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Mia Barrat Jun 2015
I only had one window in the world.

This window, like a scrawny kid, had been recently clobbered by the rain.

Just looking at the trickling rain made me all cold. That was when I pondered
all the things we
could have done
yesterday,
eyes closed,
lying above the sheets.

I thought about your breath close to my ear,
staccato, powerful,
like wind during a storm.
And I thought about our bodies: mine, cold; yours, burning - entwined, our bodies make a
Hurricane.
Then again, it is what it is. Your heart is cold to me; you think my heart is too feverish: you think it needs to be exiled, quarantined,
outside
underneath the rain.

ORIGINAL POEM (OR CHANCE TO ROCK OUT YOUR BEAUTEOUS FRENCH ACCENTS)

*Je n’avais qu’une fenêtre sur le monde.
Comme un gosse maigre, elle se faisait
tabasser par la pluie.
J’avais froid rien qu’en contemplant le
ruissellement. C’est alors que je pensé à toutes les choses qu’on
aurait pu faire
hier
au-dessus des draps
les yeux fermés.
J’ai pensé à ton souffle près de mon oreille,
puissant et saccadé
comme un vent de tempête.
Et j’ai pensé à nos corps: le mien froid, le tien
brûlant - entrelacés, nos corps font un
Ouragan.
Mais enfin, tant pis. Ton coeur m’est froid;
mon coeur t’est trop fiévreux: il le faut
exiler, il le faut mettre en quarantaine,
dehors,
au-dessous de la pluie.
Hey! If you'd like me to translate one of your pieces to Français, do ask! I love doing it and it's great practice for me.
Te referent fluctus.
HORACE.

Naguère une même tourmente,
Ami, battait nos deux esquifs ;
Une même vague écumante
Nous jetait aux mêmes récifs ;
Les mêmes haines débordées
Gonflaient sous nos nefs inondées
Leurs flots toujours multipliés,
Et, comme un océan qui roule,
Toutes les têtes de la foule
Hurlaient à la fois sous nos pieds !

Qu'allais-je faire en cet orage,
Moi qui m'échappais du berceau ?
Moi qui vivais d'un peu d'ombrage
Et d'un peu d'air, comme l'oiseau ?
A cette mer qui le repousse
Pourquoi livrer mon nid de mousse
Où le jour n'osait pénétrer ?
Pourquoi donner à la rafale
Ma belle robe nuptiale
Comme une voile à déchirer ?

C'est que, dans mes songes de flamme,
C'est que, dans mes rêves d'enfant,
J'avais toujours présents à l'âme
Ces hommes au front triomphant,
Qui tourmentés d'une autre terre,
En ont deviné le mystère
Avant que rien en soit venu,
Dont la tête au ciel est tournée,
Dont l'âme, boussole obstinée,
Toujours cherche un pôle inconnu.

Ces Gamas, en qui rien n'efface
Leur indomptable ambition,
Savent qu'on n'a vu qu'une face
De l'immense création.
Ces Colombs, dans leur main profonde,
Pèsent la terre et pèsent l'onde
Comme à la balance du ciel,
Et, voyant d'en haut toute cause,
Sentent qu'il manque quelque chose
A l'équilibre universel.

Ce contre-poids qui se dérobe,
Ils le chercheront, ils iront ;
Ils rendront sa ceinture au globe,
A l'univers sont double front.
Ils partent, on plaint leur folie.
L'onde les emporte ; on oublie
Le voyage et le voyageur... -
Tout à coup de la mer profonde
Ils ressortent avec leur monde,
Comme avec sa perle un plongeur !

Voilà quelle était ma pensée.
Quand sur le flot sombre et grossi
Je risquai ma nef insensée,
Moi, je cherchais un monde aussi !
Mais, à peine **** du rivage,
J'ai vu sur l'océan sauvage
Commencer dans un tourbillon
Cette lutte qui me déchire
Entre les voiles du navire
Et les ailes de l'aquilon.

C'est alors qu'en l'orage sombre
J'entrevis ton mât glorieux
Qui, bien avant le mien, dans l'ombre,
Fatiguait l'autan furieux.
Alors, la tempête était haute,
Nous combattîmes côte à côte,
Tous deux, mois barque, toi vaisseau,
Comme le frère auprès du frère,
Comme le nid auprès de l'aire,
Comme auprès du lit le berceau !

L'autan criait dans nos antennes,
Le flot lavait nos ponts mouvants,
Nos banderoles incertaines
Frissonnaient au souffle des vents.
Nous voyions les vagues humides,
Comme des cavales numides,
Se dresser, hennir, écumer ;
L'éclair, rougissant chaque lame,
Mettait des crinières de flamme
A tous ces coursiers de la mer.

Nous, échevelés dans la brume,
Chantant plus haut dans l'ouragan,
Nous admirions la vaste écume
Et la beauté de l'océan.
Tandis que la foudre sublime
Planait tout en feu sur l'abîme,
Nous chantions, hardis matelots,
La laissant passer sur nos têtes,
Et, comme l'oiseau des tempêtes,
Tremper ses ailes dans les flots.

Echangeant nos signaux fidèles
Et nous saluant de la voix,
Pareils à deux soeurs hirondelles,
Nous voulions, tous deux à la fois,
Doubler le même promontoire,
Remporter la même victoire,
Dépasser le siècle en courroux ;
Nous tentions le même voyage ;
Nous voyions surgir dans l'orage
Le même Adamastor jaloux !

Bientôt la nuit toujours croissante,
Ou quelque vent qui t'emportait,
M'a dérobé ta nef puissante
Dont l'ombre auprès de moi flottait.
Seul je suis resté sous la nue.
Depuis, l'orage continue,
Le temps est noir, le vent mauvais ;
L'ombre m'enveloppe et m'isole,
Et, si je n'avais ma boussole,
Je ne saurais pas où je vais.

Dans cette tourmente fatale
J'ai passé les nuits et les jours,
J'ai pleuré la terre natale,
Et mon enfance et mes amours.
Si j'implorais le flot qui gronde,
Toutes les cavernes de l'onde
Se rouvraient jusqu'au fond des mers ;
Si j'invoquais le ciel, l'orage,
Avec plus de bruit et de rage,
Secouait se gerbe d'éclairs.

Longtemps, laissant le vent bruire,
Je t'ai cherché, criant ton nom.
Voici qu'enfin je te vois luire
A la cime de l'horizon
Mais ce n'est plus la nef ployée,
Battue, errante, foudroyée
Sous tous les caprices des cieux,
Rêvant d'idéales conquêtes,
Risquant à travers les tempêtes
Un voyage mystérieux.

C'est un navire magnifique
Bercé par le flot souriant,
Qui, sur l'océan pacifique,
Vient du côté de l'orient.
Toujours en avant de sa voile
On voit cheminer une étoile
Qui rayonne à l'oeil ébloui ;
Jamais on ne le voit éclore
Sans une étincelante aurore
Qui se lève derrière lui.

Le ciel serein, la mer sereine
L'enveloppent de tous côtés ;
Par ses mâts et par sa carène
Il plonge aux deux immensités.
Le flot s'y brise en étincelles ;
Ses voiles sont comme des ailes
Au souffle qui vient les gonfler ;
Il vogue, il vogue vers la plage,
Et, comme le cygne qui nage,
On sent qu'il pourrait s'envoler.

Le peuple, auquel il se révèle
Comme une blanche vision,
Roule, prolonge, et renouvelle
Une immense acclamation.
La foule inonde au **** la rive.
Oh ! dit-elle, il vient, il arrive !
Elle l'appelle avec des pleurs,
Et le vent porte au beau navire,
Comme à Dieu l'encens et la myrrhe,
L'haleine de la terre en fleurs !

Oh ! rentre au port, esquif sublime !
Jette l'ancre **** des frimas !
Vois cette couronne unanime
Que la foule attache à tes mâts :
Oublie et l'onde et l'aventure.
Et le labeur de la mâture,
Et le souffle orageux du nord ;
Triomphe à l'abri des naufrages,
Et ris-toi de tous les orages
Qui rongent les chaînes du port !

Tu reviens de ton Amérique !
Ton monde est trouvé ! - Sur les flots
Ce monde, à ton souffle lyrique,
Comme un oeuf sublime est éclos !
C'est un univers qui s'éveille !
Une création pareille
A celle qui rayonne au jour !
De nouveaux infinis qui s'ouvrent !
Un de ces mondes que découvrent
Ceux qui de l'âme ont fait le tour !

Tu peux dire à qui doute encore :
"J'en viens ! j'en ai cueilli ce fruit.
Votre aurore n'est pas l'aurore,
Et votre nuit n'est pas la nuit.
Votre soleil ne vaut pas l'autre.
Leur jour est plus bleu que le vôtre.
Dieu montre sa face en leur ciel.
J'ai vu luire une croix d'étoiles
Clouée à leurs nocturnes voiles
Comme un labarum éternel."

Tu dirais la verte savane,
Les hautes herbes des déserts,
Et les bois dont le zéphyr vanne
Toutes les graines dans les airs ;
Les grandes forêts inconnues ;
Les caps d'où s'envolent les nues
Comme l'encens des saints trépieds ;
Les fruits de lait et d'ambroisie,
Et les mines de poésie
Dont tu jettes l'or à leurs pieds.

Et puis encor tu pourrais dire,
Sans épuiser ton univers,
Ses monts d'agate et de porphyre,
Ses fleuves qui noieraient leurs mers ;
De ce monde, né de la veille,
Tu peindrais la beauté vermeille,
Terre vierge et féconde à tous,
Patrie où rien ne nous repousse ;
Et ta voix magnifique et douce
Les ferait tomber à genoux.

Désormais, à tous tes voyages
Vers ce monde trouvé par toi,
En foule ils courront aux rivages
Comme un peuple autour de son roi.
Mille acclamations sur l'onde
Suivront longtemps ta voile blonde
Brillante en mer comme un fanal,
Salueront le vent qui t'enlève,
Puis sommeilleront sur la grève
Jusqu'à ton retour triomphal.

Ah ! soit qu'au port ton vaisseau dorme,
Soit qu'il se livre sans effroi
Aux baisers de la mer difforme
Qui hurle béante sous moi,
De ta sérénité sublime
Regarde parfois dans l'abîme,
Avec des yeux de pleurs remplis,
Ce point noir dans ton ciel limpide,
Ce tourbillon sombre et rapide
Qui roule une voile en ses plis.

C'est mon tourbillon, c'est ma voile !
C'est l'ouragan qui, furieux,
A mesure éteint chaque étoile
Qui se hasarde dans mes cieux !
C'est la tourmente qui m'emporte !
C'est la nuée ardente et forte
Qui se joue avec moi dans l'air,
Et tournoyant comme une roue,
Fait étinceler sur ma proue
Le glaive acéré de l'éclair !

Alors, d'un coeur tendre et fidèle,
Ami, souviens-toi de l'ami
Que toujours poursuit à coups d'aile
Le vent dans ta voile endormi.
Songe que du sein de l'orage
Il t'a vu surgir au rivage
Dans un triomphe universel,
Et qu'alors il levait la tête,
Et qu'il oubliait sa tempête
Pour chanter l'azur de ton ciel !

