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Adrien Jul 2014
Son regard a croisé le mien
Ses yeux ont percé les miens
J'ai été fauché par son parfum
Elle m'a souri, je lui ai pris la main
Maintenant ma peau connait la sienne et ne veux plus la quitter
Et mes mains tremblent a l'idée de ne plus la toucher
Les jours je rêve d'elle, et je rêve eveillé
La nuit j'admire son image qui ne peux me quitter
Mon coeur fond, ma tête craque du seul son de sa voix
Comme la neige s'effondre sous un seul de nos pas

Je suis tombé dans le piège.
Maintenant il faut qu'elle m'achève
Mais je suis seul, et j'ai froid
Je ne vois plus que ses yeux
Je n'entend plus que sa voix
Je tombe d'amour, je tombe dans le piège
Et dans ma chute je crois bien que je la vois
Qui se jette dans le vide, le vide au creu de mes bras

Ne me retenez pas.

Je suis tombé
Je ne veux plus me relever
Je ne vie plus que pour elle
Il m'en pousserai des ailes
Mais je suis tombé.
Je suis cloué.
Je suis tombé dans le piège.
Et si ce n'est qu'un rêve

*Ne me reveillez pas.
La satire à présent, chant où se mêle un cri,
Bouche de fer d'où sort un sanglot attendri,
N'est plus ce qu'elle était jadis dans notre enfance,
Quand on nous conduisait, écoliers sans défense,
À la Sorbonne, endroit revêche et mauvais lieu,
Et que, devant nous tous qui l'écoutions fort peu,
Dévidant sa leçon et filant sa quenouille,
Le petit Andrieux, à face de grenouille,
Mordait Shakspeare, Hamlet, Macbeth, Lear, Othello,
Avec ses fausses dents prises au vieux Boileau.

La vie est, en ce siècle inquiet, devenue
Pas à pas grave et morne, et la vérité nue
Appelle la pensée à son secours depuis
Qu'on l'a murée avec le mensonge en son puits.
Après Jean-Jacques, après Danton, le sort ramène
Le lourd pas de la nuit sur la triste âme humaine ;
Droit et Devoir sont là gisants, la plaie au flanc ;
Le lâche soleil rit au noir dragon sifflant ;
L'homme jette à la mer l'honneur, vieille boussole ;
En léchant le vainqueur le vaincu se console ;
Toute l'histoire tient dans ce mot : réussir ;
Le succès est sultan et le meurtre est visir ;
Hélas, la vieille ivresse affreuse de la honte
Reparaît dans les yeux et sur les fronts remonte,
Trinque avec les tyrans, et le peuple fourbu
Reboit ce sombre vin dont il a déjà bu.
C'est pourquoi la satire est sévère. Elle ignore
Cette grandeur des rois qui fit Boileau sonore,
Et ne se souvient d'eux que pour les souffleter.
L'échafaud qu'il faut pièce à pièce démonter,
L'infâme loi de sang qui résiste aux ratures,
Qui garde les billots en lâchant les tortures,
Et dont il faut couper tous les ongles ; l'enfant
Que l'ignorance tient dans son poing étouffant
Et qui doit, libre oiseau, dans l'aube ouvrir ses ailes ;
Relever tour à tour ces sombres sentinelles,
Le mal, le préjugé, l'erreur, monstre romain,
Qui gardent le cachot où dort l'esprit humain ;
La guerre et ses vautours, la peste avec ses mouches,
À chasser ; les bâillons qu'il faut ôter des bouches ;
La parole à donner à toutes les douleurs ;
L'éclosion d'un jour nouveau sur l'homme en fleurs ;
Tel est le but, tel est le devoir, qui complique
Sa colère, et la fait d'utilité publique.

Pour enseigner à tous la vertu, l'équité,
La raison, il suffit que la Réalité,
Pure et sereine, monte à l'horizon et fasse
Évanouir l'horreur des nuits devant sa face.
Honte, gloire, grandeurs, vices, beautés, défauts,
Plaine et monts, sont mêlés tant qu'il fait nuit ; le faux
Fait semblant d'être honnête en l'obscurité louche.
Qu'est-ce que le rayon ? Une pierre de touche.
La lumière de tout ici-bas fait l'essai.
Le juste est sur la terre éclairé par le vrai ;
Le juste c'est la cime et le vrai c'est l'aurore.

Donc Lumière, Raison, Vérité, plus encore,
Bonté dans le courroux et suprême Pitié,
Le méchant pardonné, mais le mal châtié,
Voilà ce qu'aujourd'hui, comme aux vieux temps de Rome,
La satire implacable et tendre doit à l'homme.
Marquis ou médecins, une caste, un métier,
Ce n'est plus là son champ ; il lui faut l'homme entier.
Elle poursuit l'infâme et non le ridicule.

Un petit Augias veut un petit Hercule,
Et le bon Despréaux malin fit ce qu'il put.
Elle n'a plus affaire à l'ancien Lilliput.

Elle vole, à travers l'ombre et les catastrophes,
Grande et pâle, au milieu d'un ouragan de strophes ;
Elle crie à sa meute effrayante : - Courons !
Quand un vil parvenu, marchant sur tous les fronts,
Écrase un peuple avec des pieds jadis sans bottes.
Elle donne à ses chiens ailés tous les despotes,
Tous les monstres, géants et nains, à dévorer.
Elle apparaît aux czars pour les désespérer.
On entend dans son vers craquer les os du tigre.
De même que l'oiseau vers le printemps émigre,
Elle s'en va toujours du côté de l'honneur.
L'ange de Josaphat, le spectre d'Elseneur
Sont ses amis, et, sage, elle semble en démence,
Tant sa clameur profonde emplit le ciel immense.
Il lui faut, pour gronder et planer largement,
Tout le peuple sous elle, âpre, vaste, écumant ;
Ce n'est que sur la mer que le vent est à l'aise.

Quand Colomb part, elle est debout sur la falaise ;
Elle t'aime, ô Barbès ! Et suit d'un long vivat
Fulton, Garibaldi, Byron, John Brown et Watt,
Et toi Socrate, et toi Jésus, et toi Voltaire !
Elle fait, quand un mort glorieux est sous terre,
Sortir un vert laurier de son tombeau dormant ;
Elle ne permet pas qu'il pourrisse autrement.
Elle panse à genoux les vaincus vénérables,
Bénit les maudits, baise au front les misérables,
Lutte, et, sans daigner même un instant y songer,
Se sent par des valets derrière elle juger ;
Car, sous les règnes vils et traîtres, c'est un crime
De ne pas rire à l'heure où râle la victime
Et d'aimer les captifs à travers leurs barreaux ;
Et qui pleure les morts offense les bourreaux.

