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Hilda Mar 2013
~~~~English~~~~

Such beauty takes away my breath
As the sunrays shine across the peaceful path
The trees of this forest sway and nod in the dancing breeze
Which caresses my cheeks

Pastel clouds in the watercolor sky
Makes the forest with its path beautiful
And birds sing and warble in the tall treetops
God alone creates this beauty

The bluebells bordering the path
Are kissed by sparkling dewdrops
And snowdrops have long come out of
Their veil of snow

Lacy green leaves from the blowing trees
Provide shade in the sweet summer
And the breezes provide coolness on a hot day
At this lovely place of beauty

~~~~French~~~~

Une telle beauté enlève mon souffle
Comme les rayons du soleil brille à travers la voie pacifique
Les arbres de cette forêt se balancent et hocher la tête dans la brise dansante
Qui caresse mes joues

Pastels nuages dans le ciel aquarelle
Rend la forêt avec son chemin belle
Et les oiseaux chantent et modulées dans les hautes cimes
Dieu seul crée cette beauté

Les jacinthes qui bordent le chemin
Sont caressées par les gouttes de rosée mousseux
Perce-neige viennent depuis longtemps de
Leur voile de neige

Dentelles feuilles vertes des arbres de soufflage
Fournir de l'ombre en été douce
Et les brises offrent fraîcheur par une chaude journée
À ce bel endroit d'une beauté

**~Hilda~
I.

Ô vous, mes vieux amis, si jeunes autrefois,
Qui comme moi des jours avez porté le poids,
Qui de plus d'un regret frappez la tombe sourde,
Et qui marchez courbés, car la sagesse est lourde ;
Mes amis ! qui de vous, qui de nous n'a souvent,
Quand le deuil à l'œil sec, au visage rêvant,
Cet ami sérieux qui blesse et qu'on révère,
Avait sur notre front posé sa main sévère,
Qui de nous n'a cherché le calme dans un chant !
Qui n'a, comme une sœur qui guérit en touchant,
Laissé la mélodie entrer dans sa pensée !
Et, sans heurter des morts la mémoire bercée,
N'a retrouvé le rire et les pleurs à la fois
Parmi les instruments, les flûtes et les voix !

Qui de nous, quand sur lui quelque douleur s'écoule,
Ne s'est glissé, vibrant au souffle de la foule,
Dans le théâtre empli de confuses rumeurs !
Comme un soupir parfois se perd dans des clameurs,
Qui n'a jeté son âme, à ces âmes mêlée,
Dans l'orchestre où frissonne une musique ailée,
Où la marche guerrière expire en chant d'amour,
Où la basse en pleurant apaise le tambour !

II.

Écoutez ! écoutez ! du maître qui palpite,
Sur tous les violons l'archet se précipite.
L'orchestre tressaillant rit dans son antre noir.
Tout parle. C'est ainsi qu'on entend sans les voir,
Le soir, quand la campagne élève un sourd murmure,
Rire les vendangeurs dans une vigne mûre.
Comme sur la colonne un frêle chapiteau,
La flûte épanouie a monté sur l'alto.
Les gammes, chastes sœurs dans la vapeur cachées,
Vident et remplissent leurs amphores penchées,
Se tiennent par la main et chantent tour à tour.
Tandis qu'un vent léger fait flotter alentour,
Comme un voile folâtre autour d'un divin groupe,
Ces dentelles du son que le fifre découpe.
Ciel ! voilà le clairon qui sonne. À cette voix,
Tout s'éveille en sursaut, tout bondit à la fois.

La caisse aux mille échos, battant ses flancs énormes,
Fait hurler le troupeau des instruments difformes,
Et l'air s'emplit d'accords furieux et sifflants
Que les serpents de cuivre ont tordus dans leurs flancs.
Vaste tumulte où passe un hautbois qui soupire !
Soudain du haut en bas le rideau se déchire ;
Plus sombre et plus vivante à l'œil qu'une forêt,
Toute la symphonie en un hymne apparaît.
Puis, comme en un chaos qui reprendrait un monde,
Tout se perd dans les plis d'une brume profonde.
Chaque forme du chant passe en disant : Assez !
Les sons étincelants s'éteignent dispersés.
Une nuit qui répand ses vapeurs agrandies
Efface le contour des vagues mélodies,
Telles que des esquifs dont l'eau couvre les mâts ;
Et la strette, jetant sur leur confus amas
Ses tremblantes lueurs largement étalées,
Retombe dans cette ombre en grappes étoilées !

Ô concert qui s'envole en flamme à tous les vents !
Gouffre où le crescendo gonfle ses flots mouvants !
Comme l'âme s'émeut ! comme les cœurs écoutent !
Et comme cet archet d'où les notes dégouttent,
Tantôt dans le lumière et tantôt dans la nuit,
Remue avec fierté cet orage de bruit !

III.

Puissant Palestrina, vieux maître, vieux génie,
Je vous salue ici, père de l'harmonie,
Car, ainsi qu'un grand fleuve où boivent les humains,
Toute cette musique a coulé dans vos mains !
Car Gluck et Beethoven, rameaux sous qui l'on rêve,
Sont nés de votre souche et faits de votre sève !
Car Mozart, votre fils, a pris sur vos autels
Cette nouvelle lyre inconnue aux mortels,
Plus tremblante que l'herbe au souffle des aurores,
Née au seizième siècle entre vos doigts sonores !
Car, maître, c'est à vous que tous nos soupirs vont,
Sitôt qu'une voix chante et qu'une âme répond !

Oh ! ce maître, pareil au créateur qui fonde,
Comment dit-il jaillir de sa tête profonde
Cet univers de sons, doux et sombre à la fois,
Écho du Dieu caché dont le monde est la voix ?
Où ce jeune homme, enfant de la blonde Italie,
Prit-il cette âme immense et jusqu'aux bords remplie ?
Quel souffle, quel travail, quelle intuition,
Fit de lui ce géant, dieu de l'émotion,
Vers qui se tourne l'œil qui pleure et qui s'essuie,
Sur qui tout un côté du cœur humain s'appuie ?
D'où lui vient cette voix qu'on écoute à genoux ?
Et qui donc verse en lui ce qu'il reverse en nous ?

IV.

Ô mystère profond des enfances sublimes !
Qui fait naître la fleur au penchant des abîmes,
Et le poète au bord des sombres passions ?
Quel dieu lui trouble l'œil d'étranges visions ?
Quel dieu lui montre l'astre au milieu des ténèbres,
Et, comme sous un crêpe aux plis noirs et funèbres
On voit d'une beauté le sourire enivrant,
L'idéal à travers le réel transparent ?
Qui donc prend par la main un enfant dès l'aurore
Pour lui dire : - " En ton âme il n'est pas jour encore.
Enfant de l'homme ! avant que de son feu vainqueur
Le midi de la vie ait desséché ton cœur,
Viens, je vais t'entrouvrir des profondeurs sans nombre !
Viens, je vais de clarté remplir tes yeux pleins d'ombre !
Viens, écoute avec moi ce qu'on explique ailleurs,
Le bégaiement confus des sphères et des fleurs ;
Car, enfant, astre au ciel ou rose dans la haie,
Toute chose innocente ainsi que toi bégaie !
Tu seras le poète, un homme qui voit Dieu !
Ne crains pas la science, âpre sentier de feu,
Route austère, il est vrai, mais des grands cœurs choisies,
Que la religion et que la poésie
Bordent des deux côtés de leur buisson fleuri.
Quand tu peux en chemin, ô bel enfant chéri,
Cueillir l'épine blanche et les clochettes bleues,
Ton petit pas se joue avec les grandes lieues.
Ne crains donc pas l'ennui ni la fatigue. - Viens !
Écoute la nature aux vagues entretiens.
Entends sous chaque objet sourdre la parabole.
Sous l'être universel vois l'éternel symbole,
Et l'homme et le destin, et l'arbre et la forêt,
Les noirs tombeaux, sillons où germe le regret ;
Et, comme à nos douleurs des branches attachées,
Les consolations sur notre front penchées,
Et, pareil à l'esprit du juste radieux,
Le soleil, cette gloire épanouie aux cieux !

V.

Dieu ! que Palestrina, dans l'homme et dans les choses,
Dut entendre de voix joyeuse et moroses !
Comme on sent qu'à cet âge où notre cœur sourit,
Où lui déjà pensait, il a dans son esprit
Emporté, comme un fleuve à l'onde fugitive,
Tout ce que lui jetait la nuée ou la rive !
Comme il s'est promené, tout enfant, tout pensif,
Dans les champs, et, dès l'aube, au fond du bois massif,
Et près du précipice, épouvante des mères !
Tour à tour noyé d'ombre, ébloui de chimères,
Comme il ouvrait son âme alors que le printemps
Trempe la berge en fleur dans l'eau des clairs étangs,
Que le lierre remonte aux branches favorites,
Que l'herbe aux boutons d'or mêle les marguerites !

A cette heure indécise où le jour va mourir,
Où tout s'endort, le cœur oubliant de souffrir,
Les oiseaux de chanter et les troupeaux de paître,
Que de fois sous ses yeux un chariot champêtre,
Groupe vivant de bruit, de chevaux et de voix,
A gravi sur le flanc du coteau dans les bois
Quelque route creusée entre les ocres jaunes,
Tandis que, près d'une eau qui fuyait sous les aulnes,
Il écoutait gémir dans les brumes du soir
Une cloche enrouée au fond d'un vallon noir !

Que de fois, épiant la rumeur des chaumières,
Le brin d'herbe moqueur qui siffle entre deux pierres,
Le cri plaintif du soc gémissant et traîné,
Le nid qui jase au fond du cloître ruiné
D'où l'ombre se répand sur les tombes des moines,
Le champ doré par l'aube où causent les avoines
Qui pour nous voir passer, ainsi qu'un peuple heureux,
Se penchent en tumulte au bord du chemin creux,
L'abeille qui gaiement chante et parle à la rose,
Parmi tous ces objets dont l'être se compose,
Que de fois il rêva, scrutateur ténébreux,
Cherchant à s'expliquer ce qu'ils disaient entre eux !

Et chaque soir, après ses longues promenades,
Laissant sous les balcons rire les sérénades,
Quand il s'en revenait content, grave et muet,
Quelque chose de plus dans son cœur remuait.
Mouche, il avait son miel ; arbuste, sa rosée.
Il en vint par degrés à ce qu'en sa pensée
Tout vécut. - Saint travail que les poètes font ! -
Dans sa tête, pareille à l'univers profond,
L'air courait, les oiseaux chantaient, la flamme et l'onde
Se courbaient, la moisson dorait la terre blonde,
Et les toits et les monts et l'ombre qui descend
Se mêlaient, et le soir venait, sombre et chassant
La brute vers son antre et l'homme vers son gîte,
Et les hautes forêts, qu'un vent du ciel agite,
Joyeuses de renaître au départ des hivers,
Secouaient follement leurs grands panaches verts !

C'est ainsi qu'esprit, forme, ombre, lumière et flamme,
L'urne du monde entier s'épancha dans son âme !

VI.

Ni peintre, ni sculpteur ! Il fut musicien.
Il vint, nouvel Orphée, après l'Orphée ancien ;
Et, comme l'océan n'apporte que sa vague,
Il n'apporta que l'art du mystère et du vague !
La lyre qui tout bas pleure en chantant bien haut !
Qui verse à tous un son où chacun trouve un mot !
Le luth où se traduit, plus ineffable encore,
Le rêve inexprimé qui s'efface à l'aurore !
Car il ne voyait rien par l'angle étincelant,
Car son esprit, du monde immense et fourmillant
Qui pour ses yeux nageait dans l'ombre indéfinie,
Éteignait la couleur et tirait l'harmonie !
Ainsi toujours son hymne, en descendant des cieux,
Pénètre dans l'esprit par le côté pieux,
Comme un rayon des nuits par un vitrail d'église !
En écoutant ses chants que l'âme idéalise,
Il semble, à ces accords qui, jusqu'au cœur touchant,
Font sourire le juste et songer le méchant,
Qu'on respire un parfum d'encensoirs et de cierges,
Et l'on croit voir passer un de ces anges-vierges
Comme en rêvait Giotto, comme Dante en voyait,
Êtres sereins posés sur ce monde inquiet,
À la prunelle bleue, à la robe d'opale,
Qui, tandis qu'au milieu d'un azur déjà pâle
Le point d'or d'une étoile éclate à l'orient,
Dans un beau champ de trèfle errent en souriant !

VII.

Heureux ceux qui vivaient dans ce siècle sublime
Où, du génie humain dorant encor la cime,
Le vieux soleil gothique à l'horizon mourait !
Où déjà, dans la nuit emportant son secret,
La cathédrale morte en un sol infidèle
Ne faisait plus jaillir d'églises autour d'elle !
Être immense obstruée encore à tous degrés,
Ainsi qu'une Babel aux abords encombrés,
De donjons, de beffrois, de flèches élancées,
D'édifices construits pour toutes les pensées ;
De génie et de pierre énorme entassement ;
Vaste amas d'où le jour s'en allait lentement !
Siècle mystérieux où la science sombre
De l'antique Dédale agonisait dans l'ombre,
Tandis qu'à l'autre bout de l'horizon confus,
Entre Tasse et Luther, ces deux chênes touffus,
Sereine, et blanchissant de sa lumière pure
Ton dôme merveilleux, ô sainte Architecture,
Dans ce ciel, qu'Albert Düre admirait à l'écart,
La Musique montait, cette lune de l'art !

Le 29 mai 1837.
À Maxime Du Camp.

I

Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent
D'espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom !

II

Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n'étant nulle part, peut être n'importe où !
Où l'homme, dont jamais l'espérance n'est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou !

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
Une voix retentit sur le pont : " Ouvre l'oeil ! "
Une voix de la hune, ardente et folle, crie .
" Amour... gloire... bonheur ! " Enfer ! c'est un écueil !

Chaque îlot signalé par l'homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin ;
L'Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin.

Ô le Pauvre amoureux des pays chimériques !
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d'Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?

Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l'air, de brillants paradis ;
Son oeil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.

III

Etonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.

Dites, qu'avez-vous vu ?

IV

" Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Et toujours le désir nous rendait soucieux !

- La jouissance ajoute au désir de la force.  
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près !

Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès ? - Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de **** !

Nous avons salué des idoles à trompe ;
Des trônes constellés de joyaux lumineux ;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;

" Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. "

V

Et puis, et puis encore ?

VI

" Ô cerveaux enfantins !
Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût ;
L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout ;

Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
La fête qu'assaisonne et parfume le sang ;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;

L'Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
" Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! "

Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l'***** immense !
- Tel est du globe entier l'éternel bulletin. "

VII

Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

Comme le Juif errant et comme les apôtres,
A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d'autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier : En avant !
De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le coeur joyeux d'un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent : " Par ici ! vous qui voulez manger

Le Lotus parfumé ! c'est ici qu'on vendange
Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim ;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n'a jamais de fin ? "

A l'accent familier nous devinons le spectre ;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
" Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre ! "
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

VIII

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !
Avant que tu ne t'en ailles,
Pâle étoile du matin,
- Mille cailles
Chantent, chantent dans le thym.

Tourne devers le poète,
Dont les yeux sont pleins d'amour ;
- L'alouette
Monte au ciel avec le jour.

Tourne ton regard que noie
L'aurore dans son azur ;
- Quelle joie
Parmi les champs de blé mûr !

Puis fais luire ma pensée
Là-bas - bien ****, oh, bien **** !
- La rosée
Gaîment brille sur le foin.

Dans le doux rêve où s'agite
Ma mie endormie encor...
- Vite, vite,
Car voici le soleil d'or.
Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nébuleuses

Regret des yeux de la putain
Et belle comme une panthère
Amour vos baisers florentins
Avaient une saveur amère
Qui a rebuté nos destins

Ses regards laissaient une traîne
D'étoiles dans les soirs tremblants
Dans ses yeux nageaient les sirènes
Et nos baisers mordus sanglants
Faisaient pleurer nos fées marraines

Mais en vérité je l'attends
Avec mon cœur avec mon âme
Et sur le pont des Reviens-t'en
Si jamais revient cette femme
Je lui dirai Je suis content

Mon cœur et ma tête se vident
Tout le ciel s'écoule par eux
Ô mes tonneaux des Danaïdes
Comment faire pour être heureux
Comme un petit enfant candide

Je ne veux jamais l'oublier
Ma colombe ma blanche rade
Ô marguerite exfoliée
Mon île au **** ma Désirade
Ma rose mon giroflier

Les satyres et les pyraustes
Les égypans les feux follets
Et les destins damnés ou faustes
La corde au cou comme à Calais
Sur ma douleur quel holocauste

Douleur qui doubles les destins
La licorne et le capricorne
Mon âme et mon corps incertain
Te fuient ô bûcher divin qu'ornent
Des astres des fleurs du matin

Malheur dieu pâle aux yeux d'ivoire
Tes prêtres fous t'ont-ils paré
Tes victimes en robe noire
Ont-elles vainement pleuré
Malheur dieu qu'il ne faut pas croire

Et toi qui me suis en rampant
Dieu de mes dieux morts en automne
Tu mesures combien d'empans
J'ai droit que la terre me donne
Ô mon ombre ô mon vieux serpent

Au soleil parce que tu l'aimes
Je t'ai menée souviens t'en bien
Ténébreuse épouse que j'aime
Tu es à moi en n'étant rien
Ô mon ombre en deuil de moi-même

L'hiver est mort tout enneigé
On a brûlé les ruches blanches
Dans les jardins et les vergers
Les oiseaux chantent sur les branches
Le printemps clair l'avril léger

Mort d'immortels argyraspides
La neige aux boucliers d'argent
Fuit les dendrophores livides
Du printemps cher aux pauvres gens
Qui resourient les yeux humides

Et moi j'ai le cœur aussi gros
Qu'un cul de dame damascène
Ô mon amour je t'aimais trop
Et maintenant j'ai trop de peine
Les sept épées hors du fourreau

Sept épées de mélancolie
Sans morfil ô claires douleurs
Sont dans mon cœur et la folie
Veut raisonner pour mon malheur
Comment voulez-vous que j'oublie.
L'ANGE DE POÉSIE.

