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Tandis qu'au **** des nuées,
Qui semblent des paradis,
Dans le bleu sont remuées,
Je t'écoute, et tu me dis :

« Quelle idée as-tu de l'homme,
« De croire qu'il aide Dieu ?
« L'homme est-il donc l'économe
« De l'eau, de l'air et du feu ?

« Est-ce que, dans son armoire,
« Tu l'aurais vu de tes yeux
« Serrer les rouleaux de moire
« Que l'aube déploie aux cieux ?

« Est-ce lui qui gonfle et ride
« La vague, et lui dit : Assez !
« Est-ce lui qui tient la bride
« Des éléments hérissés ?

« Sait-il le secret de l'herbe ?
« Parle-t-il au nid vivant ?
« Met-il sa note superbe
« Dans le noir clairon du vent ?

« La marée âpre et sonore
« Craint-elle son éperon ?
« Connaît-il le météore ?
« Comprend-il le moucheron ?

« L'homme aider Dieu ! lui, ce songe,
« Ce spectre en fuite et tremblant !
« Est-ce grâce à son éponge
« Que le cygne reste blanc ?

« Le fait veut, l'homme acquiesce.
« Je ne vois pas que sa main
« Découpe à l'emporte-pièce
« Les pétales du jasmin.

« Donne-t-il l'odeur aux sauges,
« Parce qu'il sait faire un trou
« Pour mêler le grès des Vosges
« Au salpêtre du Pérou ?

« Règle-t-il l'onde et la brise,
« Parce qu'il disséquera
« De l'argile qu'il a prise
« Près de Rio-Madera ?

« Ôte Dieu ; puis imagine,
« Essaie, invente ; épaissis
« L'idéal subtil d'Égine
« Par les dogmes d'Éleusis ;

« Soude Orphée à Lamettrie ;
« Joins, pour ne pas être à court,
« L'école d'Alexandrie
« À l'école d'Edimbourg ;

« Va du conclave au concile,
« D'Anaximandre à Destutt ;
« Dans quelque cuve fossile
« Exprime tout l'institut ;

« Démaillote la momie ;
« Presse Œdipe et Montyon ;
« Mets en pleine académie
« Le sphinx à la question ;

« Fouille le doute et la grâce ;
« Amalgame en ton guano
« À la Sybaris d'Horace
« Les Chartreux de saint Bruno ;

« Combine Genève et Rome ;
« Fais mettre par ton fermier
« Toutes les vertus de l'homme
« Dans une fosse à fumier ;

« Travaille avec patience
« En puisant au monde entier ;
« Prends pour pilon la science
« Et l'abîme pour mortier ;

« Va, forge ! je te défie
« De faire de ton savoir
« Et de ta philosophie
« Sortir un grain de blé noir !

« Dieu, de sa droite, étreint, fauche,
« Sème, et tout est rajeuni ;
« L'homme n'est qu'une main gauche
« Tâtonnant dans l'infini.

« Aux heures mystérieuses,
« Quand l'eau se change en miroir,
« Rôdes-tu sous les yeuses,
« L'esprit plongé dans le soir ?

« Te dis-tu : - Qu'est-ce que l'homme ? -
« Sonde, ami, sa nullité ;
« Cherche, de quel chiffre, en somme,
« Il accroît l'éternité !

« L'homme est vain. Pourquoi, poète,
« Ne pas le voir tel qu'il est,
« Dans le sépulcre squelette,
« Et sur la terre valet !

« L'homme est nu, stérile, blême,
« Plus frêle qu'un passereau ;
« C'est le puits du néant même
« Qui s'ouvre dans ce zéro.

« Va, Dieu crée et développe
« Un lion très réussi,
« Un bélier, une antilope,
« Sans le concours de Poissy.

« Il fait l'aile de la mouche
« Du doigt dont il façonna
« L'immense taureau farouche
« De la Sierra Morena ;

« Et dans l'herbe et la rosée
« Sa génisse au fier sabot
« Règne, et n'est point éclipsée
« Par la vache Sarlabot.

« Oui, la graine dans l'espace
« Vole à travers le brouillard,
« Et de toi le vent se passe,
« Semoir Jacquet-Robillard !

« Ce laboureur, la tempête,
« N'a pas, dans les gouffres noirs,
« Besoin que Grignon lui prête
« Sa charrue à trois versoirs.

« Germinal, dans l'atmosphère,  
« Soufflant sur les prés fleuris,  
« Sait encor mieux son affaire  
« Qu'un maraîcher de Paris.

« Quand Dieu veut teindre de flamme
« Le scarabée ou la fleur,
« Je ne vois point qu'il réclame
« La lampe de l'émailleur.

« L'homme peut se croire prêtre,
« L'homme peut se dire roi,
« Je lui laisse son peut-être,
« Mais je doute, quant à moi,

« Que Dieu, qui met mon image
« Au lac où je prends mon bain,
« Fasse faire l'étamage
« Des étangs, à Saint-Gobain.

« Quand Dieu pose sur l'eau sombre
« L'arc-en-ciel comme un siphon,
« Quand au tourbillon plein d'ombre
« Il attelle le typhon,

« Quand il maintient d'âge en âge
« L'hiver, l'été, mai vermeil,
« Janvier triste, et l'engrenage
« De l'astre autour du soleil,

« Quand les zodiaques roulent,
« Amarrés solidement,
« Sans que jamais elles croulent,
« Aux poutres du firmament,

« Quand tournent, rentrent et sortent
« Ces effrayants cabestans
« Dont les extrémités portent
« Le ciel, les saisons, le temps ;

« Pour combiner ces rouages
« Précis comme l'absolu,
« Pour que l'urne des nuages
« Bascule au moment voulu,

« Pour que la planète passe,
« Tel jour, au point indiqué,
« Pour que la mer ne s'amasse
« Que jusqu'à l'ourlet du quai,

« Pour que jamais la comète
« Ne rencontre un univers,
« Pour que l'essaim sur l'Hymète
« Trouve en juin les lys ouverts,

« Pour que jamais, quand approche
« L'heure obscure où l'azur luit,
« Une étoile ne s'accroche
« À quelque angle de la nuit,

« Pour que jamais les effluves
« Les forces, le gaz, l'aimant,
« Ne manquent aux vastes cuves
« De l'éternel mouvement,

« Pour régler ce jeu sublime,
« Cet équilibre béni,
« Ces balancements d'abîme,
« Ces écluses d'infini,

« Pour que, courbée ou grandie,
« L'oeuvre marche sans un pli,
« Je crois peu qu'il étudie
« La machine de Marly ! »

Ton ironie est amère,
Mais elle se trompe, ami.
Dieu compte avec l'éphémère,
Et s'appuie à la fourmi.

Dieu n'a rien fait d'inutile.
La terre, hymne où rien n'est vain,
Chante, et l'homme est le dactyle
De l'hexamètre divin.

L'homme et Dieu sont parallèles :
Dieu créant, l'homme inventant.
Dieu donne à l'homme ses ailes.
L'éternité fait l'instant.

L'homme est son auxiliaire
Pour le bien et la vertu.
L'arbre est Dieu, l'homme est le lierre ;
Dieu de l'homme s'est vêtu.

Dieu s'en sert, donc il s'en aide.
L'astre apparaît dans l'éclair ;
Zeus est dans Archimède,
Et Jéhovah dans Képler.

Jusqu'à ce que l'homme meure,
Il va toujours en avant.
Sa pensée a pour demeure
L'immense idéal vivant.

Dans tout génie il s'incarne ;
Le monde est sous son orteil ;
Et s'il n'a qu'une lucarne,
Il y pose le soleil.

Aux terreurs inabordable,
Coupant tous les fatals noeuds,
L'homme marche formidable,
Tranquille et vertigineux.

De limon il se fait lave,
Et colosse d'embryon ;
Epictète était esclave,
Molière était histrion,

Ésope était saltimbanque,
Qu'importe ! - il n'est arrêté
Que lorsque le pied lui manque
Au bord de l'éternité.

L'homme n'est pas autre chose
Que le prête-nom de Dieu.
Quoi qu'il fasse, il sent la cause
Impénétrable, au milieu.

Phidias cisèle Athènes ;
Michel-Ange est surhumain ;
Cyrus, Rhamsès, capitaines,
Ont une flamme à la main ;

Euclide trouve le mètre,
Le rythme sort d'Amphion ;
Jésus-Christ vient tout soumettre,
Même le glaive, au rayon ;

Brutus fait la délivrance ;
Platon fait la liberté ;
Jeanne d'Arc sacre la France
Avec sa virginité ;

Dans le bloc des erreurs noires
Voltaire ses coins ;
Luther brise les mâchoires
De Rome entre ses deux poings ;

Dante ouvre l'ombre et l'anime ;
Colomb fend l'océan bleu... -
C'est Dieu sous un pseudonyme,
C'est Dieu masqué, mais c'est Dieu.

L'homme est le fanal du monde.
Ce puissant esprit banni
Jette une lueur profonde
Jusqu'au seuil de l'infini.

Cent carrefours se partagent
Ce chercheur sans point d'appui ;
Tous les problèmes étagent
Leurs sombres voûtes sur lui.

Il dissipe les ténèbres ;
Il montre dans le lointain
Les promontoires funèbres
De l'abîme et du destin.

Il fait voir les vagues marches
Du sépulcre, et sa clarté
Blanchit les premières arches
Du pont de l'éternité.

Sous l'effrayante caverne
Il rayonne, et l'horreur fuit.
Quelqu'un tient cette lanterne ;
Mais elle t'éclaire, ô nuit !

Le progrès est en litige
Entre l'homme et Jéhovah ;
La greffe ajoute à la tige ;
Dieu cacha, l'homme trouva.

De quelque nom qu'on la nomme,
La science au vaste voeu
Occupe le pied de l'homme
À faire les pas de Dieu.

La mer tient l'homme et l'isole,
Et l'égare **** du port ;
Par le doigt de la boussole
Il se fait montrer le nord.

Dans sa morne casemate,
Penn rend ce damné meilleur ;
Jenner dit : Va-t-en, stigmate !
Jackson dit : Va-t-en, douleur !

Dieu fait l'épi, nous la gerbe ;
Il est grand, l'homme est fécond ;
Dieu créa le premier verbe
Et Gutenberg le second.

La pesanteur, la distance,
Contre l'homme aux luttes prêt,
Prononcent une sentence ;
Montgolfier casse l'arrêt.

Tous les anciens maux tenaces,
Hurlant sous le ciel profond,
Ne sont plus que des menaces
De fantômes qui s'en vont.

Le tonnerre au bruit difforme
Gronde... - on raille sans péril
La marionnette énorme
Que Franklin tient par un fil.

Nemrod était une bête
Chassant aux hommes, parmi
La démence et la tempête
De l'ancien monde ennemi.

Dracon était un cerbère
Qui grince encor sous le ciel
Avec trois têtes : Tibère,
Caïphe et Machiavel.

Nemrod s'appelait la Force,
Dracon s'appelait la Loi ;
On les sentait sous l'écorce
Du vieux prêtre et du vieux roi.

Tous deux sont morts. Plus de haines !
Oh ! ce fut un puissant bruit
Quand se rompirent les chaînes
Qui liaient l'homme à la nuit !

L'homme est l'appareil austère
Du progrès mystérieux ;
Dieu fait par l'homme sur terre
Ce qu'il fait par l'ange aux cieux.

Dieu sur tous les êtres pose
Son reflet prodigieux,
Créant le bien par la chose,
Créant par l'homme le mieux.

La nature était terrible,
Sans pitié, presque sans jour ;
L'homme la vanne en son crible,
Et n'y laisse que l'amour.

Toutes sortes de lois sombres
Semblaient sortir du destin ;
Le mal heurtait aux décombres
Le pied de l'homme incertain.

Pendant qu'à travers l'espace
Elle roule en hésitant ;
Un flot de ténèbres passe
Sur la terre à chaque instant ;

Mais des foyers y flamboient,
Tout s'éclaircit, on le sent,
Et déjà les anges voient
Ce noir globe blanchissant.

Sous l'urne des jours sans nombre
Depuis qu'il suit son chemin,
La décroissance de l'ombre
Vient des yeux du genre humain.

L'autel n'ose plus proscrire ;
La misère est morte enfin ;
Pain à tous ! on voit sourire
Les sombres dents de la faim.

L'erreur tombe ; on l'évacue ;
Les dogmes sont muselés ;
La guerre est une vaincue ;
Joie aux fleurs et paix aux blés !

L'ignorance est terrassée ;
Ce monstre, à demi dormant,
Avait la nuit pour pensée
Et pour voix le bégaiement.

Oui, voici qu'enfin recule
L'affreux groupe des fléaux !
L'homme est l'invincible hercule,
Le balayeur du chaos.

Sa massue est la justice,
Sa colère est la bonté.
Le ciel s'appuie au solstice
Et l'homme à sa volonté.

Il veut. Tout cède et tout plie.
Il construit quand il détruit ;
Et sa science est remplie
Des lumières de la nuit.

Il enchaîne les désastres,
Il tord la rébellion,
Il est sublime ; et les astres
Sont sur sa peau de lion.
Ce n'est donc pas assez ; et de la part des muses,
Ariste, c'est en vers qu'il vous faut des excuses ;
Et la mienne pour vous n'en plaint pas la façon :
Cent vers lui coûtent moins que deux mots de chanson ;
Son feu ne peut agir quand il faut qu'il s'explique
Sur les fantasques airs d'un rêveur de musique,
Et que, pour donner lieu de paraître à sa voix,
De sa bizarre quinte il se fasse des lois ;
Qu'il ait sur chaque ton ses rimes ajustées,
Sur chaque tremblement ses syllabes comptées,
Et qu'une froide pointe à la fin d'un couplet
En dépit de Phébus donne à l'art un soufflet :
Enfin cette prison déplaît à son génie ;
Il ne peut rendre hommage à cette tyrannie ;
Il ne se leurre point d'animer de beaux chants,
Et veut pour se produire avoir la clef des champs.

C'est lors qu'il court d'haleine, et qu'en pleine carrière,
Quittant souvent la terre en quittant la barrière,
Puis, d'un vol élevé se cachant dans les cieux,
Il rit du désespoir de tous ses envieux.
Ce trait est un peu vain, Ariste, je l'avoue ;
Mais faut-il s'étonner d'un poète qui se loue ?

Le Parnasse, autrefois dans la France adoré,
Faisait pour ses mignons un autre âge doré :
Notre fortune enflait du prix de nos caprices,
Et c'était une banque à de bons bénéfices :
Mais elle est épuisée, et les vers à présent
Aux meilleurs du métier n'apportent que du vent ;
Chacun s'en donne à l'aise, et souvent se dispense
A prendre par ses mains toute sa récompense.

Nous nous aimons un peu, c'est notre faible à tous ;
Le prix que nous valons, qui le sait mieux que nous ?
Et puis la mode en est, et la cour l'autorise.
Nous parlons de nous-mêmes avec toute franchise ;
La fausse humilité ne met plus en crédit.  

Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit.
Pour me faire admirer je ne fais point de ligue ;
J'ai peu de voix pour moi, mais je les ai sans brigue ;
Et mon ambition, pour faire plus de bruit,
Ne les va point quêter de réduit en réduit ;
Mon travail sans appui monte sur le théâtre ;
Chacun en liberté l'y blâme ou l'idolâtre :
Là, sans que mes amis prêchent leurs sentiments,
J'arrache quelquefois leurs applaudissements ;
Là, content du succès que le mérite donne,
Par d'illustres avis je n'éblouis personne ;
Je satisfais ensemble et peuple et courtisans,
Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans :
Par leur seule beauté ma plume est estimée :
Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée ;
Et pense toutefois n'avoir point de rival
A qui je fasse tort en le traitant d'égal.

Mais insensiblement je baille ici le change,
Et mon esprit s'égare en sa propre louange ;
Sa douceur me séduit, je m'en laisse abuser,
Et me vante moi-même, au lieu de m'excuser.

Revenons aux chansons que l'amitié demande :
J'ai brûlé fort longtemps d'une amour assez grande,
Et que jusqu'au tombeau je dois bien estimer,
Puisque ce fut par là que j'appris à rimer.
Mon bonheur commença quand mon âme fut prise.
Je gagnais de la gloire en perdant ma franchise.
Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour ;
Et ce que j'ai de nom je le dois à l'amour.

J'adorais donc Phylis ; et la secrète estime
Que ce divin esprit faisait de notre rime
Me fit devenir poète aussitôt qu'amoureux :
Elle eut mes premiers vers, elle eut mes premiers feux ;
Et bien que maintenant cette belle inhumaine
Traite mon souvenir avec un peu de haine,
Je me trouve toujours en état de l'aimer ;
Je me sens tout ému quand je l'entends nommer,
Et par le doux effet d'une prompte tendresse
Mon cœur sans mon aveu reconnaît sa maîtresse.

Après beaucoup de vœux et de submissions
Un malheur rompt le cours de nos affections ;
Mais, tout mon amour en elle consommée,
Je ne vois rien d'aimable après l'avoir aimée :
Aussi n'aimais-je plus, et nul objet vainqueur
N'a possédé depuis ma veine ni mon cœur.

Vous le dirai-je, ami ? tant qu'ont duré nos flammes,
Ma muse également chatouillait nos deux âmes :
Elle avait sur la mienne un absolu pouvoir ;
J'aimais à le décrire, elle à le recevoir.
Une voix ravissante, ainsi que son visage,
La faisait appeler le phénix de notre âge ;
Et souvent de sa part je me suis vu presser
Pour avoir de ma main de quoi mieux l'exercer.

Jugez vous-même, Ariste, à cette douce amorce,
Si mon génie était pour épargner sa force :
Cependant mon amour, le père de mes vers,
Le fils du plus bel œil qui fût en l'univers,
A qui désobéir c'était pour moi des crimes,
Jamais en sa faveur n'en put tirer deux rimes :
Tant mon esprit alors, contre moi révolté,
En haine des chansons semblait m'avoir quitté ;
Tant ma veine se trouve aux airs mal assortie,
Tant avec la musique elle a d'antipathie ;
Tant alors de bon cœur elle renonce au jour !
Et l'amitié voudrait ce que n'a pu l'amour !
N'y pensez plus, Ariste ; une telle injustice
Exposerait ma muse à son plus grand supplice.
Laissez-la toujours libre, agir suivant son choix,
Céder à son caprice, et s'en faire des lois.
Avant de nous couvrir de l'or, de la myrrhe et de la rosée
Des eaux de nos volcans secrets
Je voudrais avant l'ultime explication
Avant qu'on n 'enterre sous nos mahots bleus,
Nos arbres à pluie et nos figuiers étrangleurs,
Panthéons naturels de nos divinités
Nos cordons ombilicaux amoureux,
Je voudrais, ma fine amour,
Qu'on fasse ripaille dans les Terres Inconnues
Qu'on fasse les 800 coups dans la Mer Dangereuse
Qu'on mange, qu'on rie, qu'on s'émeuve dans la Mer d'Inimitié
Qu'on prenne à bras le corps nos insaisissables cris et gémissements
Incompréhensibles de dugongs et de baleines à bosses
Qu'on s'en saisisse et qu'on les épingle
Comme des papillons rares sur une planche
Ou des fougères phosphorescentes sur un herbier
Sous du papier buvard avant de les faire sécher
A l'étuve de nos passions microendémiques.
Etudions la fréquence de nos cris
Et de nos épanchements
Grâce aux balises GPS
Inventorions les sauts intimes, les semences nouvelles, les racines-arceaux
Et donnons un nom local et scientifique à chaque nouvelle espèce
A chaque nouvelle danse, morsure, griffure ou caresse
Récupérons des spécimens de nos territoires
Identifions les hot spots de notre patrimoine amoureux
Et en fonction de leur risque d'extinction
Elaborons un plan de sauvegarde de la biodiversité
De notre Carte de Tendre
De nos fonds, de nos mangroves et de nos pitons.
Nous sommes botanistes, océanographes et naturalistes
Nous sommes vétérinaires de notre réserve naturelle
Notre jardin des plantes, notre forêt, notre laboratoire
Notre pépinière, notre refuge, notre corps tropical.
Lorsque le grand Byron allait quitter Ravenne,
Et chercher sur les mers quelque plage lointaine
Où finir en héros son immortel ennui,
Comme il était assis aux pieds de sa maîtresse,
Pâle, et déjà tourné du côté de la Grèce,
Celle qu'il appelait alors sa Guiccioli
Ouvrit un soir un livre où l'on parlait de lui.

