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Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;
Je veux te peindre ta beauté,
Où l'enfance s'allie à la maturité.

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane avec d'étranges grâces ;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;
Je veux te peindre ta beauté,
Où l'enfance s'allie à la maturité.

Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire,
Ta gorge triomphante est une belle armoire
Dont les panneaux bombés et clairs
Comme les boucliers accrochent des éclairs,

Boucliers provoquants, armés de pointes roses !
Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses,
De vins, de parfums, de liqueurs
Qui feraient délirer les cerveaux et les coeurs !

Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

Tes nobles jambes, sous les volants qu'elles chassent,
Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,
Comme deux sorcières qui font
Tourner un philtre noir dans un vase profond.

Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules,
Sont des boas luisants les solides émules,
Faits pour serrer obstinément,
Comme pour l'imprimer dans ton coeur, ton amant.

Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,
Ta tête se pavane avec d'étranges grâces ;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
La muse

Poète, prends ton luth et me donne un baiser ;
La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore,
Le printemps naît ce soir ; les vents vont s'embraser ;
Et la bergeronnette, en attendant l'aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser.
Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.

Le poète

Comme il fait noir dans la vallée !
J'ai cru qu'une forme voilée
Flottait là-bas sur la forêt.
Elle sortait de la prairie ;
Son pied rasait l'herbe fleurie ;
C'est une étrange rêverie ;
Elle s'efface et disparaît.

La muse

Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse,
Balance le zéphyr dans son voile odorant.
La rose, vierge encor, se referme jalouse
Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant.
Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée.
Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée
Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.
Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature
Se remplit de parfums, d'amour et de murmure,
Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.

Le poète

Pourquoi mon coeur bat-il si vite ?
Qu'ai-je donc en moi qui s'agite
Dont je me sens épouvanté ?
Ne frappe-t-on pas à ma porte ?
Pourquoi ma lampe à demi morte
M'éblouit-elle de clarté ?
Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.
Qui vient ? qui m'appelle ? - Personne.
Je suis seul ; c'est l'heure qui sonne ;
Ô solitude ! ô pauvreté !

La muse

Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse
Fermente cette nuit dans les veines de Dieu.
Mon sein est inquiet ; la volupté l'oppresse,
Et les vents altérés m'ont mis la lèvre en feu.
Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle.
Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas,
Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile,
Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ?
Ah ! je t'ai consolé d'une amère souffrance !
Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d'amour.
Console-moi ce soir, je me meurs d'espérance ;
J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour.

Le poète

Est-ce toi dont la voix m'appelle,
Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ?
Ô ma fleur ! ô mon immortelle !
Seul être pudique et fidèle
Où vive encor l'amour de moi !
Oui, te voilà, c'est toi, ma blonde,
C'est toi, ma maîtresse et ma soeur !
Et je sens, dans la nuit profonde,
De ta robe d'or qui m'inonde
Les rayons glisser dans mon coeur.

La muse

Poète, prends ton luth ; c'est moi, ton immortelle,
Qui t'ai vu cette nuit triste et silencieux,
Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle,
Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux.
Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire
Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ;
Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur terre,
Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur.
Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées,
Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ;
Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu,
Éveillons au hasard les échos de ta vie,
Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie,
Et que ce soit un rêve, et le premier venu.
Inventons quelque part des lieux où l'on oublie ;
Partons, nous sommes seuls, l'univers est à nous.
Voici la verte Écosse et la brune Italie,
Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,
Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes,
Et le front chevelu du Pélion changeant ;
Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent
Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer ?
D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ?
Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,
Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,
Secouait des lilas dans sa robe légère,
Et te contait tout bas les amours qu'il rêvait ?
Chanterons-nous l'espoir, la tristesse ou la joie ?
Tremperons-nous de sang les bataillons d'acier ?
Suspendrons-nous l'amant sur l'échelle de soie ?
Jetterons-nous au vent l'écume du coursier ?
Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre
De la maison céleste, allume nuit et jour
L'huile sainte de vie et d'éternel amour ?
Crierons-nous à Tarquin : " Il est temps, voici l'ombre ! "
Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ?
Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ?
Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ?
Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ?
La biche le regarde ; elle pleure et supplie ;
Sa bruyère l'attend ; ses faons sont nouveau-nés ;
Il se baisse, il l'égorge, il jette à la curée
Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant.
Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée,
S'en allant à la messe, un page la suivant,
Et d'un regard distrait, à côté de sa mère,
Sur sa lèvre entr'ouverte oubliant sa prière ?
Elle écoute en tremblant, dans l'écho du pilier,
Résonner l'éperon d'un hardi cavalier.
Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France
De monter tout armés aux créneaux de leurs tours,
Et de ressusciter la naïve romance
Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ?
Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ?
L'homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie,
Et ce qu'il a fauché du troupeau des humains
Avant que l'envoyé de la nuit éternelle
Vînt sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile,
Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ?
Clouerons-nous au poteau d'une satire altière
Le nom sept fois vendu d'un pâle pamphlétaire,
Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli,
S'en vient, tout grelottant d'envie et d'impuissance,
Sur le front du génie insulter l'espérance,
Et mordre le laurier que son souffle a sali ?
Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ;
Mon aile me soulève au souffle du printemps.
Le vent va m'emporter ; je vais quitter la terre.
Une larme de toi ! Dieu m'écoute ; il est temps.

