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Poems

Victor Hugo  Jun 2017
Saturne
I.

Il est des jours de brume et de lumière vague,
Où l'homme, que la vie à chaque instant confond,
Étudiant la plante, ou l'étoile, ou la vague,
S'accoude au bord croulant du problème sans fond ;

Où le songeur, pareil aux antiques augures,
Cherchant Dieu, que jadis plus d'un voyant surprit,
Médite en regardant fixement les figures
Qu'on a dans l'ombre de l'esprit ;

Où, comme en s'éveillant on voit, en reflets sombres,
Des spectres du dehors errer sur le plafond,
Il sonde le destin, et contemple les ombres
Que nos rêves jetés parmi les choses font !

Des heures où, pourvu qu'on ait à sa fenêtre
Une montagne, un bois, un océan qui dit tout,
Le jour prêt à mourir ou l'aube prête à naître,
En soi-même on voit tout à coup

Sur l'amour, sur les biens qui tous nous abandonnent,
Sur l'homme, masque vide et fantôme rieur,
Éclore des clartés effrayantes qui donnent
Des éblouissement à l'oeil intérieur ;

De sorte qu'une fois que ces visions glissent
Devant notre paupière en ce vallon d'exil,
Elles n'en sortent plus et pour jamais emplissent
L'arcade du sombre sourcil !

II.

Donc, puisque j'ai parlé de ces heures de doute
Où l'un trouve le calme et l'autre le remords,
Je ne cacherai pas au peuple qui m'écoute
Que je songe souvent à ce que font les morts ;

Et que j'en suis venu -- tant la nuit étoilée
A fatigué de fois mes regards et mes vœux,
Et tant une pensée inquiète est mêlée
Aux racines de mes cheveux ! -

A croire qu'à la mort, continuant sa route,
L'âme, se souvenant de son humanité,
Envolée à jamais sous la céleste voûte,
A franchir l'infini passait l'éternité !

Et que les morts voyaient l'extase et la prière,
Nos deux rayons, pour eux grandir bien plus encore,
Et qu'ils étaient pareils à la mouche ouvrière,
Au vol rayonnant, aux pieds d'or,

Qui, visitant les fleurs pleines de chastes gouttes,
Semble une âme visible en ce monde réel,
Et, leur disant tout bas quelque mystère à toutes,
Leur laisse le parfum en leur prenant le miel !

Et qu'ainsi, faits vivants par le sépulcre même,
Nous irions tous un jour, dans l'espace vermeil,
Lire l'œuvre infinie et l'éternel poème,
Vers à vers, soleil à soleil !

Admirer tout système en ses formes fécondes,
Toute création dans sa variété,
Et, comparant à Dieu chaque face des mondes,
Avec l'âme de tout confronter leur beauté !

Et que chacun ferait ce voyage des âmes,
Pourvu qu'il ait souffert, pourvu qu'il ait pleuré.
Tous ! hormis les méchants, dont les esprits infâmes
Sont comme un livre déchiré.

Ceux-là, Saturne, un globe horrible et solitaire,
Les prendra pour le temps où Dieu voudra punir,
Châtiés à la fois par le ciel et la terre,
Par l'aspiration et par le souvenir !

III.

Saturne ! sphère énorme ! astre aux aspects funèbres !
Bagne du ciel ! prison dont le soupirail luit !
Monde en proie à la brume, aux souffles, aux ténèbres !
Enfer fait d'hiver et de nuit !

Son atmosphère flotte en zones tortueuses.
Deux anneaux flamboyants, tournant avec fureur,
Font, dans son ciel d'airain, deux arches monstrueuses
D'où tombe une éternelle et profonde terreur.

Ainsi qu'une araignée au centre de sa toile,
Il tient sept lunes d'or qu'il lie à ses essieux ;
Pour lui, notre soleil, qui n'est plus qu'une étoile,
Se perd, sinistre, au fond des cieux !

Les autres univers, l'entrevoyant dans l'ombre,
Se sont épouvantés de ce globe hideux.
Tremblants, ils l'ont peuplé de chimères sans nombre,
En le voyant errer formidable autour d'eux !

IV.

Oh ! ce serait vraiment un mystère sublime
Que ce ciel si profond, si lumineux, si beau,
Qui flamboie à nos yeux ouverts comme un abîme,
Fût l'intérieur du tombeau !

