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L'aurore se levait, la mer battait la plage ;
Ainsi parla Sapho debout sur le rivage,
Et près d'elle, à genoux, les filles de ******
Se penchaient sur l'abîme et contemplaient les flots :

Fatal rocher, profond abîme !
Je vous aborde sans effroi !
Vous allez à Vénus dérober sa victime :
J'ai méconnu l'amour, l'amour punit mon crime.
Ô Neptune ! tes flots seront plus doux pour moi !
Vois-tu de quelles fleurs j'ai couronné ma tête ?
Vois : ce front, si longtemps chargé de mon ennui,
Orné pour mon trépas comme pour une fête,
Du bandeau solennel étincelle aujourd'hui !

On dit que dans ton sein... mais je ne puis le croire !
On échappe au courroux de l'implacable Amour ;
On dit que, par tes soins, si l'on renaît au jour,
D'une flamme insensée on y perd la mémoire !
Mais de l'abîme, ô dieu ! quel que soit le secours,
Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours !
Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices
Un oubli passager, vain remède à mes maux !
J'y viens, j'y viens trouver le calme des tombeaux !
Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices !
Et vous, pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces vains sanglots ?
Chantez, chantez un hymne, ô vierges de ****** !

Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse ?
C'était sous les bosquets du temple de Vénus ;
Moi-même, de Vénus insensible prêtresse,
Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse :
Aux pieds de ses autels, soudain je t'aperçus !
Dieux ! quels transports nouveaux ! ô dieux ! comment décrire
Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois ?
Ma langue se glaça, je demeurais sans voix,
Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre !
Non : jamais aux regards de l'ingrate Daphné
Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone ;
Jamais le thyrse en main, de pampres couronné,
Le jeune dieu de l'Inde, en triomphe traîné,
N'apparut plus brillant aux regards d'Erigone.
Tout sortit... de lui seul je me souvins, hélas !
Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure,
J'errais seule et pensive autour de sa demeure.
Un pouvoir plus qu'humain m'enchaînait sur ses pas !
Que j'aimais à le voir, de la foule enivrée,
Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux,
Lancer le disque au ****, d'une main assurée,
Et sur tous ses rivaux l'emporter dans nos jeux !
Que j'aimais à le voir, penché sur la crinière
D'un coursier de I'EIide aussi prompt que les vents,
S'élancer le premier au bout de la carrière,
Et, le front couronné, revenir à pas lents !
Ah ! de tous ses succès, que mon âme était fière !
Et si de ce beau front de sueur humecté
J'avais pu seulement essuyer la poussière...
Ô dieux ! j'aurais donné tout, jusqu'à ma beauté,
Pour être un seul instant ou sa soeur ou sa mère !
Vous, qui n'avez jamais rien pu pour mon bonheur !
Vaines divinités des rives du Permesse,
Moi-même, dans vos arts, j'instruisis sa jeunesse ;
Je composai pour lui ces chants pleins de douceur,
Ces chants qui m'ont valu les transports de la Grèce :
Ces chants, qui des Enfers fléchiraient la rigueur,
Malheureuse Sapho ! n'ont pu fléchir son coeur,
Et son ingratitude a payé ta tendresse !

Redoublez vos soupirs ! redoublez vos sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Si l'ingrat cependant s'était laissé toucher !
Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes
A son indifférence avaient pu l'arracher !
S'il eût été du moins attendri par mes larmes !
Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux
N'aurait filé des jours plus doux, plus glorieux !
Que d'éclat cet amour eût jeté sur sa vie !
Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie !
Et l'amant de Sapho, fameux dans l'univers,
Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers !
C'est pour lui que j'aurais, sur tes autels propices,
Fait fumer en tout temps l'encens des sacrifices,
Ô Vénus ! c'est pour lui que j'aurais nuit et jour
Suspendu quelque offrande aux autels de l'Amour !
C'est pour lui que j'aurais, durant les nuits entières
Aux trois fatales soeurs adressé mes prières !
Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux,
J'aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux !
Pour lui j'aurais voulu dans les jeux d'Ionie
Disputer aux vainqueurs les palmes du génie !
Que ces lauriers brillants à mon orgueil offerts
En les cueillant pour lui m'auraient été plus chers !
J'aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire,
Et couronné son front des rayons de ma gloire.

Souvent à la prière abaissant mon orgueil,
De ta porte, ô Phaon ! j'allais baiser le seuil.
Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse
Me refuse à jamais ce doux titre d'épouse,
Souffre, ô trop cher enfant, que Sapho, près de toi,
Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi !
Que m'importe ce nom et cette ignominie !
Pourvu qu'à tes côtés je consume ma vie !
Pourvu que je te voie, et qu'à mon dernier jour
D'un regard de pitié tu plaignes tant d'amour !
Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse ;
Vénus égalera ma force à ma tendresse.
Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas,
Tu me verras te suivre au milieu des combats ;
Tu me verras, de Mars affrontant la furie,
Détourner tous les traits qui menacent ta vie,
Entre la mort et toi toujours prompte à courir...
Trop heureuse pour lui si j'avais pu mourir !

Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone,
Sous la tente au sommeil ton âme s'abandonne,
Ce sommeil, ô Phaon ! qui n'est plus fait pour moi,
Seule me laissera veillant autour de toi !
Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière,
Assise à tes côtés durant la nuit entière,
Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour,
Je charmerai ta peine en attendant le jour !

Je disais; et les vents emportaient ma prière !
L'écho répétait seul ma plainte solitaire ;
Et l'écho seul encor répond à mes sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !
Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire !
Ô lyre ! que ma main fit résonner pour lui,
Ton aspect que j'aimais m'importune aujourd'hui,
Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire
Et mes feux, et ma honte, et l'ingrat qui m'a fui !
Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste !
Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis
Je ne te suspends pas ! que le courroux céleste
Sur ces flots orageux disperse tes débris !
Et que de mes tourments nul vestige ne reste !
Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers
Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers !
Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre !
Que ne puis-je aux Enfers descendre tout entière !
Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon,
Emporter avec moi l'opprobre de mon nom !

Cependant si les dieux que sa rigueur outrage
Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage ?
Si de ce lieu suprême il pouvait s'approcher ?
S'il venait contempler sur le fatal rocher
Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée,
Frappant de vains sanglots la rive désolée,
Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort,
Et dressant lentement les apprêts de sa mort ?
Sans doute, à cet aspect, touché de mon supplice,
Il se repentirait de sa longue injustice ?
Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer
Il dirait à Sapho : Vis encor pour aimer !
Qu'ai-je dit ? **** de moi quelque remords peut-être,
A défaut de l'amour, dans son coeur a pu naître :
Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux,
Il frissonne, il s'arrête, il revient vers ces lieux ?
Il revient m'arrêter sur les bords de l'abîme ;
Il revient !... il m'appelle... il sauve sa victime !...
Oh ! qu'entends-je ?... écoutez... du côté de ******
Une clameur lointaine a frappé les échos !
J'ai reconnu l'accent de cette voix si chère,
J'ai vu sur le chemin s'élever la poussière !
Ô vierges ! regardez ! ne le voyez-vous pas
Descendre la colline et me tendre les bras ?...
Mais non ! tout est muet dans la nature entière,
Un silence de mort règne au **** sur la terre :
Le chemin est désert !... je n'entends que les flots...
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Mais déjà s'élançant vers les cieux qu'il colore
Le soleil de son char précipite le cours.
Toi qui viens commencer le dernier de mes jours,
Adieu dernier soleil ! adieu suprême aurore !
Demain du sein des flots vous jaillirez encore,
Et moi je meurs ! et moi je m'éteins pour toujours !
Adieu champs paternels ! adieu douce contrée !
Adieu chère ****** à Vénus consacrée !
Rivage où j'ai reçu la lumière des cieux !
Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance
D'une tremblante main me consacrant aux dieux,
Au culte de Vénus dévoua mon enfance !
Et toi, forêt sacrée, où les filles du Ciel,
Entourant mon berceau, m'ont nourri de leur miel,
Adieu ! Leurs vains présents que le vulgaire envie,
Ni des traits de l'Amour, ni des coups du destin,
Misérable Sapho ! n'ont pu sauver ta vie !
Tu vécus dans les Pleurs, et tu meurs au matin !
Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée !
Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel.
Une jeune victime à ton temple amenée,
Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée,
Vient tomber avant l'âge au pied de ton autel !