Et si mon invisible monde
Toujours à l'horizon me fuit,
Si rien ne germe dans cette onde
Que je laboure jour et nuit,
Si mon navire de mystère
Se brise à cette ingrate terre
Que cherchent mes yeux obstinés,
Pleure, ami, mon ombre jalouse !
Colomb doit plaindre La Pérouse.
Tous deux étaient prédestinés !

Le 20 juin 1830.
I

Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange
Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange,
Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi.

Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi,
Ce livre qui contient le spectre de ma vie,
Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie,
L'ombre et son ouragan, la rose et son pistil,
Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ?
D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ?
Depuis quatre ans, j'habite un tourbillon d'écume ;
Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais ;
Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit. Je vais.
Et, quand j'eus terminé ces pages, quand ce livre
Se mit à palpiter, à respirer, à vivre,
Une église des champs, que le lierre verdit,
Dont la tour sonne l'heure à mon néant, m'a dit :
Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte.
- Je le réclame, a dit la forêt inquiète ;
Et le doux pré fleuri m'a dit : - Donne-le-moi.
La mer, en le voyant frémir, m'a dit : - Pourquoi
Ne pas me le jeter, puisque c'est une voile !
- C'est à moi qu'appartient cet hymne, a dit l'étoile.
- Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents.
Et les oiseaux m'ont dit : - Vas-tu pas aux vivants
Offrir ce livre, éclos si **** de leurs querelles ?
Laisse-nous l'emporter dans nos nids sur nos ailes ! -
Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds !
Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,
Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ;
Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ;
Ni l'église où le temps fait tourner son compas ;
Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas,
L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe,
Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe.

II

Autrefois, quand septembre en larmes revenait,
Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,
Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne !
J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne,
Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,
Sachant bien que j'irais où je devais aller ;
Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre !
Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre,
Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,
J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais.
Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines !
Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines,
Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir
Avec l'avidité morne du désespoir ;
Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ;
Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,
L'oeil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ;
Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient !
Les ronces écartaient leurs branches desséchées ;
Je marchais à travers les humbles croix penchées,
Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ;
Et je m'agenouillais au milieu des rameaux
Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure.
Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure
Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ?

Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets,
Et disaient : Qu'est-ce donc que cet homme qui songe ?
Et le jour, et le soir, et l'ombre qui s'allonge,
Et Vénus, qui pour moi jadis étincela,
Tout avait disparu que j'étais encor là.
J'étais là, suppliant celui qui nous exauce ;
J'adorais, je laissais tomber sur cette fosse,
Hélas ! où j'avais vu s'évanouir mes cieux,
Tout mon coeur goutte à goutte en pleurs silencieux ;
J'effeuillais de la sauge et de la clématite ;
Je me la rappelais quand elle était petite,
Quand elle m'apportait des lys et des jasmins,
Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains,
Gaie, et riant d'avoir de l'encre à ses doigts roses ;
Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses,
Je fixais mon regard sur ces froids gazons verts,
Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers
La pierre du tombeau, comme une lueur d'âme !

Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame
Tintait dans le ciel triste et dans mon coeur saignant,
Rien ne me retenait, et j'allais ; maintenant,
Hélas !... - Ô fleuve ! ô bois ! vallons dont je fus l'hôte,
Elle sait, n'est-ce pas ? que ce n'est pas ma faute
Si, depuis ces quatre ans, pauvre coeur sans flambeau,
Je ne suis pas allé prier sur son tombeau !

III

Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre
Que je contemplais, pâle, adossé contre un arbre,
Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher,
La nuit, que je voyais lentement approcher,
Ces ifs, ce crépuscule avec ce cimetière,
Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre,
Ô mon Dieu, tout cela, c'était donc du bonheur !

Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur,
Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ?
A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ?
As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ?
Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ?
T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre
De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître
Un passant, à travers le noir cercueil mal joint,
Attentive, écoutant si tu n'entendais point
Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ?
Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre,
En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas !
Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ?

Que de fois j'ai choisi, tout mouillés de rosée,
Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensée !
Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur !
Que de fois j'ai, là-bas, cherché la tour d'Harfleur,
Murmurant : C'est demain que je pars ! et, stupide,
Je calculais le vent et la voile rapide,
Puis ma main s'ouvrait triste, et je disais : Tout fuit !
Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit !
Oh ! que de fois, sentant qu'elle devait m'attendre,
J'ai pris ce que j'avais dans le coeur de plus tendre
Pour en charger quelqu'un qui passerait par là !

Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l'appela ;
Quand je lui parle, hélas ! pourquoi les ferme-t-elle ?
Où serait donc le mal quand de l'ombre mortelle
L'amour violerait deux fois le noir secret,
Et quand, ce qu'un dieu fit, un père le ferait ?

IV

Que ce livre, du moins, obscur message, arrive,
Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive !
Qu'il y tombe, sanglot, soupir, larme d'amour !
Qu'il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour
Le baiser, la jeunesse, et l'aube, et la rosée,
Et le rire adoré de la fraîche épousée,
Et la joie, et mon coeur, qui n'est pas ressorti !
Qu'il soit le cri d'espoir qui n'a jamais menti,
Le chant du deuil, la voix du pâle adieu qui pleure,
Le rêve dont on sent l'aile qui nous effleure !
Qu'elle dise : Quelqu'un est là ; j'entends du bruit !
Qu'il soit comme le pas de mon âme en sa nuit !

Ce livre, légion tournoyante et sans nombre
D'oiseaux blancs dans l'aurore et d'oiseaux noirs dans l'ombre,
Ce vol de souvenirs fuyant à l'horizon,
Cet essaim que je lâche au seuil de ma prison,
Je vous le confie, air, souffles, nuée, espace !
Que ce fauve océan qui me parle à voix basse,
Lui soit clément, l'épargne et le laisse passer !
Et que le vent ait soin de n'en rien disperser,
Et jusqu'au froid caveau fidèlement apporte
Ce don mystérieux de l'absent à la morte !

Ô Dieu ! puisqu'en effet, dans ces sombres feuillets,
Dans ces strophes qu'au fond de vos cieux je cueillais,
Dans ces chants murmurés comme un épithalame
Pendant que vous tourniez les pages de mon âme,
Puisque j'ai, dans ce livre, enregistré mes jours,
Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problèmes sourds,
Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure ;
Puisque vous ne voulez pas encor que je meure,
Et qu'il faut bien pourtant que j'aille lui parler ;
Puisque je sens le vent de l'infini souffler
Sur ce livre qu'emplit l'orage et le mystère ;
Puisque j'ai versé là toutes vos ombres, terre,
Humanité, douleur, dont je suis le passant ;
Puisque de mon esprit, de mon coeur, de mon sang,
J'ai fait l'âcre parfum de ces versets funèbres,
Va-t'en, livre, à l'azur, à travers les ténèbres !
Fuis vers la brume où tout à pas lents est conduit !
Oui, qu'il vole à la fosse, à la tombe, à la nuit,
Comme une feuille d'arbre ou comme une âme d'homme !
Qu'il roule au gouffre où va tout ce que la voix nomme !
Qu'il tombe au plus profond du sépulcre hagard,
A côté d'elle, ô mort ! et que là, le regard,
Près de l'ange qui dort, lumineux et sublime,
Le voie épanoui, sombre fleur de l'abîme !

V

Ô doux commencements d'azur qui me trompiez,
Ô bonheurs ! je vous ai durement expiés !
J'ai le droit aujourd'hui d'être, quand la nuit tombe,
Un de ceux qui se font écouter de la tombe,
Et qui font, en parlant aux morts blêmes et seuls,
Remuer lentement les plis noirs des linceuls,
Et dont la parole, âpre ou tendre, émeut les pierres,
Les grains dans les sillons, les ombres dans les bières,
La vague et la nuée, et devient une voix
De la nature, ainsi que la rumeur des bois.
Car voilà, n'est-ce pas, tombeaux ? bien des années,
Que je marche au milieu des croix infortunées,
Échevelé parmi les ifs et les cyprès,
L'âme au bord de la nuit, et m'approchant tout près,
Et que je vais, courbé sur le cercueil austère,
Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre
Qui pour moi sort des yeux de la tête de mort,
Le squelette qui rit, le squelette qui mord,
Les mains aux doigts noueux, les crânes, les poussières,
Et les os des genoux qui savent des prières !

Hélas ! j'ai fouillé tout. J'ai voulu voir le fond.
Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond,
J'ai voulu le savoir. J'ai dit : Que faut-il croire ?
J'ai creusé la lumière, et l'aurore, et la gloire,
L'enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur,
Et l'amour, et la vie, et l'âme, - fossoyeur.

Qu'ai-je appris ? J'ai, pensif , tout saisi sans rien prendre ;
J'ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre.
Qui sommes-nous ? que veut dire ce mot : Toujours ?
J'ai tout enseveli, songes, espoirs, amours,
Dans la fosse que j'ai creusée en ma poitrine.
Qui donc a la science ? où donc est la doctrine ?
Oh ! que ne suis-je encor le rêveur d'autrefois,
Qui s'égarait dans l'herbe, et les prés, et les bois,
Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille,
Tenant la main petite et blanche de sa fille,
Et qui, joyeux, laissant luire le firmament,
Laissant l'enfant parler, se sentait lentement
Emplir de cet azur et de cette innocence !

Entre Dieu qui flamboie et l'ange qui l'encense,
J'ai vécu, j'ai lutté, sans crainte, sans remord.
Puis ma porte soudain s'ouvrit devant la mort,
Cette visite brusque et terrible de l'ombre.
Tu passes en laissant le vide et le décombre,
Ô spectre ! tu saisis mon ange et tu frappas.
Un tombeau fut dès lors le but de tous mes pas.

VI

Je ne puis plus reprendre aujourd'hui dans la plaine
Mon sentier d'autrefois qui descend vers la Seine ;
Je ne puis plus aller où j'allais ; je ne puis,
Pareil à la laveuse assise au bord du puits,
Que m'accouder au mur de l'éternel abîme ;
Paris m'est éclipsé par l'énorme Solime ;
La hauteNotre-Dame à présent, qui me luit,
C'est l'ombre ayant deux tours, le silence et la nuit,
Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles ;
Et je vois sur mon front un panthéon d'étoiles ;
Si j'appelle Rouen, Villequier, Caudebec,
Toute l'ombre me crie : Horeb, Cédron, Balbeck !
Et, si je pars, m'arrête à la première lieue,
Et me dit: Tourne-toi vers l'immensité bleue !
Et me dit : Les chemins où tu marchais sont clos.
Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots !
A quoi penses-tu donc ? que fais-tu, solitaire ?
Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre ?
Où vas-tu de la sorte et machinalement ?
Ô songeur ! penche-toi sur l'être et l'élément !
Écoute la rumeur des âmes dans les ondes !
Contemple, s'il te faut de la cendre, les mondes ;
Cherche au moins la poussière immense, si tu veux
Mêler de la poussière à tes sombres cheveux,
Et regarde, en dehors de ton propre martyre,
Le grand néant, si c'est le néant qui t'attire !
Sois tout à ces soleils où tu remonteras !
Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras,
Ô proscrit de l'azur, vers les astres patries !
Revois-y refleurir tes aurores flétries ;
Deviens le grand oeil fixe ouvert sur le grand tout.
Penche-toi sur l'énigme où l'être se dissout,
Sur tout ce qui naît, vit, marche, s'éteint, succombe,
Sur tout le genre humain et sur toute la tombe !