Avez-vous de ce temps conservé la mémoire,
Lamartine, et ces vers au prince des proscrits,
Vous souvient-il encor qui les avait écrits ?
Vous étiez jeune alors, vous, notre chère gloire.
Vous veniez d'essayer pour la première fois
Ce beau luth éploré qui vibre sous vos doigts.
La Muse que le ciel vous avait fiancée
Sur votre front rêveur cherchait votre pensée,
Vierge craintive encore, amante des lauriers.
Vous ne connaissiez pas, noble fils de la France,
Vous ne connaissiez pas, sinon par sa souffrance,
Ce sublime orgueilleux à qui vous écriviez.
De quel droit osiez-vous l'aborder et le plaindre ?
Quel aigle, Ganymède, à ce Dieu vous portait ?
Pressentiez-vous qu'un jour vous le pourriez atteindre,
Celui qui de si haut alors vous écoutait ?
Non, vous aviez vingt ans, et le coeur vous battait
Vous aviez lu Lara, Manfred et le Corsaire,
Et vous aviez écrit sans essuyer vos pleurs ;
Le souffle de Byron vous soulevait de terre,
Et vous alliez à lui, porté par ses douleurs.
Vous appeliez de **** cette âme désolée ;
Pour grand qu'il vous parût, vous le sentiez ami
Et, comme le torrent dans la verte vallée,
L'écho de son génie en vous avait gémi.
Et lui, lui dont l'Europe, encore toute armée,
Écoutait en tremblant les sauvages concerts ;
Lui qui depuis dix ans fuyait sa renommée,
Et de sa solitude emplissait l'univers ;
Lui, le grand inspiré de la Mélancolie,
Qui, las d'être envié, se changeait en martyr ;
Lui, le dernier amant de la pauvre Italie,
Pour son dernier exil s'apprêtant à partir ;
Lui qui, rassasié de la grandeur humaine,
Comme un cygne à son chant sentant sa mort prochaine,
Sur terre autour de lui cherchait pour qui mourir...
Il écouta ces vers que lisait sa maîtresse,
Ce doux salut lointain d'un jeune homme inconnu.
Je ne sais si du style il comprit la richesse ;
Il laissa dans ses yeux sourire sa tristesse :
Ce qui venait du coeur lui fut le bienvenu.

Poète, maintenant que ta muse fidèle,
Par ton pudique amour sûre d'être immortelle,
De la verveine en fleur t'a couronné le front,
À ton tour, reçois-moi comme le grand Byron.
De t'égaler jamais je n'ai pas l'espérance ;
Ce que tu tiens du ciel, nul ne me l'a promis,
Mais de ton sort au mien plus grande est la distance,
Meilleur en sera Dieu qui peut nous rendre amis.
Je ne t'adresse pas d'inutiles louanges,
Et je ne songe point que tu me répondras ;
Pour être proposés, ces illustres échanges
Veulent être signés d'un nom que je n'ai pas.
J'ai cru pendant longtemps que j'étais las du monde ;
J'ai dit que je niais, croyant avoir douté,
Et j'ai pris, devant moi, pour une nuit profonde
Mon ombre qui passait pleine de vanité.
Poète, je t'écris pour te dire que j'aime,
Qu'un rayon du soleil est tombé jusqu'à moi,
Et qu'en un jour de deuil et de douleur suprême
Les pleurs que je versais m'ont fait penser à toi.

Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse,
Ne sait par coeur ce chant, des amants adoré,
Qu'un soir, au bord d'un lac, tu nous as soupiré ?
Qui n'a lu mille fois, qui ne relit sans cesse
Ces vers mystérieux où parle ta maîtresse,
Et qui n'a sangloté sur ces divins sanglots,
Profonds comme le ciel et purs comme les flots ?
Hélas ! ces longs regrets des amours mensongères,
Ces ruines du temps qu'on trouve à chaque pas,
Ces sillons infinis de lueurs éphémères,
Qui peut se dire un homme et ne les connaît pas ?
Quiconque aima jamais porte une cicatrice ;
Chacun l'a dans le sein, toujours prête à s'ouvrir ;
Chacun la garde en soi, cher et secret supplice,
Et mieux il est frappé, moins il en veut guérir.
Te le dirai-je, à toi, chantre de la souffrance,
Que ton glorieux mal, je l'ai souffert aussi ?
Qu'un instant, comme toi, devant ce ciel immense,
J'ai serré dans mes bras la vie et l'espérance,
Et qu'ainsi que le tien, mon rêve s'est enfui ?
Te dirai-je qu'un soir, dans la brise embaumée,
Endormi, comme toi, dans la paix du bonheur,
Aux célestes accents d'une voix bien-aimée,
J'ai cru sentir le temps s'arrêter dans mon coeur ?
Te dirai-je qu'un soir, resté seul sur la terre,
Dévoré, comme toi, d'un affreux souvenir,
Je me suis étonné de ma propre misère,
Et de ce qu'un enfant peut souffrir sans mourir ?
Ah ! ce que j'ai senti dans cet instant terrible,
Oserai-je m'en plaindre et te le raconter ?
Comment exprimerai-je une peine indicible ?
Après toi, devant toi, puis-je encor le tenter ?
Oui, de ce jour fatal, plein d'horreur et de charmes,
Je veux fidèlement te faire le récit ;
Ce ne sont pas des chants, ce ne sont pas des larmes,
Et je ne te dirai que ce que Dieu m'a dit.

Lorsque le laboureur, regagnant sa chaumière,
Trouve le soir son champ rasé par le tonnerre,
Il croit d'abord qu'un rêve a fasciné ses yeux,
Et, doutant de lui-même, interroge les cieux.
Partout la nuit est sombre, et la terre enflammée.
Il cherche autour de lui la place accoutumée
Où sa femme l'attend sur le seuil entr'ouvert ;
Il voit un peu de cendre au milieu d'un désert.
Ses enfants demi-nus sortent de la bruyère,
Et viennent lui conter comme leur pauvre mère
Est morte sous le chaume avec des cris affreux ;
Mais maintenant au **** tout est silencieux.
Le misérable écoute et comprend sa ruine.
Il serre, désolé, ses fils sur sa poitrine ;
Il ne lui reste plus, s'il ne tend pas la main,
Que la faim pour ce soir et la mort pour demain.
Pas un sanglot ne sort de sa gorge oppressée ;
Muet et chancelant, sans force et sans pensée,
Il s'assoit à l'écart, les yeux sur l'horizon,
Et regardant s'enfuir sa moisson consumée,
Dans les noirs tourbillons de l'épaisse fumée
L'ivresse du malheur emporte sa raison.

Tel, lorsque abandonné d'une infidèle amante,
Pour la première fois j'ai connu la douleur,
Transpercé tout à coup d'une flèche sanglante,
Seul je me suis assis dans la nuit de mon coeur.
Ce n'était pas au bord d'un lac au flot limpide,
Ni sur l'herbe fleurie au penchant des coteaux ;
Mes yeux noyés de pleurs ne voyaient que le vide,
Mes sanglots étouffés n'éveillaient point d'échos.
C'était dans une rue obscure et tortueuse
De cet immense égout qu'on appelle Paris :
Autour de moi criait cette foule railleuse
Qui des infortunés n'entend jamais les cris.
Sur le pavé noirci les blafardes lanternes
Versaient un jour douteux plus triste que la nuit,
Et, suivant au hasard ces feux vagues et ternes,
L'homme passait dans l'ombre, allant où va le bruit.
Partout retentissait comme une joie étrange ;
C'était en février, au temps du carnaval.
Les masques avinés, se croisant dans la fange,
S'accostaient d'une injure ou d'un refrain banal.
Dans un carrosse ouvert une troupe entassée
Paraissait par moments sous le ciel pluvieux,
Puis se perdait au **** dans la ville insensée,
Hurlant un hymne impur sous la résine en feux.
Cependant des vieillards, des enfants et des femmes
Se barbouillaient de lie au fond des cabarets,
Tandis que de la nuit les prêtresses infâmes
Promenaient çà et là leurs spectres inquiets.
On eût dit un portrait de la débauche antique,
Un de ces soirs fameux, chers au peuple romain,
Où des temples secrets la Vénus impudique
Sortait échevelée, une torche à la main.
Dieu juste ! pleurer seul par une nuit pareille !
Ô mon unique amour ! que vous avais-je fait ?
Vous m'aviez pu quitter, vous qui juriez la veille
Que vous étiez ma vie et que Dieu le savait ?
Ah ! toi, le savais-tu, froide et cruelle amie,
Qu'à travers cette honte et cette obscurité
J'étais là, regardant de ta lampe chérie,
Comme une étoile au ciel, la tremblante clarté ?
Non, tu n'en savais rien, je n'ai pas vu ton ombre,
Ta main n'est pas venue entr'ouvrir ton rideau.
Tu n'as pas regardé si le ciel était sombre ;
Tu ne m'as pas cherché dans cet affreux tombeau !

Lamartine, c'est là, dans cette rue obscure,
Assis sur une borne, au fond d'un carrefour,
Les deux mains sur mon coeur, et serrant ma blessure,
Et sentant y saigner un invincible amour ;
C'est là, dans cette nuit d'horreur et de détresse,
Au milieu des transports d'un peuple furieux
Qui semblait en passant crier à ma jeunesse,
« Toi qui pleures ce soir, n'as-tu pas ri comme eux ? »
C'est là, devant ce mur, où j'ai frappé ma tête,
Où j'ai posé deux fois le fer sur mon sein nu ;
C'est là, le croiras-tu ? chaste et noble poète,
Que de tes chants divins je me suis souvenu.
Ô toi qui sais aimer, réponds, amant d'Elvire,
Comprends-tu que l'on parte et qu'on se dise adieu ?
Comprends-tu que ce mot la main puisse l'écrire,
Et le coeur le signer, et les lèvres le dire,
Les lèvres, qu'un baiser vient d'unir devant Dieu ?
Comprends-tu qu'un lien qui, dans l'âme immortelle,
Chaque jour plus profond, se forme à notre insu ;
Qui déracine en nous la volonté rebelle,
Et nous attache au coeur son merveilleux tissu ;
Un lien tout-puissant dont les noeuds et la trame
Sont plus durs que la roche et que les diamants ;
Qui ne craint ni le temps, ni le fer, ni la flamme,
Ni la mort elle-même, et qui fait des amants
Jusque dans le tombeau s'aimer les ossements ;
Comprends-tu que dix ans ce lien nous enlace,
Qu'il ne fasse dix ans qu'un seul être de deux,
Puis tout à coup se brise, et, perdu dans l'espace,
Nous laisse épouvantés d'avoir cru vivre heureux ?
Ô poète ! il est dur que la nature humaine,
Qui marche à pas comptés vers une fin certaine,
Doive encor s'y traîner en portant une croix,
Et qu'il faille ici-bas mourir plus d'une fois.
Car de quel autre nom peut s'appeler sur terre
Cette nécessité de changer de misère,
Qui nous fait, jour et nuit, tout prendre et tout quitter.
Si bien que notre temps se passe à convoiter ?
Ne sont-ce pas des morts, et des morts effroyables,
Que tant de changements d'êtres si variables,
Qui se disent toujours fatigués d'espérer,
Et qui sont toujours prêts à se transfigurer ?
Quel tombeau que le coeur, et quelle solitude !
Comment la passion devient-elle habitude,
Et comment se fait-il que, sans y trébucher,
Sur ses propres débris l'homme puisse marcher ?
Il y marche pourtant ; c'est Dieu qui l'y convie.
Il va semant partout et prodiguant sa vie :
Désir, crainte, colère, inquiétude, ennui,
Tout passe et disparaît, tout est fantôme en lui.
Son misérable coeur est fait de telle sorte
Qu'il fuit incessamment qu'une ruine en sorte ;
Que la mort soit son terme, il ne l'ignore pas,
Et, marchant à la mort, il meurt à chaque pas.
Il meurt dans ses amis, dans son fils, dans son père,
Il meurt dans ce qu'il pleure et dans ce qu'il espère ;
Et, sans parler des corps qu'il faut ensevelir,
Qu'est-ce donc qu'oublier, si ce n'est pas mourir ?
Ah ! c'est plus que mourir, c'est survivre à soi-même.
L'âme remonte au ciel quand on perd ce qu'on aime.
Il ne reste de nous qu'un cadavre vivant ;
Le désespoir l'habite, et le néant l'attend.

Eh bien ! bon ou mauvais, inflexible ou fragile,
Humble ou fier, triste ou ***, mais toujours gémissant,
Cet homme, tel qu'il est, cet être fait d'argile,
Tu l'as vu, Lamartine, et son sang est ton sang.
Son bonheur est le tien, sa douleur est la tienne ;
Et des maux qu'ici-bas il lui faut endurer
Pas un qui ne te touche et qui ne t'appartienne ;
Puisque tu sais chanter, ami, tu sais pleurer.
Dis-moi, qu'en penses-tu dans tes jours de tristesse ?
Que t'a dit le malheur, quand tu l'as consulté ?
Trompé par tes amis, trahi par ta maîtresse,
Du ciel et de toi-même as-tu jamais douté ?

Non, Alphonse, jamais. La triste expérience
Nous apporte la cendre, et n'éteint pas le feu.
Tu respectes le mal fait par la Providence,
Tu le laisses passer, et tu crois à ton Dieu.
Quel qu'il soit, c'est le mien ; il n'est pas deux croyances
Je ne sais pas son nom, j'ai regardé les cieux ;
Je sais qu'ils sont à Lui, je sais qu'ils sont immenses,
Et que l'immensité ne peut pas être à deux.
J'ai connu, jeune encore, de sévères souffrances,
J'ai vu verdir les bois, et j'ai tenté d'aimer.
Je sais ce que la terre engloutit d'espérances,
Et, pour y recueillir, ce qu'il y faut semer.
Mais ce que j'ai senti, ce que je veux t'écrire,
C'est ce que m'ont appris les anges de douleur ;
Je le sais mieux encore et puis mieux te le dire,
Car leur glaive, en entrant, l'a gravé dans mon coeur :

Créature d'un jour qui t'agites une heure,
De quoi viens-tu te plaindre et qui te fait gémir ?
Ton âme t'inquiète, et tu crois qu'elle pleure :
Ton âme est immortelle, et tes pleurs vont tarir.

Tu te sens le coeur pris d'un caprice de femme,
Et tu dis qu'il se brise à force de souffrir.
Tu demandes à Dieu de soulager ton âme :
Ton âme est immortelle, et ton coeur va guérir.

Le regret d'un instant te trouble et te dévore ;
Tu dis que le passé te voile l'avenir.
Ne te plains pas d'hier ; laisse venir l'aurore :
Ton âme est immortelle, et le temps va s'enfuir

Ton corps est abattu du mal de ta pensée ;
Tu sens ton front peser et tes genoux fléchir.
Tombe, agenouille-toi, créature insensée :
Ton âme est immortelle, et la mort va venir.

Tes os dans le cercueil vont tomber en poussière
Ta mémoire, ton nom, ta gloire vont périr,
Mais non pas ton amour, si ton amour t'est chère :
Ton âme est immortelle, et va s'en souvenir.
Mon ami, ma plus belle amitié, ma meilleure,

- Les morts sont morts, douce leur soit l'éternité !

Laisse-moi te le dire en toute vérité,

Tu vins au temps marqué, tu parus à ton heure ;


Tu parus sur ma vie et tu vins dans mon cœur

Au jour climatérique où, noir vaisseau qui sombre,

J'allais noyer ma chair sous la débauche sombre.

Ma chair dolente, et mon esprit jadis vainqueur,


Et mon âme naguère et jadis toute blanche !

Mais tu vins, tu parus, tu vins comme un voleur,

- Tel Christ viendra - Voleur qui m'a pris mon malheur !

Tu parus sur ma mer non pas comme une planche


De salut, mais le Salut même ! Ta vertu

Première, la gaieté, c'est elle-même, franche

Comme l'or, comme un bel oiseau sur une brandie

Qui s'envole dans un brillant turlututu.


Emportant sur son aile électrique les ires

Et les affres et les tentations encor ;

Ton bon sens, - tel après du fifre c'est du cor, -

Vient paisiblement mettre fin aux délires,


N'étant point, ô que non ! le prud'homisme affreux,

Mais l'équilibre, mais la vision artiste,

Sûre et sincère et qui persiste et qui résiste

A l'argumentateur plat comme un songe creux ;


Et ta bonté, conforme à ta jeunesse, est verte,

Mais elle va mûrir délicieusement !

Elle met dans tout moi le renouveau charmant

D'une sève éveillée et d'une âme entr'ouverte.


Elle étend, sous mes pieds, un gazon souple et frais

Où ces marcheurs saignants reprennent du courage,

Caressés par des fleurs au *** parfum sauvage,

Lavés de la rosée et s'attardant exprès.


Elle met sur ma tête, aux tempêtes calmées.

Un ciel profond et clair où passe le vent pur

Et vif, éparpillant les notes dans l'azur

D'oiseaux volant et s'éveillant sous les ramées.


Elle verse à mes yeux, qui ne pleureront plus,

Un paisible sommeil dans la nuit transparente

Que de rêves légers bénissent, troupe errante

De souvenirs et d'espoirs révolus.


Avec des tours naïfs et des besoins d'enfance,

Elle veut être fière et rêve de pouvoir

Être rude un petit sans pouvoir que vouloir

Tant le bon mouvement sur l'autre prend d'avance.


J'use d'elle et parfois d'elle j'abuserais

Par égoïsme un peu bien surérogatoire,

Tort d'ailleurs pardonnable en toute humaine histoire

Mais non dans celle-ci, de crainte des regrets.


De mon côté, c'est vrai qu'à travers mes caprices,

Mes nerfs et tout le train de mon tempérament.

Je t'estime et je t'estime, ô si fidèlement,

Trouvant dans ces devoirs mes plus chères délices.


Déployant tout le peu que j'ai de paternel

Plus encor que de fraternel, malgré l'extrême

Fraternité, tu sais, qu'est notre amitié même,

Exultant sur ce presque amour presque charnel !


Presque charnel à force de sollicitude

Paternelle vraiment et maternelle aussi.

Presque un amour à cause, ô toi de l'insouci

De vivre sinon pour cette sollicitude.


