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Laurent Oct 2015
J’ai regardé devant moi
Dans la foule je t’ai vue
Parmi les blés je t’ai vue
Sous un arbre je t’ai vue
Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l’eau et du feu
L’été l’hiver je t’ai vue
Dans ma maison je t’ai vue
Entre mes bras je t’ai vue
Dans mes rêves je t’ai vue
Je ne te quitterai plus.

In English :

I looked in front of me
In the crowd I saw you
Among the wheat I saw you
Beneath a tree I saw you
At the end of my journeys
In the depths of my torment
At the corner of every smile
Emerging from water and fire
Summer and winter I saw you
All through my house I saw you
In my arms I saw you
In my dreams I saw you
I will never leave you.
Paul Éluard born Eugène Émile Paul Grindel 
(14 December 1895 – 26 November 1952), was a French poet who was one of the founders of the surrealist movement.
Paul d'Aubin Nov 2015
Sonnets pour treize  amis Toulousains  

Sonnet pour l’ami Alain  

Il est malin et combatif,
Autant qu’un malin chat rétif,
C’est Alain le beau mécano,
Exilé par la poste au tri.

Avec Nicole, quel beau tapage,
Car il provoque non sans ravages
Quand il en a marre du trop plein
A naviguer il est enclin.

Alain, Alain, tu aimes le filin
Toi qui es un fier mécano,  
A la conscience écolo.

Alain, Alain, tu vas finir  
Par les faire devenir «cabourds [1]»,  
Aux petits chefs à l’esprit lourd.
Paul     Aubin


Sonnet pour l’ami Bernard
  
Cheveux cendrés, yeux noirs profonds
Bernard, surplombe de son balcon.
Son esprit vif est aiguisé
Comme silex entrechoqués.

Sous son sérieux luit un grand cœur
D’humaniste chassant le malheur.
Très attentif à ses amis,
Il rayonne par son l’esprit.

Bernard, Bernard, tu es si sérieux,
Mais c’est aussi ton talisman
Qui pour tes amis est précieux.

Bernard, Bernard, tu es généreux,
Avec ce zeste de passion,  
Qui réchauffe comme un brandon.
Paul     Aubin

Sonnet pour l’ami Christian  

Sous l’apparence de sérieux  
Par ses lunettes un peu masqué.
C’est un poète inspiré,
Et un conférencier prisé.

Dans Toulouse il se promène  
Aventurier en son domaine.
Comme perdu dans la pampa
Des lettres,   il a la maestria

Christian, Christian, tu es poète,
Et ta poésie tu la vis.
Cette qualité est si rare.

Christian, Christian, tu es lunaire.
Dans les planètes tu sais aller
En parcourant Toulouse à pied.
Paul d’   Aubin

Sonnet pour l’ami José
  
Le crâne un peu dégarni
Dans son regard, un incendie.
Vif, mobile et électrisé,
Il semble toujours aux aguets.

Des « hidalgos » des temps jadis
Il a le verbe et l’allure.
Il donne parfois le tournis,
Mais il possède un cœur pur.

José, José, tu as horreur,
De l’injustice et du mépris,
C’est aussi ce qui fait ton prix.

José, José, tu es un roc
Un mousquetaire en Languedoc
Un homme qui sait résister.
Paul  d’   Aubin

Sonnet pour l’ami  Jean-Pierre  

Subtil et sage, jamais hautain,
C’est Jean-Pierre,  le Toulousain,
qui de son quartier, Roseraie
apparaît détenir les clefs.

Pensée précise d’analyste,  
Il  est savant et optimiste,
Épicurien en liberté,
magie d’  intellectualité.

Jean-Pierre, Jean-Pierre, tu es plus subtil,
Que l’écureuil au frais babil,  
Et pour cela tu nous fascines.

Jean-Pierre, Jean-Pierre, tu es trop sage,
C’est pour cela que tu es mon ami
A cavalcader mes folies.
Paul  d’   Aubin

Sonnet pour l’ami Henry  

Henry  est un fougueux audois  
de la variété qui combat.
Dans ses yeux flamboie l’âpre alcool,
du tempérament espagnol.

Henry est un fidèle  ami
Mais en «section» comme «Aramits».
dans tous  les  recoins,  il frétille,
comme dans les torrents l’anguille.

Henry,  Henry, tu es bouillant
Et  te moques  des cheveux gris,
Sans toi même être prémuni.

Henry,  Henry, tu t’ingénies  
A transformer  ce monde gris
dans notre   époque de clinquant.
Paul   d’  Aubin

Sonnet pour l’ami Olivier  

Olivier l’informaticien    
à   un viking me fait penser.
Il aime d’ailleurs les fest noz,
Et  boit la bière autant qu’on ose

Olivier, roux comme  un flamand  
arpente Toulouse, à grand pas
avec cet  air énigmatique
qui nous le rend si sympathique

Olivier, tu es bretteur
dans le monde informatique,  
Tu gardes  un côté sorcier.

Olivier, tu as un grand cœur,
Tu réponds toujours, je suis là,  
Pour nous tirer de l’embarras.
Paul  d’   Aubin


Sonnet pour l’ami  Philippe  

Cheveux  de geai, les yeux luisants
Voici, Philippe le toulousain.
de l’ «Arsenal» à «Saint Sernin»
Il vous  salut de son allant.

Il est cordial et enjoué,
mais son esprit est aux aguets.
C’est en fait un vrai militant,
traçant sa   vie en se battant.

Philippe, Philippe, tu es partout,
Avec tes gestes du Midi
qui te valent  bien   des  amis.

Philippe, Philippe, tu es batailleur,
Et  ta voix chaude est ton atout,  
Dans notre  Toulouse frondeur.
Paul   d’  Aubin


Sonnet pour l’ami Pierre
  
Pierre est un juriste fin
Qui ne se prend pas au sérieux.
Et sait garder  la tête froide,
Face aux embûches et aux fâcheux.

Surtout, Pierre est humaniste
Et sait d’un sourire allumer.
le cœur  humains et rigoler,
Il doit être un peu artiste.

Pierre,  Pierre, tu es indulgent,
Mais tu as aussi un grand talent,
De convaincre et puis d’enseigner.

Pierre,  Pierre, tu manquerais
A l’ambiance du Tribunal
Quittant le «vaisseau amiral».
Paul  d’   Aubin

Sonnet pour l’ami Pierre-Yves    

Pierre-Yves est fin comme un lapin
mais c’est un si  gentil goupil,
à l’œil vif,  au regard malin;
en plus pense  européen.

Pierre-Yves est un fils d’historien,  
qui goûte  à la philosophe,
usant des plaisirs de la vie
en prisant le bon vin, aussi.

Pierre-Yves,   tu les connais bien,
tous nos notables toulousains,

Pierre-Yves,   tu nous as fait tant rire,
En parlant gaiement  des «pingouins»,
du Capitole,  avec ses  oies.
Paul  d’   Aubin


Sonnet pour l’ami  Rémy    
De son haut front, il bat le vent,
Son bras pointé, comme l’espoir,
C’est notre, Rémy, l’occitan,
Vigoureux comme un « coup à boire ».

De sa chemise rouge vêtue,
Il harangue tel un  Jaurès,
dans les amphis et dans les rues,
pour la belle Clio, sa déesse.

Olivier, Olivier,  ami  
Dans un bagad tu as ta place,  
Mais à Toulouse, on ne connait pas.

Rémy, Rémy, ils ne t’ont pas
Car tout Président  qu’ils t’ont fait,  
Tu gardes en toi, ta liberté.
Paul  d’   Aubin

Sonnet pour l’ami Sylvain    

Sylvain est un perpignanais
mais plutôt secret qu’enjoué.
N’allez pas croire cependant,
qu’il  vous serait indifférent.

Sylvain,   a aussi le talent  
de savoir diriger les gens,
simple, précis et amical,
il pourrait être cardinal.

Sylvain,   Sylvain,    tu es très fin
et dans la «com..» est ton destin,
sans être en rien superficiel.

Sylvain,   Sylvain,    tu es en  recherche
d’une excellence  que tu as.
Il faut que tu la prennes en toi.
Paul  d’   Aubin

Sonnet pour l’ami Toinou    

Tonnerre et bruits, rires et paris,
«Toinou » est fils de l’Oranie,
Quand sur Toulouse, il mit le cap,
On le vit,   entre houle et ressacs.

Dans la cité «Deromedi»
Au Mirail ou à Jolimont,
Emporté par un hourvari
On le connaît tel le « loup gris ».  

Toinou, Toinou, à la rescousse !
Dans la ville, y’a de la secousse!
Chez les «archis», dans les «amphis.»

Toinou, Toinou, encore un verre   !
Tu as oublié de te taire,
Et tes amis viennent tantôt.
Paul d’   Aubin
Peins-moi, Janet, peins-moi, je te supplie
Dans ce tableau les beautés de m'amie
De la façon que je te les dirai.
Comme importun je ne te supplierai
D'un art menteur quelque faveur lui faire :
Il suffit bien si tu la sais portraire
Ainsi qu'elle est, sans vouloir déguiser
Son naturel pour la favoriser,
Car la faveur n'est bonne que pour celles
Qui se font peindre, et qui ne sont pas belles.

Fais-lui premier les cheveux ondelés,
Noués, retors, recrêpés, annelés,
Qui de couleur le cèdre représentent ;
Ou les démêle, et que libres ils sentent
Dans le tableau, si par art tu le peux,
La même odeur de ses propres cheveux,
Car ses cheveux comme fleurettes sentent,
Quand les Zéphyrs au printemps les éventent.

Que son beau front ne soit entrefendu
De nul sillon en profond étendu,
Mais qu'il soit tel qu'est la pleine marine,
Quand tant soit peu le vent ne la mutine,
Et que gisante en son lit elle dort,
Calmant ses flots sillés d'un somme mort.
Tout au milieu par la grève descende
Un beau rubis, de qui l'éclat s'épande
Par le tableau, ainsi qu'on voit de nuit
Briller les rais de la Lune qui luit
Dessus la neige au fond d'un val coulée,
De trace d'homme encore non foulée.

Après fais-lui son beau sourcil voûtis
D'ébène noir, et que son pli tortis
Semble un croissant qui montre par la nue
Au premier mois sa voûture cornue.
Ou si jamais tu as vu l'arc d'Amour,
Prends le portrait dessus le demi-tour
De sa courbure à demi-cercle dose,
Car l'arc d'Amour et lui n'est qu'une chose.
Mais las ! mon Dieu, mon Dieu je ne sais pas
Par quel moyen, ni comment, tu peindras
(Voire eusses-tu l'artifice d'Apelle)
De ses beaux yeux la grâce naturelle,
Qui font vergogne aux étoiles des Cieux.
Que l'un soit doux, l'autre soit furieux,
Que l'un de Mars, l'autre de Vénus tienne ;
Que du bénin toute espérance vienne,

Et du cruel vienne tout désespoir ;
L'un soit piteux et larmoyant à voir,
Comme celui d'Ariane laissée
Aux bords de Die, alors que l'insensée,
Près de la mer, de pleurs se consommait,
Et son Thésée en vain elle nommait ;
L'autre soit ***, comme il est bien croyable
Que l'eut jadis Pénélope louable
Quand elle vit son mari retourné,
Ayant vingt ans **** d'elle séjourné.
Après fais-lui sa rondelette oreille,
Petite, unie, entre blanche et vermeille,
Qui sous le voile apparaisse à l'égal
Que fait un lis enclos dans un cristal,
Ou tout ainsi qu'apparaît une rose
Tout fraîchement dedans un verre enclose.

Mais pour néant tu aurais fait si beau
Tout l'ornement de ton riche tableau,
Si tu n'avais de la linéature
De son beau nez bien portrait la peinture.
Peins-le-moi donc grêle, long, aquilin,
Poli, traitis, où l'envieux malin,
Quand il voudrait, n'y saurait que reprendre,
Tant proprement tu le feras descendre
Parmi la face, ainsi comme descend
Dans une plaine un petit mont qui pend.
Après au vif peins-moi sa belle joue
Pareille au teint de la rose qui noue
Dessus du lait, ou au teint blanchissant
Du lis qui baise un oeillet rougissant.
Dans le milieu portrais une fossette,
Fossette, non, mais d'Amour la cachette,
D'où ce garçon de sa petite main
Lâche cent traits, et jamais un en vain,
Que par les yeux droit au coeur il ne touche.

Hélas ! Janet, pour bien peindre sa bouche,
A peine Homère en ses vers te dirait
Quel vermillon égaler la pourrait,
Car pour la peindre ainsi qu'elle mérite,
Peindre il faudrait celle d'une Charite.
Peins-la-moi donc, qu'elle semble parler,
Ores sourire, ores embaumer l'air
De ne sais quelle ambrosienne haleine.
Mais par sur tout fais qu'elle semble pleine
De la douceur de persuasion.
Tout à l'entour attache un million
De ris, d'attraits, de jeux, de courtoisies,
Et que deux rangs de perlettes choisies
D'un ordre égal en la place des dents
Bien poliment soient arrangés dedans.
Peins tout autour une lèvre bessonne,
Qui d'elle-même, en s'élevant, semonne,
D'être baisée, ayant le teint pareil
Ou de la rose, ou du corail vermeil,
Elle flambante au Printemps sur l'épine,
Lui rougissant au fond de la marine.

Peins son menton au milieu fosselu,
Et que le bout en rondeur pommelu
Soit tout ainsi que l'on voit apparaître
Le bout d'un coin qui jà commence à croître.

Plus blanc que lait caillé dessus le jonc
Peins-lui le col, mais peins-le un petit long,
Grêle et charnu, et sa gorge douillette
Comme le col soit un petit longuette.

Après fais-lui, par un juste compas,
Et de Junon les coudes et les bras,
Et les beaux doigts de Minerve, et encore
La main pareille à celle de l'Aurore.

Je ne sais plus, mon Janet, où j'en suis,
Je suis confus et muet : je ne puis,
Comme j'ai fait, te déclarer le reste
De ses beautés, qui ne m'est manifeste.
Las ! car jamais tant de faveurs je n'eus
Que d'avoir vu ses beaux tétins à nu.
Mais si l'on peut juger par conjecture,
Persuadé de raisons, je m'assure
Que la beauté qui ne s'apparaît, doit
Du tout répondre à celle que l'on voit.
Doncque peins-la, et qu'elle me soit faite

Parfaite autant comme l'autre est parfaite.
Ainsi qu'en bosse élève-moi son sein,
Net, blanc, poli, large, profond et plein,
Dedans lequel mille rameuses veines
De rouge sang tressaillent toutes pleines.
Puis, quand au vif tu auras découvert
Dessous la peau les muscles et les nerfs,
Enfle au-dessus deux pommes nouvelettes,
Comme l'on voit deux pommes verdelettes
D'un oranger, qui encore du tout
Ne font qu'à l'heure à se rougir au bout.

Tout au plus haut des épaules marbrines,
Peins le séjour des Charites divines,
Et que l'Amour sans cesse voletant
Toujours les couve, et les aille éventant,
Pensant voler avec le Jeu son frère
De branche en branche ès vergers de Cythère.

Un peu plus bas, en miroir arrondi,
Tout poupellé, grasselet, rebondi,
Comme celui de Vénus, peins son ventre ;
Peins son nombril ainsi qu'un petit centre,
Le fond duquel paraisse plus vermeil
Qu'un bel oeillet entrouvert au Soleil.

Qu'attends-tu plus ? portrais-moi l'autre chose
Qui est si belle, et que dire je n'ose,
Et dont l'espoir impatient me point ;
Mais je te prie, ne me l'ombrage point,
Si ce n'était d'un voile fait de soie,
Clair et subtil, à fin qu'on l'entrevoie.