Est-elle triste ? Non, car elle est formidable.
Puisqu'auprès des tombeaux les vainqueurs sont à table,
Puisqu'on est satisfait dans l'opprobre, et qu'on a
L'impudeur d'être lâche avec un hosanna,
Puisqu'on chante et qu'on danse en dévorant les proies,
Elle vient à la fête elle aussi. Dans ces joies,
Dans ces contentements énormes, dans ces jeux
À force de triomphe et d'ivresse orageux,
Dans ces banquets mêlant Paphos, Clamart et Gnide,
Elle apporte, sinistre, un rire d'euménide.

Mais son immense effort, c'est la vie. Elle veut
Chasser la mort, bannir la nuit, rompre le nœud,
Dût-elle rudoyer le titan populaire.
Comme elle a plus d'amour, elle a plus de colère.
Quoi ! L'abdication serait un oreiller !
La conscience humaine est lente à s'éveiller ;
L'honneur laisse son feu pâlir, tomber, descendre
Sous l'épaississement lugubre de la cendre.
Aussi la Némésis chantante qui bondit
Et frappe, et devant qui Tibère est interdit,
La déesse du grand Juvénal, l'âpre muse,
Hébé par la beauté, par la terreur Méduse,
Qui sema dans la nuit ce que Dante y trouva,
Et que Job croyait voir parler à Jéhovah,
Se sent-elle encor plus de fureur magnanime
Pour réveiller l'oubli que pour punir le crime.
Elle approche du peuple et, guettant la rumeur,
Penche l'ïambe amer sur l'immense dormeur ;
La strophe alors frissonne en son tragique zèle,
Et s'empourpre en tâchant de tirer l'étincelle
De toute cette morne et fatale langueur,
Et le vers irrité devient une lueur.
Ainsi rougit dans l'ombre une face farouche
Qui vient sur un tison souffler à pleine bouche.

Le 26 avril 1870.
Le long bois de sapins se tord jusqu'au rivage,

L'étroit bois de sapins, de lauriers et de pins,

Avec la ville autour déguisée en village :

Chalets éparpillés rouges dans le feuillage

Et les blanches villas des stations de bains.


Le bois sombre descend d'un plateau de bruyère,

Va, vient, creuse un vallon, puis monte vert et noir

Et redescend en fins bosquets où la lumière

Filtre et dore l'obscur sommeil du cimetière

Qui s'étage bercé d'un vague nonchaloir.


À gauche la tour lourde (elle attend une flèche)

Se dresse d'une église invisible d'ici,

L'estacade très **** ; haute, la tour, et sèche :

C'est bien l'anglicanisme impérieux et rêche

À qui l'essor du cœur vers le ciel manque aussi.


Il fait un de ces temps ainsi que je les aime,

Ni brume ni soleil ! le soleil deviné,

Pressenti, du brouillard mourant dansant à même

Le ciel très haut qui tourne et fuit, rose de crème ;

L'atmosphère est de perle et la mer d'or fané.


De la tour protestante il part un chant de cloche,

Puis deux et trois et quatre, et puis huit à la fois,

Instinctive harmonie allant de proche en proche,

Enthousiasme, joie, appel, douleur, reproche,

Avec de l'or, du bronze et du feu dans la voix ;


Bruit immense et bien doux que le long bois écoute !

La musique n'est pas plus belle. Cela vient

Lentement sur la mer qui chante et frémit toute,

Comme sous une armée au pas sonne une route

Dans l'écho qu'un combat d'avant-garde retient.


La sonnerie est morte. Une rouge traînée

De grands sanglots palpite et s'éteint sur la mer.

L'éclair froid d'un couchant de la nouvelle année

Ensanglante là-bas la ville couronnée

De nuit tombante, et vibre à l'ouest encore clair.


Le soir se fonce. Il fait glacial. L'estacade

Frissonne et le ressac a gémi dans son bois

Chanteur, puis est tombé lourdement en cascade

Sur un rythme brutal comme l'ennui maussade

Qui martelait mes jours coupables d'autrefois :


Solitude du cœur dans le vide de l'âme,

Le combat de la mer et des vents de l'hiver,

L'orgueil vaincu, navré, qui râle et qui déclame,

Et cette nuit où rampe un guet-apens infâme,

Catastrophe flairée, avant-goût de l'Enfer !...


Voici trois tintements comme trois coups de flûtes,

Trois encor, trois encor ! l'Angelus oublié

Se souvient, le voici qui dit : Paix à ces luttes !

Le Verbe s'est fait chair pour relever tes chutes,

Une vierge a conçu, le monde est délié !


Ainsi Dieu parle par la voix de sa chapelle

Sise à mi-côte à droite et sur le bord du bois...

Ô Rome, ô Mère ! Cri, geste qui nous rappelle

Sans cesse au bonheur seul et donne au cœur rebelle

Et triste le conseil pratique de la Croix.


- La nuit est de velours. L'estacade laissée

Tait par degrés son bruit sous l'eau qui refluait,

Une route assez droite heureusement tracée

Guide jusque chez moi ma retraite pressée

Dans ce noir absolu sous le long bois muet.
Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre :
La gueuse, de mon âme, emprunte tout son lustre ;
Invisible aux regards de l'univers moqueur,
Sa beauté ne fleurit que dans mon triste coeur.

Pour avoir des souliers elle a vendu son âme.
Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme,
Je tranchais du Tartufe et singeais la hauteur,
Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur.

Vice beaucoup plus grave, elle porte perruque.
Tous ses beaux cheveux noirs ont fui sa blanche nuque ;
Ce qui n'empêche pas les baisers amoureux.
De pleuvoir sur son front plus pelé qu'un lépreux.

Elle louche, et l'effet de ce regard étrange
Qu'ombragent des cils noirs plus longs que ceux d'un ange,
Est tel que tous les yeux pour qui l'on s'est damné
Ne valent pas pour moi son oeil juif et cerné.