Le poète

S'il ne te faut, ma soeur chérie,
Qu'un baiser d'une lèvre amie
Et qu'une larme de mes yeux,
Je te les donnerai sans peine ;
De nos amours qu'il te souvienne,
Si tu remontes dans les cieux.
Je ne chante ni l'espérance,
Ni la gloire, ni le bonheur,
Hélas ! pas même la souffrance.
La bouche garde le silence
Pour écouter parler le coeur.

La muse

Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau ?
Ô poète ! un baiser, c'est moi qui te le donne.
L'herbe que je voulais arracher de ce lieu,
C'est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du coeur :
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au **** s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L'Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son coeur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur,
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le coeur.
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.

Le poète

Ô Muse ! spectre insatiable,
Ne m'en demande pas si long.
L'homme n'écrit rien sur le sable
À l'heure où passe l'aquilon.
J'ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j'ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j'en pourrais dire,
Si je l'essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.
On donnait à Favart Mosé. Tamburini,

Le basso cantante, le ténor Rubini,

Devaient jouer tous deux dans la pièce ; et la salle

Quand on l'eût élargie et faite colossale,

Grande comme Saint-Charle ou comme la Scala,

N'aurait pu contenir son public ce soir-là.

Moi, plus heureux que tous, j'avais tout à connaître,

Et la voix des chanteurs et l'ouvrage du maître.

Aimant peu l'opéra, c'est hasard si j'y vais,

Et je n'avais pas vu le Moïse français ;

Car notre idiome, à nous, rauque et sans prosodie,

Fausse toute musique ; et la note hardie,

Contre quelque mot dur se heurtant dans son vol,

Brise ses ailes d'or et tombe sur le sol.

J'étais là, les deux bras en croix sur la poitrine,

Pour contenir mon cœur plein d'extase divine ;

Mes artères chantant avec un sourd frisson,

Mon oreille tendue et buvant chaque son,

Attentif, comme au bruit de la grêle fanfare,

Un cheval ombrageux qui palpite et s'effare ;

Toutes les voix criaient, toutes les mains frappaient,

A force d'applaudir les gants blancs se rompaient ;

Et la toile tomba. C'était le premier acte.

Alors je regardai ; plus nette et plus exacte,

A travers le lorgnon dans mes yeux moins distraits,

Chaque tête à son tour passait avec ses traits.

Certes, sous l'éventail et la grille dorée,

Roulant, dans leurs doigts blancs la cassolette ambrée,

Au reflet des joyaux, au feu des diamants,

Avec leurs colliers d'or et tous leurs ornements,

J'en vis plus d'une belle et méritant éloge,

Du moins je le croyais, quand au fond d'une loge

J'aperçus une femme. Il me sembla d'abord,

La loge lui formant un cadre de son bord,

Que c'était un tableau de Titien ou Giorgione,

Moins la fumée antique et moins le vernis jaune,

Car elle se tenait dans l'immobilité,

Regardant devant elle avec simplicité,

La bouche épanouie en un demi-sourire,

Et comme un livre ouvert son front se laissant lire ;

Sa coiffure était basse, et ses cheveux moirés

Descendaient vers sa tempe en deux flots séparés.