Mais mon coeur toujours saigne et du même côté.
C'est en vain que les cieux, les nuits, l'éternité,
Veulent distraire une âme et calmer un atome.
Tout l'éblouissement des lumières du dôme
M'ôte-t-il une larme ? Ah ! l'étendue a beau
Me parler, me montrer l'universel tombeau,
Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie ;
J'écoute, et je reviens à la douce endormie.

VII

Des fleurs ! oh ! si j'avais des fleurs ! si je pouvais
Aller semer des lys sur ces deux froids chevets !
Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle !
Les fleurs sont l'or, l'azur, l'émeraude, l'opale !
Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher ;
Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher
Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes !
Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes,
Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir,
Puisqu'il nous fait lâcher ce qu'on croyait tenir,
Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde,
Sur la première porte en scelle une seconde,
Et, sur le père triste et sur l'enfant qui dort,
Ferme l'exil après avoir fermé la mort,
Puisqu'il est impossible à présent que je jette
Même un brin de bruyère à sa fosse muette,
C'est bien le moins qu'elle ait mon âme, n'est-ce pas ?
Ô vent noir dont j'entends sur mon plafond le pas !
Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle !
Mers, nuits ! et je l'ai mise en ce livre pour elle !

Prends ce livre ; et dis-toi : Ceci vient du vivant
Que nous avons laissé derrière nous, rêvant.
Prends. Et, quoique de ****, reconnais ma voix, âme !
Oh ! ta cendre est le lit de mon reste de flamme ;
Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi ;
Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi.
Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume !
Qu'entre tes vagues mains il devienne fantôme !
Qu'il blanchisse, pareil à l'aube qui pâlit,
A mesure que l'oeil de mon ange le lit,
Et qu'il s'évanouisse, et flotte, et disparaisse,
Ainsi qu'un âtre obscur qu'un souffle errant caresse,
Ainsi qu'une lueur qu'on voit passer le soir,
Ainsi qu'un tourbillon de feu de l'encensoir,
Et que, sous ton regard éblouissant et sombre,
Chaque page s'en aille en étoiles dans l'ombre !

VIII

Oh ! quoi que nous fassions et quoi que nous disions,
Soit que notre âme plane au vent des visions,
Soit qu'elle se cramponne à l'argile natale,
Toujours nous arrivons à ta grotte fatale,
Gethsémani ! qu'éclaire une vague lueur !
Ô rocher de l'étrange et funèbre sueur !
Cave où l'esprit combat le destin ! ouverture
Sur les profonds effrois de la sombre nature !
Antre d'où le lion sort rêveur, en voyant
Quelqu'un de plus sinistre et de plus effrayant,
La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée !
Ô chute ! asile ! ô seuil de la trouble vallée
D'où nous apercevons nos ans fuyants et courts,
Nos propres pas marqués dans la fange des jours,
L'échelle où le mal pèse et monte, spectre louche,
L'âpre frémissement de la palme farouche,
Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés,
Et les frissons aux fronts des anges effarés !

Toujours nous arrivons à cette solitude,
Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude !

Paix à l'ombre ! Dormez ! dormez ! dormez ! dormez !
Êtres, groupes confus lentement transformés !
Dormez, les champs ! dormez, les fleurs ! dormez, les tombes !
Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes,
Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids,
Dormez ! dormez, brins d'herbe, et dormez, infinis !
Calmez-vous, forêt, chêne, érable, frêne, yeuse !
Silence sur la grande horreur religieuse,
Sur l'océan qui lutte et qui ronge son mors,
Et sur l'apaisement insondable des morts !
Paix à l'obscurité muette et redoutée,
Paix au doute effrayant, à l'immense ombre athée,
A toi, nature, cercle et centre, âme et milieu,
Fourmillement de tout, solitude de Dieu !
Ô générations aux brumeuses haleines,
Reposez-vous ! pas noirs qui marchez dans les plaines !
Dormez, vous qui saignez ; dormez, vous qui pleurez !
Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés !
Tout est religio
Donc, c'est moi qui suis l'ogre et le bouc émissaire.
Dans ce chaos du siècle où votre coeur se serre,
J'ai foulé le bon goût et l'ancien vers françois
Sous mes pieds, et, hideux, j'ai dit à l'ombre : « Sois ! »
Et l'ombre fut. -- Voilà votre réquisitoire.
Langue, tragédie, art, dogmes, conservatoire,
Toute cette clarté s'est éteinte, et je suis
Le responsable, et j'ai vidé l'urne des nuits.
De la chute de tout je suis la pioche inepte ;
C'est votre point de vue. Eh bien, soit, je l'accepte ;
C'est moi que votre prose en colère a choisi ;
Vous me criez : « Racca » ; moi je vous dis : « Merci ! »
Cette marche du temps, qui ne sort d'une église
Que pour entrer dans l'autre, et qui se civilise ;
Ces grandes questions d'art et de liberté,
Voyons-les, j'y consens, par le moindre côté,
Et par le petit bout de la lorgnette. En somme,
J'en conviens, oui, je suis cet abominable homme ;
Et, quoique, en vérité, je pense avoir commis,
D'autres crimes encor que vous avez omis.
Avoir un peu touché les questions obscures,
Avoir sondé les maux, avoir cherché les cures,
De la vieille ânerie insulté les vieux bâts,
Secoué le passé du haut jusques en bas,
Et saccagé le fond tout autant que la forme.
Je me borne à ceci : je suis ce monstre énorme,
Je suis le démagogue horrible et débordé,
Et le dévastateur du vieil A B C D ;
Causons.

Quand je sortis du collège, du thème,
Des vers latins, farouche, espèce d'enfant blême
Et grave, au front penchant, aux membres appauvris ;
Quand, tâchant de comprendre et de juger, j'ouvris
Les yeux sur la nature et sur l'art, l'idiome,
Peuple et noblesse, était l'image du royaume ;
La poésie était la monarchie ; un mot
Était un duc et pair, ou n'était qu'un grimaud ;
Les syllabes, pas plus que Paris et que Londres,
Ne se mêlaient ; ainsi marchent sans se confondre
Piétons et cavaliers traversant le pont Neuf ;
La langue était l'état avant quatre-vingt-neuf ;
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes :
Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versailles aux carrosses du roi ;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitant les patois ; quelques-uns aux galères
Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas,
Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ;
Populace du style au fond de l'ombre éparse ;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqué d'une F ;
N'exprimant que la vie abjecte et familière,
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers ;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire : « Qu'il s'en aille ;  »
Et Voltaire criait :  « Corneille s'encanaille ! »
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins ; je m'écriai :  « Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ? »
Et sur l'Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d'alexandrins carrés,

Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !
Je fis une tempête au fond de l'encrier,
Et je mêlai, parmi les ombres débordées,
Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ;
Et je dis :  « Pas de mot où l'idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! »
Discours affreux ! -- Syllepse, hypallage, litote,
Frémirent ; je montai sur la borne Aristote,
Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.
Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,
Tous ces tigres, les Huns les Scythes et les Daces,
N'étaient que des toutous auprès de mes audaces ;
Je bondis hors du cercle et brisai le compas.
Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?
Guichardin a nommé le Borgia ! Tacite
Le Vitellius ! Fauve, implacable, explicite,
J'ôtai du cou du chien stupéfait son collier
D'épithètes ; dans l'herbe, à l'ombre du hallier,
Je fis fraterniser la vache et la génisse,
L'une étant Margoton et l'autre Bérénice.
Alors, l'ode, embrassant Rabelais, s'enivra ;
Sur le sommet du Pinde on dansait Ça ira ;
Les neuf muses, seins nus, chantaient la Carmagnole ;
L'emphase frissonna dans sa fraise espagnole ;
Jean, l'ânier, épousa la bergère Myrtil.
On entendit un roi dire : « Quelle heure est-il ? »
Je massacrais l'albâtre, et la neige, et l'ivoire,
Je retirai le jais de la prunelle noire,
Et j'osai dire au bras : « Sois blanc, tout simplement. »
Je violai du vers le cadavre fumant ;
J'y fis entrer le chiffre ; ô terreur! Mithridate
Du siège de Cyzique eût pu citer la date.
Jours d'effroi ! les Laïs devinrent des catins.
Force mots, par Restaut peignés tous les matins,

Et de Louis-Quatorze ayant gardé l'allure,
Portaient encor perruque ; à cette chevelure
La Révolution, du haut de son beffroi,
Cria : « Transforme-toi ! c'est l'heure. Remplis-toi
- De l'âme de ces mots que tu tiens prisonnière ! »
Et la perruque alors rugit, et fut crinière.
Liberté ! c'est ainsi qu'en nos rébellions,
Avec des épagneuls nous fîmes des lions,
Et que, sous l'ouragan maudit que nous soufflâmes,
Toutes sortes de mots se couvrirent de flammes.
J'affichai sur Lhomond des proclamations.
On y lisait : « Il faut que nous en finissions !
- Au panier les Bouhours, les Batteux, les Brossettes
- A la pensée humaine ils ont mis les poucettes.
- Aux armes, prose et vers ! formez vos bataillons !
- Voyez où l'on en est : la strophe a des bâillons !
- L'ode a des fers aux pieds, le drame est en cellule.
- Sur le Racine mort le Campistron pullule ! »
Boileau grinça des dents ; je lui dis :  « Ci-devant,
Silence ! » et je criai dans la foudre et le vent :
« Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! »
Et tout quatre-vingt-treize éclata. Sur leur axe,
On vit trembler l'athos, l'ithos et le pathos.
Les matassins, lâchant Pourceaugnac et Cathos,
Poursuivant Dumarsais dans leur hideux bastringue,
Des ondes du Permesse emplirent leur seringue.
La syllabe, enjambant la loi qui la tria,
Le substantif manant, le verbe paria,
Accoururent. On but l'horreur jusqu'à la lie.
On les vit déterrer le songe d'Athalie ;
Ils jetèrent au vent les cendres du récit
De Théramène ; et l'astre Institut s'obscurcit.
Oui, de l'ancien régime ils ont fait tables rases,
Et j'ai battu des mains, buveur du sang des phrases,
Quand j'ai vu par la strophe écumante et disant
Les choses dans un style énorme et rugissant,
L'Art poétique pris au collet dans la rue,
Et quand j'ai vu, parmi la foule qui se rue,
Pendre, par tous les mots que le bon goût proscrit,
La lettre aristocrate à la lanterne esprit.
Oui, je suis ce Danton ! je suis ce Robespierre !
J'ai, contre le mot noble à la longue rapière,
Insurgé le vocable ignoble, son valet,
Et j'ai, sur Dangeau mort, égorgé Richelet.
Oui, c'est vrai, ce sont là quelques-uns de mes crimes.
J'ai pris et démoli la bastille des rimes.
J'ai fait plus : j'ai brisé tous les carcans de fer
Qui liaient le mot peuple, et tiré de l'enfer
Tous les vieux mots damnés, légions sépulcrales ;
J'ai de la périphrase écrasé les spirales,
Et mêlé, confondu, nivelé sous le ciel
L'alphabet, sombre tour qui naquit de Babel ;
Et je n'ignorais pas que la main courroucée
Qui délivre le mot, délivre la pensée.

L'unité, des efforts de l'homme est l'attribut.
Tout est la même flèche et frappe au même but.