Elle n'a que vingt ans ; - la gorge déjà basse
Pend de chaque côté comme une calebasse,
Et pourtant, me traînant chaque nuit sur son corps,
Ainsi qu'un nouveau-né, je la tette et la mords,

Et bien qu'elle n'ait pas souvent même une obole
Pour se frotter la chair et pour s'oindre l'épaule,
Je la lèche en silence avec plus de ferveur
Que Madeleine en feu les deux pieds du Sauveur.

La pauvre créature, au plaisir essoufflée,
A de rauques hoquets la poitrine gonflée,
Et je devine au bruit de son souffle brutal
Qu'elle a souvent mordu le pain de l'hôpital.

Ses grands yeux inquiets, durant la nuit cruelle,
Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle,
Car, ayant trop ouvert son coeur à tous venants,
Elle a peur sans lumière et croit aux revenants.

Ce qui fait que de suif elle use plus de livres
Qu'un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres,
Et redoute bien moins la faim et ses tourments
Que l'apparition de ses défunts amants.

Si vous la rencontrez, bizarrement parée,
Se faufilant, au coin d'une rue égarée,
Et la tête et l'oeil bas comme un pigeon blessé,
Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,

Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d'ordure
Au visage fardé de cette pauvre impure
Que déesse Famine a par un soir d'hiver,
Contrainte à relever ses jupons en plein air.

Cette bohème-là, c'est mon tout, ma richesse,
Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,
Celle qui m'a bercé sur son giron vainqueur,
Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon coeur.
C'était l'heure chantante où, plus doux que l'aurore,
Le jour en expirant semble sourire encore,
Et laisse le zéphyr dormant sous les rameaux
En descendre avec l'ombre et flotter sur les eaux ;
La cloche dans la tour, lentement ébranlée,
Roulait ses longs soupirs de vallée en vallée,
Comme une voix du soir qui, mourant sur les flots,
Rappelle avant la nuit la nature au repos.
Les villageois, épars autour de leurs chaumières,
Cadençaient à ses sons leurs rustiques prières,
Rallumaient en chantant la flamme des foyers,
Suspendaient les filets aux troncs des peupliers,
Ou, déliant le joug de leurs taureaux superbes,
Répandaient devant eux l'or savoureux des gerbes ;
Puis, assis en silence au seuil de leurs séjours,
Attendaient le sommeil, ce doux prix de leurs jours.

Deux enfants du hameau, l'un pasteur du bocage,
L'autre jeune pêcheur de l'orageuse plage,
Consacrant à l'amour l'heure oisive du soir,
A l'ombre du même arbre étaient venus s'asseoir ;
Là, pour goûter le frais au pied du sycomore,
Chacun avait conduit la vierge qu'il adore :
Néaere et Naela, deux jeunes sœurs, deux lis
Que sur la même tige un seul souffle a cueillis.
Les deux amants, couchés aux genoux des bergères,
Les regardaient tresser les tiges des fougères.
Un tertre de gazon, d'anémones semé,
Étendait sous la pente un tapis parfumé ;
La mer le caressait de ses vagues plaintives ;
Douze chênes, courbant leurs vieux troncs sur ses rives,
Ne laissaient sous leurs feuilles entrevoir qu'à demi
Le bleu du firmament dans son flot endormi.
Un arbre dont la vigne enlaçait le feuillage
Leur versait la fraîcheur de son mobile ombrage ;
Et non **** derrière eux, dans un champ déjà mûr,
Où le pampre et l'érable entrelaçaient leur mur,
Ils entendaient le bruit de la brise inégale
Tomber, se relever, gémir par intervalle,
Et, ranimant les airs par le jour assoupis,
Glisser en bruissant entre l'or des épis.

Ils disputaient entre eux des doux soins de leur vie ;
Chacun trouvait son sort le plus digne d'envie :
L'humble berger vantait les doux soins des troupeaux,
Le pêcheur sa nacelle et le charme des eaux ;
Quand un vieillard leur dit avec un doux sourire :
- Chantez ce que les champs ou l'onde vous inspire !
Chantez ! Celui des deux dont la touchante voix
Saura mieux faire aimer les vagues ou les bois,
Des mais de la maîtresse à qui sa voix est chère
Recevra le doux prix de ses accords: Néaere,
Offrant à son amant le prix des moissonneurs,
A sa dernière gerbe attachera des fleurs ;
Et Naela, tressant les roses qu'elle noue,
De l'esquif du pêcheur couronnera la proue,
Et son mât tout le jour, aux yeux des matelots,
De ses bouquets flottants parfumera les flots.
Ainsi dit le vieillard. On consent en silence :
Le beau pêcheur médite, et le pasteur commence.

LE PASTEUR.

Quand l'astre du printemps, au berceau d'un jour pur,
Lève à moitié son front dans la changeant azur ;
Quand l'aurore, exhalant sa matinale haleine,
Épand les doux parfums dont la vallée est pleine,
Et, faisant incliner le calice des fleurs,
De la nuit sur les prés laisse épancher les pleurs,
Alors que du matin la vive messagère,
L'alouette, quittant son lit dans la fougère,
Et modulant des airs gais comme le réveil,
Monte, plane et gazouille au-devant du soleil :
Saisissant mes taureaux par leur corne glissante,
Je courbe sous le joug leur tête mugissante,
Par des nœuds douze fois sur leurs fronts redoublés,
J'attache au bois polis leurs membres accouplés ;
L'anneau brillant d'acier au timon les enchaîne,
J'entrelace à leur joug de longs festons de chêne,
Dont la feuille mobile et les flottants rameaux
De l'ardeur du midi protègent leurs naseaux.
À M. B *


Lorsqu'autrefois, au seuil des saintes basiliques,

Des rois, couverts d'un sac, et baisant des reliques.

Les reins ceints d'une corde, et les pieds tout meurtris,

Venaient s'agenouiller repentants et contrits ;

En expiation de quelques grands scandales

Humiliaient leur front dans la poudre des dalles.

Et dans le sanctuaire où Dieu s'était caché

Se frappaient la poitrine en criant : J'ai péché !

Dans le fond de ces cœurs à qui voulait descendre

L'orgueil apparaissait bientôt sous cette cendre,

Et laissait voir à nu ce que de vanité

Recelait en dedans si haute humilité.


Mais quand un homme obscur qui n'eut jamais l'envie

Que de cacher à tous la trace de sa vie,

Qui va suivant sa route en marquant chaque pas,

Par quelque œuvre de bien que l'on ne connaît pas,

Quand par hasard cet homme, après soixante années

D'honneur et de vertus l'une à l'autre enchaînées,

Arrivant près du terme, et las d'avoir marché,

Dans cette voie étroite une fois a bronché.