Ses cuisses soient comme faites au tour
A pleine chair, rondes tout à l'entour,
Ainsi qu'un Terme arrondi d'artifice
Qui soutient ferme un royal édifice.

Comme deux monts enlève ses genoux,
Douillets, charnus, ronds, délicats et mous,
Dessous lesquels fais-lui la grève pleine,
Telle que l'ont les vierges de Lacène,
Allant lutter au rivage connu
Du fleuve Eurote, ayant le corps tout nu,
Ou bien chassant à meutes découplées
Quelque grand cerf ès forêts Amyclées.
Puis, pour la fin, portrais-lui de Thétis
Les pieds étroits, et les talons petits.

Ha, je la vois ! elle est presque portraite,
Encore un trait, encore un, elle est faite !
Lève tes mains, ha mon Dieu ! je la vois !
Bien peu s'en faut qu'elle ne parle à moi.
Paul d'Aubin May 2016
Le Géranium d'Alger
(dédié à mon ami Abder).

C'était un plant de géranium,
sans racine apparente
qui avait poussé à Alger,
sous le soleil si vif
de la terre d'Afrique.
L’ami Abder, me l'avait apporté,
comme un présent choisi
d'orange ou de soleil
Il venait de «La bas»,
que nous feignons d'oublier
Mais ou tant de souvenirs
nous relient, par-delà l'amertume
Tant de haine et de préjugés.
Même si des plaies restent à vif
maigres les porteurs de braises
et les vaine vengeances
entretenant les feux.
au lieu de les éteindre
et de jeter leurs forces
pour rapprocher nos Peuples
préserver notre même mer.
Notre Méditerranée lustrale
qui borde nos deux rives
et de rechercher ensemble
l'eau qui étanchera les soifs
de demain, quels que soient
nos Dieux ou nos idéaux.
Je craignais pour ce géranium
aux radicelles menues,
qu'il succombe au vent d'autan
et à ce printemps si pluvieux
mais l'hôte d'Alger
était de bonne souche
accrochée à la vie
et soucieux d'embellir
«Tolosa la belle»,
qui brille et resplendit
sur ces terrasses solaires
de «la Comtale»
nous faisant oublier
que nous vivons en ville
et goûter ce bonheur.
emplissant mes yeux
d'une multiplicité de plantes
Méditerranéennes; bien sûr,
irisées pas les fluides solaires
arrosées par tant de couchers de soleil
et les levers de lune.
Ce géranium à trois têtes
courbées par ces vents
si fréquents,
côtoie la menthe,
le fenouil et la sauge
et scelle une amitié profonde
de natifs des rives
de notre même Méditerranée.

Paul Arrighi
Lorsque l'on veut monter aux tours des cathédrales,

On prend l'escalier noir qui roule ses spirales,

Comme un serpent de pierre au ventre d'un clocher.


L'on chemine d'abord dans une nuit profonde,

Sans trèfle de soleil et de lumière blonde,

Tâtant le mur des mains, de peur de trébucher ;


Car les hautes maisons voisines de l'église

Vers le pied de la tour versent leur ombre grise,

Qu'un rayon lumineux ne vient jamais trancher.


S'envolant tout à coup, les chouettes peureuses

Vous flagellent le front de leurs ailes poudreuses,

Et les chauves-souris s'abattent sur vos bras ;


Les spectres, les terreurs qui hantent les ténèbres,

Vous frôlent en passant de leurs crêpes funèbres ;

Vous les entendez geindre et chuchoter tout bas.


À travers l'ombre on voit la chimère accroupie

Remuer, et l'écho de la voûte assoupie

Derrière votre pas suscite un autre pas.


Vous sentez à l'épaule une pénible haleine,

Un souffle intermittent, comme d'une âme en peine

Qu'on aurait éveillée et qui vous poursuivrait.


Et si l'humidité fait des yeux de la voûte,

Larmes du monument, tomber l'eau goutte à goutte,

Il semble qu'on dérange une ombre qui pleurait.


Chaque fois que la vis, en tournant, se dérobe,

Sur la dernière marche un dernier pli de robe,

Irritante terreur, brusquement disparaît.


Bientôt le jour, filtrant par les fentes étroites,

Sur le mur opposé trace des lignes droites,

Comme une barre d'or sur un écusson noir.


L'on est déjà plus haut que les toits de la ville,

Édifices sans nom, masse confuse et vile,

Et par les arceaux gris le ciel bleu se fait voir.


Les hiboux disparus font place aux tourterelles,

Qui lustrent au soleil le satin de leurs ailes

Et semblent roucouler des promesses d'espoir.


Des essaims familiers perchent sur les tarasques,

Et, sans se rebuter de la laideur des masques,

Dans chaque bouche ouverte un oiseau fait son nid.


Les guivres, les dragons et les formes étranges

Ne sont plus maintenant que des figures d'anges,

Séraphiques gardiens taillés dans le granit,


Qui depuis huit cents ans, pensives sentinelles,

Dans leurs niches de pierre, appuyés sur leurs ailes,

Montent leur faction qui jamais ne finit.


Vous débouchez enfin sur une plate-forme,

Et vous apercevez, ainsi qu'un monstre énorme,

La Cité grommelante, accroupie alentour.


Comme un requin, ouvrant ses immenses mâchoires,

Elle mord l'horizon de ses mille dents noires,

Dont chacune est un dôme, un clocher, une tour.


À travers le brouillard, de ses naseaux de plâtre

Elle souffle dans l'air son haleine bleuâtre,

Que dore par flocons un chaud reflet de jour.


Comme sur l'eau qui bout monte et chante l'écume,

Sur la ville toujours plane une ardente brume,

Un bourdonnement sourd fait de cent bruits confus :


Ce sont les tintements et les grêles volées

Des cloches, de leurs voix sonores ou fêlées,

Chantant à plein gosier dans leurs beffrois touffus ;


C'est le vent dans le ciel et l'homme sur la terre ;

C'est le bruit des tambours et des clairons de guerre,

Ou des canons grondeurs sonnant sur leurs affûts ;


C'est la rumeur des chars, dont la prompte lanterne

File comme une étoile à travers l'ombre terne,

Emportant un heureux aux bras de son désir ;


Le soupir de la vierge au balcon accoudée,

Le marteau sur l'enclume et le fait sur l'idée,

Le cri de la douleur ou le chant du plaisir.


Dans cette symphonie au colossal orchestre,

Que n'écrira jamais musicien terrestre,

Chaque objet fait sa note impossible à saisir.


Vous pensiez être en haut ; mais voici qu'une aiguille,

Où le ciel découpé par dentelles scintille,

Se présente soudain devant vos pieds lassés.


Il faut monter encore dans la mince tourelle,

L'escalier qui serpente en spirale plus frêle,

Se pendant aux crampons de **** en **** placés.


Le vent, d'un air moqueur, à vos oreilles siffle,

La goule étend sa griffe et la guivre renifle,

Le vertige alourdit vos pas embarrassés.


Vous voyez **** de vous, comme dans des abîmes,

S'aplanir les clochers et les plus hautes cimes ;

Des aigles les plus fiers vous dominez l'essor.


Votre sueur se fige à votre front en nage ;

L'air trop vif vous étouffe : allons, enfant, courage !

Vous êtes près des cieux ; allons, un pas encore !


Et vous pourrez toucher, de votre main surprise,

L'archange colossal que fait tourner la brise,

Le saint Michel géant qui tient un glaive d'or ;


Et si, vous accoudant sur la rampe de marbre,

Qui palpite au grand vent, comme une branche d'arbre,

Vous dirigez en bas un œil moins effrayé,


Vous verrez la campagne à plus de trente lieues,

Un immense horizon, bordé de franges bleues,

Se déroulant sous vous comme un tapis rayé ;


Les carrés de blé d'or, les cultures zébrées,

Les plaques de gazon de troupeaux noirs tigrées ;

Et, dans le sainfoin rouge, un chemin blanc frayé ;


Les cités, les hameaux, nids semés dans la plaine,

Et partout, où se groupe une famille humaine,

Un clocher vers le ciel, comme un doigt s'allongeant.


Vous verrez dans le golfe, aux bras des promontoires,

La mer se diaprer et se gaufrer de moires,

Comme un kandjiar turc damasquiné d'argent ;


Les vaisseaux, alcyons balancés sur leurs ailes,

Piquer l'azur lointain de blanches étincelles

Et croiser en tous sens leur vol intelligent.


Comme un sein plein de lait gonflant leurs voiles ronde,

Sur la foi de l'aimant ils vont chercher des mondes,

Des rivages nouveaux sur de nouvelles mers :


Dans l'Inde, de parfums, d'or et de soleil pleine,

Dans la Chine bizarre, aux tours de porcelaine,

Chimérique pays peuplé de dragons verts ;


Ou vers Otaïti, la belle fleur des ondes,

De ses longs cheveux noirs tordant les perles blondes,

Comme une autre Vénus, fille des flots amers ;


À Ceylan, à Java, plus **** encore peut-être,

Dans quelque île déserte et dont on se rend maître,

Vers une autre Amérique échappée à Colomb.


Hélas ! Et vous aussi, sans crainte, ô mes pensées,

Livrant aux vents du ciel vos ailes empressées,

Vous tentez un voyage aventureux et long.


Si la foudre et le nord respectent vos antennes,

Des pays inconnus et des îles lointaines

Que rapporterez-vous ? De l'or, ou bien du plomb ?...


La spirale soudain s'interrompt et se brise.

Comme celui qui monte au clocher de l'église,

Me voici maintenant au sommet de ma tour.


J'ai planté le drapeau tout au haut de mon œuvre.

Ah ! Que depuis longtemps, pauvre et rude manœuvre,

Insensible à la joie, à la vie, à l'amour,


Pour garder mon dessin avec ses lignes pures,

J'émousse mon ciseau contre des pierres dures,

Élevant à grande peine une assise par jour !


Pendant combien de mois suis-je resté sous terre,

Creusant comme un mineur ma fouille solitaire,

Et cherchant le roc vif pour mes fondations !


Et pourtant le soleil riait sur la nature ;

Les fleurs faisaient l'amour, et toute créature

Livrait sa fantaisie au vent des passions ;


Le printemps dans les bois faisait courir la sève,

Et le flot, en chantant, venait baiser la grève ;

Tout n'était que parfum, plaisir, joie et rayons !


Patient architecte, avec mes mains pensives

Sur mes piliers trapus inclinant mes ogives,

Je fouillais sous l'église un temple souterrain ;


Puis l'église elle-même, avec ses colonnettes,

Qui semble, tant elle a d'aiguilles et d'arêtes,

Un madrépore immense, un polypier marin ;


Et le clocher hardi, grand peuplier de pierre,

Où gazouillent, quand vient l'heure de la prière,

Avec les blancs ramiers, des nids d'oiseaux d'airain.


Du haut de cette tour à grande peine achevée,

Pourrais-je t'entrevoir, perspective rêvée,

Terre de Chanaan où tendait mon effort ?


Pourrai-je apercevoir la figure du monde,

Les astres dans le ciel accomplissant leur ronde,

Et les vaisseaux quittant et regagnant le port ?


Si mon clocher passait seulement de la tête

Les toits ou les tuyaux de la ville, ou le faîte

De ce donjon aigu qui du brouillard ressort ;


S'il était assez haut pour découvrir l'étoile

Que la colline bleue avec son dos me voile,

Le croissant qui s'écorne au toit de la maison ;


Pour voir, au ciel de smalt, les flottantes nuées,

Par le vent du matin mollement remuées,

Comme un troupeau de l'air secouer leur toison ;


Et la gloire, la gloire, astre et soleil de l'âme,

Dans un océan d'or, avec le globe en flamme,

Majestueusement monter à l'horizon !
Paul d'Aubin Aug 2014
Nos jeunesses avec Monsieur Snoopy


C'était le noble fils d'Isky
Yorkshire au caractère vif
Betty l'avait eu en cadeau
De Ginou, comme un joyau.
Dans ses jeunes ans, vêtu
d'un pelage noir et boucle.
Il semblait une variété
d'écureuil plutôt qu'un chien
Mais sa passion était de jouer
Et de mordiller aussi .
Mais ce chiot était déjà
Un jeune combattant téméraire.


Venu avec nous a Lille
Il apprit a courir les pigeons du Beffroi.
L'été prenant le cargo avec nous pour la Corse,
Il débarquait aphone ayant aboyé toute la nuit.
Dans l'île, ce chien anglais se portait comme un charme,
et se jouait des ronces du maquis.
Il dégotta même une ruche sauvage d'abeilles près du ruisseau le "Fiume".


Mais de caractère dominant
Et n'ayant pas appris les mœurs de la meurtre,
Il refusa la soumission au dogue de "Zeze"; "Fakir",
qui le prit dans sa gueule et le fit tournoyer sous la camionnette du boucher ambulant.
Il en fut quitte pour quelques jours de peur panique,
Puis ne manqua point de frétiller de sa queue pour saluer le chef de meute selon la coutume des chiens.


Rentrés a Lille, je vis un film de Claude Lelouch,
Ou un restaurateur avait entraîné un coq a saluer les clients,
Aussitôt, je m'efforcais de renouveler l'exploit avec Snoopy juche sur mon épaule ou l'appui tête de notre Fiat.
Mais ce chien indépendant et fougueux ne voulut rien entendre.
Las et envolées les idées de montreur de chien savant.


Le chien Snoopy n'aimait guère l'eau, ni douce, ni salée,
mais une fois plonge dans les flots,
de ses pattes il se faisait des nageoires pour rejoindre sa maîtresse se baignant dans les flots.


Âgé  de seize ans, la grande vieillesse venue,
dont le malheur veut qu'elle marque le cadrant de cinq fractions de vies d'hommes,
Une année fatidique le désormais vieux chien fut gardée à  Luchon par mes parents pour lui éviter le chenil du cargo,
Aussi un soir attablés au restaurant "La Stonda" nous apprimes l'affligeante nouvelle,
Le vivace Snoopy n'était plus, Je nous revois encore les yeux baignés de larmes comme si nous avions perdu, la meilleure partie de notre jeune âge.
Car il fut le premier chien de notre âge adulte,
Notre fille Celia mêla ses pleurs aux nôtres,
et cette nouvelle pourtant bien prévisible apporta une touche de chagrin à ce mois d'août d'ordinaire, si plein de Lumière et de soleil.

Nous avions perdu notre premier chien et notre grand ami de ceux qui ne vous trahit jamais.
Snoopy fut pour nous notre premier amour de chien.
Solide cabot au poil argenté, aux oreilles en pointe dressées au moindre bruit.
Il accompagna nos jeunes années de couple, alors sans enfant,
et enjolivait notre vie par sa fantaisie et ses facéties.
Joli descendant des chiens de mineur du Yorkshire, il sut nous donner pour toute notre vie l'amour des chiens anglais.