Vaste, impétueux donc, et de prime-saut, mais

Non sans prudence en raison de l'expérience

Très douloureuse qui m'apprit toute nuance.

Du jour lointain, quand la première fois j'aimais :


Ce presque amour est saint ; il bénit d'innocence

Mon reste d'une vie en somme toute au mal,

Et c'est comme les eaux d'un torrent baptismal

Sur des péchés qu'en vain l'Enfer déçu recense.


Aussi, précieux toi plus cher que tous les moi

Que je fus et serai si doit durer ma vie,

Soyons tout l'un pour l'autre en dépit de l'envie,

Soyons tout l'un à l'autre en toute bonne foi.


Allons, d'un bel élan qui demeure exemplaire

Et fasse autour le monde étonné chastement,

Réjouissons les cieux d'un spectacle charmant

Et du siècle et du sort défions la colère.


Nous avons le bonheur ainsi qu'il est permis.

Toi de qui la pensée est toute dans la mienne,

Il n'est, dans la légende actuelle et l'ancienne

Rien de plus noble et de plus beau que deux amis,


Déployant à l'envi les splendeurs de leurs âmes,

Le Sacrifice et l'Indulgence jusqu'au sang,

La Charité qui porte un monde dans son flanc

Et toutes les pudeurs comme de douces flammes !


Soyons tout l'un à l'autre enfin ! et l'un pour l'autre

En dépit des jaloux, et de nos vains soupçons,

A nous, et cette foi pour de bon, renonçons

Au vil respect humain où la foule se vautre,


Afin qu'enfin ce Jésus-Christ qui nous créa

Nous fasse grâce et fasse grâce au monde immonde

D'autour de nous alors unis, - paix sans seconde ! -

Définitivement, et dicte: Alléluia.


« Qu'ils entrent dans ma joie et goûtent mes louanges ;

Car ils ont accompli leur tâche comme dû,

Et leur cri d'espérance, il me fut entendu,

Et voilà pourquoi les anges et les archanges


S'écarteront de devant Moi pour avoir admis,

Purifiés de tous péchés inévitables

Et des traverses quelquefois épouvantables,

Ce couple infiniment bénissable d'Amis. »
EM Jun 2014
les deux filles se tenaient maintenant debout face a face. elles avaient l'air plus calmées mais ça en était pas le cas. une atmosphère inconfortable régnait dans la chambre et rien ne se fessait entendre appart les gouttelettes de pluie qui frôlaient furieusement les vitres des fenêtres. plusieurs minutes se passaient lourdement en silence.
"je suis folle amoureuse de lui!" hurla enfin Neira
Esra garda le silence, elle ne préférait pas répondre et n'avait rien a dire en tout cas. elle étais mal à l'aise avec le fait qu'une autre était amoureuse de lui. lui. cet homme impardonnable. elle reçoit presque chaque semaine une histoire le concernant; une histoire qui lui fessait douter de leur relation de plus en plus, une histoire qui fessait diminuer son respect pour lui de plus en plus. cet homme qu'elle a cru être différent c'est avérait similaire aux autres cons si'il n'était pas encore pire. "je n'ai jamais su les choisir" se dit-elle. elle regarda Neira qui avais les yeux larmoyants avec pitié. "pauvre petite" pensa-elle. elle ressentait une certaine culpabilité pour cette situations. si elle n'avait pas bourrer son nez dans les affaires des autre, elle ne serait pas la en ce moment, elle n'aurait pas su cette histoire et elle n'aurait pas briser le cœur de cette fille. oui elle aurait préféré ne pas savoir. un proverbe anglais disait que ce que nous ne savons pas ne nous fait pas mal; et elle y croie forment. elle était sur qu'il y'avait encore plein de choses et de drame sur lui qu'elle ne savait pas et elle en était satisfaite, parce qu’elle savait qu'elle ne pourrais jamais s’éloigner de lui quelque soit ce qu'elle découvre sur lui et que savoir de nouvelle histoire pareils sur lui ne lui donnerait rien appart une autre déchirure au cœur sans avoir la force de le quitter. les paroles de neira la sorti de ses pensées "mon cœur est grand, disait cette dernière. plus grande que tu ne puisse imaginer, je ne veux causer des problèmes a personne et j'ai compris que tu l'aime alors je vais vous laisser tranquille." elle attendit une réaction ou une parole de la part d'Esra mais celle ci la regardait avec un détacher sans dire un mot, comme si elle n'avait rien dit. elle supporta son regard pour quelque moment puis sortis brusquement sans rien dire non plus. Esra resta toute seule. elle se posa nonchalamment sur le canapé le plus proche. elle était contente que l'autre soit partie. elle se rappela d'un film qu'elle a vu qui racontait l'histoire d'un garçon qui au qu'on croirait au début être la victime d'une fille sans pitié qui lui a briser le cœur mais qui s'est avérait a la fin être le contraire une histoire compliqué qui a montré a Esra comment les apparence sont trompeuse. au début elle voulait juste parler a cette fille pour lui dire de s’éloigne de lui parce qu'elle l’ennuyer, elle croyait que c'était une gamine qui se collait a lui comme les autres mais après toute une autre histoire a exploser.. mais elle aime encore autant. elle allume une cigarette et prends son portable pour composer son numéro, mais elle n'as pas eu le courage de l'appeler, tant pis. elle se leva et pris la bouteille de whisky mise sur la table  puis monta au toit et s'assis au bord du bâtiment. elle n'avait pas peur, elle ne sentait rien elle pensait juste qu'elle s'est trouver beaucoup trop de fois dans une situation pareils avec une douleur pareils a cause de lui et elle ne savait pas quoi en faire. elle resta ainsi un long temps assise sur le bord du toit le paquet de cigarettes a sa droite, la bouteille et le portable a sa gauche tanto elle buvait, tantot elle fumait en regardant le coucher du soleil et les larmes coulait a flots de ses yeux sans qu'elle ne rends même compte. soudainement elle entendis un voix qu'elle distinguerait entre mille.
"Esra." disait la voix d'un calme insupportable. c'était lui. sa présence la rendait heureuse et attristé en même temps elle se tourna vers lui sans répondre alors il ajouta "qu'est ce que tu fais? viens." elle se leva et allait vers  lui. il souria. elle fondut dans ses bras. "pourquoi me fais tu ça? pourquoi? je ne le mérite pas et tu le sais." il ne répondis pas. la nuit se passa trés douce pour Esra entre ses bras, il lui a tout fait oublier par une simple enlaçade et elle a su ce qu'elle allait faire, elle allait faire la même chose que toujours, elle allait le pardonner et continuer a l'aimer en attendant qu'il fasse de meme. parce que l'amour ne vous laisse pas de choix.
I


Que ces vallons déserts, que ces vastes prairies

Où j'allais promener mes tristes rêveries,

Que ces rivages frais, que ces bois, que ces champs,

Que tout prenne une voix et retrouve des chants

Et porte jusqu'au sein de Ta Toute Puissance

Un hymne de bonheur et de reconnaissance !

Celle, qui dans un chaste et pur embrassement,

A reçu mon amour et mon premier serment,

Celle à qui j'ai juré de consacrer ma vie

Par d'injustes parents m'avait été ravie ;

Ils avaient repoussé mes pleurs, et les ingrats

Avaient osé venir l'arracher de mes bras ;

Et jaloux de m'ôter la dernière espérance

Qui pût me soutenir et calmer ma souffrance,

Un message trompeur nous avait informés

Que sur un bord lointain ses yeux s'étaient fermés.

Celui qui fut aimé, celui qui put connaître

Ce bonheur enivrant de confondre son être,

De vivre dans un autre, et de ne plus avoir

Que son cœur pour sentir, et que ses yeux pour voir,

Celui-là pourra seul deviner et comprendre

Ce qu'une voix humaine est impuissante à rendre ;

Celui-là saura seul tout ce que peut souffrir

Un homme, et supporter de tourments sans mourir.

Mais la main qui sur moi s'était appesantie

Semble de mes malheurs s'être enfin repentie.

Leur cœur s'est attendri, soit qu'un pouvoir caché,

Que sais-je ? Ou que la voix du remords l'ait touché.

Celle que je pleurais, que je croyais perdue,

Elle vit ! elle vient ! et va m'être rendue !

Ne demandez donc plus, amis, pourquoi je veux

Qu'on mêle ces boutons de fleurs dans mes cheveux.

Non ! Je n'ai point souffert et mes douleurs passées

En cet heureux instant sont toutes effacées ;

Que sont tous mes malheurs, que sont tous mes ennuis.

Et ces rêves de deuil qui tourmentaient mes nuits ?

Et moi ! J'osais du ciel accuser la colère !

Je reconnais enfin sa bonté tutélaire.

Et je bénis ces maux d'un jour qui m'ont appris

Que mes yeux ne devaient la revoir qu'à ce prix !


II


Quel bonheur est le mien ! Pourtant - ces deux années

Changent bien des projets et bien des destinées ;

- Je ne puis me celer, à parler franchement,

Que ce retour me gêne un peu, dans ce moment.

Certes, le souvenir de notre amour passé

N'est pas un seul instant sorti de ma pensée ;

Mais enfin je ne sais comment cela s'est fait :

Invité cet hiver aux bals chez le préfet.

J'ai vu sa fille aînée, et par étourderie

Risqué de temps en temps quelque galanterie :

Je convins aux parents, et fus bientôt admis

Dans cette intimité qu'on réserve aux amis.

J'y venais tous les soirs, je faisais la lecture,

Je présentais la main pour monter en voiture ;

Dans nos réunions en petit comité,

Toujours près de la fille, assis à son côté.

Je me rendais utile à tout, j'étais son page.

Et quand elle chantait, je lui tournais la page.

Enfin, accoutumé chaque jour à la voir.

60 Que sais-je ? J'ai rendu, sans m'en apercevoir,

Et bien innocemment, des soins, que je soupçonne

N'être pas dédaignés de la jeune personne :

Si bien que je ne sais trop comment m'arranger :

On jase, et les parents pourront bien exiger

Que j'ôte ce prétexte à la rumeur publique,

Et, quelque beau matin, vouloir que je m'explique.

C'est ma faute, après tout, je me suis trop pressé,

Et, comme un débutant, je me suis avancé.

Mais, d'un autre côté, comment prévoir… ? N'importe,

Mes serments sont sacrés, et mon amour l'emporte,

J'irai demain trouver le père, et s'il vous plaît,-

Je lui raconterai la chose comme elle est.

- C'est bien ! - Mais que va-t-on penser, que va-t-on dire ?

Le monde est si méchant, et si prompt à médire !

- Je le brave ! et s'il faut, je verserai mon sang...

Oui : mais toujours est-il que c'est embarrassant.


III


Comme tout ici-bas se flétrit et s'altère,

Et comme les malheurs changent un caractère !

J'ai cherché vainement, et n'ai point retrouvé

Cette aimable candeur qui m'avait captivé.

Celle que j'avais vue autrefois si craintive.

Dont la voix résonnait si douce et si plaintive,

Hautaine, au parler bref, et parfois emporté,

A rejeté bien **** cette timidité.

A moi, qui n'ai vécu, n'ai souffert que pour elle.

Est-ce qu'elle n'a pas déjà cherché querelle ?

Jetant sur le passé des regards curieux,

Elle m'a demandé d'un air impérieux

Si, pendant tout ce temps que j'ai passé **** d'elle.

Mon cœur à sa mémoire était resté fidèle :

Et de quel droit, bon Dieu ? Nous n'étions point liés.

Et nous aurions très bien pu nous être oubliés !

J'avais juré, promis ! - Qu'est-ce que cela prouve ?

Tous les jours, en amour, on jure ; et lorsqu'on trouve

Quelque distraction, on laisse rarement

Perdre l'occasion de trahir son serment :

Il n'est pas défendu d'avoir un cœur sensible,

Et ce n'est point du "tout un crime irrémissible.

Et puis d'ailleurs, après ce que j'ai découvert.

Entre nous, soyons franc, parlons à cœur ouvert :

J'en avais fait mon deuil, et la pauvre exilée

S'est bien de son côté quelque peu consolée ;

Et si je persistais à demander sa main.

C'était par conscience, et par respect humain ;

Je m'étais étourdi. Mais elle a, la première.

Fait ouvrir, par bonheur, mes yeux à la lumière,

Et certes, j'aime mieux encore, à beaucoup près,

Qu'elle se soit ainsi montrée avant qu'après.

Car enfin, rien n'est fait, au moins, et le notaire

N'a point à nos serments prêté son ministère.

- Mais quels emportements ! quels pleurs ! car elle croit

Exiger une dette et réclamer un droit.

Or il faut en finir : quoi qu'elle dise ou fasse,

J'en ai pris mon parti ; j'irai lui dire en face,

- Quoi ? - Que son caractère est à n'y pas tenir.

- Elle avait bien besoin aussi de revenir !

Nous étions si bien tous, quand son humeur altière

Vint troubler le repos d'une famille entière !

On nous la disait morte ; et je croirais aussi

Qu'il vaudrait beaucoup mieux que cela fût ainsi.
À Monsieur Théodore de Banville.

I

Ainsi, toujours, vers l'azur noir
Où tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clystères d'extases !

À notre époque de sagous,
Quand les Plantes sont travailleuses,
Le Lys boira les bleus dégoûts
Dans tes Proses religieuses !

- Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le Sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu'on donne au Ménestrel
Avec l'oeillet et l'amarante !

Des lys ! Des lys ! On n'en voit pas !
Et dans ton Vers, tel que les manches
Des Pécheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches !

Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes !

L'amour ne passe à tes octrois
Que les Lilas, - ô balançoires !
Et les Violettes du Bois,
Crachats sucrés des Nymphes noires !...

II

Ô Poètes, quand vous auriez
Les Roses, les Roses soufflées,
Rouges sur tiges de lauriers,
Et de mille octaves enflées !

Quand Banville en ferait neiger,
Sanguinolentes, tournoyantes,
Pochant l'oeil fou de l'étranger
Aux lectures mal bienveillantes !

De vos forêts et de vos prés,
Ô très paisibles photographes !
La Flore est diverse à peu près
Comme des bouchons de carafes !

Toujours les végétaux Français,
Hargneux, phtisiques, ridicules,
Où le ventre des chiens bassets
Navigue en paix, aux crépuscules ;

Toujours, après d'affreux dessins
De Lotos bleus ou d'Hélianthes,
Estampes roses, sujets saints
Pour de jeunes communiantes !

L'Ode Açoka cadre avec la
Strophe en fenêtre de lorette ;
Et de lourds papillons d'éclat
Fientent sur la Pâquerette.

Vieilles verdures, vieux galons !
Ô croquignoles végétales !
Fleurs fantasques des vieux Salons !
- Aux hannetons, pas aux crotales,

Ces poupards végétaux en pleurs
Que Grandville eût mis aux lisières,
Et qu'allaitèrent de couleurs
De méchants astres à visières !

Oui, vos bavures de pipeaux
Font de précieuses glucoses !
- Tas d'oeufs frits dans de vieux chapeaux,
Lys, Açokas, Lilas et Roses !...

III

Ô blanc Chasseur, qui cours sans bas
À travers le Pâtis panique,
Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas
Connaître un peu ta botanique ?

Tu ferais succéder, je crains,
Aux Grillons roux les Cantharides,
L'or des Rios au bleu des Rhins, -
Bref, aux Norwèges les Florides :

Mais, Cher, l'Art n'est plus, maintenant,
- C'est la vérité, - de permettre
À l'Eucalyptus étonnant
Des constrictors d'un hexamètre ;

Là !... Comme si les Acajous
Ne servaient, même en nos Guyanes,
Qu'aux cascades des sapajous,
Au lourd délire des lianes !

- En somme, une Fleur, Romarin
Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle
Un excrément d'oiseau marin ?
Vaut-elle un seul pleur de chandelle ?

- Et j'ai dit ce que je voulais !
Toi, même assis là-bas, dans une
Cabane de bambous, - volets
Clos, tentures de perse brune, -

Tu torcherais des floraisons
Dignes d'Oises extravagantes !...
- Poète ! ce sont des raisons
Non moins risibles qu'arrogantes !...

IV

Dis, non les pampas printaniers
Noirs d'épouvantables révoltes,
Mais les tabacs, les cotonniers !
Dis les exotiques récoltes !

Dis, front blanc que Phébus tanna,
De combien de dollars se rente
Pedro Velasquez, Habana ;
Incague la mer de Sorrente

Où vont les Cygnes par milliers ;
Que tes strophes soient des réclames
Pour l'abatis des mangliers
Fouillés des Hydres et des lames !

Ton quatrain plonge aux bois sanglants
Et revient proposer aux Hommes
Divers sujets de sucres blancs,
De pectoraires et de gommes !

Sachons parToi si les blondeurs
Des Pics neigeux, vers les Tropiques,
Sont ou des insectes pondeurs
Ou des lichens microscopiques !

Trouve, ô Chasseur, nous le voulons,
Quelques garances parfumées
Que la Nature en pantalons
Fasse éclore ! - pour nos Armées !

Trouve, aux abords du Bois qui dort,
Les fleurs, pareilles à des mufles,
D'où bavent des pommades d'or
Sur les cheveux sombres des Buffles !

Trouve, aux prés fous, où sur le Bleu
Tremble l'argent des pubescences,
Des calices pleins d'Oeufs de feu
Qui cuisent parmi les essences !

Trouve des Chardons cotonneux
Dont dix ânes aux yeux de braises
Travaillent à filer les noeuds !
Trouve des Fleurs qui soient des chaises !

Oui, trouve au coeur des noirs filons
Des fleurs presque pierres, - fameuses ! -
Qui vers leurs durs ovaires blonds
Aient des amygdales gemmeuses !

Sers-nous, ô Farceur, tu le peux,
Sur un plat de vermeil splendide
Des ragoûts de Lys sirupeux
Mordant nos cuillers Alfénide !

V

Quelqu'un dira le grand Amour,
Voleur des sombres Indulgences :
Mais ni Renan, ni le chat Murr
N'ont vu les Bleus Thyrses immenses !

Toi, fais jouer dans nos torpeurs,
Par les parfums les hystéries ;
Exalte-nous vers les candeurs
Plus candides que les Maries...

Commerçant ! colon ! médium !
Ta Rime sourdra, rose ou blanche,
Comme un rayon de sodium,
Comme un caoutchouc qui s'épanche !

De tes noirs Poèmes, - Jongleur !
Blancs, verts, et rouges dioptriques,
Que s'évadent d'étranges fleurs
Et des papillons électriques !

Voilà ! c'est le Siècle d'enfer !
Et les poteaux télégraphiques
Vont orner, - lyre aux chants de fer,
Tes omoplates magnifiques !

Surtout, rime une version
Sur le mal des pommes de terre !
- Et, pour la composition
De poèmes pleins de mystère

Qu'on doive lire de Tréguier
À Paramaribo, rachète
Des Tomes de Monsieur Figuier,
- Illustrés ! - chez Monsieur Hachette !
solenn fresnay May 2012
Dis, tu m'as aimée, au moins une fois, au moins un jour dans ta vie ?

Non, j' t'ai jamais aimée
J' t'ai juste baisée
Je n'ai juste fait que te baiser
Encore et encore
Un peu partout et n'importe où
Quand ta mère travaillait et niquait les Arabes, quand ton frère était à Londres, quand la ville s’endormait apaisée
Et puis t'as vu ta gueule
A part te baiser comme on égorge une truie, que veux-tu que l'on fasse de toi?