Alors il faut gémir qu'aux choses de la terre

La main d'un Dieu jaloux ait fait ce caractère

De ne pouvoir toujours, entre tant de combats,

Garder une vertu qui n'est point d'ici-bas,

Et vienne tôt ou **** jeter quelque mélange

Sur cette pureté qu'il réserve pour l'ange.

Comme pour faire voir que toujours d'un côté

Un cœur, si haut qu'il soit, touche à l'humanité.


Mais lors qu'après, cet homme, ayant dans le silence

Pesé cette action au poids de sa balance,

S'en revient devant tous pensif et recueilli,

Dire en plein jour, tout haut : Mes frères, j'ai failli !

Oh ! s'il a fait cela, la victoire est plus belle

Qu'il vient de remporter sur cette âme rebelle.

Cet effort est plus grand et plus beau, que d'avoir

Achevé, sans combat, la route du devoir.

Là, ce n'est pas le cri d'un vain orgueil qui pense

Dans son abaissement trouver sa récompense,

C'est le sublime aveu d'un cœur qui ne veut pas

Se faire un tel fardeau pour l'heure du trépas :

- Donc, relevez la tête, et ne vous touchez guères

De ce qu'ont dit en soi tous ces hommes vulgaires

Qui n'ont jamais senti, n'ayant point combattu,

Ce que donne de prix la lutte à la vertu.

Laissez-les ces gens-là, traîner sans résistance

Dans de froides vertus une pâle existence,

Par les chemins battus laissez-les pas-à-pas

S'avancer vers un but qu'ils ne comprennent pas ;

Et tenez pour certain qu'il est moins méritoire

D'avoir toujours suivi sans lutte et sans victoire

La monotone voix d'un honneur rétréci.

Qu'après être tombé se relever ainsi.
(Mort le 31 décembre 1829.)

Hélas ! que fais-tu donc, ô Rabbe, ô mon ami,
Sévère historien dans la tombe endormi !

Je l'ai pensé souvent dans mes heures funèbres,
Seul près de mon flambeau qui rayait les ténèbres,
Ô noble ami, pareil aux hommes d'autrefois,
Il manque parmi nous ta voix, ta forte voix
Pleine de l'équité qui gonflait ta poitrine,
Il nous manque ta main qui grave et qui burine,
Dans ce siècle où par l'or les sages sont distraits,
Où l'idée est servante auprès des intérêts,
Temps de fruits avortés et de tiges rompues,
D'instincts dénaturés, de raisons corrompues,
Où, dans l'esprit humain tout étant dispersé,
Le présent au hasard flotte sur le passé !

Si parmi nous ta tête était debout encore,
Cette cime où vibrait l'éloquence sonore,
Au milieu de nos flots tu serais calme et grand.
Tu serais comme un pont posé sur ce courant.

Tu serais pour chacun la voix haute et sensée
Qui fait que tout brouillard s'en va de la pensée,
Et que la vérité, qu'en vain nous repoussions,
Sort de l'amas confus des sombres visions !

Tu dirais aux partis qu'ils font trop de poussière
Autour de la raison pour qu'on la voie entière ;
Au peuple, que la loi du travail est sur tous
Et qu'il est assez fort pour n'être pas jaloux ;
Au pouvoir, que jamais le pouvoir ne se venge,
Et que pour le penseur c'est un spectacle étrange
Et triste quand la loi, figure au bras d'airain,
Déesse qui ne doit avoir qu'un front serein,
Sort à de certains jours de l'urne consulaire
L'œil hagard, écumante et folle de colère !

Et ces jeunes esprits, à qui tu souriais,
Et que leur âge livre aux rêves inquiets,
Tu leurs dirais : « Amis, nés pour des temps prospères,
Oh ! n'allez pas errer comme ont erré vos pères !
Laissez mûrir vos fronts ! gardez-vous, jeunes gens,
Des systèmes dorés aux plumages changeants
Qui dans les carrefours s'en vont faire la roue !
Et de ce qu'en vos cœurs l'Amérique secoue,
Peuple à peine essayé, nation de hasard,
Sans tige, sans passé, sans histoire et sans art !
Et de cette' sagesse impie, envenimée,
Du cerveau de Voltaire éclose toute armée,
Fille de l'ignorance et de l'orgueil, posant
Les lois des anciens jours sur les mœurs d'à présent,
Qui refait un chaos partout où fut un monde,
Qui rudement enfonce, ô démence profonde !
Le casque étroit de Sparte au front du vieux Paris,
Qui dans les temps passés, mal lus et mal compris,
Viole effrontément tout sage pour lui faire
Un monstre qui serait la terreur de son père !
Si bien que les héros antiques tout tremblants
S'en sont voilé la face, et qu'après trois mille ans,
Par ses embrassements réveillé sous la pierre,
Lycurgue qu'elle épouse enfante Robespierre !  »

Tu nous dirais à tous : « Ne vous endormez pas !
Veillez, et soyez prêts ! car déjà pas à pas
La main de l'oiseleur dans l'ombre s'est glissée
Partout où chante un nid couvé par la pensée !
Car les plus nobles cœurs sont vaincus ou sont las !
Car la Pologne aux fers ne peut plus même, hélas !
Mordre le pied du czar appuyé sur sa gorge !
Car on voit chaque jour s'allonger dans la forge
La chaîne que les rois, craignant la liberté,
Font pour cette géante endormie à côté !
Ne vous endormez pas ! travaillez sans relâche !
Car les grands ont leur œuvre et les petits leur tâche,
Chacun a son ouvrage à faire. Chacun met
Sa pierre à l'édifice encor **** du sommet.
Qui croit avoir fini pour un roi qu'on dépose
Se trompe. Un roi qui tombe est toujours peu de chose.
Il est plus difficile et c'est un plus grand poids
De relever les mœurs que d'abattre les rois.
Rien chez vous n'est complet. La ruine ou l'ébauche.
L'épi n'est pas formé que votre main le fauche !
Vous êtes encombrés de plans toujours rêvés
Et jamais accomplis. Hommes, vous ne savez
Tant vous connaissez peu ce qui convient aux âmes,
Que faire des enfants ni que faire des femmes !
Où donc en êtes-vous ? Vous vous applaudissez
Pour quelques blocs de lois au hasard entassés !
Ah : l'heure du repos pour aucun n'est venue.
Travaillez ! Vous cherchez une chose inconnue,
Vous n'avez pas de foi, vous n'avez pas d'amour,
Rien chez vous n'est encore éclairé du vrai jour !
Crépuscule et brouillards que vos plus clairs systèmes !
Dans vos lois, dans vos mœurs, et dans vos esprits mêmes
Partout l'aube blanchâtre ou le couchant vermeil !
Nulle part le midi ! nulle part le soleil !  »

Tu parlerais ainsi dans des livres austères,
Comme parlaient jadis les anciens solitaires,
Comme parlent tous ceux devant qui l'on se tait,
Et l'on t'écouterait comme on les écoutait.
Et l'on viendrait vers toi dans ce siècle plein d'ombre
Où, chacun se heurtant aux obstacles sans nombre
Que faute de lumière on tâte avec la main,
Le conseil manque à l'âme et le guide au chemin !