Paul Arrighi
Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues !
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues !
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l'idéal, la grâce et la beauté !
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car, avec l'air profond, vous êtes imbéciles !
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout !
Car vous êtes mauvais et méchants ! - Mon sang bout
Rien qu'à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique !
Que d'ennuis ! de fureurs ! de bêtises ! - gredins ! -
Que de froids châtiments et que de chocs soudains !
« Dimanche en retenue et cinq cents vers d'Horace ! »
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,
Et je balbutiais : « Monsieur... - Pas de raisons !
- Vingt fois l'ode à Plancus et l'épître aux Pisons ! »
Or j'avais justement, ce jour là, - douce idée.
Qui me faisait rêver d'Armide et d'Haydée, -
Un rendez-vous avec la fille du portier.
Grand Dieu ! perdre un tel jour ! le perdre tout entier !
Je devais, en parlant d'amour, extase pure !
En l'enivrant avec le ciel et la nature,
La mener, si le temps n'était pas trop mauvais,
Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais !
Rêve heureux ! je voyais, dans ma colère bleue,
Tout cet Éden, congé, les lilas, la banlieue,
Et j'entendais, parmi le thym et le muguet,
Les vagues violons de la mère Saguet !
Ô douleur ! furieux, je montais à ma chambre,
Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre ;
Et, là, je m'écriais :

« Horace ! ô bon garçon !
Qui vivais dans le calme et selon la raison,
Et qui t'allais poser, dans ta sagesse franche,
Sur tout, comme l'oiseau se pose sur la branche,
Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux
Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux !
Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,
Les rires étouffés des folles jeunes filles,
Les doux chuchotements dans l'angle obscur du bois ;
Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,
Myrtale aux blonds cheveux, qui s'irrite et se cabre
Comme la mer creusant les golfes de Calabre,
Ou bien tu t'accoudais à table, buvant sec
Ton vin que tu mettais toi-même en un *** grec.
Pégase te soufflait des vers de sa narine ;
Tu songeais ; tu faisais des odes à Barine,
À Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur,
À Chloë, qui passait le long de ton vieux mur,
Portant sur son beau front l'amphore délicate.
La nuit, lorsque Phœbé devient la sombre Hécate,
Les halliers s'emplissaient pour toi de visions ;
Tu voyais des lueurs, des formes, des rayons,
Cerbère se frotter, la queue entre les jambes,
À Bacchus, dieu des vins et père des ïambes ;
Silène digérer dans sa grotte, pensif ;
Et se glisser dans l'ombre, et s'enivrer, lascif,
Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues,
La faune aux pieds de chèvre, aux oreilles pointues !
Horace, quand grisé d'un petit vin sabin,
Tu surprenais Glycère ou Lycoris au bain,
Qui t'eût dit, ô Flaccus ! quand tu peignais à Rome
Les jeunes chevaliers courant dans l'hippodrome,
Comme Molière a peint en France les marquis,
Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis,
Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes,
D'instruments de torture à d'horribles bonshommes,
Mal peignés, mal vêtus, qui mâchent, lourds pédants,
Comme un singe une fleur, ton nom entre leurs dents !
Grimauds hideux qui n'ont, tant leur tête est vidée,
Jamais eu de maîtresse et jamais eu d'idée ! »

Puis j'ajoutais, farouche :

« Ô cancres ! qui mettez
Une soutane aux dieux de l'éther irrités,
Un béguin à Diane, et qui de vos tricornes
Coiffez sinistrement les olympiens mornes,
Eunuques, tourmenteurs, crétins, soyez maudits !
Car vous êtes les vieux, les noirs, les engourdis,
Car vous êtes l'hiver ; car vous êtes, ô cruches !
L'ours qui va dans les bois cherchant un arbre à ruches,
L'ombre, le plomb, la mort, la tombe, le néant !
Nul ne vit près de vous dressé sur son séant ;
Et vous pétrifiez d'une haleine sordide
Le jeune homme naïf, étincelant, splendide ;
Et vous vous approchez de l'aurore, endormeurs !
À Pindare serein plein d'épiques rumeurs,
À Sophocle, à Térence, à Plaute, à l'ambroisie,
Ô traîtres, vous mêlez l'antique hypocrisie,
Vos ténèbres, vos mœurs, vos jougs, vos exeats,
Et l'assoupissement des noirs couvents béats ;
Vos coups d'ongle rayant tous les sublimes livres,
Vos préjugés qui font vos yeux de brouillards ivres,
L'horreur de l'avenir, la haine du progrès ;
Et vous faites, sans peur, sans pitié, sans regrets,
À la jeunesse, aux cœurs vierges, à l'espérance,
Boire dans votre nuit ce vieil ***** rance !
Ô fermoirs de la bible humaine ! sacristains
De l'art, de la science, et des maîtres lointains,
Et de la vérité que l'homme aux cieux épèle,
Vous changez ce grand temple en petite chapelle !
Guichetiers de l'esprit, faquins dont le goût sûr
Mène en laisse le beau ; porte-clefs de l'azur,
Vous prenez Théocrite, Eschyle aux sacrés voiles,
Tibulle plein d'amour, Virgile plein d'étoiles ;
Vous faites de l'enfer avec ces paradis ! »

Et ma rage croissant, je reprenais :

« Maudits,
Ces monastères sourds ! bouges ! prisons haïes !
Oh ! comme on fit jadis au pédant de Veïes,
Culotte bas, vieux tigre ! Écoliers ! écoliers !
Accourez par essaims, par bandes, par milliers,
Du gamin de Paris au groeculus de Rome,
Et coupez du bois vert, et fouaillez-moi cet homme !
Jeunes bouches, mordez le metteur de bâillons !
Le mannequin sur qui l'on drape des haillons
À tout autant d'esprit que ce cuistre en son antre,
Et tout autant de cœur ; et l'un a dans le ventre
Du latin et du grec comme l'autre à du foin.
Ah ! je prends Phyllodoce et Xantis à témoin
Que je suis amoureux de leurs claires tuniques ;
Mais je hais l'affreux tas des vils pédants iniques !
Confier un enfant, je vous demande un peu,
À tous ces êtres noirs ! autant mettre, morbleu !
La mouche en pension chez une tarentule !
Ces moines, expliquer Platon, lire Catulle,
Tacite racontant le grand Agricola,
Lucrèce ! eux, déchiffrer Homère, ces gens-là !
Ces diacres ! ces bedeaux dont le groin renifle !
Crânes d'où sort la nuit, pattes d'où sort la gifle,
Vieux dadais à l'air rogue, au sourcil triomphant,
Qui ne savent pas même épeler un enfant !
Ils ignorent comment l'âme naît et veut croître.
Cela vous a Laharpe et Nonotte pour cloître !
Ils en sont à l'A, B, C, D, du cœur humain ;  
Ils sont l'horrible Hier qui veut tuer Demain ;
Ils offrent à l'aiglon leurs règles d'écrevisses.
Et puis ces noirs tessons ont une odeur de vices.
Ô vieux pots égueulés des soifs qu'on ne dit pas !
Le pluriel met une S à leurs meâs culpâs,
Les boucs mystérieux, en les voyants s'indignent,
Et, quand on dit : « Amour !  » terre et cieux ! ils se signent.
Leur vieux viscère mort insulte au cœur naissant.
Ils le prennent de haut avec l'adolescent,
Et ne tolèrent pas le jour entrant dans l'âme
Sous la forme pensée ou sous la forme femme.
Quand la muse apparaît, ces hurleurs de holà
Disent : « Qu'est-ce que c'est que cette folle-là ? »
Et, devant ses beautés, de ses rayons accrues,
Ils reprennent : « Couleurs dures, nuances crues ;
Vapeurs, illusions, rêves ; et quel travers
Avez-vous de fourrer l'arc-en-ciel dans vos vers ? »
Ils raillent les enfants, ils raillent les poètes ;
Ils font aux rossignols leurs gros yeux de chouettes :
L'enfant est l'ignorant, ils sont l'ignorantin ;
Ils raturent l'esprit, la splendeur, le matin ;
Ils sarclent l'idéal ainsi qu'un barbarisme,
Et ces culs de bouteille ont le dédain du prisme. »

Ainsi l'on m'entendait dans ma geôle crier.

Le monologue avait le temps de varier.
Et je m'exaspérais, faisant la faute énorme,
Ayant raison au fond, d'avoir tort dans la forme.
Après l'abbé Tuet, je maudissais Bezout ;
Car, outre les pensums où l'esprit se dissout,
J'étais alors en proie à la mathématique.
Temps sombre ! Enfant ému du frisson poétique,
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux,
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux ;
On me faisait de force ingurgiter l'algèbre ;
On me liait au fond d'un Boisbertrand funèbre ;
On me tordait, depuis les ailes jusqu'au bec,
Sur l'affreux chevalet des X et des Y ;
Hélas ! on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires ;
Et je me débattais, lugubre patient
Du diviseur prêtant main-forte au quotient.
De là mes cris.

Un jour, quand l'homme sera sage,
Lorsqu'on n'instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l'enfant mieux compris se redresser leur front,
Que, des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles,
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.
Alors, tout en laissant au sommet des études
Les grands livres latins et grecs, ces solitudes
Où l'éclair gronde, où luit la mer, où l'astre rit,
Et qu'emplissent les vents immenses de l'esprit,
C'est en les pénétrant d'explication tendre,
En les faisant aimer, qu'on les fera comprendre.
Homère emportera dans son vaste reflux
L'écolier ébloui ; l'enfant ne sera plus
Une bête de somme attelée à Virgile ;
Et l'on ne verra plus ce vif esprit agile
Devenir, sous le fouet d'un cuistre ou d'un abbé,
Le lourd cheval poussif du pensum embourbé.
Chaque village aura, dans un temple rustique,
Dans la lumière, au lieu du magister antique,
Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât,
L'instituteur lucide et grave, magistrat
Du progrès, médecin de l'ignorance, et prêtre
De l'idée ; et dans l'ombre on verra disparaître
L'éternel écolier et l'éternel pédant.
L'aube vient en chantant, et non pas en grondant.
Nos fils riront de nous dans cette blanche sphère ;
Ils se demanderont ce que nous pouvions faire
Enseigner au moineau par le hibou hagard.
Alors, le jeune esprit et le jeune regard
Se lèveront avec une clarté sereine
Vers la science auguste, aimable et souveraine ;
Alors, plus de grimoire obscur, fade, étouffant ;
Le maître, doux apôtre incliné sur l'enfant,
Fera, lui versant Dieu, l'azur et l'harmonie,
Boire la petite âme à la coupe infinie.
Alors, tout sera vrai, lois, dogmes, droits, devoirs.
Tu laisseras passer dans tes jambages noirs
Une pure lueur, de jour en jour moins sombre,
Ô nature, alphabet des grandes lettres d'ombre !

Paris, mai 1831.
Paul d'Aubin Jan 2016
Fougères en Corse

Petits, elles nous faisaient peur par leurs frémissements,
sous la caresse du vent et par leur tournoiement,
de vert sombre et de senteurs acres de rivière.
Elles nous paraissaient animées d'une vie mystérieuse,
de landes, de lutins et d'enfants disparus ou dérobés,
Ces fougères nous les nommions : «Fizères».
Elles étaient pour nous source d'effroi et de maléfices,
Jamais nous n'aurions consentis à nous perdre dans l’ondulements de leurs vagues vertes, sous peine d'être aspirées par un magnétisme maléfique,
et devenir prisonniers de leurs immensités feuillues.
En automne, leurs couleurs se transformaient en dorées et en feux,
comme une chevelure rousse déployée ou la robe du renard roux, si vif.
Et quand le vent souffle, leurs feuilles font grand bruissement,
comme les tuyaux d'orgue d'une nature en remuement.
Alors les elfes et les esprits des défunts
Semblent s'en donner à cœur joie au-dessus la rivière «Catena»,
Et même les châtaigniers massifs semblent comme entraînés par le vent dans cette sarabande moins réglée que celle d'Haendel.

Paul Arrighi
I.

L'ÉGLISE est vaste et haute. À ses clochers superbes
L'ogive en fleur suspend ses trèfles et ses gerbes ;
Son portail resplendit, de sa rose pourvu ;
Le soir fait fourmiller sous la voussure énorme
Anges, vierges, le ciel, l'enfer sombre et difforme,
Tout un monde effrayant comme un rêve entrevu.

Mais ce n'est pas l'église, et ses voûtes, sublimes,
Ses porches, ses vitraux, ses lueurs, ses abîmes,
Sa façade et ses tours, qui fascinent mes yeux ;
Non ; c'est, tout près, dans l'ombre où l'âme aime à descendre
Cette chambre d'où sort un chant sonore et tendre,
Posée au bord d'un toit comme un oiseau joyeux.

Oui, l'édifice est beau, mais cette chambre est douce.
J'aime le chêne altier moins que le nid de mousse ;
J'aime le vent des prés plus que l'âpre ouragan ;
Mon cœur, quand il se perd vers les vagues béantes,
Préfère l'algue obscure aux falaises géantes.
Et l'heureuse hirondelle au splendide océan.

II.

Frais réduit ! à travers une claire feuillée
Sa fenêtre petite et comme émerveillée
S'épanouit auprès du gothique portail.
Sa verte jalousie à trois clous accrochée,
Par un bout s'échappant, par l'autre rattachée,
S'ouvre coquettement comme un grand éventail.

Au-dehors un beau lys, qu'un prestige environne,
Emplit de sa racine et de sa fleur couronne
- Tout près de la gouttière où dort un chat sournois -
Un vase à forme étrange en porcelaine bleue
Où brille, avec des paons ouvrant leur large queue,
Ce beau pays d'azur que rêvent les Chinois.

Et dans l'intérieur par moments luit et passe
Une ombre, une figure, une fée, une grâce,
Jeune fille du peuple au chant plein de bonheur,
Orpheline, dit-on, et seule en cet asile,
Mais qui parfois a l'air, tant son front est tranquille,
De voir distinctement la face du Seigneur.

On sent, rien qu'à la voir, sa dignité profonde.
De ce cœur sans limon nul vent n'a troublé l'onde.
Ce tendre oiseau qui jase ignore l'oiseleur.
L'aile du papillon a toute sa poussière.
L'âme de l'humble vierge a toute sa lumière.
La perle de l'aurore est encor dans la fleur.

À l'obscure mansarde il semble que l'œil voie
Aboutir doucement tout un monde de joie,
La place, les passants, les enfants, leurs ébats,
Les femmes sous l'église à pas lents disparues,
Des fronts épanouis par la chanson des rues,
Mille rayons d'en haut, mille reflets d'en bas.

Fille heureuse ! autour d'elle ainsi qu'autour d'un temple,
Tout est modeste et doux, tout donne un bon exemple.
L'abeille fait son miel, la fleur rit au ciel bleu,
La tour répand de l'ombre, et, devant la fenêtre,
Sans faute, chaque soir, pour obéir au maître,
L'astre allume humblement sa couronne de feu.

Sur son beau col, empreint de virginité pure,
Point d'altière dentelle ou de riche guipure ;
Mais un simple mouchoir noué pudiquement.
Pas de perle à son front, mais aussi pas de ride,
Mais un œil chaste et vif, mais un regard limpide.
Où brille le regard que sert le diamant ?

III.

L'angle de la cellule abrite un lit paisible.
Sur la table est ce livre où Dieu se fait visible,
La légende des saints, seul et vrai panthéon.
Et dans un coin obscur, près de la cheminée,
Entre la bonne Vierge et le buis de l'année,
Quatre épingles au mur fixent Napoléon.

Cet aigle en cette cage ! - et pourquoi non ? dans l'ombre
De cette chambre étroite et calme, où rien n'est sombre,
Où dort la belle enfant, douce comme son lys,
Où tant de paix, de grâce et de joie est versée,
Je ne hais pas d'entendre au fond de ma pensée
Le bruit des lourds canons roulant vers Austerlitz.

Et près de l'empereur devant qui tout s'incline,
- Ô légitime orgueil de la pauvre orpheline ! -
Brille une croix d'honneur, signe humble et triomphant,
Croix d'un soldat, tombé comme tout héros tombe,
Et qui, père endormi, fait du fond de sa tombe
Veiller un peu de gloire auprès de son enfant.

IV.

Croix de Napoléon ! joyau guerrier ! pensée !
Couronne de laurier de rayons traversée !
Quand il menait ses preux aux combats acharnés,
Il la laissait, afin de conquérir la terre,
Pendre sur tous les fronts durant toute la guerre ;
Puis, la grande œuvre faite, il leur disait : Venez !

Puis il donnait sa croix à ces hommes stoïques,
Et des larmes coulaient de leurs yeux héroïques ;
Muets, ils admiraient leur demi-dieu vainqueur ;
On eût dit qu'allumant leur âme avec son âme,
En touchant leur poitrine avec son doigt de flamme,
Il leur faisait jaillir cette étoile du cœur !