Et vous qui reverrez le cruel que j'adore
Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux,
Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux !
Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore !

Elle dit, et le soir, quittant le bord des flots,
Vous revîntes sans elle, ô vierges de ****** !
Tant que mon pauvre cœur, encor plein de jeunesse,
A ses illusions n'aura pas dit adieu,
Je voudrais m'en tenir à l'antique sagesse,
Qui du sobre Épicure a fait un demi-dieu
Je voudrais vivre, aimer, m'accoutumer aux hommes
Chercher un peu de joie et n'y pas trop compter,
Faire ce qu'on a fait, être ce que nous sommes,
Et regarder le ciel sans m'en inquiéter.

Je ne puis ; - malgré moi l'infini me tourmente.
Je n'y saurais songer sans crainte et sans espoir ;
Et, quoi qu'on en ait dit, ma raison s'épouvante
De ne pas le comprendre et pourtant de le voir.
Qu'est-ce donc que ce monde, et qu'y venons-nous faire,
Si pour qu'on vive en paix, il faut voiler les cieux ?
Passer comme un troupeau les yeux fixés à terre,
Et renier le reste, est-ce donc être heureux ?
Non, c'est cesser d'être homme et dégrader son âme.
Dans la création le hasard m'a jeté ;
Heureux ou malheureux, je suis né d'une femme,
Et je ne puis m'enfuir hors de l'humanité.

Que faire donc ? « Jouis, dit la raison païenne ;
Jouis et meurs ; les dieux ne songent qu'à dormir.
- Espère seulement, répond la foi chrétienne ;
Le ciel veille sans cesse, et tu ne peux mourir. »
Entre ces deux chemins j'hésite et je m'arrête.
Je voudrais, à l'écart, suivre un plus doux sentier.
Il n'en existe pas, dit une voix secrète ;
En présence du ciel, il faut croire ou nier.
Je le pense en effet ; les âmes tourmentées
Dans l'un et l'autre excès se jettent tour à tour,
Mais les indifférents ne sont que des athées ;
Ils ne dormiraient plus s'ils doutaient un seul jour.
Je me résigne donc, et, puisque la matière
Me laisse dans le cœur un désir plein d'effroi,
Mes genoux fléchiront ; je veux croire et j'espère.
Que vais-je devenir, et que veut-on de moi ?
Me voilà dans les mains d'un Dieu plus redoutable
Que ne sont à la fois tous les maux d'ici-bas ;
Me voilà seul, errant, fragile et misérable,
Sous les yeux d'un témoin qui ne me quitte pas.
Il m'observer il me suit. Si mon cœur bat trop vite,
J'offense sa grandeur et sa divinité.
Un gouffre est sous mes pas si je m'y précipite,
Pour expier une heure il faut l'éternité.
Mon juge est un bourreau qui trompe sa victime.
Pour moi, tout devient piège et tout change de nom
L'amour est un péché, le bonheur est un crime,
Et l'œuvre des sept jours n'est que tentation
Je ne garde plus rien de la nature humaine ;
Il n'existe pour moi ni vertu ni remord .
J'attends la récompense et j'évite la peine ;
Mon seul guide est la peur, et mon seul but, la mort
On me dit cependant qu'une joie infinie
Attend quelques élus. - Où sont-ils, ces heureux ?
Si vous m'avez trompé, me rendrez-vous la vie ?
Si vous m'avez dit vrai, m'ouvrirez-vous les cieux ?
Hélas ! ce beau pays dont parlaient vos prophètes,
S'il existe là-haut, ce doit être un désert
Vous les voulez trop purs, les heureux que vous faites,
Et quand leur joie arrive, ils en ont trop souffert.
Je suis seulement homme, et ne veux pas moins être,
Ni tenter davantage. - À quoi donc m'arrêter ?
Puisque je ne puis croire aux promesses du prêtre,
Est-ce l'indifférent que je vais consulter ?

Si mon cœur, fatigué du rêve qui l'obsède,
À la réalité revient pour s'assouvir,
Au fond des vains plaisirs que j'appelle à mon aide
Je trouve un tel dégoût, que je me sens mourir
Aux jours même où parfois la pensée est impie,
Où l'on voudrait nier pour cesser de douter,
Quand je posséderais tout ce qu'en cette vie
Dans ses vastes désirs l'homme peut convoiter ;
Donnez-moi le pouvoir, la santé, la richesse,
L'amour même, l'amour, le seul bien d'ici-bas !
Que la blonde Astarté, qu'idolâtrait la Grèce,
De ses îles d'azur sorte en m'ouvrant les bras ;
Quand je pourrais saisir dans le sein de la terre
Les secrets éléments de sa fécondité,
Transformer à mon gré la vivace matière
Et créer pour moi seul une unique beauté ;
Quand Horace, Lucrèce et le vieil Épicure,
Assis à mes côtés m'appelleraient heureux
Et quand ces grands amants de l'antique nature
Me chanteraient la joie et le mépris des dieux,
Je leur dirais à tous : « Quoi que nous puissions faire,
Je souffre, il est trop **** ; le monde s'est fait vieux
Une immense espérance a traversé la terre ;
Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux ! »
Que me reste-t-il donc ? Ma raison révoltée
Essaye en vain de croire et mon cœur de douter
De chrétien m'épouvante, et ce que dit l'athée,
En dépit de mes sens, je ne puis l'écouter.
Les vrais religieux me trouveront impie,
Et les indifférents me croiront insensé.
À qui m'adresserai-je, et quelle voix amie
Consolera ce cœur que le doute a blessé ?

Il existe, dit-on, une philosophie
Qui nous explique tout sans révélation,
Et qui peut nous guider à travers cette vie
Entre l'indifférence et la religion.
J'y consens. - Où sont-ils, ces faiseurs de systèmes,
Qui savent, sans la foi, trouver la vérité,
Sophistes impuissants qui ne croient qu'en eux-mêmes ?
Quels sont leurs arguments et leur autorité ?
L'un me montre ici-bas deux principes en guerre,
Qui, vaincus tour à tour, sont tous deux immortels ;
L'autre découvre au ****, dans le ciel solitaire,
Un inutile Dieu qui ne veut pas d'autels.
Je vois rêver Platon et penser Aristote ;
J'écoute, j'applaudis, et poursuis mon chemin
Sous les rois absolus je trouve un Dieu despote ;
On nous parle aujourd'hui d'un Dieu républicains.
Pythagore et Leibniz transfigurent mon être.
Descartes m'abandonne au sein des tourbillons.
Montaigne s'examine, et ne peut se connaître.
Pascal fuit en tremblant ses propres visions.
Pyrrhon me rend aveugle, et Zénon insensible.
Voltaire jette à bas tout ce qu'il voit debout
Spinoza, fatigué de tenter l'impossible,
Cherchant en vain son Dieu, croit le trouver partout.
Pour le sophiste anglais l'homme est une machine.
Enfin sort des brouillards un rhéteur allemand
Qui, du philosophisme achevant la ruine,
Déclare le ciel vide, et conclut au néant.