Hélas ! à chaque instant des souffles de tempêtes
Amassent plus de brume et d'ombre sur nos têtes.
De moment en moment l'avenir s'assombrit.
Dans le calme du cœur, dans la paix de l'esprit,
Je t'adressais ces vers où mon âme sereine
N'a laissé sur ta pierre écumer nulle haine,
À toi qui dors couché dans le tombeau profond,
À toi qui ne sais plus ce que les hommes font !
Je t'adressais ces vers pleins de tristes présages.
Car c'est bien follement que nous nous croyions sages !
Le combat furieux recommence à gronder
Entre le droit de croître et le droit d'émonder ;
La bataille où les lois attaquent les idées
Se mêle de nouveau sur des mers mal sondées ;
Chacun se sent troublé comme l'eau sous le vent ;
Et moi-même, à cette heure, à mon foyer rêvant,
Voilà, depuis cinq ans qu'on oubliait Procuste,
Que j'entends aboyer au seuil du drame auguste
La censure à l'haleine immonde, aux ongles noirs,
Cette chienne au front bas qui suit tous les pouvoirs,
Vile, et mâchant toujours dans sa gueule souillée,
Ô muse ! quelque pan de ta robe étoilée !

Hélas ! que fais-tu donc, ô Rabbe, ô mon ami,
Sévère historien dans la tombe endormi !

Le 14 septembre 1835.
Un tout petit enfant s'en allait à l'école.
On avait dit : Allez !... il tâchait d'obéir ;
Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir.
Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.

« Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler ?
Moi, je vais à l'école : il faut apprendre à lire ;
Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire :
Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre à voler ? »

« Non, dit-elle ; j'arrive et je suis très pressée.
J'avais froid ; l'aquilon m'a longtemps oppressée :
Enfin, j'ai vu les fleurs, je redescends du ciel,
Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
Voyez ! j'en ai déjà puisé dans quatre roses ;
Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.
Vite, vite à la ruche ! on ne rit pas toujours :
C'est pour faire le miel qu'on nous rends les beaux jours. »

Elle fuit et se perd sur la route embaumée.
Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert ;
Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée
Se montrait sans nuage et riait de l'hiver.

Une hirondelle passe : elle effleure la joue
Du petit nonchalant qui s'attriste et qui joue.
Et dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.

« Oh ! bonjour ! dit l'enfant, qui se souvenait d'elle ;
Je t'ai vue à l'automne ; oh ! bonjour, hirondelle.
Viens ! tu portais bonheur à ma maison, et moi
Je voudrais du bonheur. Veux-tu m'en donner, toi ?
Jouons. » - « Je le voudrais, répond la voyageuse,
Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.
Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps ;
Ils rêveraient ma mort si je tardais longtemps.
Non, je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,
J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance.
Nous allons relever nos palais dégarnis :
L'herbe croît, c'est l'instant des amours et des nids.
J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,
Je vais chercher mes soeurs, là-bas, sur le chemin.
Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,
Il faut en profiler. Je me sauve... À demain ! »

L'enfant reste muet ; et, la tête baissée,
Rêve et compte ses pas, pour tromper son ennui,
Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
Rompt ses fragiles noeuds, et tombe auprès de lui.

Un dogue l'observait du seuil de sa demeure.
Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.
Hélas ! peut-on crier contre un enfant qui pleure ?
« Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu,
Dit l'écolier plaintif ? Je n'aime pas mon livre ;
Voyez ! ma main est rouge, il en est cause. Au jeu
Rien ne fatigue, on rit ; et moi je voudrais vivre
Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours ;
Je m'en plains tous les soirs, et j'y vais tous les jours ;
J'en suis très mécontent. Je n'aime aucune affaire.
Le sort des chiens me plaît, car ils n'ont rien à faire. »

« Écolier ! voyez-vous ce laboureur aux champs ?
Eh bien ! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître.
Il est très vigilant ; je le suis plus, peut-être.
Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants.
J'éveille aussi ce boeuf qui, d'un pied lent, mais ferme,
Va creuser les sillons quand je garde la ferme.
Pour vous même on travaille ; et, grâce à vos brebis,
Votre mère, en chantant, vous file des habits.
Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange. »

« Allez donc à l'école ; allez, mon petit ange !
Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux :
L'ignorance toujours mène à la servitude.
L'homme est fin, l'homme est sage, il nous défend l'étude,
« Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux ;
Les chiens vous serviront. » L'enfant l'écouta dire,
Et même il le baisa.
Son livre était moins lourd.
En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court.
L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.
À l'école, un peu ****, il arrive gaîment,
Et dans le mois des fruits il lisait couramment.
I.

Quand la terre engloutit les cités qui la couvrent,
Que le vent sème au **** un poison voyageur,
Quand l'ouragan mugit, quand des monts brûlants s'ouvrent,
C'est le réveil du Dieu vengeur.
Et si, lassant enfin les clémences célestes,
Le monde à ces signes funestes
Ose répondre en les bravant,
Un homme alors, choisi par la main qui foudroie,
Des aveugles fléaux ressaisissant la proie,
Paraît, comme un fléau vivant !

Parfois, élus maudits de la fureur suprême,
Entre les nations des hommes sont passés,
Triomphateurs longtemps armés de l'anathème,
Par l'anathème renversés.
De l'esprit de Nemrod héritiers formidables,
Ils ont sur les peuples coupables
Régné par la flamme et le fer ;
Et dans leur gloire impie, en désastres féconde,
Ces envoyés du ciel sont apparus au monde,
Comme s'ils venaient de l'enfer !