Ni plumes, ni rubans, ni gaze, ni dentelle ;

Pour parure et bijoux, sa grâce naturelle ;

Pas d'œillade hautaine ou de grand air vainqueur,

Rien que le repos d'âme et la bonté de cœur.

Au bout de quelque temps, la belle créature,

Se lassant d'être ainsi, prit une autre posture :

Le col un peu penché, le menton sur la main,

De façon à montrer son beau profil romain,

Son épaule et son dos aux tons chauds et vivaces

Où l'ombre avec le clair flottaient par larges masses.

Tout perdait son éclat, tout tombait à côté

De cette virginale et sereine beauté ;

Mon âme tout entière à cet aspect magique,

Ne se souvenait plus d'écouter la musique,

Tant cette morbidezze et ce laisser-aller

Était chose charmante et douce à contempler,

Tant l'œil se reposait avec mélancolie

Sur ce pâle jasmin transplanté d'Italie.

Moins épris des beaux sons qu'épris des beaux contours

Même au parlar Spiegar, je regardai toujours ;

J'admirais à part moi la gracieuse ligne

Du col se repliant comme le col d'un cygne,

L'ovale de la tête et la forme du front,

La main pure et correcte, avec le beau bras rond ;

Et je compris pourquoi, s'exilant de la France,

Ingres fit si longtemps ses amours de Florence.

Jusqu'à ce jour j'avais en vain cherché le beau ;

Ces formes sans puissance et cette fade peau

Sous laquelle le sang ne court, que par la fièvre

Et que jamais soleil ne mordit de sa lèvre ;

Ce dessin lâche et mou, ce coloris blafard

M'avaient fait blasphémer la sainteté de l'art.

J'avais dit : l'art est faux, les rois de la peinture

D'un habit idéal revêtent la nature.

Ces tons harmonieux, ces beaux linéaments,

N'ont jamais existé qu'aux cerveaux des amants,

J'avais dit, n'ayant vu que la laideur française,

Raphaël a menti comme Paul Véronèse !

Vous n'avez pas menti, non, maîtres ; voilà bien

Le marbre grec doré par l'ambre italien

L'œil de flamme, le teint passionnément pâle,

Blond comme le soleil, sous son voile de hâle,

Dans la mate blancheur, les noirs sourcils marqués,

Le nez sévère et droit, la bouche aux coins arqués,

Les ailes de cheveux s'abattant sur les tempes ;

Et tous les nobles traits de vos saintes estampes,

Non, vous n'avez pas fait un rêve de beauté,

C'est la vie elle-même et la réalité.

Votre Madone est là ; dans sa loge elle pose,

Près d'elle vainement l'on bourdonne et l'on cause ;

Elle reste immobile et sous le même jour,

Gardant comme un trésor l'harmonieux contour.

Artistes souverains, en copistes fidèles,

Vous avez reproduit vos superbes modèles !

Pourquoi découragé par vos divins tableaux,

Ai-je, enfant paresseux, jeté là mes pinceaux,

Et pris pour vous fixer le crayon du poète,

Beaux rêves, possesseurs de mon âme inquiète,

Doux fantômes bercés dans les bras du désir,

Formes que la parole en vain cherche à saisir !

Pourquoi lassé trop tôt dans une heure de doute,

Peinture bien-aimée, ai-je quitté ta route !

Que peuvent tous nos vers pour rendre la beauté,

Que peuvent de vains mots sans dessin arrêté,

Et l'épithète creuse et la rime incolore.

Ah ! Combien je regrette et comme je déplore

De ne plus être peintre, en te voyant ainsi

A Mosé, dans ta loge, ô Julia Grisi !
Et j'ai dit dans mon coeur : Que faire de la vie ?
Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devancé,
Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé,
Imiter des mortels l'immortelle folie ?

L'un cherche sur les mers les trésors de Memnom,
Et la vague engloutit ses voeux et son navire ;
Dans le sein de la gloire où son génie aspire,
L'autre meurt enivré par l'écho d'un vain nom.

Avec nos passions formant sa vaste trame,
Celui-là fonde un trône, et monte pour tomber ;
Dans des pièges plus doux aimant à succomber,
Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme.

Le paresseux s'endort dans les bras de la faim ;
Le laboureur conduit sa fertile charrue ;
Le savant pense et lit, le guerrier frappe et tue ;
Le mendiant s'assied sur les bords du chemin.