Je ne sais pas
Je veux juste que la nuit devienne un autre matin
Je n’ai jamais rien demandé de plus
J'étais juste assise sur un banc public en lisant Bukowski.
Le poète naïf, qui pense avant d'écrire,
S'étonne, en ce temps-ci, des choses qui font rire.
Au théâtre parfois il se tourne, et, voyant
La gaîté des badauds qui va se déployant,

Pour un plat calembour, des loges au parterre,
Il se sent tout à coup tellement solitaire
Parmi ces gros rieurs au ventre épanoui,
Que, le front lourd et l'œil tristement ébloui,

Il s'esquive, s'il peut, sans attendre la toile.
Enfin libre il respire, et, d'étoile en étoile,
Dans l'azur sombre et vaste il laisse errer ses yeux.
Ah ! Quand on sort de là, comme la nuit plaît mieux !

Qu'il fait bon regarder la Seine lente et noire
En silence rouler sous les vieux ponts sa moire,
Et les reflets tremblants des feux traîner sur l'eau
Comme les pleurs d'argent sur le drap d'un tombeau !

Ce deuil fait oublier ces rires qu'on abhorre.
Hélas ! Où donc la joie est-elle saine encore ?
Quel vice a donc en nous gâté le sang gaulois ?
Quand rirons-nous le rire honnête d'autrefois ?

Ce ne sont aujourd'hui qu'absurdes bacchanales ;
Farces au masque impur sur des planches banales ;
Vil patois qui se fraye impudemment accès
Parmi le peuple illustre et cher des mots français ;

Couplets dont les refrains changent la bouche en gueule ;
Romans hideux, miroir de l'abjection seule,
Commérage où le fiel assaisonne des riens :
Feuilletons à voleurs, drames à galériens,

Funestes aux cœurs droits qui battent sous les blouses ;
Vaudevilles qui font, corrupteurs des épouses,
Un ridicule impie à l'affront des maris ;
Spectacles où la chair des femmes, mise à prix,

Comme aux crocs de l'étal exhibée en guirlande,
Allèche savamment la luxure gourmande ;
Parades à décors dont les fables sans art
N'esquivent le sifflet qu'en soûlant le regard ;

Coups d'archets polissons sur la lyre d'Homère,
Et tous les jeux maudits d'un amour éphémère
Qui va se dégradant du caprice au métier :
Voilà ce qui ravit un peuple tout entier !

Bêtise, éternel veau d'or des multitudes,
Toi dont le culte aisé les plie aux servitudes
Et complice du joug les y soumet sans bruit,
Monstre cher à la force et par la ruse instruit

À bafouer la libre et sévère pensée,
Règne ! Mais à ton tour, brute, qu'à la risée,
Au comique mépris tu serves de jouet !
Que sur toi le bon sens fasse claquer son fouet,

Qu'il se lève, implacable à son tour, et qu'il rie,
Et qu'il raille à son tour l'inepte raillerie,
Et qu'il fasse au soleil luire en leur nudité
Ta grotesque laideur et ta stupidité !

Molière, dresse-toi ! Debout, Aristophane !
Allons ! Faites entendre au vulgaire profane
L'hymne de l'idéal au fond du rire amer,
Du grand rire où, pareil au cliquetis du fer,

Sonne le choc rapide et franc des pensers justes,
Du beau rire qui sied aux poitrines robustes,
Vengeur de la sagesse, héroïque moqueur,
Où vibre la jeunesse immortelle du cœur !
La satire à présent, chant où se mêle un cri,
Bouche de fer d'où sort un sanglot attendri,
N'est plus ce qu'elle était jadis dans notre enfance,
Quand on nous conduisait, écoliers sans défense,
À la Sorbonne, endroit revêche et mauvais lieu,
Et que, devant nous tous qui l'écoutions fort peu,
Dévidant sa leçon et filant sa quenouille,
Le petit Andrieux, à face de grenouille,
Mordait Shakspeare, Hamlet, Macbeth, Lear, Othello,
Avec ses fausses dents prises au vieux Boileau.

La vie est, en ce siècle inquiet, devenue
Pas à pas grave et morne, et la vérité nue
Appelle la pensée à son secours depuis
Qu'on l'a murée avec le mensonge en son puits.
Après Jean-Jacques, après Danton, le sort ramène
Le lourd pas de la nuit sur la triste âme humaine ;
Droit et Devoir sont là gisants, la plaie au flanc ;
Le lâche soleil rit au noir dragon sifflant ;
L'homme jette à la mer l'honneur, vieille boussole ;
En léchant le vainqueur le vaincu se console ;
Toute l'histoire tient dans ce mot : réussir ;
Le succès est sultan et le meurtre est visir ;
Hélas, la vieille ivresse affreuse de la honte
Reparaît dans les yeux et sur les fronts remonte,
Trinque avec les tyrans, et le peuple fourbu
Reboit ce sombre vin dont il a déjà bu.
C'est pourquoi la satire est sévère. Elle ignore
Cette grandeur des rois qui fit Boileau sonore,
Et ne se souvient d'eux que pour les souffleter.
L'échafaud qu'il faut pièce à pièce démonter,
L'infâme loi de sang qui résiste aux ratures,
Qui garde les billots en lâchant les tortures,
Et dont il faut couper tous les ongles ; l'enfant
Que l'ignorance tient dans son poing étouffant
Et qui doit, libre oiseau, dans l'aube ouvrir ses ailes ;
Relever tour à tour ces sombres sentinelles,
Le mal, le préjugé, l'erreur, monstre romain,
Qui gardent le cachot où dort l'esprit humain ;
La guerre et ses vautours, la peste avec ses mouches,
À chasser ; les bâillons qu'il faut ôter des bouches ;
La parole à donner à toutes les douleurs ;
L'éclosion d'un jour nouveau sur l'homme en fleurs ;
Tel est le but, tel est le devoir, qui complique
Sa colère, et la fait d'utilité publique.

Pour enseigner à tous la vertu, l'équité,
La raison, il suffit que la Réalité,
Pure et sereine, monte à l'horizon et fasse
Évanouir l'horreur des nuits devant sa face.
Honte, gloire, grandeurs, vices, beautés, défauts,
Plaine et monts, sont mêlés tant qu'il fait nuit ; le faux
Fait semblant d'être honnête en l'obscurité louche.
Qu'est-ce que le rayon ? Une pierre de touche.
La lumière de tout ici-bas fait l'essai.
Le juste est sur la terre éclairé par le vrai ;
Le juste c'est la cime et le vrai c'est l'aurore.

Donc Lumière, Raison, Vérité, plus encore,
Bonté dans le courroux et suprême Pitié,
Le méchant pardonné, mais le mal châtié,
Voilà ce qu'aujourd'hui, comme aux vieux temps de Rome,
La satire implacable et tendre doit à l'homme.
Marquis ou médecins, une caste, un métier,
Ce n'est plus là son champ ; il lui faut l'homme entier.
Elle poursuit l'infâme et non le ridicule.

Un petit Augias veut un petit Hercule,
Et le bon Despréaux malin fit ce qu'il put.
Elle n'a plus affaire à l'ancien Lilliput.

Elle vole, à travers l'ombre et les catastrophes,
Grande et pâle, au milieu d'un ouragan de strophes ;
Elle crie à sa meute effrayante : - Courons !
Quand un vil parvenu, marchant sur tous les fronts,
Écrase un peuple avec des pieds jadis sans bottes.
Elle donne à ses chiens ailés tous les despotes,
Tous les monstres, géants et nains, à dévorer.
Elle apparaît aux czars pour les désespérer.
On entend dans son vers craquer les os du tigre.
De même que l'oiseau vers le printemps émigre,
Elle s'en va toujours du côté de l'honneur.
L'ange de Josaphat, le spectre d'Elseneur
Sont ses amis, et, sage, elle semble en démence,
Tant sa clameur profonde emplit le ciel immense.
Il lui faut, pour gronder et planer largement,
Tout le peuple sous elle, âpre, vaste, écumant ;
Ce n'est que sur la mer que le vent est à l'aise.

Quand Colomb part, elle est debout sur la falaise ;
Elle t'aime, ô Barbès ! Et suit d'un long vivat
Fulton, Garibaldi, Byron, John Brown et Watt,
Et toi Socrate, et toi Jésus, et toi Voltaire !
Elle fait, quand un mort glorieux est sous terre,
Sortir un vert laurier de son tombeau dormant ;
Elle ne permet pas qu'il pourrisse autrement.
Elle panse à genoux les vaincus vénérables,
Bénit les maudits, baise au front les misérables,
Lutte, et, sans daigner même un instant y songer,
Se sent par des valets derrière elle juger ;
Car, sous les règnes vils et traîtres, c'est un crime
De ne pas rire à l'heure où râle la victime
Et d'aimer les captifs à travers leurs barreaux ;
Et qui pleure les morts offense les bourreaux.

Est-elle triste ? Non, car elle est formidable.
Puisqu'auprès des tombeaux les vainqueurs sont à table,
Puisqu'on est satisfait dans l'opprobre, et qu'on a
L'impudeur d'être lâche avec un hosanna,
Puisqu'on chante et qu'on danse en dévorant les proies,
Elle vient à la fête elle aussi. Dans ces joies,
Dans ces contentements énormes, dans ces jeux
À force de triomphe et d'ivresse orageux,
Dans ces banquets mêlant Paphos, Clamart et Gnide,
Elle apporte, sinistre, un rire d'euménide.

Mais son immense effort, c'est la vie. Elle veut
Chasser la mort, bannir la nuit, rompre le nœud,
Dût-elle rudoyer le titan populaire.
Comme elle a plus d'amour, elle a plus de colère.
Quoi ! L'abdication serait un oreiller !
La conscience humaine est lente à s'éveiller ;
L'honneur laisse son feu pâlir, tomber, descendre
Sous l'épaississement lugubre de la cendre.
Aussi la Némésis chantante qui bondit
Et frappe, et devant qui Tibère est interdit,
La déesse du grand Juvénal, l'âpre muse,
Hébé par la beauté, par la terreur Méduse,
Qui sema dans la nuit ce que Dante y trouva,
Et que Job croyait voir parler à Jéhovah,
Se sent-elle encor plus de fureur magnanime
Pour réveiller l'oubli que pour punir le crime.
Elle approche du peuple et, guettant la rumeur,
Penche l'ïambe amer sur l'immense dormeur ;
La strophe alors frissonne en son tragique zèle,
Et s'empourpre en tâchant de tirer l'étincelle
De toute cette morne et fatale langueur,
Et le vers irrité devient une lueur.
Ainsi rougit dans l'ombre une face farouche
Qui vient sur un tison souffler à pleine bouche.

Le 26 avril 1870.
Ma Mamie.
Mamie a toujours été là pour nous,
Que ce soit pour faire des confitures ou bien des bisous.
Julia et moi sautons de joie à chaque fois qu'on la voit,
On ne compte jamais les heures pour arriver chez toi.
Tu m'as appris à tricoter et me grondait quand j'étais dissipée,
Mais chaque matin, sans faute, tu me faisais des pâtes au lait.
Grâce à toi nous avons toujours des bons petits plats,
Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige ou qu'il fasse froid.
Tu râles parfois parce que je suis difficile,
Et que je refuse d'avaler un champignon,
Cela dit je ne me fais pas de bile,
Je sais bien que tes repas seront toujours bons.
Je ne me considère pas une petite fille parfaite,
Puisque je suis souvent au bout du monde,
Mais j'espère que tu ne me feras jamais la tête,
Car rien pour moi ne compte plus au monde,
Que de te savoir heureuse, joyeuse et en bonne santé.
Bien qu'aujourd'hui, je parte pour l'Université,
Je veux que tu saches que je ne t'ai pas oubliée.
Tu es toujours bien au chaud dans mon cœur,
Une place spéciale qui fait tout mon bonheur.
Tu accompagnes tous mes voyages,
En pensée et souvent même en image.
Je me revois toute petite m'endormir dans tes bras,
Alors je ne suis plus seule, je sais que tu es là.
Je t'écris ce petit poème,
Pour que jamais tu n'oublies à quel point je t'aime.
"**** des yeux, **** du cœur" ne s'applique pas,
Nous sommes une famille unie et ça, ca ne s'invente pas.
Cette place dans mon cœur n'appartient à personne d'autre que toi,
N'aie pas peur de la perdre, elle sera toujours là.
Gabrielle Ayoub Mar 2014
Son visage se reflète sur mes yeux désenchantés
Qui versent des larmes nostalgiques
Il sait bien que ma vie sans lui n'est qu'une mort attardée
Qu'une existence au destin le plus tragique

Je voudrais qu'il me fasse la cour tel jadis sous d'autres cieux
Les vers théatraux comme les chantaient nos aiieux
Les mots qui existent seulement dans mes rêves les plus doux
Les mots qui valent tellement plus qu'un simple bijou

Le seul moyen d'éteindre cette flamme
Est de dire à Dieu à ma vie
Je ne suis hélas qu'une simple femme
Je ne puis supporter tout ce mépris

Sur le désert de ma vie je demeure
Certe, déplorable et rembrunie
Mais je vis malgré mes douleurs
Malgré mes blessures infinies
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Adam était fort amoureux.
Maigre comme un clou, les yeux creux ;
Son Ève était donc bien heureuse
D'être sa belle Ève amoureuse,
Mais... fiez-vous donc à demain !
Un soir, en promenant sa main
Sur le moins beau torse du monde,
Ah !... sa surprise fut profonde !
Il manquait une côte... là.
Tiens ! Tiens ! que veut dire cela ?
Se dit Ève, en baissant la tête.
Mais comme Ève n'était pas bête,
Tout d'abord Ève ne fit rien
Que s'en assurer bel et bien.
« Vous, Madame, avec cette mine ?
Qu'avez-vous donc qui vous chagrine ? »
Lui dit Adam, le jour suivant.
« Moi, rien... dit Ève... c'est... le vent. »
Or, le vent donnait sous la plume,
Contrairement à sa coutume.
Un autre eût été dépité,
Mais comme il avait la gaieté
Inaltérable de son âge,
Il s'en fut à son jardinage
Tout comme si de rien n'était.

Cependant, Ève s'em...bêtait
Comme s'ennuie une Princesse.
« Il faut, nom de Dieu ! que ça cesse »,
Se dit Ève, d'un ton tranchant.
« Je veux le voir, oui, sur-le-champ »,
Je dirai : « Sire, il manque à l'homme
Une côte, c'est sûr ; en somme,
En général, ça ne fait rien,
Mais ce général, c'est le mien.
Il faut donc la lui donner vite.
Moi, j'ai mon compte, ça m'évite
De vous importuner ; mais lui,
N'a pas le sien, c'est un ennui.
Ce détail me gâte la fête.
Puisque je suis toute parfaite,
J'ai bien droit au mari parfait.
Il ne peut que dire : en effet »,
Ici la Femme devint... rose,

« Et s'il dit, prenant mal la chose :
« Ton Adam n'est donc plus tout nu !
Que lui-même il n'est pas venu ?
A-t-il sa langue dans sa poche ?
Sur la mèche où le cœur s'accroche,
La casquette à n'en plus finir ?
Est-il en train de devenir...
Soutenu ?... » Que répliquerai-je ?
La Femme ici devint... de neige.

Sitôt qu'Adam fut de retour
Ève passa ses bras autour
Du cou, le plus fort de son monde,
Et, renversant sa tête blonde,
Reçut deux grands baisers joyeux ;
Puis fermant à demi les yeux,
Pâmée au rire de sa bouche,
Elle l'attira vers sa couche,
Où, commençant à s'incliner,
L'on se mit à se lutiner.
Soudain : « Ah ! qu'as-tu là ? » fit Ève.
Adam parut sortir d'un rêve.
« Là... mais, rien... », dit-il. « Justement,
Tu n'as rien, comme c'est charmant !
Tu vois, il te manque une côte.
Après tout, ce n'est pas ta faute,
Tu ne dois pas te tourmenter ;
Mais sur l'heure, il faut tout quitter,
Aller voir le Prince, et lui dire
Ce qu'humblement ton cœur désire ;
Que tu veux ta côte, voilà.
Or, pour lui, qu'est-ce que cela ?
Moins que rien, une bagatelle. »
Et prenant sa voix d'Immortelle :
« Allons ! Monsieur... tout de ce pas. »
Ève changea de ritournelle,
Et lorsqu'Adam était... sur elle,
Elle répétait d'un ton las :
« Pourquoi, dis, que tu m'aimes pas ? »
« Mais puisque ça ne se voit pas »,
Dit Adam. « Ça se sent », dit Ève,
Avec sa voix sifflante et brève.

Adam partit à contrecœur,
Car dans le fond il avait peur
De dire, en cette conjoncture,
À l'Auteur de la créature :
Vous avez fait un pas de clerc
En ratant ma côte, c'est clair.
Sa démarche impliquait un blâme.
Mais il voulait plaire à sa femme.

Ève attendit une heure vingt
Bonnes minutes ; il revint
Souriant, la mine attendrie,
Et, baisant sa bouche fleurie,
L'étreignant de son bras musclé :
« Je ne l'ai pas, pourtant je l'ai.
Je la tiens bien puisque je t'aime,
Sans l'avoir, je l'ai tout de même. »

Ève, sentant que ça manquait
Toujours, pensa qu'il se moquait ;
Mais il lui raconta l'histoire
Qu'il venait d'apprendre, il faut croire,
De l'origine de son corps,
Qu'Ève était sa côte, et qu'alors...
La chose...

« Ah ! c'est donc ça..., dit-elle,
Que le jour, oui, je me rappelle,
Où nous nous sommes rencontrés
Dans les parterres diaprés,
Tu m'as, en tendant tes mains franches,
Dit : « Voici la fleur de mes branches,
Et voilà le fruit de ma chair ! »
« En effet, ma chère ! »

« Ah !... mon cher !
J'avais pris moi cette parole
Au figuré... Mais j'étais folle ! »

« Je t'avais prise au figuré
Moi-même », dit Adam, paré
De sa dignité fraîche éclose
Et qui lui prêtait quelque chose
Comme un ton de maître d'hôtel,
Déjà suffisamment mortel ;
« L'ayant dit un peu comme on tousse.
Vois, quand la vérité nous pousse,
Il faut la dire, malgré soi. »

« Je ne peux pas moi comme toi »,
Fut tout ce que répondit Ève.

La nuit s'en va, le jour se lève,
Adam saisit son arrosoir,
Et : « Ma belle enfant, à ce soir ! »
Sa belle enfant ! pauvre petite !
Elle, jadis sa... favorite,
Était son enfant, à présent.
Quoi ? Ce n'était pas suffisant
Qu'Adam n'eût toujours pas sa côte,
À présent c'était de sa faute !
Elle en avait les bras cassés !
Et ce n'était encore assez.
Il fallait cette côte absente
Qu'elle en parût reconnaissante !

Doux Jésus !
Tout fut bien changé.

Ève prit son air affligé,
Et lorsqu'Adam parmi les branches
Voyait bouder ses... formes blanches
Et que, ne pouvant s'en passer,
Il accourait, pour l'embrasser,
Tout rempli d'une envie affreuse :
« Ah ! que je suis donc malheureuse ! »
Disait Ève, qui s'affalait.

