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« Vraiment, notre siècle est étrangement délicat. S'imagine-t-il donc que la
cendre des bûchers soit totalement éteinte ? qu'il n'en soit pas resté le plus
petit tison pour allumer une seule torche ? Les insensés ! en nous appelant
jésuites, ils croient nous couvrir d'opprobre ! Mais ces jésuites leur réservent
la censure, un bâillon et du feu... Et, un jour, ils seront les maîtres de leurs maîtres... »

(Le Père ROOTHAAN, général des Jésuites, à la conférence de CHIÉRI.)


Ils ont dit : « Nous serons les vainqueurs et les maîtres.
Soldats par la tactique et par la robe prêtres,
Nous détruirons progrès, lois, vertus, droits, talents.
Nous nous ferons un fort avec tous ces décombres,
Et pour nous y garder, comme des dogues sombres,
Nous démusèlerons les préjugés hurlants.

« Oui, l'échafaud est bon ; la guerre est nécessaire ;
Acceptez l'ignorance, acceptez la misère ;
L'enfer attend l'orgueil du tribun triomphant ;
L'homme parvient à l'ange en passant par la buse.
Notre gouvernement fait de force et de ruse
Bâillonnera le père, abrutira l'enfant.

« Notre parole, hostile au siècle qui s'écoule,
Tombera de la chaire en flocons sur la foule
Elle refroidira les cœurs irrésolus,
Y glacera tout germe utile ou salutaire,
Et puis elle y fondra comme la neige à terre,
Et qui la cherchera ne la trouvera plus.

« Seulement un froid sombre aura saisi les âmes ;
Seulement nous aurons tué toutes les flammes
Et si quelqu'un leur crie, à ces français d'alors
Sauvez la liberté pour qui luttaient vos pères !
Ils riront, ces français sortis de nos repaires,
De la liberté morte et de leurs pères morts.

« Prêtres, nous écrirons sur un drapeau qui brille
- Ordre, Religion, Propriété, Famille. -
Et si quelque bandit, corse, juif ou payen,
Vient nous aider avec le parjure à la bouche,
Le sabre aux dents, la torche au poing, sanglant, farouche
Volant et massacrant, nous lui dirons : c'est bien !

« Vainqueurs, fortifiés aux lieux inabordables,
Nous vivrons arrogants, vénérés, formidables.
Que nous importe au fond Christ, Mahomet, Mithra !
Régner est notre but, notre moyen proscrire.
Si jamais ici-bas on entend notre rire,
Le fond obscur du cœur de l'homme tremblera.

« Nous garrotterons l'âme au fond d'une caverne.
Nations, l'idéal du peuple qu'on gouverne,
C'est le moine d'Espagne ou le fellah du Nil.
À bas l'esprit ! à bas le droit ! vive l'épée !
Qu'est-ce que la pensée ? une chienne échappée.
Mettons Jean-Jacques au bagne et Voltaire au chenil.

« Si l'esprit se débat, toujours nous l'étouffâmes.
Nous parlerons tout bas à l'oreille des femmes.
Nous aurons les pontons, l'Afrique, le Spielberg.
Les vieux bûchers sont morts, nous les ferons revivre
N'y pouvant jeter l'homme, on y jette le livre ;
À défaut de Jean Huss, nous brûlons Gutenberg.

« Et quant à la raison, qui prétend juger Rome,
Flambeau qu'allume Dieu sous le crâne de l'homme,
Dont s'éclairait Socrate et qui guidait Jésus,
Nous, pareils au voleur qui se glisse et qui rampe,
Et commence en entrant par éteindre la lampe,
En arrière et furtifs, nous soufflerons dessus.

« Alors dans l'âme humaine obscurité profonde.
Sur le néant des cœurs le vrai pouvoir se fonde.
Tout ce que nous voudrons, nous le ferons sans bruit.
Pas un souffle de voix, pas un battement d'aile
Ne remuera dans l'ombre, et notre citadelle
Sera comme une tour plus noire que la nuit.

« Nous régnerons. La tourbe obéit comme l'onde.
Nous serons tout-puissants, nous régirons le monde
Nous posséderons tout, force, gloire et bonheur ;
Et nous ne craindrons rien, n'ayant ni foi ni règles...  »
- Quand vous habiteriez la montagne des aigles,
Je vous arracherais de là, dit le Seigneur !

