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Frères, je me confesse, et vais vous confier

Mon sort, pour vous instruire et vous édifier.


Un jour, je me sentis le désir de connaître

Ce qu'enfermait en soi le secret de mon être,

Ignorant jusque-là, je brûlai de savoir ;

J'examinai mon âme et j'eus peur à la voir.

Alors, et quand je l'eus à souhait regardée,

Que je la connus bien, il me vint à l'idée

De m'enquérir un peu pourquoi j'étais ainsi,

Et d'où je pouvais m'être à ce point endurci :

Car je ne pouvais pas me faire à la pensée

Qu'elle se fût si vite et si bas affaissée,

Car j'étais tout confus, car, en y bien cherchant,

Il me semblait à moi n'être pas né méchant.

En effet, je pouvais être bon. Mais j'espère

Que Dieu pardonne et fait miséricorde au père

Qui veut trop pour son fils, et lui fait désirer

Un sort où la raison lui défend d'aspirer !

Mon malheur vient de là, d'avoir pu méconnaître

L'humble condition où Dieu m'avait fait naître.

D'avoir tâché trop ****, et d'avoir prétendu

A m'élever plus haut que je ne l'aurais dû !

Hélas ! j'allai partout, chétif et misérable.

Traîner péniblement ma blessure incurable ;

Comme un pauvre à genoux au bord d'un grand chemin,

J'ai montré mon ulcère, et j'ai tendu la main ;

Malheureux matelot perdu dans un naufrage.

J'ai crié ; mais ma voix s'est mêlée à l'orage ;

Mais je n'ai rencontré personne qui voulût

Me plaindre, et me jeter la planche de salut.

Et moi, je n'allai point, libre et sans énergie.

Exhaler ma douleur en piteuse élégie.

Comme un enfant mutin pleure de ne pouvoir

Atteindre un beau fruit mûr qu'il vient d'apercevoir.

Je gardai mon chagrin pour moi, j'eus le courage

De renfermer ma haine et d'étouffer ma rage,

Personne n'entrevit ce que je ressentais.

Et l'on me crut joyeux parce que je chantais.

Tel s'est passé pour moi cet âge d'innocence

Où des songes riants bercent l'adolescence.

Sans jouir de la vie, et sans avoir jamais

Vu contenter un seul des vœux que je formais :

Jamais l'Illusion, jamais le doux Prestige,

Lutin capricieux qui rit et qui voltige,

Ne vint auprès de moi, dans son vol caressant,

Secouer sur mon front ses ailes en passant,

Et jamais voix de femme, harmonieuse et tendre,

N'a trouvé de doux mots qu'elle me fit entendre.

Une fois, une fois pourtant, sans le savoir,

J'ai cru naître à la vie, au bonheur, j'ai cru voir

Comme un éclair d'amour, une vague pensée

Qui vint luire à mon âme et qui l'a traversée,

A ce rêve si doux je crus quelques instants ;

- Mais elle est sitôt morte et voilà si longtemps !


Je me livrai dès lors à l'ardeur délirante

D'un cerveau maladif et d'une âme souffrante ;

J'entrepris de savoir tout ce que recelait

En soi le cœur humain de difforme et de laid ;

Je me donnai sans honte à ces femmes perdues

Qu'a séduites un lâche, ou qu'un père a vendues.

J'excitai dans leurs bras mes désirs épuisés,

Et je leur prodiguai mon or et mes baisers :

Près d'elles, je voulus contenter mon envie

De voir au plus profond des secrets de la vie.

J'allai, je descendis aussi **** que je pus

Dans les sombres détours de ces cœurs corrompus,

Trop heureux, quand un mot, un signe involontaire

D'un vice, neuf pour moi, trahissait le mystère,

Et qu'aux derniers replis à la fin parvenu,

Mon œil, comme leurs corps, voyait leur âme à nu.


Or, vous ne savez pas, combien à cette vie,

A poursuivre sans fin cette fatale envie

De tout voir, tout connaître, et de tout épuiser,

L'âme est prompte à s'aigrir et facile à s'user.

Malheur à qui, brûlant d'une ardeur insensée

De lire à découvert dans l'homme et sa pensée.

S'y plonge, et ne craint pas d'y fouiller trop souvent,

D'en approcher trop près, et d'y voir trop avant !

C'est ce qui m'acheva : c'est cette inquiétude

A chercher un cœur d'homme où mettre mon étude,

C'est ce mal d'avoir pu, trop jeune, apercevoir

Ce que j'aurais mieux fait de ne jamais savoir.

Désabusé de tout, je me suis vu ravie

La douce illusion qui fait aimer la vie,

Le riant avenir dont mon cœur s'est flétri,

Et ne pouvant plus croire à l'amour, j'en ai ri :

Et j'en suis venu là, que si, par occurrence,

- Je suis si jeune encore, et j'ai tant d'espérance !

- Une vierge aux doux yeux, et telle que souvent

J'en voyais autrefois m'apparaître en rêvant,

Simple, et croyant encore à la magie antique

De ces traditions du foyer domestique.

M'aimait, me le disait, et venait à son tour

Me demander sa part de mon âme en retour ;

Vierge, il faudrait me fuir, et faire des neuvaines

Pour arracher bientôt ce poison de tes veines,

Il faudrait me haïr, car moi, je ne pourrais

Te rendre cet amour que tu me donnerais,

Car je me suis damné, moi, car il faut te dire

Que je passe mes jours et mes nuits à maudire,

Que, sous cet air joyeux, je suis triste et nourris

Pour tout le genre humain le plus profond mépris :

Mais il faudrait me plaindre encore davantage

De m'être fait si vieux et si dur à cet âge,

D'avoir pu me glacer le cœur, et le fermer

A n'y laisser l'espoir ni la place d'aimer.
Alfred de Musset  Jun 2017
Idylle
A quoi passer la nuit quand on soupe en carême ?
Ainsi, le verre en main, raisonnaient deux amis.
Quels entretiens choisir, honnêtes et permis,
Mais gais, tels qu'un vieux vin les conseille et les aime ?

Rodolphe

Parlons de nos amours ; la joie et la beauté
Sont mes dieux les plus chers, après la liberté.
Ébauchons, en trinquant, une joyeuse idylle.
Par les bois et les prés, les bergers de Virgile
Fêtaient la poésie à toute heure, en tout lieu ;
Ainsi chante au soleil la cigale-dorée.
D'une voix plus modeste, au hasard inspirée,
Nous, comme le grillon, chantons au coin du feu.

Albert

Faisons ce qui te plaît. Parfois, en cette vie,
Une chanson nous berce et nous aide à souffrir,
Et, si nous offensons l'antique poésie,
Son ombre même est douce à qui la sait chérir.