V.

Le matin elle chante et puis elle travaille,
Sérieuse, les pieds sur sa chaise de paille,
Cousant, taillant, brodant quelques dessins choisis ;
Et, tandis que, songeant à Dieu, simple et sans crainte,
Cette vierge accomplit sa tâche auguste et sainte,
Le silence rêveur à sa porte est assis.

Ainsi, Seigneur, vos mains couvrent cette demeure.
Dans cet asile obscur, qu'aucun souci n'effleure,
Rien qui ne soit sacré, rien qui ne soit charmant !
Cette âme, en vous priant pour ceux dont la nef sombre,
Peut monter chaque soir vers vous sans faire d'ombre
Dans la sérénité de votre firmament !

Nul danger ! nul écueil ! - Si ! l'aspic est dans l'herbe !
Hélas ! hélas ! le ver est dans le fruit superbe !
Pour troubler une vie il suffit d'un regard.
Le mal peut se montrer même aux clartés d'un cierge.
La curiosité qu'a l'esprit de la vierge
Fait une plaie au cœur de la femme plus ****.

Plein de ces chants honteux, dégoût de la mémoire,
Un vieux livre est là-haut sur une vieille armoire,
Par quelque vil passant dans cette ombre oublié ;
Roman du dernier siècle ! œuvre d'ignominie !
Voltaire alors régnait, ce singe de génie
Chez l'homme en mission par le diable envoyé.

VI.

Epoque qui gardas, de vin, de sang rougie,
Même en agonisant, l'allure de l'orgie !
Ô dix-huitième siècle, impie et châtié !
Société sans dieu, par qui Dieu fus frappée !
Qui, brisant sous la hache et le sceptre et l'épée,
Jeune offensas l'amour, et vieille la pitié !

Table d'un long festin qu'un échafaud termine !
Monde, aveugle pour Christ, que Satan illumine !
Honte à tes écrivains devant les nations !
L'ombre de tes forfaits est dans leur renommée
Comme d'une chaudière il sort une fumée,
Leur sombre gloire sort des révolutions !

VII.

Frêle barque assoupie à quelques pas d'un gouffre !
Prends garde, enfant ! cœur tendre où rien encor ne souffre !
Ô pauvre fille d'Ève ! ô pauvre jeune esprit !
Voltaire, le serpent, le doute, l'ironie,
Voltaire est dans un coin de ta chambre bénie !
Avec son œil de flamme il t'espionne, et rit.

Oh ! tremble ! ce sophiste a sondé bien des fanges !
Oh ! tremble ! ce faux sage a perdu bien des anges !
Ce démon, noir milan, fond sur les cœurs pieux,
Et les brise, et souvent, sous ses griffes cruelles,
Plume à plume j'ai vu tomber ces blanches ailles
Qui font qu'une âme vole et s'enfuit dans les cieux !

Il compte de ton sein les battements sans nombre.
Le moindre mouvement de ton esprit dans l'ombre,
S'il penche un peu vers lui, fait resplendir son œil.
Et, comme un loup rôdant, comme un tigre qui guette,
Par moments, de Satan, visible au seul poète,
La tête monstrueuse apparaît à ton seuil !

VIII.

Hélas ! si ta main chaste ouvrait ce livre infâme,
Tu sentirais soudain Dieu mourir dans ton âme.
Ce soir tu pencherais ton front triste et boudeur
Pour voir passer au **** dans quelque verte allée
Les chars étincelants à la roue étoilée,
Et demain tu rirais de la sainte pudeur !

Ton lit, troublé la nuit de visions étranges,
Ferait fuir le sommeil, le plus craintif des anges !
Tu ne dormirais plus, tu ne chanterais plus,
Et ton esprit, tombé dans l'océan des rêves,
Irait, déraciné comme l'herbe des grèves,
Du plaisir à l'opprobre et du flux au reflux !

IX.

Oh ! la croix de ton père est là qui te regarde !
La croix du vieux soldat mort dans la vieille garde !
Laisse-toi conseiller par elle, ange tenté !
Laisse-toi conseiller, guider, sauver peut-être
Par ce lys fraternel penché sur ta fenêtre,
Qui mêle son parfum à ta virginité !

Par toute ombre qui passe en baissant la paupière !
Par les vieux saints rangés sous le portail de pierre !
Par la blanche colombe aux rapides adieux !
Par l'orgue ardent dont l'hymne en longs sanglots se brise !
Laisse-toi conseiller par la pensive église !
Laisse-toi conseiller par le ciel radieux !

Laisse-toi conseiller par l'aiguille ouvrière,
Présente à ton labeur, présente à ta prière,
Qui dit tout bas : Travaille ! - Oh ! crois-la ! - Dieu, vois-tu,
Fit naître du travail, que l'insensé repousse,
Deux filles, la vertu, qui fait la gaîté douce,
Et la gaîté, qui rend charmante la vertu !

Entends ces mille voix, d'amour accentuées,
Qui passent dans le vent, qui tombent des nuées,
Qui montent vaguement des seuils silencieux,
Que la rosée apporte avec ses chastes gouttes,
Que le chant des oiseaux te répète, et qui toutes
Te disent à la fois : Sois pure sous les cieux !

Sois pure sous les cieux ! comme l'onde et l'aurore,
Comme le joyeux nid, comme la tour sonore,
Comme la gerbe blonde, amour du moissonneur,
Comme l'astre incliné, comme la fleur penchante,
Comme tout ce qui rit, comme tout ce qui chante,
Comme tout ce qui dort dans la paix du Seigneur !

Sois calme. Le repos va du cœur au visage ;
La tranquillité fait la majesté du sage.
Sois joyeuse. La foi vit sans l'austérité ;
Un des reflets du ciel, c'est le rire des femmes ;
La joie est la chaleur que jette dans les âmes
Cette clarté d'en haut qu'on nomme Vérité.

La joie est pour l'esprit une riche ceinture.
La joie adoucit tout dans l'immense nature.
Dieu sur les vieilles tours pose le nid charmant
Et la broussaille en fleur qui luit dans l'herbe épaisse ;
Car la ruine même autour de sa tristesse
A besoin de jeunesse et de rayonnement !

Sois bonne. La bonté contient les autres choses.
Le Seigneur indulgent sur qui tu te reposes
Compose de bonté le penseur fraternel.
La bonté, c'est le fond des natures augustes.
D'une seule vertu Dieu fait le cœur des justes,
Comme d'un seul saphir la coupole du ciel.

Ainsi, tu resteras, comme un lys, comme un cygne,
Blanche entre les fronts purs marqués d'un divin signe
Et tu seras de ceux qui, sans peur, sans ennuis,
Des saintes actions amassant la richesse,
Rangent leur barque au port, leur vie à la sagesse
Et, priant tous les soirs, dorment toutes les nuits !

Le poète à lui-même.

Tandis que sur les bois, les prés et les charmilles,
S'épanchent la lumière et la splendeur des cieux,
Toi, poète serein, répands sur les familles,
Répands sur les enfants et sur les jeunes filles,
Répands sur les vieillards ton chant religieux !

Montre du doigt la rive à tous ceux qu'une voile
Traîne sur le flot noir par les vents agité ;
Aux vierges, l'innocence, heureuse et noble étoile ;
À la foule, l'autel que l'impiété voile ;
Aux jeunes, l'avenir ; aux vieux, l'éternité !

Fais filtrer ta raison dans l'homme et dans la femme.
Montre à chacun le vrai du côté saisissant.
Que tout penseur en toi trouve ce qu'il réclame.
Plonge Dieu dans les cœurs, et jette dans chaque âme
Un mot révélateur, propre à ce qu'elle sent.

Ainsi, sans bruit, dans l'ombre, ô songeur solitaire,
Ton esprit, d'où jaillit ton vers que Dieu bénit,
Du peuple sous tes pieds perce le crâne austère ; -
Comme un coin lent et sûr, dans les flancs de la terre
La racine du chêne entr'ouvre le granit.

Du 24 au 29 juin 1839.
Volez, nobles coursiers, franchissez la distance !
Pour le prix disputé, luttez avec constance !
Sous un soleil de feu, le sol est éclatant ;
Pour vous voir aujourd'hui, tout est bruit et lumière ;
Ainsi qu'un flot d'encens, la légère poussière,
Devant vos pas, s'envole au but qui vous attend.
Que l'air rapide et vif, soulevant vos poitrines,
S'échappe palpitant de vos larges narines !
Laissez sous l'éperon votre flanc s'entr'ouvrir...
Volez, nobles coursiers, dussiez-vous en mourir !

Au milieu des bravos, votre course s'achève ;
Le silence revient - puis, je pense et je rêve...
Notre vie est l'arène où se hâtent nos pas ;
Nous volons vers le but que l'on ne connaît pas.
Fatigués, épuisés, prêts à tomber, qu'importe !
Nous marchons à grands pas, le torrent nous emporte.
Oubliant le passé, repoussant le présent,
Nos regards inquiets se portent en avant ;
Rien n'est beau que plus ****... et notre flanc palpite,
Sous l'éperon caché qui nous dit : « Marche vite ! »
Nous marchons. - Quelquefois, à travers les déserts,
Une oasis répand ses parfums dans les airs,
Un doux chant retentit sur le bord de la route :

L'oasis, on la fuit ; le chant, nul ne l'écoute.
Sans garder du chemin regret ou souvenir,
D'un avide regard, on cherche l'avenir ;
L'avenir, c'est le but ! l'avenir, c'est la vie !
Bientôt, à notre gré, la distance est franchie ;
Haletants de la course, épuisés de l'effort,
Nous touchons l'avenir... L'avenir, c'est la mort !

Qu'ai-je dit ? - Ô mon Dieu ! toi qui m'entends, pardonne !...
L'avenir, c'est le ciel, où ton soleil rayonne
Sans que la nuit succède à l'éclat d'un beau jour,
Sans que l'oubli succède aux paroles d'amour !
L'avenir, c'est le ciel où s'arrête l'orage !
C'est le port qui reçoit les débris du naufrage ;
C'est la fin des regrets ; c'est l'éternel printemps ;
C'est l'ange dont la voix a de divins accents.
L'avenir, ô mon Dieu ! c'est la sainte auréole
Que pose sur nos fronts ta main qui nous console.
Oui, marchons ! et vers toi levant souvent les yeux,
Avançons vers le but que nous montrent les cieux.

Chut ! voici le signal, franchissez la distance.
Volez, nobles coursiers, luttez avec constance !
Sous un soleil de feu, le sol est éclatant ;
Pour vous voir aujourd'hui, tout est bruit et lumière ;
Ainsi qu'un flot d'encens, la légère poussière,
Devant vos pas, s'envole au but qui vous attend.
Que l'air rapide et vif, soulevant vos poitrines,
S'échappe palpitant de vos larges narines !
Laissez sous l'éperon votre flanc s'entr'ouvrir...
Volez, nobles coursiers, dussiez-vous en mourir !
LDuler Mar 2013
Si vous croyez haha
Que c'est marrant, mignon
D'être jeune et vif, detrompez-vous detrompez-vous
Si vous pensez que la jeunesse c'est le printemps vert et joli
Fleurs et petales, cuicui et gouttes de pluie
Non non, détrompez vous
C'est l'orage et le tonnerre
Oui la jeunesse c'est chiant
Mais alors vraiment tres chiant!
Si vous trouvez ca marrant
D'etre sans cesse enfoui dans la brume
Sans savoir, sans comprendre
Sans direction, sans but, sans chemin
Si vous trouvez ca marrant
D'avoir un cerveau de foudre
La jeunesse, c'est pour vous!

Et puis etre adulte,
C'est pas mieux, non non!
L'automne, feuilles d'espoirs qui tombent
Et qui craquellent sous le poids de regrets
Le mensonge qu'on donne aux gamins
Qu'etre adulte, c'est trop bien
Des mensonges, des mensonges!
Detrompez-vous detrompez-vous
Les factures, les impots, le boulot, la famille
Le vin, les clopes, le stress et l'ennui

Et la vieillesse,
C'est pas mieux!
Le os recouverts de glace
Qui crépitent et craquellent a chaque mouvement
Qui grincent comme un plancher épuisé
Les bras pendant comme des branches mortes
Le scalp chauve, et lisse comme un étang glacé
Non la vieillesse,
C'est pas mieux
Les lèvres qui bavent, les mains qui tremblent
Les pensées qui se pâment, les souvenirs qui clinquent ensemble
Le cerveau qui chancelle et s'écroule
Tout comme le corps qui chancelle
Et s'écroule
Le brouillard est froid, la bruyère est grise ;
Les troupeaux de boeufs vont aux abreuvoirs ;
La lune, sortant des nuages noirs,
Semble une clarté qui vient par surprise.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Le voyageur marche et la lande est brune ;
Une ombre est derrière, une ombre est devant ;
Blancheur au couchant, lueur au levant ;
Ici crépuscule, et là clair de lune.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

La sorcière assise allonge sa lippe ;
L'araignée accroche au toit son filet ;
Le lutin reluit dans le feu follet
Comme un pistil d'or dans une tulipe.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

On voit sur la mer des chasse-marées ;
Le naufrage guette un mât frissonnant ;
Le vent dit : demain ! l'eau dit : maintenant !
Les voix qu'on entend sont désespérées.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Le coche qui va d'Avranche à Fougère
Fait claquer son fouet comme un vif éclair ;
Voici le moment où flottent dans l'air
Tous ces bruits confus que l'ombre exagère.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Dans les bois profonds brillent des flambées ;
Un vieux cimetière est sur un sommet ;
Où Dieu trouve-t-il tout ce noir qu'il met
Dans les coeurs brisés et les nuits tombées ?

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Des flaques d'argent tremblent sur les sables ;
L'orfraie est au bord des talus crayeux ;
Le pâtre, à travers le vent, suit des yeux
Le vol monstrueux et vague des diables.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Un panache gris sort des cheminées ;
Le bûcheron passe avec son fardeau ;
On entend, parmi le bruit des cours d'eau,
Des frémissements de branches traînées.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

La faim fait rêver les grands loups moroses ;
La rivière court, le nuage fuit ;
Derrière la vitre où la lampe luit,
Les petits enfants ont des têtes roses.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
Paul d'Aubin Jan 2017
La semaine mémorable

Nous étions à Létia en Corse
Aux sources de mon enfance
Pas riche mais si riante.
Et le temps était beau
Avec ces teints de ce pastel
Méditerranéen, entre turquoise
Et bleu outre-mer.
Notre grande fille Célia
Était venue avec une amie, Souen.
Mais si leur jeunesse
Enjolivait tous et tout,
Elles restaient aussi fugaces
Que le libecciu tournoyant
Sur les montagnes dans l'île,
faisant penser aux truites,
Des torrents si frais,
Mais leur appétit de vivre
Se révélait communicatif
Et jetait comme une empreinte
De bonheur vif et contagieux.
Pour ne rien gâcher
A ce pur bonheur
Nous regardions jouer et mordiller
notre jeune chienne cocker,
Blackine, d’à peine une année,
Au pelage anthracite, si doux
Se muant en vraie chienne de village.
Il ne lui manquait qu'un
Bon maître chasseur pour
L'initier aux la chasse dans le maquis
Et dans les vertes fougères.
L'été avait comme étendu,
Ses longues ailes d'aigle royal, nous apportant
Joie de vivre et cette délicieuse
Sensation de plénitude.
Nous écoutions et regardions
Tout, sauf, les infos saturées
des malheurs des êtres et du Monde,
auxquelles nous avions une furieuse envie
De dire «ciao», «ciao»,
A tous ces malheurs répétitifs,
Qui nous semblaient inconvenants
Outranciers et superflus.
Dont seuls profitaient certains esprits de pois chiches
Nés ou devenus des porteurs de malheur
D’eux-mêmes et des autres.
Et ces horribles corbeaux de malheur qui
Qui font métier d'épouvante pour être élus.
Au lieu de remédier aux vraies causes,
Des déséquilibres et souffrances du Monde.
Les meubles anciens de châtaignier
Semblaient rajouter à la temporalité
De ce retour irrésistible du bonheur
Que nous avions connu
il y a si longtemps.
Comme une trêve bienfaisante.
Où ces trêves vécues par les soldats
que les soldats du front
ne voudraient jamais qu'elles
finissent, contrairement à ceux
Qui prospèrent de la guerre.
Nous étions au mitan de l'été
Et à l'automne de notre vie
Saison mordorée, sinon
La plus belle, du moins
La plus propice à goûter
La quintessence des bienfaits
De la nature et de notre vie si brève.
Ce fut aussi une explosion de parfums
De soleils et de «croque vivre»
La jeunesse avait fait retour
Dans nos vies, trop assagies
Par les ans et la force des choses.
Ce fut une semaine de sensations rares.
De celles qui vous rappellent
que nous sommes encore vivants,
En dépit des années écoulées.
Et de toutes les illusions
Abandonnées bien trop facilement.