Que tout se révélât à nos paupières closes !
Que, morts, ces grands destins nous fussent réservés !...
Qu'en est-il de ce rêve et de bien d'autres choses ?
Il est certain, Seigneur, que seul vous le savez.

V.

Il est certain aussi que, jadis, sur la terre,
Le patriarche, ému d'un redoutable effroi,
Et les saints qui peuplaient la Thébaïde austère
Ont fait des songes comme moi ;

Que, dans sa solitude auguste, le prophète
Voyait, pour son regard plein d'étranges rayons,
Par la même fêlure aux réalités faite,
S'ouvrir le monde obscur des pâles visions ;

Et qu'à l'heure où le jour devant la nuit recule,
Ces sages que jamais l'homme, hélas ! ne comprit,
Mêlaient, silencieux, au morne crépuscule
Le trouble de leur sombre esprit ;

Tandis que l'eau sortait des sources cristallines,
Et que les grands lions, de moments en moments,
Vaguement apparus au sommet des collines,
Poussaient dans le désert de longs rugissements !

Avril 1839.
Muse méduse, vierge et tremblante séductrice
Tu m'as demandé de te conter fleurette
Avec des mots fleuris
Avec des mots obscènes
Une fois qu'on serait intimes
Des mots cochons
Des mots sales, crus, cuits et recuits
Des mots tabous, interdits
Indécents et lubriques
Et je t'ai demandé de me fournir un échantillon
Et tu m'as dit que tu n'en possédais aucun.

J'ai cherché en vain un mot qui pourrait te plaire à entendre,
Ma chérie miel
Et aussi bien me plaire à te murmurer à l'oreille
En plein badinage et tripotage
Quelque chose qui véhicule l'idée de muse
Et dans allumeuse il y a muse
Mais allumeuse n 'est pas cochon
J 'ai pensé à fille de joie, fille de vie, traînée, souillon,
Ma cochonne, ma gueuse
Obscènes d'un tout autre âge
Et c'est alors que j'ai entrevu un instant
De te chuchoter catin à l'oreille.
Catin ça fait penser à câlin c'est un avantage
Mais ça fait aussi penser à salope et ça je n 'ai pas trouvé très élégant,
Même quitte à ajouter merveilleuse juste devant,
Ni putain ni **** d'ailleurs, même avec magnifique ou tendre,
Je suis donc revenu en catimini à catin.
Catin de katharina la parfaite, de katharos, pur en grec
Catin de Catherine le diminutif
Ma petite muse catin à moi, ma poupée dévote orthodoxe
Et perverse juste à point comme j'aime
Catin precieuse comme Manon Lescaut, soprano
Et j 'ai laissé le mot tabou macérer dans ma bouche vile quatre jours et quart.
Un jour peut-être j'aurai l 'envie et le courage de te le dire en plein déluge.
Peut-être dans une autre langue.
En anglais par exemple strumpet, trollop, bawd
En portugais meretriz
En roumain cocota
En allemand wanderhure
Tu m'appelleras alors fripon, chevalier des Grieux, ténor,
Tu me demanderas alors de te chanter des chansons cochonnes
Sur des airs de Massenet ou de Puccini
Des chansons à boire, polissonnes
Que je te chanterai à tue-tête pendant l'acte.
Tu voudras me cravacher avec une plume de paon
Pendant que tu me monteras
Ou joueras à l'infirmière
On fera l'amour sur les bancs publics
Discrètement et sûrement
Et tu ne porteras pas ta petite culotte bleue
Imprimée de rares papillons morpho
On échangera nos fantasmes
Comme quand petits on échangeait nos images ou nos billes
Tout ce que nous n'avons jamais fait
Tout ce que nous rêvons de faire ensemble
On parlera de se baîllonner, de s'entraver, de s'attacher
de se mettre un bandeau sur les yeux
On improvisera
Tu seras Poppy la cosmonaute
Et moi E.T. le martien.
Tu seras Apollo VIII
Et moi Cap Canaveral
Obscènes et heureux
Complices
Nus et sincères et amoureux
Dans un voyage intersidéral d'aller-retours
Entre la Terre et la Lune
Saturne et ses lunes
En apesanteur
Pour deux éternités.