Rodolphe

Rosalie est le nom de la brune fillette
Dont l'inconstant hasard m'a fait maître et seigneur.
Son nom fait mon délice, et, quand je le répète,
Je le sens, chaque fois, mieux gravé dans mon coeur.

Albert

Je ne puis sur ce ton parler de mon amie.
Bien que son nom aussi soit doux à prononcer,
Je ne saurais sans honte à tel point l'offenser,
Et dire, en un seul mot, le secret de ma vie.

Rodolphe

Que la fortune abonde en caprices charmants
Dès nos premiers regards nous devînmes amants.
C'était un mardi gras dans une mascarade ;
Nous soupions ; - la Folie agita ses grelots,
Et notre amour naissant sortit d'une rasade,
Comme autrefois Vénus de l'écume des flots.

Albert

Quels mystères profonds dans l'humaine misère !
Quand, sous les marronniers, à côté de sa mère,
Je la vis, à pas lents, entrer si doucement
(Son front était si pur, son regard si tranquille ! ),
Le ciel m'en est témoin, dès le premier moment,
Je compris que l'aimer était peine inutile ;
Et cependant mon coeur prit un amer plaisir
À sentir qu'il aimait et qu'il allait souffrir !

Rodolphe

Depuis qu'à mon chevet rit cette tête folle,
Elle en chasse à la fois le sommeil et l'ennui ;
Au bruit de nos baisers le temps joyeux s'envole,
Et notre lit de fleurs n'a pas encore un pli.

Albert

Depuis que dans ses yeux ma peine a pris naissance,
Nul ne sait le tourment dont je suis déchiré.
Elle-même l'ignore, - et ma seule espérance
Est qu'elle le devine un jour, quand j'en mourrai.

Rodolphe

Quand mon enchanteresse entr'ouvre sa paupière,
Sombre comme la nuit, pur comme la lumière,
Sur l'émail de ses yeux brille un noir diamant.

Albert

Comme sur une fleur une goutte de pluie,
Comme une pâle étoile au fond du firmament,
Ainsi brille en tremblant le regard de ma vie.

Rodolphe

Son front n'est pas plus grand que celui de Vénus.
Par un noeud de ruban deux bandeaux retenus
L'entourent mollement d'une fraîche auréole ;
Et, lorsqu'au pied du lit tombent ses longs cheveux,
On croirait voir, le soir, sur ses flancs amoureux,
Se dérouler gaiement la mantille espagnole.

Albert

Ce bonheur à mes yeux n'a pas été donné
De voir jamais ainsi la tête bien-aimée.
Le chaste sanctuaire où siège sa pensée
D'un diadème d'or est toujours couronné.

Rodolphe

Voyez-la, le matin, qui gazouille et sautille ;
Son coeur est un oiseau, - sa bouche est une fleur.
C'est là qu'il faut saisir cette indolente fille,
Et, sur la pourpre vive où le rire pétille,
De son souffle enivrant respirer la fraîcheur.

Albert

Une fois seulement, j'étais le soir près d'elle ;
Le sommeil lui venait et la rendait plus belle ;
Elle pencha vers moi son front plein de langueur,
Et, comme on voit s'ouvrir une rose endormie,
Dans un faible soupir, des lèvres de ma mie,
Je sentis s'exhaler le parfum de son coeur.

Rodolphe

Je voudrais voir qu'un jour ma belle dégourdie,
Au cabaret voisin de champagne étourdie,
S'en vînt, en jupon court, se glisser dans tes bras.
Qu'adviendrait-il alors de ta mélancolie ?
Car enfin toute chose est possible ici-bas.

Albert

Si le profond regard de ma chère maîtresse
Un instant par hasard s'arrêtait sur le tien,
Qu'adviendrait-il alors de cette folle ivresse ?
Aimer est quelque chose, et le reste n'est rien.

Rodolphe

Non, l'amour qui se tait n'est qu'une rêverie.
Le silence est la mort, et l'amour est la vie ;
Et c'est un vieux mensonge à plaisir inventé,
Que de croire au bonheur hors, de la volupté !
Je ne puis partager ni plaindre ta souffrance
Le hasard est là-haut pour les audacieux ;
Et celui dont la crainte a tué l'espérance
Mérite son malheur et fait injure aux dieux.

Albert

Non, quand leur âme immense entra dans la nature,
Les dieux n'ont pas tout dit à la matière impure
Qui reçut dans ses flancs leur forme et leur beauté.
C'est une vision que la réalité.
Non, des flacons brisés, quelques vaines paroles
Qu'on prononce au hasard et qu'on croit échanger,
Entre deux froids baisers quelques rires frivoles,
Et d'un être inconnu le contact passager,
Non, ce n'est pas l'amour, ce n'est pas même un rêve,
Et la satiété, qui succède au désir,
Amène un tel dégoût quand le coeur se soulève,
Que je ne sais, au fond, si c'est peine ou plaisir.

Rodolphe

Est-ce peine ou plaisir, une alcôve bien close,
Et le punch allumé, quand il fait mauvais temps ?
Est-ce peine ou plaisir, l'incarnat de la rose,
La blancheur de l'albâtre et l'odeur du printemps ?
Quand la réalité ne serait qu'une image,
Et le contour léger des choses d'ici-bas,
Me préserve le ciel d'en savoir davantage !
Le masque est si charmant, que j'ai peur du visage,
Et même en carnaval je n'y toucherais pas.

Albert

Une larme en dit plus que tu n'en pourrais dire.

Rodolphe

Une larme a son prix, c'est la soeur d'un sourire.
Avec deux yeux bavards parfois j'aime à jaser ;
Mais le seul vrai langage au monde est un baiser.

Albert

Ainsi donc, à ton gré dépense ta paresse.
O mon pauvre secret ! que nos chagrins sont doux !

Rodolphe

Ainsi donc, à ton gré promène ta tristesse.
O mes pauvres soupers ! comme on médit de vous !

Albert

Prends garde seulement que ta belle étourdie
Dans quelque honnête ennui ne perde sa gaieté.

Rodolphe

Prends garde seulement que ta rose endormie
Ne trouve un papillon quelque beau soir d'été.

Albert

Des premiers feux du jour j'aperçois la lumière.

Rodolphe

Laissons notre dispute et vidons notre verre.
Nous aimons, c'est assez, chacun à sa façon.
J'en ai connu plus d'une, et j'en sais la chanson.
Le droit est au plus fort, en amour comme en guerre,
Et la femme qu'on aime aura toujours raison.
Alfred de Musset  Jun 2017
Silvia
À Madame *.