Voilà donc les débris de l'humaine science !
Et, depuis cinq mille ans qu'on a toujours douté,
Après tant de fatigue et de persévérance,
C'est là le dernier mot qui nous en est rester
Ah ! pauvres insensés, misérables cervelles,
Qui de tant de façons avez tout expliqué,
Pour aller jusqu'aux cieux il vous fallait des ailes ;
Vous aviez le désir, la foi vous a manqué.
Je vous plains ; votre orgueil part d'une âme blesses,
Vous sentiez les tourments dont mon cœur est rempli
Et vous la connaissiez, cette amère pensée
Qui fait frissonner l'homme en voyant l'infini.
Eh bien, prions ensemble,-abjurons la misère
De vos calculs d'enfants, de tant de vains travaux !
Maintenant que vos corps sont réduits en poussière
J'irai m'agenouiller pour vous sur vos tombeaux.
Venez, rhéteurs païens, maîtres de la science,
Chrétiens des temps passés et rêveurs d'aujourd'hui ;
Croyez-moi' la prière est un cri d'espérance !
Pour que Dieu nous réponde, adressons-nous à lui,
Il est juste, il est bon ; sans doute il vous pardonne.
Tous vous avez souffert, le reste est oublié.
Si le ciel est désert, nous n'offensons personne ;
Si quelqu'un nous entend, qu'il nous prenne en pitié !

Ô toi que nul n'a pu connaître,
Et n'a renié sans mentir,
Réponds-moi, toi qui m'as fait naître,
Et demain me feras mourir !

Puisque tu te laisses comprendre,
Pourquoi fais-tu douter de toi ?
Quel triste plaisir peux-tu prendre
À tenter notre bonne foi ?

Dès que l'homme lève la tête,
Il croit t'entrevoir dans les cieux ;
La création, sa conquête,
N'est qu'un vaste temple à ses yeux.

Dès qu'il redescend en lui-même,
Il l'y trouve ; tu vis en lui.
S'il souffre, s'il pleure, s'il aime,
C'est son Dieu qui le veut ainsi.

De la plus noble intelligence
La plus sublime ambition
Est de prouver ton existence,
Et de faire épeler ton nom.

De quelque façon qu'on t'appelle,
Brahma, Jupiter ou Jésus,
Vérité, Justice éternelle,
Vers toi tous les bras sont tendus.

Le dernier des fils de la terre
Te rend grâces du fond du coeur,
Dès qu'il se mêle à sa misère
Une apparence de bonheur.

Le monde entier te glorifie :
L'oiseau te chante sur son nid ;
Et pour une goutte de pluie
Des milliers d'êtres t'ont béni.

Tu n'as rien fait qu'on ne l'admire ;
Rien de toi n'est perdu pour nous ;
Tout prie, et tu ne peux sourire
Que nous ne tombions à genoux.

Pourquoi donc, ô Maître suprême,
As-tu créé le mal si grand,
Que la raison, la vertu même
S'épouvantent en le voyant ?

Lorsque tant de choses sur terre
Proclament la Divinité,
Et semblent attester d'un père
L'amour, la force et la bonté,

Comment, sous la sainte lumière,
Voit-on des actes si hideux,
Qu'ils font expirer la prière
Sur les lèvres du malheureux ?

Pourquoi, dans ton oeuvre céleste,
Tant d'éléments si peu d'accord ?
À quoi bon le crime et la peste ?
Ô Dieu juste ! pourquoi la mort ?

Ta pitié dut être profonde
Lorsqu'avec ses biens et ses maux,
Cet admirable et pauvre monde
Sortit en pleurant du chaos !

Puisque tu voulais le soumettre
Aux douleurs dont il est rempli,
Tu n'aurais pas dû lui permettre
De t'entrevoir dans l'infini.

Pourquoi laisser notre misère
Rêver et deviner un Dieu ?
Le doute a désolé la terre ;
Nous en voyons trop ou trop peu.

Si ta chétive créature
Est indigne de t'approcher,
Il fallait laisser la nature
T'envelopper et te cacher.

Il te resterait ta puissance,
Et nous en sentirions les coups ;
Mais le repos et l'ignorance
Auraient rendu nos maux plus doux.

Si la souffrance et la prière
N'atteignent pas ta majesté,
Garde ta grandeur solitaire,
Ferme à jamais l'immensité.

Mais si nos angoisses mortelles
Jusqu'à toi peuvent parvenir ;
Si, dans les plaines éternelles,
Parfois tu nous entends gémir,

Brise cette voûte profonde
Qui couvre la création ;
Soulève les voiles du monde,
Et montre-toi, Dieu juste et bon !

Tu n'apercevras sur la terre
Qu'un ardent amour de la foi,
Et l'humanité tout entière
Se prosternera devant toi.

Les larmes qui l'ont épuisée
Et qui ruissellent de ses yeux,
Comme une légère rosée
S'évanouiront dans les cieux.

Tu n'entendras que tes louanges,
Qu'un concert de joie et d'amour
Pareil à celui dont tes anges
Remplissent l'éternel séjour ;

Et dans cet hosanna suprême,
Tu verras, au bruit de nos chants,
S'enfuir le doute et le blasphème,
Tandis que la Mort elle-même
Y joindra ses derniers accents.
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

- Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !

II

Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son cors Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

III

Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !

- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.

Ô ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...

IV

Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens  
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur,
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire,
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !

Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au **** dans une longue extase...
C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini !

Le 29 avril 1870.
Ex-voto dans le goût espagnol.

Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur,
**** du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d'un pur métal
Savamment constellé de rimes de cristal,
Je ferai pour ta tête une énorme Couronne ;
Et dans ma jalousie, ô mortelle Madone,
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes ;
Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes !
Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
Et revêt d'un baiser tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
De satin, par tes pieds divins humiliés,
Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte,
Comme un moule fidèle en garderont l'empreinte.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent,
Pour Marchepied tailler une Lune d'argent,
Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles
Sous tes talons, afin que tu foules et railles,
Reine victorieuse et féconde en rachats,
Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges
Devant l'autel fleuri de la Reine des Vierges,
Étoilant de reflets le plafond peint en bleu,
Te regarder toujours avec des yeux de feu ;
Et comme tout en moi te chérit et t'admire,
Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,
En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,
Et pour mêler l'amour avec la barbarie,
Volupté noire ! des sept Péchés capitaux,
Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux
Bien affilés, et, comme un jongleur insensible,
Prenant le plus profond de ton amour pour cible,
Je les planterai tous dans ton Coeur pantelant,
Dans ton Coeur sanglotant, dans ton Coeur ruisselant !
Eh quoi ! prier déjà.... tu bégayes encore ;
De la vie, ici-bas, tu n'as vu que l'aurore ;
Pour loi, le beau printemps n'est venu que deux fois ;
À peine connaît-on le doux son de ta voix.
Et cependant, docile aux leçons d'une mère,
Tu bégayes déjà quelques mots de prière !
Oh ! laisse la prière au cœur des malheureux,
Et toi, petit enfant, va reprendre tes jeux !

Pourvu qu'à ton réveil, s'échappant de sa cage,
L'oiseau qui te connaît commence son ramage,
Qu'il reste près de toi ; que d'un bouquet nouveau,
Ta mère, en souriant, vienne orner ton berceau ;
Pourvu que vers le soir, sa voix mélodieuse
T'endorme doucement, ou que, silencieuse,
Elle ébranle ta couche, et d'un léger effort,
En longs balancements t'endorme mieux encor :
C'est là tout le bonheur de ta paisible enfance.
Et comment prierais-tu ? tu n'as pas d'espérance !
À ton âge charmant, l'existence est un jour,
Où le rire et les pleurs s'effacent tour à tour.

Plus ****, petit enfant, poursuivant ton voyage,
Ton cœur s'agitera du trouble du jeune âge ;
Tu sentiras alors les charmes enivrants
De nos illusions, rêves purs et charmants.
Un doux espoir, ainsi qu'une ombre fugitive,
Apparaîtra soudain à ton âme naïve,
Te faisant pressentir l'amour et le bonheur...
Alors, il sera temps de prier le Seigneur !