Éveille-toi, ma sœur, je passe près de toi !
De mon sceptre divin tu vas subir la loi ;
Sur toi, du feu sacré tombent les étincelles,
Je caresse ton front de l'azur de mes ailes.
À tes doigts incertains, j'offre ma lyre d'or,
Que ton âme s'éveille et prenne son essor !...

Le printemps n'a qu'un jour, tout passe ou tout s'altère ;
Hâte-toi de cueillir les roses de la terre,
Et chantant les parfums dont s'enivrent tes sens,
Offre tes vers au ciel comme on offre l'encens !
Chante, ma jeune sœur, chante ta belle aurore,
Et révèle ton nom au monde qui l'ignore.

LA JEUNE FEMME.

Grâce !.. éloigne de moi ton souffle inspirateur !
Ne presse pas ainsi ta lyre sur mon cœur !
Dans mon humble foyer, laisse-moi le silence ;
La femme qui rougit a besoin d'ignorance.
Le laurier du poète exige trop d'effort...
J'aime le voile épais dont s'obscurcit mon sort.
Mes jours doivent glisser sur l'océan du monde,
Sans que leur cours léger laisse un sillon sur l'onde ;
Ma voix ne doit chanter que dans le sein des bois,
Sans que l'écho répète un seul son de ma voix.

L'ANGE DE POÉSIE.

Je t'appelle, ma sœur, la résistance est vaine.
Des fleurs de ma couronne, avec art je t'enchaîne :
Tu te débats en vain sous leurs flexibles nœuds.
D'un souffle dévorant j'agite tes cheveux,
Je caresse ton front de ma brûlante haleine !

Mon cœur bat sur ton cœur, ma main saisit la tienne ;
Je t'ouvre le saint temple où chantent les élus...
Le pacte est consommé, je ne te quitte plus !
Dans les vallons lointains suivant ta rêverie,
Je prêterai ma voix aux fleurs de la prairie ;
Elles murmureront : « Chante, chante la fleur
Qui ne vit qu'un seul jour pour vivre sans douleur. »
Tu m'entendras encor dans la brise incertaine
Qui dirige la barque en sa course lointaine ;
Son souffle redira : « Chante le ciel serein ;
Qu'il garde son azur, le salut du marin ! »
J'animerai l'oiseau caché sous le feuillage,
Et le flot écumant qui se brise au rivage ;
L'encens remplira l'air que tu respireras...
Et soumise à mes lois, ma sœur, tu chanteras !

LA JEUNE FEMME.

J'écouterai ta voix, ta divine harmonie,
Et tes rêves d'amour, de gloire et de génie ;
Mon âme frémira comme à l'aspect des cieux...
Des larmes de bonheur brilleront dans mes yeux.
Mais de ce saint délire, ignoré de la terre,
Laisse-moi dans mon cœur conserver le mystère ;

Sous tes longs voiles blancs, cache mon jeune front ;
C'est à toi seul, ami, que mon âme répond !
Et si, dans mon transport, m'échappe une parole,
Ne la redis qu'au Dieu qui comprend et console.
Le talent se soumet au monde, à ses décrets,
Mais un cœur attristé lui cache ses secrets ;

Qu'aurait-il à donner à la foule légère,
Qui veut qu'avec esprit on souffre pour lui plaire ?
Ma faible lyre a peur de l'éclat et du bruit,
Et comme Philomèle, elle chante la nuit.
Adieu donc ! laisse-moi ma douce rêverie,
Reprends ton vol léger vers ta belle patrie !

L'ange reste près d'elle, il sourit à ses pleurs,
Et resserre les nœuds de ses chaînes de fleurs ;
Arrachant une plume à son aile azurée,
Il la met dans la main qui s'était retirée.
En vain elle résiste, il triomphe... il sourit...
Laissant couler ses pleurs, la jeune femme écrit.
Un jardinier, dans son jardin,
Avait un vieux arbre stérile ;
C'était un grand poirier qui jadis fut fertile :
Mais il avait vieilli, tel est notre destin.
Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin ;
Le voilà qui prend sa cognée.
Au premier coup l'arbre lui dit :
Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit
Que je t'ai donné chaque année.
La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant,
N'assassine pas un mourant
Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,
Répond le jardinier ; mais j'ai besoin de bois.
Alors, gazouillant à la fois,
De rossignols une centaine
S'écrie : épargne-le, nous n'avons plus que lui :
Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage,
Nous la réjouissons par notre doux ramage ;
Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.
Le jardinier les chasse et rit de leur requête ;
Il frappe un second coup. D'abeilles un essaim
Sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête,
Ecoute-nous, homme inhumain :
Si tu nous laisses cet asile,
Chaque jour nous te donnerons
Un miel délicieux dont tu peux à la ville
Porter et vendre les rayons :
Cela te touche-t-il ? J'en pleure de tendresse,
Répond l'avare jardinier :
Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
Qui m'a nourri dans sa jeunesse ?
Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux ;
C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos.
Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance,
Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.
Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense,
Et laisse vivre le vieux tronc.

Comptez sur la reconnaissance
Quand l'intérêt vous en répond.
La nature est pleine d'amour,
Jeanne, autour de nos humbles joies ;
Et les fleurs semblent tour à tour
Se dresser pour que tu les voies.

Vive Angélique ! à bas Orgon !
L'hiver, qu'insultent nos huées,
Recule, et son profil bougon
Va s'effaçant dans les nuées.

La sérénité de nos coeurs,
Où chantent les bonheurs sans nombre,
Complète, en ces doux mois vainqueurs,
L'évanouissement de l'ombre.

Juin couvre de fleurs les sommets,
Et dit partout les mêmes choses ;
Mais est-ce qu'on se plaint jamais
De la prolixité des roses ?

L'hirondelle, sur ton front pur,
Vient si près de tes yeux fidèles
Qu'on pourrait compter dans l'azur
Toutes les plumes de ses ailes.

Ta grâce est un rayon charmant ;
Ta jeunesse, enfantine encore,
Éclaire le bleu firmament,
Et renvoie au ciel de l'aurore.

De sa ressemblance avec toi
Le lys pur sourit dans sa gloire ;
Ton âme est une urne de foi
Où la colombe voudrait boire.
Le coucher d'un soleil de septembre ensanglante

La plaine morne et l'âpre arête des sierras

Et de la brume au **** l'installation lente.


Le Guadarrama pousse entre les sables ras

Son flot hâtif qui va réfléchissant par places

Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras.


Le grand vol anguleux des éperviers rapaces

Raye à l'ouest le ciel mat et rouge qui brunit,

Et leur cri rauque grince à travers les espaces.


Despotique, et dressant au-devant du zénith

L'entassement brutal de ses tours octogones,

L'Escurial étend son orgueil de granit.


Les murs carrés, percés de vitraux monotones,

Montent droits, blancs et nus, sans autres ornements

Que quelques grils sculptés qu'alternent des couronnes.


Avec des bruits pareils aux rudes hurlements

D'un ours que des bergers navrent de coups de pioches

Et dont l'écho redit les râles alarmants,


Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches,

Et puis s'évaporant en des murmures longs,

Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches.


Par les cours du palais, où l'ombre met ses plombs,

Circule - tortueux serpent hiératique -

Une procession de moines aux frocs blonds


Qui marchent un par un, suivant l'ordre ascétique,

Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main,

Ululent d'une voix formidable un cantique.


- Qui donc ici se meurt ? Pour qui sur le chemin

Cette paille épandue et ces croix long-voilées

Selon le rituel catholique romain ? -


La chambre est haute, vaste et sombre. Niellées,

Les portes d'acajou massif tournent sans bruit,

Leurs serrures étant, comme leurs gonds, huilées.


Une vague rougeur plus triste que la nuit

Filtre à rais indécis par les plis des tentures

À travers les vitraux où le couchant reluit,


Et fait papilloter sur les architectures,

À l'angle des objets, dans l'ombre du plafond,

Ce halo singulier qu'on voit dans les peintures.


Parmi le clair-obscur transparent et profond

S'agitent effarés des hommes et des femmes

À pas furtifs, ainsi que les hyènes font.


Riches, les vêtements des seigneurs et des dames,

Velours, panne, satin, soie, hermine et brocart,

Chantent l'ode du luxe en chatoyantes gammes,


Et, trouant par éclairs distancés avec art

L'opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre

Des gardes alignés scintillent de trois quart.


Un homme en robe noire, à visage de guivre,

Se penche, en caressant de la main ses fémurs,

Sur un lit, comme l'on se penche sur un livre.


Des rideaux de drap d'or roides comme des murs

Tombent d'un dais de bois d'ébène en droite ligne,

Dardant à temps égaux l'œil des diamants durs.


Dans le lit, un vieillard d'une maigreur insigne

Egrène un chapelet, qu'il baise par moment,

Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne.


Ses lèvres font ce sourd et long marmottement,

Dernier signe de vie et premier d'agonie,

- Et son haleine pue épouvantablement.


Dans sa barbe couleur d'amarante ternie,

Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux,

Sous son linge bordé de dentelle jaunie,


Avides, empressés, fourmillants, et jaloux

De pomper tout le sang malsain du mourant fauve

En bataillons serrés vont et viennent les poux.


C'est le Roi, ce mourant qu'assiste un mire chauve,

Le Roi Philippe Deux d'Espagne, - saluez ! -

Et l'aigle autrichien s'effare dans l'alcôve,


Et de grands écussons, aux murailles cloués,

Brillent, et maints drapeaux où l'oiseau noir s'étale

Pendent de çà de là, vaguement remués !...


- La porte s'ouvre. Un flot de lumière brutale

Jaillit soudain, déferle et bientôt s'établit

Par l'ampleur de la chambre en nappe horizontale ;


Porteurs de torches, roux, et que l'extase emplit,

Entrent dix capucins qui restent en prière :

Un d'entre eux se détache et marche droit au lit.


Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,

Et les élancements farouches de la Foi

Rayonnent à travers les cils de sa paupière ;


Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi,

Sonne sur les tapis, régulier, emphatique :

Les yeux baissés en terre, il marche droit au Roi.


Et tous sur son trajet dans un geste extatique

S'agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein,

Car il porte avec lui le sacré Viatique.


Du lit s'écarte avec respect le matassin,

Le médecin du corps, en pareille occurrence,

Devant céder la place, Âme, à ton médecin.


La figure du Roi, qu'étire la souffrance,

À l'approche du fray se rassérène un peu,

Tant la religion est grosse d'espérance !


Le moine cette fois ouvrant son œil de feu,

Tout brillant de pardons mêlés à des reproches,

S'arrête, messager des justices de Dieu.


- Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches.


Et la Confession commence. Sur le flanc

Se retournant, le Roi, d'un ton sourd, bas et grêle,

Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang.


- « Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle ?

Brûler des juifs, mais c'est une dilection !

Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle. » -


Et, se pétrifiant dans l'exaltation,

Le Révérend, les bras en croix, tête baissée,

Semble l'esprit sculpté de l'Inquisition.


Ayant repris haleine, et d'une voix cassée,

Péniblement, et comme arrachant par lambeaux

Un remords douloureux du fond de sa pensée,


Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux

Éclaire le visage osseux et le front blême,

Prononce ces mots : Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux.


- « Les Flamands, révoltés contre l'Église même,

Furent très justement punis, à votre los,

Et je m'étonne, ô Roi, de ce doute suprême.


« Poursuivez. » Et le Roi parla de don Carlos.

Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue

Palpitante et collée affreusement à l'os.


- « Vous déplorez cet acte, et moi je vous en loue !

L'Infant, certes, était coupable au dernier point,

Ayant voulu tirer l'Espagne dans la boue


De l'hérésie anglaise, et de plus n'ayant point

Frémi de conspirer - ô ruses abhorrées ! -

Et contre un Père, et contre un Maître, et contre un Oint ! »


Le moine ensuite dit les formules sacrées

Par quoi tous nos péchés nous sont remis, et puis,

Prenant l'Hostie avec ses deux mains timorées,


Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits

Se sont tus, et la Cour, pliant dans la détresse,

Pria, muette et pâle, et nul n'a su depuis


Si sa prière fut sincère ou bien traîtresse.

- Qui dira les pensers obscurs que protégea

Ce silence, brouillard complice qui se dresse ?


Ayant communié, le Roi se replongea

Dans l'ampleur des coussins, et la béatitude

De l'Absolution reçue ouvrant déjà


L'œil de son âme au jour clair de la certitude,

Épanouit ses traits en un sourire exquis

Qui tenait de la fièvre et de la quiétude.


Et tandis qu'alentour ducs, comtes et marquis,

Pleins d'angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine,

L'âme du Roi mourant montait aux cieux conquis,


Puis le râle des morts hurla dans la poitrine

De l'auguste malade avec des sursauts fous :

Tel l'ouragan passe à travers une ruine.


Et puis plus rien ; et puis, sortant par mille trous,

Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,

Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.


- Philippe Deux était à la droite du Père.
C'est le printemps viens-t'en Pâquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la cour caquètent
L'aube au ciel fait de roses plis
L'amour chemine à ta conquête

Mars et Vénus sont revenus
Ils s'embrassent à bouches folles
Devant des sites ingénus
Où sous les roses qui feuillolent
De beaux dieux roses dansent nus

Viens ma tendresse est la régente
De la floraison qui paraît
La nature est belle et touchante
Pan sifflote dans la forêt
Les grenouilles humides chantent.
À Manoel de Barros

PSAUME I

Tapi dans la mangrove, bondissant...sautant-matant

Le ciel aux trois-quarts nu

De giraumon, de pissat et de sang...

Assis sur le trottoir, le ciel tousse

Kein-hein kein-hein

Ivre de parfums rouges errants,

De brocarts et de confettis à ses trousses.

Assis à marée basse, électrique...

Insensible aux chevaux des dieux

Qui tournoient

Au-dessus des tambours

Qui chavirent

Insensibles

Aux orgues charnelles

Des moites guérisseuses...

Le ciel caracole,

Glisse, contorsionniste,

Mascarade immobile

Démêlant le cours des amours burlesques

Entre les atolls obscurs

De pistaches et de bonbons,

D’anges et de démons...

Cabriole, tiède et poisseux,

Cisaille à contre-jour

L’orpailleur en transe

Aboyant dans le sérail de mes âmes

Sevrées, esseulées...

L’aube culbute

Dans les lambeaux du gouffre

Dans les calypsos du soleil

D’où sourdent, dégénérées,

Les jambes et les larmes

Qui fraient encore, exotiques

Sur les pilotis

Du carnaval nocturne

D’où va saillir le jour.

PSAUME II

Il pleut sur le kiosque des songes

Des encres mornes

Comme des brindilles

Enfantées de l’œuf tiède

Où s’aimante

Délicieusement noire

La mygale

Fleuve des nuages

Qui emballe

De son ouate ludique

Le rayon nain

Dérobé

Au serpent arc-en-ciel

Enfin rassasié

PSAUME III

Tellurique, dame Terre esquive les amarres

Effervescentes. Le ciel, hameçon entre les îles,

Rayonne, entonne l’odyssée perpétuelle,

Pion libre dans l’espace

Sempiternellement baigné par les baumes

Incendiaires du soleil obèse, son jumeau

Complice des moissons violées, œcuménique,

Humble, jadis et toujours, Terre :

Oasis, océan, oxygène, oeil

Revêtu d’or, jardin où les ombres basses

Exultent, balbutiant des airs amnésiques..."

PSAUME IV

Rebelle lascive

Telle la lune blette

Suçant les corps subtils

Des mangues sauvages

Enroulées dans la pluie d’obsidienne...

Courtisane de toutes les brousses

Avaleuse de poisson vivant

Pour mieux apprendre à nager

Dans les moues du fleuve douillet...

Les lacets se cabrent, dans un baiser de peaux, de tôles et de croix

Les laves du dernier décan affleurent,

Saupoudrent l’écloserie de marbre humide

Et la pellicule humide de feu cru

Enfouit les dieux écartelés

Aux moues du fleuve endiablé..."

PSAUME V

Soudain pagayer dans le vent et découdre l’odeur légère de la forêt

Chasser les désirs cueillis dans la poudre des oiseaux rares

Et repriser dans les entrailles des pétales juteux...

Puis amarrer à la lumière verticale des matins

Un éclair avec le mot “boum”.

PSAUME VI

"Nomades, où sont les nuits ?"

Grince l’arc débandé du soleil

Embrassé à la portée de cristal

Des nuages en menstrues...

Peut-être que la nuit décante
Blottie dans le nid du large

Faite une enfant, se vautre

Sous les flottilles de jasmin

Dévastant les marées,

Traquant le ressac du temps...

Peut-être que la nuit accouche
Bien après les chaleurs

Faite une gueuse, brise

De son cœur de soprano

Les rames de glace de la lune qui s’épand

Dans un banc d’aquarelles...

Ou peut-être, la nuit, peut-être

La nuit, lisse et lasse,

Allaite les étoiles prises

Aux moustiquaires de cendre

Où le ciel foudroyé

Bat en retraite la chamade.

Peut-être qu’elle arraisonne
Les frêles écailles de l’orgasme total

Pour que nul ne sache

Qu’elle est née sans nombril,

Pour que nul ne sache

Qu’elle est grosse d’un jour

Au goût de sel...

PSAUME VII

"Abysses en vue !" vocifère l’huile en larmes

Faisant voler dans l’onguent vagabond

Les feux follets sortis de leur miroir,

Condors de phosphore, cyclones désemparés

Où se bousculent, palefrenières distraites,

Les couleurs qui rient en allant au supplice...

En chapelets, la lumière débouche, foule, broute,

S’autodévore sous la caresse des truelles,

Moud les étincelles, les taches, les brèches

En route vers le seuil du sacrifice,

Et dans l’embellie de l’œil

Éclot le prétendant buriné

Dans l’apothéose du matin soigneusement peint...