Il est donc vrai, vous vous plaignez aussi,
Vous dont l'oeil noir, *** comme un jour de fête,
Du monde entier pourrait chasser l'ennui.
Combien donc pesait le souci
Qui vous a fait baisser la tête ?
C'est, j'imagine, un aussi lourd fardeau
Que le roitelet de la fable ;
Ce grand chagrin qui vous accable
Me fait souvenir du roseau.
Je suis bien **** d'être le chêne,
Mais, dites-moi, vous qu'en un autre temps
(Quand nos aïeux vivaient en bons enfants)
J'aurais nommée Iris, ou Philis, ou Climène,
Vous qui, dans ce siècle bourgeois,
Osez encor me permettre parfois
De vous appeler ma marraine,
Est-ce bien vous qui m'écrivez ainsi,
Et songiez-vous qu'il faut qu'on vous réponde ?
Savez-vous que, dans votre ennui,
Sans y penser, madame et chère blonde,
Vous me grondez comme un ami ?
Paresse et manque de courage,
Dites-vous ; s'il en est ainsi,
Je vais me remettre à l'ouvrage.
Hélas ! l'oiseau revient au nid,
Et quelquefois même à la cage.
Sur mes lauriers on me croit endormi ;
C'est trop d'honneur pour un instant d'oubli,
Et dans mon lit les lauriers n'ont que faire ;
Ce ne serait pas mon affaire.
Je sommeillais seulement à demi,
À côté d'un brin de verveine
Dont le parfum vivait à peine,
Et qu'en rêvant j'avais cueilli.
Je l'avouerai, ce coupable silence,
Ce long repos, si maltraité de vous,
Paresse, amour, folie ou nonchalance,
Tout ce temps perdu me fut doux.
Je dirai plus, il me fut profitable ;
Et, si jamais mon inconstant esprit
Sait revêtir de quelque fable
Ce que la vérité m'apprit,
Je vous paraîtrai moins coupable.
Le silence est un conseiller
Qui dévoile plus d'un mystère ;
Et qui veut un jour bien parler
Doit d'abord apprendre à se taire.
Et, quand on se tairait toujours,
Du moment qu'on vit et qu'on aime,
Qu'importe le reste ? et vous-même,
Quand avez-vous compté les jours ?
Et puisqu'il faut que tout s'évanouisse,
N'est-ce donc pas une folle avarice,
De conserver comme un trésor
Ce qu'un coup de vent nous enlève ?
Le meilleur de ma vie a passé comme un rêve
Si léger, qu'il m'est cher encor.
Mais revenons à vous, ma charmante marraine.
Vous croyez donc vous ennuyer ?
Et l'hiver qui s'en vient, rallumant le foyer,
A fait rêver la châtelaine.
Un roman, dites-vous, pourrait vous égayer ;
Triste chose à vous envoyer !
Que ne demandez-vous un conte à La Fontaine ?
C'est avec celui-là qu'il est bon de veiller ;
Ouvrez-le sur votre oreiller,
Vous verrez se lever l'aurore.
Molière l'a prédit, et j'en suis convaincu,
Bien des choses auront vécu
Quand nos enfants liront encore
Ce que le bonhomme a conté,
Fleur de sagesse et de gaieté.
Mais quoi ! la mode vient, et tue un vieil usage.
On n'en veut plus, du sobre et franc langage
Dont il enseignait la douceur,
Le seul français, et qui vienne du cœur ;
Car, n'en déplaise à l'Italie,
La Fontaine, sachez-le bien,
En prenant tout n'imita rien ;
Il est sorti du sol de la patrie,
Le vert laurier qui couvre son tombeau ;
Comme l'antique, il est nouveau.
Ma protectrice bien-aimée,
Quand votre lettre parfumée
Est arrivée à votre. enfant gâté,
Je venais de causer en toute liberté
Avec le grand ami Shakespeare.
Du sujet cependant Boccace était l'auteur ;
Car il féconde tout, ce charmant inventeur ;
Même après l'autre, il fallait le relire.
J'étais donc seul, ses Nouvelles en main,
Et de la nuit la lueur azurée,
Se jouant avec le matin,
Etincelait sur la tranche dorée
Du petit livre florentin ;
Et je songeais, quoi qu'on dise ou qu'on fasse,
Combien c'est vrai que les Muses sont sœurs ;
Qu'il eut raison, ce pinceau plein de grâce,
Qui nous les montre au sommet du Parnasse,
Comme une guirlande de fleurs !
La Fontaine a ri dans Boccace,
Où Shakespeare fondait en pleurs.
Sera-ce trop que d'enhardir ma muse
Jusqu'à tenter de traduire à mon tour
Dans ce livre amoureux une histoire d'amour ?
Mais tout est bon qui vous amuse.
Je n'oserais, si ce n'était pour vous,
Car c'est beaucoup que d'essayer ce style
Tant oublié, qui fut jadis si doux,
Et qu'aujourd'hui l'on croit facile.