Donc, j'en conviens, voilà, déduits en style honnête,
Plusieurs de mes forfaits, et j'apporte ma tête.
Vous devez être vieux, par conséquent, papa,
Pour la dixième fois j'en fais meâ culpâ.
Oui, si Beauzée est dieu, c'est vrai, je suis athée.
La langue était en ordre, auguste, époussetée,
Fleur-de-lys d'or, Tristan et Boileau, plafond bleu,
Les quarante fauteuils et le trône au milieu ;
Je l'ai troublée, et j'ai, dans ce salon illustre,
Même un peu cassé tout ; le mot propre, ce rustre,
N'était que caporal : je l'ai fait colonel ;
J'ai fait un jacobin du pronom personnel ;
Dur participe, esclave à la tête blanchie,
Une hyène, et du verbe une hydre d'anarchie.

Vous tenez le reum confitentem. Tonnez !
J'ai dit à la narine : « Eh mais ! tu n'es qu'un nez !  »
J'ai dit au long fruit d'or : « Mais tu n'es qu'une poire !  »
J'ai dit à Vaugelas : « Tu n'es qu'une mâchoire ! »
J'ai dit aux mots : « Soyez république ! soyez
La fourmilière immense, et travaillez ! Croyez,
Aimez, vivez ! » -- J'ai mis tout en branle, et, morose,
J'ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose.

Et, ce que je faisais, d'autres l'ont fait aussi ;
Mieux que moi. Calliope, Euterpe au ton transi,
Polymnie, ont perdu leur gravité postiche.
Nous faisons basculer la balance hémistiche.
C'est vrai, maudissez-nous. Le vers, qui, sur son front
Jadis portait toujours douze plumes en rond,
Et sans cesse sautait sur la double raquette
Qu'on nomme prosodie et qu'on nomme étiquette,
Rompt désormais la règle et trompe le ciseau,
Et s'échappe, volant qui se change en oiseau,
De la cage césure, et fuit vers la ravine,
Et vole dans les cieux, alouette divine.

Tous les mots à présent planent dans la clarté.
Les écrivains ont mis la langue en liberté.
Et, grâce à ces bandits, grâce à ces terroristes,
Le vrai, chassant l'essaim des pédagogues tristes,
L'imagination, tapageuse aux cent voix,
Qui casse des carreaux dans l'esprit des bourgeois ;
La poésie au front triple, qui rit, soupire
Et chante, raille et croit ; que Plaute et Shakspeare
Semaient, l'un sur la plebs, et l'autre sur le mob ;
Qui verse aux nations la sagesse de Job
Et la raison d'Horace à travers sa démence ;
Qu'enivre de l'azur la frénésie immense,
Et qui, folle sacrée aux regards éclatants,
Monte à l'éternité par les degrés du temps,

La muse reparaît, nous reprend, nous ramène,
Se remet à pleurer sur la misère humaine,
Frappe et console, va du zénith au nadir,
Et fait sur tous les fronts reluire et resplendir
Son vol, tourbillon, lyre, ouragan d'étincelles,
Et ses millions d'yeux sur ses millions d'ailes.

Le mouvement complète ainsi son action.
Grâce à toi, progrès saint, la Révolution
Vibre aujourd'hui dans l'air, dans la voix, dans le livre ;
Dans le mot palpitant le lecteur la sent vivre ;
Elle crie, elle chante, elle enseigne, elle rit,
Sa langue est déliée ainsi que son esprit.
Elle est dans le roman, parlant tout bas aux femmes.
Elle ouvre maintenant deux yeux où sont deux flammes,
L'un sur le citoyen, l'autre sur le penseur.
Elle prend par la main la Liberté, sa soeur,
Et la fait dans tout homme entrer par tous les pores.
Les préjugés, formés, comme les madrépores,
Du sombre entassement des abus sous les temps,
Se dissolvent au choc de tous les mots flottants,
Pleins de sa volonté, de son but, de son âme.
Elle est la prose, elle est le vers, elle est le drame ;
Elle est l'expression, elle est le sentiment,
Lanterne dans la rue, étoile au firmament.
Elle entre aux profondeurs du langage insondable ;
Elle souffle dans l'art, porte-voix formidable ;
Et, c'est Dieu qui le veut, après avoir rempli
De ses fiertés le peuple, effacé le vieux pli
Des fronts, et relevé la foule dégradée,
Et s'être faite droit, elle se fait idée !

Paris, janvier 1834.
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au **** leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
I.

L'ÉGLISE est vaste et haute. À ses clochers superbes
L'ogive en fleur suspend ses trèfles et ses gerbes ;
Son portail resplendit, de sa rose pourvu ;
Le soir fait fourmiller sous la voussure énorme
Anges, vierges, le ciel, l'enfer sombre et difforme,
Tout un monde effrayant comme un rêve entrevu.

Mais ce n'est pas l'église, et ses voûtes, sublimes,
Ses porches, ses vitraux, ses lueurs, ses abîmes,
Sa façade et ses tours, qui fascinent mes yeux ;
Non ; c'est, tout près, dans l'ombre où l'âme aime à descendre
Cette chambre d'où sort un chant sonore et tendre,
Posée au bord d'un toit comme un oiseau joyeux.

Oui, l'édifice est beau, mais cette chambre est douce.
J'aime le chêne altier moins que le nid de mousse ;
J'aime le vent des prés plus que l'âpre ouragan ;
Mon cœur, quand il se perd vers les vagues béantes,
Préfère l'algue obscure aux falaises géantes.
Et l'heureuse hirondelle au splendide océan.

II.

Frais réduit ! à travers une claire feuillée
Sa fenêtre petite et comme émerveillée
S'épanouit auprès du gothique portail.
Sa verte jalousie à trois clous accrochée,
Par un bout s'échappant, par l'autre rattachée,
S'ouvre coquettement comme un grand éventail.

Au-dehors un beau lys, qu'un prestige environne,
Emplit de sa racine et de sa fleur couronne
- Tout près de la gouttière où dort un chat sournois -
Un vase à forme étrange en porcelaine bleue
Où brille, avec des paons ouvrant leur large queue,
Ce beau pays d'azur que rêvent les Chinois.

Et dans l'intérieur par moments luit et passe
Une ombre, une figure, une fée, une grâce,
Jeune fille du peuple au chant plein de bonheur,
Orpheline, dit-on, et seule en cet asile,
Mais qui parfois a l'air, tant son front est tranquille,
De voir distinctement la face du Seigneur.

On sent, rien qu'à la voir, sa dignité profonde.
De ce cœur sans limon nul vent n'a troublé l'onde.
Ce tendre oiseau qui jase ignore l'oiseleur.
L'aile du papillon a toute sa poussière.
L'âme de l'humble vierge a toute sa lumière.
La perle de l'aurore est encor dans la fleur.

À l'obscure mansarde il semble que l'œil voie
Aboutir doucement tout un monde de joie,
La place, les passants, les enfants, leurs ébats,
Les femmes sous l'église à pas lents disparues,
Des fronts épanouis par la chanson des rues,
Mille rayons d'en haut, mille reflets d'en bas.

Fille heureuse ! autour d'elle ainsi qu'autour d'un temple,
Tout est modeste et doux, tout donne un bon exemple.
L'abeille fait son miel, la fleur rit au ciel bleu,
La tour répand de l'ombre, et, devant la fenêtre,
Sans faute, chaque soir, pour obéir au maître,
L'astre allume humblement sa couronne de feu.

Sur son beau col, empreint de virginité pure,
Point d'altière dentelle ou de riche guipure ;
Mais un simple mouchoir noué pudiquement.
Pas de perle à son front, mais aussi pas de ride,
Mais un œil chaste et vif, mais un regard limpide.
Où brille le regard que sert le diamant ?

III.

L'angle de la cellule abrite un lit paisible.
Sur la table est ce livre où Dieu se fait visible,
La légende des saints, seul et vrai panthéon.
Et dans un coin obscur, près de la cheminée,
Entre la bonne Vierge et le buis de l'année,
Quatre épingles au mur fixent Napoléon.

Cet aigle en cette cage ! - et pourquoi non ? dans l'ombre
De cette chambre étroite et calme, où rien n'est sombre,
Où dort la belle enfant, douce comme son lys,
Où tant de paix, de grâce et de joie est versée,
Je ne hais pas d'entendre au fond de ma pensée
Le bruit des lourds canons roulant vers Austerlitz.

Et près de l'empereur devant qui tout s'incline,
- Ô légitime orgueil de la pauvre orpheline ! -
Brille une croix d'honneur, signe humble et triomphant,
Croix d'un soldat, tombé comme tout héros tombe,
Et qui, père endormi, fait du fond de sa tombe
Veiller un peu de gloire auprès de son enfant.

IV.

Croix de Napoléon ! joyau guerrier ! pensée !
Couronne de laurier de rayons traversée !
Quand il menait ses preux aux combats acharnés,
Il la laissait, afin de conquérir la terre,
Pendre sur tous les fronts durant toute la guerre ;
Puis, la grande œuvre faite, il leur disait : Venez !

Puis il donnait sa croix à ces hommes stoïques,
Et des larmes coulaient de leurs yeux héroïques ;
Muets, ils admiraient leur demi-dieu vainqueur ;
On eût dit qu'allumant leur âme avec son âme,
En touchant leur poitrine avec son doigt de flamme,
Il leur faisait jaillir cette étoile du cœur !

V.

Le matin elle chante et puis elle travaille,
Sérieuse, les pieds sur sa chaise de paille,
Cousant, taillant, brodant quelques dessins choisis ;
Et, tandis que, songeant à Dieu, simple et sans crainte,
Cette vierge accomplit sa tâche auguste et sainte,
Le silence rêveur à sa porte est assis.

Ainsi, Seigneur, vos mains couvrent cette demeure.
Dans cet asile obscur, qu'aucun souci n'effleure,
Rien qui ne soit sacré, rien qui ne soit charmant !
Cette âme, en vous priant pour ceux dont la nef sombre,
Peut monter chaque soir vers vous sans faire d'ombre
Dans la sérénité de votre firmament !

Nul danger ! nul écueil ! - Si ! l'aspic est dans l'herbe !
Hélas ! hélas ! le ver est dans le fruit superbe !
Pour troubler une vie il suffit d'un regard.
Le mal peut se montrer même aux clartés d'un cierge.
La curiosité qu'a l'esprit de la vierge
Fait une plaie au cœur de la femme plus ****.

Plein de ces chants honteux, dégoût de la mémoire,
Un vieux livre est là-haut sur une vieille armoire,
Par quelque vil passant dans cette ombre oublié ;
Roman du dernier siècle ! œuvre d'ignominie !
Voltaire alors régnait, ce singe de génie
Chez l'homme en mission par le diable envoyé.

VI.

Epoque qui gardas, de vin, de sang rougie,
Même en agonisant, l'allure de l'orgie !
Ô dix-huitième siècle, impie et châtié !
Société sans dieu, par qui Dieu fus frappée !
Qui, brisant sous la hache et le sceptre et l'épée,
Jeune offensas l'amour, et vieille la pitié !

Table d'un long festin qu'un échafaud termine !
Monde, aveugle pour Christ, que Satan illumine !
Honte à tes écrivains devant les nations !
L'ombre de tes forfaits est dans leur renommée
Comme d'une chaudière il sort une fumée,
Leur sombre gloire sort des révolutions !

VII.

Frêle barque assoupie à quelques pas d'un gouffre !
Prends garde, enfant ! cœur tendre où rien encor ne souffre !
Ô pauvre fille d'Ève ! ô pauvre jeune esprit !
Voltaire, le serpent, le doute, l'ironie,
Voltaire est dans un coin de ta chambre bénie !
Avec son œil de flamme il t'espionne, et rit.