Paul Arrighi
Comme on voit sur la branche au mois de may la rose,
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose ;


La grace dans sa feuille, et l'amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur ;
Mais batue ou de pluye, ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt, fueille à fueille déclose.


Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté,
Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuee, et cendre tu reposes.


Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.
I

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas **** -
A des parfums de vigne et des parfums de bière...

II

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...

III

Le coeur fou robinsonne à travers les romans,
- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !...

- Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
Si autrefois sous l'ombre de Gastine
Avons joué quelque chanson latine,
De Cassandre enamouré,
Sus, maintenant, luth doré,
Sus ; l'honneur mien, dont la voix délectable,
Sait réjouir les princes à la table,
Change de forme, et me sois
Maintenant un luth françois.

Je t'assure que tes cordes
Par moi ne seront polues
De chansons salement ordes
D'un tas d'amours dissolues ;
Je ne chanterai les princes,
Ni le soin de leurs provinces,
Ni moins la nef que prépare
Le marchant, las ! trop avare
Pour aller après ramer
Jusqu'aux plus lointaines terres,
Pêchant ne sais quelles pierres
Au bord de l'Indique mer.

Tandis qu'en l'air je soufflerai ma vie,
Sonner Phébus j'aurai toujours envie,
Et ses compagnes aussi,
Pour leur rendre un grand merci
De m'avoir fait poète de nature,
Idolâtrant la musique et peinture,
Prestre saint de leurs chansons,
Qui accordent à tes sons.

L'enfant que la douce Muse
Naissant d'œil bénin a vu,
Et de sa science infuse
Son jeune esprit a pourvu,
Toujours en sa fantaisie
Ardera de poésie
Sans prétende un autre bien ;
Encor qu'il combattit bien,
Jamais les Muses peureuses
Ne voudront le prémïer
De laurier, fut-il premier
Aux guerres victorieuses.

La poésie est un feu consumant
Par grand ardeur l'esprit de son amant,
Esprit que jamais ne laisse
En repos, tant elle presse.
Voila pourquoi le ministre des Dieux
Vit sans grands biens, d'autant qu'il aime mieux
Abonder d'inventions
Que de grandes possessions.

Mais Dieu juste, qui dispense
Tout en tous, les fait chanter
Le futur en récompense
Pour le monde épouvanter.
Ce sont les seuls interprètes
Des hauts Dieux que les poètes ;
Car aux prières qu'ils font
L'or aux Dieux criant ne sont,
Ni la richesse, qui passe ;
Mais un luth toujours parlant
L'art des Muses excellent,
Pour dessus leur rendre grâce.

Que dirons-nous de la musique sainte ?
Si quelque amante en a l'oreille atteinte,
Lente en larmes goutte à goutte
Fondra sa chère âme toute,
Tant la douceur d'une harmonie éveille
D'un cœur ardent l'amitié qui sommeille,
Au vif lui représentant
L'aimé parce qu'elle entend.

La Nature, de tout mère,
Prévoyant que notre vie
Sans plaisir serait amère,
De la musique eut envie,
Et, ses accords inventant,
Alla ses fils contentant
Par le son, qui **** nous jette
L'ennui de l'âme sujette,
Pour l'ennui même donter ;
Ce que l'émeraude fine
Ni l'or tiré de sa mine
N'ont la puissance d'ôter.

Sus, Muses, sus, célébrez-moi le nom
Du grand Appelle, immortel de renom,
Et de Zeus qui peignait
Si au vif qu'il contraignait
L'esprit ravi du pensif regardant
A s'oublier soi-même, cependant
Que l'œil humait à longs traits
La douceur de ses portraits.

C'est un céleste présent
Transmis çà-bas où nous sommes,
Qui règne encore à présent,
Pour lever en haut les hommes ;
Car, ainsi que Dieu a fait
De rien le monde parfait,
II veut qu'en petite espace
Le peintre ingénieux fasse
(Alors qu'il est agité),
Sans avoir nulle matière,
Instrument de deïté.

On dit que cil qui ranima les terres,
Vuides de gens, par le jet de ses pierres
(Origine de la rude
Et grossière multitude),
Avait aussi des diamants semé
Dont tel ouvrier fut vivement formé,
Son esprit faisant connaître
L'origine de son être.

Dieux ! de quelle oblation
Acquitter vers vous me puis-je,
Pour rémunération
Du bien reçu qui m'oblige ?
Certes, je suis glorieux
D'être ainsi ami des dieux,
Qui seuls m'ont fait recevoir
Le meilleur de leur savoir
Pour mes passions guérir,
Et d'eux, mon luth, tu attends
Vivre çà-bas en tout temps,
Non de moi, qui dois mourir.

Ô de Phébus la gloire et le trophée,
De qui jadis le Thracien Orphée
Faisait arrêter les vents
Et courir les bois suivants !
Je te salue, ô luth harmonieux,
Raclant de moi tout le soin ennuyeux,
Et de mes amours tranchantes
Les peines, lorsque tu chantes !
Comme on voit sur la branche, au mois de Mai, la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le Ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube, de ses pleurs, au point du jour, l'arrose :

La Grâce dans sa feuille, et l'Amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d'odeur :
Mais battue ou de pluie ou d'excessive ardeur,
Languissante, elle meurt feuille à feuille déclose.

Ainsi, en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tué, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçoit mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.
Dieu fit votre corps noble et votre âme charmante.
Le corps sort de la terre et l'âme aspire aux cieux ;
L'un est un amoureux et l'autre est une amante.

Dans la paix d'un jardin vaste et délicieux,
Dieu souffla dans un peu de boue un peu de flamme,
Et le corps s'en alla sur ses pieds gracieux.

Et ce souffle enchantait le corps, et c'était l'âme
Qui, mêlée à l'amour des bêtes et des bois,
Chez l'homme adorait Dieu que contemplait la femme.

L'âme rit dans les yeux et vole avec la voix,
Et l'âme ne meurt pas, mais le corps ressuscite,
Sortant du limon noir une seconde fois.

Dieu fit suave et beau votre corps immortel :
Les jambes sont les deux colonnes de ce temple,
Les genoux sont la chaise et le buste est l'autel.

Et la ligne du torse, à son sommet plus ample,
Comme aux flancs purs de vase antique, rêve et court
Dans l'ordre harmonieux dont la lyre est l'exemple.

Pendant qu'un hymne à Dieu, dans un battement court,
Comme au coeur de la lyre une éternelle phrase,
Chante aux cordes du coeur mélodieux et sourd.

Des épaules, planant comme les bords du vase,
La tête émerge, et c'est une adorable fleur
Noyée en une longue et lumineuse extase.

Si l'âme est un oiseau, le corps est l'oiseleur.
Le regard brûle au fond des yeux qui sont des lampes
Où chaque larme douce est l'huile de douleur.

La mesure du temps tinte aux cloisons des tempes ;
Et les bras longs aux mains montant au firmament
Ont charitablement la sûreté des rampes.

Le coeur s'embrase et fond dans leur embrasement,
Comme sous les pressoirs fond le fruit de la vigne,
Et sur les bras croisés vit le recueillement.

Ni les béliers frisés ni les plumes de cygne,
Ni la crinière en feu des crieurs de la faim
N'effacent ta splendeur, ô chevelure insigne,

Faite avec l'azur noir de la nuit, ou l'or fin
De l'aurore, et sur qui nage un parfum farouche,
Où la femme endort l'homme en une mer sans fin.

Rossignol vif et clair, grave et sonore mouche
Frémis ou chante au bord des lèvres, douce voix !
Douce gloire du rire, épanouis la bouche !

Chaque chose du corps est soumise à tes lois,
Dieu grand, qui fais tourner la terre sous ton geste,
Dans la succession régulière des mois.

Tes lois sont la santé de ce compagnon leste
De l'âme, ainsi qu'un rythme est l'amour de ses pas,
Mais l'âme solitaire est joyeuse où Dieu reste.

La souffrance du corps s'éteint dans le trépas,
Mais la douleur de l'âme est l'océan sans borne ;
Et ce sont deux présents que l'on estime pas.

Oh ! ne négligez pas votre âme ! L'âme est morne
Que l'on néglige, et va s'effaçant, comme au jour
Qui monte le croissant voit s'effacer sa corne.

Et le corps, pour lequel l'âme n'a pas d'amour,
Dans la laideur, que Dieu condamne, s'étiole,
Comme un fou relégué dans le fond d'une cour.

La grâce de votre âme éclôt dans la parole,
Et l'autre dans le geste, aimant les frais essors,
Au vêtement léger comme une âme qui vole.

Sachez aimer votre âme en aimant votre corps,
Cherchez l'eau musicale aux bains de marbre pâle,
Et l'onde du génie au coeur des hommes forts.

Mêlez vos membres lourds de fatigue, où le hâle
De la vie imprima son baiser furieux,
Au gémissement frais que la Naïade exhale ;

Afin qu'au jour prochain votre corps glorieux,
Plus léger que celui des Mercures fidèles,
Monte à travers l'azur du ciel victorieux.

Dans l'onde du génie, aux sources sûres d'elles,
Plongez votre âme à nu, comme les bons nageurs,
Pour qu'elle en sorte avec la foi donneuse d'ailes !

Dans la nuit, vers une aube aux divines rougeurs,
Marchez par le sentier de la bonne habitude,
Soyez de patients et graves voyageurs.

Que cette jeune soeur charmante de l'étude
Et du travail tranquille et ***, la Chasteté,
Parfume vos discours et votre solitude.

La pâture de l'âme est toute vérité ;
Le corps, content de peu, cueille une nourriture
Dans le baiser mystique où règne la beauté.

Puisque Dieu répandit l'homme dans la nature,
Sachez l'aimer en vous, et d'abord soyez doux
A vous-mêmes, et doux à toute créature.

Si vous ne vous aimez en Dieu, vous aimez-vous ?
LUI. - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons

Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour

De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :

Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir

Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :

Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais.
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais

Ton goût de framboise et de fraise,
Ô chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur,

Au rose églantier qui t'embête
Aimablement :
Riant surtout, à folle tête,
À ton amant !...

- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...

Puis, comme une petite morte,
Le coeur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermé...

Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante :
Au Noisetier..

Je te parlerais dans ta bouche :
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang

Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Et te parlant la langue franche...
Tiens !... - que tu sais...

Nos grands bois sentiraient la sève
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil.

Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour

Les bons vergers à l'herbe bleue
Aux pommiers tors !
Comme on les sent toute une lieue
Leurs parfums forts !

Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;

Ça sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
À chaque pas...

- Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le *** de bière
Cerclé de plomb,

Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,

Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts.

Les fesses luisantes et grasses
D'un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc

Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit...

Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris !...

- Puis, petite et toute nichée
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas...

Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...

ELLE. - Et mon bureau ?
(Suite.)

Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant.
La main du songeur vibre et tremble en l'écrivant ;
La plume, qui d'une aile allongeait l'envergure,
Frémit sur le papier quand sort cette figure,
Le mot, le terme, type on ne sait d'où venu,
Face de l'invisible, aspect de l'inconnu ;
Créé, par qui ? forgé, par qui ? jailli de l'ombre ;
Montant et descendant dans notre tête sombre,
Trouvant toujours le sens comme l'eau le niveau ;
Formule des lueurs flottantes du cerveau.
Oui, vous tous, comprenez que les mots sont des choses.
Ils roulent pêle-mêle au gouffre obscur des proses,
Ou font gronder le vers, orageuse forêt.
Du sphinx Esprit Humain le mot sait le secret.
Le mot veut, ne veut pas, accourt, fée ou bacchante,
S'offre, se donne ou fuit ; devant Néron qui chante
Ou Charles-Neuf qui rime, il recule hagard ;
Tel mot est un sourire, et tel autre un regard ;
De quelque mot profond tout homme est le disciple ;
Toute force ici-bas à le mot pour multiple ;
Moulé sur le cerveau, vif ou lent, grave ou bref,
Le creux du crâne humain lui donne son relief ;
La vieille empreinte y reste auprès de la nouvelle ;
Ce qu'un mot ne sait pas, un autre le révèle ;
Les mots heurtent le front comme l'eau le récif ;
Ils fourmillent, ouvrant dans notre esprit pensif
Des griffes ou des mains, et quelques uns des ailes ;
Comme en un âtre noir errent des étincelles,

Rêveurs, tristes, joyeux, amers, sinistres, doux,
Sombre peuple, les mots vont et viennent en nous ;
Les mots sont les passants mystérieux de l'âme.

Chacun d'eux porte une ombre ou secoue une flamme ;
Chacun d'eux du cerveau garde une région ;
Pourquoi ? c'est que le mot s'appelle Légion ;
C'est que chacun, selon l'éclair qui le traverse,
Dans le labeur commun fait une oeuvre diverse ;
C'est que de ce troupeau de signes et de sons
Qu'écrivant ou parlant, devant nous nous chassons,
Naissent les cris, les chants, les soupirs, les harangues,
C'est que, présent partout, nain caché sous les langues,
Le mot tient sous ses pieds le globe et l'asservit ;
Et, de même que l'homme est l'animal où vit
L'âme, clarté d'en haut par le corps possédée,
C'est que Dieu fait du mot la bête de l'idée.
Le mot fait vibrer tout au fond de nos esprits.
Il remue, en disant : Béatrix, Lycoris,
Dante au Campo-Santo, Virgile au Pausilippe.
De l'océan pensée il est le noir polype.
Quand un livre jaillit d'Eschyle ou de Manou,
Quand saint Jean à Patmos écrit sur son genou,
On voit parmi leurs vers pleins d'hydres et de stryges,
Des mots monstres ramper dans ces oeuvres prodiges.

O main de l'impalpable ! ô pouvoir surprenant !
Mets un mot sur un homme, et l'homme frissonnant
Sèche et meurt, pénétré par la force profonde ;
Attache un mot vengeur au flanc de tout un monde,
Et le monde, entraînant pavois, glaive, échafaud,
Ses lois, ses moeurs, ses dieux, s'écroule sous le mot.
Cette toute-puissance immense sort des bouches.
La terre est sous les mots comme un champ sous les mouches

Le mot dévore, et rien ne résiste à sa dent.
A son haleine, l'âme et la lumière aidant,
L'obscure énormité lentement s'exfolie.
Il met sa force sombre en ceux que rien ne plie ;
Caton a dans les reins cette syllabe : NON.
Tous les grands obstinés, Brutus, Colomb, Zénon,
Ont ce mot flamboyant qui luit sous leur paupière :
ESPÉRANCE ! -- Il entr'ouvre une bouche de pierre
Dans l'enclos formidable où les morts ont leur lit,
Et voilà que don Juan pétrifié pâlit !
Il fait le marbre spectre, il fait l'homme statue.
Il frappe, il blesse, il marque, il ressuscite, il tue ;
Nemrod dit : « Guerre !  » alors, du Gange à l'Illissus,
Le fer luit, le sang coule. « Aimez-vous ! » dit Jésus.
Et se mot à jamais brille et se réverbère
Dans le vaste univers, sur tous, sur toi, Tibère,
Dans les cieux, sur les fleurs, sur l'homme rajeuni,
Comme le flamboiement d'amour de l'infini !