Il fut donc, dans notre cité,
Selon ce qu'on nous a conté
(Boccace parle ainsi ; la cité, c'est Florence),
Un gros marchand, riche, homme d'importance,
Qui de sa femme eut un enfant ;
Après quoi, presque sur-le-champ,
Ayant mis ordre à ses affaires,
Il passa de ce monde ailleurs.
La mère survivait ; on nomma des tuteurs,
Gens loyaux, prudents et sévères ;
Capables de se faire honneur
En gardant les biens d'un mineur.
Le jouvenceau, courant le voisinage,
Sentit d'abord douceur de cœur
Pour une fille de son âge,
Qui pour père avait un tailleur ;
Et peu à peu l'enfant devenant homme,
Le temps changea l'habitude en amour,
De telle sorte que Jérôme
Sans voir Silvia ne pouvait vivre un jour.
À son voisin la fille accoutumée
Aima bientôt comme elle était aimée.
De ce danger la mère s'avisa,
Gronda son fils, longtemps moralisa,
Sans rien gagner par force ou par adresse.
Elle croyait que la richesse
En ce monde doit tout changer,
Et d'un buisson peut faire un oranger.
Ayant donc pris les tuteurs à partie,
La mère dit : « Cet enfant que voici,
Lequel n'a pas quatorze ans, Dieu merci !
Va désoler le reste de ma vie.
Il s'est si bien amouraché
De la fille d'un mercenaire,
Qu'un de ces jours, s'il n'en est empêché,
Je vais me réveiller grand'mère.
Soir ni matin, il ne la quitte pas.
C'est, je crois, Silvia qu'on l'appelle ;
Et, s'il doit voir quelque autre dans ses bras,
Il se consumera pour elle.
Il faudrait donc, avec votre agrément,
L'éloigner par quelque voyage ;
Il est jeune, la fille est sage,
Elle l'oubliera sûrement ;
Et nous le marierons à quelque honnête femme. »
Les tuteurs dirent que la dame
Avait parlé fort sagement.
« Te voilà grand, dirent-ils à Jérôme,
Il est bon de voir du pays.
Va-t'en passer quelques jours à Paris,
Voir ce que c'est qu'un gentilhomme,
Le bel usage, et comme on vit là-bas ;
Dans peu de temps tu reviendras. »
À ce conseil, le garçon, comme on pense,
Répondit qu'il n'en ferait rien,
Et qu'il pouvait voir aussi bien
Comment l'on vivait à Florence.
Là-dessus, la mère en fureur
Répond d'abord par une grosse injure ;
Puis elle prend l'enfant par la douceur ;
On le raisonne, on le conjure,
À ses tuteurs il lui faut obéir ;
On lui promet de ne le retenir
Qu'un an au plus. Tant et tant on le prie,
Qu'il cède enfin. Il quitte sa patrie ;
Il part, tout plein de ses amours,
Comptant les nuits, comptant les jours,
Laissant derrière lui la moitié de sa vie.
L'exil dura deux ans ; ce long terme passé,
Jérôme revint à Florence,
Du mal d'amour plus que jamais blessé,
Croyant sans doute être récompensé.
Mais. c'est un grand tort que l'absence.
Pendant qu'au **** courait le jouvenceau,
La fille s'était mariée.
En revoyant les rives de l'Arno,
Il n'y trouva que le tombeau
De son espérance oubliée.
D'abord il n'en murmura point,
Sachant que le monde, en ce point,
Agit rarement d'autre sorte.
De l'infidèle il connaissait la porte,
Et tous les jours il passait sur le seuil,
Espérant un signe, un coup d'oeil,
Un rien, comme on fait quand on aime.
Mais tous ses pas furent perdus
Silvia ne le connaissait plus,
Dont il sentit une douleur extrême.
Cependant, avant d'en mourir,
Il voulut de son souvenir
Essayer de parler lui-même.
Le mari n'était pas jaloux,
Ni la femme bien surveillée.
Un soir que les nouveaux époux
Chez un voisin étaient à la veillée,
Dans la maison, au tomber de la nuit,
Jérôme entra, se cacha près du lit,
Derrière une pièce de toile ;
Car l'époux était tisserand,
Et fabriquait cette espèce de voile
Qu'on met sur un balcon toscan.
Bientôt après les mariés rentrèrent,
Et presque aussitôt se couchèrent.
Dès qu'il entend dormir l'époux,
Dans l'ombre vers Silvia Jérôme s'achemine,
Et lui posant la main sur la poitrine,
Il lui dit doucement : « Mon âme, dormez-vous ?
La pauvre enfant, croyant voir un fantôme,
Voulut crier ; le jeune homme ajouta
« Ne criez pas, je suis votre Jérôme.
- Pour l'amour de Dieu, dit Silvia,
Allez-vous-en, je vous en prie.
Il est passé, ce temps de notre vie
Où notre enfance eut loisir de s'aimer,
Vous voyez, je suis mariée.
Dans les devoirs auxquels je suis liée,
Il ne me sied plus de penser
À vous revoir ni vous entendre.
Si mon mari venait à vous surprendre,
Songez que le moindre des maux
Serait pour moi d'en perdre le repos ;
Songez qu'il m'aime et que je suis sa femme. »
À ce discours, le malheureux amant
Fut navré jusqu'au fond de l'âme.
Ce fut en vain qu'il peignit son tourment,
Et sa constance et sa misère ;
Par promesse ni par prière,
Tout son chagrin ne put rien obtenir.
Alors, sentant la mort venir,
Il demanda que, pour grâce dernière,
Elle le laissât se coucher
Pendant un instant auprès d'elle,
Sans bouger et sans la toucher,
Seulement pour se réchauffer,
Ayant au cœur une glace mortelle,
Lui promettant de ne pas dire un mot,
Et qu'il partirait aussitôt,
Pour ne la revoir de sa vie.
La jeune femme, ayant quelque compassion,
Moyennant la condition,
Voulut contenter son envie.
Jérôme profita d'un moment de pitié ;
Il se coucha près de Silvie.
Considérant alors quelle longue amitié
Pour cette femme il avait eue,
Et quelle était sa cruauté,
Et l'espérance à tout jamais perdue,
Il résolut de cesser de souffrir,
Et rassemblant dans un dernier soupir
Toutes les forces de sa vie,
Il serra la main de sa mie,
Et rendit l'âme à son côté.
Silvia, non sans quelque surprise,
Admirant sa tranquillité,
Resta d'abord quelque temps indécise.
« Jérôme, il faut sortir d'ici,
Dit-elle enfin, l'heure s'avance. »
Et, comme il gardait le silence,
Elle pensa qu'il s'était endormi.
Se soulevant donc à demi,
Et doucement l'appelant à voix basse,
Elle étendit la main vers lui,
Et le trouva froid comme glace.
Elle s'en étonna d'abord ;
Bientôt, l'ayant touché plus fort,
Et voyant sa peine inutile,
Son ami restant immobile,
Elle comprit qu'il était mort.
Que faire ? il n'était pas facile
De le savoir en un moment pareil.
Elle avisa de demander conseil
À son mari, le tira de son somme,
Et lui conta l'histoire de Jérôme,
Comme un malheur advenu depuis peu,
Sans dire à qui ni dans quel lieu.
« En pareil cas, répondit le bonhomme,
Je crois que le meilleur serait
De porter le mort en secret
À son logis, l'y laisser sans rancune,
Car la femme n'a point failli,
Et le mal est à la fortune.
- C'est donc à nous de faire ainsi, »
Dit la femme ; et, prenant la main de son mari
Elle lui fit toucher près d'elle
Le corps sur son lit étendu.
Bien que troublé par ce coup imprévu,
L'époux se lève, allume sa chandelle ;
Et, sans entrer en plus de mots,
Sachant que sa femme est fidèle,
Il charge le corps sur son dos,
À sa maison secrètement l'emporte,
Le dépose devant la porte,
Et s'en revient sans avoir été vu.
Lorsqu'on trouva, le jour étant venu,
Le jeune homme couché par terre,
Ce fut une grande rumeur ;
Et le pire, dans ce malheur,
Fut le désespoir de la mère.
Le médecin aussitôt consulté,
Et le corps partout visité,
Comme on n'y vit point de blessure,
Chacun parlait à sa façon
De cette sinistre aventure.
La populaire opinion
Fut que l'amour de sa maîtresse
Avait jeté Jérôme en cette adversité,
Et qu'il était mort de tristesse,
Comme c'était la vérité.
Le corps fut donc à l'église porté,
Et là s'en vint la malheureuse mère,
Au milieu des amis en deuil,
Exhaler sa douleur amère.
Tandis qu'on menait le cercueil,
Le tisserand qui, dans le fond de l'âme,
Ne laissait pas d'être inquiet :
« Il est bon, dit-il à sa femme,
Que tu prennes ton mantelet,
Et t'en ailles à cette église
Où l'on enterre ce garçon
Qui mourut hier à la maison.
J'ai quelque peur qu'on ne médise
Sur cet inattendu trépas,
Et ce serait un mauvais pas,
Tout innocents que nous en sommes.
Je me tiendrai parmi les hommes,
Et prierai Dieu, tout en les écoutant.
De ton côté, prends soin d'en faire autant
À l'endroit qu'occupent les femmes.
Tu retiendras ce que ces bonnes âmes
Diront de nous, et nous ferons
Selon ce que nous entendrons. »
La pitié trop **** à Silvie
Etait venue, et ce discours lui plut.
Celui dont un baiser eût conservé la vie,
Le voulant voir encore, elle s'en fut.
Il est étrange, il est presque incroyable
Combien c'est chose inexplicable
Que la puissance de l'amour.
Ce cœur, si chaste et si sévère,
Qui semblait fermé sans retour
Quand la fortune était prospère,
Tout à coup s'ouvrit au malheur.
À peine dans l'église entrée,
De compassion et d'horreur
Silvia se sentit pénétrée ;
L'ancien amour s'éveilla tout entier.
Le front baissé, de son manteau voilée,
Traversant la triste assemblée,
Jusqu'à la bière il lui fallut aller ;
Et là, sous le drap mortuaire
Sitôt qu'elle vit son ami,
Défaillante et poussant un cri,
Comme une sœur embrasse un frère,
Sur le cercueil elle tomba ;
Et, comme la douleur avait tué Jérôme,
De sa douleur ainsi mourut Silvia.
Cette fois ce fut au jeune homme
A céder la moitié du lit :
L'un près de l'autre on les ensevelit.
Ainsi ces deux amants, séparés sur la terre,
Furent unis, et la mort fit
Ce que l'amour n'avait pu faire.
Contains More Than Kernel Of Truthful