Enfin, un jour qu'Adam parlait
D'une voix trop brusque et trop haute :
« Pourquoi, dis, que t'as pas ta côte ? »

« Voyons ! vous vous... fichez de moi !
Tu le sais bien,... comment, c'est toi,
Toi, ma côte, qui se réclame ! »
« Ça n'empêche pas, dit la Femme,
À ta place, j'insisterais. »

« Si je faisais de nouveaux frais,
Dit Adam, j'aurais trop de honte.
Nous avons chacun notre compte,
Toi comme moi, tu le sais bien,
Et le Prince ne nous doit rien ;
Car nul en terme de boutique
Ne tient mieux son arithmétique. »
Ce raisonnement était fort,
Ève pourtant n'avait pas tort.

Sur ces entrefaites, la femme
S'en vint errer, le vague à l'âme,
Autour de l'arbre défendu.
Le serpent s'y trouvait pendu
Par la queue, il leva la tête.
« Ève, comme vous voilà faite ! »
Dit-il, en la voyant venir.

La pauvre Ève n'y put tenir ;
Elle lui raconta sa peine,
Et même fit voir... une veine.
Le bon Vieux en parut navré.
« Tiens ! Tiens ! dit-il ; c'est pourtant vrai.
Eh ! bien ! moi : j'ai votre remède ;
Et je veux vous venir en aide,
Car je sais où tout ça conduit.
Écoute-moi, prends de ce fruit. »
« Oh ! non ! » dit Ève « Et la défense ? »
« Ton prince est meilleur qu'il ne pense
Et ne peut vous faire mourir.
Prends cette pomme et va l'offrir
À ton mari, pour qu'il en mange,
Et, dit, entr'autres choses, l'Ange,
Parfaits alors, comme des Dieux,
En lui, plus de vide odieux !
Vois quelle épine je vous ôte.
Ce pauvre Adam aura sa côte. »
C'était tout ce qu'Ève voulait.
Le fruit était là qui parlait,
Ève étendît donc sa main blanche
Et le fit passer de la branche
Sous sa nuque, dans son chignon.

Ève trouva son compagnon
Qui dormait étendu sur l'herbe,
Dans une pose peu superbe,
Le front obscurci par l'ennui.

Ève s'assit auprès de lui,
Ève s'empara de la pomme,
Se tourna du côté de l'Homme
Et la plaçant bien sous son nez,
**** de ses regards étonnés :
« Tiens ! regarde ! la belle pêche ! »
- « Pomme », dit-il d'une voix sèche.
« Pêche ! Pêche ! » - « Pomme. » - « Comment ?
Ce fruit d'or, d'un rose charmant,
N'est pas une pomme bien ronde ?
Voyons !... demande à tout le monde ? »
- « Qui, tout le monde ? » Ève sourit :
« J'ai dit tout le monde ? » et reprit,
Lui prenant doucement la tête :
« Eh ! oui, c'est une pomme, bête,
Qui ne comprends pas qu'on voulait
T'attraper... Ah ! fi ! que c'est laid !
Pour me punir, mon petit homme,
Je vais t'en donner, de ma pomme. »
Et l'éclair de son ongle luit,
Qui se perd dans la peau du fruit.

On était au temps des cerises,
Et justement l'effort des brises,
Qui soufflait dans les cerisiers,
En fit tomber une à leurs pieds !

« Malheureuse ! que vas-tu faire ? »
Crie Adam, rouge de colère,
Qui soudain a tout deviné,
Veut se saisir du fruit damné,
Mais l'homme avait trouvé son maître.
« Je serai seule à la commettre »,
Dit Ève en éloignant ses bras,
Si hautaine... qu'il n'osa pas.

Puis très tranquillement, sans fièvres,
Ève met le fruit sur ses lèvres,
Ève le mange avec ses dents.

L'homme baissa ses yeux ardents
Et de ses mains voila sa face.

« Moi, que voulez-vous que j'y fasse ?
Dit Ève ; c'est mon bon plaisir ;
Je n'écoute que mon désir
Et je le contente sur l'heure.
Mieux que vous... qu'a-t-il donc ? il pleure !
En voulez-vous ?
Non, et pourquoi ?
Vous voyez, j'en mange bien, moi.
D'ailleurs, songez qu'après ma faute
Nous ne vivrons plus côte à côte,
On va nous séparer... c'est sûr,
On me l'a dit, par un grand mur.
En voulez-vous ? »
Lui, tout en larmes,
S'enfonçait, songeant à ses charmes,
Dans le royaume de Sa voix.
Enfin, pour la dernière fois
Prenant sa tête qu'Ève couche,
« En veux-tu, dis ? Ouvre ta bouche ! »

Et c'est ainsi qu'Adam mangea
À peu près tout, Ève déjà
N'en ayant pris qu'une bouchée ;
Mais Ève eût été bien fâchée
Du contraire, pour l'avenir.
Il a besoin de devenir
Dieu, bien plus que moi, pensait-Elle.

Quand l'homme nous l'eut baillé belle,
Tu sais ce qui lors arriva ;
Le pauvre Adam se retrouva
Plus bête qu'avant, par sa faute.
Car s'il eût su plaindre sa côte,
Son Ève alors n'eût point péché ;
De plus, s'il se fût attaché
À son Prince, du fond de l'âme,
S'il n'eût point écouté sa femme,
Ton cœur a déjà deviné
Que le Seigneur eût pardonné,
Le motif d'Ève, au fond valable,
N'ayant pas eu pour détestable
Suite la faute du mari.

Lequel plus **** fut bien chéri
Et bien dorloté par « sa chère »,
Mais quand, mécontent de la chère,
Il disait : « Je suis trop bon, moi !
- Sans doute, disait Ève, toi,
T'es-un-bon-bonhomme, sur terre,
Mais... tu n'as pas de caractère ! »
I.

L'esprit des sages te contemple,
Mystérieuse Humilité,
Porte étroite et basse du temple
Auguste de la vérité !
Vertu que Dieu place à la tête
Des vertus que l'ange au ciel fête ;
Car elle est la perle parfaite
Dans l'abîme du siècle amer ;
Car elle rit sous l'eau profonde,
**** du plongeur et de la sonde.
Préférant aux écrins du monde
Le cœur farouche de la mer.
C'est vers l'humanité fidèle
Que mes oiseaux s'envoleront ;
Vers les fils, vers les filles d'elle,
Pour sourire autour de leur front ;
Vers Jeanne d'Arc et Geneviève
Dont l'étoile au ciel noir se lève,
Dont le paisible troupeau rêve,
Oublieux du loup, qui s'enfuit ;
Douces porteuses de bannière,
Qui refoulaient, à leur manière,
L'impur Suffolk vers sa tanière,
L'aveugle Attila dans sa nuit.

Sur la lyre à la corde amère
Où le chant d'un dieu s'est voilé,
Ils iront saluer Homère
Sous son haillon tout étoile.
Celui pour qui jadis les Iles
Et la Grèce étaient sans asiles,
Habite aujourd'hui dans nos villes
La colonne et le piédestal ;
Une fontaine à leur flanc jase,
Où l'enfant puise avec son vase,
Et la rêverie en extase,
Avec son urne de cristal.
**** des palais sous les beaux arbres
Où les paons, compagnons des dieux,
Traînent dans la blancheur des marbres
Leurs manteaux d'azur, couverts d'yeux ;
Où, des bassins que son chant noie
L'onde s'échevelle et poudroie :
Laissant ce faste et cette joie,
Mes strophes abattront leur vol,
Pour entendre éclater, superbe,
La voix la plus proche du Verbe,
Dans la paix des grands bois pleins d'herbe
Où se cache le rossignol.
Lorsqu'au fond de la forêt brune
Pas une feuille ne bruit,
Et qu'en présence de la lune
Le silence s'épanouit,
Sous l'azur chaste qui s'allume,
Dans l'ombre où l'encens des fleurs fume,
Le rossignol qui se consume
Dans l'extatique oubli du jour,
Verse un immense épithalame
De son petit gosier de flamme,
Où s'embrasent l'accent et l'âme
De la nature et de l'amour !

II.

C'est Dieu qui conduisait à Rome,
Mettant un bourdon dans sa main,
Ce saint qui ne fut qu'un pauvre homme,
Hirondelle de grand chemin,
Qui laissa tout son coin de terre,
Sa cellule de solitaire.
Et la soupe du monastère,
Et son banc qui chauffe au soleil,
Sourd à son siècle, à ses oracles,
Accueilli des seuls tabernacles,
Mais vêtu du don des miracles
Et coiffé du nimbe vermeil.

Le vrai pauvre qui se délabre,
Lustre à lustre, été par été,
C'était ce règne, et non saint Labre,
Qui lui faisait la charité
De ses vertus spirituelles,
De ses bontés habituelles,
Léger guérisseur d'écrouelles,
Front penché sur chaque indigent,
Fière statue enchanteresse
De l'austérité, que Dieu dresse,
Au bout du siècle de l'ivresse,
Au seuil du siècle de l'argent.

Je sais que notre temps dédaigne
Les coquilles de son chapeau,
Et qu'un lâche étonnement règne
Devant les ombres de sa peau ;
L'âme en est-elle atténuée ?
Et qu'importe au ciel sa nuée,
Qu'importe au miroir sa buée,
Si Dieu splendide aime à s'y voir !
La gangue au diamant s'allie ;
Toi, tu peins ta lèvre pâlie,
Luxure, et toi, vertu salie,
C'est là ton fard mystique et noir.

Qu'importe l'orgueil qui s'effare,
Ses pudeurs, ses rebellions !
Vous, qu'une main superbe égare
Dans la crinière des lions,
Comme elle égare aux plis des voiles,
Où la nuit a tendu ses toiles,
Aldébaran et les étoiles,
Frères des astres, vous, les poux
Qu'il laissait paître sur sa tête,
Bon pour vous et dur pour sa bête,
Dites, par la voix du poète,
À quel point ce pauvre était doux !

Ah ! quand le Juste est mort, tout change :
Rome au saint mur pend son haillon,
Et Dieu veut, par des mains d'Archange,
Vêtir son corps d'un grand rayon ;
Le soleil le prend sous son aile,
La lune rit dans sa prunelle,
La grâce comme une eau ruisselle
Sur son buste et ses bras nerveux ;
Et le saint, dans l'apothéose
Du ciel ouvert comme une rose,
Plane, et montre à l'enfer morose
Des étoiles dans ses cheveux !

Beau paysan, ange d'Amette,
Ayant aujourd'hui pour trépieds
La lune au ciel, et la comète,
Et tous les soleils sous vos pieds ;
Couvert d'odeurs délicieuses,
Vous, qui dormiez sous les yeuses,
Vous, que l'Eglise aux mains pieuses
Peint sur l'autel et le guidon,
Priez pour nos âmes, ces gouges,
Et pour que nos cœurs, las des bouges,
Lavent leurs péchés noirs et rouges
Dans les piscines du pardon !

III.

Aimez l'humilité ! C'est elle
Que les mages de l'Orient,
Coiffés d'un turban de dentelle,
Et dont le Noir montre en riant
Un blanc croissant qui l'illumine,
Offrant sur les coussins d'hermine
Et l'or pur et la myrrhe fine,
Venaient, dans l'encens triomphant,
Grâce à l'étoile dans la nue,
Adorer, sur la paille nue,
Au fond d'une étable inconnue,
Dans la personne d'un enfant.
Ses mains, qui sont des fleurs écloses,
Aux doux parfums spirituels,
Portent de délicates roses,
À la place des clous cruels.
Ecarlates comme les baies
Dont le printemps rougit les haies,
Les cinq blessures de ses plaies,
Dont l'ardeur ne peut s'apaiser,
Semblent ouvrir au vent des fièvres,
Sur sa chair pâle aux blancheurs mièvres,
La multitude de leurs lèvres
Pour l'infini de son baiser.
Au pied de la croix découpée
Sur le sombre azur de Sion,
Une figure enveloppée
De silence et de passion,
Immobile et de pleurs vêtue,
Va grandir comme une statue
Que la foi des temps perpétue,
Haute assez pour jeter sur nous,
Nos deuils, nos larmes et nos râles,
Son ombre aux ailes magistrales,
Comme l'ombre des cathédrales
Sur les collines à genoux.
Près de la blanche Madeleine,
Dont l'époux reste parfumé
Des odeurs de son urne pleine,
Près de Jean le disciple aimé,
C'est ainsi qu'entre deux infâmes,
Honni des hommes et des femmes,
Pour le ravissement des âmes,
Voulut éclore et se flétrir
Celui qui, d'un cri charitable,
Appelante pauvre à sa table,
Etait bien le Dieu véritable
Puisque l'homme l'a fait mourir !

Maintenant que Tibère écoute
Rire le flot, chanter le nid !
Olympe, un cri monte à ta voûte,
Et c'est : Lamma Sabacthani !
Les dieux voient s'écrouler leur nombre.
Le vieux monde plonge dans l'ombre,
Usé comme un vêtement sombre
Qui se détache par lambeaux.
Un empire inconnu se fonde,
Et Rome voit éclore un monde
Qui sort de la douleur profonde
Comme une rose du tombeau !
Des bords du Rhône aux bords du Tigre
Que Néron fasse armer ses lois,
Qu'il sente les ongles du tigre
Pousser à chacun de ses doigts ;
Qu'il contemple, dans sa paresse,
Au son des flûtes de la Grèce,
Les chevilles de la négresse
Tourner sur un rythme énervant ;
Déjà, dans sa tête en délire,
S'allume la flamme où l'Empire
De Rome et des Césars expire
Dans la fumée et dans le vent !

IV.

Humilité ! loi naturelle,
Parfum du fort, fleur du petit !
Antée a mis sa force en elle,
C'est sur elle que l'on bâtit.
Seule, elle rit dans les alarmes.
Celui qui ne prend pas ses armes,
Celui qui ne voit pas ses charmes
À la clarté de Jésus-Christ,
Celui là, sur le fleuve avide
Des ans profonds que Dieu dévide,
Aura fui comme un feuillet vide
Où le destin n'a rien écrit !
J'étais seul, l'autre soir, au Théâtre Français,
Ou presque seul ; l'auteur n'avait pas grand succès.
Ce n'était que Molière, et nous savons de reste
Que ce grand maladroit, qui fit un jour Alceste,
Ignora le bel art de chatouiller l'esprit
Et de servir à point un dénoûment bien cuit.
Grâce à Dieu, nos auteurs ont changé de méthode,
Et nous aimons bien mieux quelque drame à la mode
Où l'intrigue, enlacée et roulée en feston,
Tourne comme un rébus autour d'un mirliton.
J'écoutais cependant cette simple harmonie,
Et comme le bon sens fait parler le génie.
J'admirais quel amour pour l'âpre vérité
Eut cet homme si fier en sa naïveté,
Quel grand et vrai savoir des choses de ce monde,
Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde
Que, lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer !
Et je me demandais : Est-ce assez d'admirer ?
Est-ce assez de venir, un soir, par aventure,
D'entendre au fond de l'âme un cri de la nature,
D'essuyer une larme, et de partir ainsi,
Quoi qu'on fasse d'ailleurs, sans en prendre souci ?
Enfoncé que j'étais dans cette rêverie,
Çà et là, toutefois, lorgnant la galerie,
Je vis que, devant moi, se balançait gaiement
Sous une tresse noire un cou svelte et charmant ;
Et, voyant cet ébène enchâssé dans l'ivoire,
Un vers d'André Chénier chanta dans ma mémoire,
Un vers presque inconnu, refrain inachevé,
Frais comme le hasard, moins écrit que rêvé.
J'osai m'en souvenir, même devant Molière ;
Sa grande ombre, à coup sûr, ne s'en offensa pas ;
Et, tout en écoutant, je murmurais tout bas,
Regardant cette enfant, qui ne s'en doutait guère :
" Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l'éclat."

Puis je songeais encore (ainsi va la pensée)
Que l'antique franchise, à ce point délaissée,
Avec notre finesse et notre esprit moqueur,
Ferait croire, après tout, que nous manquons de coeur ;
Que c'était une triste et honteuse misère
Que cette solitude à l'entour de Molière,
Et qu'il est pourtant temps, comme dit la chanson,
De sortir de ce siècle ou d'en avoir raison ;
Car à quoi comparer cette scène embourbée,
Et l'effroyable honte où la muse est tombée ?
La lâcheté nous bride, et les sots vont disant
Que, sous ce vieux soleil, tout est fait à présent ;
Comme si les travers de la famille humaine
Ne rajeunissaient pas chaque an, chaque semaine.
Notre siècle a ses moeurs, partant, sa vérité ;
Celui qui l'ose dire est toujours écouté.

Ah ! j'oserais parler, si je croyais bien dire,
J'oserais ramasser le fouet de la satire,
Et l'habiller de noir, cet homme aux rubans verts,
Qui se fâchait jadis pour quelques mauvais vers.
S'il rentrait aujourd'hui dans Paris, la grand'ville,
Il y trouverait mieux pour émouvoir sa bile
Qu'une méchante femme et qu'un méchant sonnet ;
Nous avons autre chose à mettre au cabinet.
Ô notre maître à tous, si ta tombe est fermée,
Laisse-moi dans ta cendre, un instant ranimée,
Trouver une étincelle, et je vais t'imiter !
J'en aurai fait assez si je puis le tenter.
Apprends-moi de quel ton, dans ta bouche hardie,
Parlait la vérité, ta seule passion,
Et, pour me faire entendre, à défaut du génie,
J'en aurai le courage et l'indignation !

Ainsi je caressais une folle chimère.
Devant moi cependant, à côté de sa mère,
L'enfant restait toujours, et le cou svelte et blanc
Sous les longs cheveux noirs se berçait mollement.
Le spectacle fini, la charmante inconnue
Se leva. Le beau cou, l'épaule à demi nue,
Se voilèrent ; la main glissa dans le manchon ;
Et, lorsque je la vis au seuil de sa maison
S'enfuir, je m'aperçus que je l'avais suivie.
Hélas ! mon cher ami, c'est là toute ma vie.
Pendant que mon esprit cherchait sa volonté,
Mon corps savait la sienne et suivait la beauté ;
Et, quand je m'éveillai de cette rêverie,
Il ne m'en restait plus que l'image chérie :
" Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l'éclat. "
Puisque c'est ton métier, misérable poète,
Même en ces temps d'orage, où la bouche est muette,
Tandis que le bras parle, et que la fiction
Disparaît comme un songe au bruit de l'action ;
Puisque c'est ton métier de faire de ton âme
Une prostituée, et que, joie ou douleur,
Tout demande sans cesse à sortir de ton coeur ;
Que du moins l'histrion, couvert d'un masque infâme,
N'aille pas, dégradant ta pensée avec lui,
Sur d'ignobles tréteaux la mettre au pilori ;
Que nul plan, nul détour, nul voile ne l'ombrage.
Abandonne aux vieillards sans force et sans courage
Ce travail d'araignée, et tous ces fils honteux
Dont s'entoure en tremblant l'orgueil qui craint les yeux.
Point d'autel, de trépied, point d'arrière aux profanes !
Que ta muse, brisant le luth des courtisanes,
Fasse vibrer sans peur l'air de la liberté ;
Qu'elle marche pieds nus, comme la vérité.