Oh ! tremble ! ce sophiste a sondé bien des fanges !
Oh ! tremble ! ce faux sage a perdu bien des anges !
Ce démon, noir milan, fond sur les cœurs pieux,
Et les brise, et souvent, sous ses griffes cruelles,
Plume à plume j'ai vu tomber ces blanches ailles
Qui font qu'une âme vole et s'enfuit dans les cieux !

Il compte de ton sein les battements sans nombre.
Le moindre mouvement de ton esprit dans l'ombre,
S'il penche un peu vers lui, fait resplendir son œil.
Et, comme un loup rôdant, comme un tigre qui guette,
Par moments, de Satan, visible au seul poète,
La tête monstrueuse apparaît à ton seuil !

VIII.

Hélas ! si ta main chaste ouvrait ce livre infâme,
Tu sentirais soudain Dieu mourir dans ton âme.
Ce soir tu pencherais ton front triste et boudeur
Pour voir passer au **** dans quelque verte allée
Les chars étincelants à la roue étoilée,
Et demain tu rirais de la sainte pudeur !

Ton lit, troublé la nuit de visions étranges,
Ferait fuir le sommeil, le plus craintif des anges !
Tu ne dormirais plus, tu ne chanterais plus,
Et ton esprit, tombé dans l'océan des rêves,
Irait, déraciné comme l'herbe des grèves,
Du plaisir à l'opprobre et du flux au reflux !

IX.

Oh ! la croix de ton père est là qui te regarde !
La croix du vieux soldat mort dans la vieille garde !
Laisse-toi conseiller par elle, ange tenté !
Laisse-toi conseiller, guider, sauver peut-être
Par ce lys fraternel penché sur ta fenêtre,
Qui mêle son parfum à ta virginité !

Par toute ombre qui passe en baissant la paupière !
Par les vieux saints rangés sous le portail de pierre !
Par la blanche colombe aux rapides adieux !
Par l'orgue ardent dont l'hymne en longs sanglots se brise !
Laisse-toi conseiller par la pensive église !
Laisse-toi conseiller par le ciel radieux !

Laisse-toi conseiller par l'aiguille ouvrière,
Présente à ton labeur, présente à ta prière,
Qui dit tout bas : Travaille ! - Oh ! crois-la ! - Dieu, vois-tu,
Fit naître du travail, que l'insensé repousse,
Deux filles, la vertu, qui fait la gaîté douce,
Et la gaîté, qui rend charmante la vertu !

Entends ces mille voix, d'amour accentuées,
Qui passent dans le vent, qui tombent des nuées,
Qui montent vaguement des seuils silencieux,
Que la rosée apporte avec ses chastes gouttes,
Que le chant des oiseaux te répète, et qui toutes
Te disent à la fois : Sois pure sous les cieux !

Sois pure sous les cieux ! comme l'onde et l'aurore,
Comme le joyeux nid, comme la tour sonore,
Comme la gerbe blonde, amour du moissonneur,
Comme l'astre incliné, comme la fleur penchante,
Comme tout ce qui rit, comme tout ce qui chante,
Comme tout ce qui dort dans la paix du Seigneur !

Sois calme. Le repos va du cœur au visage ;
La tranquillité fait la majesté du sage.
Sois joyeuse. La foi vit sans l'austérité ;
Un des reflets du ciel, c'est le rire des femmes ;
La joie est la chaleur que jette dans les âmes
Cette clarté d'en haut qu'on nomme Vérité.

La joie est pour l'esprit une riche ceinture.
La joie adoucit tout dans l'immense nature.
Dieu sur les vieilles tours pose le nid charmant
Et la broussaille en fleur qui luit dans l'herbe épaisse ;
Car la ruine même autour de sa tristesse
A besoin de jeunesse et de rayonnement !

Sois bonne. La bonté contient les autres choses.
Le Seigneur indulgent sur qui tu te reposes
Compose de bonté le penseur fraternel.
La bonté, c'est le fond des natures augustes.
D'une seule vertu Dieu fait le cœur des justes,
Comme d'un seul saphir la coupole du ciel.

Ainsi, tu resteras, comme un lys, comme un cygne,
Blanche entre les fronts purs marqués d'un divin signe
Et tu seras de ceux qui, sans peur, sans ennuis,
Des saintes actions amassant la richesse,
Rangent leur barque au port, leur vie à la sagesse
Et, priant tous les soirs, dorment toutes les nuits !

Le poète à lui-même.

Tandis que sur les bois, les prés et les charmilles,
S'épanchent la lumière et la splendeur des cieux,
Toi, poète serein, répands sur les familles,
Répands sur les enfants et sur les jeunes filles,
Répands sur les vieillards ton chant religieux !

Montre du doigt la rive à tous ceux qu'une voile
Traîne sur le flot noir par les vents agité ;
Aux vierges, l'innocence, heureuse et noble étoile ;
À la foule, l'autel que l'impiété voile ;
Aux jeunes, l'avenir ; aux vieux, l'éternité !

Fais filtrer ta raison dans l'homme et dans la femme.
Montre à chacun le vrai du côté saisissant.
Que tout penseur en toi trouve ce qu'il réclame.
Plonge Dieu dans les cœurs, et jette dans chaque âme
Un mot révélateur, propre à ce qu'elle sent.

Ainsi, sans bruit, dans l'ombre, ô songeur solitaire,
Ton esprit, d'où jaillit ton vers que Dieu bénit,
Du peuple sous tes pieds perce le crâne austère ; -
Comme un coin lent et sûr, dans les flancs de la terre
La racine du chêne entr'ouvre le granit.

Du 24 au 29 juin 1839.
J'entrai dernièrement dans une vieille église ;

La nef était déserte, et sur la dalle grise,

Les feux du soir, passant par les vitraux dorés,

Voltigeaient et dansaient, ardemment colorés.

Comme je m'en allais, visitant les chapelles,

Avec tous leurs festons et toutes leurs dentelles,

Dans un coin du jubé j'aperçus un tableau

Représentant un Christ qui me parut très-beau.

On y voyait saint Jean, Madeleine et la Vierge ;

Leurs chairs, d'un ton pareil à la cire de cierge,

Les faisaient ressembler, sur le fond sombre et noir,

A ces fantômes blancs qui se dressent le soir,

Et vont croisant les bras sous leurs draps mortuaires ;

Leurs robes à plis droits, ainsi que des suaires,

S'allongeaient tout d'un jet de leur nuque à leurs pieds ;

Ainsi faits, l'on eût dit qu'ils fussent copiés

Dans le campo-Santo sur quelque fresque antique,

D'un vieux maître Pisan, artiste catholique,

Tant l'on voyait reluire autour de leur beauté,

Le nimbe rayonnant de la mysticité,

Et tant l'on respirait dans leur humble attitude,

Les parfums onctueux de la béatitude.


Sans doute que c'était l'œuvre d'un Allemand,

D'un élève d'Holbein, mort bien obscurément,

A vingt ans, de misère et de mélancolie,

Dans quelque bourg de Flandre, au retour d'Italie ;

Car ses têtes semblaient, avec leur blanche chair,

Un rêve de soleil par une nuit d'hiver.


Je restai bien longtemps dans la même posture,

Pensif, à contempler cette pâle peinture ;

Je regardais le Christ sur son infâme bois,

Pour embrasser le monde, ouvrant les bras en croix ;

Ses pieds meurtris et bleus et ses deux mains clouées,

Ses chairs, par les bourreaux, à coups de fouets trouées,

La blessure livide et béante à son flanc ;

Son front d'ivoire où perle une sueur de sang ;

Son corps blafard, rayé par des lignes vermeilles,

Me faisaient naître au cœur des pitiés nonpareilles,

Et mes yeux débordaient en des ruisseaux de pleurs,

Comme dut en verser la Mère de Douleurs.

Dans l'outremer du ciel les chérubins fidèles,

Se lamentaient en chœur, la face sous leurs ailes,

Et l'un d'eux recueillait, un ciboire à la main,

Le pur-sang de la plaie où boit le genre humain ;

La sainte vierge, au bas, regardait : pauvre mère

Son divin fils en proie à l'agonie amère ;

Madeleine et saint Jean, sous les bras de la croix

Mornes, échevelés, sans soupirs et sans voix,

Plus dégoutants de pleurs qu'après la pluie un arbre,

Étaient debout, pareils à des piliers de marbre.


C'était, certes, un spectacle à faire réfléchir,

Et je sentis mon cou, comme un roseau, fléchir

Sous le vent que faisait l'aile de ma pensée,

Avec le chant du soir, vers le ciel élancée.

Je croisai gravement mes deux bras sur mon sein,

Et je pris mon menton dans le creux de ma main,

Et je me dis : « O Christ ! Tes douleurs sont trop vives ;

Après ton agonie au jardin des Olives,

Il fallait remonter près de ton père, au ciel,

Et nous laisser à nous l'éponge avec le fiel ;

Les clous percent ta chair, et les fleurons d'épines

Entrent profondément dans tes tempes divines.

Tu vas mourir, toi, Dieu, comme un homme. La mort

Recule épouvantée à ce sublime effort ;

Elle a peur de sa proie, elle hésite à la prendre,

Sachant qu'après trois jours il la lui faudra rendre,

Et qu'un ange viendra, qui, radieux et beau,

Lèvera de ses mains la pierre du tombeau ;

Mais tu n'en as pas moins souffert ton agonie,

Adorable victime entre toutes bénie ;

Mais tu n'en a pas moins avec les deux voleurs,

Étendu tes deux bras sur l'arbre de douleurs.


Ô rigoureux destin ! Une pareille vie,

D'une pareille mort si promptement suivie !

Pour tant de maux soufferts, tant d'absinthe et de fiel,

Où donc est le bonheur, le vin doux et le miel ?

La parole d'amour pour compenser l'injure,

Et la bouche qui donne un baiser par blessure ?

Dieu lui-même a besoin quand il est blasphémé,

Pour nous bénir encore de se sentir aimé,

Et tu n'as pas, Jésus, traversé cette terre,

N'ayant jamais pressé sur ton cœur solitaire

Un cœur sincère et pur, et fait ce long chemin

Sans avoir une épaule où reposer ta main,

Sans une âme choisie où répandre avec flamme

Tous les trésors d'amour enfermés dans ton âme.


Ne vous alarmez pas, esprits religieux,

Car l'inspiration descend toujours des cieux,

Et mon ange gardien, quand vint cette pensée,

De son bouclier d'or ne l'a pas repoussée.

C'est l'heure de l'extase où Dieu se laisse voir,

L'Angélus éploré tinte aux cloches du soir ;

Comme aux bras de l'amant, une vierge pâmée,

L'encensoir d'or exhale une haleine embaumée ;

La voix du jour s'éteint, les reflets des vitraux,

Comme des feux follets, passent sur les tombeaux,

Et l'on entend courir, sous les ogives frêles,

Un bruit confus de voix et de battements d'ailes ;

La foi descend des cieux avec l'obscurité ;

L'orgue vibre ; l'écho répond : Eternité !

Et la blanche statue, en sa couche de pierre,

Rapproche ses deux mains et se met en prière.