Le 8 novembre 1852, à Jersey
Un bon père cheval, veuf, et n'ayant qu'un fils,
L'élevait dans un pâturage
Où les eaux, les fleurs et l'ombrage
Présentaient à la fois tous les biens réunis.
Abusant pour jouir, comme on fait à cet âge,
Le poulain tous les jours se gorgeait de sainfoin,
Se vautrait dans l'herbe fleurie,
Galopait sans objet, se baignait sans envie,
Ou se reposait sans besoin.
Oisif et gras à lard, le jeune solitaire
S'ennuya, se lassa de ne manquer de rien ;
Le dégoût vint bientôt ; il va trouver son père :
Depuis longtemps, dit-il, je ne me sens pas bien ;
Cette herbe est malsaine et me tue,
Ce trèfle est sans saveur, cette onde est corrompue,
L'air qu'on respire ici m'attaque les poumons ;
Bref, je meurs si nous ne partons.
Mon fils, répond le père, il s'agit de ta vie,
À l'instant même il faut partir.
Sitôt dit, sitôt fait, ils quittent leur patrie.
Le jeune voyageur bondissait de plaisir :
Le vieillard, moins joyeux, allait un train plus sage ;
Mais il guidait l'enfant, et le faisait gravir
Sur des monts escarpés, arides, sans herbage,
Où rien ne pouvait le nourrir.
Le soir vint, point de pâturage ;
On s'en passa. Le lendemain,
Comme l'on commençait à souffrir de la faim,
On prit du bout des dents une ronce sauvage.
On ne galopa plus le reste du voyage ;
À peine, après deux jours, allait-on même au pas.
Jugeant alors la leçon faite,
Le père va reprendre une route secrète
Que son fils ne connaissait pas,
Et le ramène à sa prairie
Au milieu de la nuit. Dès que notre poulain
Retrouve un peu d'herbe fleurie,
Il se jette dessus : ah ! L'excellent festin !
La bonne herbe ! Dit-il : comme elle est douce et tendre !
Mon père, il ne faut pas s'attendre
Que nous puissions rencontrer mieux ;
Fixons-nous pour jamais dans ces aimables lieux :
Quel pays peut valoir cet asile champêtre ?
Comme il parlait ainsi, le jour vint à paraître :
Le poulain reconnaît le pré qu'il a quitté ;
Il demeure confus. Le père, avec bonté,
Lui dit : mon cher enfant, retiens cette maxime :
Quiconque jouit trop est bientôt dégoûté,
Il faut au bonheur du régime.
Il ne faut plus courir à travers les bruyères,
Enfant, ni sans congé vous hasarder au ****.
Vous êtes très petit, et vous avez besoin
Que l'on vous aide encore à dire vos prières.
Que feriez-vous aux champs, si vous étiez perdu ?
Si vous ne trouviez plus le sentier du village ?
On dirait : « Quoi, si jeune, il est mort ? c'est dommage ! »
Vous crierez... De si **** seriez-vous entendu ?
Vos petits compagnons, à l'heure accoutumée,
Danseraient à la porte et chanteraient tout bas ;
Il faudrait leur répondre, en la tenant fermée :
« Une mère est malade, enfants, ne chantez pas ! »
Et vos cris rediraient : « Ô ma mère ! ô ma mère ! »
L'écho vous répondrait, l'écho vous ferait peur.
L'herbe humide et la nuit vous transiraient le coeur.
Vous n'auriez à manger que quelque plante amère ;
Point de lait, point de lit !... Il faudrait donc mourir ?
J'en frissonne ! et vraiment ce tableau fait frémir.
Embrassons-nous, je vais vous conter une histoire ;
Ma tendresse pour vous éveille ma mémoire.

« Il était un berger, veillant avec amour
Sur des agneaux chéris, qui l'aimaient à leur tour.
Il les désaltérait dans une eau claire et saine,
Les baignait à la source, et blanchissait leur laine ;
Du serpolet, du thym, parfumait leurs repas ;
Des plus faibles encor guidait les premiers pas ;
D'un ruisseau quelquefois permettait l'escalade.
Si l'un d'eux, au retour, traînait un pied malade,
Il était dans ses bras tout doucement porté ;
Et, la nuit, sur son lit, dormait à son côté ;
Réveillés le matin par l'aurore vermeille,
Il leur jouait des airs à captiver l'oreille ;
Plus ****, quand ils broutaient leur souper sous ses yeux,
Aux sons de sa musette il les rendait joyeux.
Enfin il renfermait sa famille chérie
Dedans la bergerie.
Quand l'ombre sur les champs jetait son manteau noir,
Il leur disait : « Bonsoir,
Chers agneaux ! sans danger reposez tous ensemble ;
L'un par l'autre pressés, demeurez chaudement ;
Jusqu'à ce qu'un beau jour se lève et nous rassemble,
Sous la garde des chiens dormez tranquillement. »

Les chiens rôdaient alors, et le pasteur sensible
Les revoyait heureux dans un rêve paisible.
Eh ! ne l'étaient-ils pas ? Tous bénissaient leur sort,
Excepté le plus jeune ; hardi, malin, folâtre,
Des fleurs, du miel, des blés et des bois idolâtre,
Seul il jugeait tout bas que son maître avait tort.