Quand, aux jours où la terre entr'ouvrait sa corolle,
Le premier homme dit la première parole,
Le mot né de sa lèvre, et que tout entendit,
Rencontra dans les cieux la lumière, et lui dit :
« Ma soeur !

Envole-toi ! plane ! sois éternelle !
Allume l'astre ! emplis à jamais la prunelle !
Échauffe éthers, azurs, sphères, globes ardents !
Éclaire le dehors, j'éclaire le dedans.
Tu vas être une vie, et je vais être l'autre.
Sois la langue de feu, ma soeur, je suis l'apôtre.
Surgis, effare l'ombre, éblouis l'horizon,
Sois l'aube ; je te vaux, car je suis la raison ;
A toi les yeux, à moi les fronts. O ma soeur blonde,
Sous le réseau Clarté tu vas saisir le monde ;
Avec tes rayons d'or, tu vas lier entre eux
Les terres, les soleils, les fleurs, les flots vitreux,  
Les champs, les cieux ; et moi, je vais lier les bouches ;
Et sur l'homme, emporté par mille essors farouches,
Tisser, avec des fils d'harmonie et de jour,
Pour prendre tous les coeurs, l'immense toile Amour.
J'existais avant l'âme, Adam n'est pas mon père.
J'étais même avant toi ; tu n'aurais pas pu, lumière,
Sortir sans moi du gouffre où tout rampe enchaîné ;
Mon nom est FIAT LUX, et je suis ton aîné ! »

Oui, tout-puissant ! tel est le mot. Fou qui s'en joue !
Quand l'erreur fait un noeud dans l'homme, il le dénoue.
Il est foudre dans l'ombre et ver dans le fruit mûr.
Il sort d'une trompette, il tremble sur un mur,
Et Balthazar chancelle, et Jéricho s'écroule.
Il s'incorpore au peuple, étant lui-même foule.
Il est vie, esprit, germe, ouragan, vertu, feu ;
Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu.

Jersey, juin 1855.
Niveda Nahta Nov 2013
Réchauffez pas plus,
il fait froid,
Jamais si mal,
Jamais vif ..
©NivedaAmber
Check me out:p- http://hellopoetry.com/-niveda-amber/
Chantez ! chantez ! jeune inspirée !
La femme qui chante est sacrée
Même aux jaloux, même aux pervers !
La femme qui chante est bénie !
Sa beauté défend son génie.
Les beaux yeux sauvent les beaux vers !

Moi que déchire tant de rage,
J'aime votre aube sans orage ;
Je souris à vos yeux sans pleurs.
Chantez donc vos chansons divines.
À moi la couronne d'épines !
À vous la couronne de fleurs !

Il fut un temps, un temps d'ivresse,
Où l'aurore qui vous caresse
Rayonnait sur mon beau printemps
Où l'orgueil, la joie et l'extase,
Comme un vin pur d'un riche vase,
Débordaient de mes dix-sept ans !

Alors, à tous mes pas présente,
Une chimère éblouissante
Fixait sur moi ses yeux dorés ;
Alors, prés verts, ciels bleus, eaux vives,
Dans les riantes perspectives
Mes regards flottaient égarés !

Alors je disais aux étoiles :
Ô mon astre, en vain tu te voiles.
Je sais que tu brilles là-haut !
Alors je disais à la rive :
Vous êtes la gloire, et j'arrive.
Chacun de mes jours est un flot !

Je disais au bois : forêt sombre,
J'ai comme toi des bruits sans nombre.
À l'aigle : contemple mon front !
Je disais aux coupes vidées :
Je suis plein d'ardentes idées
Dont les âmes s'enivreront !

Alors, du fond de vingt calices,
Rosée, amour, parfums, délices,
Se répandaient sur mon sommeil ;
J'avais des fleurs plein mes corbeilles ;
Et comme un vif essaim d'abeilles,
Mes pensers volaient au soleil !

Comme un clair de lune bleuâtre
Et le rouge brasier du pâtre
Se mirent au même ruisseau ;
Comme dans les forêts mouillées,
À travers le bruit des feuillées
On entend le bruit d'un oiseau ;

Tandis que tout me disait : Aime !
Écoutant tout hors de moi-même,
Ivre d'harmonie et d'encens,
J'entendais, ravissant murmure,
Le chant de toute la nature
Dans le tumulte de mes sens !

Et roses par avril fardées,
Nuits d'été de lune inondées,
Sentiers couverts de pas humains,
Tout, l'écueil aux hanches énormes,
Et les vieux troncs d'arbres difformes
Qui se penchent sur les chemins,

Me parlaient cette langue austère,
Langue de l'ombre et du mystère,
Qui demande à tous : Que sait-on ?
Qui, par moments presque étouffée,
Chante des notes pour Orphée,
Prononce des mots pour Platon !

La terre me disait Poète !
Le ciel me répétait Prophète !
Marche ! parle ! enseigne ! bénis !
Penche l'urne des chants sublimes !
Verse aux vallons noirs comme aux cimes,
Dans les aires et dans les nids !

Ces temps sont passés. - À cette heure,
Heureux pour quiconque m'effleure,
Je suis triste au dedans de moi ;
J'ai sous mon toit un mauvais hôte ;
Je suis la tour splendide et haute
Qui contient le sombre beffroi.

L'ombre en mon cœur s'est épanchée ;
Sous mes prospérités cachée
La douleur pleure en ma maison ;
Un ver ronge ma grappe mûre ;
Toujours un tonnerre murmure
Derrière mon vague horizon !

L'espoir mène à des portes closes.
Cette terre est pleine de choses
Dont nous ne voyons qu'un côté.
Le sort de tous nos vœux se joue ;
Et la vie est comme la roue
D'un char dans la poudre emporté !

À mesure que les années,
Plus pâles et moins couronnées,
Passent sur moi du haut du ciel,
Je vois s'envoler mes chimères
Comme des mouches éphémères
Qui n'ont pas su faire de miel !

Vainement j'attise en moi-même
L'amour, ce feu doux et suprême
Qui brûle sur tous les trépieds,
Et toute mon âme enflammée
S'en va dans le ciel en fumée
Ou tombe en cendre sous mes pieds !

Mon étoile a fui sous la nue.
La rose n'est plus revenue
Se poser sur mon rameau noir.
Au fond de la coupe est la lie,
Au fond des rêves la folie,
Au fond de l'aurore le soir !

Toujours quelque bouche flétrie,
Souvent par ma pitié nourrie,
Dans tous mes travaux m'outragea.
Aussi que de tristes pensées,
Aussi que de cordes brisées
Pendent à ma lyre déjà !

Mon avril se meurt feuille à feuille ;
Sur chaque branche que je cueille
Croît l'épine de la douleur ;
Toute herbe a pour moi sa couleuvre ;
Et la haine monte à mon œuvre
Comme un bouc au cytise en fleur !

La nature grande et touchante,
La nature qui vous enchante
Blesse mes regards attristés.
Le jour est dur, l'aube est meilleure.
Hélas ! la voix qui me dit : Pleure !
Est celle qui vous dit : Chantez !

Chantez ! chantez ! belle inspirée !
Saluez cette aube dorée
Qui jadis aussi m'enivra.
Tout n'est pas sourire et lumière.
Quelque jour de votre paupière
Peut-être une larme éclora !

Alors je vous plaindrai, pauvre âme !
Hélas ! les larmes d'une femme,
Ces larmes où tout est amer,
Ces larmes où tout est sublime,
Viennent d'un plus profond abîme
Que les gouttes d'eau de la mer !
Masmer Sep 2018
Au-delà des sommets, au-delà des nuages,
Au-delà du ciel bleu plane un jeune oisillon.
De l’espèce des beautés, bavardes et sous pression
Par la grande pluie du temps venue noyer son âge.

Volatile à la houppe, élancé, fort et vif.
Le regard fier et sûr, non il n’est pas craintif.
Son plumage exotique, sa robe noire et grise
Ondulent avec le vent, sinuent avec la brise.

Vivant rien qu’aujourd’hui, la panse bien remplie.
Ne regarde que l’instant, se répète-t-il sans cesse.
Savoure le jour présent, ne pense pas aux caresses
Dont on me couvrirait, pour ça j’ai toute la vie.

Mais n’ayant point agi, et n’ayant point donné,
Oiseau de paradis, devient réalité.
Memento Mori car, on ne peut y échapper,
Le plus beau des oiseaux, se fera dévorer.
Hey, another one out of my mind, leave a heart if you like, it helps. Ask me if you don't understand the meaning which is understandable for this kinds of stuff.
Mon coeur est en feu
Je suis à vif
L'élan me prends
Me dépose ailleurs
Je ne suis qu'un arbre sans écorce
La sève s'écoule de mes veines
Et je te regarde t'en aller
Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,

Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.

Et quand il a fui - tel qu'un écureuil -
Son rire tremble encore à chaque feuille,
Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.
Depuis longtemps, je voudrais faire
Son portrait, en pied, suis-moi bien :
Quand elle prend son air sévère,
Elle ne bouge et ne dit rien.

Ne croyez pas qu'Elle ne rie
Assez souvent ; alors, je vois
Luire un peu de sorcellerie
Dans les arcanes de sa voix.

Impérieuse, à n'y pas croire !
Pour le moment, pour son portrait,
(Encadré d'or pur, sur ivoire)
Plus sérieuse... qu'un décret.

Suivez-moi bien : son Âme est belle
Autant que son visage est beau,
Un peu plus... si je me rappelle
Que Psyché se rit du Tombeau.

Tout le Ciel est dans ses prunelles
Dont l'éclat... efface le jour,
Et qu'emplissent les éternelles
Magnificences de l'Amour ;

Et ses paupières sont ouvertes
Sur le vague de leur azur,
Toutes grandes et bien mieux, certes,
Que le firmament le plus pur.

L'arc brun de ses grands sourcils, digne
De la flèche d'amours rieurs,
Est presque un demi-cercle, signe
De sentiments supérieurs.

Sans ride morose ou vulgaire,
Son front, couronné... de mes vœux,
En fait de nuages n'a guère
Que l'ombre douce des cheveux.

Quand elle a dénoué sa tresse
Où flottent de légers parfums,
Sa chevelure la caresse
Par cascades de baisers bruns,

Qui se terminent en fumée
À l'autre bout de la maison,
Et quand sa natte est refermée
C'est la plus étroite prison,

Le nez aquilin est la marque
D'une âme prompte à la fureur,
Le sien serait donc d'un monarque
Ou d'une fille d'empereur ;

Ses deux narines frémissantes
Disent tout un trésor voilé
De délicatesses puissantes
Au fond duquel nul est allé.

Ses lèvres ont toutes les grâces
Comme ses yeux ont tout l'Amour,
Elles sont roses, point trop grasses,
Et d'un spirituel contour.

**, çà ! Monsieur, prenez bien garde
À tous les mots que vous jetez,
Son oreille fine les garde
Longtemps, comme des vérités.

L'ensemble vit, pense, palpite ;
L'ovale est fait de doux raccords ;
Et la tête est plutôt petite,
Proportionnée à son corps.

Esquissons sous sa nuque brune
Son cou qui semble... oh ! yes, indeed !
La Tour d'ivoire, sous la lune
Qui baigne la Tour de David ;

Laquelle, **** que je badine,
Existe encor, nous la voyons
Sur l'album de la Palestine,
Chez les gros marchands de crayons.

Je voudrais faire... les épaules.
Ici, madame, permettez
Que j'écarte l'ombre des saules
Que sur ces belles vous jetez...

Non ? vous aimez mieux cette robe
Teinte de la pourpre que Tyr
À ses coquillages dérobe
Dont son art vient de vous vêtir ;

Vous préférez à la nature
D'avant la pomme ou le péché,
Cette lâche et noble ceinture
Où votre pouce s'est caché.

Mais votre peintre aime l'éloge,
Et... l'on est le premier venu
Fort indigne d'entrer en loge,
Si l'on ne sait rendre le nu ;

S'il ne peut fondre avec noblesse
Cette indifférence d'acier
Où sa réflexion vous laisse,
Comment fera-t-il votre pied ?

Vos mains mignonnes, encor passe ;
Mais votre pied d'enfant de rois
Dont la cambrure se prélasse
Ainsi qu'un pont sur les cinq doigts,

Qu'on ne peut toucher sans qu'il parte
Avec un vif frémissement
Des doigts dont le pouce s'écarte,
Comme pour un... commandement...

Vous persistez, c'est votre affaire,
Faites, faites, ça m'est égal !
Je barbouille tout, de colère...
Et tant pis pour mon madrigal !
Universe Poems Oct 2022
Patch
your pumpkin seeds,
given at a time of year,
when the seasons know,
bronze, brown and yellow
are crunching as you go
Damp and wet
Colours alive,
eyes and mind revive
Vines seeds and pumpkin rhymes
Look at me
Rouge Vif d'Etampes
Elegance coolest city,
and towns names around
1600's
French version of the,
Cinderella pumpkin coach created
Even today,
United States seed growers say,
Cinderella pumpkin,
you won't squash at twelve o'clock,
come what may
Rouge Vif d'Etampes
colour, shape and beauty,
Autumn cutie

© 2022 Carol Natasha Diviney
D'illusions fantastiques

Quel doux esprit t'a bercé ?

Qui t'a dit ces airs antiques,

Ces contes du temps passé ?

Que j'aime quand tu nous chantes

Ces complaintes si touchantes,

Ces cantiques de la foi,

Que m'avait chantés mon père,

Et que chanteront, j'espère,

Ceux qui viendront après moi.


Quand le soir, à la chaumière,

La lampe unit tristement

La pâleur de sa lumière

Au vif éclat du sarment,

Assis dans le coin de l'âtre,

Sans doute tu vis le pâtre

Rappeler des anciens jours,

Récits d'amour, de constance.

Et redire à l'assistance

Ces airs qu'on retient toujours.


Il a de vieilles ballades,

Il a de joyeux refrains :

Et pour les brebis malades

Des remèdes souverains :

Il connaît les noirs présages :

Perçant le voile des âges

Son œil lit dans l'avenir,

Il donne des amulettes,

Et prédit aux bachelettes

Quand l'amour doit leur venir.


Il ta montré la relique

Et la croix qu'un pénitent

A la sainte basilique

A fait bénir en partant.

Il t'a dit les eaux fangeuses

Où dans les nuits orageuses

Errent de pâles lueurs,

Puis sur l'autel de la Vierge

Il fa fait brûler un cierge

A la mère des douleurs.


Il a deviné ta peine,

Il t'a conseillé parfois

D'aller faire une neuvaine

A Notre-Dame-des-Bois ;

De partir pour la Galice ;

Ou, vêtu du noir cilice

D'aller, pieux voyageur,

Déposer ton humble hommage

Au pied de la vieille image

De Saint Jacques-le-Majeur.


Dans une chapelle basse,

Devers la Saint-Jean d'été,

Il t'a fait baiser la châsse

Dont l'antique sainteté

Donne à la foi populaire

Le précieux scapulaire

Qui du malin nous défend,

Et sans travail, ni souffrance,

Abrège la délivrance

Des femmes en mal d'enfant.