II.

Naguère, de lois affranchis,
Quand la reine des nations
Descendit de la monarchie,
Prostituée aux factions,
On vit, dans ce chaos fétide
Naître de l'hydre régicide
Un despote, empereur d'un camp.
Telle souvent la mer qui gronde
Dévore une plaine féconde
Et ***** un sombre volcan.

D'abord, troublant du Nil les hautes catacombes,
Il vint, chef populaire, y combattre en courant,
Comme pour insulter des tyrans dans leurs tombes,
Sous sa tente de conquérant. -
Il revint pour régner sur ses compagnons d'armes.
En vain l'auguste France en larmes
Se promettait des jours plus beaux ;
Quand des vieux pharaons il foulait la couronne,
Sourd à tant de néant, ce n'était qu'un grand trône
Qu'il rêvait sur leurs grands tombeaux.

Un sang royal teignit sa pourpre usurpatrice ;
Un guerrier fut frappé par ce guerrier sans foi ;
L'anarchie, à Vincennes, admira son complice,
Au Louvre elle adora son roi.
Il fallut presque un Dieu pour consacrer cet homme.
Le Prêtre-Monarque de Rome
Vint bénir son front menaçant ;
Car, sans doute en secret effrayé de lui-même,
Il voulait recevoir son sanglant diadème
Des mains d'où le pardon descend.

III.

Lorsqu'il veut, le Dieu secourable,
Qui livre au méchant les pervers,
Brise le jouet formidable
Dont il tourmentait l'univers.
Celui qu'un instant il seconde
Se dit le seul maître du monde ;
Fier, il s'endort dans son néant ;
Enfin, bravant la loi commune,
Quand il croit tenir sa fortune,
Le fantôme échappe au géant.

IV.

Dans la nuit des forfaits, dans l'éclat des victoires,
Cet homme, ignorant Dieu qui l'avait envoyé,
De cités en cités promenant ses prétoires,
Marchait, sur sa gloire appuyé.
Sa dévorante armée avait, dans son passage,
Asservi les fils de Pélage
Devant les fils de Galgacus ;
Et, quand dans leurs foyers il ramenait ses braves
Aux fêtes qu'il vouait à ces vainqueurs esclaves,
Il invitait les rois vaincus !

Dix empires conquis devinrent ses provinces.
Il ne fut pas content dans son orgueil fatal.
Il ne voulait dormir qu'en une cour de princes,
Sur un trône continental.
Ses aigles, qui volaient sous vingt cieux parsemées,
Au nord, de ses longues armées
Guidèrent l'immense appareil ;
Mais là parut l'écueil de se course hardie,
Les peuples sommeillaient : un sanglant incendie
Fut l'aurore du grand réveil.

Il tomba roi ; - puis, dans sa route,
Il voulut, fantôme ennemi,
Se relever, afin sans doute
De ne plus tomber à demi.
Alors, **** de sa tyrannie,
Pour qu'une effrayante harmonie
Frappât l'orgueil anéanti,
On jeta ce captif suprême
Sur un rocher, débris lui-même
De quelque ancien monde englouti !

Là, se refroidissant comme un torrent de lave,
Gardé par ses vaincus, chassé de l'univers,
Ce reste d'un tyran, en s'éveillant esclave,
N'avait fait que changer de fers.
Des trônes restaurés écoutant la fanfare,
Il brillait de **** comme un phare,
Montrant l'écueil au nautonier.
Il mourut. - Quand ce bruit éclata dans nos villes,
Le monde respira dans les fureurs civiles,
Délivré de son prisonnier.

Ainsi l'orgueil s'égare en sa marche éclatante,
Colosse né d'un souffle et qu'un regard abat.
Il fit du glaive un sceptre, et du trône une tente.
Tout son règne fut un combat.
Du fléau qu'il portait lui-même tributaire,
Il tremblait, prince de la terre ;
Soldat, on vantait sa valeur.
Retombé dans son cœur comme dans un abîme,
Il passa par la gloire, il passa par le crime,
Et n'est arrivé qu'au malheur.

V.

Peuples, qui poursuivez d'hommages
Les victimes et les bourreaux,
Laissez-le fuir seul dans les âges ; -
Ce ne sont point là les héros.
Ces faux dieux, que leur siècle encense,
Dont l'avenir hait la puissance,
Vous trompent dans votre sommeil ;
Tels que ces nocturnes aurores
Où passent de grands météores,
Mais que ne suit pas le soleil.

Mars 1822.
C'était le sept août. Ô sombre destinée !
C'était le premier jour de leur dernière année.

Seuls dans un lieu royal, côte à côté marchant,
Deux hommes, par endroits du coude se touchant,
Causaient. Grand souvenir qui dans mon cœur se grave !
Le premier avait l'air fatigué, triste et grave,
Comme un trop faible front qui porte un lourd projet.
Une double épaulette à couronne chargeait
Son uniforme vert à ganse purpurine,
Et l'ordre et la toison faisaient sur sa poitrine,
Près du large cordon moiré de bleu changeant,
Deux foyers lumineux, l'un d'or, l'autre d'argent.
C'était un roi ; vieillard à la tête blanchie,
Penché du poids des ans et de la monarchie.
L'autre était un jeune homme étranger chez les rois,
Un poète, un passant, une inutile voix.

Ils se parlaient tous deux, sans témoins, sans mystère,
Dans un grand cabinet, simple, nu, solitaire,
Majestueux pourtant. Ce que les hommes font
Laisse une empreinte aux murs. Sous ce même plafond
Avaient passé jadis, ô splendeurs effacées !
De grands événements et de grandes pensées.
Là, derrière son dos, croisant ses fortes mains,
Ébranlant le plancher sous ses pas surhumains,
Bien souvent l'empereur quand il était le maître,
De la porte en rêvant allait à la fenêtre.

Dans un coin une table, un fauteuil de velours,
Miraient dans le parquet leurs pieds dorés et lourds.
Par une porte en vitre, au dehors, l'œil en foule
Apercevait au **** des armoires de Boulle,
Des vases du Japon, des laques, des émaux,
Et des chandeliers d'or aux immenses rameaux.
Un salon rouge orné de glaces de Venise,
Plein de ces bronzes grecs que l'esprit divinise,
Multipliait sans fin ses lustres de cristal ;
Et, comme une statue à lames de métal,
On voyait, casque au front, luire dans l'encoignure
Un garde argent et bleu d'une fière tournure.