PSAUME VIII

Noyée dans la saumure en flammes

Du soir délicieusement grand ouvert, l’indicible lueur

Cloîtrée dans son écrin liquide

Jalonné de boues, moustiques et palétuviers,

Harponne la braise moribonde de charbon rose

Innombrable qui serpente dans le cirque de sable

A force de nager, à force de nager

Éternellement à joncher les grèves de l’arc-en-ciel.

PSAUME IX

Dans la baie, un sein vert flambe

Campant dans un bain de coton...

L’écho, hypnotique, tourne, tourne, prolifique...

Ô îles, les îles

Notes en menottes, ailes balafrées,

Miels de sel, fiels de ciel...

Ô îles, les îles

Filaments de mangue, eaux assoiffées

Larmes chaudes de tambours incoagulables...

Ô îles, les îles

D’où venez-vous, miettes de sang ?

Comment vous êtes-vous posés, papillons,

Au milieu de la grande termitière d’or bleu ?

PSAUME X

Kaki, dans le jour rectiligne,

Le soleil, bibelot tiède et omniprésent,

Affalé dans les sortilèges

De la pluie ensorceleuse..

.
Incrustée dans son terrier maternel,

Luciole équilibriste,

A demi ivre souffre l’espérance,

Soufflant des goélettes de papier...

Les lunes se rétractent lestes et faibles,

La visibilité est bonne

De chenaux en détroits, vont, naufragées,

En débandade, les voluptés,

Roues flamboyantes

Dilacérant les haillons allumés

Des orbites sismiques..

PSAUME XI

Zéro heure, la chauve cascade

Où le délire se découd

Dans les courbes de l’ennui...

Zéro heure, l’édentée

Déchirant les échos

Des obsèques de minuit...

Zéro heure, poupée

Aptère, assoupie

A l’ombre des rêves...

Cartomancienne hérétique

Châtrant les éruptions chagrines,

Châtrant, multipliant les yeux

Vers les plages pourpres...

Zéro heure, nymphe sourde

Défunte à la canne bossue,

Hissant le grand pavois

De la couleur polyphonique,

L’accord,

La peau du poète,

Éclipse magique

De tous les déluges...

PSAUME XII

Songes dans l’extrême sud

Monochromatique

Ancres tapissées,

Couples éteints, inflorescences...

Chevaux cardiaques

Occultés dans un nid lunaire...

Passager de la nef du fou

Fouetté par le roi si bémol

Qui monte à l’échafaud...

Battements rupestres,

Sentiers crevant les lieues

Au rythme des ailes de nuages...

La pluie soudain s’est tue

La liesse s’est tue soudain

Dilapidée dans ce jour rongé...

PSAUME XIII

Éteint dans la lumière, le portraitiste

Brûle l’absence mate,

La suie insolite...

La haute mer se dilue..

L’arche hiberne aussi **** que porte la vie

Dans son sanctuaire de sève

Où la terre saigne ses eaux bouclées

Qui écument des épaves de pierre

Aussi **** que porte la vie.

PSAUME XIV

Les îles du matin m’embrassent

Après une nuit de lune rase

Le ronflement du rayon

Macule en naissant le chœur torride

De l’alcôve qui s’écaille émaillée.

Entre traits, tracés et rayures

Flottent des oranges polymorphes

A portée des mains...

Sous la ménagerie de ses eaux poissonneuses

La gomme méthylique du soleil

Frotte dans le bassin d’étincelles

L’orchestre infime de ce lointain carnaval renié

Qui crépite, savonné...

Entre gravillons et bulles

Flottent des oranges polymorphes

A portée des mains...

Devant l’horloge en rut

Se signent les orangers...

Le soleil consent à la lune

La mare de feu

Greffée dans le pouls vivace de l’ombre ivre...

Entre ruines et volutes

Flottent des oranges polymorphes

Scandaleusement

A portée des mains...

PSAUME XV

Le matin nage, innombrable

Salamandre aux cent venins de verre

Qui se distillent dans une encre de cendres

Offertes au soleil insatiable...

Dans le calice débordant

Des récoltes que la nuit

Ne grignote qu’à moitié,

Les sargasses du désir plongent,

Cinglant le silence des incohérences...

Hilare, la lune

Se réveille et butine

Le nectar indigo

Qui s’attarde

Comme une musique rétinienne

Aux confins du jour...

Ainsi emmurés vifs

Dans le flux impénétrable des reflets,

Vont à l’aveuglette

Dans le palais des singes volants

L’amour et ses tribus aborigènes

Veillant sur la toison rouge du ciel...

PSAUME XVI

Mon deuil échoue à l’aube

Les yeux ouverts sur les laves

De ce volcan éteint

Où s’apaisent les étoiles...

La flèche de l’archer s’évanouit, fauchée...

Le licol de mousseline de l’archipel précieux

Vacille, se dissout,

Orphelin mélancolique

Murmurant des baisers d’aniline

Aux marges du rêve...

Insomnuit d’été

Si seulement je pouvais rêver !

PSAUME XVII

Sur l’échiquier, la nuit chancelle, vénéneuse...

Un vaisseau de pierre au galop s’envole

Au chevet de la mer noyée

Suant la résine...

Sifflotant, le saltimbanque

Éconduit les horizons pétales

Pris du soleil gemme étanche

Dans les écumes du ciel d’étain...

Bientôt, les lunes oscillent

Ondulent, se dérobent frivoles,

L’étalon noir se dissipe

Décochant des flèches en forme de cœur...

Quelque chose se brise dans le noir :

Était-ce un masque ou un miroir ?

Quand luit la dernière tranche d’ombre

Déboussolées, dans la dune de verre, les étoiles

Bégaient...

Les coquilles se détellent de la terre réfractaire...

Le soleil dévastateur s’abreuve de ciel

Cachant les antres de brai...

Tâtant les décadences nacrées

Ointes de sueurs salines

L’amazone enfin répudiée

Chantonne aux aguets

Dans la baie couleur sépia...

PSAUME XVIII

Clic
Hennissement aveugle, l’île

Se déhanche

Toute soie et serpent

Contre l’épi de maïs vert...

Clac
“Marée basse”, dit la reine-mère...

Aucune abeille ne rame,

Ne laboure les pollens de la mer...

Clic
**** des brise-lames

Lisses et bouillonnants

Des crinières sans fin et du goémon,

L’iguane sous la villa jaune...

Le long des bougies

Coule le gouvernail du silence...

Clic
Sous les fleurs délabrées de l’éclair

Dans leur hamac vert

Les vagues veuves, les vagues nues

Courent après les lunes

Et lentement chantent les araignées...

Clic
Parfums de lumière

Qui jouent, jouent, jouent

Se décomposent

Dans une brise d’alcools...

Clic
Chimères de la mer, coup de sifflet final

Rongeant les sables glauques

Les tranchées dans le ciel ouvert

Tapis du soleil et son essaim de sujets...

Clic
La nuit, la mer fructifie

Au ralenti...

PSAUME XIX

"Au feu, au feu !

Feu à la dérive !"

Scandent deux coléoptères...

Le feu fuit !

Le magicien s’est brûlé

A faire sa magie.

Le pôle s’évapore,

Le puits fait l’aumône,

L’enfant aboie,

La moto boite,

La forêt détale,

Le lion se vêt de singe

Noir et doré

Et petit à petit

Va planer

Au-dessus de l’autel fugace

Où gît

Hululant, pullulant, virulent,

Le vol agile craché

Du saxophone ténor...

L’hiver fouette le ciel,

La terre meurt prématurée,

Liane après liane,

Sécrétant comme vestiges

Le tapis de talc

D’une aile de sirène

Et le vertige nuptial

De deux notes jaunes inachevées

Au sein des similitudes.

PSAUME **

Prunelle de gris jaune
Prunelle nuit et mer
Bleu coursier d’argile
Tigresse à la crinière couleur de brume.
Dans le rare verger qu’est l’amour
Audacieuse, elle va, incendiaire
Empaillée dans un paquebot hystérique
Vers le hasard des quais identiques
Les yeux pleins de chaux.

Dans ce chant veuf, dans cette capitale pyromane
La voilà, légère,
Aspirant les équinoxes dans cet air enchaîné
En selle pour un bain d’herbes monastique
Geôlière verte
D’émeraude pure...

PSAUME XXI

L’accordéoniste des abysses
Peint dans l’œil de l’obscur :
Un nuage en zigzaguant
Ancre aux eaux du vide.

Et le gong sue...timide.
Et comme en un tango antique
S’écoule le cri acide

Des teintes atteintes par les balles,
Hoquet du temps incarné
A l’aube d’une pluie sèche de chaleurs vertes.
Et le gong sue...tumide.

Et comme en un tango marin
Caracole la pirogue étoilée du tigre intime
Renversant de son parapluie
Les certitudes les plus ensevelies de la peur.

Et le gong sue...tumide.
Et les papillons enfantent
Des flammes dans les sables mouvants,
Des harpes éoliennes
Comme des gymnastes hués par le soleil en ruines
A la recherche des marées sèches.

Et le gong sue... tumide.
Et comme en un tango de funambules
Les œillères des brebis galeuses
Traversent la toile, vieillissent, exhument le salpêtre
D’un bandonéon dont la sueur incendie les cernes
De la nuit qui jazze...

PSAUME XXII

Tendrement
Le messager lit
Les lignes du vent,
Prend le pouls
Du ventre jaspé
De la basilique d’encre de chine :

-Là-bas, sous les monts de Vénus
Rode le messager,
Troubadour englouti
Par une lave obscure,

Passager invisible
Des failles muettes
Qu’il restaure encore...

Tendrement
Le messager
Harponne
Les coquilles du temps...
A la pointe de l’hameçon,

Un morceau de vitrail
Où à peine filtre
La lueur des entrailles,
On devine soudain
La forme d’un cheval marron
Qui hennit.

PSAUME XXIII

Bleu roi
De ces couleurs pièges.
Bleu de ces teintes imprévisibles.
Issu du venin tribal
Des roses du désert
Le bleu tombe,
Comme un nuage de coton doux,
Sur la brousse atlantique des lèvres
Enflées de secrets,
Où, hystérique, il donne le jour
Sous le kiosque sympathique des pluies cyanes
A une larme de sang,
Daltonienne.

Bleu roi
De ces couleurs mutantes :
Seul le baiser de cobalt réchauffe
Les escales mélancoliques
De ces ailes closes,
Révèle les jeux d’artifice,
Et murmurant des flammes,
Fait évanouir
Le deuil magnétique
Des rênes d’ivoire...

La flèche de l’archer pénètre,
Débridée,
Le voile de mousseline de l’archipel précieux
Qui vacille, se dissout,
Orphelin en suspens, spectre d’aniline
Aux gants d’émeraude
Et aux chaussons d’améthyste...

PSAUME XXIV

Dormir, virgule,
Souffler doucement
Des cases jumelles,
Ramper à nouveau, gigoter,
Jusqu’à ce que tout ne soit plus
Qu’une seule immensité...

Au lieu de l’abîme
La clairière dans la caféière.
Dormir, virgule,
Ça et là,
Lune bleue
Embuée
Sous la baguette du silence...

Le rêve entre et sort

Et jusqu’aux nuages
Craignent la chute
Vers le sommeil...

PSAUME XXV

Les îles et une nuits
Me font chavirer,
Je fuis,
Naufragée inlassable,
Hors du clan tentaculaire
Vers la clarté volatile
Des voiles incendiaires...

Mes nerfs à la fleur du large
Bifurquent,
S’évaporent en filigranes
Plus **** encore...

Bleu nuit devient la mer
Aux portes de son repaire
Ancré à la rive gauche du cœur.

La crique n’est plus ce qu’elle était :
La neige reptile teint les dauphins de rose...
Éden ?
De temps à autre

Passe un trapèze
Balayant le silence.

PSAUME XXVI

Ô Reine, Notre Duc
Sous tes ongles laqués
J’imagine un ciel rouge
Aux parfums de lait de cobra...
Le soleil fait pleuvoir des sceptres sur le fleuve
Et des piranhas aux dents d’eau
Larguent des cerfs-volants sans fin...

“Chantez les très riches heures de l’En-Dehors !”
Crie à la face du levant
Un caméléon qui lisse les ailes du hasard
Planté dans le dédale de ta langue baccarat.

PSAUME XXVII

Près de la passerelle d’ivoire :
“Odyssées,
Métamorphoses,
Mues,
Je vous aime !” "
À Mademoiselle Louise Crombach.

Vous le saurez ! La vie a des abîmes
Cachés au **** sous d'innombrables fleurs ;
Les rossignols qui chantent à leurs cimes,
Où chantent-ils dans la saison des pleurs ?
Vous le saurez ! La vie a des abîmes
Cachés au **** sous d'innombrables fleurs.

Oui, la jeunesse est le pays des larmes.
Moi, je le sais : j'en viens, je pleure encor,
Le front vibrant de ses feux, de ses charmes,
Le coeur brisé de son dernier accord !
Oui, la jeunesse est le pays des larmes.
Moi je le sais : j'en viens, je pleure encor !

Lorsqu'on finit d'être jeune, on s'arrête :
À tant de jours on veut reprendre un jour ;
Ils sont partis, et l'on penche sa tête.
D'un tel voyage à quand donc le retour ?
Lorsqu'on finit d'être jeune, on s'arrête :
À tant de jours on veut reprendre un jour.

Souffrant tout bas de ses mille blessures,
On croit mourir : on plie, on ne meurt pas !
De tous serpents Dieu guérit les morsures,
Et le dictame est semé sous nos pas.
Souffrant tout bas de ses mille blessures,
On croit mourir : on plie, on ne meurt pas !

Rappelez-vous ce chant d'une glaneuse
Qui s'arrêta pour serrer votre main ;
Et si du sort l'étoile lumineuse
Vous mûrit mieux les épis du chemin,
Rappelez-vous ce chant d'une glaneuse
Qui s'arrêta pour serrer votre main.
Jeune homme ! je te plains ; et cependant j'admire
Ton grand parc enchanté qui semble nous sourire,
Qui fait, vu de ton seuil, le tour de l'horizon,
Grave ou joyeux suivant le jour et la saison,  
Coupé d'herbe et d'eau vive, et remplissant huit lieues
De ses vagues massifs et de ses ombres bleues.
J'admire ton domaine, et pourtant je te plains !
Car dans ces bois touffus de tant de grandeur pleins,
Où le printemps épanche un faste sans mesure,
Quelle plus misérable et plus pauvre masure
Qu'un homme usé, flétri, mort pour l'illusion,
Riche et sans volupté, jeune et sans passion,  
Dont le coeur délabré, dans ses recoins livides,
N'a plus qu'un triste amas d'anciennes coupes vides,  
Vases brisés qui n'ont rien gardé que l'ennui,
Et d'où l'amour, la joie et la candeur ont fui !

Oui, tu me fais pitié, toi qui crois faire envie !
Ce splendide séjour sur ton coeur, sur ta vie,
Jette une ombre ironique, et rit en écrasant
Ton front terne et chétif d'un cadre éblouissant.

Dis-moi, crois-tu, vraiment posséder ce royaume
D'ombre et de fleurs, où l'arbre arrondi comme un dôme,
L'étang, lame d'argent que le couchant fait d'or,
L'allée entrant au bois comme un noir corridor,
Et là, sur la forêt, ce mont qu'une tour garde,
Font un groupe si beau pour l'âme qui regarde !
Lieu sacré pour qui sait dans l'immense univers,
Dans les prés, dans les eaux et dans les vallons verts,
Retrouver les profils de la face éternelle
Dont le visage humain n'est qu'une ombre charnelle !

Que fais-tu donc ici ? Jamais on ne te voit,
Quand le matin blanchit l'angle ardoisé du toit,
Sortir, songer, cueillir la fleur, coupe irisée
Que la plante à l'oiseau tend pleine de rosée,
Et parfois t'arrêter, laissant pendre à ta main
Un livre interrompu, debout sur le chemin,
Quand le bruit du vent coupe en strophes incertaines
Cette longue chanson qui coule des fontaines.

Jamais tu n'as suivi de sommets en sommets
La ligne des coteaux qui fait rêve ; jamais
Tu n'as joui de voir, sur l'eau qui reflète,
Quelque saule noueux tordu comme un athlète.
Jamais, sévère esprit au mystère attaché,
Tu n'as questionné le vieux orme penché
Qui regarde à ses pieds toute la pleine vivre
Comme un sage qui rêve attentif à son livre.

L'été, lorsque le jour est par midi frappé,
Lorsque la lassitude a tout enveloppé,
A l'heure où l'andalouse et l'oiseau font la sieste,
Jamais le faon peureux, tapi dans l'antre agreste,
Ne te vois, à pas lents, **** de l'homme importun,
Grave, et comme ayant peur de réveiller quelqu'un,
Errer dans les forêts ténébreuses et douces
Où le silence dort sur le velours des mousses.

Que te fais tout cela ? Les nuages des cieux,
La verdure et l'azur sont l'ennui de tes yeux.
Tu n'est pas de ces fous qui vont, et qui s'en vantent,
Tendant partout l'oreille aux voix qui partout chantent,
Rendant au Seigneur d'avoir fait le printemps,
Qui ramasse un nid, ou contemple longtemps
Quelque noir champignon, monstre étrange de l'herbe.
Toi, comme un sac d'argent, tu vois passer la gerbe.
Ta futaie, en avril, sous ses bras plus nombreux
A l'air de réclamer bien des pas amoureux,
Bien des coeurs soupirants, bien des têtes pensives ;

Toi qui jouis aussi sous ses branches massives,
Tu songes, calculant le taillis qui s'accroît,
Que Paris, ce vieillard qui, l'hiver, a si froid,
Attend, sous ses vieux quais percés de rampes neuves,
Ces longs serpents de bois qui descendent les fleuves !
Ton regard voit, tandis que ton oeil flotte au ****,
Les blés d'or en farine et la prairie en foin ;
Pour toi le laboureur est un rustre qu'on paie ;
Pour toi toute fumée ondulant, noire ou gaie,
Sur le clair paysage, est un foyer impur
Où l'on cuit quelque viande à l'angle d'un vieux mur.
Quand le soir tend le ciel de ses moires ardentes
Au dos d'un fort cheval assis, jambes pendantes,
Quand les bouviers hâlés, de leur bras vigoureux
Pique tes boeufs géants qui par le chemin creux
Se hâtent pêle-mêle et s'en vont à la crèche,
Toi, devant ce tableau tu rêves à la brèche
Qu'il faudra réparer, en vendant tes silos,
Dans ta rente qui tremble aux pas de don Carlos !