O Machiavel ! tes pas retentissent encore
Dans les sentiers déserts de San Casciano.
Là, sous des cieux ardents dont l'air sèche et dévore,
Tu cultivais en vain un sol maigre et sans eau.
Ta main, lasse le soir d'avoir creusé la terre,
Frappait ton pâle front dans le calme des nuits.
Là, tu fus sans espoir, sans proches, sans amis ;
La vile oisiveté, fille de la misère,
A ton ombre en tous lieux se traînait lentement,
Et buvait dans ton coeur les flots purs de ton sang :
"Qui suis-je ? écrivais-tu; qu'on me donne une pierre,
"Une roche à rouler ; c'est la paix des tombeaux
"Que je fuis, et je tends des bras las du repos."

C'est ainsi, Machiavel, qu'avec toi je m'écrie :
O médiocre, celui qui pour tout bien
T'apporte à ce tripot dégoûtant de la vie,
Est bien poltron au jeu, s'il ne dit : Tout ou rien.
Je suis jeune; j'arrive. A moitié de ma route,
Déjà las de marcher, je me suis retourné.
La science de l'homme est le mépris sans doute ;
C'est un droit de vieillard qui ne m'est pas donné.
Mais qu'en dois-je penser ? Il n'existe qu'un être
Que je puisse en entier et constamment connaître
Sur qui mon jugement puisse au moins faire foi,
Un seul !... Je le méprise. - Et cet être, c'est moi.

Qu'ai-je fait ? qu'ai-je appris ? Le temps est si rapide !
L'enfant marche joyeux, sans songer au chemin ;
Il le croit infini, n'en voyant pas la fin.
Tout à coup il rencontre une source limpide,
Il s'arrête, il se penche, il y voit un vieillard.
Que me dirai-je alors ? Quand j'aurai fait mes peines,
Quand on m'entendra dire : Hélas ! il est trop **** ;
Quand ce sang, qui bouillonne aujourd'hui dans mes veines
Et s'irrite en criant contre un lâche repos,
S'arrêtera, glacé jusqu'au fond de mes os...
O vieillesse ! à quoi donc sert ton expérience ?
Que te sert, spectre vain, de te courber d'avance
Vers le commun tombeau des hommes, si la mort
Se tait en y rentrant, lorsque la vie en sort ?
N'existait-il donc pas à cette loterie
Un joueur par le sort assez bien abattu
Pour que, me rencontrant sur le seuil de la vie,
Il me dît en sortant : N'entrez pas, j'ai perdu !

Grèce, ô mère des arts, terre d'idolâtrie,
De mes voeux insensés éternelle patrie,
J'étais né pour ces temps où les fleurs de ton front
Couronnaient dans les mers l'azur de l'Hellespont.
Je suis un citoyen de tes siècles antiques ;
Mon âme avec l'abeille erre sous tes portiques.
La langue de ton peuple, ô Grèce, peut mourir ;
Nous pouvons oublier le nom de tes montagnes ;
Mais qu'en fouillant le sein de tes blondes campagnes
Nos regards tout à coup viennent à découvrir
Quelque dieu de tes bois, quelque Vénus perdue...
La langue que parlait le coeur de Phidias
Sera toujours vivante et toujours entendue ;
Les marbres l'ont apprise, et ne l'oublieront pas.
Et toi, vieille Italie, où sont ces jours tranquilles
Où sous le toit des cours Rome avait abrité
Les arts, ces dieux amis, fils de l'oisiveté ?
Quand tes peintres alors s'en allaient par les villes,
Elevant des palais, des tombeaux, des autels,
Triomphants, honorés, dieux parmi les mortels ;
Quand tout, à leur parole, enfantait des merveilles,
Quand Rome combattait Venise et les Lombards,
Alors c'étaient des temps bienheureux pour les arts !
Là, c'était Michel-Ange, affaibli par les veilles,
Pâle au milieu des morts, un scalpel à la main,
Cherchant la vie au fond de ce néant humain,
Levant de temps en temps sa tête appesantie,
Pour jeter un regard de colère et d'envie
Sur les palais de Rome, où, du pied de l'autel,
A ses rivaux de **** souriait Raphaël.
Là, c'était le Corrège, homme pauvre et modeste,
Travaillant pour son coeur, laissant à Dieu le reste ;
Le Giorgione, superbe, au jeune Titien
Montrant du sein des mers son beau ciel vénitien ;
Bartholomé, pensif, le front dans la poussière,
Brisant son jeune coeur sur un autel de pierre,
Interrogé tout bas sur l'art par Raphaël,
Et bornant sa réponse à lui montrer le ciel...
Temps heureux, temps aimés ! Mes mains alors peut-être,
Mes lâches mains, pour vous auraient pu s'occuper ;
Mais aujourd'hui pour qui ? dans quel but ? sous quel maître ?
L'artiste est un marchand, et l'art est un métier.
Un pâle simulacre, une vile copie,
Naissent sous le soleil ardent de l'Italie...
Nos oeuvres ont un an, nos gloires ont un jour ;
Tout est mort en Europe, - oui, tout, - jusqu'à l'amour.

Ah ! qui que vous soyez, vous qu'un fatal génie
Pousse à ce malheureux métier de poésie
Rejetez **** de vous, chassez-moi hardiment
Toute sincérité; gardez que l'on ne voie
Tomber de votre coeur quelques gouttes de sang ;
Sinon, vous apprendrez que la plus courte joie
Coûte cher, que le sage est ami du repos,
Que les indifférents sont d'excellents bourreaux.

Heureux, trois fois heureux, l'homme dont la pensée
Peut s'écrire au tranchant du sabre ou de l'épée !
Ah ! qu'il doit mépriser ces rêveurs insensés
Qui, lorsqu'ils ont pétri d'une fange sans vie
Un vil fantôme, un songe, une froide effigie,
S'arrêtent pleins d'orgueil, et disent : C'est assez !
Qu'est la pensée, hélas ! quand l'action commence ?
L'une recule où l'autre intrépide s'avance.
Au redoutable aspect de la réalité,
Celle-ci prend le fer, et s'apprête à combattre ;
Celle-là, frêle idole, et qu'un rien peut abattre,
Se détourne, en voilant son front inanimé.

Meurs, Weber ! meurs courbé sur ta harpe muette ;
Mozart t'attend. - Et toi, misérable poète,
Qui que tu sois, enfant, homme, si ton coeur bat,
Agis ! jette ta lyre; au combat, au combat !
Ombre des temps passés, tu n'es pas de cet âge.
Entend-on le nocher chanter pendant l'orage ?
A l'action ! au mal ! Le bien reste ignoré.
Allons ! cherche un égal à des maux sans remède.
Malheur à qui nous fit ce sens dénaturé !
Le mal cherche le mal, et qui souffre nous aide.
L'homme peut haïr l'homme, et fuir; mais malgré lui,
Sa douleur tend la main à la douleur d'autrui.
C'est tout. Pour la pitié, ce mot dont on nous leurre,
Et pour tous ces discours prostitués sans fin,
Que l'homme au coeur joyeux jette à celui qui pleure,
Comme le riche jette au mendiant son pain,
Qui pourrait en vouloir ? et comment le vulgaire,
Quand c'est vous qui souffrez, pourrait-il le sentir,
Lui que Dieu n'a pas fait capable de souffrir ?

Allez sur une place, étalez sur la terre
Un corps plus mutilé que celui d'un martyr,
Informe, dégoûtant, traîné sur une claie,
Et soulevant déjà l'âme prête à partir ;
La foule vous suivra. Quand la douleur est vraie,
Elle l'aime. Vos maux, dont on vous saura gré,
Feront horreur à tous, à quelques-uns pitié.
Mais changez de façon : découvrez-leur une âme
Par le chagrin brisée, une douleur sans fard,
Et dans un jeune coeur des regrets de vieillard ;
Dites-leur que sans mère, et sans soeur, et sans femme,
Sans savoir où verser, avant que de mourir,
Les pleurs que votre sein peut encor contenir,
Jusqu'au soleil couchant vous n'irez point peut-être...
Qui trouvera le temps d'écouter vos malheurs ?
On croit au sang qui coule, et l'on doute des pleurs.
Votre ami passera, mais sans vous reconnaître.

Tu te gonfles, mon coeur?... Des pleurs, le croirais-tu,
Tandis que j'écrivais ont baigné mon visage.
Le fer me manque-t-il, ou ma main sans courage
A-t-elle lâchement glissé sur mon sein nu ?
Non, rien de tout cela. Mais si **** que la haine
De cette destinée aveugle et sans pudeur
Ira, j'y veux aller. - J'aurai du moins le coeur
De la mener si bas que la honte l'en prenne.
À Madame *.

Il est donc vrai, vous vous plaignez aussi,
Vous dont l'oeil noir, *** comme un jour de fête,
Du monde entier pourrait chasser l'ennui.
Combien donc pesait le souci
Qui vous a fait baisser la tête ?
C'est, j'imagine, un aussi lourd fardeau
Que le roitelet de la fable ;
Ce grand chagrin qui vous accable
Me fait souvenir du roseau.
Je suis bien **** d'être le chêne,
Mais, dites-moi, vous qu'en un autre temps
(Quand nos aïeux vivaient en bons enfants)
J'aurais nommée Iris, ou Philis, ou Climène,
Vous qui, dans ce siècle bourgeois,
Osez encor me permettre parfois
De vous appeler ma marraine,
Est-ce bien vous qui m'écrivez ainsi,
Et songiez-vous qu'il faut qu'on vous réponde ?
Savez-vous que, dans votre ennui,
Sans y penser, madame et chère blonde,
Vous me grondez comme un ami ?
Paresse et manque de courage,
Dites-vous ; s'il en est ainsi,
Je vais me remettre à l'ouvrage.
Hélas ! l'oiseau revient au nid,
Et quelquefois même à la cage.
Sur mes lauriers on me croit endormi ;
C'est trop d'honneur pour un instant d'oubli,
Et dans mon lit les lauriers n'ont que faire ;
Ce ne serait pas mon affaire.
Je sommeillais seulement à demi,
À côté d'un brin de verveine
Dont le parfum vivait à peine,
Et qu'en rêvant j'avais cueilli.
Je l'avouerai, ce coupable silence,
Ce long repos, si maltraité de vous,
Paresse, amour, folie ou nonchalance,
Tout ce temps perdu me fut doux.
Je dirai plus, il me fut profitable ;
Et, si jamais mon inconstant esprit
Sait revêtir de quelque fable
Ce que la vérité m'apprit,
Je vous paraîtrai moins coupable.
Le silence est un conseiller
Qui dévoile plus d'un mystère ;
Et qui veut un jour bien parler
Doit d'abord apprendre à se taire.
Et, quand on se tairait toujours,
Du moment qu'on vit et qu'on aime,
Qu'importe le reste ? et vous-même,
Quand avez-vous compté les jours ?
Et puisqu'il faut que tout s'évanouisse,
N'est-ce donc pas une folle avarice,
De conserver comme un trésor
Ce qu'un coup de vent nous enlève ?
Le meilleur de ma vie a passé comme un rêve
Si léger, qu'il m'est cher encor.
Mais revenons à vous, ma charmante marraine.
Vous croyez donc vous ennuyer ?
Et l'hiver qui s'en vient, rallumant le foyer,
A fait rêver la châtelaine.
Un roman, dites-vous, pourrait vous égayer ;
Triste chose à vous envoyer !
Que ne demandez-vous un conte à La Fontaine ?
C'est avec celui-là qu'il est bon de veiller ;
Ouvrez-le sur votre oreiller,
Vous verrez se lever l'aurore.
Molière l'a prédit, et j'en suis convaincu,
Bien des choses auront vécu
Quand nos enfants liront encore
Ce que le bonhomme a conté,
Fleur de sagesse et de gaieté.
Mais quoi ! la mode vient, et tue un vieil usage.
On n'en veut plus, du sobre et franc langage
Dont il enseignait la douceur,
Le seul français, et qui vienne du cœur ;
Car, n'en déplaise à l'Italie,
La Fontaine, sachez-le bien,
En prenant tout n'imita rien ;
Il est sorti du sol de la patrie,
Le vert laurier qui couvre son tombeau ;
Comme l'antique, il est nouveau.
Ma protectrice bien-aimée,
Quand votre lettre parfumée
Est arrivée à votre. enfant gâté,
Je venais de causer en toute liberté
Avec le grand ami Shakespeare.
Du sujet cependant Boccace était l'auteur ;
Car il féconde tout, ce charmant inventeur ;
Même après l'autre, il fallait le relire.
J'étais donc seul, ses Nouvelles en main,
Et de la nuit la lueur azurée,
Se jouant avec le matin,
Etincelait sur la tranche dorée
Du petit livre florentin ;
Et je songeais, quoi qu'on dise ou qu'on fasse,
Combien c'est vrai que les Muses sont sœurs ;
Qu'il eut raison, ce pinceau plein de grâce,
Qui nous les montre au sommet du Parnasse,
Comme une guirlande de fleurs !
La Fontaine a ri dans Boccace,
Où Shakespeare fondait en pleurs.
Sera-ce trop que d'enhardir ma muse
Jusqu'à tenter de traduire à mon tour
Dans ce livre amoureux une histoire d'amour ?
Mais tout est bon qui vous amuse.
Je n'oserais, si ce n'était pour vous,
Car c'est beaucoup que d'essayer ce style
Tant oublié, qui fut jadis si doux,
Et qu'aujourd'hui l'on croit facile.

Il fut donc, dans notre cité,
Selon ce qu'on nous a conté
(Boccace parle ainsi ; la cité, c'est Florence),
Un gros marchand, riche, homme d'importance,
Qui de sa femme eut un enfant ;
Après quoi, presque sur-le-champ,
Ayant mis ordre à ses affaires,
Il passa de ce monde ailleurs.
La mère survivait ; on nomma des tuteurs,
Gens loyaux, prudents et sévères ;
Capables de se faire honneur
En gardant les biens d'un mineur.
Le jouvenceau, courant le voisinage,
Sentit d'abord douceur de cœur
Pour une fille de son âge,
Qui pour père avait un tailleur ;
Et peu à peu l'enfant devenant homme,
Le temps changea l'habitude en amour,
De telle sorte que Jérôme
Sans voir Silvia ne pouvait vivre un jour.
À son voisin la fille accoutumée
Aima bientôt comme elle était aimée.
De ce danger la mère s'avisa,
Gronda son fils, longtemps moralisa,
Sans rien gagner par force ou par adresse.
Elle croyait que la richesse
En ce monde doit tout changer,
Et d'un buisson peut faire un oranger.
Ayant donc pris les tuteurs à partie,
La mère dit : « Cet enfant que voici,
Lequel n'a pas quatorze ans, Dieu merci !
Va désoler le reste de ma vie.
Il s'est si bien amouraché
De la fille d'un mercenaire,
Qu'un de ces jours, s'il n'en est empêché,
Je vais me réveiller grand'mère.
Soir ni matin, il ne la quitte pas.
C'est, je crois, Silvia qu'on l'appelle ;
Et, s'il doit voir quelque autre dans ses bras,
Il se consumera pour elle.
Il faudrait donc, avec votre agrément,
L'éloigner par quelque voyage ;
Il est jeune, la fille est sage,
Elle l'oubliera sûrement ;
Et nous le marierons à quelque honnête femme. »
Les tuteurs dirent que la dame
Avait parlé fort sagement.
« Te voilà grand, dirent-ils à Jérôme,
Il est bon de voir du pays.
Va-t'en passer quelques jours à Paris,
Voir ce que c'est qu'un gentilhomme,
Le bel usage, et comme on vit là-bas ;
Dans peu de temps tu reviendras. »
À ce conseil, le garçon, comme on pense,
Répondit qu'il n'en ferait rien,
Et qu'il pouvait voir aussi bien
Comment l'on vivait à Florence.
Là-dessus, la mère en fureur
Répond d'abord par une grosse injure ;
Puis elle prend l'enfant par la douceur ;
On le raisonne, on le conjure,
À ses tuteurs il lui faut obéir ;
On lui promet de ne le retenir
Qu'un an au plus. Tant et tant on le prie,
Qu'il cède enfin. Il quitte sa patrie ;
Il part, tout plein de ses amours,
Comptant les nuits, comptant les jours,
Laissant derrière lui la moitié de sa vie.
L'exil dura deux ans ; ce long terme passé,
Jérôme revint à Florence,
Du mal d'amour plus que jamais blessé,
Croyant sans doute être récompensé.
Mais. c'est un grand tort que l'absence.
Pendant qu'au **** courait le jouvenceau,
La fille s'était mariée.
En revoyant les rives de l'Arno,
Il n'y trouva que le tombeau
De son espérance oubliée.
D'abord il n'en murmura point,
Sachant que le monde, en ce point,
Agit rarement d'autre sorte.
De l'infidèle il connaissait la porte,
Et tous les jours il passait sur le seuil,
Espérant un signe, un coup d'oeil,
Un rien, comme on fait quand on aime.
Mais tous ses pas furent perdus
Silvia ne le connaissait plus,
Dont il sentit une douleur extrême.
Cependant, avant d'en mourir,
Il voulut de son souvenir
Essayer de parler lui-même.
Le mari n'était pas jaloux,
Ni la femme bien surveillée.
Un soir que les nouveaux époux
Chez un voisin étaient à la veillée,
Dans la maison, au tomber de la nuit,
Jérôme entra, se cacha près du lit,
Derrière une pièce de toile ;
Car l'époux était tisserand,
Et fabriquait cette espèce de voile
Qu'on met sur un balcon toscan.
Bientôt après les mariés rentrèrent,
Et presque aussitôt se couchèrent.
Dès qu'il entend dormir l'époux,
Dans l'ombre vers Silvia Jérôme s'achemine,
Et lui posant la main sur la poitrine,
Il lui dit doucement : « Mon âme, dormez-vous ?
La pauvre enfant, croyant voir un fantôme,
Voulut crier ; le jeune homme ajouta
« Ne criez pas, je suis votre Jérôme.
- Pour l'amour de Dieu, dit Silvia,
Allez-vous-en, je vous en prie.
Il est passé, ce temps de notre vie
Où notre enfance eut loisir de s'aimer,
Vous voyez, je suis mariée.
Dans les devoirs auxquels je suis liée,
Il ne me sied plus de penser
À vous revoir ni vous entendre.
Si mon mari venait à vous surprendre,
Songez que le moindre des maux
Serait pour moi d'en perdre le repos ;
Songez qu'il m'aime et que je suis sa femme. »
À ce discours, le malheureux amant
Fut navré jusqu'au fond de l'âme.
Ce fut en vain qu'il peignit son tourment,
Et sa constance et sa misère ;
Par promesse ni par prière,
Tout son chagrin ne put rien obtenir.
Alors, sentant la mort venir,
Il demanda que, pour grâce dernière,
Elle le laissât se coucher
Pendant un instant auprès d'elle,
Sans bouger et sans la toucher,
Seulement pour se réchauffer,
Ayant au cœur une glace mortelle,
Lui promettant de ne pas dire un mot,
Et qu'il partirait aussitôt,
Pour ne la revoir de sa vie.
La jeune femme, ayant quelque compassion,
Moyennant la condition,
Voulut contenter son envie.
Jérôme profita d'un moment de pitié ;
Il se coucha près de Silvie.
Considérant alors quelle longue amitié
Pour cette femme il avait eue,
Et quelle était sa cruauté,
Et l'espérance à tout jamais perdue,
Il résolut de cesser de souffrir,
Et rassemblant dans un dernier soupir
Toutes les forces de sa vie,
Il serra la main de sa mie,
Et rendit l'âme à son côté.
Silvia, non sans quelque surprise,
Admirant sa tranquillité,
Resta d'abord quelque temps indécise.
« Jérôme, il faut sortir d'ici,
Dit-elle enfin, l'heure s'avance. »
Et, comme il gardait le silence,
Elle pensa qu'il s'était endormi.
Se soulevant donc à demi,
Et doucement l'appelant à voix basse,
Elle étendit la main vers lui,
Et le trouva froid comme glace.
Elle s'en étonna d'abord ;
Bientôt, l'ayant touché plus fort,
Et voyant sa peine inutile,
Son ami restant immobile,
Elle comprit qu'il était mort.
Que faire ? il n'était pas facile
De le savoir en un moment pareil.
Elle avisa de demander conseil
À son mari, le tira de son somme,
Et lui conta l'histoire de Jérôme,
Comme un malheur advenu depuis peu,
Sans dire à qui ni dans quel lieu.
« En pareil cas, répondit le bonhomme,
Je crois que le meilleur serait
De porter le mort en secret
À son logis, l'y laisser sans rancune,
Car la femme n'a point failli,
Et le mal est à la fortune.
- C'est donc à nous de faire ainsi, »
Dit la femme ; et, prenant la main de son mari
Elle lui fit toucher près d'elle
Le corps sur son lit étendu.
Bien que troublé par ce coup imprévu,
L'époux se lève, allume sa chandelle ;
Et, sans entrer en plus de mots,
Sachant que sa femme est fidèle,
Il charge le corps sur son dos,
À sa maison secrètement l'emporte,
Le dépose devant la porte,
Et s'en revient sans avoir été vu.
Lorsqu'on trouva, le jour étant venu,
Le jeune homme couché par terre,
Ce fut une grande rumeur ;
Et le pire, dans ce malheur,
Fut le désespoir de la mère.
Le médecin aussitôt consulté,
Et le corps partout visité,
Comme on n'y vit point de blessure,
Chacun parlait à sa façon
De cette sinistre aventure.
La populaire opinion
Fut que l'amour de sa maîtresse
Avait jeté Jérôme en cette adversité,
Et qu'il était mort de tristesse,
Comme c'était la vérité.
Le corps fut donc à l'église porté,
Et là s'en vint la malheureuse mère,
Au milieu des amis en deuil,
Exhaler sa douleur amère.
Tandis qu'on menait le cercueil,
Le tisserand qui, dans le fond de l'âme,
Ne laissait pas d'être inquiet :
« Il est bon, dit-il à sa femme,
Que tu prennes ton mantelet,
Et t'en ailles à cette église
Où l'on enterre ce garçon
Qui mourut hier à la maison.
J'ai quelque peur qu'on ne médise
Sur cet inattendu trépas,
Et ce serait un mauvais pas,
Tout innocents que nous en sommes.
Je me tiendrai parmi les hommes,
Et prierai Dieu, tout en les écoutant.
De ton côté, prends soin d'en faire autant
À l'endroit qu'occupent les femmes.
Tu retiendras ce que ces bonnes âmes
Diront de nous, et nous ferons
Selon ce que nous entendrons. »
La pitié trop **** à Silvie
Etait venue, et ce discours lui plut.
Celui dont un baiser eût conservé la vie,
Le voulant voir encore, elle s'en fut.
Il est étrange, il est presque incroyable
Combien c'est chose inexplicable
Que la puissance de l'amour.
Ce cœur, si chaste et si sévère,
Qui semblait fermé sans retour
Quand la fortune était prospère,
Tout à coup s'ouvrit au malheur.
À peine dans l'église entrée,
De compassion et d'horreur
Silvia se sentit pénétrée ;
L'ancien amour s'éveilla tout entier.
Le front baissé, de son manteau voilée,
Traversant la triste assemblée,
Jusqu'à la bière il lui fallut aller ;
Et là, sous le drap mortuaire
Sitôt qu'elle vit son ami,
Défaillante et poussant un cri,
Comme une sœur embrasse un frère,
Sur le cercueil elle tomba ;
Et, comme la douleur avait tué Jérôme,
De sa douleur ainsi mourut Silvia.
Cette fois ce fut au jeune homme
A céder la moitié du lit :
L'un près de l'autre on les ensevelit.
Ainsi ces deux amants, séparés sur la terre,
Furent unis, et la mort fit
Ce que l'amour n'avait pu faire.
Je ne veux plus aimer que ma mère Marie.