Comme un captif, brisant les portes du cachot,

L'âme du corps s'échappe et s'élance si haut,

Qu'elle heurte, en son vol, au détour d'un nuage,

L'étoile échevelée et l'archange en voyage ;

Tandis que la raison, avec son pied boiteux,

La regarde d'en-bas se perdre dans les cieux.

C'est à cette heure-là que les divins poètes,

Sentent grandir leur front et deviennent prophètes.


Ô mystère d'amour ! Ô mystère profond !

Abîme inexplicable où l'esprit se confond ;

Qui de nous osera, philosophe ou poète,

Dans cette sombre nuit plonger avant la tête ?

Quelle langue assez haute et quel cœur assez pur,

Pour chanter dignement tout ce poème obscur ?

Qui donc écartera l'aile blanche et dorée,

Dont un ange abritait cette amour ignorée ?

Qui nous dira le nom de cette autre Éloa ?

Et quelle âme, ô Jésus, à t'aimer se voua ?


Murs de Jérusalem, vénérables décombres,

Vous qui les avez vus et couverts de vos ombres,

Ô palmiers du Carmel ! Ô cèdres du Liban !

Apprenez-nous qui donc il aimait mieux que Jean ?

Si vos troncs vermoulus et si vos tours minées,

Dans leur écho fidèle, ont, depuis tant d'années,

Parmi les souvenirs des choses d'autrefois,

Conservé leur mémoire et le son de leur voix ;

Parlez et dites-nous, ô forêts ! ô ruines !

Tout ce que vous savez de ces amours divines !

Dites quels purs éclairs dans leurs yeux reluisaient,

Et quels soupirs ardents de leurs cœurs s'élançaient !

Et toi, Jourdain, réponds, sous les berceaux de palmes,

Quand la lune trempait ses pieds dans tes eaux calmes,

Et que le ciel semait sa face de plus d'yeux,

Que n'en traîne après lui le paon tout radieux ;

Ne les as-tu pas vus sur les fleurs et les mousses,

Glisser en se parlant avec des voix plus douces

Que les roucoulements des colombes de mai,

Que le premier aveu de celle que j'aimai ;

Et dans un pur baiser, symbole du mystère,

Unir la terre au ciel et le ciel à la terre.


Les échos sont muets, et le flot du Jourdain

Murmure sans répondre et passe avec dédain ;

Les morts de Josaphat, troublés dans leur silence,

Se tournent sur leur couche, et le vent frais balance

Au milieu des parfums dans les bras du palmier,

Le chant du rossignol et le nid du ramier.


Frère, mais voyez donc comme la Madeleine

Laisse sur son col blanc couler à flots d'ébène

Ses longs cheveux en pleurs, et comme ses beaux yeux,

Mélancoliquement, se tournent vers les cieux !

Qu'elle est belle ! Jamais, depuis Ève la blonde,

Une telle beauté n'apparut sur le monde ;

Son front est si charmant, son regard est si doux,

Que l'ange qui la garde, amoureux et jaloux,

Quand le désir craintif rôde et s'approche d'elle,

Fait luire son épée et le chasse à coups d'aile.


Ô pâle fleur d'amour éclose au paradis !

Qui répands tes parfums dans nos déserts maudits,

Comment donc as-tu fait, ô fleur ! Pour qu'il te reste

Une couleur si fraîche, une odeur si céleste ?

Comment donc as-tu fait, pauvre sœur du ramier,

Pour te conserver pure au cœur de ce bourbier ?

Quel miracle du ciel, sainte prostituée,

Que ton cœur, cette mer, si souvent remuée,

Des coquilles du bord et du limon impur,

N'ait pas, dans l'ouragan, souillé ses flots d'azur,

Et qu'on ait toujours vu sous leur manteau limpide,

La perle blanche au fond de ton âme candide !

C'est que tout cœur aimant est réhabilité,

Qu'il vous vient une autre âme et que la pureté

Qui remontait au ciel redescend et l'embrasse,

comme à sa sœur coupable une sœur qui fait grâce ;

C'est qu'aimer c'est pleurer, c'est croire, c'est prier ;

C'est que l'amour est saint et peut tout expier.


Mon grand peintre ignoré, sans en savoir les causes,

Dans ton sublime instinct tu comprenais ces choses,

Tu fis de ses yeux noirs ruisseler plus de pleurs ;

Tu gonflas son beau sein de plus hautes douleurs ;

La voyant si coupable et prenant pitié d'elle,

Pour qu'on lui pardonnât, tu l'as faite plus belle,

Et ton pinceau pieux, sur le divin contour,

A promené longtemps ses baisers pleins d'amour ;

Elle est plus belle encore que la vierge Marie,

Et le prêtre, à genoux, qui soupire et qui prie,

Dans sa pieuse extase, hésite entre les deux,

Et ne sait pas laquelle est la reine des cieux.


Ô sainte pécheresse ! Ô grande repentante !

Madeleine, c'est toi que j'eusse pour amante

Dans mes rêves choisie, et toute la beauté,

Tout le rayonnement de la virginité,

Montrant sur son front blanc la blancheur de son âme,

Ne sauraient m'émouvoir, ô femme vraiment femme,

Comme font tes soupirs et les pleurs de tes yeux,

Ineffable rosée à faire envie aux cieux !

Jamais lis de Saron, divine courtisane,

Mirant aux eaux des lacs sa robe diaphane,

N'eut un plus pur éclat ni de plus doux parfums ;

Ton beau front inondé de tes longs cheveux bruns,

Laisse voir, au travers de ta peau transparente,

Le rêve de ton âme et ta pensée errante,

Comme un globe d'albâtre éclairé par dedans !

Ton œil est un foyer dont les rayons ardents

Sous la cendre des cœurs ressuscitent les flammes ;

O la plus amoureuse entre toutes les femmes !

Les séraphins du ciel à peine ont dans le cœur,

Plus d'extase divine et de sainte langueur ;

Et tu pourrais couvrir de ton amour profonde,

Comme d'un manteau d'or la nudité du monde !

Toi seule sais aimer, comme il faut qu'il le soit,

Celui qui t'a marquée au front avec le doigt,

Celui dont tu baignais les pieds de myrrhe pure,

Et qui pour s'essuyer avait ta chevelure ;

Celui qui t'apparut au jardin, pâle encore

D'avoir dormi sa nuit dans le lit de la mort ;

Et, pour te consoler, voulut que la première

Tu le visses rempli de gloire et de lumière.


En faisant ce tableau, Raphaël inconnu,

N'est-ce pas ? Ce penser comme à moi t'est venu,

Et que ta rêverie a sondé ce mystère,

Que je voudrais pouvoir à la fois dire et taire ?

Ô poètes ! Allez prier à cet autel,

A l'heure où le jour baisse, à l'instant solennel,

Quand d'un brouillard d'encens la nef est toute pleine.

Regardez le Jésus et puis la Madeleine ;

Plongez-vous dans votre âme et rêvez au doux bruit

Que font en s'éployant les ailes de la nuit ;

Peut-être un chérubin détaché de la toile,

A vos yeux, un moment, soulèvera le voile,

Et dans un long soupir l'orgue murmurera

L'ineffable secret que ma bouche taira.
I.

Le ciel est calme et pur, la terre lui ressemble ;
Elle offre avec orgueil au soleil radieux
L'essaim tourbillonnant de ses enfants heureux.
Dans les parvis sacrés, la foule se rassemble.
Ô vous.... qui vous aimez et qui restez ensemble !
Vous qui pouvez encor prier en souriant,
Un mot à Dieu pour ceux qui pleurent en priant,
Vous qui restez ensemble !

Soleil ! du voyageur, toi, le divin secours,
En tous lieux brilles-tu comme au ciel de la France ?
N'as-tu pas en secret, parfois, de préférence,
Comme un cœur a souvent de secrètes amours ?
Ou, pour tous les pays, as-tu donc de beaux jours ?
Oh ! d'un rayon ami, protège le voyage !
Sur le triste exilé qui fuit **** du rivage,
Soleil, brille toujours !

Brise de nos printemps, qui courbes chaque branche,
Dont le souffle léger vient caresser les fleurs
Et s'imprègne en passant de leurs fraîches odeurs !
Au ****, du faible esquif qui s'incline et se penche,
Enfles-tu doucement l'humide voile blanche ?
Brise, sois douce et bonne au vaisseau qui s'enfuit ;
Comme un ange gardien, surveille jour et nuit
L'humide voile blanche.

Mer, dont l'immensité se dérobe à mes yeux !
Arrête la fureur de ta vague écumante,
Étouffe l'ouragan dont la voix se lamente,
Endors tes flots profonds, sombre miroir des cieux.
Que ton onde sommeille à l'heure des adieux ;
Renferme dans ton sein le vent de la tempête,
Et reçois mon ami, comme un ami qu'on fête,
À l'heure des adieux.

Mais pourquoi de la mer implorer la clémence,
Quand l'univers entier obéit au Seigneur ?
C'est lui qu'il faut prier quand se brise le cœur,
Quand sur nos fronts pâlis vient planer la souffrance,
Quand, pour nos yeux en pleurs, ton aurore commence,
Ô toi, de tous nos jours le jour le plus affreux,
- Que l'on achève seul, que l'on commence à deux
Premier jour de l'absence !

Mais n'est-il pas, mon Dieu ! dans tes divins séjours,
Un ange qui protège à l'ombre de ses ailes
Tous les amours bénis par tes mains paternelles :
Le bon ange, ô mon Dieu, des fidèles amours !
Il s'attriste aux départs et sourit aux retours,
Il rend au pèlerin la route plus unie ;
Oh ! veille donc sur lui, toi qui m'as tant bénie,
Bon ange des amours !

Le ciel est calme et pur, la terre lui ressemble ;
Elle offre avec orgueil au soleil radieux
L'essaim tourbillonnant de ses enfants heureux ;
Dans les parvis sacrés, la foule se rassemble.
Ô vous qui vous aimez et qui restez ensemble,
Vous qui pouvez encor prier en souriant,
Un mot à Dieu pour ceux qui pleurent en priant,
Vous qui restez ensemble !

II.

Voici l'heure du bal ; allez, hâtez vos pas !
De ces fleurs sans parfums couronnez voire tête ;
Allez danser ! mon cœur ne vous enviera pas.
Il est dans le silence aussi des jours de fête,
Et des chants intérieurs que vous n'entendez pas !...

Oh ! laissez-moi rêver, ne plaignez pas mes larmes !
Si souvent, dans le monde, on rit sans être heureux,
Que pleurer d'un regret est parfois plein de charmes,
Et vaut mieux qu'un bonheur qui ment à tous les yeux.

Je connais du plaisir le beau masque hypocrite,
La voix au timbre faux, et le rire trompeur
Que vos pleurs en secret vont remplacer bien vite,
Comme un fer retiré des blessures du cœur !

Pour moi, du moins, les pleurs n'ont pas besoin de voile ;
Sur mon front, ma douleur - comme au ciel, une étoile !

Béni sois-tu, Seigneur, qui vers de saints amours,
Toi-même, pour mon cœur, fraya la douce pente,
Comme en des champs fleuris, de l'onde murmurante
La main du laboureur sait diriger le cours !

Oh ! laissez-moi rêver **** du bal qui s'apprête ;
De ces fleurs sans parfums couronnez votre tête,
Allez danser ! mon cœur ne vous enviera pas.
Il est dans le silence aussi des jours de fête,
Et des chants intérieurs que vous n'entendez pas.