Au crépuscule, après un long jour monotone,
Tu t'enfermes chez toi. Les tièdes nuits d'automne
Versent leur chaste haleine aux coteaux veloutés.
Tu n'en sais rien. D'ailleurs, qu'importe ! A tes côtés,
Belles, leur bruns cheveux appliqués sur les tempes,
Fronts roses empourprés par le reflet des lampes,
Des femmes aux yeux purs sont assises, formant
Un cercle frais qui borde et cause doucement ;
Toutes, dans leurs discours où rien n'ose apparaître,
Cachant leurs voeux, leur âmes et leur coeur que peut-être
Embaume un vague amour, fleur qu'on ne cueille pas,
Parfum qu'on sentirait en se baissant tout bas.
Tu n'en sais rien. Tu fais, parmi ces élégies,
Tomber ton froid sourire, où, sous quatre bougies,
D'autres hommes et toi, dans un coin attablés
Autour d'un tapis vert, bruyants, vous querellez
Les caprices du whist, du brelan ou de l'hombre.
La fenêtre est pourtant pleine de lune et d'ombre !

Ô risible insensé ! vraiment, je te le dis,
Cette terre, ces prés, ces vallons arrondis,
Nids de feuilles et d'herbe où jasent les villages,
Ces blés où les moineaux ont leurs joyeux pillages,
Ces champs qui, l'hiver même, ont d'austères appas,
Ne t'appartiennent point : tu ne les comprends pas.

Vois-tu, tous les passants, les enfants, les poètes,
Sur qui ton bois répand ses ombres inquiètes,
Le pauvre jeune peintre épris de ciel et d'air,
L'amant plein d'un seul nom, le sage au coeur amer,
Qui viennent rafraîchir dans cette solitude,
Hélas ! l'un son amour et l'autre son étude,
Tous ceux qui, savourant la beauté de ce lieu,
Aiment, en quittant l'homme, à s'approcher de Dieu,
Et qui, laissant ici le bruit vague et morose
Des troubles de leur âme, y prennent quelque chose
De l'immense repos de la création,
Tous ces hommes, sans or et sans ambition,
Et dont le pied poudreux ou tout mouillé par l'herbe
Te fait rire emporté par ton landau superbe,
Sont dans ce parc touffu, que tu crois sous ta loi,
Plus riches, plus chez eux, plus les maîtres que toi,
Quoique de leur forêt que ta main grille et mure
Tu puisses couper l'ombre et vendre le murmure !

Pour eux rien n'est stérile en ces asiles frais.
Pour qui les sait cueillir tout a des dons secrets.
De partout sort un flot de sagesse abondante.
L'esprit qu'a déserté la passion grondante,
Médite à l'arbre mort, aux débris du vieux pont.
Tout objet dont le bois se compose répond
A quelque objet pareil dans la forêt de l'âme.
Un feu de pâtre éteint parle à l'amour en flamme.
Tout donne des conseils au penseur, jeune ou vieux.
On se pique aux chardons ainsi qu'aux envieux ;
La feuille invite à croître ; et l'onde, en coulant vite,
Avertit qu'on se hâte et que l'heure nous quitte.
Pour eux rien n'est muet, rien n'est froid, rien n'est mort.
Un peu de plume en sang leur éveille un remord ;
Les sources sont des pleurs ; la fleur qui boit aux fleuves,
Leur dit : Souvenez-vous, ô pauvres âmes veuves !

Pour eux l'antre profond cache un songe étoilé ;
Et la nuit, sous l'azur d'un beau ciel constellé,
L'arbre sur ses rameaux, comme à travers ses branches,
Leur montre l'astre d'or et les colombes blanches,
Choses douces aux coeurs par le malheur ployés,
Car l'oiseau dit : Aimez ! et l'étoile : Croyez !

Voilà ce que chez toi verse aux âmes souffrantes
La chaste obscurité des branches murmurantes !
Mais toi, qu'en fais tu ? dis. - Tous les ans, en flots d'or,
Ce murmure, cette ombre, ineffable trésor,
Ces bruits de vent qui joue et d'arbre qui tressaille,
Vont s'enfouir au fond de ton coffre qui bâille ;
Et tu changes ces bois où l'amour s'enivra,
Toute cette nature, en loge à l'opéra !

Encor si la musique arrivait à ton âme !
Mais entre l'art et toi l'or met son mur infâme.
L'esprit qui comprend l'art comprend le reste aussi.
Tu vas donc dormir là ! sans te douter qu'ainsi
Que tous ces verts trésors que dévore ta bourse,
Gluck est une forêt et Mozart une source.

Tu dors ; et quand parfois la mode, en souriant,
Te dit : Admire, riche ! alors, joyeux, criant,
Tu surgis, demandant comment l'auteur se nomme,
Pourvu que toutefois la muse soit un homme !
Car tu te roidiras dans ton étrange orgueil
Si l'on t'apporte, un soir, quelque musique en deuil,
Urne que la pensée a chauffée à sa flamme,
Beau vase où s'est versé tout le coeur d'une femme.

Ô seigneur malvenu de ce superbe lieu !
Caillou vil incrusté dans ces rubis en feu !
Maître pour qui ces champs sont pleins de sourdes haines !
Gui parasite enflé de la sève des chênes !
Pauvre riche ! - Vis donc, puisque cela pour toi
C'est vivre. Vis sans coeur, sans pensée et sans foi.
Vis pour l'or, chose vile, et l'orgueil, chose vaine.
Végète, toi qui n'as que du sang dans la veine,
Toi qui ne sens pas Dieu frémir dans le roseau,
Regarder dans l'aurore et chanter dans l'oiseau !

Car, - et bien que tu sois celui qui rit aux belles
Et, le soir, se récrie aux romances nouvelles, -
Dans les coteaux penchants où fument les hameaux,
Près des lacs, près des fleurs, sous les larges rameaux,
Dans tes propres jardins, tu vas aussi stupide,
Aussi peu clairvoyant dans ton instinct cupide,
Aussi sourd à la vie à l'harmonie, aux voix,
Qu'un loup sauvage errant au milieu des grands bois !

Le 22 mai 1837.
Nuit noire mais belle de Malaga
Empoisonne-moi
De tes hamecons et de tes leurres
Envenime-moi
De tes vers luisants et polissons
Qui gigotent dans le vin du clair de lune
Instille-moi de tes piqûres,  de tes ourlets
Des criquets qui chantent au fond de tes criques
Innocule-moi
Tes vaccins, tes rappels et tes antidotes
Cachés au creux des terriers
Des mangues et des câpres qui mûrissent
Sous tes obscènes caresses.
Obsède-moi
De la froidure romantique de tes rhums capiteux
Muselle-moi dans  la cannelle de ta souricière
Bâillonne-moi de tes eaux de Styx
Engloutis
Capture
Relâche
Aspire-moi de tes yeux de khôl
Je ne suis qu'étincelle
Infime brindille incandescente d'amour
Dans l'attente fébrile du point du jour.
Lux
I.

Temps futurs ! vision sublime !
Les peuples sont hors de l'abîme.
Le désert morne est traversé.
Après les sables, la pelouse ;
Et la terre est comme une épouse,
Et l'homme est comme un fiancé !

Dès à présent l'œil qui s'élève
Voit distinctement ce beau rêve
Qui sera le réel un jour ;
Car Dieu dénouera toute chaîne,
Car le passé s'appelle haine
Et l'avenir se nomme amour !

Dès à présent dans nos misères
Germe l'***** des peuples frères ;
Volant sur nos sombres rameaux,
Comme un frelon que l'aube éveille,
Le progrès, ténébreuse abeille,
Fait du bonheur avec nos maux.

Oh ! voyez ! la nuit se dissipe.
Sur le monde qui s'émancipe,
Oubliant Césars et Capets,
Et sur les nations nubiles,
S'ouvrent dans l'azur, immobiles,
Les vastes ailes de la paix !

Ô libre France enfin surgie !
Ô robe blanche après l'orgie !
Ô triomphe après les douleurs !
Le travail bruit dans les forges,
Le ciel rit, et les rouges-gorges
Chantent dans l'aubépine en fleurs !

La rouille mord les hallebardes.
De vos canons, de vos bombardes
Il ne reste pas un morceau
Qui soit assez grand, capitaines,
Pour qu'on puisse prendre aux fontaines
De quoi faire boire un oiseau.

Les rancunes sont effacées ;
Tous les cœurs, toutes les pensées,
Qu'anime le même dessein,
Ne font plus qu'un faisceau superbe ;
Dieu prend pour lier cette gerbe
La vieille corde du tocsin.

Au fond des cieux un point scintille.
Regardez, il grandit, il brille,
Il approche, énorme et vermeil.
Ô République universelle,
Tu n'es encor que l'étincelle,
Demain tu seras le soleil !

II.

Fêtes dans les cités, fêtes dans les campagnes !
Les cieux n'ont plus d'enfers, les lois n'ont plus de bagnes.
Où donc est l'échafaud ? ce monstre a disparu.
Tout renaît. Le bonheur de chacun est accru
De la félicité des nations entières.
Plus de soldats l'épée au poing, plus de frontières,
Plus de fisc, plus de glaive ayant forme de croix.

L'Europe en rougissant dit : - Quoi ! j'avais des rois !
Et l'Amérique dit. - Quoi ! j'avais des esclaves !
Science, art, poésie, ont dissous les entraves
De tout le genre humain. Où sont les maux soufferts ?
Les libres pieds de l'homme ont oublié les fers.
Tout l'univers n'est plus qu'une famille unie.
Le saint labeur de tous se fond en harmonie
Et la société, qui d'hymnes retentit,
Accueille avec transport l'effort du plus petit
L'ouvrage du plus humble au fond de sa chaumière
Emeut l'immense peuple heureux dans la lumière
Toute l'humanité dans sa splendide ampleur
Sent le don que lui fait le moindre travailleur ;
Ainsi les verts sapins, vainqueurs des avalanches,
Les grands chênes, remplis de feuilles et de branches,
Les vieux cèdres touffus, plus durs que le granit,
Quand la fauvette en mai vient y faire son nid,
Tressaillent dans leur force et leur hauteur superbe,
Tout joyeux qu'un oiseau leur apporte un brin d'herbe.

Radieux avenir ! essor universel !
Epanouissement de l'homme sous le ciel !

III.

Ô proscrits, hommes de l'épreuve,
Mes compagnons vaillants et doux,
Bien des fois, assis près du fleuve,
J'ai chanté ce chant parmi vous ;

Bien des fois, quand vous m'entendîtes,
Plusieurs m'ont dit : « Perds ton espoir.
Nous serions des races maudites,
Le ciel ne serait pas plus noir !

« Que veut dire cette inclémence ?
Quoi ! le juste a le châtiment !
La vertu s'étonne et commence
À regarder Dieu fixement.

« Dieu se dérobe et nous échappe.
Quoi donc ! l'iniquité prévaut !
Le crime, voyant où Dieu frappe,
Rit d'un rire impie et dévot.

« Nous ne comprenons pas ses voies.
Comment ce Dieu des nations
Fera-t-il sortir tant de joies
De tant de désolations ?

« Ses desseins nous semblent contraires
À l'espoir qui luit dans tes yeux... »
- Mais qui donc, ô proscrits, mes frères,
Comprend le grand mystérieux ?

Qui donc a traversé l'espace,
La terre, l'eau, l'air et le feu,
Et l'étendue où l'esprit passe ?
Qui donc peut dire : « J'ai vu Dieu !

« J'ai vu Jéhova ! je le nomme !
Tout à l'heure il me réchauffait.
Je sais comment il a fait l'homme,
Comment il fait tout ce qu'il fait !

« J'ai vu cette main inconnue
Qui lâche en s'ouvrant l'âpre hiver,
Et les tonnerres dans la nue,
Et les tempêtes sur la mer,

« Tendre et ployer la nuit livide ;
Mettre une âme dans l'embryon ;
Appuyer dans l'ombre du vide
Le pôle du septentrion ;

« Amener l'heure où tout arrive ;
Faire au banquet du roi fêté
Entrer la mort, ce noir convive
Qui vient sans qu'on l'ait invité ;

« Créer l'araignée et sa toile,
Peindre la fleur, mûrir le fruit,
Et, sans perdre une seule étoile,
Mener tous les astres la nuit ;

« Arrêter la vague à la rive ;
Parfumer de roses l'été ;
Verser le temps comme une eau vive
Des urnes de l'éternité ;

« D'un souffle, avec ses feux sans nombre,
Faire, dans toute sa hauteur,
Frissonner le firmament sombre
Comme la tente d'un pasteur ;

« Attacher les globes aux sphères
Par mille invisibles liens...
Toutes ces choses sont très claires.
Je sais comment il fait ! j'en viens ! »

Qui peut dire cela ? personne.
Nuit sur nos cœurs ! nuit sur nos yeux !
L'homme est un vain clairon qui sonne.
Dieu seul parle aux axes des cieux.

IV.

Ne doutons pas ! croyons ! La fin, c'est le mystère.
Attendons. Des Nérons comme de la panthère
Dieu sait briser la dent.
Dieu nous essaie, amis. Ayons foi, soyons cannes,
Et marchons. Ô désert ! s'il fait croître des palmes,
C'est dans ton sable ardent !

Parce qu'il ne fait pas son œuvre tout de suite,
Qu'il livre Rome au prêtre et Jésus au jésuite,
Et les bons au méchant,
Nous désespérerions ! de lui ! du juste immense !
Non ! non ! lui seul connaît le nom de la -semence
Qui germe dans son champ.

Ne possède-t-il pas toute la certitude ?
Dieu ne remplit-il pas ce monde, notre étude,
Du nadir au zénith ?
Notre sagesse auprès de la sienne est démence.
Et n'est-ce pas à lui que la clarté commence,
Et que l'ombre finit ?

Ne voit-il pas ramper les hydres sur leurs ventres ?
Ne regarde-t-il pas jusqu'au fond de leurs antres
Atlas et Pélion ?
Ne connaît-il pas l'heure où la cigogne émigre ?
Sait-il pas ton entrée et ta sortie, ô tigre,
Et ton antre, ô lion ?

Hirondelle, réponds, aigle à l'aile sonore,
Parle, avez-vous des nids que l'Eternel ignore ?
Ô cerf, quand l'as-tu fui ?
Renard, ne vois-tu pas ses yeux dans la broussaille ?
Loup, quand tu sens la nuit une herbe qui tressaille,
Ne dis-tu pas : c'est lui !

Puisqu'il sait tout cela, puisqu'il peut toute chose,
Que ses doigts font jaillir les effets de la cause
Comme un noyau d'un fruit,
Puisqu'il peut mettre un ver dans les pommes de l'arbre,
Et faire disperser les colonnes de marbre
Par le vent de la nuit ;

Puisqu'il bat l'océan pareil au bœuf qui beugle,
Puisqu'il est le voyant et que l'homme est l'aveugle,
Puisqu'il est le milieu,
Puisque son bras nous porte, et puisqu'à soir passage
La comète frissonne ainsi qu'en une cage
Tremble une étoupe en feu ;

Puisque l'obscure nuit le connaît, puisque l'ombre
Le voit, quand il lui plaît, sauver la nef qui sombre,
Comment douterions-nous,
Nous qui, fermes et purs, fiers dans nos agonies,
Sommes debout devant toutes les tyrannies,
Pour lui seul à genoux !

D'ailleurs, pensons. Nos jours sont des jours d'amertume,
Mais quand nous étendons les bras dans cette brume,
Nous sentons une main ;
Quand nous marchons, courbés, dans l'ombre du martyre,
Nous entendons quelqu'un derrière nous nous dire :
C'est ici le chemin.

Ô proscrits, l'avenir est aux peuples ! Paix, gloire,
Liberté, reviendront sur des chars de victoire
Aux foudroyants essieux ;
Ce crime qui triomphe est fumée et mensonge,
Voilà ce que je puis affirmer, moi qui songe
L'œil fixé sur les cieux !

Les césars sont plus fiers que les vagues marines,
Mais Dieu dit : « Je mettrai ma boucle en leurs narines,
Et dans leur bouche un mors,
Et je les traînerai, qu'on cède ou bien qu'on lutte,
Eux et leurs histrions et leurs joueurs de flûte,
Dans l'ombre où sont les morts. »

Dieu dit ; et le granit que foulait leur semelle
S'écroule, et les voilà disparus pêle-mêle
Dans leurs prospérités !
Aquilon ! aquilon ! qui viens battre nos portes,
Oh ! dis-nous, si c'est toi, souffle, qui les emportes,
Où les as-tu jetés ?

V.

Bannis ! bannis ! bannis ! c'est là la destinée.
Ce qu'apporté le flux sera dans la journée
Repris par le reflux.
Les jours mauvais fuiront sans qu'on sache leur nombre,
Et les peuples joyeux et se penchant sur l'ombre
Diront : Cela n'est plus !

Les temps heureux luiront, non pour la seule France,
Mais pour tous. On verra dans cette délivrance,
Funeste au seul passé,
Toute l'humanité chanter, de fleurs couverte,
Comme un maître qui rentre en sa maison déserte
Dont on l'avait chassé.

Les tyrans s'éteindront comme des météores.
Et, comme s'il naissait de la nuit deux aurores
Dans le même ciel bleu,
Nous vous verrous sortir de ce gouffre où nous sommes,
Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes,
Paternité de Dieu !

Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète,
Car le clairon redit ce que dit la trompette,
Tout sera paix et jour !
Liberté ! plus de serf et plus de prolétaire !
Ô sourire d'en haut ! ô du ciel pour la terre
Majestueux amour !