Tous les autres amours sont de commandement.

Nécessaires qu'ils sont, ma mère seulement

Pourra les allumer aux coeurs qui l'ont chérie.


C'est pour Elle qu'il faut chérir mes ennemis,

C'est par Elle que j'ai voué ce sacrifice,

Et la douceur de coeur et le zèle au service,

Comme je la priais, Elle les a permis ...


C'est par Elle que j'ai voulu de ces chagrins,

C'est pour Elle que j'ai mon coeur dans les Cinq Plaies,

Et tous ces bons efforts vers les croix et les claies,

Comme je l'invoquais, Elle en ceignit mes reins.


Je ne veux plus penser qu'à ma mère Marie,

Siège, de la Sagesse et source des pardons,

Mère de France aussi, de qui nous attendons

Inébranlablement l'honneur de la patrie.


Marie Immaculée, amour essentiel,

Logique de la foi cordiale et vivace,

En vous aimant qu'est-il de bon que je ne fasse,

En vous aimant du seul amour, Porte du ciel ?
Œil pour œil ! Dent pour dent ! Tête pour tête ! A mort !
Justice ! L'échafaud vaut mieux que le remord.
Talion ! talion !

- Silence aux cris sauvages !
Non ! assez de malheur, de meurtre et de ravages !
Assez d'égorgements ! assez de deuil ! assez
De fantômes sans tête et d'affreux trépassés !
Assez de visions funèbres dans la brume !
Assez de doigts hideux, montrant le sang qui fume,
Noirs, et comptant les trous des linceuls dans la nuit !
Pas de suppliciés dont le cri nous poursuit !
Pas de spectres jetant leur ombre sur nos têtes !
Nous sommes ruisselants de toutes les tempêtes ;
Il n'est plus qu'un devoir et qu'une vérité,
C'est, après tant d'angoisse et de calamité.
Homme, d'ouvrir son cœur, oiseau, d'ouvrir son aile
Vers ce ciel que remplit la grande âme éternelle !
Le peuple, que les rois broyaient sous leurs talons.
Est la pierre promise au temple, et nous voulons
Que la pierre bâtisse et non qu'elle lapide !
Pas de sang ! pas de mort ! C'est un reflux stupide
Que la férocité sur la férocité.
Un pilier d'échafaud soutient mal la cité.
Tu veux faire mourir ! Moi je veux faire naître !
Je mure le sépulcre et j'ouvre la fenêtre.
Dieu n'a pas fait le sang, à l'amour réservé.
Pour qu'on le donne à boire aux fentes du pavé.
S'agit-il d'égorger ? Peuples, il s'agit d'être.
Quoi ! tu veux te venger, passant ? de qui ? du maître ?
Si tu ne vaux pas mieux, que viens-tu faire ici ?
Tout mystère où l'on jette un meurtre est obscurci ;
L'énigme ensanglantée est plus âpre à résoudre ;
L'ombre s'ouvre terrible après le coup de foudre ;
Tuer n'est pas créer, et l'on se tromperait
Si l'on croyait que tout finit au couperet ;
C'est là qu'inattendue, impénétrable, immense.
Pleine d'éclairs subits, la question commence ;
C'est du bien et du mal ; mais le mal est plus grand.
Satan rit à travers l'échafaud transparent.
Le bourreau, quel qu'il soit, a le pied dans l'abîme ;
Quoi qu'elle fasse, hélas ! la hache fait un crime ;
Une lugubre nuit fume sur ce tranchant ;
Quand il vient de tuer, comme, en s'en approchant.
On frémit de le voir tout ruisselant, et comme
On sent qu'il a frappé dans l'ombre plus qu'un homme
Sitôt qu'a disparu le coupable immolé.
Hors du panier tragique où la tête a roulé.
Le principe innocent, divin, inviolable.
Avec son regard d'astre à l'aurore semblable.
Se dresse, spectre auguste, un cercle rouge au cou.
L'homme est impitoyable, hélas, sans savoir où.
Comment ne voit-il pas qu'il vit dans un problème.
Que l'homme est solidaire avec ses monstres même.
Et qu'il ne peut tuer autre chose qu'Abel !
Lorsqu'une tête tombe, on sent trembler le ciel.
Décapitez Néron, cette hyène insensée,
La vie universelle est dans Néron blessée ;
Faites monter Tibère à l'échafaud demain,
Tibère saignera le sang du genre humain.
Nous sommes tous mêlés à ce que fait la Grève ;
Quand un homme, en public, nous voyant comme un rêve.
Meurt, implorant en vain nos lâches abandons.
Ce meurtre est notre meurtre et nous en répondons ;
C'est avec un morceau de notre insouciance.
C'est avec un haillon de notre conscience.
Avec notre âme à tous, que l'exécuteur las
Essuie en s'en allant son hideux coutelas.
L'homme peut oublier ; les choses importunes
S'effacent dans l'éclat ondoyant des fortunes ;
Le passé, l'avenir, se voilent par moments ;
Les festins, les flambeaux, les feux, les diamants.
L'illumination triomphale des fêtes.
Peuvent éclipser l'ombre énorme des prophètes ;
Autour des grands bassins, au bord des claires eaux.
Les enfants radieux peuvent aux cris d'oiseaux
Mêler le bruit confus de leurs lèvres fleuries.
Et, dans le Luxembourg ou dans les Tuileries,
Devant les vieux héros de marbre aux poings crispés.
Danser, rire et chanter : les lauriers sont coupés !
La Courtille au front bas peut noyer dans les verres
Le souvenir des jours illustres et sévères ;
La valse peut ravir, éblouir, enivrer
Des femmes de satin, heureuses de livrer
Le plus de nudité possible aux yeux de flamme ;
L'***** peut murmurer son chaste épithalame ;
Le bal masqué, lascif, paré, bruyant, charmant,
Peut allumer sa torche et bondir follement.
Goule au linceul joyeux, larve en fleurs, spectre rose ;
Mais, quel que soit le temps, quelle que soit la cause.
C'est toujours une nuit funeste au peuple entier
Que celle où, conduisant un prêtre, un guichetier
Fouille au trousseau de clefs qui pend à sa ceinture
Pour aller, sur le lit de fièvre et de torture,
Réveiller avant l'heure un pauvre homme endormi,
Tandis que, sur la Grève, entrevus à demi.
Sous les coups de marteau qui font fuir la chouette.
D'effrayants madriers dressent leur silhouette.
Rougis par la lanterne horrible du bourreau.
Le vieux glaive du juge a la nuit pour fourreau.
Le tribunal ne peut de ce fourreau livide
Tirer que la douleur, l'anxiété, le vide,
Le néant, le remords, l'ignorance et l'effroi.

Qu'il frappe au nom du peuple ou venge au nom du roi.
Justice ! dites-vous. - Qu'appelez-vous justice ?
Qu'on s'entr'aide, qu'on soit des frères, qu'on vêtisse
Ceux qui sont nus, qu'on donne à tous le pain sacré.
Qu'on brise l'affreux bagne où le pauvre est muré,
Mais qu'on ne touche point à la balance sombre !
Le sépulcre où, pensif, l'homme naufrage et sombre.
Au delà d'aujourd'hui, de demain, des saisons.
Des jours, du flamboiement de nos vains horizons,
Et des chimères, proie et fruit de notre étude,
A son ciel plein d'aurore et fait de certitude ;
La justice en est l'astre immuable et lointain.
Notre justice à nous, comme notre destin.
Est tâtonnement, trouble, erreur, nuage, doute ;
Martyr, je m'applaudis ; juge, je me redoute ;
L'infaillible, est-ce moi, dis ? est-ce toi ? réponds.
Vous criez : - Nos douleurs sont notre droit. Frappons.
Nous sommes trop en butte au sort qui nous accable.
Nous sommes trop frappés d'un mal inexplicable.
Nous avons trop de deuils, trop de jougs, trop d'hivers.
Nous sommes trop souffrants, dans nos destins divers.
Tous, les grands, les petits, les obscurs, les célèbres.
Pour ne pas condamner quelqu'un dans nos ténèbres. -
Puisque vous ne voyez rien de clair dans le sort.
Ne vous hâtez pas trop d'en conclure la mort.
Fût-ce la mort d'un roi, d'un maître et d'un despote ;
Dans la brume insondable où tout saigne et sanglote,
Ne vous hâtez pas trop de prendre vos malheurs.
Vos jours sans feu, vos jours sans pain, vos cris, vos pleurs.
Et ce deuil qui sur vous et votre race tombe.
Pour les faire servir à construire une tombe.
Quel pas aurez-vous fait pour avoir ajouté
A votre obscur destin, ombre et fatalité.
Cette autre obscurité que vous nommez justice ?
Faire de l'échafaud, menaçante bâtisse.
Un autel à bénir le progrès nouveau-né,
Ô vivants, c'est démence ; et qu'aurez-vous gagné
Quand, d'un culte de mort lamentables ministres.
Vous aurez marié ces infirmes sinistres,
La justice boiteuse et l'aveugle anankè ?
Le glaive toujours cherche un but toujours manqué ;
La palme, cette flamme aux fleurs étincelantes,
Faite d'azur, frémit devant des mains sanglantes.
Et recule et s'enfuit, sensitive des cieux !
La colère assouvie a le front soucieux.
Quant à moi, tu le sais, nuit calme où je respire,
J'aurais là, sous mes pieds, mon ennemi, le pire,
Caïn juge, Judas pontife, Satan roi.
Que j'ouvrirais ma porte et dirais : Sauve-toi !

Non, l'élargissement des mornes cimetières
N'est pas le but. Marchons, reculons les frontières
De la vie ! Ô mon siècle, allons toujours plus haut !
Grandissons !

Qu'est-ce donc qu'il nous veut, l'échafaud.
Cette charpente spectre accoutumée aux foules.
Cet îlot noir qu'assiège et que bat de ses houles
La multitude aux flots inquiets et mouvants.
Ce sépulcre qui vient attaquer les vivants,
Et qui, sur les palais ainsi que sur les bouges.
Surgit, levant un glaive au bout de ses bras rouges ?
Mystère qui se livre aux carrefours, morceau
De la tombe qui vient tremper dans le ruisseau,
Bravant le jour, le bruit, les cris ; bière effrontée
Qui, féroce, cynique et lâche, semble athée !
Ô spectacle exécré dans les plus repoussants.
Une mort qui se fait coudoyer aux passants,
Qui permet qu'un crieur hors de l'ombre la tire !
Une mort qui n'a pas l'épouvante du rire.
Dévoilant l'escalier qui dans la nuit descend,
Disant : voyez ! marchant dans la rue, et laissant
La boue éclabousser son linceul semé d'astres ;
Qui, sur un tréteau, montre entre deux vils pilastres
Son horreur, son front noir, son œil de basilic ;
Qui consent à venir travailler en public,
Et qui, prostituée, accepte, sur les places,
La familiarité des fauves populaces !

Ô vivant du tombeau, vivant de l'infini,
Jéhovah ! Dieu, clarté, rayon jamais terni.
Pour faire de la mort, de la nuit, des ténèbres,
Ils ont mis ton triangle entre deux pieux funèbres ;
Et leur foule, qui voit resplendir ta lueur.
Ne sent pas à son front poindre une âpre sueur.
Et l'horreur n'étreint pas ce noir peuple unanime.
Quand ils font, pour punir ce qu'ils ont nommé crime.
Au nom de ce qu'ils ont appelé vérité.
Sur la vie, o terreur, tomber l'éternité !
Au fond du parc qui se délabre,
Vieux, désert, mais encor charmant
Quand la lune, obscur candélabre,
S'allume en son écroulement,

Un moineau-franc, que rien ne gêne,
A son grenier, tout grand ouvert,
Au cinquième étage d'un chêne
Qu'avril vient de repeindre en vert.

Un saule pleureur se hasarde
À gémir sur le doux gazon,
À quelques pas de la mansarde
Où ricane ce polisson.

Ce saule ruisselant se penche ;
Un petit lac est à ses pieds,
Où tous ses rameaux, branche à branche,
Sont correctement copiés.

Tout en visitant sa coquine
Dans le nid par l'aube doré,
L'oiseau rit du saule, et taquine
Ce bon vieux lakiste éploré.

Il crie à toutes les oiselles
Qu'il voit dans les feuilles sautant :
- Venez donc voir, mesdemoiselles !
Ce saule a pleuré cet étang.

Il s'abat dans son tintamarre
Sur le lac qu'il ose insulter :
- Est-elle bête cette mare !
Elle ne sait que répéter.

Ô mare, tu n'es qu'une ornière.
Tu rabâches ton saule. Allons,
Change donc un peu de manière.
Ces vieux rameaux-là sont très longs.

Ta géorgique n'est pas drôle.
Sous prétexte qu'on est miroir,
Nous faire le matin un saule
Pour nous le refaire le soir !

C'est classique, cela m'assomme.
Je préférerais qu'on se tût.
Çà, ton bon saule est un bonhomme ;
Les saules sont de l'institut.

Je vois d'ici bâiller la truite.
Mare, c'est triste, et je t'en veux
D'être échevelée à la suite
D'un vieux qui n'a plus de cheveux.

Invente-nous donc quelque chose !
Calque, mais avec abandon.
Je suis fille, fais une rose,
Je suis âne, fais un chardon.

Aie une idée, un iris jaune,
Un bleu nénuphar triomphant !
Sapristi ! Il est temps qu'un faune
Fasse à ta naïade un enfant. -

Puis il s'adresse à la linotte :
- Vois-tu, ce saule, en ce beau lieu,
A pour état de prendre en note
Le diable à côté du bon Dieu.

De là son deuil. Il est possible
Que tout soit mal, ô ma catin ;
L'oiseau sert à l'homme de cible,
L'homme sert de cible au destin ;

Mais moi, j'aime mieux, sans envie,  
Errer de bosquet en bosquet,
Corbleu, que de passer ma vie
À remplir de pleurs un baquet ! -

Le saule à la morne posture,
Noir comme le bois des gibets,
Se tait, et la mère nature
Sourit dans l'ombre aux quolibets

Que jette, à travers les vieux marbres,
Les quinconces, les buis, les eaux,
À cet Héraclite des arbres
Ce Démocrite des oiseaux.
Amis, accueillez-moi, j'arrive dans la vie.

Dépensons l'existence au gré de notre envie :

Vivre, c'est être libre, et pouvoir à loisir

Abandonner son âme à l'attrait du plaisir ;

C'est chanter, s'enivrer des cieux, des bois, de l'onde,

Ou, parmi les tilleuls, suivre une vierge blonde !

- C'est bien là le discours d'un enfant. Écoutez :

Vous avez de l'esprit. - Trop bon. - Et méritez

Qu'un ami plus mûr vienne, en cette circonstance,

D'un utile conseil vous prêter l'assistance.

Il ne faut pas se faire illusion ici ;

Avant d'être poète, et de livrer ainsi

Votre âme à tout le feu de l'ardeur qui l'emporte.

Avez-vous de l'argent ? - Que sais-je ?et que m'importe ?

- Il importe beaucoup ; et c'est précisément

Ce qu'il faut, avant tout, considérer. - Vraiment ?