Il t'a fait dans les bruyères

Voir, de ****, les lieux maudits

Où l'on dit que les sorcières

S'assemblent les samedis ;

Où pour d'impurs sortilèges

A leurs festins sacrilèges

S'asseoit l'archange déchu ;

Où le voyageur qui passe

S'enfuit en voyant la trace

Qu'y grava son pied fourchu.


Mais à l'angle de deux routes

Il te recommande à Dieu :

Il part ; et toi tu l'écoutes

Après qu'il t'a dit adieu.

Puis tu reviens et nous chantes

Ces complaintes si touchantes,

Ces cantiques de la foi

Que m'avait chantés mon père,

Et que chanteront, j'espère.

Ceux qui viendront après moi.
Quand l'horloge a sonné le moment du départ,
Aucune larme, ami, n'a voilé ton regard !
Tu m'as pressé la main... j'ai cru voir un sourire
Se mêler à l'adieu que tu venais me dire ;
Car pour ton cœur, tranquille en pensant au retour,
Ce n'était point partir que s'éloigner un jour.
Et que m'importe à moi que la nuit te ramène !...
Il fait jour et tu pars ! Du coursier qui t'entraîne
Tu déchires les flancs, en disant : « Au revoir ! »
Mais aujourd'hui me reste avant d'être à ce soir !

À ton dernier regard, pour moi, le temps s'arrête.
Un livre est sous mes yeux, mais mon âme distraite
S'en retourne vers toi ; car nos âmes sont sœurs,
Et j'ai souvent rêvé qu'en des mondes meilleurs,
En des pays lointains, ou dans les cieux peut-être...
Je vivais de ta vie, et nous n'étions qu'un être ;
Mais Dieu brisa notre âme, et de chaque moitié
Il a créé nos cœurs, permettant par pitié
Qu'ils pussent se revoir et s'aimer sur la terre,
Où l'amour leur rendrait leur nature première.

Des pleurs que je répands, tout homme se rirait :
Les chagrins passagers vous cachent leur secret.
Vos cœurs ont des transports et n'ont point de faiblesse ;
Vous pleurez d'un malheur, pleurez-vous de tristesse ?
Vous ne connaissez pas ces noirs pressentiments,
Ces rêves où l'esprit, se forgeant des tourments,
Cherche dans notre amour un sinistre présage,
Comme un soleil trop vif laisse prévoir l'orage !

Reviens d'un seul regard me rendre mon ciel pur,
Reviens, parle, souris, et mon bonheur est sûr.
Aux accents de ta voix s'éloigne la tempête ;
Sur ton sein palpitant, je repose ma tête...
Berce, endors mes terreurs par un doux chant d'amour,
Et laisse-moi sourire et pleurer tour à tour.

Sans crainte, de la mort je serais menacée,
Je mourrais dans tes bras et sur ton cœur pressée !
Mais si tu succombais... alors, sans désespoir,
Comme toi, ce matin, je dirais : « À ce soir !
De quelques courts instants ton âme me devance,
Attends-moi dans les cieux, ce n'est qu'un jour d'absence ! »
Sonnet.


Fors l'amour, tout dans l'art semble à la femme vain :
Le génie auprès d'elle est toujours solitaire.
Orphée allait chantant, suivi d'une panthère,
Dont il croyait leurrer l'inexorable faim ;

Mais, dès que son pied nu rencontrait en chemin
Quelque épine de rose et rougissait la terre,
La bête, se ruant d'un bond involontaire,
Oublieuse des sons, lampait le sang humain.

Crains la docilité félonne d'une amante,
Poète : elle est moins souple à la lyre charmante
Qu'avide, par instinct, de voir le cœur saigner.

Pendant que ta douleur plane et vibre en mesure,
Elle épie à tes pieds les pleurs de ta blessure,
Plaisir plus vif encor que de la dédaigner.
Plus dur que fer j'ay fini mon ouvrage,
Que l'an, dispos à demener les pas,
Que l'eau, le vent ou le brulant orage,
L'injuriant, ne ru'ront point à bas.
Quand ce viendra que le dernier trespas
M'assoupira d'un somme dur, à l'heure
Sous le tombeau tout Ronsard n'ira pas,
Restant de luy la part qui est meilleure.

Tousjours, tousjours, sans que jamais je meure,
Je voleray tout vif par l'univers,
Eternisant les champs où je demeure,
De mes lauriers fatalement couvers,
Pour avoir joint les deux harpeurs divers
Au doux babil de ma lyre d'yvoire,
Que j'ay rendus Vandomois par mes vers.

Sus donque, Muse, emporte au ciel la gloire
Que j'ay gaignée, annonçant la victoire
Dont à bon droit je me voy jouissant,
Et de ton fils consacre la memoire ;
Serrant son front d'un laurier verdissant.
« Je vous défends, châtelaine,

De courir seule au grand bois. »

M'y voici, tout hors d'haleine,

Et pour la seconde fois.

J'aurais manqué de courage

Dans ce long sentier perdu ;

Mais que j'en aime l'ombrage !

Mon seigneur l'a défendu.


« Je vous défends, belle mie,

Ce rondeau vif et moqueur. »

Je n'étais pas endormie

Que je le savais par cœur.

Depuis ce jour je le chante ;

Pas un refrain n'est perdu :

Dieu ! que ce rondeau m'enchante !

Mon seigneur l'a défendu.


« Je vous défends sur mon page

De jamais lever les yeux. »

Et voilà que son image

Me suit, m'obsède en tous lieux.

Je l'entends qui, par mégarde,

Au bois s'est aussi perdu :

D'où vient que je le regarde ?

Mon seigneur l'a défendu.


Mon seigneur défend encore

Au pauvre enfant de parler ;

Et sa voix douce et sonore

Ne dit plus rien sans trembler.

Qu'il doit souffrir de se taire !

Pour causer quel temps perdu !

Mais, mon page, comment faire ?

Mon seigneur l'a défendu.
À Victor Hugo.


I.

Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,
Je guette, obéissant à mes humeurs fatales
Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,
Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus
Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes.
Sous des jupons troués et sous de froids tissus

Ils rampent, flagellés par les bises iniques,
Frémissant au fracas roulant des omnibus,
Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,
Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ;

Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ;
Se traînent, comme font les animaux blessés,
Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes
Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés

Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,
Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit ;
Ils ont les yeux divins de la petite fille
Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit.

- Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d'un goût bizarre et captivant,

Et lorsque j'entrevois un fantôme débile
Traversant de Paris le fourmillant tableau,
Il me semble toujours que cet être fragile
S'en va tout doucement vers un nouveau berceau ;

A moins que, méditant sur la géométrie,
Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords,
Combien de fois il faut que l'ouvrier varie
La forme de la boîte où l'on met tous ces corps.

- Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,
Des creusets qu'un métal refroidi pailleta...
Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes
Pour celui que l'austère Infortune allaita !

II.

De Frascati défunt Vestale enamourée ;
Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur
Enterré sait le nom ; célèbre évaporée
Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,

Toutes m'enivrent ; mais parmi ces êtres frêles
Il en est qui, faisant de la douleur un miel
Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes :
Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel !

L'une, par sa patrie au malheur exercée,
L'autre, que son époux surchargea de douleurs,
L'autre, par son enfant Madone transpercée,
Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs !

III.

Ah ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles !
Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombant
Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,
Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,

Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,
Dont les soldats parfois inondent nos jardins,
Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre,
Versent quelque héroïsme au coeur des citadins.

Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle,
Humait avidement ce chant vif et guerrier ;
Son oeil parfois s'ouvrait comme l'oeil d'un vieil aigle ;
Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier !

IV.

Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,
A travers le chaos des vivantes cités,
Mères au coeur saignant, courtisanes ou saintes,
Dont autrefois les noms par tous étaient cités.

Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,
Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivil
Vous insulte en passant d'un amour dérisoire ;
Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.

Honteuses d'exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;
Et nul ne vous salue, étranges destinées !
Débris d'humanité pour l'éternité mûrs !

Mais moi, moi qui de **** tendrement vous surveille,
L'oeil inquiet, fixé sur vos pas incertains,
Tout comme si j'étais votre père, ô merveille !
Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins :

Je vois s'épanouir vos passions novices ;
Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ;
Mon coeur multiplié jouit de tous vos vices !
Mon âme resplendit de toutes vos vertus !

Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères !
Je vous fais chaque soir un solennel adieu !
Où serez-vous demain, Èves octogénaires,
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ?
Vous avez un regard singulier et charmant ;
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;

Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;
Ils sont de plus belle eau qu'une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu'à demi leur vif rayonnement.

Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s'y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.

Ils sont si transparents, qu'ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l'on apercevrait à travers un cristal.
Moi je suis content ; je rentre
Dans l'ombre du Dieu jaloux ;
Je n'ai plus la cour, j'ai l'antre :
J'avais des rois, j'ai des loups.

Je redeviens le vrai chêne.
Je croîs sous les chauds midis ;
Quatre-vingt-neuf se déchaîne
Dans mes rameaux enhardis.

Trianon vieux sent le rance.
Je renais au grand concert ;
Et j'appelle délivrance
Ce que vous nommez désert.

La reine eut l'épaule haute,
Le grand dauphin fut pied-bot ;
J'aime mieux Gros-Jean qui saute
Librement dans son sabot.

Je préfère aux Léonores
Qu'introduisaient les Dangeaux,
Les bons gros baisers sonores
De mes paysans rougeauds.

Je préfère les grands souffles,
Les bois, les champs, fauve abri,
L'horreur sacrée, aux pantoufles
De madame Dubarry.

Je suis hors des esclavages ;
Je dis à la honte : Assez !
J'aime mieux les fleurs sauvages
Que les gens apprivoisés.

Les hommes sont des ruines ;
Je préfère, ô beau printemps,
Tes fiertés pleines d'épines
À ces déshonneurs contents.

J'ai perdu le Roquelaure
Jasant avec la Boufflers ;
Mais je vois plus d'aube éclore
Dans les grands abîmes clairs.

J'ai perdu monsieur le *****,
Et le monde officiel,
Et d'Antin ; mais je m'enfonce
Toujours plus avant au ciel.

Décloîtré, je fraternise
Avec les rustres souvent.
Je vois donner par Denise
Ce que Célimène vend.

Plus de fossé ; rien n'empêche,
À mes pieds, sur mon gazon,
Que Suzon morde à sa pêche,
Et Mathurin à Suzon.

Solitaire, j'ai mes joies.
J'assiste, témoin vivant,
Dans les sombres claires-voies,
Aux aventures du vent.

Parfois dans les primevères
Court quelque enfant de quinze ans ;
Mes vieilles ombres sévères
Aiment ces yeux innocents.

Rien ne pare un paysage,
Sous l'éternel firmament,
Comme une fille humble et sage
Qui soupire obscurément.

La fille aux fleurs de la berge
Parle dans sa belle humeur,
Et j'entends ce que la vierge
Dit dans l'ombre à la primeur.

J'assiste au germe, à la sève,
Aux nids où s'ouvrent des yeux,
À tout cet immense rêve
De l'***** mystérieux.

J'assiste aux couples sans nombre,
Au viol, dans le ravin,
De la grande pudeur sombre
Par le grand amour divin.

J'assiste aux fuites rapides
De tous ces baisers charmants.
L'onde a des coeurs dans ses rides ;
Les souffles sont des amants.

Cette allégresse est sacrée,
Et la nature la veut.
On croit finir, et l'on crée.
On est libre, et c'est le noeud.

J'ai pour jardinier la pluie,
L'ouragan pour émondeur ;
Je suis grand sous Dieu ; j'essuie
Ma cime à la profondeur.

L'hiver froid est sans rosée ;
Mais, quand vient avril vermeil,
Je sens la molle pesée
Du printemps sur mon sommeil.

Je la sens mieux, étant libre.
J'ai ma part d'immensité.
La rentrée en équilibre,
Ami, c'est la liberté.

Je suis, sous le ciel qui brille,
Pour la reprise des droits
De la forêt sur la grille,
Et des peuples sur les rois.

Dieu, pour que l'Éden repousse,
Frais, tendre, un peu sauvageon,
Presse doucement du pouce
Ce globe, énorme bourgeon.

Plus de roi. Dieu me pénètre.
Car il faut, retiens cela,
Pour qu'on sente le vrai maître,
Que le faux ne soit plus là.

Il met, lui, l'unique père,
L'Éternel toujours nouveau,
Avec ce seul mot : Espère,
Toute l'ombre de niveau.

Plus de caste. Un ver me touche,
L'hysope aime mon orteil.
Je suis l'égal de la mouche,
Étant l'égal du soleil.

Adieu le feu d'artifice
Et l'illumination.
J'en ai fait le sacrifice.
Je cherche ailleurs le rayon.

D'augustes apothéoses,
Me cachant les cieux jadis,
Remplaçaient, dans des feux roses,
Jéhovah par Amadis.

On emplissait la clairière
De ces lueurs qui, soudain,
Font sur les pieds de derrière
Dresser dans l'ombre le daim.

La vaste voûte sereine
N'avait plus rien qu'on pût voir,
Car la girandole gêne
L'étoile dans l'arbre noir.

Il sort des feux de Bengale
Une clarté dans les bois,
Fière, et qui n'est point l'égale
De l'âtre des villageois.

Nous étions, chêne, orme et tremble,
Traités en pays conquis
Où se débraillent ensemble
Les pétards et les marquis.

La forêt, comme agrandie
Par les feux et les zéphirs,
Avait l'air d'un incendie
De rubis et de saphirs.

On offrait au prince, au maître,
Beau, fier, entouré d'archers,
Ces lumières, soeurs peut-être
De la torche des bûchers.

Cent mille verroteries
Jetaient, flambant à l'air vif,
Dans le ciel des pierreries
Et sur la terre du suif.

Une gloire verte et bleue,
Qu'assaisonnait quelque effroi,
Faisait là-haut une queue
De paon en l'honneur du roi.

Aujourd'hui, - c'est un autre âge,
Et les flambeaux sont changeants, -
Je n'ai plus d'autre éclairage
Que le ciel des pauvres gens.

Je reçois dans ma feuillée,
Sombre, aux mille trous vermeils,
La grande nuit étoilée,
Populace de soleils.

Des planètes inconnues
Poussent sur mon dôme obscur,
Et je tiens pour bien venues
Ces coureuses de l'azur.

Je n'ai plus les pots de soufre
D'où sortaient les visions ;
Je me contente du gouffre
Et des constellations.

Je déroge, et la nature,
Foule de rayons et d'yeux
M'attire dans sa roture
Pêle-mêle avec les cieux.

Cependant tout ce qui reste,
Dans l'herbe où court le vanneau
Et que broute l'âne agreste,
Du royal siècle a giorno ;

Tout ce qui reste des gerbes,
De Jupin, de Sémélé,
Des dieux, des gloires superbes,
Un peu de carton brûlé ;

Dans les ronces paysannes,
Au milieu des vers luisants,
Les chandelles courtisanes,
Et les lustres courtisans ;

Les vieilles splendeurs brisées,
Les ifs, nobles espions,
Leurs altesses les fusées,
Messeigneurs les lampions ;

Tout ce beau monde me raille,
Éteint, orgueilleux et noir ;
J'en ris, et je m'encanaille
Avec les astres le soir.
Sonnet.

Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire : " Oh ! l'homme singulier ! "
- J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse,
Désir mêlé d'horreur, un mal particulier ;

Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse ;
Tout mon coeur s'arrachait au monde familier.