L'arbre saint du Progrès, autrefois chimérique,
Croîtra, couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique,
Sur le passé détruit,
Et, laissant l'éther pur luire à travers ses branches,
Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches,
Plein d'étoiles, la nuit.

Et nous qui serons morts, morts dans l'exil peut-être,
Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître,
Vivront, plus fiers, plus beaux,
Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine,
Nous nous réveillerons pour baiser sa racine
Au fond de nos tombeaux !

Jersey, du 16 au 20 décembre 1853.
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,

A genoux, cinq petits, - misère ! -
Regardent le Boulanger faire
Le lourd pain blond.

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise et qui l'enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le Boulanger au gras sourire
Grogne un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.

Quand pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche
On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,

Que ce trou chaud souffle la vie,
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres Jésus pleins de givre,
Qu'ils sont là tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au treillage, grognant des choses
Entre les trous,

Tout bêtes, faisant leurs prières
Et repliés vers ces lumières
Du ciel rouvert,

Si fort qu'ils crèvent leur culotte
Et que leur chemise tremblote
Au vent d'hiver.
À Manoel de Barros

PSAUME I

Tapi dans la mangrove, bondissant...sautant-matant

Le ciel aux trois-quarts nu

De giraumon, de pissat et de sang...

Assis sur le trottoir, le ciel tousse

Kein-hein kein-hein

Ivre de parfums rouges errants,

De brocarts et de confettis à ses trousses.

Assis à marée basse, électrique...

Insensible aux chevaux des dieux

Qui tournoient

Au-dessus des tambours

Qui chavirent

Insensibles

Aux orgues charnelles

Des moites guérisseuses...

Le ciel caracole,

Glisse, contorsionniste,

Mascarade immobile

Démêlant le cours des amours burlesques

Entre les atolls obscurs

De pistaches et de bonbons,

D’anges et de démons...

Cabriole, tiède et poisseux,

Cisaille à contre-jour

L’orpailleur en transe

Aboyant dans le sérail de mes âmes

Sevrées, esseulées...

L’aube culbute

Dans les lambeaux du gouffre

Dans les calypsos du soleil

D’où sourdent, dégénérées,

Les jambes et les larmes

Qui fraient encore, exotiques

Sur les pilotis

Du carnaval nocturne

D’où va saillir le jour.

PSAUME II

Il pleut sur le kiosque des songes

Des encres mornes

Comme des brindilles

Enfantées de l’œuf tiède

Où s’aimante

Délicieusement noire

La mygale

Fleuve des nuages

Qui emballe

De son ouate ludique

Le rayon nain

Dérobé

Au serpent arc-en-ciel

Enfin rassasié

PSAUME III

Tellurique, dame Terre esquive les amarres

Effervescentes. Le ciel, hameçon entre les îles,

Rayonne, entonne l’odyssée perpétuelle,

Pion libre dans l’espace

Sempiternellement baigné par les baumes

Incendiaires du soleil obèse, son jumeau

Complice des moissons violées, œcuménique,

Humble, jadis et toujours, Terre :

Oasis, océan, oxygène, oeil

Revêtu d’or, jardin où les ombres basses

Exultent, balbutiant des airs amnésiques..."

PSAUME IV

Rebelle lascive

Telle la lune blette

Suçant les corps subtils

Des mangues sauvages

Enroulées dans la pluie d’obsidienne...

Courtisane de toutes les brousses

Avaleuse de poisson vivant

Pour mieux apprendre à nager

Dans les moues du fleuve douillet...

Les lacets se cabrent, dans un baiser de peaux, de tôles et de croix

Les laves du dernier décan affleurent,

Saupoudrent l’écloserie de marbre humide

Et la pellicule humide de feu cru

Enfouit les dieux écartelés

Aux moues du fleuve endiablé..."

PSAUME V

Soudain pagayer dans le vent et découdre l’odeur légère de la forêt

Chasser les désirs cueillis dans la poudre des oiseaux rares

Et repriser dans les entrailles des pétales juteux...

Puis amarrer à la lumière verticale des matins

Un éclair avec le mot “boum”.

PSAUME VI

"Nomades, où sont les nuits ?"

Grince l’arc débandé du soleil

Embrassé à la portée de cristal

Des nuages en menstrues...

Peut-être que la nuit décante
Blottie dans le nid du large

Faite une enfant, se vautre

Sous les flottilles de jasmin

Dévastant les marées,

Traquant le ressac du temps...

Peut-être que la nuit accouche
Bien après les chaleurs

Faite une gueuse, brise

De son cœur de soprano

Les rames de glace de la lune qui s’épand

Dans un banc d’aquarelles...

Ou peut-être, la nuit, peut-être

La nuit, lisse et lasse,

Allaite les étoiles prises

Aux moustiquaires de cendre

Où le ciel foudroyé

Bat en retraite la chamade.

Peut-être qu’elle arraisonne
Les frêles écailles de l’orgasme total

Pour que nul ne sache

Qu’elle est née sans nombril,

Pour que nul ne sache

Qu’elle est grosse d’un jour

Au goût de sel...

PSAUME VII

"Abysses en vue !" vocifère l’huile en larmes

Faisant voler dans l’onguent vagabond

Les feux follets sortis de leur miroir,

Condors de phosphore, cyclones désemparés

Où se bousculent, palefrenières distraites,

Les couleurs qui rient en allant au supplice...

En chapelets, la lumière débouche, foule, broute,

S’autodévore sous la caresse des truelles,

Moud les étincelles, les taches, les brèches

En route vers le seuil du sacrifice,

Et dans l’embellie de l’œil

Éclot le prétendant buriné

Dans l’apothéose du matin soigneusement peint...

PSAUME VIII

Noyée dans la saumure en flammes

Du soir délicieusement grand ouvert, l’indicible lueur

Cloîtrée dans son écrin liquide

Jalonné de boues, moustiques et palétuviers,

Harponne la braise moribonde de charbon rose

Innombrable qui serpente dans le cirque de sable

A force de nager, à force de nager

Éternellement à joncher les grèves de l’arc-en-ciel.

PSAUME IX

Dans la baie, un sein vert flambe

Campant dans un bain de coton...

L’écho, hypnotique, tourne, tourne, prolifique...

Ô îles, les îles

Notes en menottes, ailes balafrées,

Miels de sel, fiels de ciel...

Ô îles, les îles

Filaments de mangue, eaux assoiffées

Larmes chaudes de tambours incoagulables...

Ô îles, les îles

D’où venez-vous, miettes de sang ?

Comment vous êtes-vous posés, papillons,

Au milieu de la grande termitière d’or bleu ?

PSAUME X

Kaki, dans le jour rectiligne,

Le soleil, bibelot tiède et omniprésent,

Affalé dans les sortilèges

De la pluie ensorceleuse..

.
Incrustée dans son terrier maternel,

Luciole équilibriste,

A demi ivre souffre l’espérance,

Soufflant des goélettes de papier...

Les lunes se rétractent lestes et faibles,

La visibilité est bonne

De chenaux en détroits, vont, naufragées,

En débandade, les voluptés,

Roues flamboyantes

Dilacérant les haillons allumés

Des orbites sismiques..

PSAUME XI

Zéro heure, la chauve cascade

Où le délire se découd

Dans les courbes de l’ennui...

Zéro heure, l’édentée

Déchirant les échos

Des obsèques de minuit...

Zéro heure, poupée

Aptère, assoupie

A l’ombre des rêves...

Cartomancienne hérétique

Châtrant les éruptions chagrines,

Châtrant, multipliant les yeux

Vers les plages pourpres...

Zéro heure, nymphe sourde

Défunte à la canne bossue,

Hissant le grand pavois

De la couleur polyphonique,

L’accord,

La peau du poète,

Éclipse magique

De tous les déluges...

PSAUME XII

Songes dans l’extrême sud

Monochromatique

Ancres tapissées,

Couples éteints, inflorescences...

Chevaux cardiaques

Occultés dans un nid lunaire...

Passager de la nef du fou

Fouetté par le roi si bémol

Qui monte à l’échafaud...

Battements rupestres,

Sentiers crevant les lieues

Au rythme des ailes de nuages...

La pluie soudain s’est tue

La liesse s’est tue soudain

Dilapidée dans ce jour rongé...

PSAUME XIII

Éteint dans la lumière, le portraitiste

Brûle l’absence mate,

La suie insolite...

La haute mer se dilue..

L’arche hiberne aussi **** que porte la vie

Dans son sanctuaire de sève

Où la terre saigne ses eaux bouclées

Qui écument des épaves de pierre

Aussi **** que porte la vie.

PSAUME XIV

Les îles du matin m’embrassent

Après une nuit de lune rase

Le ronflement du rayon

Macule en naissant le chœur torride

De l’alcôve qui s’écaille émaillée.

Entre traits, tracés et rayures

Flottent des oranges polymorphes

A portée des mains...

Sous la ménagerie de ses eaux poissonneuses

La gomme méthylique du soleil

Frotte dans le bassin d’étincelles

L’orchestre infime de ce lointain carnaval renié

Qui crépite, savonné...

Entre gravillons et bulles

Flottent des oranges polymorphes

A portée des mains...

Devant l’horloge en rut

Se signent les orangers...

Le soleil consent à la lune

La mare de feu

Greffée dans le pouls vivace de l’ombre ivre...

Entre ruines et volutes

Flottent des oranges polymorphes

Scandaleusement

A portée des mains...

PSAUME XV

Le matin nage, innombrable

Salamandre aux cent venins de verre

Qui se distillent dans une encre de cendres

Offertes au soleil insatiable...

Dans le calice débordant

Des récoltes que la nuit

Ne grignote qu’à moitié,

Les sargasses du désir plongent,

Cinglant le silence des incohérences...

Hilare, la lune

Se réveille et butine

Le nectar indigo

Qui s’attarde

Comme une musique rétinienne

Aux confins du jour...

Ainsi emmurés vifs

Dans le flux impénétrable des reflets,

Vont à l’aveuglette

Dans le palais des singes volants

L’amour et ses tribus aborigènes

Veillant sur la toison rouge du ciel...

PSAUME XVI

Mon deuil échoue à l’aube

Les yeux ouverts sur les laves

De ce volcan éteint

Où s’apaisent les étoiles...

La flèche de l’archer s’évanouit, fauchée...

Le licol de mousseline de l’archipel précieux

Vacille, se dissout,

Orphelin mélancolique

Murmurant des baisers d’aniline

Aux marges du rêve...

Insomnuit d’été

Si seulement je pouvais rêver !

PSAUME XVII

Sur l’échiquier, la nuit chancelle, vénéneuse...

Un vaisseau de pierre au galop s’envole

Au chevet de la mer noyée

Suant la résine...

Sifflotant, le saltimbanque

Éconduit les horizons pétales

Pris du soleil gemme étanche

Dans les écumes du ciel d’étain...

Bientôt, les lunes oscillent

Ondulent, se dérobent frivoles,

L’étalon noir se dissipe

Décochant des flèches en forme de cœur...

Quelque chose se brise dans le noir :

Était-ce un masque ou un miroir ?

Quand luit la dernière tranche d’ombre

Déboussolées, dans la dune de verre, les étoiles

Bégaient...

Les coquilles se détellent de la terre réfractaire...

Le soleil dévastateur s’abreuve de ciel

Cachant les antres de brai...

Tâtant les décadences nacrées

Ointes de sueurs salines

L’amazone enfin répudiée

Chantonne aux aguets

Dans la baie couleur sépia...

PSAUME XVIII

Clic
Hennissement aveugle, l’île

Se déhanche

Toute soie et serpent

Contre l’épi de maïs vert...

Clac
“Marée basse”, dit la reine-mère...

Aucune abeille ne rame,

Ne laboure les pollens de la mer...

Clic
**** des brise-lames

Lisses et bouillonnants

Des crinières sans fin et du goémon,

L’iguane sous la villa jaune...

Le long des bougies

Coule le gouvernail du silence...

Clic
Sous les fleurs délabrées de l’éclair

Dans leur hamac vert

Les vagues veuves, les vagues nues

Courent après les lunes

Et lentement chantent les araignées...

Clic
Parfums de lumière

Qui jouent, jouent, jouent

Se décomposent

Dans une brise d’alcools...

Clic
Chimères de la mer, coup de sifflet final

Rongeant les sables glauques

Les tranchées dans le ciel ouvert

Tapis du soleil et son essaim de sujets...

Clic
La nuit, la mer fructifie

Au ralenti...

PSAUME XIX

"Au feu, au feu !

Feu à la dérive !"

Scandent deux coléoptères...

Le feu fuit !

Le magicien s’est brûlé

A faire sa magie.

Le pôle s’évapore,

Le puits fait l’aumône,

L’enfant aboie,

La moto boite,

La forêt détale,

Le lion se vêt de singe

Noir et doré

Et petit à petit

Va planer

Au-dessus de l’autel fugace

Où gît

Hululant, pullulant, virulent,

Le vol agile craché

Du saxophone ténor...

L’hiver fouette le ciel,

La terre meurt prématurée,

Liane après liane,

Sécrétant comme vestiges

Le tapis de talc

D’une aile de sirène

Et le vertige nuptial

De deux notes jaunes inachevées

Au sein des similitudes.

PSAUME **

Prunelle de gris jaune
Prunelle nuit et mer
Bleu coursier d’argile
Tigresse à la crinière couleur de brume.
Dans le rare verger qu’est l’amour
Audacieuse, elle va, incendiaire
Empaillée dans un paquebot hystérique
Vers le hasard des quais identiques
Les yeux pleins de chaux.

Dans ce chant veuf, dans cette capitale pyromane
La voilà, légère,
Aspirant les équinoxes dans cet air enchaîné
En selle pour un bain d’herbes monastique
Geôlière verte
D’émeraude pure...

PSAUME XXI

L’accordéoniste des abysses
Peint dans l’œil de l’obscur :
Un nuage en zigzaguant
Ancre aux eaux du vide.

Et le gong sue...timide.
Et comme en un tango antique
S’écoule le cri acide

Des teintes atteintes par les balles,
Hoquet du temps incarné
A l’aube d’une pluie sèche de chaleurs vertes.
Et le gong sue...tumide.

Et comme en un tango marin
Caracole la pirogue étoilée du tigre intime
Renversant de son parapluie
Les certitudes les plus ensevelies de la peur.

Et le gong sue...tumide.
Et les papillons enfantent
Des flammes dans les sables mouvants,
Des harpes éoliennes
Comme des gymnastes hués par le soleil en ruines
A la recherche des marées sèches.

Et le gong sue... tumide.
Et comme en un tango de funambules
Les œillères des brebis galeuses
Traversent la toile, vieillissent, exhument le salpêtre
D’un bandonéon dont la sueur incendie les cernes
De la nuit qui jazze...

PSAUME XXII

Tendrement
Le messager lit
Les lignes du vent,
Prend le pouls
Du ventre jaspé
De la basilique d’encre de chine :

-Là-bas, sous les monts de Vénus
Rode le messager,
Troubadour englouti
Par une lave obscure,

Passager invisible
Des failles muettes
Qu’il restaure encore...

Tendrement
Le messager
Harponne
Les coquilles du temps...
A la pointe de l’hameçon,

Un morceau de vitrail
Où à peine filtre
La lueur des entrailles,
On devine soudain
La forme d’un cheval marron
Qui hennit.

PSAUME XXIII

Bleu roi
De ces couleurs pièges.
Bleu de ces teintes imprévisibles.
Issu du venin tribal
Des roses du désert
Le bleu tombe,
Comme un nuage de coton doux,
Sur la brousse atlantique des lèvres
Enflées de secrets,
Où, hystérique, il donne le jour
Sous le kiosque sympathique des pluies cyanes
A une larme de sang,
Daltonienne.

Bleu roi
De ces couleurs mutantes :
Seul le baiser de cobalt réchauffe
Les escales mélancoliques
De ces ailes closes,
Révèle les jeux d’artifice,
Et murmurant des flammes,
Fait évanouir
Le deuil magnétique
Des rênes d’ivoire...

La flèche de l’archer pénètre,
Débridée,
Le voile de mousseline de l’archipel précieux
Qui vacille, se dissout,
Orphelin en suspens, spectre d’aniline
Aux gants d’émeraude
Et aux chaussons d’améthyste...

PSAUME XXIV

Dormir, virgule,
Souffler doucement
Des cases jumelles,
Ramper à nouveau, gigoter,
Jusqu’à ce que tout ne soit plus
Qu’une seule immensité...

Au lieu de l’abîme
La clairière dans la caféière.
Dormir, virgule,
Ça et là,
Lune bleue
Embuée
Sous la baguette du silence...

Le rêve entre et sort

Et jusqu’aux nuages
Craignent la chute
Vers le sommeil...

PSAUME XXV

Les îles et une nuits
Me font chavirer,
Je fuis,
Naufragée inlassable,
Hors du clan tentaculaire
Vers la clarté volatile
Des voiles incendiaires...

Mes nerfs à la fleur du large
Bifurquent,
S’évaporent en filigranes
Plus **** encore...

Bleu nuit devient la mer
Aux portes de son repaire
Ancré à la rive gauche du cœur.

La crique n’est plus ce qu’elle était :
La neige reptile teint les dauphins de rose...
Éden ?
De temps à autre

Passe un trapèze
Balayant le silence.

PSAUME XXVI

Ô Reine, Notre Duc
Sous tes ongles laqués
J’imagine un ciel rouge
Aux parfums de lait de cobra...
Le soleil fait pleuvoir des sceptres sur le fleuve
Et des piranhas aux dents d’eau
Larguent des cerfs-volants sans fin...

“Chantez les très riches heures de l’En-Dehors !”
Crie à la face du levant
Un caméléon qui lisse les ailes du hasard
Planté dans le dédale de ta langue baccarat.

PSAUME XXVII

Près de la passerelle d’ivoire :
“Odyssées,
Métamorphoses,
Mues,
Je vous aime !” "
La rosée arrondie en perles
Scintille aux pointes du gazon ;
Les chardonnerets et les merles
Chantent à l'envi leur chanson ;

Les fleurs de leurs paillettes blanches
Brodent le bord vert du chemin ;
Un vent léger courbe les branches
Du chèvrefeuille et du jasmin ;

Et la lune, vaisseau d'agate,
Sur les vagues des rochers bleus
S'avance comme la frégate
Au dos de l'Océan houleux.