Où vont-ils cependant ? Ils vont où va la feuille
Que chasse devant lui le souffle des hivers.
Ainsi vont se flétrir dans leurs travaux divers
Ces générations que le temps sème et cueille !

Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu ;
Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives,
Je l'ai vu dévorer leurs ombres fugitives.
Ils sont nés, ils sont morts : Seigneur, ont-ils vécu ?

Pour moi, je chanterai le maître que j'adore,
Dans le bruit des cités, dans la paix des déserts,
Couché sur le rivage, ou flottant sur les mers,
Au déclin du soleil, au réveil de l'aurore.

La terre m'a crié : Qui donc est le Seigneur ?
Celui dont l'âme immense est partout répandue,
Celui dont un seul pas mesure l'étendue,
Celui dont le soleil emprunte sa splendeur ;

Celui qui du néant a tiré la matière,
Celui qui sur le vide a fondé l'univers,
Celui qui sans rivage a renfermé les mers,
Celui qui d'un regard a lancé la lumière ;

Celui qui ne connaît ni jour ni lendemain,
Celui qui de tout temps de soi-même s'enfante,
Qui vit dans l'avenir comme à l'heure présente,
Et rappelle les temps échappés de sa main :

C'est lui ! c'est le Seigneur : que ma langue redise
Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels.
Comme la harpe d'or pendue à ses autels,
Je chanterai pour lui, jusqu'à ce qu'il me brise...
Le jour pousse la nuit,
Et la nuit sombre
Pousse le jour qui luit
D'une obscure ombre.

L'Autonne suit l'Esté,
Et l'aspre rage
Des vents n'a point esté
Apres l'orage.

Mais la fièvre d'amours
Qui me tourmente,
Demeure en moy tousjours,
Et ne s'alente.

Ce n'estoit pas moy, Dieu,
Qu'il falloit poindre,
Ta fleche en autre lieu
Se devoit joindre.

Poursuy les paresseux
Et les amuse,
Mais non pas moy, ne ceux
Qu'aime la Muse.

Helas, delivre moy
De ceste dure,
Qui plus rit, quand d'esmoy
Voit que j'endure.

Redonne la clarté
A mes tenebres,
Remets en liberté
Mes jours funebres.

Amour sois le support
De ma pensée,
Et guide à meilleur port
Ma nef cassée.

Tant plus je suis criant
Plus me reboute,
Plus je la suis priant
Et moins m'escoute.

Ne ma palle couleur
D'amour blesmie
N'a esmeu à douleur
Mon ennemie.

Ne sonner à son huis
De ma guiterre,
Ny pour elle les nuis
Dormir à terre.

Plus cruel n'est l'effort
De l'eau mutine
Qu'elle, lors que plus fort
Le vent s'obstine.

Ell' s'arme en sa beauté,
Et si ne pense
Voir de sa cruauté
La récompense.

Monstre toy le veinqueur,
Et d'elle enflame
Pour exemple le coeur
De telle flame,

Qui la soeur alluma
Trop indiscrete,
Et d'ardeur consuma
La Royne en Crete.
Il n'est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude : jouir de la foule est un art ; et celui-là seul peut faire, aux dépens du genre humain, une ribote de vitalité, à qui une fée a insufflé dans son berceau le goût du travestissement et du masque, la haine du domicile et la passion du voyage.

Multitude, solitude : termes égaux et convertibles pour le poète actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée.

Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu'il peut à sa guise être lui-même et autrui. Comme ces âmes errantes qui cherchent un corps, il entre, quand il veut, dans le personnage de chacun. Pour lui seul, tout est vacant ; et si de certaines places paraissent lui êtres fermées, c'est qu'à ses yeux elles ne valent pas la peine d'être visitées.

Le promeneur solitaire et pensif tire une singulière ivresse de cette universelle communion. Celui-là qui épouse facilement la foule connaît des jouissances fiévreuses, dont seront éternellement privés l'égoïste, fermé comme un coffre, et le paresseux, interné comme un mollusque. Il adopte comme siennes toutes les professions, toutes les joies et toutes les misères que la circonstance lui présente.

Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte prostitution de l'âme qui se donne tout entière, poésie et charité, à l'imprévu qui se montre, à l'inconnu qui passe.