alienation, expulsion, ostracization
     from body politick
     if member of society resistant,
     indifferent, adamant, et cetera
despite differentiation
     (across the figurative board)
     intolerance opposing ethos,
     asper unspoken social graces extant

(albeit manifested amidst diverse
     livingsocial variations) within
rubric of global civilizations primal,
     oral, nonverbal, et cetera codas

     automatically decreeing manual Kant
instilled from cradle
     to grave impossible mission scant
acceptance toward recalcitrant
     challenging precepts via rave and/or rant

thus when born into whatever culture,
     steeped with historical paradigm
one can protest superficial nigh cities
     til ivy blue in the face,
     or try to concoct a feeble rhyme
but culture club richly identified, endowed,
     brewed from heritage long time
ago until the cows come home to roost

hence creative pursuits one direction
     can turn to swiftly tailor
if harried styled
     with perceived restrictive parameters
     and cuss like a sailor
     with song and dance routine
(perhaps appearing on Dancing
     With The Stars), or

choosing subterfuge viz
     writing nefarious malware code, wheremailer
     daemons spring to life, when computer code
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(case in point - myself, hoot
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yet another Internet end user might experience
     greater reason to rage
against the machine before
     turning rogue gushing renegade, stage
jing anarchy against disparity
     with equal pay, cuz a working wage

aint nuttin boot peanuts
so if strong willed, hook hairs
     if you appear like a putz
just realize doggerel
     of this pooch iz gaseous
     boot utterly without guts
and hangs around the junkyard
     with other nerdy mutts.
Madame, croyez-moi ; bien qu'une autre patrie

Vous ait ravie à ceux qui vous ont tant chérie,

Allez, consolez-vous, ne pleurez point ainsi ;

Votre corps est là-bas, mais votre âme est ici :

C'est la moindre moitié que l'exil nous a prise ;

La tige s'est rompue au souffle de la brise ;

Mais l'ouragan jaloux, qui ternit sa splendeur,

Jeta la fleur au vent et nous laissa l'odeur.

A moins, à moins pourtant que dans cette retraite

Vous n'ayez apporté quelque peine secrète.

Et que là, comme ici, quelque ennui voyageur

Se cramponne à votre âme, inflexible et rongeur :

Car bien souvent, un mot, un geste involontaire.

Des maux que vous souffrez a trahi le mystère,

Et j'ai vu sous ces pleurs et cet abattement

La blessure d'un cœur qui saigne longuement.

Vous avez épuisé tout ce que la nature

A permis de bonheur à l'humble créature,

Et votre pauvre cœur, lentement consumé,

S'est fait vieux en un jour, pour avoir trop aimé :

Vous seule, n'est-ce pas, vous êtes demeurée

Fidèle à cet amour que deux avaient juré.

Et seule, jusqu'au bout, avez pieusement

Accompli votre part de ce double serment.

Consolez-vous encor ; car vous avez. Madame,

Achevé saintement votre rôle de femme ;

Vous avez ici-bas rempli la mission

Faite à l'être créé par la création.

Aimer, et puis souffrir, voilà toute la vie :

Dieu vous donna longtemps des jours dignes d'envie

Aujourd'hui, c'est la loi. vous payez chèrement

Par des larmes sans fin ce bonheur d'un moment.

Certes, tant de chagrins, et tant de nuits passées

A couver tristement de lugubres pensées.

Tant et de si longs pleurs n'ont pas si bien éteint

Les éclairs de vos yeux et pâli votre teint.

Que mainte ambition ne se fût contentée,

Madame, de la part qui vous en est restée.

Et que plus d'un encor n'y laissât sa raison.

Ainsi qu'aux églantiers l'agneau fait sa toison.

Mais votre âme est plus haute, et ne s'arrange guère

Des consolations d'un bonheur si vulgaire ;

Madame, ce n'est point un vase où, tour à tour,

Chacun puisse étancher la soif de son amour ;

Mais Dieu la fit semblable à la coupe choisie,

Dans les plus purs cristaux des rochers de l'Asie,

Où l'on verse au sultan le Chypre et le Xérès,

Qui ne sert qu'une fois, et qui se brise après.

Gardez-la donc toujours cette triste pensée

D'un amour méconnu et d'une âme froissée :

Que le prêtre debout, sur l'autel aboli,

Reste fidèle au Dieu dont il était rempli ;

Que le temple désert, aux vitraux de l'enceinte

Garde un dernier rayon de l'auréole sainte.

Et que l'encensoir d'or ne cesse d'exhaler

Le parfum d'un encens qui cessa de brûler !

Il n'est si triste nuit qu'au crêpe de son voile

Dieu ne fasse parfois luire une blanche étoile,

Et le ciel mit au fond des amours malheureux

Certains bonheurs cachés qu'il a gardés pour eux.