Jamais la nuit de plus d'étoiles
N'a semé son manteau d'azur,
Ni, du doigt entr'ouvrant ses voiles,
Mieux fait voir Dieu dans le ciel pur.

Prends mon bras, ô ma bien-aimée,
Et nous irons, à deux, jouir
De la solitude embaumée,
Et, couchés sur la mousse, ouïr

Ce que tout bas, dans la ravine
Où brillent ses moites réseaux,
En babillant, l'eau qui chemine
Conte à l'oreille des roseaux.
Vos premières saisons à peine sont écloses,

Enfant, et vous avez déjà vu plus de choses

Qu'un vieillard qui trébuche au seuil de son tombeau.

Tout ce que la nature a de grand et de beau,

Tout ce que Dieu nous fit de sublimes spectacles,

Les deux mondes ensemble avec tous leurs miracles.

Que n'avez-vous pas vu ? Les montagnes, la mer,

La neige et les palmiers, le printemps et l'hiver,

L'Europe décrépite et la jeune Amérique ;

Car votre peau cuivrée aux ardeurs du tropique,

Sous le soleil en flamme et les cieux toujours bleus,

S'est faite presque blanche à nos étés frileux.

Votre enfance joyeuse a passé comme un rêve

Dans la verte savane et sur la blonde grève ;

Le vent vous apportait des parfums inconnus ;

Le sauvage Océan baisait vos beaux pieds nus,

Et comme une nourrice au seuil de sa demeure

Chante et jette un hochet au nouveau-né qui pleure,

Quand il vous voyait triste, il poussait devant vous

Ses coquilles de moire et son murmure doux.

Pour vous laisser passer, jam-roses et lianes

Écartaient dans les bois leurs rideaux diaphanes ;

Les tamaniers en fleurs vous prêtaient des abris ;

Vous aviez pour jouer des nids de colibris ;

Les papillons dorés vous éventaient de l'aile ;

L'oiseau-mouche valsait avec la demoiselle ;

Les magnolias penchaient la tête en souriant ;

La fontaine au flot clair s'en allait babillant ;

Les bengalis coquets, se mirant à son onde,

Vous chantaient leur romance ; et, seule et vagabonde,

Vous marchiez sans savoir par les petits chemins,

Un refrain à la bouche et des fleurs dans les mains !

Aux heures du midi, nonchalante créole,

Vous aviez le hamac et la sieste espagnole,

Et la bonne négresse aux dents blanches qui rit

Chassant les moucherons d'auprès de votre lit.

Vous aviez tous les biens, heureuse créature,

La belle liberté dans la belle nature ;

Et puis un grand désir d'inconnu vous a pris,

Vous avez voulu voir et la France et Paris.

La brise a du vaisseau fait onder la bannière,

Le vieux monstre Océan, secouant sa crinière

Et courbant devant vous sa tête de lion,

Sur son épaule bleue, avec soumission,

Vous a jusques aux bords de la France vantée,

Sans rugir une fois, fidèlement portée.

Après celles de Dieu, les merveilles de l'art

Ont étonné votre âme avec votre regard :

Vous avez vu nos tours, nos palais, nos églises,

Nos monuments tout noirs et nos coupoles grises,

Nos beaux jardins royaux, où, de Grèce venus,

Étrangers comme vous, frissonnent les dieux nus,

Notre ciel morne et froid, notre horizon de brume,

Où chaque maison dresse une gueule qui fume.

Quel spectacle pour vous, ô fille du soleil,

Vous toute brune encore de son baiser vermeil.

La pluie a ruisselé sur vos vitres jaunies,

Et, triste entre vos sœurs au foyer réunies,

En entendant pleurer les bûches dans le feu,

Vous avez regretté l'Amérique au ciel bleu,

Et la mer amoureuse avec ses tièdes lames

Qui se brodent d'argent et chantent sous les rames ;

Les beaux lataniers verts, les palmiers chevelus,

Les mangliers traînant leurs bras irrésolus ;

Toute cette nature orientale et chaude,

Où chaque herbe flamboie et semble une émeraude ;

Et vous avez souffert, votre cœur a saigné,

Vos yeux se sont levés vers ce ciel gris baigné

D'une vapeur étrange et d'un brouillard de houille,

Vers ces arbres chargés d'un feuillage de rouille ;

Et vous avez compris, pâle fleur du désert,

Que **** du sol natal votre arôme se perd,

Qu'il vous faut le soleil et la blanche rosée

Dont vous étiez là-bas toute jeune arrosée ;

Les baisers parfumés des brises de la mer,

La place libre au ciel, l'espace et le grand air ;

Et, pour s'y renouer, l'hymne saint des poètes

Au fond de vous trouva des fibres toutes prêtes ;

Au chœur mélodieux votre voix put s'unir ;

Le prisme du regret dorant le souvenir

De cent petits détails, de mille circonstances,

Les vers naissaient en foule et se groupaient par stances.

Chaque larme furtive échappée à vos yeux

Se condensait en perle, en joyau précieux ;

Dans le rythme profond votre jeune pensée

Brillait plus savamment, chaque jour enchâssée ;

Vous avez pénétré les mystères de l'art.

Aussi, tout éplorée, avant votre départ,

Pour vous baiser au front, la belle poésie

Vous a parmi vos sœurs avec amour choisie ;

Pour dire votre cœur vous avez une voix,

Entre deux univers Dieu vous laissait le choix ;

Vous avez pris de l'un, heureux sort que le vôtre !

De quoi vous faire aimer et regretter dans l'autre.
Ô pucelle plus tendre
Qu'un beau bouton vermeil
Que le rosier engendre
Au lever du soleil,
D'une part verdissant
De l'autre rougissant !

Plus fort que le lierre
Qui se gripe à l'entour
Du chesne aimé, qu'il serre
Enlassé de maint tour,
Courbant ses bras épars
Sus luy de toutes parts,

Serrez mon col, maistresse,
De vos deux bras pliez ;  
D'un neud qui tienne et presse
Doucement me liez ;
Un baiser mutuel
Nous soit perpetuel.

Ny le temps, ny l'envie
D'autre amour desirer,
Ne pourra point ma vie
De vos lévres tirer ;
Ainsi serrez demourrons,
Et baisant nous mourrons.

En mesme an et mesne heure,
Et en même saison,
Irons voir la demeure
De la palle maison,
Et les champs ordonnez
Aux amants fortunez.

Amour par les fleurettes
Du printemps éternel
Voirra nos amourettes
Sous le bois maternel ;
Là nous sçaurons combien
Les amants ont de bien.

Le long des belles plaines
Et parmy les prez vers
Les rives sonnent pleines
De maints accords divers ;
L'un joue, et l'autre au son
Danse d'une chanson.

Là le beau ciel décueuvre
Tousjours un front benin,
Sur les fleurs la couleuvre
Ne ***** son venin,
Et tousjours les oyseaux
Chantent sur les rameaux ;

Tousjours les vens y sonnent
Je ne sçay quoy de doux,
Et les lauriers y donnent
Tousjours ombrages moux ;
Tousjours les belles fleurs
Y gardent leurs couleurs.

Parmy le grand espace
De ce verger heureux,
Nous aurons tous deux place
Entre les amoureux,
Et comme eux sans soucy
Nous aimerons aussi.

Nulle amie ancienne
Ne se dépitera,
Quand de la place sienne
Pour nous deux s'ostera,
Non celles dont les yeux
Prirent le cœur des dieux.
Here's a sigh to those who love me,
And a smile to those who hate ;
And whatever sky's above me,
Here's a heart for every fate.
BYRON.


Amis ! c'est donc Rouen, la ville aux vieilles rues,
Aux vieilles tours, débris des races disparues,
La ville aux cent clochers carillonnant dans l'air,
Le Rouen des châteaux, des hôtels, des bastilles,
Dont le front hérissé de flèches et d'aiguilles
Déchire incessamment les brumes de la mer ;

C'est Rouen qui vous a ! Rouen qui vous enlève !
Je ne m'en plaindrai pas. J'ai souvent fait ce rêve
D'aller voir Saint-Ouen à moitié démoli,
Et tout m'a retenu, la famille, l'étude,
Mille soins, et surtout la vague inquiétude
Qui fait que l'homme craint son désir accompli.

J'ai différé. La vie à différer se passe.
De projets en projets et d'espace en espace
Le fol esprit de l'homme en tout temps s'envola.
Un jour enfin, lassés du songe qui nous leurre,
Nous disons : " Il est temps. Exécutons! c'est l'heure. "
Alors nous retournons les yeux : la mort est là !

Ainsi de mes projets. Quand vous verrai-je, Espagne,
Et Venise et son golfe, et Rome et sa campagne,
Toi, Sicile que ronge un volcan souterrain,
Grèce qu'on connaît trop, Sardaigne qu'on ignore,
Cités de l'aquilon, du couchant, de l'aurore,
Pyramides du Nil, cathédrales du Rhin !

Qui sait ? Jamais peut-être. Et quand m'abriterai-je
Près de la mer, ou bien sous un mont blanc de neige,
Dans quelque vieux donjon, tout plein d'un vieux héros,
Où le soleil, dorant les tourelles du faîte,
N'enverra sur mon front que des rayons de fête
Teints de pourpre et d'azur au prisme des vitraux ?

Jamais non plus, sans doute. En attendant, vaine ombre,
Oublié dans l'espace et perdu dans le nombre,
Je vis. J'ai trois enfants en cercle à mon foyer ;
Et lorsque la sagesse entr'ouvre un peu ma porte,
Elle me crie : Ami ! sois content. Que t'importe
Cette tente d'un jour qu'il faut sitôt ployer !

Et puis, dans mon esprit, des choses que j'espère
Je me fais cent récits, comme à son fils un père.
Ce que je voudrais voir je le rêve si beau !
Je vois en moi des tours, des Romes, des Cordoues,
Qui jettent mille feux, muse, quand tu secoues
Sous leurs sombres piliers ton magique flambeau !

Ce sont des Alhambras, de hautes cathédrales,
Des Babels, dans la nue enfonçant leurs spirales,
De noirs Escurials, mystérieux séjour,
Des villes d'autrefois, peintes et dentelées,
Où chantent jour et nuit mille cloches ailées,
Joyeuses d'habiter dans des clochers à jour !

Et je rêve ! Et jamais villes impériales  
N'éclipseront ce rêve aux splendeurs idéales.
Gardons l'illusion ; elle fuit assez tôt.
Chaque homme, dans son coeur, crée à sa fantaisie
Tout un monde enchanté d'art et de poésie.
C'est notre Chanaan que nous voyons d'en haut.

Restons où nous voyons. Pourquoi vouloir descendre,
Et toucher ce qu'on rêve, et marcher dans la cendre ?
Que ferons-nous après ? où descendre ? où courir ?
Plus de but à chercher ! plus d'espoir qui séduise !
De la terre donnée à la terre promise
Nul retour ; et Moïse a bien fait de mourir !

Restons **** des objets dont la vue est charmée.
L'arc-en-ciel est vapeur, le nuage est fumée.
L'idéal tombe en poudre au toucher du réel.
L'âme en songes de gloire ou d'amour se consume.
Comme un enfant qui souffle en un flocon d'écume,
Chaque homme enfle une bulle où se reflète un ciel !

Frêle bulle d'azur, au roseau suspendue,
Qui tremble au moindre choc et vacille éperdue !
Voilà tous nos projets, nos plaisirs, notre bruit !
Folle création qu'un zéphyr inquiète !
Sphère aux mille couleurs, d'une goutte d'eau faite !
Monde qu'un souffle crée et qu'un souffle détruit !

Le saurons-nous jamais ? Qui percera nos voiles,
Noirs firmaments, semés de nuages d'étoiles ?
Mer, qui peut dans ton lit descendre et regarder ?
Où donc est la science ? Où donc est l'origine ?
Cherchez au fond des mers cette perle divine,
Et, l'océan connu, l'âme reste à sonder !

Que faire et que penser ? Nier, douter, ou croire ?
Carrefour ténébreux ! triple route! nuit noire !
Le plus sage s'assied sous l'arbre du chemin,
Disant tout bas : J'irai, Seigneur, où tu m'envoies.
Il espère, et, de ****, dans les trois sombres voies,
Il écoute, pensif, marcher le genre humain !

Mai 1830.
Toutes sortes d'enfants, blonds, lumineux, vermeils,
Dont le bleu paradis visite les sommeils
Quand leurs yeux sont fermés la nuit dans les alcôves,
Sont là, groupés devant la cage aux bêtes fauves ;
Ils regardent.

Ils ont sous les yeux l'élément,
Le gouffre, le serpent tordu comme un tourment,
L'affreux dragon, l'onagre inepte, la panthère,
Le chacal abhorré des spectres, qu'il déterre,
Le gorille, fantôme et tigre, et ces bandits,
Les loups, et les grands lynx qui tutoyaient jadis
Les prophètes sacrés accoudés sur des bibles ;
Et, pendant que ce tas de prisonniers terribles
Gronde, l'un vil forçat, l'autre arrogant proscrit,
Que fait le groupe rose et charmant ? Il sourit.

L'abîme est là qui gronde et les enfants sourient.

Ils admirent. Les voix épouvantables crient
Tandis que cet essaim de fronts pleins de rayons,
Presque ailé, nous émeut comme si nous voyions
L'aube s'épanouir dans une géorgique,
Tandis que ces enfants chantent, un bruit tragique
Va, chargé de colère et de rébellions
Du cachot des vautours au bagne des lions.

Et le sourire frais des enfants continue.

Devant cette douceur suprême, humble, ingénue,
Obstinée, on s'étonne, et l'esprit stupéfait
Songe, comme aux vieux temps d'Orphée et de Japhet,
Et l'on se sent glisser dans la spirale obscure
Du vertige, où tombaient Job, Thalès, Épicure,
Où l'on cherche à tâtons quelqu'un, ténébreux puits
Où l'âme dit : Réponds ! où Dieu dit : Je ne puis !

Oh ! si la conjecture antique était fondée,
Si le rêve inquiet des mages de Chaldée,
L'hypothèse qu'Hermès et Pythagore font,
Si ce songe farouche était le vrai profond ;
La bête parmi nous, si c'était là Tantale !
Si la réalité redoutable et fatale
C'était ceci : les loups, les boas, les mammons
Masques sombres, cachant d'invisibles démons !
Oh ! ces êtres affreux dont l'ombre est le repaire,
Ces crânes aplatis de tigre et de vipère,
Ces vils fronts écrasés par le talon divin,
L'ours, rêveur noir, le singe, effroyable sylvain,
Ces rictus convulsifs, ces faces insensées,
Ces stupides instincts menaçant nos pensées,
Ceux-ci pleins de l'horreur nocturne des forêts,
Ceux-là, fuyants aspects, flottants, confus, secrets,
Sur qui la mer répand ses moires et ses nacres,
Ces larves, ces passants des bois, ces simulacres,
Ces vivants dans la tombe animale engloutis,
Ces fantômes ayant pour loi les appétits,
Ciel bleu ! s'il était vrai que c'est là ce qu'on nomme
Les damnés, expiant d'anciens crimes chez l'homme,
Qui, sortis d'une vie antérieure, ayant
Dans les yeux la terreur d'un passé foudroyant,
Viennent, balbutiant d'épouvante et de haine,
Dire au milieu de nous les mots de la géhenne,
Et qui tâchent en vain d'exprimer leur tourment
A notre verbe avec le sourd rugissement ;
Tas de forçats qui grince et gronde, aboie et beugle ;
Muets hurlants qu'éclaire un flamboiement aveugle ;
Oh ! s'ils étaient là. nus sous le destin de fer,
Méditant vaguement sur l'éternel enfer ;
Si ces mornes vaincus de la nature immense
Se croyaient à jamais bannis de la clémence ;
S'ils voyaient les soleils s'éteindre par degrés,
Et s'ils n'étaient plus rien que des désespérés ;
Oh ! dans l'accablement sans fond, quand tout se brise,
Quand tout s'en va, refuse et fuit, quelle surprise,
Pour ces êtres méchants et tremblants à la fois,
D'entendre tout à coup venir ces jeunes voix !
Quelqu'un est là ! Qui donc ? On parle ! ô noir problème !
Une blancheur paraît sur la muraille blême
Où chancelle l'obscure et morne vision.
Le léviathan voit accourir l'alcyon !
Quoi ! le déluge voit arriver la colombe !
La clarté des berceaux filtre à travers la tombe
Et pénètre d'un jour clément les condamnés !
Les spectres ne sont point haïs des nouveau-nés !
Quoi ! l'araignée immense ouvre ses sombres toiles !
Quel rayon qu'un regard d'enfant, saintes étoiles !
Mais puisqu'on peut entrer, on peut donc s'en aller !
Tout n'est donc pas fini ! L'azur vient nous parler !
Le ciel est plus céleste en ces douces prunelles !
C'est quand Dieu, pour venir des voûtes éternelles
Jusqu'à la terre, triste et funeste milieu,
Passe à travers l'enfant qu'il est tout à fait Dieu !
Quoi ! le plafond difforme aurait une fenêtre !
On verrait l'impossible espérance renaître !
Quoi ! l'on pourrait ne plus mordre, ne plus grincer !
Nous représentons-nous ce qui peut se passer
Dans les craintifs cerveaux des bêtes formidables ?
De la lumière au bas des gouffres insondables !
Une intervention de visages divins !
La torsion du mal dans les brûlants ravins
De l'enfer misérable est soudain apaisée
Par d'innocents regards purs comme la rosée !
Quoi ! l'on voit des yeux luire et l'on entend des pas !
Est-ce que nous savons s'ils ne se mettent pas,
Ces monstres, à songer, sitôt la nuit venue,
S'appelant, stupéfaits de cette aube inconnue
Qui se lève sur l'âpre et sévère horizon ?
Du pardon vénérable ils ont le saint frisson ;
Il leur semble sentir que les chaînes les quittent ;
Les échevèlements des crinières méditent ;
L'enfer, cette ruine, est moins trouble et moins noir ;
Et l'oeil presque attendri de ces captifs croit voir
Dans un pur demi-jour qu'un ciel lointain azure
Grandir l'ombre d'un temple au seuil de la masure.
Quoi ! l'enfer finirait ! l'ombre entendrait raison !
Ô clémence ! ô lueur dans l'énorme prison !
On ne sait quelle attente émeut ces cœurs étranges.