J'étais comme l'enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau comme on hait un obstacle...
Enfin la vérité froide se révéla :

J'étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait. - Eh quoi ! n'est-ce donc que cela ?
La toile était levée et j'attendais encore.
Un bon mari, sa femme et deux jolis enfants
Coulaient en paix leurs jours dans le simple ermitage
Où, paisibles comme eux, vécurent leurs parents.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
Cultivaient leur jardin, recueillaient leurs moissons ;
Et le soir, dans l'été, soupant sous le feuillage,
Dans l'hiver, devant leurs tisons,
Ils prêchaient à leurs fils la vertu, la sagesse,
Leur parlaient du bonheur qu'ils procurent toujours.
Le père par un conte égayait ses discours,
La mère par une caresse.
L'aîné de ces enfants, né grave, studieux,
Lisait et méditait sans cesse ;
Le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautait, riait toujours, ne se plaisait qu'aux jeux.
Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,
Assis près d'une table où s'appuyait la mère,
L'aîné lisait Rollin ; le cadet, peu soigneux
D'apprendre les hauts faits des Romains ou des Parthes,
Employait tout son art, toutes ses facultés,
A joindre, à soutenir par les quatre côtés
Un fragile château de cartes.
Il n'en respirait pas d'attention, de peur.
Tout à coup voici le lecteur
Qui s'interrompt. " Papa, dit-il, daigne m'instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérants,
Et d'autres fondateurs d'empire ;
Ces deux noms sont-ils différents ? "
Le père méditait une réponse sage,
Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d'avoir pu parvenir
A placer son second étage,
S'écrie : " Il est fini ! " Son frère, murmurant,
Se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage ;
Et voilà le cadet pleurant.
" Mon fils, répond alors le père,
Le fondateur c'est votre frère,
Et vous êtes le conquérant. "
Baiser ! rose trémière au jardin des caresses !

Vif accompagnement sur le clavier des dents

Des doux refrains qu'Amour chante en les cœurs ardents,

Avec sa voix d'archange aux langueurs charmeresses !


Sonore et gracieux Baiser, divin Baiser !

Volupté non pareille, ivresse inénarrable !

Salut ! L'homme, penché sur ta coupe adorable,

S'y grise d'un bonheur qu'il ne sait épuiser.


Comme le vin du Rhin et comme la musique,

Tu consoles et tu berces, et le chagrin

Expire avec la moue en ton pli purpurin...

Qu'un plus grand, Gœthe ou Will, te dresse un vers classique.


Moi, je ne puis, chétif trouvère de Paris,

T'offrir que ce bouquet de strophes enfantines :

Sois bénin et, pour prix, sur les lèvres mutines

D'Une que je connais, Baiser, descends, et ris.
Persécuté, proscrit, chassé de son asile,
Pour avoir appelé les choses par leur nom,
Un pauvre philosophe errait de ville en ville,
Emportant avec lui tous ses biens, sa raison.
Un jour qu'il méditait sur le fruit de ses veilles,
C'était dans un grand bois, il voit un chat-huant
Entouré de geais, de corneilles,
Qui le harcelaient en criant :
C'est un coquin, c'est un impie,
Un ennemi de la patrie ;
Il faut le plumer vif : oui, oui, plumons, plumons,
Ensuite nous le jugerons.
Et tous fondaient sur lui ; la malheureuse bête,
Tournant et retournant sa bonne et grosse tête,
Leur disait, mais en vain, d'excellentes raisons.
Touché de son malheur, car la philosophie
Nous rend plus doux et plus humains,
Notre sage fait fuir la cohorte ennemie,
Puis dit au chat-huant : pourquoi ces assassins
En voulaient-ils à votre vie ?
Que leur avez-vous fait ? L'oiseau lui répondit :
Rien du tout ; mon seul crime est d'y voir clair la nuit.
À François Coppée


Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde

Est aux enfers ainsi qu'un pauvre immonde

Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux,

Et si n'étaient la lueur de ses yeux

Et la beauté de sa maigre figure,

En le voyant ainsi quiconque jure

Qu'il est un gueux et non ce héros fier

Aux dames comme au poète si cher

Et dont l'auteur de ces humbles chroniques

Vous va parler sur des faits authentiques.


Il a son front dans ses mains et paraît

Penser beaucoup à quelque grand secret.


Il marche à pas douloureux sur la neige :

Car c'est son châtiment que rien n'allège

D'habiter seul et vêtu de léger

**** de tout lieu où fleurit l'oranger

Et de mener ses tristes promenades

Sous un ciel veuf de toutes sérénades

Et qu'une lune morte éclaire assez

Pour expier tous ses soleils passés.

Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable

S'est vu réduire à l'état pitoyable

De tourmenteur et de geôlier gagé

Pour être las trop tôt, et trop âgé.

Du Révolté de jadis il ne reste

Plus qu'un bourreau qu'on paie et qu'on moleste

Si bien qu'enfin la cause de l'Enfer

S'en va tombant comme un fleuve à la mer,

Au sein de l'alliance primitive.

Il ne faut pas que cette honte arrive.


Mais lui, don Juan, n'est pas mort, et se sent

Le coeur vif comme un coeur d'adolescent

Et dans sa tête une jeune pensée

Couve et nourrit une force amassée ;

S'il est damné c'est qu'il le voulut bien,

Il avait tout pour être un bon chrétien,

La foi, l'ardeur au ciel, et le baptême,

Et ce désir de volupté lui-même,

Mais s'étant découvert meilleur que Dieu,

Il résolut de se mettre en son lieu.

À cet effet, pour asservir les âmes

Il rendit siens d'abord les cœurs des femmes.

Toutes pour lui laissèrent là Jésus,

Et son orgueil jaloux monta dessus

Comme un vainqueur foule un champ de bataille.

Seule la mort pouvait être à sa taille.

Il l'insulta, la défit. C'est alors

Qu'il vint à Dieu, lui parla face à face

Sans qu'un instant hésitât son audace.

Le défiant, Lui, son Fils et ses saints !

L'affreux combat ! Très calme et les reins ceints

D'impiété cynique et de blasphème,

Ayant volé son verbe à Jésus même,

Il voyagea, funeste pèlerin,

Prêchant en chaire et chantant au lutrin,

Et le torrent amer de sa doctrine,

Parallèle à la parole divine,

Troublait la paix des simples et noyait

Toute croyance et, grossi, s'enfuyait.


Il enseignait : « Juste, prends patience.

Ton heure est proche. Et mets ta confiance

En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant,

Et ton salut en sera sûr d'autant.

Femmes, aimez vos maris et les vôtres

Sans cependant abandonner les autres...

L'amour est un dans tous et tous dans un,

Afin qu'alors que tombe le soir brun

L'ange des nuits n'abrite sous ses ailes

Que cœurs mi-clos dans la paix fraternelle. »


Au mendiant errant dans la forêt

Il ne donnait un sol que s'il jurait.

Il ajoutait : « De ce que l'on invoque

Le nom de Dieu, celui-ci s'en choque,

Bien au contraire, et tout est pour le mieux.

Tiens, prends, et bois à ma santé, bon vieux. »

Puis il disait : « Celui-là prévarique

Qui de sa chair faisant une bourrique

La subordonne au soin de son salut

Et lui désigne un trop servile but.

La chair est sainte ! Il faut qu'on la vénère.

C'est notre fille, enfants, et notre mère,

Et c'est la fleur du jardin d'ici-bas !

Malheur à ceux qui ne l'adorent pas !

Car, non contents de renier leur être,

Ils s'en vont reniant le divin maître,

Jésus fait chair qui mourut sur la croix,

Jésus fait chair qui de sa douce voix

Ouvrait le coeur de la Samaritaine,

Jésus fait chair qu'aima la Madeleine ! »


À ce blasphème effroyable, voilà

Que le ciel de ténèbres se voila.

Et que la mer entrechoqua les îles.

On vit errer des formes dans les villes

Les mains des morts sortirent des cercueils,

Ce ne fut plus que terreurs et que deuils

Et Dieu voulant venger l'injure affreuse

Prit sa foudre en sa droite furieuse

Et maudissant don Juan, lui jeta bas

Son corps mortel, mais son âme, non pas !

Non pas son âme, on l'allait voir ! Et pâle

De male joie et d'audace infernale,

Le grand damné, royal sous ses haillons,

Promène autour son œil plein de rayons,

Et crie : « À moi l'Enfer ! ô vous qui fûtes

Par moi guidés en vos sublimes chutes,

Disciples de don Juan, reconnaissez

Ici la voix qui vous a redressés.-

Satan est mort, Dieu mourra dans la fête,

Aux armes pour la suprême conquête !


Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nés,

C'est le grand jour pour le tour des damnés. »

Il dit. L'écho frémit et va répandre

L'appel altier, et don Juan croit entendre

Un grand frémissement de tous côtés.

Ses ordres sont à coup sûr écoutés :

Le bruit s'accroît des clameurs de victoire,

Disant son nom et racontant sa gloire.

« À nous deux, Dieu stupide, maintenant ! »

Et don Juan a foulé d'un pied tonnant


Le sol qui tremble et la neige glacée

Qui semble fondre au feu de sa pensée...

Mais le voilà qui devient glace aussi

Et dans son coeur horriblement transi

Le sang s'arrête, et son geste se fige.

Il est statue, il est glace. Ô prodige

Vengeur du Commandeur assassiné !

Tout bruit s'éteint et l'Enfer réfréné

Rentre à jamais dans ses mornes cellules.

« Ô les rodomontades ridicules »,


Dit du dehors Quelqu'un qui ricanait,

« Contes prévus ! farces que l'on connaît !

Morgue espagnole et fougue italienne !

Don Juan, faut-il afin qu'il t'en souvienne,

Que ce vieux Diable, encore que radoteur,

Ainsi te prenne en délit de candeur ?

Il est écrit de ne tenter... personne

L'Enfer ni ne se prend ni ne se donne.

Mais avant tout, ami, retiens ce point :

On est le Diable, on ne le devient point. »
J'aime le carillon dans tes cités antiques,
Ô vieux pays gardien de tes moeurs domestiques,
Noble Flandre, où le Nord se réchauffe engourdi
Au soleil de Castille et s'accouple au Midi !
Le carillon, c'est l'heure inattendue et folle,
Que l'oeil croit voir, vêtue en danseuse espagnole,
Apparaître soudain par le trou vif et clair
Que ferait en s'ouvrant une porte de l'air.
Elle vient, secouant sur les toits léthargiques
Son tablier d'argent plein de notes magiques,
Réveillant sans pitié les dormeurs ennuyeux,
Sautant à petits pas comme un oiseau joyeux,
Vibrant, ainsi qu'un dard qui tremble dans la cible ;
Par un frêle escalier de cristal invisible,
Effarée et dansante, elle descend des cieux ;
Et l'esprit, ce veilleur fait d'oreilles et d'yeux,
Tandis qu'elle va, vient, monte et descend encore,
Entend de marche en marche errer son pied sonore !

Malines, août 1837.
Mon ami, ma plus belle amitié, ma meilleure,

- Les morts sont morts, douce leur soit l'éternité !

Laisse-moi te le dire en toute vérité,

Tu vins au temps marqué, tu parus à ton heure ;


Tu parus sur ma vie et tu vins dans mon cœur

Au jour climatérique où, noir vaisseau qui sombre,

J'allais noyer ma chair sous la débauche sombre.

Ma chair dolente, et mon esprit jadis vainqueur,


Et mon âme naguère et jadis toute blanche !

Mais tu vins, tu parus, tu vins comme un voleur,

- Tel Christ viendra - Voleur qui m'a pris mon malheur !

Tu parus sur ma mer non pas comme une planche


De salut, mais le Salut même ! Ta vertu

Première, la gaieté, c'est elle-même, franche

Comme l'or, comme un bel oiseau sur une brandie

Qui s'envole dans un brillant turlututu.


Emportant sur son aile électrique les ires

Et les affres et les tentations encor ;

Ton bon sens, - tel après du fifre c'est du cor, -

Vient paisiblement mettre fin aux délires,


N'étant point, ô que non ! le prud'homisme affreux,

Mais l'équilibre, mais la vision artiste,

Sûre et sincère et qui persiste et qui résiste

A l'argumentateur plat comme un songe creux ;


Et ta bonté, conforme à ta jeunesse, est verte,

Mais elle va mûrir délicieusement !

Elle met dans tout moi le renouveau charmant

D'une sève éveillée et d'une âme entr'ouverte.


Elle étend, sous mes pieds, un gazon souple et frais

Où ces marcheurs saignants reprennent du courage,

Caressés par des fleurs au *** parfum sauvage,

Lavés de la rosée et s'attardant exprès.


Elle met sur ma tête, aux tempêtes calmées.

Un ciel profond et clair où passe le vent pur

Et vif, éparpillant les notes dans l'azur

D'oiseaux volant et s'éveillant sous les ramées.


Elle verse à mes yeux, qui ne pleureront plus,

Un paisible sommeil dans la nuit transparente

Que de rêves légers bénissent, troupe errante

De souvenirs et d'espoirs révolus.


Avec des tours naïfs et des besoins d'enfance,

Elle veut être fière et rêve de pouvoir

Être rude un petit sans pouvoir que vouloir

Tant le bon mouvement sur l'autre prend d'avance.


J'use d'elle et parfois d'elle j'abuserais

Par égoïsme un peu bien surérogatoire,

Tort d'ailleurs pardonnable en toute humaine histoire

Mais non dans celle-ci, de crainte des regrets.


De mon côté, c'est vrai qu'à travers mes caprices,

Mes nerfs et tout le train de mon tempérament.

Je t'estime et je t'estime, ô si fidèlement,

Trouvant dans ces devoirs mes plus chères délices.


Déployant tout le peu que j'ai de paternel

Plus encor que de fraternel, malgré l'extrême

Fraternité, tu sais, qu'est notre amitié même,

Exultant sur ce presque amour presque charnel !


Presque charnel à force de sollicitude

Paternelle vraiment et maternelle aussi.

Presque un amour à cause, ô toi de l'insouci

De vivre sinon pour cette sollicitude.


Vaste, impétueux donc, et de prime-saut, mais

Non sans prudence en raison de l'expérience

Très douloureuse qui m'apprit toute nuance.

Du jour lointain, quand la première fois j'aimais :


Ce presque amour est saint ; il bénit d'innocence

Mon reste d'une vie en somme toute au mal,

Et c'est comme les eaux d'un torrent baptismal

Sur des péchés qu'en vain l'Enfer déçu recense.


Aussi, précieux toi plus cher que tous les moi

Que je fus et serai si doit durer ma vie,

Soyons tout l'un pour l'autre en dépit de l'envie,

Soyons tout l'un à l'autre en toute bonne foi.


Allons, d'un bel élan qui demeure exemplaire

Et fasse autour le monde étonné chastement,

Réjouissons les cieux d'un spectacle charmant

Et du siècle et du sort défions la colère.


Nous avons le bonheur ainsi qu'il est permis.

Toi de qui la pensée est toute dans la mienne,

Il n'est, dans la légende actuelle et l'ancienne

Rien de plus noble et de plus beau que deux amis,


Déployant à l'envi les splendeurs de leurs âmes,

Le Sacrifice et l'Indulgence jusqu'au sang,

La Charité qui porte un monde dans son flanc

Et toutes les pudeurs comme de douces flammes !


Soyons tout l'un à l'autre enfin ! et l'un pour l'autre

En dépit des jaloux, et de nos vains soupçons,

A nous, et cette foi pour de bon, renonçons

Au vil respect humain où la foule se vautre,


Afin qu'enfin ce Jésus-Christ qui nous créa

Nous fasse grâce et fasse grâce au monde immonde

D'autour de nous alors unis, - paix sans seconde ! -

Définitivement, et dicte: Alléluia.


« Qu'ils entrent dans ma joie et goûtent mes louanges ;

Car ils ont accompli leur tâche comme dû,

Et leur cri d'espérance, il me fut entendu,

Et voilà pourquoi les anges et les archanges


S'écarteront de devant Moi pour avoir admis,

Purifiés de tous péchés inévitables

Et des traverses quelquefois épouvantables,

Ce couple infiniment bénissable d'Amis. »

— The End —