Oui, laissez-moi rêver, pour garder souvenance
Du dernier mot d'adieu qui précéda l'absence ;
Laissez vibrer en moi, dans l'ombre et **** du bruit,
Ce triste et doux écho qui me reste de lui !

Plus ****, on me verra me mêler à la foule ;
Mais dans son noir chaos où notre âme s'endort,
Où notre esprit s'éteint, - c'est un bonheur encor
D'espérer au delà de l'heure qui s'écoule,
D'attendre un jour parmi tous les jours à venir,
De marcher grave et triste au milieu de la foule,
Au front, une pensée ; au cœur, un souvenir !

III.

Tu me fuis, belle Étoile, Étoile du retour !
Toi, que mon cœur brisé cherchait avec amour,
Tu quittes l'horizon qu'obscurcit un nuage,
Tu disparais du ciel, tu fuis devant l'orage.
Depuis deux ans, pourtant, partout je te cherchais !
Les yeux fixés sur toi, j'espérais... je marchais.
Comme un phare brillant d'une lumière amie,
De ton espoir lointain, s'illuminait ma vie ;
J'avançais à ton jour, tu m'indiquais le port ;
Pour arriver vers toi, je redoublais d'effort.
De chacun de mes pas je comptais la distance,
Je disais : « C'est une heure ôtée à la souffrance ;
C'est une heure de moins, entre ce sombre jour
Et le jour radieux qui verra son retour ! »

Étoile d'espérance, appui d'une pauvre âme,
Pourquoi lui ravis-tu ta lumineuse flamme ?
Mon vol s'est arrêté dans ces obscurs déserts,
Mon aile vainement s'agite dans les airs ;
La nuit règne partout. - Sans lumière et sans guide,
En vain, vers l'Orient, de mon regard avide
J'appelle le soleil, qui chaque jour y luit...
Le soleil ne doit pas se lever aujourd'hui !
J'attends, et tour à tour ou je tremble ou j'espère.
Le vent souffle du ciel ou souffle de la terre ;
Il m'emporte à son gré dans son cours tortueux :
Ainsi, tourbillonnant, une feuille légère
Passe d'un noir ravin au calme azur des cieux.

Comme aux buissons l'agneau laisse un peu de sa laine,
Mon âme fatiguée, en sa course incertaine,
À force de douleurs perd l'espoir et la foi,
Et ne sait plus, mon Dieu, lever les yeux vers toi.
Étoile du retour, dissipe les orages !
Toi que j'ai tant priée, écarte les nuages !
Reviens à l'horizon me rendre le bonheur,
Et, du ciel où tu luis à côté du Seigneur,
Fais descendre, le soir, un rayon d'espérance
Sur les cœurs pleins d'amour que déchire l'absence !
La satire à présent, chant où se mêle un cri,
Bouche de fer d'où sort un sanglot attendri,
N'est plus ce qu'elle était jadis dans notre enfance,
Quand on nous conduisait, écoliers sans défense,
À la Sorbonne, endroit revêche et mauvais lieu,
Et que, devant nous tous qui l'écoutions fort peu,
Dévidant sa leçon et filant sa quenouille,
Le petit Andrieux, à face de grenouille,
Mordait Shakspeare, Hamlet, Macbeth, Lear, Othello,
Avec ses fausses dents prises au vieux Boileau.

La vie est, en ce siècle inquiet, devenue
Pas à pas grave et morne, et la vérité nue
Appelle la pensée à son secours depuis
Qu'on l'a murée avec le mensonge en son puits.
Après Jean-Jacques, après Danton, le sort ramène
Le lourd pas de la nuit sur la triste âme humaine ;
Droit et Devoir sont là gisants, la plaie au flanc ;
Le lâche soleil rit au noir dragon sifflant ;
L'homme jette à la mer l'honneur, vieille boussole ;
En léchant le vainqueur le vaincu se console ;
Toute l'histoire tient dans ce mot : réussir ;
Le succès est sultan et le meurtre est visir ;
Hélas, la vieille ivresse affreuse de la honte
Reparaît dans les yeux et sur les fronts remonte,
Trinque avec les tyrans, et le peuple fourbu
Reboit ce sombre vin dont il a déjà bu.
C'est pourquoi la satire est sévère. Elle ignore
Cette grandeur des rois qui fit Boileau sonore,
Et ne se souvient d'eux que pour les souffleter.
L'échafaud qu'il faut pièce à pièce démonter,
L'infâme loi de sang qui résiste aux ratures,
Qui garde les billots en lâchant les tortures,
Et dont il faut couper tous les ongles ; l'enfant
Que l'ignorance tient dans son poing étouffant
Et qui doit, libre oiseau, dans l'aube ouvrir ses ailes ;
Relever tour à tour ces sombres sentinelles,
Le mal, le préjugé, l'erreur, monstre romain,
Qui gardent le cachot où dort l'esprit humain ;
La guerre et ses vautours, la peste avec ses mouches,
À chasser ; les bâillons qu'il faut ôter des bouches ;
La parole à donner à toutes les douleurs ;
L'éclosion d'un jour nouveau sur l'homme en fleurs ;
Tel est le but, tel est le devoir, qui complique
Sa colère, et la fait d'utilité publique.

Pour enseigner à tous la vertu, l'équité,
La raison, il suffit que la Réalité,
Pure et sereine, monte à l'horizon et fasse
Évanouir l'horreur des nuits devant sa face.
Honte, gloire, grandeurs, vices, beautés, défauts,
Plaine et monts, sont mêlés tant qu'il fait nuit ; le faux
Fait semblant d'être honnête en l'obscurité louche.
Qu'est-ce que le rayon ? Une pierre de touche.
La lumière de tout ici-bas fait l'essai.
Le juste est sur la terre éclairé par le vrai ;
Le juste c'est la cime et le vrai c'est l'aurore.

Donc Lumière, Raison, Vérité, plus encore,
Bonté dans le courroux et suprême Pitié,
Le méchant pardonné, mais le mal châtié,
Voilà ce qu'aujourd'hui, comme aux vieux temps de Rome,
La satire implacable et tendre doit à l'homme.
Marquis ou médecins, une caste, un métier,
Ce n'est plus là son champ ; il lui faut l'homme entier.
Elle poursuit l'infâme et non le ridicule.

Un petit Augias veut un petit Hercule,
Et le bon Despréaux malin fit ce qu'il put.
Elle n'a plus affaire à l'ancien Lilliput.

Elle vole, à travers l'ombre et les catastrophes,
Grande et pâle, au milieu d'un ouragan de strophes ;
Elle crie à sa meute effrayante : - Courons !
Quand un vil parvenu, marchant sur tous les fronts,
Écrase un peuple avec des pieds jadis sans bottes.
Elle donne à ses chiens ailés tous les despotes,
Tous les monstres, géants et nains, à dévorer.
Elle apparaît aux czars pour les désespérer.
On entend dans son vers craquer les os du tigre.
De même que l'oiseau vers le printemps émigre,
Elle s'en va toujours du côté de l'honneur.
L'ange de Josaphat, le spectre d'Elseneur
Sont ses amis, et, sage, elle semble en démence,
Tant sa clameur profonde emplit le ciel immense.
Il lui faut, pour gronder et planer largement,
Tout le peuple sous elle, âpre, vaste, écumant ;
Ce n'est que sur la mer que le vent est à l'aise.

Quand Colomb part, elle est debout sur la falaise ;
Elle t'aime, ô Barbès ! Et suit d'un long vivat
Fulton, Garibaldi, Byron, John Brown et Watt,
Et toi Socrate, et toi Jésus, et toi Voltaire !
Elle fait, quand un mort glorieux est sous terre,
Sortir un vert laurier de son tombeau dormant ;
Elle ne permet pas qu'il pourrisse autrement.
Elle panse à genoux les vaincus vénérables,
Bénit les maudits, baise au front les misérables,
Lutte, et, sans daigner même un instant y songer,
Se sent par des valets derrière elle juger ;
Car, sous les règnes vils et traîtres, c'est un crime
De ne pas rire à l'heure où râle la victime
Et d'aimer les captifs à travers leurs barreaux ;
Et qui pleure les morts offense les bourreaux.

Est-elle triste ? Non, car elle est formidable.
Puisqu'auprès des tombeaux les vainqueurs sont à table,
Puisqu'on est satisfait dans l'opprobre, et qu'on a
L'impudeur d'être lâche avec un hosanna,
Puisqu'on chante et qu'on danse en dévorant les proies,
Elle vient à la fête elle aussi. Dans ces joies,
Dans ces contentements énormes, dans ces jeux
À force de triomphe et d'ivresse orageux,
Dans ces banquets mêlant Paphos, Clamart et Gnide,
Elle apporte, sinistre, un rire d'euménide.

Mais son immense effort, c'est la vie. Elle veut
Chasser la mort, bannir la nuit, rompre le nœud,
Dût-elle rudoyer le titan populaire.
Comme elle a plus d'amour, elle a plus de colère.
Quoi ! L'abdication serait un oreiller !
La conscience humaine est lente à s'éveiller ;
L'honneur laisse son feu pâlir, tomber, descendre
Sous l'épaississement lugubre de la cendre.
Aussi la Némésis chantante qui bondit
Et frappe, et devant qui Tibère est interdit,
La déesse du grand Juvénal, l'âpre muse,
Hébé par la beauté, par la terreur Méduse,
Qui sema dans la nuit ce que Dante y trouva,
Et que Job croyait voir parler à Jéhovah,
Se sent-elle encor plus de fureur magnanime
Pour réveiller l'oubli que pour punir le crime.
Elle approche du peuple et, guettant la rumeur,
Penche l'ïambe amer sur l'immense dormeur ;
La strophe alors frissonne en son tragique zèle,
Et s'empourpre en tâchant de tirer l'étincelle
De toute cette morne et fatale langueur,
Et le vers irrité devient une lueur.
Ainsi rougit dans l'ombre une face farouche
Qui vient sur un tison souffler à pleine bouche.

Le 26 avril 1870.
Du haut de la montagne,
Près de Guadarrama,
On découvre l'Espagne
Comme un panorama.

A l'horizon sans borne
Le grave Escurial
Lève son dôme morne,
Noir de l'ennui royal ;

Et l'on voit dans l'estompe
Du brouillard cotonneux,
Si **** que l'oeil s'y trompe,
Madrid, point lumineux !

La montagne est si haute,
Que ses flancs de granit
N'ont que l'aigle pour hôte,
Pour maison que son nid ;

Car l'hiver pâle assiège
Les pics étincelants,
Tout argentés de neige,
Comme des vieillards blancs.

J'aime leur crête pure,
Même aux tièdes saisons
D'une froide guipure
Bordant les horizons ;

Les nuages sublimes,
Ainsi que d'un turban
Chaperonnant leurs cimes
De pluie et d'ouragan ;

Le pin, dont les racines,
Comme de fortes mains,
Déchirent les ravines
Sur le flanc des chemins,

Et l'eau diamantée
Qui, sous l'herbe courant,
D'un caillou tourmentée,
Chuchote un nom bien grand !