Or entre le poète et le vieux roi courbé,
De quoi s'agissait-il ?

D'un pauvre ange tombé
Dont l'amour refaisait l'âme avec son haleine ;
De Marion, lavée ainsi que Madeleine,
Qui boitait et traînait son pas estropié,
La censure, serpent, l'ayant mordue au pied.

Le poète voulait faire un soir apparaître
Louis treize, ce roi sur qui régnait un prêtre ;
- Tout un siècle, marquis, bourreaux, fous, bateleurs ;
Et que la foule vînt, et qu'à travers des pleurs,
Par moments, dans un drame étincelant et sombre,
Du pâle cardinal on crût voir passer l'ombre.

Le vieillard hésitait : - Que sert de mettre à nu
Louis treize, ce roi chétif et mal venu ?
A quoi bon remuer un mort dans une tombe ?
Que veut-on ? où court-on ? sait-on bien où l'on tombe ?
Tout n'est-il pas déjà croulant de tout côté ?
Tout ne s'en va-t-il pas dans trop de liberté ?
N'est-il pas temps plutôt, après quinze ans d'épreuve,
De relever la digue et d'arrêter le fleuve ?
Certes, un roi peut reprendre alors qu'il a donné.
Quant au théâtre, il faut, le trône étant miné,
Étouffer des deux mains sa flamme trop hardie ;
Car la foule est le peuple, et d'une comédie
Peut jaillir l'étincelle aux livides rayons
Qui met le feu dans l'ombre aux révolutions. -
Puis il niait l'histoire, et, quoi qu'il puisse en être,
A ce jeune rêveur disputait son ancêtre ;
L'accueillant bien d'ailleurs, bon, royal, gracieux,
Et le questionnant sur ses propres aïeux.

Tout en laissant aux rois les noms dont on les nomme,
Le poète luttait fermement, comme un homme
Épris de liberté, passionné pour l'art,
Respectueux pourtant pour ce noble vieillard.

Il disait : - Tout est grave en ce siècle où tout penche.
L'art, tranquille et puissant, veut une allure franche.
Les rois morts sont sa proie ; il faut la lui laisser.
Il n'est pas ennemi ; pourquoi le courroucer,
Et le livrer dans l'ombre à des tortionnaires,
Lui dont la main fermée est pleine de tonnerres ?
Cette main, s'il l'ouvrait, redoutable envoyé,
Sur la France éblouie et le Louvre effrayé,
On l'épouvanterait - trop ****, s'il faut le dire -
D'y voir subitement tant de foudres reluire !
Oh ! les tyrans d'en bas nuisent au roi d'en haut.
Le peuple est toujours là qui prend la muse au mot,
Quand l'indignation, jusqu'au roi qu'on révère,
Monte du front pensif de l'artiste sévère !
- Sire à ce qui chancelle est-on bien appuyé ?
La censure est un toit mauvais, mal étayé,
Toujours prêt à tomber sur les noms qu'il abrite.
Sire, un souffle imprudent, **** de l'éteindre, irrite
Le foyer, tout à coup terrible et tournoyant,
Et d'un art lumineux fait un art flamboyant !

D'ailleurs, ne cherchât-on que la splendeur royale,
Pour cette nation moqueuse, mais loyale,
Au lieu des grands tableaux qu'offrait le grand Louis,
Roi-soleil, fécondant les lys épanouis,
Qui, tenant sous son sceptre un monde en équilibre,
Faisait Racine heureux, laissait Molière libre,
Quel spectacle, grand Dieu ! qu'un groupe de censeurs
Armés et parlant bas, vils esclaves chasseurs,
À plat ventre couchés, épiant l'heure où rentre
Le drame, fier lion, dans l'histoire, son antre ! -

Ici, voyant vers lui, d'un front plus incliné,
Se tourner doucement ce vieillard étonné,
Il hasardait plus **** sa pensée inquiète,
Et, laissant de côté le drame et le poète,
Attentif, il sondait le dessein vaste et noir
Qu'au fond de ce roi triste il venait d'entrevoir.
Se pourrait-il ? quelqu'un aurait cette espérance ?
Briser le droit de tous ! retrancher à la France,
Comme on ôte un jouet à l'enfant dépité,
De l'air, de la lumière, et de la liberté !
Le roi ne voudrait pas ! lui, roi sage et roi juste !

Puis, choisissant les mots pour cette oreille auguste,
Il disait que les temps ont des flots souverains ;
Que rien, ni ponts hardis, ni canaux souterrains,
Jamais, excepté Dieu, rien n'arrête et ne dompte
Le peuple qui grandit ou l'océan qui monte ;
Que le plus fort vaisseau sombre et se perd souvent
Qui veut rompre de front et la vague et le vent ;
Et que, pour s'y briser, dans la lutte insensée,
On a derrière soi, roche partout dressée,
Tout son siècle, les mœurs, l'esprit qu'on veut braver,
Le port même où la nef aurait pu se sauver !
Il osait s'effrayer. Fils d'une Vendéenne,
Cœur n'ayant plus d'amour, mais n'ayant pas de haine,
Il suppliait qu'au moins on l'en crût un moment,
Lui qui sur le passé s'incline gravement,
Et dont la piété, lierre qui s'enracine,
Hélas, s'attache aux rois comme à toute ruine !
Le destin a parfois de formidable jeux.
Les rois doivent songer dans ces jours orageux
Où, mer qui vient, esprit des temps, nuée obscure,
Derrière l'horizon quelque chose murmure !
A quoi bon provoquer d'avance et soulever
Les générations qu'on entend arriver ?
Pour des regards distraits la France était sereine ;
Mais dans ce ciel troublé d'un peu de brume à peine,
Où tout semblait azur, où rien n'agitait l'air,
Lui, rêveur, il voyait par instants un éclair ! -

Charles dix souriant répondit : - O poète !

Le soir, tout rayonnait de lumière et de fête.
Regorgeant de soldats, de princes, de valets,
Saint-Cloud joyeux et vert, autour du fier palais
Dont la Seine en fuyant reflète les beaux marbres,
Semblait avec amour presser sa touffe d'arbres.
L'arc de triomphe orné de victoires d'airain,
Le Louvre étincelant, fleurdelysé, serein,
Lui répondaient de **** du milieu de la ville ;
Tout ce royal ensemble avait un air tranquille,
Et, dans le calme aspect d'un repos solennel,
Je ne sais quoi de grand qui semblait éternel.