Quelle promesse au fond du sourire des anges !
IV.

Victoire ! il était temps, prince, que tu parusses !
Les filles d'opéra manquaient de princes russes ;
Les révolutions apportent de l'ennui
Aux Jeannetons d'hier, Pamélas d'aujourd'hui ;
Dans don Juan qui s'effraie un Harpagon éclate,
Un maigre filet d'or sort de sa bourse plate ;
L'argent devenait rare aux tripots ; les journaux
Faisaient le vide autour des confessionnaux ;
Le sacré-coeur, mourant de sa mort naturelle,
Maigrissait ; les protêts, tourbillonnant en grêle,
Drus et noirs, aveuglaient le portier de Magnan ;
On riait aux sermons de l'abbé Ravignan ;
Plus de pur-sang piaffant aux portes des donzelles ;
L'hydre de l'anarchie apparaissait aux belles
Sous la forme effroyable et triste d'un cheval
De fiacre les traînant pour trente sous au bal.
La désolation était sur Babylone.
Mais tu surgis, bras fort ; tu te dresses, colonne
Tout renaît, tout revit, tout est sauvé. Pour lors
Les figurantes vont récolter des milords,
Tous sont contents, soudards, francs viveurs, gent dévote,
Tous chantent, monseigneur l'archevêque, et Javotte.

Allons ! congratulons, triomphons, partageons !
Les vieux partis, coiffés en ailes de pigeons,
Vont s'inscrire, adorant Mandrin, chez son concierge.
Falstaff allume un punch, Tartuffe brûle un cierge.
Vers l'Elysée en joie, où sonne le tambour,
Tous se hâtent, Parieu, Montalembert, Sibour,
Rouher, cette catin, Troplong, cette servante,
Grecs, juifs, quiconque a mis sa conscience en vente,
Quiconque vole et ment *** privilegio,
L'homme du bénitier, l'homme de l'agio,
Quiconque est méprisable et désire être infâme,
Quiconque, se jugeant dans le fond de son âme,
Se sent assez forçat pour être sénateur.
Myrmidon de César admire la hauteur.
Lui, fait la roue et trône au centre de la fête.
- Eh bien, messieurs, la chose est-elle un peu bien faite ?
Qu'en pense Papavoine et qu'en dit Loyola ?
Maintenant nous ferons voter ces drôles-là.
Partout en lettres d'or nous écrirons le chiffre. -
*** ! tapez sur la caisse et soufflez dans le fifre ;
Braillez vos salvum fac, messeigneurs ; en avant
Des églises, abri profond du Dieu vivant,
On dressera des mâts avec des oriflammes.
Victoire ! venez voir les cadavres, mesdames.

Du 16 au 22 novembre 1852, à Jersey
Sonnet.

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de **** se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Sonnet.

Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume,

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente !

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie

Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.
Une pitié me prend quand à part moi je songe

À cette ambition terrible qui nous ronge

De faire parmi tous reluire notre nom,

De ne voir s'élever par-dessus nous personne,

D'avoir vivant encore le nimbe et la couronne,

D'être salué grand comme Gœthe ou Byron.


Les peintres jusqu'au soir courbés sur leurs palettes,

Les Amphions frappant leurs claviers, les poètes,

Tous les blêmes rêveurs, tous les croyants de l'art,

Dans ces noms éclatants et saints sur tous les autres,

Prennent un nom pour Dieu, dont ils se font apôtres,

Un de vos noms, Shakespeare, Michel-Ange ou Mozart  !


C'est là le grand souci qui tous, tant que nous sommes,

Dans cet âge mauvais, austères jeunes hommes,

Nous fait le teint livide et nous cave les yeux ;

La passion du beau nous tient et nous tourmente,

La sève sans issue au fond de nous fermente,

Et de ceux d'aujourd'hui bien peu deviendront vieux.


De ces frêles enfants, la terreur de leur mère,

Qui s'épuisent en vain à suivre leur chimère,

Combien déjà sont morts ! Combien encore mourront !

Combien au beau moment, gloire, ô froide statue,

Gloire que nous aimons et dont l'amour nous tue,

Pâles, sur ton épaule ont incliné le front !


Ah ! chercher sans trouver et suer sur un livre,

Travailler, oublier d'être heureux et de vivre ;

Ne pas avoir une heure à dormir au soleil,

À courir dans les bois sans arrière-pensée ;

Gémir d'une minute au plaisir dépensée,

Et faner dans sa fleur son beau printemps vermeil ;


Jeter son âme au vent et semer sans qu'on sache

Si le grain sortira du sillon qui le cache,

Et si jamais l'été dorera le blé vert ;

Faire comme ces vieux qui vont plantant des arbres,

Entassant des trésors et rassemblant des marbres,

Sans songer qu'un tombeau sous leurs pieds est ouvert !


Et pourtant chacun n'a que sa vie en ce monde,

Et pourtant du cercueil la nuit est bien profonde ;

Ni lune, ni soleil : c'est un sommeil bien long ;

Le lit est dur et froid ; les larmes que l'on verse,

La terre les boit vite, et pas une ne perce,

Pour arriver à vous, le suaire et le plomb.


Dieu nous comble de biens ; notre mère Nature

Rit amoureusement à chaque créature ;

Le spectacle du ciel est admirable à voir ;

La nuit a des splendeurs qui n'ont pas de pareilles ;

Des vents tout parfumés nous chantent aux oreilles :

« Vivre est doux, et pour vivre il ne faut que vouloir. »


Pourquoi ne vouloir pas ? Pourquoi ? Pour que l'on dise,

Quand vous passez : « C'est lui ! » Pour que dans une église,

Saint-Denis, Westminster, sous un pavé noirci,

On vous couche à côté de rois que le ver mange,

N'ayant pour vous pleurer qu'une figure d'ange

Et cette inscription : « Un grand homme est ici. »


En vérité, c'est tout. - Ô néant ! Ô folie !

Vouloir qu'on se souvienne alors que tout oublie,

Vouloir l'éternité lorsque l'on n'a qu'un jour !

Rêver, chercher le beau, fonder une mémoire,

Et forger un par un les rayons de sa gloire,

Comme si tout cela valait un mot d'amour !
Timmy Shanti Jul 2023
qu'est-ce qu'une branche ?
ce n'est qu'un membre d'un membre
une ligne dans le sable
une réminiscence, un scintillement
de ce qui fut
et de ce qui aurait pu être
des temps passés
et d'avenirs n'ont jamais eu
des oiseaux qui chantent
et des feuilles qui tombent
des fleurs parfumées
et des baies couleur de vin

c'est quelque chose
qui n'est ni vivant ni mort
tout comme moi

parfois, pourtant
une branche n'est qu'une branche
3 juillet 2023
Dans un grand jardin en cinq actes,
Conforme aux préceptes du goût,
Où les branches étaient exactes,
Où les fleurs se tenaient debout,

Quelques clématites sauvages
Poussaient, pauvres bourgeons pensifs,
Parmi les nobles esclavages
Des buis, des myrtes et des ifs.

Tout près, croissait, sur la terrasse
Pleine de dieux bien copiés,
Un rosier de si grande race
Qu'il avait du marbre à ses pieds.

La rose sur les clématites
Fixait ce regard un peu sec
Que Rachel jette à ces petites
Qui font le choeur du drame grec.

Ces fleurs, tremblantes et pendantes,
Dont Zéphyre tenait le fil,
Avaient des airs de confidentes
Autour de la reine d'avril.

La haie, où s'ouvraient leurs calices
Et d'où sortaient ces humbles fleurs,
Écoutait du bord des coulisses
Le rire des bouvreuils siffleurs.

Parmi les brises murmurantes
Elle n'osait lever le front ;
Cette mère de figurantes
Était un peu honteuse au fond.

Et je m'écriai : - Fleurs éparses
Près de la rose en ce beau lieu,
Non, vous n'êtes pas les comparses
Du grand théâtre du bon Dieu.

Tout est de Dieu l'oeuvre visible.
La rose, en ce drame fécond,
Dit le premier vers, c'est possible,
Mais le bleuet dit le second.

Les esprits vrais, que l'aube arrose,
Ne donnent point dans ce travers
Que les campagnes sont en prose
Et que les jardins sont en vers.

Avril dans les ronces se vautre,
Le faux art que l'ennui couva
Lâche le critique Lenôtre
Sur le poète Jéhovah.

Mais cela ne fait pas grand-chose
À l'immense sérénité,
Au ciel, au calme grandiose
Du philosophe et de l'été.

Qu'importe ! croissez, fleurs vermeilles !
Soeurs, couvrez la terre aux flancs bruns,
L'hésitation des abeilles
Dit l'égalité des parfums.

Croissez, plantes, tiges sans nombre !
Du verbe vous êtes les mots.
Les immenses frissons de l'ombre
Ont besoin de tous vos rameaux.

Laissez, broussailles étoilées,
Bougonner le vieux goût boudeur ;
Croissez, et sentez-vous mêlées
À l'inexprimable grandeur !

Rien n'est haut et rien n'est infime.
Une goutte d'eau pèse un ciel ;
Et le mont Blanc n'a pas de cime
Sous le pouce de l'Éternel.

Toute fleur est un premier rôle ;
Un ver peut être une clarté ;
L'homme et l'astre ont le même pôle ;
L'infini, c'est l'égalité.

L'incommensurable harmonie,
Si tout n'avait pas sa beauté,
Serait insultée et punie
Dans tout être déshérité.

Dieu, dont les cieux sont les pilastres,
Dans son grand regard jamais las
Confond l'éternité des astres
Avec la saison des lilas.

Les prés, où chantent les cigales,
Et l'Ombre ont le même cadran.
Ô fleurs, vous êtes les égales
Du formidable Aldébaran.

L'intervalle n'est qu'apparence.
Ô bouton d'or tremblant d'émoi,
Dieu ne fait pas de différence
Entre le zodiaque et toi.

L'être insondable est sans frontière.
Il est juste, étant l'unité.
La création tout entière
Attendrit sa paternité.

Dieu, qui fit le souffle et la roche,
Oeil de feu qui voit nos combats,
Oreille d'ombre qui s'approche
De tous les murmures d'en bas,

Dieu, le père qui mit dans les fêtes
Dans les éthers, dans les sillons,
Qui fit pour l'azur les comètes
Et pour l'herbe les papillons,

Et qui veut qu'une âme accompagne
Les êtres de son flanc sortis,
Que l'éclair vole à la montagne
Et la mouche au myosotis,

Dieu, parmi les mondes en fuite,
Sourit, dans les gouffres du jour,
Quand une fleur toute petite
Lui conte son premier amour.
Sur la bruyère arrosée
De rosée ;
Sur le buisson d'églantier ;
Sur les ombreuses futaies ;
Sur les haies
Croissant au bord du sentier ;

Sur la modeste et petite
Marguerite,
Qui penche son front rêvant ;
Sur le seigle, verte houle
Qui déroule
Le caprice ailé du vent ;

Sur les prés, sur la colline
Qui s'incline
Vers le champ bariolé
De pittoresques guirlandes ;
Sur les landes ;
Sur le grand orme isolé,

La demoiselle se berce ;
Et s'il perce
Dans la brume, au bord du ciel,
Un rayon d'or qui scintille,
Elle brille
Comme un regard d'Ariel.

Traversant, près des charmilles,
Les familles
Des bourdonnants moucherons,
Elle se mêle à leur ronde
Vagabonde,
Et comme eux décrit des ronds.

Bientôt elle vole et joue
Sur la roue
Du jet d'eau qui, s'élançant
Dans les airs, retombe, roule
Et s'écoule
En un ruisseau bruissant.

Plus rapide que la brise,
Elle frise,
Dans son vol capricieux,
L'eau transparente où se mire
Et s'admire
Le saule au front soucieux ;

Où, s'entr'ouvrant blancs et jaunes,
Près des aunes,
Les deux nénuphars en fleurs,
Au gré du flot qui gazouille
Et les mouille,
Étalent leurs deux couleurs ;

Où se baigne le nuage ;
Où voyage
Le ciel d'été souriant ;
Où le soleil plonge, tremble,
Et ressemble
Au beau soleil d'Orient.

Et quand la grise hirondelle
Auprès d'elle
Passe, et ride à plis d'azur,
Dans sa chasse circulaire,
L'onde claire,
Elle s'enfuit d'un vol sûr.

Bois qui chantent, fraîches plaines
D'odeurs pleines,
Lacs de moire, coteaux bleus,
Ciel où le nuage passe,
Large espace,
Monts aux rochers anguleux,

Voilà l'immense domaine
Où promène
Ses caprices, fleur des airs,
La demoiselle nacrée,
Diaprée
De reflets roses et verts.

Dans son étroite famille,
Quelle fille
N'a pas vingt fois souhaité,
Rêveuse, d'être comme elle
Demoiselle,
Demoiselle en liberté ?
I.

Je disais : - Ces soldats ont la tête trop basse.
Il va leur ouvrir des chemins.
Le peuple aime la poudre, et quand le clairon passe
La France chante et bat des mains.
La guerre est une pourpre où le meurtre se drape ;
Il va crier son : quos ego !
Un beau jour, de son crime, ainsi que d'une trappe,
Nous verrons sortir Marengo.
Il faut bien qu'il leur jette enfin un peu de gloire
Après tant de honte et d'horreur !
Que, vainqueur, il défile avec tout son prétoire
Devant Troplong le procureur ;
Qu'il tâche de cacher son carcan à l'histoire,
Et qu'il fasse par le doreur
Ajuster sa sellette au vieux char de victoire
Où monta le grand empereur.
Il voudra devenir César, frapper, dissoudre
Les anciens états ébranlés,
Et, calme, à l'univers montrer, tenant la foudre,
La main qui fit des fausses clés.
Il fera du vieux monde éclater la machine ;
Il voudra vaincre et surnager.
Hudson Lowe, Blücher, Wellington, Rostopschine,
Que de souvenirs à venger !
L'occasion abonde à l'époque où nous sommes.
Il saura saisir le moment.
On ne peut pas rester avec cinq cent mille hommes
Dans la fange éternellement.
Il ne peut les laisser courbés sous leur sentence
Il leur faut les hauts faits lointains
À la meute guerrière il faut une pitance
De lauriers et de bulletins.
Ces soldats, que Décembre orne comme une dartre,
Ne peuvent pas, chiens avilis,
Ronger à tout jamais le boulevard Montmartre,
Quand leurs pères ont Austerlitz ! -

II.

Eh bien non ! je rêvais. Illusion détruite !
Gloire ! songe, néant, vapeur !
Ô soldats ! quel réveil ! l'empire, c'est la fuite.
Soldats ! l'empire, c'est la peur.
Ce Mandrin de la paix est plein d'instincts placides ;
Ce Schinderhannes craint les coups.
Ô châtiment ! pour lui vous fûtes parricides,
Soldats, il est poltron pour vous.
Votre gloire a péri sous ce hideux incube
Aux doigts de fange, au cœur d'airain.
Ah ! frémissez ! le czar marche sur le Danube,
Vous ne marchez pas sur le Rhin !

III.

Ô nos pauvres enfants ! soldats de notre France !
Ô triste armée à l'œil terni !
Adieu la tente ! Adieu les camps ! plus d'espérance !
Soldats ! soldats ! tout est fini !
N'espérez plus laver dans les combats le crime
Dont vous êtes éclaboussés.
Pour nous ce fut le piège et pour vous c'est l'abîme.
Cartouche règne ; c'est assez.
Oui, Décembre à jamais vous tient, hordes trompées !
Oui, vous êtes ses vils troupeaux !
Oui, gardez sur vos mains, gardez sur vos épées,
Hélas ! gardez sur vos drapeaux
Ces souillures qui font horreur à vos familles
Et qui font sourire Dracon,
Et que ne voudrait pas avoir sur ses guenilles
L'équarrisseur de Montfaucon !
Gardez le deuil, gardez le sang, gardez la boue !
Votre maître hait le danger,
Il vous fait reculer ; gardez sur votre joue
L'âpre soufflet de l'étranger !
Ce nain à sa stature a rabaissé vos tailles.
Ce n'est qu'au vol qu'il est hardi.
Adieu la grande guerre et les grandes batailles !
Adieu Wagram ! adieu Lodi !
Dans cette horrible glu votre aile est prisonnière.
Derrière un crime il faut marcher.
C'est fini. Désormais vous avez pour bannière
Le tablier de ce boucher !
Renoncez aux combats, au nom de Grande Armée,
Au vieil orgueil des trois couleurs ;
Renoncez à l'immense et superbe fumée,
Aux femmes vous jetant des fleurs,
À l'encens, aux grands ares triomphaux que fréquentent
Les ombres des héros le soir ;
Hélas ! contentez-vous de ces prêtres qui chantent
Des Te Deum dans l'abattoir !
Vous ne conquerrez point la palme expiatoire,
La palme des exploits nouveaux,
Et vous ne verrez pas se dorer dans la gloire
La crinière de vos chevaux !

IV.