À genoux devant lui, plein de foi, d'espérance,
On dit tout sans parler ; - Dieu comprend le silence.
Ô mon Dieu ! que l'on aime à vous prier longtemps,
Lorsqu'on veut être heureux et que l'on a seize ans !

Car, hélas ! jeune enfant, pendant le long voyage,
Nous n'avons pas toujours un beau ciel sans nuage ;
Le limpide ruisseau qui s'en va murmurant,
Se change bien souvent en horrible torrent,
Et l'aquilon, soufflant sur la barque légère,
Vient la briser, le soir, aux écueils de la terre.
Va jouer, bel enfant !... il te faudra plus ****
Souffrir ainsi que nous : ta vie aura sa part !
Tu verras fuir l'espoir qui venait de paraître ;
Un jour, on t'aimera..., l'on t'oubliera peut-être !...
Ah ! qu'ai-je dit, enfant ? -Suspends, suspends tes jeux
Joins tes petites mains, et regarde les cieux.
Ian Beckett Nov 2012
Je t'aime ouvertement
Mais ça tu ne peux pas le voir
Parce que tu regardes
Dans la mauvaise direction
Tourne-toi à présent
Et tu verras.

Je t'aime discrètement
Mais ça tu ne peux pas l'entendre
Parce que tu écoutes
Dans la surdité du silence
Cherche notre amour à présent
Et tu l'entendras.

Je t'aime entièrement
Mais ça tu ne peux pas l'éprouver
Parce que nous nous touchons
Parfois dans la tristesse
Serre-moi plus fort à présent
Et tu le sentiras.
J'ai dans mon coeur, dont tout voile s'écarte,
Deux bancs d'ivoire, une table en cristal,
Où sont assis, tenant chacun leur carte,
Ton faux amour et mon amour loyal.

J'ai dans mon coeur, dans mon coeur diaphane,
Ton nom chéri qu'enferme un coffret d'or ;
Prends-en la clef, car nulle main profane
Ne doit l'ouvrir ni ne l'ouvrit encor.

Fouille mon coeur, ce coeur que tu dédaignes
Et qui pourtant n'est peuplé que de toi,
Et tu verras, mon amour, que tu règnes
Sur un pays dont nul homme n'est roi !
Deux enfants d'un fermier, gentils, espiègles, beaux,
Mais un peu gâtés par leur père,
Cherchant des nids dans leur enclos,
Trouvèrent de petits perdreaux
Qui voletaient après leur mère.
Vous jugez de la joie, et comment mes bambins
À la troupe qui s'éparpille
Vont partout couper les chemins,
Et n'ont pas assez de leurs mains
Pour prendre la pauvre famille !
La perdrix, traînant l'aile, appelant ses petits,
Tourne en vain, voltige, s'approche ;
Déjà mes jeunes étourdis
Ont toute sa couvée en poche.
Ils veulent partager comme de bons amis ;
Chacun en garde six, il en reste un treizième :
L'aîné le veut, l'autre le veut aussi.
- Tirons au doigt mouillé. - Parbleu non. - Parbleu si.
- Cède, ou bien tu verras. - Mais tu verras toi-même.
De propos en propos, l'aîné, peu patient,
Jette à la tête de son frère
Le perdreau disputé. Le cadet en colère
D'un des siens riposte à l'instant.
L'aîné recommence d'autant ;
Et ce jeu qui leur plaît couvre autour d'eux la terre
De pauvres perdreaux palpitants.
Le fermier, qui passait en revenant des champs,
Voit ce spectacle sanguinaire,
Accourt, et dit à ses enfants :
Comment donc ! Petits rois, vos discordes cruelles
Font que tant d'innocents expirent par vos coups !
De quel droit, s'il vous plaît, dans vos tristes querelles,
Faut-il que l'on meure pour vous ?
Ode XXVIII.

Si j'avois un riche tresor,
Ou des vaisseaux engravez d'or,
Tableaux ou medailles de cuivre,
Ou ces joyaux qui font passer
Tant de mers pour les amasser,
Où le jour se laisse revivre,

Je t'en ferois un beau present.
Mais quoy ! cela ne t'est plaisant,
Aux richesses tu ne t'amuses
Qui ne font que nous estonner ;
C'est pourquoy je te veux donner
Le bien que m'ont donné les Muses.

Je sçay que tu contes assez
De biens l'un sur l'autre amassez,
Qui perissent comme fumée,
Ou comme un songe qui s'enfuit
Du cerveau si tost que la nuit
Au second somme est consumée.

L'un au matin s'enfle en son bien,
Qui au soleil couchant n'a rien,
Par défaveur, ou par disgrace,
Ou par un changement commun,
Ou par l'envie de quelqu'un
Qui ravit ce que l'autre amasse.

Mais les beaux vers ne changent pas,
Qui durent contre le trespas,
Et en devançant les années,
Hautains de gloire et de bonheur,
Des hommes emportent l'honneur
Dessur leurs courses empennées.

Dy-moy, Verdun, qui penses-tu
Qui ait deterré la vertu
D'Hector, d'Achille et d'Alexandre,
Envoyé Bacchus dans les Cieux,
Et Hercule au nombre des dieux,
Et de Junon l'a fait le gendre,

Sinon le vers bien accomply,
Qui tirant leurs noms de l'oubly,
Plongez au plus profond de l'onde
De Styx, les a remis au jour,
Les relogeant au grand sejour
Par deux fois de nostre grand monde ?

Mort est l'honneur de tant de rois
Espagnols, germains et françois,
D'un tombeau pressant leur mémoire ;
Car les rois et les empereurs
Ne different aux laboureurs
Si quelcun ne chante leur gloire.

Quant à moy, je ne veux souffrir
Que ton beau nom se vienne offrir
A la Mort, sans que je le vange,
Pour n'estre jamais finissant,
Mais d'âge en âge verdissant,
Surmonter la Mort et le change.

Je veux, malgré les ans obscurs,
Que tu sois des peuples futurs
Cognu sur tous ceux de nostre âge,
Pour avoir conçeu volontiers
Des neuf Pucelles les mestiers,
Qui t'ont enflamé le courage,

Non pas au gain ny au vil prix,
Mais pour estre des mieux appris
Entre les hommes qui s'assemblent
Sur Parnasse au double sourci ;
C'est pourquoy tu aimes aussi
Les bons esprits qui te ressemblent.

Or pour le plaisir, quant à moy,
Verdun, que j'ay reçeu de toy,
Tu n'auras rien de ton poète
Sinon ces vers que je t'ay faits,
Et avec ces vers les souhaits
Que pour bonheur je te souhaite.

Dieu vueille benir ta maison
De beaux enfans naiz à foison
De ta femme belle et pudique ;
La concorde habite en ton lit,
Et bien **** de toy soit le bruit
De toute noise domestique.

Sois gaillard, dispost et joyeux,
Ny convoiteux ny soucieux
Des choses qui nous rongent l'âme ;
Fuy toutes sortes de douleurs,
Et ne pren soucy des malheurs
Qui sont predits par Nostradame.

Ne romps ton tranquille repos
Pour papaux, ny pour huguenots,
Ny amy d'eux, ny adversaire,
Croyant que Dieu père très doux
(Qui n'est partial comme nous)
Sçait ce qui nous est nécessaire.

N'ayes soucy du lendemain,
Mais, serrant le temps en la main,
Vy joyeusement la journée
Et l'heure en laquelle seras :
Et que sçais-tu si tu verras
L'autre lumiere retournée ?

Couche-toy à l'ombre d'un bois,
Ou près d'un rivage où la vois
D'une fontaine jazeresse
Tressaute, et tandis que tes ans
Sont encore et verds et plaisans,
Par le jeu trompe la vieillesse.