Supportez donc vos maux, car plus d'un les envie ;

Car, moi qui parle, au prix du repos de ma vie.

Au prix de tout mon sang. Madame, je voudrais

Les éprouver un jour, quitte à mourir après.
Le soleil de nos jours pâlit dès son aurore,
Sur nos fronts languissants à peine il jette encore
Quelques rayons tremblants qui combattent la nuit ;
L'ombre croit, le jour meurt, tout s'efface et tout fuit !
Qu'un autre à cet aspect frissonne et s'attendrisse,
Qu'il recule en tremblant des bords du précipice,
Qu'il ne puisse de **** entendre sans frémir
Le triste chant des morts tout prêt à retentir,
Les soupirs étouffés d'une amante ou d'un frère
Suspendus sur les bords de son lit funéraire,
Ou l'airain gémissant, dont les sons éperdus
Annoncent aux mortels qu'un malheureux n'est plus !
Je te salue, ô mort ! Libérateur céleste,
Tu ne m'apparais point sous cet aspect funeste
Que t'a prêté longtemps l'épouvante ou l'erreur ;
Ton bras n'est point armé d'un glaive destructeur,
Ton front n'est point cruel, ton oeil n'est point perfide,
Au secours des douleurs un Dieu clément te guide ;
Tu n'anéantis pas, tu délivres! ta main,
Céleste messager, porte un flambeau divin ;
Quand mon oeil fatigué se ferme à la lumière,
Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière ;
Et l'espoir près de toi, rêvant sur un tombeau,
Appuyé sur la foi, m'ouvre un monde plus beau !
Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles,
Viens, ouvre ma prison ; viens, prête-moi tes ailes,
Que tardes-tu? Parais ; que je m'élance enfin
Vers cet être inconnu, mon principe et ma fin !
Qui m'en a détaché ? qui suis-je, et que dois-je être ?
Je meurs et ne sais pas ce que c'est que de naître.
Toi, qu'en vain j'interroge, esprit, hôte inconnu,
Avant de m'animer, quel ciel habitais-tu ?
Quel pouvoir t'a jeté sur ce globe fragile ?
Quelle main t'enferma dans ta prison d'argile ?
Par quels noeuds étonnants, par quels secrets rapports
Le corps tient-il à toi comme tu tiens au corps ?
Quel jour séparera l'âme de la matière ?
Pour quel nouveau palais quitteras-tu la terre ?
As-tu tout oublié ? Par-delà le tombeau,
Vas-tu renaître encor dans un oubli nouveau ?
Vas-tu recommencer une semblable vie ?
Ou dans le sein de Dieu, ta source et ta patrie,
Affranchi pour jamais de tes liens mortels,
Vas-tu jouir enfin de tes droits éternels ?
Oui, tel est mon espoir, ô moitié de ma vie !
C'est par lui que déjà mon âme raffermie
A pu voir sans effroi sur tes traits enchanteurs
Se faner du printemps les brillantes couleurs.
C'est par lui que percé du trait qui me déchire,
Jeune encore, en mourant vous me verrez sourire,
Et que des pleurs de joie à nos derniers adieux,
A ton dernier regard, brilleront dans mes yeux.
" Vain espoir ! " s'écriera le troupeau d'Epicure,
Et celui dont la main disséquant la nature,
Dans un coin du cerveau nouvellement décrit,
Voit penser la matière et végéter l'esprit ;
Insensé ! diront-ils, que trop d'orgueil abuse,
Regarde autour de toi : tout commence et tout s'use,
Tout marche vers un terme, et tout naît pour mourir ;
Dans ces prés jaunissants tu vois la fleur languir ;
Tu vois dans ces forêts le cèdre au front superbe
Sous le poids de ses ans tomber, ramper sous l'herbe ;
Dans leurs lits desséchés tu vois les mers tarir ;
Les cieux même, les cieux commencent à pâlir ;
Cet astre dont le temps a caché la naissance,
Le soleil, comme nous, marche à sa décadence,
Et dans les cieux déserts les mortels éperdus
Le chercheront un jour et ne le verront plus !
Tu vois autour de toi dans la nature entière
Les siècles entasser poussière sur poussière,
Et le temps, d'un seul pas confondant ton orgueil,
De tout ce qu'il produit devenir le cercueil.
Et l'homme, et l'homme seul, ô sublime folie !
Au fond de son tombeau croit retrouver la vie,
Et dans le tourbillon au néant emporté.
Abattu par le temps, rêve l'éternité !
Qu'un autre vous réponde, ô sages de la terre !
Laissez-moi mon erreur : j'aime, il faut que j'espère ;
Notre faible raison se trouble et se confond.
Oui, la raison se tait : mais l'Instinct vous répond.
Pour moi, quand je verrais dans les célestes plaines,
Les astres, s'écartant de leurs routes certaines,
Dans les champs de l'éther l'un par l'autre heurtés,
Parcourir au hasard les cieux épouvantés ;
Quand j'entendrais gémir et se briser la terre ;
Quand je verrais son globe errant et solitaire
Flottant **** des soleils, pleurant l'homme détruit,
Se perdre dans les champs de l'éternelle nuit ;
Et quand, dernier témoin de ces scènes funèbres,
Entouré du chaos, de la mort, des ténèbres,
Seul je serais debout : seul, malgré mon effroi,
Etre infaillible et bon, j'espérerais en toi,
Et, certain du retour de l'éternelle aurore,
Sur les mondes détruits, je t'attendrais encore !
Souvent, tu t'en souviens, dans cet heureux séjour
Où naquit d'un regard notre immortel amour,
Tantôt sur les sommets de ces rochers antiques,
Tantôt aux bords déserts des lacs mélancoliques,
Sur l'aile du désir, **** du monde emportés,
Je plongeais avec toi dans ces obscurités.
Les ombres à longs plis descendant des montagnes,
Un moment à nos yeux dérobaient les campagnes
Mais bientôt s'avançant sans éclat et sans bruit
Le choeur mystérieux des astres de la nuit,
Nous rendant les objets voilés à notre vue,
De ses molles lueurs revêtait l'étendue ;
Telle, en nos temples saints par le jour éclairés,
Quand les rayons du soir pâlissent par degrés,
La lampe, répandant sa pieuse lumière,
D'un jour plus recueilli remplit le sanctuaire.
Dans ton ivresse alors tu ramenais mes yeux,
Et des cieux à la terre, et de la terre aux cieux ;
Dieu caché, disais-tu, la nature est ton temple !
L'esprit te voit partout quand notre oeil la contemple ;
De tes perfections, qu'il cherche à concevoir,
Ce monde est le reflet, l'image, le miroir ;
Le jour est ton regard, la beauté ton sourire
Partout le coeur t'adore et l'âme te respire ;
Eternel, infini, tout-puissant et tout bon,
Ces vastes attributs n'achèvent pas ton nom ;
Et l'esprit, accablé sous ta sublime essence,
Célèbre ta grandeur jusque dans son silence.
Et cependant, ô Dieu! par sa sublime loi,
Cet esprit abattu s'élance encore à toi,
Et sentant que l'amour est la fin de son être,
Impatient d'aimer, brûle de te connaître.
Tu disais : et nos coeurs unissaient leurs soupirs
Vers cet être inconnu qu'attestaient nos désirs ;
A genoux devant lui, l'aimant dans ses ouvrages,
Et l'aurore et le soir lui portaient nos hommages,
Et nos yeux enivrés contemplaient tour à tour
La terre notre exil, et le ciel son séjour.
Ah! si dans ces instants où l'âme fugitive
S'élance et veut briser le sein qui la captive,
Ce Dieu, du haut du ciel répondant à nos voeux,
D'un trait libérateur nous eût frappés tous deux !
Nos âmes, d'un seul bond remontant vers leur source,
Ensemble auraient franchi les mondes dans leur course
A travers l'infini, sur l'aile de l'amour,
Elles auraient monté comme un rayon du jour,
Et, jusqu'à Dieu lui-même arrivant éperdues,
Se seraient dans son sein pour jamais confondues !
Ces voeux nous trompaient-ils? Au néant destinés,
Est-ce pour le néant que les êtres sont nés ?
Partageant le destin du corps qui la recèle,
Dans la nuit du tombeau l'âme s'engloutit-elle ?
Tombe-t-elle en poussière ? ou, prête à s'envoler,
Comme un son qui n'est plus va-t-elle s'exhaler ?
Après un vain soupir, après l'adieu suprême
De tout ce qui t'aimait, n'est - il plus rien qui t'aime ?
Ah ! sur ce grand secret n'interroge que toi !
Vois mourir ce qui t'aime, Elvire, et réponds-moi !
Petit Jésus qui souffrez déjà dans votre chair