Donc l'épopée échoue avant qu'elle commence !
Annibal a pris un calmant ;
L'Europe admire, et mêle une huée immense
À cet immense avortement.
Donc ce neveu s'en va par la porte bâtarde !
Donc ce sabreur, ce pourfendeur,
Ce masque moustachu dont la bouche vantarde
S'ouvrait dans toute sa grandeur,
Ce césar qu'un valet tous les matins harnache
Pour s'en aller dans les combats,
Cet ogre galonné dont le hautain panache
Faisait oublier le front bas,
Ce tueur qui semblait l'homme que rien n'étonne,
Qui jouait, dans les hosanna,
Tout barbouillé du sang du ruisseau Tiquetonne,
La pantomime d'Iéna,
Ce héros que Dieu fit général des jésuites,
Ce vainqueur qui s'est dit absous,
Montre à Clio son nez meurtri de pommes cuites,
Son œil éborgné de gros sous !
Et notre armée, hélas ! sa dupe et sa complice,
Baisse un front lugubre et puni,
Et voit sous les sifflets s'enfuir dans la coulisse
Cet écuyer de Franconi !
Cet histrion, qu'on cingle à grands coups de lanière,
À le crime pour seul talent ;
Les Saint-Barthélemy vont mieux à sa manière
Qu'Aboukir et que Friedland.
Le cosaque stupide arrache à ce superbe
Sa redingote à brandebourgs ;
L'âne russe a brouté ce Bonaparte en herbe.
Sonnez, clairons ! battez, tambours !
Tranche-Montagne, ainsi que Basile, a la fièvre ;
La colique empoigne Agramant ;
Sur le crâne du loup les oreilles du lièvre
Se dressent lamentablement.
Le fier-à-bras tremblant se blottit dans son antre
Le grand sabre a peur de briller ;
La fanfare bégaie et meurt ; la flotte rentre
Au port, et l'aigle au poulailler.

V.

Et tous ces capitans dont l'épaulette brille
Dans les Louvres et les châteaux
Disent : « Mangeons la France et le peuple en famille.
Sire, les boulets sont brutaux. »
Et Forey va criant : « Majesté, prenez garde. »
Reibell dit : « Morbleu, sacrebleu !
Tenons-nous coi. Le czar fait manœuvrer sa garde.
Ne jouons pas avec le feu. »
Espinasse reprend : « César, gardez la chambre.
Ces kalmoucks ne sont pas manchots. »
Coiffez-vous, dit Leroy, du laurier de décembre,
Prince, et tenez-vous les pieds chauds. »
Et Magnan dit : « Buvons et faisons l'amour, sire ! »
Les rêves s'en vont à vau-l'eau.
Et dans sa sombre plaine, ô douleur, j'entends rire
Le noir lion de Waterloo !

Jersey, le  ler septembre 1853.
Certain monarque un jour déplorait sa misère,
Et se lamentait d'être roi :
Quel pénible métier ! disait-il : sur la terre
Est-il un seul mortel contredit comme moi ?
Je voudrais vivre en paix, on me force à la guerre ;
Je chéris mes sujets, et je mets des impôts ;
J'aime la vérité, l'on me trompe sans cesse ;
Mon peuple est accablé de maux,
Je suis consumé de tristesse :
Partout je cherche des avis,
Je prends tous les moyens, inutile est ma peine ;
Plus j'en fais, moins je réussis.
Notre monarque alors aperçoit dans la plaine
Un troupeau de moutons maigres, de près tondus,
Des brebis sans agneaux, des agneaux sans leurs mères,
Dispersés, bêlants, éperdus,
Et des béliers sans force errant dans les bruyères.
Leur conducteur Guillot allait, venait, courait,
Tantôt à ce mouton qui gagne la forêt,
Tantôt à cet agneau qui demeure derrière,
Puis à sa brebis la plus chère ;
Et, tandis qu'il est d'un côté,
Un loup prend un mouton qu'il emporte bien vite ;
Le berger court, l'agneau qu'il quitte
Par une louve est emporté.
Guillot tout haletant s'arrête,
S'arrache les cheveux, ne sait plus où courir ;
Et, de son poing frappant sa tête,
Il demande au ciel de mourir.
Voilà bien ma fidèle image !
S'écria le monarque ; et les pauvres bergers,
Comme nous autres rois, entourés de dangers,
N'ont pas un plus doux esclavage :
Cela console un peu. Comme il disait ces mots,
Il découvre en un pré le plus beau des troupeaux,
Des moutons gras, nombreux, pouvant marcher à peine,
Tant leur riche toison les gêne,
Des béliers grands et fiers, tous en ordre paissants,
Des brebis fléchissant sous le poids de la laine,
Et de qui la mamelle pleine
Fait accourir de **** les agneaux bondissants.
Leur berger, mollement étendu sous un hêtre,
Faisait des vers pour son Iris,
Les chantait doucement aux échos attendris,
Et puis répétait l'air sur son hautbois champêtre.
Le roi tout étonné disait : Ce beau troupeau
Sera bientôt détruit ; les loups ne craignent guère
Les pasteurs amoureux qui chantent leur bergère ;
On les écarte mal avec un chalumeau.
Ah ! comme je rirais !... Dans l'instant le loup passe,
Comme pour lui faire plaisir ;
Mais à peine il paraît, que, prompt à le saisir,
Un chien s'élance et le terrasse.
Au bruit qu'ils font en combattant,
Deux moutons effrayés s'écartent dans la plaine :
Un autre chien part, les ramène,
Et pour rétablir l'ordre il suffit d'un instant.
Le berger voyait tout, couché dessus l'herbette,
Et ne quittait pas sa musette.
Alors le roi presque en courroux
Lui dit : Comment fais-tu ? Les bois sont pleins de loups,
Tes moutons gras et beaux sont au nombre de mille,
Et, sans en être moins tranquille,
Dans cet heureux état toi seul tu les maintiens !
Sire, dit le berger, la chose est fort facile ;
Tout mon secret consiste à choisir de bons chiens.
Orchestre du Très-Haut, bardes de ses louanges,
Ils chantent à l'été des notes de bonheur ;
Ils parcourent les airs avec des ailes d'anges
Échappés tout joyeux des jardins du Seigneur.

Tant que durent les fleurs, tant que l'épi qu'on coupe
Laisse tomber un grain sur les sillons jaunis,
Tant que le rude hiver n'a pas gelé la coupe
Où leurs pieds vont poser comme aux bords de leurs nids,

Ils remplissent le ciel de musique et de joie :
La jeune fille embaume et verdit leur prison,
L'enfant passe la main sur leur duvet de soie,
Le vieillard les nourrit au seuil de sa maison.

Mais dans les mois d'hiver, quand la neige et le givre
Ont remplacé la feuille et le fruit, où vont-ils ?
Ont-ils cessé d'aimer ? Ont-ils cessé de vivre ?
Nul ne sait le secret de leurs lointains exils.

On trouve au pied de l'arbre une plume souillée,
Comme une feuille morte où rampe un ver rongeur,
Que la brume des nuits a jaunie et mouillée,
Et qui n'a plus, hélas! ni parfum ni couleur.

On voit pendre à la branche un nid rempli d'écailles,
Dont le vent pluvieux balance un noir débris ;
Pauvre maison en deuil et vieux pan de murailles
Que les petits, hier, réjouissaient de cris.

Ô mes charmants oiseaux, vous si joyeux d'éclore !
La vie est donc un piége où le bon Dieu vous prend ?
Hélas ! c'est comme nous. Et nous chantons encore !
Que Dieu serait cruel, s'il n'était pas si grand !
« Dans les Avents », comme l'on dit

Chez mes pays qui sont rustiques

Et qui patoisent un petit

Entre autres usages antiques,


« Dans les Avents les côs chantont »,

Toute la nuit, grâce à la lune

« Clartive » alors, et dont le front

S'argente et cuivre dès la brune


Jusqu'à l'aube en peu d'ombre, et ces

Chante-clair, clair comme un beau rêve,

Proclament jusques à l'excès

Le soleil... qui plus **** se lève,


Trop **** pour ceux qui sont reclus

Au poulailler, - tout comme une âme

Ne tendant que vers les élus,

Dans le péché, prison infâme, -


Et comme une âme les bons coqs,

Vigilants, tels au temps de Pierre,

Souffrent, mais, en dépit des chocs

D'ombre, chantent, et l'âme espère.
Si je n'étais captive,
J'aimerais ce pays,
Et cette mer plaintive,
Et ces champs de maïs,
Et ces astres sans nombre,
Si le long du mur sombre
N'étincelait dans l'ombre
Le sabre des spahis.

Je ne suis point tartare
Pour qu'un eunuque noir
M'accorde ma guitare,
Me tienne mon miroir.
Bien **** de ces Sodomes,
Au pays dont nous sommes,
Avec les jeunes hommes
On peut parler le soir.

Pourtant j'aime une rive
Où jamais des hivers
Le souffle froid n'arrive
Par les vitraux ouverts.
L'été, la pluie est chaude,
L'insecte vert qui rôde
Luit, vivante émeraude,
Sous les brins d'herbe verts.

Smyrne est une princesse
Avec son beau chapel ;
L'heureux printemps sans cesse
Répond à son appel,
Et, comme un riant groupe
De fleurs dans une coupe,
Dans ses mers se découpe
Plus d'un frais archipel.

J'aime ces tours vermeilles,
Ces drapeaux triomphants,
Ces maisons d'or, pareilles
A des jouets d'enfants ;
J'aime, pour mes pensées
Plus mollement bercées,
Ces tentes balancées
Au dos des éléphants.

Dans ce palais de fées,
Mon cœur, plein de concerts,
Croit, aux voix étouffées
Qui viennent des déserts,
Entendre les génies
Mêler les harmonies
Des chansons infinies
Qu'ils chantent dans les airs.

J'aime de ces contrées
Les doux parfums brûlants,
Sur les vitres dorées
Les feuillages tremblants,
L'eau que la source épanche
Sous le palmier qui penche,
Et la cigogne blanche
Sur les minarets blancs.

J'aime en un lit de mousses
Dire un air espagnol,
Quand mes compagnes douces,
Du pied rasant le sol,
Légion vagabonde
Où le sourire abonde,
Font tournoyer leur ronde
Sous un rond parasol.

Mais surtout, quand la brise
Me touche en voltigeant,
La nuit, j'aime être assise,
L'œil sur la mer profonde,
Tandis que, pâle et blonde,
La lune ouvre dans l'onde
Son éventail d'argent.

Le 7 juillet 1828.
N'est-ce pas ? en dépit des sots et des méchants

Qui ne manqueront pas d'envier notre joie,

Nous serons fiers parfois et toujours indulgents.


N'est-ce pas ? nous irons, gais et lents, dans la voie

Modeste que nous montre en souriant l'Espoir,

Peu soucieux qu'on nous ignore ou qu'on nous voie.


Isolés dans l'amour ainsi qu'en un bois noir,

Nos deux coeurs, exhalant leur tendresse paisible,

Seront deux rossignols qui chantent dans le soir.


Quant au Monde, qu'il soit envers nous irascible

Ou doux, que nous feront ses gestes ? Il peut bien,

S'il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.


Unis par le plus fort et le plus cher lien,

Et d'ailleurs, possédant l'armure adamantine,

Nous sourirons à tous et n'aurons peur de rien.


Sans nous préoccuper de ce que nous destine

Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas,

Et la main dans la main, avec l'âme enfantine


De ceux qui s'aiment saris mélange, n'est-ce pas ?
C'est ici la case sacrée
Où cette fille très parée,
Tranquille et toujours préparée,

D'une main éventant ses seins,
Et son coude dans les coussins,
Ecoute pleurer les bassins ;

C'est la chambre de Dorothée.
- La brise et l'eau chantent au ****
Leur chanson de sanglots heurtée
Pour bercer cette enfant gâtée.

Du haut en bas, avec grand soin,
Sa peau délicate est frottée
D'huile odorante et de benjoin.
- Des fleurs se pâment dans un coin.
LE SÉNAT.

Vibrez, trombone et chanterelle !
Les oiseaux chantent dans les nids.
La joie est chose naturelle.
Que Magnan danse la trénis
Et Saint-Arnaud la pastourelle !

LES CAVES DE LILLE.

Miserere !
Miserere !

LE CONSEIL D'ÉTAT.

Des lampions dans les charmilles !
Des lampions dans les buissons !
Mêlez vous, sabres et mantilles !
Chantez en choeur, les beaux garçons !
Dansez en rond, les belles filles !

xxLES GRENIERS DE ROUEN.

Miserere !
Miserere !

LE CORPS LÉGISLATIF.

Jouissons ! l'amour nous réclame.
Chacun, pour devenir meilleur,
Cueille son miel, nourrit son âme,
L'abeille aux lèvres de la fleur,
Le sage aux lèvres de la femme !

xBRUXELLES, LONDRES,BELLE-ISLE, JERSEY.

Miserere !
Miserere !

L'HÔTEL DE VILLE.

L'empire se met aux croisées
Rions, jouons, soupons, dînons.
Des pétards aux Champs-Elysées !
A l'oncle il fallait des canons,
Il faut au neveu des fusées.

LES PONTONS.

Miserere !
Miserere !

L'ARMÉE.

Pas de scrupules ! pas de morgue !
A genoux ! un bedeau paraît.
Le tambour obéit à l'orgue.
Notre ardeur sort du cabaret,
Et notre gloire est à la morgue.

LAMBESSA.

Miserere !
Miserere !

LA MAGISTRATURE.

Mangeons, buvons, tout le conseille !
Heureux l'ami du raisin mûr,
Qui toujours, riant sous sa treille,
Trouve une grappe sur son mur
Et dans sa cave une bouteille !

CAYENNE.

Miserere !
Miserere !

LES ÉVÊQUES.

Jupiter l'ordonne, on révère
Le succès, sur le trône assis.
Trinquons ! Le prêtre peu sévère
Vide son âme de soucis
Et de vin vieux emplit son verre !

LE CIMETIÈRE MONTMARTRE.

Miserere !
Miserere !

Jersey, le 7 avril.
Connaissez-vous dans le parc de Versailles

Une Naïade, œil vert et sein gonflé ?

La belle habite un château de rocaille

D'ordre toscan et tout vermiculé.


Sur les coraux et sur les madrépores

Toute l'année elle dort dans les joncs ;

Dans le bassin les grenouilles sonores

Chantent en chœur et font mille plongeons.


La fête vient ; la coquette Naïade

S'éveille en hâte et rajuste ses nœuds,

Se peigne, et met ses habits de parade

Et des roseaux plus frais dans ses cheveux.


Elle descend l'escalier, et sa queue

En flots d'argent sur les marches la suit ;

La raide étoffe à trame blanche et bleue

À chaque pas derrière elle bruit.
I.

Oh ! je sais qu'ils feront des mensonges sans nombre
Pour s'évader des mains de la Vérité sombre,
Qu'ils nieront, qu'ils diront : ce n'est pas moi, c'est lui.
Mais, n'est-il pas vrai, Dante, Eschyle, et vous, prophètes ?
Jamais, du poignet des poètes,
Jamais, pris en collet, les malfaiteurs n'ont fui.
J'ai fermé sur ceux-ci mon livre expiatoire ;
J'ai mis des verrous à l'histoire ;
L'histoire est un bagne aujourd'hui.

Le poète n'est plus l'esprit qui rêve et prie ;
Il a la grosse clef de la conciergerie.
Quand ils entrent au greffe, où pend leur chaîne au clou,
On regarde le prince aux poches, comme un drôle,
Et les empereurs à l'épaule ;
Macbeth est un escroc, César est un filou.
Vous gardes des forçats, ô mes strophes ailées !
Les Calliopes étoilées
Tiennent des registres d'écrou.

II.

Ô peuples douloureux, il faut bien qu'on vous venge !
Les rhéteurs froids m'ont dit : Le poète, c'est l'ange,
Il plane, ignorant Fould, Magnan, Morny, Maupas ;
Il contemple la nuit sereine avec délices... -
Non, tant que vous serez complices
De ces crimes hideux que je suis pas à pas,
Tant que vous couvrirez ces brigands de vos voiles,
Cieux azurés, soleils, étoiles,
Je ne vous regarderai pas !

Tant qu'un gueux forcera les bouches à se taire,
Tant que la liberté sera couchée à terre
Comme une femme morte et qu'on vient de noyer,
Tant que dans les pontons on entendra des râles,
J'aurai des clartés sépulcrales
Pour tous ces fronts abjects qu'un bandit fait ployer ;
Je crierai : Lève-toi, peuple ! ciel, tonne et gronde !
La France, dans sa nuit profonde,
Verra ma torche flamboyer !

III.

Ces coquins vils qui font de la France une Chine,
On entendra mon fouet claquer sur leur échine.
Ils chantent : Te Deum, je crierai : Memento !
Je fouaillerai les gens, les faits, les noms, les titres,
Porte-sabres et porte-mitres ;
Je les tiens dans mon vers comme dans un étau.
On verra choir surplis, épaulettes, bréviaires,
Et César, sous mes étrivières,
Se sauver, troussant son manteau !

Et les champs, et les prés, le lac, la fleur, la plaine,
Les nuages, pareils à des flocons de laine,
L'eau qui fait frissonner l'algue et les goëmons,
Et l'énorme océan, hydre aux écailles vertes,
Les forêts de rumeurs couvertes,
Le phare sur les flots, l'étoile sur les monts,
Me reconnaîtront bien et diront à voix basse
C'est un esprit vengeur qui passe,
Chassant devant lui les démons !

Jersey, le 13 novembre 1852.
Je déteste que tu aimes sans raison
Les statues sont sculptées à tes traits
Les tableaux sont peints à ton portrait
Pourquoi retournes-tu l'or au plomb ?

Déesse grecque, je suis a genoux devant ton autel
Quand les vers décrivent tes uniques manières
Et les musiques chantent tes beautés particulières
Pourquoi vivre comme de simples mortels ?

Pourquoi m'aimer comme les infidèles aiment
Puiser l’eau que les riches gaspillent
Accumuler une richesse que les barbares pillent
Et hériter des vengeances que les trahis sèment

Pourquoi remplacer la pureté de l'eau
Par le goût amer de la débauche du vin
La grâce d'un pur race chevalin
Par l'acharnement d'une mer contre un bateau

Quand les oiseaux te font la cour
Je soupçonne ton ouïe d'être sourd
Quand les chiens à tes caprices font des sauts
J'accuse tes yeux d'êtres aveugles au beau

Simplicités des saisons
Les rongeurs sont lassés de leurs noix
Les chanteurs sont privés de leurs voix
Violence des passions

— The End —