Tout incontinent nous mourrons,
Et bien **** bannis nous irons
Dedans une nacelle obscure
Où plus de rien ne nous souvient,
Et d'où jamais on ne revient :
Car ainsi l'a voulu Nature.
Pour que je t'aime, ô mon poète,
Ne fais pas fuir par trop d'ardeur
Mon amour, colombe inquiète,
Au ciel rose de la pudeur.

L'oiseau qui marche dans l'allée
S'effraye et part au moindre bruit ;
Ma passion est chose ailée
Et s'envole quand on la suit.

Muet comme l'Hermès de marbre,
Sous la charmille pose-toi ;
Tu verras bientôt de son arbre
L'oiseau descendre sans effroi.

Tes tempes sentiront près d'elles,
Avec des souffles de fraîcheur,
Une palpitation d'ailes
Dans un tourbillon de blancheur,

Et la colombe apprivoisée
Sur ton épaule s'abattra,
Et son bec à pointe rosée
De ton baiser s'enivrera.
Lucas Pilleul Jun 2017
C'est un souffle de vie qui s'engouffre dans ton esprit quand, seul je m'évanouis dans des pensées pour le moins grotesques, que tu répulses.
Viendra un jour où tu te rendras compte que rien n'est vrai.
Ni ce que tu dis, ni ce que tu vois, ni cet oiseau qui au bas de ta fenêtre se fait abattre sèchement par un chat errant.
Rien n'est vrai. Penses-tu à ton avenir, penses-tu à ta famille ?
Oui, quelle question. Il n'est pas un jour, pas une minute sans que tu y penses.
Tu te prépares à vivre. Mais à quoi bon?
À quoi bon vivre si ce n'est pour être heureux ? À quoi bon vivre si ce n'est pour faire le bien ? Parlez moi de profit ; sans doute n'évoquons nous pas la même chose.
Parlez moi de liberté ; sans doute n'évoquons nous pas la même chose.
Rien n'est vrai. Rien n'est vrai sauf l'espoir d'un monde meilleur, sauf l'espoir d'un monde uni, d'un respect hors du commun entre chaque Homme. Mais qui a compris ça ? les puissants de ce monde ? les riches ? Non, eux ne pensent qu'à l'argent et à leur profit, qu'à leur villa et à leur yacht.
Pensons à la connaissance, à l'humanisme... mettons nous au service de nous même, plutôt que contre nous.
Alors oui, tu penses qu'il n'est qu'une illusion, mais recule de trois pas, et tu le verras, là, juste à tes pieds, l'espoir.
#2
Que n'as-tu comme moi pris naissance au village !
Que n'as-tu pour tout bien un modeste troupeau !
Olivier ! les trésors d'un brillant héritage
Valent-ils le bonheur que t'offrit le hameau ?

Tu vas donc sans regret quitter ce simple asile !
Le calme pour le bruit, et les champs pour la cour !
Tes beaux jours, Olivier, couleront à la ville,
Et moi dans un hameau je vais mourir d'amour.

Si jamais au village un regret te ramène,
Si tes pas incertains s'égarent au vallon,
Tu verras nos deux noms gravés sur le vieux chêne,
Et le cœur qui t'aima couvert d'un froid gazon.

Comme la fleur des bois qui se dessèche et tombe,
Le soir d'un jour brûlant verra finir mon sort ;
Et notre bon pasteur écrira sur ma tombe :
« Olivier ! ne plains pas la douleur qui s'endort. »
Je voudrais être, sur la terre,
L'unique héritier des grands rois
Dont la force et l'éclat font taire
Tous les revendiqueurs des droits,

De ces rois d'Asie et d'Afrique,
Monarques des derniers pays
Où les maîtres sont, sans réplique,
Sans réserve, encore obéis.

Je verrais, à mon tour idole,
Les trois quarts du monde vivant
Se prosterner sous ma parole
Comme un champ de blés sous le vent.

Les tribus des races voisines
Feraient affluer par milliers
Les venaisons dans mes cuisines,
Les vins rares dans mes celliers,

Des chevaux plein mes écuries,
Des meutes traînant leurs valets,
Des marbres, des tapisseries,
Des vases d'or, plein mes palais !

Sous mes mains j'aurais des captives
Belles de pleurs, et sous mes pieds
Les têtes fières ou craintives
De leurs pères humiliés.

Je posséderais sans conquête
Mon vaste empire, et sans rival !
Dans la sécurité complète
D'un pouvoir salué légal.

Alors, alors, ô joie intense !
Convoquant mon peuple et ma cour,
Devant la servile assistance
Moi-même, en plein règne, au grand jour,

Avec un cynisme suprême,
Je briserais sur mon genou
Le sceptre avec le diadème,
Comme un enfant casse un joujou ;

De mes épaules accablées
Arrachant le royal manteau,
Aux multitudes assemblées
Je jetterais l'affreux fardeau ;

Pour les déshérités prodigue
Je laisserais tous mes trésors,
Comme un torrent qui rompt sa digue,
Se précipiter au dehors ;

Cessant d'appuyer ma sandale
Sur la nuque des prisonniers ;
Je rendrais la terre natale
Aux plus fameux comme aux derniers ;

J'abandonnerais à mes troupes
Tout l'or glorieux des rançons ;
Puis je laisserais dans mes coupes
Boire mes propres échansons ;

Sur mes parcs, mes greniers, mes caves,
Par-dessus fossé, grille et mur,
Je lâcherais tous mes esclaves
Comme des ramiers dans l'azur !

Tout mon harem, filles et veuves,
S'en retournerait au foyer,
Pour enfanter des races neuves
Que nul tyran ne pût broyer,

Qui ne fussent plus la curée
D'un vainqueur, suppôt de la mort,
Mais serves d'une loi jurée
Dans un libre et paisible accord,

Fondant la cité juste et bonne
Où chaque homme en levant la main
Sent qu'il atteste en sa personne
La dignité du genre humain !

Et moi qui fuis même la gêne
Des pactes librement conclus,
Moi qui ne suis roseau ni chêne,
Ni souple, ni viril non plus,

Je m'en irais finir ma vie
Au milieu des mers, sous l'azur,
Dans une île, une île assoupie
Dont le sol serait vierge et sûr,

Île qui n'aurait pas encore
Senti l'ancre des noirs vaisseaux,
Dont n'approcheraient que l'aurore,
Le nuage et le pli des eaux.

Dans cette oasis embaumée,
**** des froides lois en vigueur,
Viens, dirais-je à la bien-aimée,
Appuyer ton cœur sur mon cœur ;

Des lianes feront guirlandes
Entre les palmiers sur nos fronts,
Et tu verras des fleurs si grandes
Qu'ensemble nous y dormirons.
Ode
(Au Révérend Père Delidel de la Compagnie de
Jésus, sur son traité de la Théologie des Saints.)

Toi qui nous apprends de la Grâce
Quelle est la force et la douceur,
Comme elle descend dans un cœur,
Comme elle agit, comme elle passe,
Docte Ecrivain, dont l'œil perçant,
Va jusqu'au sein du Tout-puissant
Pénétrer ce profond abîme,
Que les hommes te vont devoir !
Et que le prix en est ineffable et sublime,
De ces biens que par-là tu mets en leur pouvoir !

Oui, tant que durera ta course,
Tu peux, mortel, à pleines mains ;
Puiser des bonheurs souverains
En cette inépuisable source.
Un guide si bien éclairé,
Te conduit d'un pas assuré
Au vivant Soleil qui l'éclaire ;
Suis, mais avec zèle, avec foi,
Suis, dis-je, tu verras tout ce qu'il te faut faire,
Et si tu ne le fais, il ne tiendra qu'à toi.

Tu pèches, mais un Dieu pardonne,
Et pour mériter ce pardon,
II te sait ce précieux don,
II n'en est avare à personne.
Reçois avec humilité,
Conserve avec fidélité,
Ce grand appui de ta faiblesse.
Avec lui ton vouloir peut tout,
Sans lui tu n'es qu'ordure, impuissance, bassesse,
Fais-en un bon usage, et la gloire est au bout.