Pour obéir au premier précepte de la Loi,

Or, nous venons en ce jour saintement doux-amer,

Vous offrir les prémices aussi de notre foi.


Pour obéir, nous autres, à votre obéissance,

Nous apportons sur l'autel le parfait hommage

De nos péchés pénitents à votre innocence,

Sur l'autel blanc où votre sang si pur, notre otage,


Coule mystiquement comme il coula littéral

Au Golgotha, comme il stilla, pas plus réel

Mais littéral aussi, ce jour, dont le rituel

Retient l'anniversaire cruel et lilial.


Et nous circoncisons nos cœurs suivant votre exemple,

Et nous voudrons ressembler à Vous-même, qui fites

Le vieux Siméon, dans la solennité du temple,

Exhaler vers vous une allégresse sans limites.


L'ancien Adam qui se désolait dans son espoir

Toujours remis d'enfin voir, de ses yeux, nous meilleurs,

Nous très doux sans plus d'ire rouge ou d'orgueil noir,

Va chanter un fier cantique de joie et de pleurs,


Et dans les cieux les bienheureux et bienheureuses

S'éjouiront plus que de coutume, et les anges,

Pour ce que cette année, elle à peine dans les langes,

Dès son premier souffle, a ces haleines amoureuses.
D'où vient-il ce bouquet oublié sur la pierre ?

Dans l'ombre, humide encor de rosée, ou de pleurs,

Ce soir, est-il tombé des mains de la prière ?

Un enfant du village a-t-il perdu ces fleurs ?


Ce soir, fut-il laissé par quelque âme pensive

Sous la croix où s'arrête un pauvre voyageur ?

Est-ce d'un fils errant la mémoire naïve

Qui d'une pâle rose y cacha la blancheur ?


De nos mères partout nous suit l'ombre légère ;

Partout l'amitié prie et rêve à l'amitié ;

Le pèlerin souffrant sur la route étrangère

Offre à Dieu ce symbole, et croit en sa pitié !


Solitaire bouquet, ta tristesse charmante

Semble avec tes parfums exhaler un regret.

Peut-être es-tu promis au songe d'une amante :

Souvent dans une fleur l'amour a son secret !


Et moi j'ai rafraîchi les pieds de la madone

De lilas blancs, si chers à mon destin rêveur ;

Et la Vierge sait bien pour qui je les lui donne :

Elle entend la pensée au fond de notre cœur !
Sur fond sombre noyant un riche vestibule

Où le buste d'Horace et celui de Tibulle

Lointain et de profil rêvent en marbre blanc,

La main gauche au poignard et la main droite au flanc,

Tandis qu'un rire doux redresse la moustache,

Le duc César, en grand costume, se détache.

Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir

Vont contrastant, parmi l'or somptueux d'un soir,

Avec la pâleur mate et belle du visage

Vu de trois quarts et très ombré, suivant l'usage

Des Espagnols ainsi que des Vénitiens,

Dans les portraits de rois et de patriciens.

Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge,

Est mince, et l'on dirait que la tenture bouge

Au souffle véhément qui doit s'en exhaler.

Et le regard errant avec laisser-aller,

Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures,

Fourmille de pensers énormes d'aventures.

Et le front, large et pur, sillonné d'un grand pli,

Sans doute de projets formidables rempli,

Médite sous la toque où frissonne une plume

S'élançant hors d'un nœud de rubis qui s'allume.
Ah ! si j'avais des paroles,
Des images, des symboles,
Pour peindre ce que je sens !
Si ma langue, embarrassée
Pour révéler ma pensée,
Pouvait créer des accents !

Loi sainte et mystérieuse !
Une âme mélodieuse
Anime tout l'univers ;
Chaque être a son harmonie,
Chaque étoile son génie,
Chaque élément ses concerts.

Ils n'ont qu'une voix, mais pure,
Forte comme la nature,
Sublime comme son Dieu ;
Et, quoique toujours la même,
Seigneur, cette voix suprême
Se fait entendre en tout lieu.

Quand les vents sifflent sur l'onde,
Quand la mer gémit ou gronde,
Quand la foudre retentit,
Tout ignorants que nous sommes,
Qui de nous, enfants des hommes,
Demande ce qu'ils ont dit ?

L'un a dit : « Magnificence ! »
L'autre : « Immensité ! puissance ! »
L'autre : « Terreur et courroux ! »
L'un a fui devant sa face,
L'autre a dit : « Son ombre passe :
Cieux et terre, taisez-vous ! »

Mais l'homme, ta créature,
Lui qui comprend la nature,
Pour parler n'a que des mots,
Des mots sans vie et sans aile,
De sa pensée immortelle
Trop périssables échos !