Mais, avant toute chose,
J'aime, au coeur du rocher,
La petite fleur rose,
La fleur qu'il faut chercher !
Près du pêcheur qui ruisselle,
Quand tous deux, au jour baissant,
Nous errons dans la nacelle,
Laissant chanter l'homme frêle
Et gémir le flot puissant ;

Sous l'abri que font les voiles
Lorsque nous nous asseyons,
Dans cette ombre où tu te voiles
Quand ton regard aux étoiles
Semble cueillir des rayons ;

Quand tous deux nous croyons lire
Ce que la nature écrit,
Réponds, ô toi que j'admire,
D'où vient que mon cœur soupire ?
D'où vient que ton front sourit ?

Dis ? d'où vient qu'à chaque lame,
Comme une coupe de fiel,
La pensée emplit mon âme ?
C'est que moi je vois la rame
Tandis que tu vois le ciel !

C'est que je vois les flots sombres,
Toi, les astres enchantés !
C'est que, perdu dans leurs nombres,
Hélas, je compte les ombres
Quand tu comptes les clartés !

Chacun, c'est la loi suprême,
Rame, hélas ! jusqu'à la fin.
Pas d'homme, ô fatal problème !
Qui ne laboure ou ne sème
Sur quelque chose de vain !

L'homme est sur un flot qui gronde.
L'ouragan tord son manteau.
Il rame en la nuit profonde,
Et l'espoir s'en va dans l'onde
Par les fentes du bateau.

Sa voile que le vent troue
Se déchire à tout moment,
De sa route l'eau se joue,
Les obstacles sur sa proue
Écument incessamment !

Hélas ! hélas ! tout travaille
Sous tes yeux, ô Jéhovah !
De quelque côté qu'on aille,
Partout un flot qui tressaille,
Partout un homme qui va !

Où vas-tu ? - Vers la nuit noire.
Où vas-tu ? - Vers le grand jour.
Toi ? - Je cherche s'il faut croire.
Et toi ? - Je vais à la gloire.
Et toi ? - Je vais à l'amour.

Vous allez tous à la tombe !
Vous allez à l'inconnu !
Aigle, vautour, ou colombe,
Vous allez où tout retombe
Et d'où rien n'est revenu !

Vous allez où vont encore
Ceux qui font le plus de bruit !
Où va la fleur qu'avril dore !
Vous allez où va l'aurore !
Vous allez où va la nuit !

À quoi bon toutes ces peines ?
Pourquoi tant de soins jaloux ?
Buvez l'onde des fontaines,
Secouez le gland des chênes,
Aimez, et rendormez-vous !

Lorsque ainsi que des abeilles
On a travaillé toujours ;
Qu'on a rêvé des merveilles ;
Lorsqu'on a sur bien des veilles
Amoncelé bien des jours ;

Sur votre plus belle rose,
Sur votre lys le plus beau,
Savez-vous ce qui se pose ?
C'est l'oubli pour toute chose,
Pour tout homme le tombeau !

Car le Seigneur nous retire
Les fruits à peine cueillis.
Il dit : Échoue ! au navire.
Il dit à la flamme : Expire !
Il dit à la fleur : Pâlis !

Il dit au guerrier qui fonde :
- Je garde le dernier mot.
Monte, monte, ô roi du monde !
La chute la plus profonde
Pend au sommet le plus haut. -

Il a dit à la mortelle :
- Vite ! éblouis ton amant.
Avant de mourir sois belle.
Sois un instant étincelle,
Puis cendre éternellement ! -

Cet ordre auquel tu t'opposes
T'enveloppe et t'engloutit.
Mortel, plains-toi, si tu l'oses,
Au Dieu qui fit ces deux choses,
Le ciel grand, l'homme petit !

Chacun, qu'il doute ou qu'il nie,
Lutte en frayant son chemin ;
Et l'éternelle harmonie
Pèse comme une ironie
Sur tout ce tumulte humain !

Tous ces faux biens qu'on envie
Passent comme un soir de mai.
Vers l'ombre, hélas ! tout dévie.
Que reste-t-il de la vie,
Excepté d'avoir aimé !

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Ainsi je courbe ma tête
Quand tu redresses ton front.
Ainsi, sur l'onde inquiète,
J'écoute, sombre poète,
Ce que les flots me diront.

Ainsi, pour qu'on me réponde,
J'interroge avec effroi ;
Et dans ce gouffre où je sonde
La fange se mêle à l'onde... -
Oh ! ne fais pas comme moi !

Que sur la vague troublée
J'abaisse un sourcil hagard ;
Mais toi, belle âme voilée,
Vers l'espérance étoilée
Lève un tranquille regard !

Tu fais bien. Vois les cieux luire.
Vois les astres s'y mirer.
Un instinct là-haut t'attire.
Tu regardes Dieu sourire ;
Moi, je vois l'homme pleurer !

Le 9 septembre 1836.
Le coucher d'un soleil de septembre ensanglante

La plaine morne et l'âpre arête des sierras

Et de la brume au **** l'installation lente.


Le Guadarrama pousse entre les sables ras

Son flot hâtif qui va réfléchissant par places

Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras.


Le grand vol anguleux des éperviers rapaces

Raye à l'ouest le ciel mat et rouge qui brunit,

Et leur cri rauque grince à travers les espaces.


Despotique, et dressant au-devant du zénith

L'entassement brutal de ses tours octogones,

L'Escurial étend son orgueil de granit.


Les murs carrés, percés de vitraux monotones,

Montent droits, blancs et nus, sans autres ornements

Que quelques grils sculptés qu'alternent des couronnes.


Avec des bruits pareils aux rudes hurlements

D'un ours que des bergers navrent de coups de pioches

Et dont l'écho redit les râles alarmants,


Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches,

Et puis s'évaporant en des murmures longs,

Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches.


Par les cours du palais, où l'ombre met ses plombs,

Circule - tortueux serpent hiératique -

Une procession de moines aux frocs blonds


Qui marchent un par un, suivant l'ordre ascétique,

Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main,

Ululent d'une voix formidable un cantique.


- Qui donc ici se meurt ? Pour qui sur le chemin

Cette paille épandue et ces croix long-voilées

Selon le rituel catholique romain ? -


La chambre est haute, vaste et sombre. Niellées,

Les portes d'acajou massif tournent sans bruit,

Leurs serrures étant, comme leurs gonds, huilées.


Une vague rougeur plus triste que la nuit

Filtre à rais indécis par les plis des tentures

À travers les vitraux où le couchant reluit,


Et fait papilloter sur les architectures,

À l'angle des objets, dans l'ombre du plafond,

Ce halo singulier qu'on voit dans les peintures.


Parmi le clair-obscur transparent et profond

S'agitent effarés des hommes et des femmes

À pas furtifs, ainsi que les hyènes font.


Riches, les vêtements des seigneurs et des dames,

Velours, panne, satin, soie, hermine et brocart,

Chantent l'ode du luxe en chatoyantes gammes,


Et, trouant par éclairs distancés avec art

L'opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre

Des gardes alignés scintillent de trois quart.


Un homme en robe noire, à visage de guivre,

Se penche, en caressant de la main ses fémurs,

Sur un lit, comme l'on se penche sur un livre.


Des rideaux de drap d'or roides comme des murs

Tombent d'un dais de bois d'ébène en droite ligne,

Dardant à temps égaux l'œil des diamants durs.


Dans le lit, un vieillard d'une maigreur insigne

Egrène un chapelet, qu'il baise par moment,

Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne.


Ses lèvres font ce sourd et long marmottement,

Dernier signe de vie et premier d'agonie,

- Et son haleine pue épouvantablement.


Dans sa barbe couleur d'amarante ternie,

Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux,

Sous son linge bordé de dentelle jaunie,


Avides, empressés, fourmillants, et jaloux

De pomper tout le sang malsain du mourant fauve

En bataillons serrés vont et viennent les poux.


C'est le Roi, ce mourant qu'assiste un mire chauve,

Le Roi Philippe Deux d'Espagne, - saluez ! -

Et l'aigle autrichien s'effare dans l'alcôve,


Et de grands écussons, aux murailles cloués,

Brillent, et maints drapeaux où l'oiseau noir s'étale

Pendent de çà de là, vaguement remués !...


- La porte s'ouvre. Un flot de lumière brutale

Jaillit soudain, déferle et bientôt s'établit

Par l'ampleur de la chambre en nappe horizontale ;


Porteurs de torches, roux, et que l'extase emplit,

Entrent dix capucins qui restent en prière :

Un d'entre eux se détache et marche droit au lit.


Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,

Et les élancements farouches de la Foi

Rayonnent à travers les cils de sa paupière ;


Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi,

Sonne sur les tapis, régulier, emphatique :

Les yeux baissés en terre, il marche droit au Roi.


Et tous sur son trajet dans un geste extatique

S'agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein,

Car il porte avec lui le sacré Viatique.


Du lit s'écarte avec respect le matassin,

Le médecin du corps, en pareille occurrence,

Devant céder la place, Âme, à ton médecin.


La figure du Roi, qu'étire la souffrance,

À l'approche du fray se rassérène un peu,

Tant la religion est grosse d'espérance !


Le moine cette fois ouvrant son œil de feu,

Tout brillant de pardons mêlés à des reproches,

S'arrête, messager des justices de Dieu.


- Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches.


Et la Confession commence. Sur le flanc

Se retournant, le Roi, d'un ton sourd, bas et grêle,

Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang.


- « Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle ?

Brûler des juifs, mais c'est une dilection !

Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle. » -


Et, se pétrifiant dans l'exaltation,

Le Révérend, les bras en croix, tête baissée,

Semble l'esprit sculpté de l'Inquisition.


Ayant repris haleine, et d'une voix cassée,

Péniblement, et comme arrachant par lambeaux

Un remords douloureux du fond de sa pensée,


Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux

Éclaire le visage osseux et le front blême,

Prononce ces mots : Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux.


- « Les Flamands, révoltés contre l'Église même,

Furent très justement punis, à votre los,

Et je m'étonne, ô Roi, de ce doute suprême.


« Poursuivez. » Et le Roi parla de don Carlos.

Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue

Palpitante et collée affreusement à l'os.


- « Vous déplorez cet acte, et moi je vous en loue !

L'Infant, certes, était coupable au dernier point,

Ayant voulu tirer l'Espagne dans la boue


De l'hérésie anglaise, et de plus n'ayant point

Frémi de conspirer - ô ruses abhorrées ! -

Et contre un Père, et contre un Maître, et contre un Oint ! »


Le moine ensuite dit les formules sacrées

Par quoi tous nos péchés nous sont remis, et puis,

Prenant l'Hostie avec ses deux mains timorées,


Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits

Se sont tus, et la Cour, pliant dans la détresse,

Pria, muette et pâle, et nul n'a su depuis


Si sa prière fut sincère ou bien traîtresse.

- Qui dira les pensers obscurs que protégea

Ce silence, brouillard complice qui se dresse ?


Ayant communié, le Roi se replongea

Dans l'ampleur des coussins, et la béatitude

De l'Absolution reçue ouvrant déjà


L'œil de son âme au jour clair de la certitude,

Épanouit ses traits en un sourire exquis

Qui tenait de la fièvre et de la quiétude.


Et tandis qu'alentour ducs, comtes et marquis,

Pleins d'angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine,

L'âme du Roi mourant montait aux cieux conquis,


Puis le râle des morts hurla dans la poitrine

De l'auguste malade avec des sursauts fous :

Tel l'ouragan passe à travers une ruine.


Et puis plus rien ; et puis, sortant par mille trous,

Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,

Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.


- Philippe Deux était à la droite du Père.

— The End —