propices.

Et mourir pour mourir. Muse qui me respices,

Autant le faire ici qu'ailleurs, et même mieux,

Sinon qu'ici l'on est tout « laïque », les vieux

Abus sont réformés et le « citoyen » libre !

Et fort ! doit, ou l'État perdrait son équilibre,

Avec ça qu'il n'est pas à cheval sur un pall !

Mourir dans les bras du Conseil Municipal,

Mal rassurante et pas assez édifiante

Conclusion pour tel, qu'un vœu mystique hante

Moi par exemple, j'en forme l'aveu sans fard,

Me dût-on traiter d'âne ou d'impudent cafard,

La conversation, dans ce modeste asile,

Ne m'est pas autrement pénible et difficile !

Ces braves gens, que le Journal rend un peu sots,

Du moins ont conservé, malgré tous les assauts

Que « l'Instruction » livre à leur tête obsédée ;

Quelque saveur encor de parole et d'idée ;

La Révolution, qu'il faut toujours citer

Et condamner, n'a pu complètement gâter

Leur trivialité non sans grâce et sincère.

Même je les préfère aux mufles de ma sphère

Certes ! et je subis leur choc sans trop d'émoi.

Leur vice et leur vertu sont juste à point pour moi

Les goûter et me plaire en ces lieux salutaires

(A comme moi) des espèces de solitaires,

Espèce de couvent moins cet espoir chrétien !

Le monde est tel qu'ici je n'ai besoin de rien

Et que j'y resterais, ma foi, toute ma vie,

Sans grands jaloux, j'espère, et pour sûr, sans envie !

Si, dès guéri, si je guéris, car tout se peut,

Je n'avais quelque chose à faire, que Dieu veut.
(Sur un reliquaire qu'on lui avait dérobé)

Seul bijou de ma pauvreté.

Ton mince argent, ta perle fausse

(En tout quatre francs), ont tenté

Quelqu'un dont l'esprit ne se hausse,


Parmi ces paysans cafards

À vous dégoûter d'être au monde,

- Tas d'Onans et de Putiphars ! -

Que juste au niveau de l'immonde,


Et le Témoin, et le Gardien,

Le Grain d'une poussière illustre,

Un ami du mien et du tien

Crispe sur lui sa main de rustre !


Est-ce simplement un voleur,

Ou s'il se guinde au sacrilège ?

Bah ! ces rustiques-là ! Mais leur

Gros laid vice que rien n'allège,


Ne connaît rien que de brutal

Et ne s'est jamais douté d'une

Âme immortelle. Du métal,

C'est tout ce qu'il voit dans la lune ;


Tout ce qu'il voit dans le soleil,

C'est foin épais et fumier dense,

Et quand éclot le jour vermeil,

Il suppute timbre et quittance,


Hypothèque, gens mis dedans,

Placements, la dot de la fille,

Crédits ouverts à deux battants

Et l'usure au bout qui mordille !


Donc, vol, oui, sacrilège, non.

Mais le fait monstrueux existe

Et pour cet ouvrage sans nom,

Mon âme est immensément triste.


Ô pour lui ramener la paix.

Daignez, vous, grand saint Benoît Labre,

Écouter les vœux que je fais,

Peur que ma foi ne se délabre


En voyant ce crime impuni

Rester inutile. Ô la Grâce,

Implorez-la sur l'homme, et ni

L'homme ni moi n'oublierons. Grâce !


Grâce pour le pauvre larron

Inconscient du péché pire !

Intercédez, ô bon patron,

Et qu'enfin le bon Dieu l'inspire,


Que de ce débris de ce corps

Exalté par la pénitence

Sorte une vertu de remords,

Et que l'exquis conseil le tance


Et lui montre toute l'horreur

Du vol et de ce vol impie

Avec la torpeur et l'erreur

D'un passé qu'il faut qu'il expie.


Qu'il s'émeuve à ce double objet

Et tremblant au son du tonnerre

Respecte ce qu'il outrageait

En attendant qu'il le vénère.


Et que cette conversion

L'amène à la foi de ses pères

D'avant la Révolution.

Ma Foi, dis-le-moi, tu l'espères ?


Ma foi, celle du charbonnier !

Ainsi la veux-je, et la souhaite

Au possesseur, croyons dernier,

De la sainte petite boîte !
NGANGO HONORÉ Apr 2021
Mon Mon Dieu
Je T'aime
Que puij Te donner , rien
Je n'ai pas quelque chose que tu n'ai pas
Si je pense a Te faire une suprise
Toi qui es dans mon cœur
Tu sais déjà a quoi j'ai pensé

Comment ne pas Te louer Mon Dieu T'adorer pour Ta Grandeur,  Tes Bienfaits
Je t'aime

Dans mon Optique de Te faire une surprise
Je prendrais conseil chez mon Patriarche
Salomon et chez mes frères d'aujourd'hui
Un Culte a Mon Dieu
Une reconnaissance a Mon Dieu
On finira bien par trouver une Combine

AMEN J'AIME MON DIEU :
Qui dit le contraire

— The End —