Il est bon d'apprendre quelquefois aux heureux de ce monde, ne fût-ce que pour humilier un instant leur sot orgueil, qu'il est des bonheurs supérieurs au leur, plus vastes et plus raffinés. Les fondateurs de colonies, les pasteurs de peuples, les prêtres missionnaires exilés au bout du monde, connaissent sans doute quelque chose de ces mystérieuses ivresses ; et, au sein de la vaste famille que leur génie s'est faite, ils doivent rire quelquefois de ceux qui les plaignent pour leur fortune si agitée et pour leur vie si chaste.
Les grands appartements qu'elle habite l'hiver
Sont tièdes. Aux plafonds, légers comme l'éther,
Planent d'amoureuses peintures.

Nul bruit ; partout les voix, les pas sont assoupis
Par la laine opulente et molle des tapis
Et l'ample velours des tentures.

Aux fenêtres, dehors, la grêle a beau sévir,
Sous ses balles de glace à peine on sent frémir
L'épais vitrail qui les renvoie ;

Et la neige et le givre aux glaciales fleurs
Restent voilés aux yeux sous les chaudes couleurs
De longs rideaux brochés de soie.

Là, dans de vieux tableaux, le ciel vénitien
Prête au soleil de France un effluve du sien ;
Et sur la haute cheminée,

Dans des vases ravis en Grèce à des autels,
Des lis renouvelés qu'on dirait immortels
Ne font qu'un printemps de l'année.

Sa chambre est toute bleue et suave ; on y sent
Le vestige embaumé de quelque œillet absent
Dont l'air a gardé la mémoire ;

Ses genoux, pour prier, posent sur du satin,
Et ses aïeux tenaient d'un maître florentin
Son crucifix de vieil ivoire.

Elle peut, lasse enfin des salons somptueux,
Goûter de son boudoir le jour voluptueux
Où sommeille un vague mystère ;

Et là ses yeux levés rencontrent un Watteau
Où de sveltes amants, un pied sur le bateau,
Vont appareiller pour Cythère.

L'hiver passe, elle émigre en sa villa d'été.
Elle y trouve le ciel, l'immense aménité
Des monts, des vallons et des plaines ;

Depuis les dahlias qui bordent la maison
Jusques au dernier flot des blés à l'horizon,
Elle ne voit que ses domaines.

Puis c'est la promenade en barque sur les lacs,
La sieste à l'ombre au fond des paresseux hamacs,
La course aux prés en jupes blanches,

Et le roulement doux des calèches au bois,
Et le galop, voilette au front, badine aux doigts,
Sous le mobile arceau des branches ;

Et, par les midis lourds, les délices du bain :
Deux jets purs inondant la vasque dont sa main
Tourne à son gré les cols de cygnes,

Et le charme du frais, suave abattement
Où, rêveuse, elle voit sous l'eau, presque en dormant,
De son beau corps trembler les lignes.

Ainsi coulent ses jours, pareils aux jours heureux ;
Mais un secret fardeau s'appesantit sur eux,
Ils ne sont pas dignes d'envie.

On lit dans son regard fiévreux ou somnolent,
Dans son rare sourire et dans son geste lent
Le dégoût amer de la vie.

Oh ! Quelle âme entendra sa pauvre âme crier ?
Quel sauveur magnanime et beau, quel chevalier
Doit survenir à l'improviste,

Et l'enlever en croupe, et l'emporter là-bas,
Sous un chaume enfoui dans l'herbe et les lilas,
****, bien **** de ce luxe triste ?

Personne. Elle dédaigne un criminel espoir,
Et se plaît à languir, en proie à son devoir.
Morte sous ses parures neuves,

Elle n'a pas d'amour, l'honneur le lui défend ;
Misérablement riche, elle n'a pas d'enfant ;
Elle est plus seule que les veuves.
NGANGO HONORÉ Nov 2021
Imaginez un prédateur qui peut se camoufler en l'aliment préféré de sa proie.
Drôle et Cruelle
Un lion aura pour crinière la verdure.
Un Tamanoir une langue de miel
Un chat pour moustache le fromage.
Un crocodile pour croc le blé

C'est en effet ça la vie.
Avec son expérience de l'existence humaine
Elle a eu le temps de façonner ses pièges en des désirs humains.
Elle se transforme en un piège à rats pour les désireux paresseux.