C'en est la digne récompense ;
Mais aussi, tu le dois savoir,
Cet usage est en ton pouvoir,
II dépend de ta vigilance :
Tu peux t'endormir, t'arrêter,
Tu peux même le rejeter
Ce don, sans qui ta perte est sûre,
Et n'en tireras aucun fruit,
Si tu défères plus aux sens, à la nature ;
Qu'aux mouvement sacrés qu'en ton âme il produit.

J'en connaît par toi l'efficace,
Savant et pieux Ecrivain,
Qui jadis de ta propre main
M'as élevé sur le Parnasse ;
C'était trop peu pour ta bonté
Que ma jeunesse eût profité
Des leçons que tu m'as données ;  
Tu portes plus **** ton amour,
Et tu veux qu'aujourd'hui mes dernières années
De tes instructions profitent à leur tour.

Je suis ton disciple, et peut-être
Que l'heureux éclat de mes vers
Éblouit assez l'univers,
Pour faire peu de honte au Maître.
Par une plus sainte leçon
Tu m'apprends de quelle façon
Au vice on doit faire la guerre.
Puissé-je en user encore mieux,
Et comme je te dois ma gloire sur la terre !
Puissé-je te devoir un jour celle des cieux !
Tu me dis, mon Âme :
"Apprends à me connaître
Aime-moi
Tu verras
Avec moi, mon Ombre,
Tu vivras des choses jamais imaginées "
Alors je m'imagine, j'essaie
Je me mets direct au septième ciel
et je saute à la marelle
Pour rejoindre ton rivage Amour.
Je te vois animale et j'imagine ton règne
J 'imagine tes cris de Muse
Le lundi, tu es chienne, tu me miaules, tu me gazouilles et tu me bêles
Le mardi, cochonne, tu me glousses, tu me glapis et tu me piaules
Le mercredi, louve, tu me siffles, tu me beugles et tu me râles
Le jeudi, vipère, tu m'aboies, tu me hennis et tu me grondes
Le vendredi, tigresse, tu me barètes, tu me trompettes et tu me stridules,
Le samedi, chatte, tu me couines, tu me roucoules et tu me brailles
Et le dimanche, méduse, tu me chantes, sans bruit, dans le silence
Le cantique de nos retrouvailles animales.
Qui peut en ce moment où Dieu peut-être échoue,
Deviner
Si c'est du côté sombre ou joyeux que la roue
Va tourner ?

Qu'est-ce qui va sortir de ta main qui se voile,
Ô destin ?
Sera-ce l'ombre infâme et sinistre, ou l'étoile
Du matin ?

Je vois en même temps le meilleur et le pire ;
Noir tableau !
Car la France mérite Austerlitz, et l'empire
Waterloo.

J'irai, je rentrerai dans ta muraille sainte,
Ô Paris !
Je te rapporterai l'âme jamais éteinte
Des proscrits.

Puisque c'est l'heure où tous doivent se mettre à l'oeuvre,
Fiers, ardents,
Écraser au dehors le tigre, et la couleuvre
Au dedans ;

Puisque l'idéal pur, n'ayant pu nous convaincre,
S'engloutit ;
Puisque nul n'est trop grand pour mourir, ni pour vaincre
Trop petit ;

Puisqu'on voit dans les cieux poindre l'aurore noire
Du plus fort ;
Puisque tout devant nous maintenant est la gloire
Ou la mort ;

Puisqu'en ce jour le sang ruisselle, les toits brûlent,
Jour sacré !
Puisque c'est le moment où les lâches reculent,
J'accourrai.

Et mon ambition, quand vient sur la frontière
L'étranger,
La voici : part aucune au pouvoir, part entière
Au danger.

Puisque ces ennemis, hier encor nos hôtes,
Sont chez nous,
J'irai, je me mettrai, France, devant tes fautes
À genoux !

J'insulterai leurs chants, leurs aigles noirs, leurs serres,
Leurs défis ;
Je te demanderai ma part de tes misères,
Moi ton fils.

Farouche, vénérant, sous leurs affronts infâmes,
Tes malheurs,
Je baiserai tes pieds, France, l'oeil plein de flammes
Et de pleurs.

France, tu verras bien qu'humble tête éclipsée
J'avais foi,
Et que je n'eus jamais dans l'âme une pensée
Que pour toi.

Tu me permettras d'être en sortant des ténèbres
Ton enfant ;
Et tandis que rira ce tas d'hommes funèbres
Triomphant,

Tu ne trouveras pas mauvais que je t'adore,
En priant,
Ébloui par ton front invincible, que dore
L'Orient.

Naguère, aux jours d'orgie où l'homme joyeux brille,
Et croit peu,
Pareil aux durs sarments desséchés où pétille
Un grand feu,

Quand, ivre de splendeur, de triomphe et de songes,
Tu dansais
Et tu chantais, en proie aux éclatants mensonges
Du succès,

Alors qu'on entendait ta fanfare de fête
Retentir,
Ô Paris, je t'ai fui comme noir prophète
Fuyait Tyr.

Quand l'empire en Gomorrhe avait changé Lutèce,
Morne, amer,
Je me suis envolé dans la grande tristesse
De la mer.

Là, tragique, écoutant ta chanson, ton délire,
Bruits confus,
J'opposais à ton luxe, à ton rève, à ton rire,
Un refus.

Mais aujourd'hui qu'arrive avec sa sombre foule
Attila,
Aujourd'hui que le monde autour de toi s'écroule,
Me voilà.

France, être sur ta claie à l'heure où l'on te traîne
Aux cheveux,
Ô ma mère, et porter mon anneau de ta chaîne,
Je le veux !

J'accours, puisque sur toi la bombe et la mitraille
Ont craché ;
Tu me regarderas debout sur ta muraille,
Ou couché.

Et peut-être, en la terre où brille l'espérance,
Pur flambeau,
Pour prix de mon exil, tu m'accorderas, France,
Un tombeau.

Bruxelles, 31 août 1870.
Dans certains pays de l'Asie
On révère les éléphants,
Surtout les blancs.
Un palais est leur écurie,
On les sert dans des vases d'or,
Tout homme à leur aspect s'incline vers la terre,
Et les peuples se font la guerre
Pour s'enlever ce beau trésor.
Un de ces éléphants, grand penseur, bonne tête,
Voulut savoir un jour d'un de ses conducteurs
Ce qui lui valait tant d'honneurs,
Puisqu'au fond, comme un autre, il n'était qu'une bête.
Ah ! Répond le cornac, c'est trop d'humilité ;
L'on connaît votre dignité,
Et toute l'Inde sait qu'au sortir de la vie
Les âmes des héros qu'a chéris la patrie
S'en vont habiter quelque temps
Dans les corps des éléphants blancs.
Nos talapoins l'ont dit, ainsi la chose est sûre.
- Quoi ! Vous nous croyez des héros ?
- Sans doute. - Et sans cela nous serions en repos,
Jouissant dans les bois des biens de la nature ?
- Oui, seigneur. - Mon ami, laisse-moi donc partir,
Car on t'a trompé, je t'assure ;
Et, si tu veux y réfléchir,
Tu verras bientôt l'imposture :
Nous sommes fiers et caressants ;
Modérés, quoique tout puissants ;
On ne nous voit point faire injure
À plus faible que nous ; l'amour dans notre coeur
Reçoit des lois de la pudeur ;
Malgré la faveur où nous sommes,
Les honneurs n'ont jamais altéré nos vertus :
Quelles preuves faut-il de plus ?
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

- Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.

Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.
Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !

II

Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son cors Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
- Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
- C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Vénus !

III

Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !

- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.

Ô ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
- Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...

Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...