Un jour, riant d'avance, et roulant sa chimère,
Ce petit fou d'agneau s'en vint droit à sa mère,
Sage et vieille brebis, soumise au bon pasteur.
« Mère ! écoutez, dit-il : d'où vient qu'on nous enferme ?
Les chiens ne le sont pas, et j'en prends de l'humeur.
Cette loi m'est trop dure, et j'y veux mettre un terme.
Je vais courir partout, j'y suis très résolu.
Le bois doit être beau pendant le clair de lune :
Oui, mère, dès ce soir je veux tenter fortune :
Tant pis pour le pasteur, c'est lui qui l'a voulu. »

- « Demeurez, mon agneau, dit la mère attendrie ;
Vous n'êtes qu'un enfant, bon pour la bergerie ;
Restez-y près de moi ! Si vous voulez partir,
Hélas ! j'ose pour vous prévoir un repentir. »

- « J'ose vous dire non ; cria le volontaire... »
Un chien les obligea tous les deux à se taire.

Quand le soleil couchant au parc les rappela,
Et que par flots joyeux le troupeau s'écoula,
L'agneau sous une haie établit sa cachette ;
Il avait finement détaché sa clochette.
Dès que le parc fut clos, il courut à l'entour,
Il jouait, gambadait, sautait à perdre haleine.
« Je voyage, dit-il, je suis libre à mon tour !
Je ris, je n'ai pas peur ; la lune est claire et pleine :
Allons au bois, dansons, broutons ! » Mais, par malheur,
Des loups pour leurs enfants cherchaient alors curée :
Un peu de laine, hélas ! sanglante et déchirée,
Fut tout ce que le vent daigna rendre au pasteur.
Jugez comme il fut triste, à l'aube renaissante !
Jugez comme on plaignit la mère gémissante !
« Quoi ! ce soir, cria-t-elle, on nous appellera,
Et ce soir... et jamais l'agneau ne répondra ! »
En l'appelant en vain elle affligea l'Aurore ;
Le soir elle mourut en l'appelant encore.
Sa grandeur éblouit l'histoire.
Quinze ans, il fut
Le dieu que traînait la victoire
Sur un affût ;
L'Europe sous la loi guerrière
Se débattit. -
Toi, son singe, marche derrière,
Petit, petit.

Napoléon dans la bataille,
Grave et serein,
Guidait à travers la mitraille
L'aigle d'airain.
Il entra sur le pont d'Arcole,
Il en sortit. -
Voici de l'or, viens, pille et vole,
Petit, petit.

Berlin, Vienne, étaient ses maîtresses ;
Il les forçait,
Leste, et prenant les forteresses
Par le corset.
Il triompha de cent bastilles
Qu'il investit. -
Voici pour toi, voici des filles,
Petit, petit.

Il passait les monts et les plaines,
Tenant en main
La palme, la foudre, et les rênes
Du genre humain ;
Il était ivre de sa gloire
Qui retentit. -
Voici du sang, accours, viens boire,
Petit, petit.

Quand il tomba, lâchant le monde,
L'immense mer
Ouvrit à sa chute profonde
Son gouffre amer ;
Il y plongea, sinistre archange,
Et s'engloutit. -
Toi, tu te noieras dans la fange,
Petit, petit.

Jersey, septembre 1853.
Kalyopée Feb 2019
Rappelles toi quand allongés sur le sable mort
L'eau acide submergeait lentement nos deux corps
Et a chaque brisement bruyant de lames
Les vagues emportaient un peu de notre âme
Souviens toi de la lumière rouge du cris des oiseaux
Et de nos vêtements humains collés à notre peau
Chaque ressac guidait ma conscience vers mes pieds
Nus, par lesquels elle pouvait gentiment s'échapper,
Rejoindre celle des marins, des pêcheurs, des soldats
Fixant aveuglément le libre et mouvant toit
Noyés aux poumons fleuris de créatures étranges
Dont les yeux vides et aimants patiemment nous démangent
Et laissent un vieux cœur battre dans la rouge écume
Sortant de ma poitrine, traversant la brume
Pour trouver son étoile, sans âme également
Car la mer qui donne prends tout a ses enfants.

— The End —