La Bible dans sa Sagesse est claire dessus.
Nous avons deux portes au choix.

1) Large est la porte spacieuse, le chemin qui mène a la ruine et beaucoup la prennent.
Faut-il alors dire que les paresseux courent nos rues ??


En fait, qui n'aimerait pas un jardin aux saveurs d'Eden ?
Aux fruits Tropicaux, à volonté ?

Où serait un parc d'attraction à perte de vue qui vous ferait saliver ?
Ou encore une aventure EPIC dans vos fantasmes d'enfance ?

Cette porte vous offre toutes les merveilles,
Et renferme cependant un secret. 
Le jardin est placé dans une mâchoire de loup.
Une vue aérienne nous indiquerait :
Une cage aux monstres,
Une foire aux sorcières,
L'homme n'y a rien à faire là.
Mais il y est attiré.
C'est alors que tous pensent à la porte qu'ils ont laissée derrière.


2) Elle étroite la porte, resserrée  le chemin qui mènent a vie.
Matthieu 7v: 13 - 14 ;
J'ai parlé de 2 portes . Qui pensent qu la vie en à plus de 2 ?
I.

Mon besoin de songe et de fable,
La soif malheureuse que j'ai
De quelque autre vie ineffable,
Me laisse tout découragé.

Quand d'un beau vouloir je m'avise,
Je me répète en vain : « Je veux. »
- « À quoi bon ? » répond la devise
Qui rend stériles tous les voeux.

À quoi bon nos miettes d'automne ?
Si la plèbe veut s'assouvir ;
Ou nos rêves d'état sans trône ?
S'il plaît au peuple de servir.

À quoi bon rapprendre la guerre ?
S'il faut toujours qu'elle ait pour but
Le gain menteur, cher au vulgaire,
D'une auréole et d'un tribut.

À quoi bon la lente science ?
Si l'homme ne peut entrevoir,
Après tant d'âpre patience,
Que les bornes de son savoir.

À quoi bon l'amour ? Si l'on aime
Pour propager un cœur souffrant,
Le cœur humain, toujours le même
Sous le costume différent.

À quoi bon, si la terre est ronde,
Notre infinie avidité ?
On est si vite au bout d'un monde,
Quand il n'est pas illimité !

Or ma soif est celle de l'homme ;
Je n'ai pas de désir moyen,
Il me faut l'élite et la somme,
Il me faut le souverain bien !

II.

Ainsi mon orgueil dissimule
Les défaillances de ma foi,
Mais je sens bientôt un scrupule
Qui s'élève et murmure en moi :

Mon fier désespoir n'est peut-être
Qu'une excuse à ne point agir,
Et, comme au fond je me sens traître,
Un prétexte à n'en point rougir,

Un dédain paresseux qui ruse
Avec la rigueur du devoir,
Et de l'idéal même abuse
Pour me dispenser de vouloir.

Parce que la terre est bornée,
N'y faut-il voir qu'une prison,
Et faillir à la destinée
Qu'embrasse et clôt son horizon ?

Parce que l'amour perpétue
La vie et ses âpres combats,
Vaudra-t-il mieux qu'Adam se tue
Et qu'Athènes n'existe pas ?

Parce que la science est brève
Et le mystère illimité,
Faut-il lui préférer le rêve
Ou la complète cécité ?

Parce que la guerre nous lasse,
Faut-il, par mépris des plus forts,
Tendant la gorge au coup de grâce,
Leur fumer nos champs de nos corps ?

Parce que la force nombreuse
Appelle droit son bon plaisir,
Songe creux le savoir qui creuse,
Et l'art qui plane : vain loisir,

Faut-il laisser cette sauvage
Brûler les œuvres des neuf soeurs
Pour venger l'antique esclavage
Nourricier des premiers penseurs ?

Ah ! Faut-il que de la justice
Et de l'amour, désespérant,
Le cœur déçu se rapetisse
Dans un exil indifférent ?

Non, toute la phalange auguste
Des créateurs doit pour ses dieux,
Qui sont le vrai, le beau, le juste,
Combattre en dessillant les yeux,

Et du temple où chaque âge apporte
Le fruit sacré de ses efforts,
Ouvrir à deux battants la porte,
En défendre à mort les trésors !
La vindicte bourgeoise assassinait mon nom

Chinoisement, à coups d'épingle, quelle affaire !

