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Jeter ma gourme
Voilà ce que je voudrais faire
Et surtout la jeter avec toi
Et commettre ainsi mes premières frasques
Ou plutôt les secondes
Car j'ai oublié les premières.

Jeter sa gourme
Ce n'est pas se gourmer
Ce n'est pas un duel
C'est faire exploser sa pureté séminale
Et vouloir semer sa semence
Aux quatre vents
Mais moi ma semence telle une pivoine sauvage
Vole légère et virginale pour se blottir en toi
Te pénétrer, te fertiliser, ma méduse pélagique, à l'ombrelle bleue et rose,
Jusqu'aux derniers interstices
Accepte ma gourme, translucide et molle
Je ne la jette pas
Je te l'offre, cette efflorescence,
Je te la destine
Je te l'adresse dans tes eaux.
Je suis dans ma seconde jeunesse
Et je te prie de croire que cette gourme
Est un précipité pimenté de cheval, d'hippocampe et d'hippopotame
Même si elle n 'a rien d'un mastodonte.

Et non seulement je veux qu'elle te fertilise
Mais je veux que tu la goûtes
Et la savoure comme un bon bourgogne
Ou beaujolais nouveau
Je veux que tu t'en badigeonnes
Le corps et l'âme
Je veux que tu t'en maquilles
Les lèvres et les paupières
Et que ce fluide soit ta crème de beauté permanente.

Je veux que dans chaque café du petit matin
Une deux ou trois gouttelettes de cette gourme vienne sucrer ta journée
Et l'égayer de délicieuses bandaisons intimes
Et invisibles mais réelles
Lèche, prends, c'est de la tendresse liquide
De la chaleur liquide
De l'amour liquide
C'est ma cyprine à moi
Et comme je suis bavard et volubile
Je m'en sers pour t'écrire
En hiéroglyphes dont seule toi peut lire
Les encres sympathiques
Et je te dis :
Ma gourme t'aime maintenant
Ma douce, torride et brûlante Pelagia noctulica.
Je veille, unique sentinelle
De ce grand palais dévasté,
Dans la solitude éternelle,
En face de l'immensité.

A l'horizon que rien ne borne,
Stérile, muet, infini,
Le désert sous le soleil morne,
Déroule son linceul jauni.

Au-dessus de la terre nue,
Le ciel, autre désert d'azur,
Où jamais ne flotte une nue,
S'étale implacablement pur.

Le Nil, dont l'eau morte s'étame
D'une pellicule de plomb,
Luit, ridé par l'hippopotame,
Sous un jour mat tombant d'aplomb ;

Et les crocodiles rapaces,
Sur le sable en feu des îlots,
Demi-cuits dans leurs carapaces,
Se pâment avec des sanglots.

Immobile sur son pied grêle,
L'ibis, le bec dans son jabot,
Déchiffre au bout de quelque stèle
Le cartouche sacré de Thot.

L'hyène rit, le chacal miaule,
Et, traçant des cercles dans l'air,
L'épervier affamé piaule,
Noire virgule du ciel clair.

Mais ces bruits de la solitude
Sont couverts par le bâillement
Des sphinx, lassés de l'attitude
Qu'ils gardent immuablement.

Produit des blancs reflets du sable
Et du soleil toujours brillant,
Nul ennui ne t'est comparable,
Spleen lumineux de l'Orient !

C'est toi qui faisais crier : Grâce !
A la satiété des rois
Tombant vaincus sur leur terrasse,
Et tu m'écrases de ton poids.

Ici jamais le vent n'essuie
Une larme à l'oeil sec des cieux.
Et le temps fatigué s'appuie
Sur les palais silencieux.

Pas un accident ne dérange
La face de l'éternité ;
L'Égypte, en ce monde où tout change,
Trône sur l'immobilité.

Pour compagnons et pour amies,
Quand l'ennui me prend par accès,
J'ai les fellahs et les momies
Contemporaines de Rhamsès ;

Je regarde un pilier qui penche,
Un vieux colosse sans profil
Et les canges à voile blanche
Montant ou descendant le Nil.

Que je voudrais comme mon frère,
Dans ce grand Paris transporté,
Auprès de lui, pour me distraire,
Sur une place être planté !

Là-bas, il voit à ses sculptures
S'arrêter un peuple vivant,
Hiératiques écritures,
Que l'idée épelle en rêvant.

Les fontaines juxtaposées
Sur la poudre de son granit
Jettent leurs brumes irisées ;
Il est vermeil, il rajeunit !

Des veines roses de Syène
Comme moi cependant il sort,
Mais je reste à ma place ancienne,
Il est vivant et je suis mort !
L'hippopotame au large ventre

Habite aux Jungles de Java,

Où grondent, au fond de chaque antre,

Plus de monstres qu'on n'en rêva.


Le boa se déroule et siffle,

Le tigre fait son hurlement,

Le buffle en colère renifle ;

Lui, dort ou pait tranquillement.


Il ne craint ni kriss ni zagaies,

Il regarde l'homme sans fuir,

Et rit des balles des cipayes

Qui rebondissent sur son cuir.


Je suis comme l'hippopotame :

De ma conviction couvert,

Forte armure que rien n'entame,

Je vais sans peur par le désert.
Entre deux rocs d'un noir d'ébène
Voyez-vous ce sombre hallier
Qui se hérisse dans la plaine
Ainsi qu'une touffe de laine
Entre les cornes du bélier ?

Là, dans une ombre non frayée,
Grondent, le tigre ensanglanté,
La lionne, mère effrayée,
Le chacal, l'hyène rayée,
Et le léopard tacheté.

Là, des monstres de toute forme
Rampent : - le basilic rêvant,
L'hippopotame au ventre énorme,
Et le boa, vaste et difforme,
Qui semble un tronc d'arbre vivant.

L'orfraie aux paupières vermeilles,
Le serpent, le singe méchant,
Sifflent comme un essaim d'abeilles ;
L'éléphant aux larges oreilles
Casse les bambous en marchant.

Là, vit la sauvage famille
Qui glapit, bourdonne et mugit.
Le bois entier hurle et fourmille.
Sous chaque buisson un oeil brille,
Dans chaque antre une voix rugit.

Eh bien ! seul et nu sur la mousse,
Dans ce bois-là je serais mieux
Que devant Nourmahal-la-Rousse,
Qui parle avec une voix douce
Et regarde avec de doux yeux.

Le 25 novembre 1828.

— The End —