IV

Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
- Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens  
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague ;
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur,
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ;
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Étale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,
- Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire,
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !

Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au **** dans une longue extase...
C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.
- Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini !

Le 29 avril 1870.
À Madame De La Briche.

Vous, de qui les attraits, la modeste douceur,
Savent tout obtenir et n'osent rien prétendre,
Vous que l'on ne peut voir sans devenir plus tendre,
Et qu'on ne peut aimer sans devenir meilleur,
Je vous respecte trop pour parler de vos charmes,
De vos talents, de votre esprit...
Vous aviez déjà peur ; bannissez vos alarmes,
C'est de vos vertus qu' il s'agit.
Je veux peindre en mes vers des mères le modèle,
Le sarigue, animal peu connu parmi nous,
Mais dont les soins touchants et doux,
Dont la tendresse maternelle,
Seront de quelque prix pour vous.
Le fond du conte est véritable :
Buffon m'en est garant ; qui pourrait en douter ?
D'ailleurs tout dans ce genre a droit d'être croyable,
Lorsque c'est devant vous qu'on peut le raconter.

Maman, disait un jour à la plus tendre mère
Un enfant péruvien sur ses genoux assis,
Quel est cet animal qui, dans cette bruyère,
Se promène avec ses petits ?
Il ressemble au renard. Mon fils, répondit-elle,
Du sarigue c'est la femelle ;
Nulle mère pour ses enfants
N'eut jamais plus d'amour, plus de soins vigilants.
La nature a voulu seconder sa tendresse,
Et lui fit près de l'estomac
Une poche profonde, une espèce de sac,
Où ses petits, quand un danger les presse,
Vont mettre à couvert leur faiblesse.
Fais du bruit, tu verras ce qu' ils vont devenir.
L'enfant frappe des mains ; la sarigue attentive
Se dresse, et, d'une voix plaintive,
Jette un cri ; les petits aussitôt d'accourir,
Et de s'élancer vers la mère,
En cherchant dans son sein leur retraite ordinaire.
La poche s'ouvre, les petits
En un moment y sont blottis,
Ils disparaissent tous ; la mère avec vitesse
S'enfuit emportant sa richesse.
La péruvienne alors dit à l'enfant surpris :
Si jamais le sort t'est contraire,
Souviens-toi du sarigue, imite-le, mon fils :
L'asile le plus sûr est le sein d'une mère.
Elle prend un miroir, s'y regarde, le jette avec horreur, souffle
Son flambeau, et tombe à genoux auprès de son lit.
Oh ! je suis monstrueuse et les autres sont belles !
Cette bosse ! ô mon Dieu !...

Elle cache son visage dans ses mains et laisse tomber sa tête sur le lit.
Elle s'endort.

UNE VOIX.

C'est là que sont tes ailes !
La chambre s'emplit d'une lumière vague. - Elle dort toujours.
Au fond une forme ailée apparaît dans un nimbe de rayons.

Écoute-moi : je suis ton fiancé des cieux.
Tu portes sur ton dos le sac mystérieux,
Tu portes sur ton dos l'oeuf divin de la tombe ;
Sous ce poids bienheureux ton corps chancelle et tombe,
Et le regard humain a cette infirmité
De voir dans ta splendeur une difformité.
Ta gloire dans le ciel est ton fardeau sur terre.
Tu pleures. Mais pour nous, les voyants du mystère,
Qui savons ce que Dieu met dans l'humanité,
De ton épaule sombre il sort une clarté.
Etre qui fais pitié même aux prostituées,
Ô femme en proie au rire, à l'affront, aux huées,
Sur qui semble à jamais s'être accroupi Smarra,
A ta mort ton épaule informe s'ouvrira,
Car la chair s'ouvre alors pour laisser passer l'âme,
Ô femme, et l'on verra de cette bosse infâme,
Moquée et vile, horrible à tout être vivant,
Sortir deux ailes d'ange immenses, que le vent
Gonflera dans les cieux comme il gonfle des voiles,
Et qui se déploieront toutes pleines d'étoiles !
Oui, Lise, écoute-moi. Nous autres nous voyons
L'ange à travers le monstre, et je vois tes rayons !
Du songe où ta laideur rampe, se cache et pleure,
Oui, de ce songe affreux que tu fais à cette heure,
Tu t'éveilleras belle au-delà de tes voeux !
Tu flotteras, voilée avec tes longs cheveux
Et dans la nudité céleste de la tombe,
Et tu resteras femme en devenant colombe.
Tu percevras, dans l'ombre et dans l'immensité,
Un sombre hymne d'amour montant vers ta beauté ;
Les hommes à leur tour te paraîtront difformes ;
Tu verras sur leurs dos leurs fautes, poids énormes ;
Les fleurs éclaireront ton corps divin et beau,
Car leur parfum devient clarté dans le tombeau ;
Les astres t'offriront leur rose épanouie.
Tu prendras pour miroir, de toi-même éblouie,
Ce grand ciel qui te semble aujourd'hui plein de deuil ;
Ailée et frissonnante au bord de ton cercueil,
Comme l'oiseau qui tremble au penchant des ravines,
Tu sentiras frémir dans les brises divines
Ton corps fait de splendeur ; ton sein blanc, ton front pur,
Et tu t'envoleras dans le profond azur !

Le 8 mars 1854.
Sara, belle d'indolence,
Se balance
Dans un hamac, au-dessus
Du bassin d'une fontaine
Toute pleine
D'eau puisée à l'Ilyssus ;

Et la frêle escarpolette
Se reflète
Dans le transparent miroir,
Avec la baigneuse blanche
Qui se penche,
Qui se penche pour se voir.

Chaque fois que la nacelle,
Qui chancelle,
Passe à fleur d'eau dans son vol,
On voit sur l'eau qui s'agite
Sortir vite
Son beau pied et son beau col.

Elle bat d'un pied timide
L'onde humide
Où tremble un mouvant tableau,
Fait rougir son pied d'albâtre,
Et, folâtre,
Rit de la fraîcheur de l'eau.

Reste ici caché : demeure !
Dans une heure,
D'un œil ardent tu verras
Sortir du bain l'ingénue,
Toute nue,
Croisant ses mains sur ses bras.

Car c'est un astre qui brille
Qu'une fille
Qui sort d'un bain au flot clair,
Cherche s'il ne vient personne,
Et frissonne
Toute mouillée au grand air.

Elle est là, sous la feuillée,
Eveillée
Au moindre bruit de malheur ;
Et rouge, pour une mouche
Qui la touche,
Comme une grenade en fleur.

On voit tout ce que dérobe
Voile ou robe ;
Dans ses yeux d'azur en feu,
Son regard que rien ne voile
Et l'étoile
Qui brille au fond d'un ciel bleu.

L'eau sur son corps qu'elle essuie
Roule en pluie,
Comme sur un peuplier ;
Comme si, gouttes à gouttes,
Tombaient toutes
Les perles de son collier.

Mais Sara la nonchalante
Est bien lente
A finir ses doux ébats ;
Toujours elle se balance
En silence,
Et va murmurant tout bas :

« Oh ! si j'étais capitane,
Ou sultane,
Je prendrais des bains ambrés,
Dans un bain de marbre jaune,
Près d'un trône,
Entre deux griffons dorés !

« J'aurais le hamac de soie
Qui se ploie
Sous le corps prêt à pâmer ;
J'aurais la molle ottomane
Dont émane
Un parfum qui fait aimer.

« Je pourrais folâtrer nue,
Sous la nue,
Dans le ruisseau du jardin,
Sans craindre de voir dans l'ombre
Du bois sombre
Deux yeux s'allumer soudain.

« Il faudrait risquer sa tête
Inquiète,
Et tout braver pour me voir,
Le sabre nu de l'heiduque,
Et l'eunuque
Aux dents blanches, au front noir !