Et la tempête allait plus âpre dans mon verre.

D'ailleurs du seul grief, Dieu bravé, pas un non,


Pas un oui, pas un mot ! L'Opinion sévère

Mais juste s'en moquait autant qu'une guenon

De noix vides. Ce bœuf bavant sur son fanon,

Le Public, mâchonnait ma gloire... encore à faire.


L'heure était tentatrice, et plusieurs d'entre ceux

Qui m'aimaient, en dépit de Prudhomme complice,

Tournèrent carrément, furent de mon supplice,


Ou se turent, la Peur les trouvant paresseux.

Mais vous, du premier jour vous fûtes simple, brave,

Fidèle : et dans un cœur bien fait cela se grave.
NGANGO HONORÉ Dec 2021
C'est évident, mais on refuse de l'accepter. 
Les feux Signalent, et là on s'invente une cécité. 
Nos proches nous parlent et soudain devient en plus Sourd.
On se croit futée quand on croit qu'on a échappé à l'évidence avec une Illusion. 


Et quand Illusion disparaît, l'effroi est que le cauchemar qu'on a laissé n'a pas bougé d'un poil.
En revenant à la sagesse et pour gagner en temps, la futée affrontera son cauchemar et le paresseux continuera son parcours sur le tapis roulant de l'Illusion jusqu'à sa prochaine déchéance.
Quand on ne veut écouter personne on cours à notre perte ,Sachons trier les bons des mauvais conseils .
Puisque rien ne t'arrête en cet heureux pays,
Ni l'ombre du palmier, ni le jaune maïs,
Ni le repos, ni l'abondance,
Ni de voir à ta voix battre le jeune sein
De nos sœurs, dont, les soirs, le tournoyant essaim
Couronne un coteau de sa danse,

Adieu, voyageur blanc ! J'ai sellé de ma main,
De peur qu'il ne te jette aux pierres du chemin,
Ton cheval à l'œil intrépide ;
Ses pieds fouillent le sol, sa croupe est belle à voir,
Ferme, ronde et luisante ainsi qu'un rocher noir
Que polit une onde rapide.

Tu marches donc sans cesse ! Oh ! que n'es-tu de ceux
Qui donnent pour limite à leurs pieds paresseux
Leur toit de branches ou de toiles !
Qui, rêveurs, sans en faire, écoutent les récits,
Et souhaitent, le soir, devant leur porte assis,
De s'en aller dans les étoiles !

Si tu l'avais voulu, peut-être une de nous,
Ô jeune homme, eût aimé te servir à genoux
Dans nos huttes toujours ouvertes ;
Elle eût fait, en berçant ton sommeil de ses chants,
Pour chasser de ton front les moucherons méchants,
Un éventail de feuilles vertes.

Mais tu pars ! - Nuit et jour, tu vas seul et jaloux.
Le fer de ton cheval arrache aux durs cailloux
Une poussière d'étincelles ;
A ta lance qui passe et dans l'ombre reluit,
Les aveugles démons qui volent dans la nuit
Souvent ont déchiré leurs ailes.

Si tu reviens, gravis, pour trouver ce hameau,
Ce mont noir qui de **** semble un dos de chameau ;
Pour trouver ma hutte fidèle,
Songe à son toit aigu comme une ruche à miel,
Qu'elle n'a qu'une porte, et qu'elle s'ouvre au ciel
Du côté d'où vient l'hirondelle.

Si tu ne reviens pas, songe un peu quelquefois
Aux filles du désert, sœurs à la douce voix,
Qui dansent pieds nus sur la dune ;
Ô beau jeune homme blanc, bel oiseau passager,
Souviens-toi, car peut-être, ô rapide étranger,
Ton souvenir reste à plus d'une !

Adieu donc ! - Va tout droit. Garde-toi du soleil
Qui dore nos fronts bruns, mais brûle un teint vermeil ;
De l'Arabie infranchissable ;
De la vieille qui va seule et d'un pas tremblant ;
Et de ceux qui le soir, avec un bâton blanc,
Tracent des cercles sur le sable !

Le 24 novembre 1828.
Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.

On sonne la cloche,
Dormez, les bons prisonniers !
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.

Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu'à vos amours
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !

Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !

Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un nuage passe.
Tiens, le petit jour !

Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !
Un de ces pieux solitaires
Qui, détachant leur cœur des choses d'ici bas,
Font vœu de renoncer à des biens qu'ils n'ont pas.
Pour vivre du bien de leurs frères,
Un dervis en un mot, s'en allait mendiant
Et priant,
Lorsque les cris plaintifs d'une jeune corneille
Par des parents cruels laissée en son berceau,
Presque sans plume encor, vinrent à son oreille.
Notre dervis regarde, et voit le pauvre oiseau
Allongeant sur son nid sa tête demi-nue :
Dans l'instant, du haut de la nue,
Un faucon descend vers ce nid,
Et, le bec rempli de pâture,
Il apporte sa nourriture
À l'orpheline qui gémit.
Ô du puissant Allah providence adorable !
S'écria le dervis : plutôt qu'un innocent
Périsse sans secours, tu rends compatissant
Des oiseaux le moins pitoyable !
Et moi, fils du très-haut, je chercherais mon pain !
Non, par le prophète j'en jure :
Tranquille désormais, je remets mon destin
À celui qui prend soin de toute la nature.
Cela dit, le dervis, couché tout de son long,
Se met à bayer aux corneilles,
De la création admire les merveilles,
De l'univers l'ordre profond.
Le soir vint, notre solitaire
Eut un peu d'appétit en faisant sa prière :
Ce n'est rien, disait-il ; mon souper va venir.
Le souper ne vient point. Allons, il faut dormir ;
Ce sera pour demain. Le lendemain l'aurore
Paraît, et point de déjeuner.
Ceci commence à l'étonner ;
Cependant il persiste encore,
Et croit à chaque instant voir venir son dîner.
Personne n'arrivait ; la journée est finie,
Et le dervis à jeun voyait d'un œil d'envie
Ce faucon qui venait toujours
Nourrir sa pupille chérie.
Tout-à-coup il l'entend lui tenir ce discours :
Tant que vous n'avez pu, ma mie,
Pourvoir vous-même à vos besoins,
De vous j'ai pris de tendres soins ;
À présent que vous voilà grande,
Je ne reviendrai plus. Allah nous recommande
Les faibles et les malheureux :
Mais être faible, ou paresseux,
C'est une grande différence.
Nous ne recevons l'existence
Qu'afin de travailler pour nous ou pour autrui.
De ce devoir sacré quiconque se dispense
Est puni de la providence
Par le besoin ou par l'ennui.
Le faucon dit et part. Touché de ce langage,
Le dervis converti reconnaît son erreur,
Et, gagnant le premier village,
Se fait valet de laboureur.
Sonnet.

Je vous ai vue enfant, maintenant que j'y pense,
Fraîche comme une rose et le cœur dans les yeux.
Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux ;
Vous aimiez lord Byron, les grands vers et la danse.

Ainsi nous revenaient les jours de notre enfance,
Et nous parlions déjà le langage des vieux ;
Ce jeune souvenir riait entre nous deux,
Léger comme un écho, *** comme l'espérance.

Le lâche craint le temps parce qu'il fait mourir ;
Il croit son mur gâté lorsqu'une fleur y pousse.
O voyageur ami, père du souvenir !

C'est ta main consolante, et si sage et si douce,
Qui consacre à jamais un pas fait sur la mousse,
Le hochet d'un enfant, un regard, un soupir.
Sonnet.


Heureux l'enfant qui meurt dans sa septième année
Avant l'âge où le cœur doit saigner pour jouir ;
Qui meurt de défaillance, en regardant bleuir
Sous les orangers d'or la Méditerranée !

On ne tient plus son âme aux leçons enchaînée,
Et, libre de s'éteindre, il croit s'épanouir.
Plus de maîtres ! c'est lui qui se fait obéir,
Et sa mère est pour lui comme une sœur aînée.

Par sa faiblesse même il fait céder les forts ;
Il prend ce qu'il désire avant qu'on le lui donne,
Et sa pâleur l'absout avant qu'on lui pardonne.

Indocile et choyé, paresseux sans remords,
C'est en suivant des yeux la fuite d'un navire
Qu'un soir, pendant qu'il rêve un voyage, il expire.

— The End —