*

Holyrood ! Holyrood ! Ô fatale abbaye,
Où la loi du destin, dure, amère, obéie,
S'inscrit de tous côtés !
Cloître ! palais ! tombeau ! qui sous tes murs austères
Gardes les rois, la mort et Dieu ; trois grands mystères,
Trois sombres majestés !

Château découronné ! vallée expiatoire !
Où le penseur entend dans l'air et dans l'histoire,
Comme un double conseil pour nos ambitions,
Comme une double voix qui se mêle et qui gronde,
La rumeur de la mer profonde,
Et le bruit éloigné des révolutions !

Solitude où parfois des collines prochaines
On voit venir les faons qui foulent sous les chênes
Le gazon endormi,
Et qui, pour aspirer le vent dans la clairière,
Effarés, frissonnants, sur leurs pieds de derrière
Se dressent à demi !

Fière église où priait le roi des temps antiques,
Grave, ayant pour pavé sous les arches gothiques
Les tombeaux paternels qu'il usait du genou !
Porte où superbement tant d'archers et de gardes
Veillaient, multipliant l'éclair des hallebardes,
Et qu'un pâtre aujourd'hui ferme avec un vieux clou !

Patrie où, quand la guerre agitait leurs rivages,
Les grands lords montagnards comptaient leurs clans sauvages
Et leurs noirs bataillons ;
Où maintenant sur l'herbe, au soleil, sous des lierres,
Les vieilles aux pieds nus qui marchent dans les pierres
Font sécher des haillons !

Holyrood ! Holyrood ! la ronce est sur tes dalles.  
Le chevreau broute au bas de tes tours féodales.
Ô fureur des rivaux ardents à se chercher !
Amours ! - Darnley ! Rizzio ! quel néant est le vôtre !
Tous deux sont là, - l'un près de l'autre ; -
L'un est une ombre, et l'autre une tâche au plancher !

Hélas ! que de leçons sous tes voûtes funèbres !  
Oh ! que d'enseignements on lit dans les ténèbres  
Sur ton seuil renversé,
Sur tes murs tout empreints d'une étrange fortune,
Vaguement éclairés dans ce reflet de lune
Que jette le passé !

Ô palais, sois béni ! soyez bénie, ô ruine !
Qu'une auguste auréole à jamais t'illumine !
Devant tes noirs créneaux, pieux, nous nous courbons,
Car le vieux roi de France a trouvé sous ton ombre
Cette hospitalité mélancolique et sombre
Qu'on reçoit et qu'on rend de Stuarts à Bourbons !

Les 10 - 13 juin 1839.
Sur un quartier de roche, un fantôme de marbre,

Le menton dans la main et le coude au genou,

Les pieds pris dans le sol, ainsi que des pieds d'arbre,

Pleure éternellement sans relever le cou.


Quel chagrin pèse donc sur ta tête abattue ?

À quel puits de douleurs tes yeux puisent-ils l'eau ?

Et que souffres-tu donc dans ton cœur de statue,

Pour que ton sein sculpté soulève ton manteau ?


Tes larmes, en tombant du coin de ta paupière,

Goutte à goutte, sans cesse et sur le même endroit,

Ont fait dans l'épaisseur de ta cuisse de pierre

Un creux où le bouvreuil trempe son aile et boit.


Ô symbole muet de l'humaine misère,

Niobé sans enfants, mère des sept douleurs,

Assise sur l'Athos ou bien sur le Calvaire,

Quel fleuve d'Amérique est plus grand que tes pleurs ?
Papaya Jan 2022
~
it all burns
  every saccharine melody i drink
from your lips to my ear
hot as paris in the summer rain
every sauter, plier and relever
with grace, i dance away
~
Les turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil,
Chio, qu'ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.

Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.

Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l'onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,

Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n'ont pas subi l'affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?

Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d'avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d'Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu'un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?

Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l'oiseau merveilleux ?
- Ami, dit l'enfant grec, dit l'enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.

Du 8 au 10 juillet 1828.
NGANGO HONORÉ Sep 2021
Pourquoi me souciez
Quand je sais que l'avenir est de mon côté
Pourquoi ne pas gardez la foi et patienter
Bien évidemment pas les mains croisé

Je sais que l'avenir est de mon côté parceque je l'ai décidé ainsi

Je suis d'accord que c'est pas toujours a moi de décider de ce qui va m'arriver
Mais en ce qui concerne mon avenir j'ai mon bic et ma feuille
Je ne prédis pas ce qui va m'arriver je sais ce qui va m'arriver
Mais je sais pas comment
Et j'accepte que l'avenir est une montagne a gravir




Je suis pas obligé de partir en vol commerciale ✈ et de rentrer en Jet privé
Et j'aurais tort de me morfondre si je réussit pas cette exploit
Parceque en effet cette exploit n'ait pas forcément le mien
Je dois apprendre a apprécier les petites victoires d'aujourd'hui
Pour avoir la foi dans  les epreuves demain

En faite je doit être prudent et avisé et savoir quand une occasion valables se présente a moi
Pas une occasion qui paraît être valable
Je dois pas être trop dure avec moi quand la vie me donne un coup dans les dents et me laisser bredouille sans me relever
Les remparts sont élever
Les risques sont multiplier
Les opportunités minimiser
Bien qu'étant plus juteux

Quand je parle des opportunités
Je parle de celles qui se présentent à nous depuis le bas de l'échelle

Steve Jobs a dit que " ce n'est pas en regardant devant que les points vont former une chaîne, c'est en regardant en arrière "
Universe Poems May 2021
Echoes fill the room
Plier (to bend), etendre (to stretch),
relever (to rise), sauter (to jump),
tourner (to turn), glisser (to glide),
and, elancer (to dart)
Graceful and, eloquently,
painting a picture,
melodic gestures through mid air
Perfect symmetries,
as our bodies entwine,
a gasp and, applause,
echoes and, fills the atmosphere
A mesmerising performance,
cheers and, claps curtains close
Ballerina shoes


© 2021 Carol Natasha Diviney
Plier (to bend), etendre (to stretch),
relever (to rise), sauter (to jump),
tourner (to turn), glisser (to glide),
and, elancer (to dart)
It may look like it is far away,
but the stars will dance anyway

© 2024 Carol Natasha Diviney, Ph.D.

— The End —