« Puis, je pourrais, sans qu'on presse
Ma paresse,
Laisser avec mes habits
Traîner sur les larges dalles
Mes sandales
De drap brodé de rubis. »

Ainsi se parle en princesse,
Et sans cesse
Se balance avec amour,
La jeune fille rieuse,
Oublieuse
Des promptes ailes du jour.

L'eau, du pied de la baigneuse
Peu soigneuse,
Rejaillit sur le gazon,
Sur sa chemise plissée,
Balancée
Aux branches d'un vert buisson.

Et cependant des campagnes
Ses compagnes
Prennent toutes le chemin.
Voici leur troupe frivole
Qui s'envole
En se tenant par la main.

Chacune, en chantant comme elle,
Passe, et mêle
Ce reproche à sa chanson :
- Oh ! la paresseuse fille
Qui s'habille
Si **** un jour de moisson !

Juillet 1828.
VI.

Comme une aumône, enfant, donne donc ta prière
À ton père, à ta mère, aux pères de ton père ;
Donne au riche à qui Dieu refuse le bonheur,
Donne au pauvre, à la veuve, au crime, au vice immonde.
Fais en priant le tour des misères du monde ;
Donne à tous ! donne aux morts ! - Enfin donne au Seigneur !

" Quoi ! murmure ta voix qui veut parler et n'ose.
Au Seigneur, au Très-Haut manque-t-il quelque chose ?
Il est le saint des saints, il est le roi des rois !
Il se fait des soleils un cortège suprême !
Il fait baisser la voix à l'océan lui-même !
Il est seul ! Il est tout ! à jamais ! à la fois !

" Enfant, quand tout le jour vous avez en famille,
Tes deux frères et toi, joué sous la charmille,
Le soir vous êtes las, vos membres sont pliés,
Il vous faut un lait pur et quelques noix frugales,
Et, baisant tour à tour vos têtes inégales,
Votre mère à genoux lave vos faibles pieds.

Eh bien ! il est quelqu'un dans ce monde où nous sommes
Qui tout le jour aussi marche parmi les hommes,
Servant et consolant, à toute heure, en tout lieu,
Un bon pasteur qui suite sa brebis égarée,
Un pèlerin qui va de contrée en contrée.
Ce passant, ce pasteur, ce pèlerin, c'est Dieu !

Le soir il est bien las ! il faut, pour qu'il sourie,
Une âme qui le serve, un enfant qui le prie,
Un peu d'amour ! Ô toi, qui ne sais pas tromper,
Porte-lui ton coeur plein d'innocence et d'extase,
Tremblante et l'oeil baissé, comme un précieux vase
Dont on craint de laisser une goutte échapper !

Porte-lui ta prière ! et quand, à quelque flamme
Qui d'une chaleur douce emplira ta jeune âme,
Tu verras qu'il est proche, alors, ô mon bonheur,
Ô mon enfant ! sans craindre affront ni raillerie,
Verse, comme autrefois Marthe, soeur de Marie,
Verse tout ton parfum sur les pieds du Seigneur !

Mai 1830.
Pourquoi triste, ô mon âme
Triste jusqu'à la mort,
Quand l'effort te réclame,
Quand le suprême effort
Est là qui te réclame ?

Ah, tes mains que tu tords
Au lieu d'être à la tâche,
Tes lèvres que tu mords
Et leur silence lâche,
Et tes yeux qui sont morts !

N'as-tu pas l'espérance
De la fidélité,
Et, pour plus d'assurance
Dans la sécurité,
N'as-tu pas la souffrance ?

Mais chasse le sommeil
Et ce rêve qui pleure.
Grand jour et plein soleil !
Vois, il est plus que l'heure :
Le ciel bruit vermeil,

Et la lumière crue
Découpant d'un trait noir
Toute chose apparue
Te montre le Devoir
Et sa forme bourrue.

Marche à lui vivement,
Tu verras disparaître
Tout aspect inclément
De sa manière d'être,
Avec l'éloignement.

C'est le dépositaire
Qui te garde un trésor
D'amour et de mystère,
Plus précieux que l'or,
Plus sûr que rien sur terre,

Les biens qu'on ne voit pas,
Toute joie inouïe,
Votre paix, saints combats,
L'extase épanouie
Et l'oubli d'ici-bas,

Et l'oubli d'ici-bas !
Un jour Ali passait : les têtes les plus hautes
Se courbaient au niveau des pieds de ses arnautes ;
Tout le peuple disait : Allah !
Un derviche soudain, cassé par l'âge aride,
Fendit la foule, prit son cheval par la bride,
Et voici comme il lui parla :

« Ali-Tépéléni, lumière des lumières,
Qui sièges au divan sur les marches premières,
Dont le grand nom toujours grandit,
Ecoute-moi, vizir de ces guerriers sans nombre,
Ombre du padischah qui de Dieu même est l'ombre,
Tu n'es qu'un chien et qu'un maudit !

« Un flambeau du sépulcre à ton insu t'éclaire.
Comme un vase trop plein tu répands ta colère
Sur tout un peuple frémissant ;
Tu brilles sur leurs fronts comme une faulx dans l'herbe
Et tu fait un ciment à ton palais superbe
De leur os broyés dans leur sang.

« Mais ton jour vient. Il faut, dans Janina qui tombe,
Que sous tes pas enfin croule et s'ouvre la tombe ;
Dieu te garde un carcan de fer
Sous l'arbre du segjin chargé d'âmes impies
Qui sur ses rameaux noirs frissonnent accroupies,
Dans la nuit du septième enfer !

« Ton âme fuira nue ; au livre de tes crimes
Un démon te lira les noms de tes victimes ;
Tu les verras autour de toi,
Ces spectres, teints du sang qui n'est plus dans leurs veines,
Se presser, plus nombreux que les paroles vaines
Que balbutiera ton effroi !

« Ceci t'arrivera, sans que ta forteresse
Ou ta flotte te puisse aider dans ta détesse
De sa rame ou de son canon ;
Quand même Ali-Pacha, comme le juif immonde,
Pour tromper l'ange noir qui l'attend hors du monde,
En mourant changerait de nom ! »

Ali sous sa pelisse avait un cimeterre,
Un tromblon tout chargé, s'ouvrant comme un cratère,
Trois longs pistolets, un poignard ;
Il écouta le prêtre et lui laissa tout dire,
Pencha son front rêveur, puis avec un sourire
Donna sa pelisse au vieillard.

Le 8 novembre 1828.
A notre premier rendez-vous , dis !
T'oublieras pas d'amener tes poupées
et ta corde à sauter et Robinson Crusoë
et moi c'est promis je ramènerai mes billes, mes osselets
et Vendredi.
On jouera au cerf-volant aussi c'est promis.
S'il y a du vent
Et s'il fait beau et qu'on en a envie
On fera du toboggan et on jouera à chat perché.
S 'il pleut on se mettra sous un porche et on jouera aux cartes.
tu sais jouer aux jeu des sept familles ?
sinon on pourra toujours essayer
les petits chevaux ou le jeu de l'oie.
Je te laisserai jouer avec mes soldats de plomb
et j'espère que tu me prêteras pour la journée
Ta dînette pour que je te prépare
Une menthe à l'eau ou un diabolo fraise.
S'il fait trop soleil
On se mettra à l'ombre
Et je te lirai les lignes de la main
et je te montrerai ma collection de timbres roumains.
Et s'il fait nuit et qu'on voit des fantômes
On se cachera sous les couvertures
Je t'apprendrai à faire de la bicyclette
Et des cocottes en papier
tu verras c'est fastoche
Et ça fout les chocottes aux fantômes !

Ah j 'oubliais ! J 'amènerai ma fronde aussi
Pour te dégommer de l'arbre une mangue bien mûre
Qu'on dégustera tous les deux en même temps
Et on promettra-jurera-crachera qu'on est amis pour toujours !

— The End —