Son âme est comme l'orage
Qui gronde dans le nuage
Et qui ne peut éclater,
Comme la vague captive
Qui bat et blanchit sa rive
Et ne peut la surmonter.

Elle s'use et se consume
Comme un aiglon dont la plume
N'aurait pas encor grandi,
Dont l'œil aspire à sa sphère,
Et qui rampe sur la terre
Comme un reptile engourdi.

Ah ! ce qu'aux anges j'envie
N'est pas l'éternelle vie,
Ni leur glorieux destin :
C'est la lyre, c'est l'organe
Par qui même un cœur profane
Peut chanter l'hymne sans fin !

Quelque chose en moi soupire,
Aussi doux que le zéphyr
Que la nuit laisse exhaler,
Aussi sublime que l'onde,
Ou que la foudre qui gronde ;
Et mon cœur ne peut parler !

Océan, qui sur tes rives
Épands tes vagues plaintives,
Rameaux murmurants des bois,
Foudre dont la nue est pleine,
Ruisseaux à la molle haleine,
Ah ! si j'avais votre voix !

Si seulement, ô mon âme,
Ce Dieu dont l'amour t'enflamme
Comme le feu, l'aquilon,
Au zèle ardent qui t'embrase
Accordait, dans une extase,
Un mot pour dire son nom !

Son nom, tel que la nature
Sans parole le murmure,
Tel que le savent les deux ;
Ce nom que J'aurore voile,
Et dont l'étoile à l'étoile
Est l'écho mélodieux ;

Les ouragans, le tonnerre,
Les mers, les feux et la terre,
Se tairaient pour l'écouter ;
Les airs, ravis de l'entendre,
S'arrêteraient pour l'apprendre,
Les deux pour le répéter.

Ce nom seul, redit sans cesse,
Soulèverait ma tristesse
Dans ce vallon de douleurs ;
Et je dirais sans me plaindre :
« Mon dernier jour peut s'éteindre,
J'ai dit sa gloire, et je meurs ! »
À Alexandre Piédagnel.


Le vent d'orage, allant où quelque dieu l'envoie,
S'il rencontre un parterre, y voudrait bien rester :
Autour du plus beau lis il s'enroule et tournoie,
Et gémit vainement sans pouvoir s'arrêter.

- « Demeure, endors ta fougue errante et soucieuse,
Endors-la dans mon sein, lui murmure la fleur.
Je suis moins qu'on ne croit fière et silencieuse,
Et l'été brûle en moi sous ma froide pâleur.

« Ton cruel tournoiement m'épuise et m'hallucine,
Et j'y sens tout mon cœur en soupirs s'exhaler...
Je suis fidèle ; ô toi, qui n'as pas de racine,
Pourquoi m'enlaces-tu si tu dois t'en aller ? » -

- « Hélas ! Lui répond-il, je suis une âme en peine,
L'angoisse et le caprice ont même aspect souvent.
Vois-tu ce grand nuage ? Attends que mon haleine
Ait donné forme et vie à ce chaos mouvant. » -

- « Pars, et reviens, après la pluie et le tonnerre ;
Je t'aime et t'attendrai ; ne me fais pas d'adieu,
Car nous nous unirons, moi sans quitter la terre,
Toi sans quitter le ciel, ce soir même en ce lieu. » -

- « J'y serai, » dit le vent. Sous le fouet qui l'exile
Il part, plein d'un regret d'espérance embaumé ;
Et la fleur ploie encore et quelque temps vacille,
Lente à reconquérir le calme accoutumé.

Elle est tout à son rêve, il est tout à l'ouvrage.
Mais que les rendez-vous entre eux sont superflus !
Quand la fraîcheur du soir eut apaisé l'orage,
Ni le vent ni la fleur n'existaient déjà plus.
Te souvient-il, ô mon âme, ô ma vie,
D'un jour d'automne et pâle et languissant ?
Il semblait dire un adieu gémissant
Aux bois qu'il attristait de sa mélancolie.
Les oiseaux dans les airs ne chantaient plus l'espoir ;
Une froide rosée enveloppait leurs ailes,
Et, rappelant au nid leurs compagnes fidèles,
Sur des rameaux sans fleurs ils attendaient le soir.

Les troupeaux, à regret menés aux pâturages,
N'y trouvaient plus que des herbes sauvages ;
Et le pâtre, oubliant sa rustique chanson,
Partageait le silence et le deuil du vallon.
Rien ne charmait l'ennui de la nature.
La feuille qui perdait sa riante couleur,
Les coteaux dépouillés de leur verte parure,
Tout demandait au ciel un rayon de chaleur.

Seule, je m'éloignais d'une fête bruyante ;
Je fuyais tes regards, je cherchais ma raison :
Mais la langueur des champs, leur tristesse attrayante,
À ma langueur secrète ajoutaient leur poison.
Sans but et sans espoir suivant ma rêverie,
Je portais au hasard un pas timide et lent ;
L'Amour m'enveloppa de ton ombre chérie,
Et, malgré la saison, l'air me parut brûlant.

Je voulais, mais en vain, par un effort suprême,
En me sauvant de toi, me sauver de moi-même ;
Mon œil, voilé de pleurs, à la terre attaché,
Par un charme invincible en fut comme arraché.
À travers les brouillards, une image légère
Fit palpiter mon sein de tendresse et d'effroi ;
Le soleil reparaît, l'environne, l'éclaire,
Il entr'ouvre les cieux.... Tu parus devant moi.
Je n'osai te parler ; interdite, rêveuse,
Enchaînée et soumise à ce trouble enchanteur,
Je n'osai te parler : pourtant j'étais heureuse ;
Je devinai ton âme, et j'entendis mon cœur.

Mais quand ta main pressa ma main tremblante,
Quand un frisson léger fit tressaillir mon corps,
Quand mon front se couvrit d'une rougeur brûlante,
Dieu ! qu'est-ce donc que je sentis alors ?
J'oubliai de te fuir, j'oubliai de te craindre ;
Pour la première fois ta bouche osa se plaindre,
Ma douleur à la tienne osa se révéler,
Et mon âme vers toi fut près de s'exhaler.
Il m'en souvient ! T'en souvient-il, ma vie,
De ce tourment délicieux,
De ces mots arrachés à ta mélancolie :
« Ah ! si je souffre, on souffre aux cieux ! »

Des bois nul autre aveu ne troubla le silence.
Ce jour fut de nos jours le plus beau, le plus doux ;
Prêt à s'éteindre, enfin il s'arrêta sur nous,
Et sa fuite à mon cœur présagea ton absence :
L'âme du monde éclaira notre amour ;
Je vis ses derniers feux mourir sous un nuage ;
Et dans nos cœurs brisés, désunis sans retour,
Il n'en reste plus que l'image !

— The End —