- S'il fut des jours heureux, où la voix des poètes

Enchaînait à son gré les nations muettes,

Ces jours-là ne sont plus, et depuis bien longtemps :

Est-ce un bien, est-ce un mal, je l'ignore, et n'entends

Que vous prouver un fait, et vous faire comprendre

Que si le monde est tel, tel il faut bien le prendre.

Le poète n'est plus l'enfant des immortels,

A qui l'homme à genoux élevait des autels ;

Ce culte d'un autre âge est perdu dans le nôtre,

Et c'est tout simplement un homme comme un autre.

Si donc vous n'avez rien, travaillez pour avoir ;

Embrassez un état : le tout est de savoir

Choisir, et sans jamais regarder en arrière,

D'un pas ferme et hardi poursuivre sa carrière.

- Et ce monde idéal que je me figurais !

Et ces accents lointains du cor dans les forêts !

Et ce bel avenir, et ces chants d'innocence !

Et ces rêves dorés de mon adolescence !

Et ces lacs, et ces mers, et ces champs émaillés,

Et ces grands peupliers, et ces fleurs ! - Travaillez.

Apprenez donc un peu, jeune homme, à vous connaître :

Vous croyez que l'on n'a que la peine de naître,

Et qu'on est ici-bas pour dormir, se lever,

Passer, les bras croisés, tout le jour à rêver ;

C'est ainsi qu'on se perd, c'est ainsi qu'on végète :

Pauvre, inutile à tous, le monde vous rejette :

Contre la faim, le froid, on lutte, on se débat

Quelque temps, et l'on va mourir sur un grabat.

Ce tableau n'est pas ***, ce discours n'est pas tendre.

C'est vrai ; mais j'ai voulu vous faire bien entendre,

Par amitié pour vous, et dans votre intérêt,

Où votre poésie un jour vous conduirait.


Cet homme avait raison, au fait : j'ai dû me taire.

Je me croyais poète, et me voici notaire.

J'ai suivi ses conseils, et j'ai, sans m'effrayer,

Subi le lourd fardeau d'une charge à payer.

Je dois être content : c'est un très bel office ;

C'est magnifique, à part même le bénéfice.

On a bonne maison, on reçoit les jeudis ;

On a des clercs, qu'on loge en haut, dans un taudis.

Il est vrai que l'état n'est pas fort poétique.

Et rien n'est positif comme l'acte authentique.

Mais il faut pourtant bien se faire une raison,

Et tous ces contes bleus ne sont plus de saison :

Il faut que le notaire, homme d'exactitude,

D'un travail assidu se fasse l'habitude ;

Va, malheureux ! et si quelquefois il advient

Qu'un riant souvenir d'enfance vous revient,

Si vous vous rappelez que la voix des génies

Vous berçait, tout petit, de vagues harmonies ;

Si, poursuivant encor un bonheur qu'il rêva.

L'esprit vers d'autres temps veut se retourner : Va !

Est-ce avec tout cela qu'on mène son affaire ?

N'as-tu pas ce matin un testament à faire ?

Le client est fort mal, et serait en état,

Si tu tardais encor, de mourir intestat.


Mais j'ai trente-deux ans accomplis ; à mon âge

Il faut songer pourtant à se mettre en ménage ;

Il faut faire une fin, tôt ou ****. Dans le temps.

J'y songeais bien aussi, quand j'avais dix-huit ans.

Je voyais chaque nuit, de la voûte étoilée,

Descendre sur ma couche une vierge voilée ;

Je la sentais, craintive, et cédant à mes vœux.

D'un souffle caressant effleurer mes cheveux ;

Et cette vision que j'avais tant rêvée.

Sur la terre, une fois, je l'avais retrouvée.

Oh ! qui me les rendra ces rapides instants,

Et ces illusions d'un amour de vingt ans !

L'automne à la campagne, et ses longues soirées,

Les mères, dans un coin du salon retirées,

Ces regards pleins de feu, ces gestes si connus,

Et ces airs si touchants que j'ai tous retenus ?

Tout à coup une voix d'en haut l'a rappelée :

Cette vie est si triste ! elle s'en est allée ;

Elle a fermé les yeux, sans crainte, sans remords ;

Mais pensent-ils encore à nous ceux qui sont morts ?


Il s'agit bien ici d'un amour platonique !

Me voici marié : ma femme est fille unique ;

Son père est épicier-droguiste retiré,

Et riche, qui plus est : je le trouve à mon gré.

Il n'est correspondant d'aucune académie.

C'est vrai ; mais il est rond, et plein de bonhomie :

Et puis j'aime ma femme, et je crois en effet,

En demandant sa main, avoir sagement fait.

Est-il un sort plus doux, et plus digne d'envie ?

On passe, au coin du feu, tranquillement sa vie :

On boit, on mange, on dort, et l'on voit arriver

Des enfants qu'il faut mettre en nourrice, élever,

Puis établir enfin : puis viennent les années,

Les rides au visage et les couleurs fanées,

Puis les maux, puis la goutte. On vit comme cela

Cinquante ou soixante ans, et puis on meurt. Voilà.
Michael R Burch Mar 2020
Der Abschied (“The Parting”)
by Bertolt Brecht
loose translation/interpretation by Michael R. Burch

We embrace;
my fingers trace
rich cloth
while yours encounter only moth-
eaten fabric.
A quick hug:
you were invited to the gay soiree
while the minions of the "law" relentlessly pursue me.
We talk about the weather
and our eternal friendship's magic.
Anything else would be too bitter,
too tragic.

German text:

Der Abschied

Wir umarmen uns.
Ich fasse reichen Stoff
Du fassest armen.
Die Umarmung ist schnell
Du gehst zu einem Mahl
Hinter mir sind die Schergen.
Wir sprechen vom Wetter und von unserer
Dauernden Freundschaft. Alles andere
Wäre zu bitter.

Published by Poetry on Demand, The HyperTexts and Ghani Project

Keywords/Tags: Bertolt Brecht, German, translation, parting, farewell, ****, law, minions, henchmen, thugs, pursuit, chase, embrace, hug, rich, cloth, threadbare, soiree, dinner, meal, event, eternal, friendship, bitter, weather, exile

Bertolt Brecht Epigrams and Quotations

These are my modern English translations of epigrams and quotations by Bertolt Brecht.

Everyone chases the way happiness feels,
unaware how it nips at their heels.
— loose translation/interpretation by Michael R. Burch

The world of learning takes a crazy turn
when teachers are taught to discern!
— loose translation/interpretation by Michael R. Burch

Unhappy, the land that lacks heroes.
— loose translation/interpretation by Michael R. Burch

Hungry man, reach for the book:
it's a hook,
a harpoon.
— loose translation/interpretation by Michael R. Burch

Because things are the way they are,
things can never stay as they were.
— loose translation/interpretation by Michael R. Burch

War is like love; true ...
it finds a way through.
— loose translation/interpretation by Michael R. Burch

What happens to the hole
when the cheese is no longer whole?
— loose translation/interpretation by Michael R. Burch

It is easier to rob by setting up a bank
than by threatening the poor clerk.
— loose translation/interpretation by Michael R. Burch

Do not fear death so much, or strife,
but rather fear the inadequate life.
— loose translation/interpretation by Michael R. Burch

Keywords/Tags: Bertolt Brecht, translation, translations, German,  modern English, epigram, epigrams, quote, quotes, quotations
Ce texte est une traduction de Pierre Corneille d'une œuvre
anonyme de piété chrétienne de la fin du XIVe ou début du XVe s.

(Que la vérité parle au dedans du coeur sans aucun bruit de paroles.)

Parle, parle, Seigneur, ton serviteur écoute :
Je dis ton serviteur, car enfin je le suis ;
Je le suis, je veux l'être, et marcher dans ta route
Et les jours et les nuits.

Remplis-moi d'un esprit qui me fasse comprendre
Ce qu'ordonnent de moi tes saintes volontés,
Et réduis mes désirs au seul désir d'entendre
Tes hautes vérités.

Mais désarme d'éclairs ta divine éloquence ;
Fais-la couler sans bruit au milieu de mon coeur
Qu'elle ait de la rosée et la vive abondance
Et l'aimable douceur.

Vous la craigniez, Hébreux, vous croyiez que la foudre,
Que la mort la suivît et dût tout désoler,
Vous qui dans le désert ne pouviez vous résoudre
A l'entendre parler.

" Parle-nous, parle-nous, disiez-vous à Moïse,
Mais obtiens du Seigneur qu'il ne nous parle pas ;
Des éclats de sa voix la tonnante surprise
Serait notre trépas. "

Je n'ai point ces frayeurs alors que je te prie ;
Je te fais d'autres voeux que ces fils d'Israël,  
Et plein de confiance, humblement je m'écrie
Avec ton Samuel :

" Quoi que tu sois le seul qu'ici-bas je redoute,
C'est toi seul qu'ici-bas je souhaite d'ouïr :
Parle donc, ô mon Dieu ! ton serviteur écoute,
Et te veut obéir. "

Je ne veux ni Moïse à m'enseigner tes voies,
Ni quelque autre prophète à m'expliquer tes lois ;
C'est toi qui les instruis, c'est toi qui les envois,
Dont je cherche la voix.

Comme c'est de toi seul qu'ils ont tous ces lumières
Dont la grâce par eux éclaire notre foi,
Tu peux bien sans eux tous me les donner entières,
Mais eux tous rien sans toi.

Ils peuvent répéter le son de tes paroles,
Mais il n'est pas en eux d'en conférer l'esprit,
Et leurs discours sans toi passent pour si frivoles
Que souvent on en rit.

Qu'ils parlent hautement, qu'ils disent des merveilles,
Qu'ils déclarent ton ordre avec pleine vigueur :
Si tu ne parles point, ils frappent les oreilles
Sans émouvoir le coeur.

Ils sèment la parole obscure, simple et nue ;
Mais dans l'obscurité tu rends l'oeil clairvoyant,
Et joins du haut du ciel à la lettre qui tue
L'esprit vivifiant.

Leur bouche sous l'énigme annonce le mystère,
Mais tu nous en fais voir le sens le plus caché ;
Ils nous prêchent tes lois, mais ton secours fait faire
Tout ce qu'ils ont prêché,

Ils montrent le chemin, mais tu donnes la force
D'y porter tous nos pas, d'y marcher jusqu'au bout ;
Et tout ce qui vient d'eux ne passe point l'écorce,
Mais tu pénètres tout.

Ils n'arrosent sans toi que les dehors de l'âme,
Mais sa fécondité veut ton bras souverain ;
Et tout ce qui l'éclaire, et tout ce qui l'enflamme
Ne part que de ta main.

Ces prophètes en fin ont beau crier et dire,
Ce ne sont que des voix, ce ne sont que des cris,
Si pour en profiter l'esprit qui les inspire
Ne touche nos esprits.

Silence donc, Moïse ! et toi, parle en sa place,
Eternelle, immuable, immense vérité :
Parle, que je ne meure enfoncé dans la glace
De ma stérilité.

C'est mourir en effet, qu'à ta faveur céleste
Ne rendre point pour fruit des désirs plus ardents ;
Et l'avis du dehors n'a rien que de funeste
S'il n'échauffe au dedans.

Cet avis écouté seulement par caprice,
Connu sans être aimé, cru sans être observé,
C'est ce qui vraiment tue, et sur quoi ta justice
Condamne un réprouvé.

Parle donc, ô mon Dieu ! ton serviteur fidèle
Pour écouter ta voix réunit tous ses sens,
Et trouve les douceurs de la vie éternelle
En ses divins accents.

Parle pour consoler mon âme inquiétée ;
Parle pour la conduire à quelque amendement ;
Parle, afin que ta gloire ainsi plus exaltée
Croisse éternellement.
(Sur le départ de Madame la marquise.)

Allez, belle marquise, allez en d'autres lieux
Semer les doux périls qui naissent de vos yeux.
Vous trouverez partout les âmes toutes prêtes
A recevoir vos lois et grossir vos conquêtes,
Et les cœurs à l'envi se jetant dans vos fers
Ne feront point de vœux qui ne vous soient offerts ;
Mais ne pensez pas tant aux glorieuses peines
De ces nouveaux captifs qui vont prendre vos chaînes,
Que vous teniez vos soins tout-à-fait dispensés
De faire un peu de grâce à ceux que vous laissez.
Apprenez à leur noble et chère servitude
L'art de vivre sans vous et sans inquiétude ;
Et, si sans faire un crime on peut vous en prier,
Marquise, apprenez-moi l'art de vous oublier.

En vain de tout mon cœur la triste prévoyance
A voulu faire essai des maux de votre absence ;
Quand j'ai cru le soustraire à des yeux si charmants,
Je l'ai livré moi-même à de nouveaux tourments :
Il a fait quelques jours le mutin et le brave,
Mais il revient à vous, et revient plus esclave,
Et reporte à vos pieds le tyrannique effet
De ce tourment nouveau que lui-même il s'est fait.

Vengez-vous du rebelle, et faites-vous justice ;
Vous devez un mépris du moins à son caprice ;
Avoir un si long temps des sentiments si vains,
C'est assez mériter l'honneur de vos dédains.
Quelle bonté superbe, ou quelle indifférence
A sa rébellion ôte le nom d'offense ?

Quoi ! vous me revoyez sans vous plaindre de rien ?
Je trouve même accueil avec même entretien ?
Hélas ! et j'espérais que votre humeur altière
M'ouvrirait les chemins à la révolte entière ;
Ce cœur, que la raison ne peut plus secourir,
Cherchait dans votre orgueil une aide à se guérir :
Mais vous lui refusez un moment de colère ;
Vous m'enviez le bien d'avoir pu vous déplaire ;
Vous dédaignez de voir quels sont mes attentats,
Et m'en punissez mieux ne m'en punissant pas.

Une heure de grimace ou froide ou sérieuse,
Un ton de voix trop rude ou trop impérieuse,
Un sourcil trop sévère, une ombre de fierté,
M'eût peut-être à vos yeux rendu la liberté.

J'aime, mais en aimant je n'ai point la bassesse
D'aimer jusqu'au mépris de l'objet qui me blesse ;
Ma flamme se dissipe à la moindre rigueur.
Non qu'enfin mon amour prétende cœur pour cœur :
Je vois mes cheveux gris : je sais que les années
Laissent peu de mérite aux âmes les mieux nées ;
Que les plus beaux talents des plus rares esprits,
Quand les corps sont usés, perdent bien de leur prix ;
Que, si dans mes beaux jours je parus supportable,
J'ai trop longtemps aimé pour être encore aimable,
Et que d'un front ridé les replis jaunissants
Mêlent un triste charme au prix de mon encens.
Je connais mes défauts ; mais après tout, je pense
Être pour vous encore un captif d'importance :

Car vous aimez la gloire, et vous savez qu'un roi
Ne vous en peut jamais assurer tant que moi.
Il est plus en ma main qu'en celle d'un monarque
De vous faire égaler l'amante de Pétrarque,
Et mieux que tous les rois je puis faire douter
De sa Laure ou de vous qui le doit emporter.

Aussi, je le vois trop, vous aimez à me plaire,
Vous vous rendez pour moi facile à satisfaire ;
Votre âme de mes feux tire un plaisir secret,
Et vous me perdriez sans honte avec regret.

Marquise, dites donc ce qu'il faut que je fasse :
Vous rattachez mes fers quand la saison vous chasse ;
Je vous avais quittée, et vous me rappelez
Dans le cruel instant que vous vous en allez.
Rigoureuse faveur, qui force à disparaître
Ce calme étudié que je faisais renaître,
Et qui ne rétablit votre absolu pouvoir
Que pour me condamner à languir sans vous voir !

Payez, payez mes feux d'une plus faible estime,
Traitez-les d'inconstants ; nommez ma fuite un crime ;
Prêtez-moi, par pitié, quelque injuste courroux ;
Renvoyez mes soupirs qui volent après vous ;
Faites-moi présumer qu'il en est quelques autres
A qui jusqu'en ces lieux vous renvoyez des vôtres,
Qu'en faveur d'un rival vous allez me trahir :
J'en ai, vous le savez, que je ne puis haïr ;
Négligez-moi pour eux, mais dites en vous-même :
« Moins il me veut aimer, plus il fait voir qu'il m'aime,
Et m'aime d'autant plus que son cœur enflammé
N'ose même aspirer au bonheur d'être aimé ;
Je fais tous ses plaisirs, j'ai toutes ses pensées,
Sans que le moindre espoir les ait intéressées. »

Puissé-je malgré vous y penser un peu moins,
M'échapper quelques jours vers quelques autres soins,
Trouver quelques plaisirs ailleurs qu'en votre idée,
Et voir toute mon âme un peu moins obsédée ;
Et vous, de qui je n'ose attendre jamais rien,
Ne ressentir jamais un mal pareil au mien !

Ainsi parla Cléandre, et ses maux se passèrent,
Son feu s'évanouit, ses déplaisirs cessèrent :
Il vécut sans la dame, et vécut sans ennui,
Comme la dame ailleurs se divertit sans lui.
Heureux en son amour, si l'ardeur qui l'anime
N'en conçoit les tourments que pour s'en plaindre en rime,
Et si d'un feu si beau la céleste vigueur
Peut enflammer ses vers sans échauffer son cœur !
Madame, croyez-moi ; bien qu'une autre patrie

Vous ait ravie à ceux qui vous ont tant chérie,

Allez, consolez-vous, ne pleurez point ainsi ;

Votre corps est là-bas, mais votre âme est ici :

C'est la moindre moitié que l'exil nous a prise ;

La tige s'est rompue au souffle de la brise ;

Mais l'ouragan jaloux, qui ternit sa splendeur,

Jeta la fleur au vent et nous laissa l'odeur.

A moins, à moins pourtant que dans cette retraite

Vous n'ayez apporté quelque peine secrète.

Et que là, comme ici, quelque ennui voyageur

Se cramponne à votre âme, inflexible et rongeur :

Car bien souvent, un mot, un geste involontaire.

Des maux que vous souffrez a trahi le mystère,

Et j'ai vu sous ces pleurs et cet abattement

La blessure d'un cœur qui saigne longuement.

Vous avez épuisé tout ce que la nature

A permis de bonheur à l'humble créature,

Et votre pauvre cœur, lentement consumé,

S'est fait vieux en un jour, pour avoir trop aimé :

Vous seule, n'est-ce pas, vous êtes demeurée

Fidèle à cet amour que deux avaient juré.

Et seule, jusqu'au bout, avez pieusement

Accompli votre part de ce double serment.

Consolez-vous encor ; car vous avez. Madame,

Achevé saintement votre rôle de femme ;

Vous avez ici-bas rempli la mission

Faite à l'être créé par la création.

Aimer, et puis souffrir, voilà toute la vie :

Dieu vous donna longtemps des jours dignes d'envie

Aujourd'hui, c'est la loi. vous payez chèrement

Par des larmes sans fin ce bonheur d'un moment.

Certes, tant de chagrins, et tant de nuits passées

A couver tristement de lugubres pensées.

Tant et de si longs pleurs n'ont pas si bien éteint

Les éclairs de vos yeux et pâli votre teint.

Que mainte ambition ne se fût contentée,

Madame, de la part qui vous en est restée.

Et que plus d'un encor n'y laissât sa raison.

Ainsi qu'aux églantiers l'agneau fait sa toison.

Mais votre âme est plus haute, et ne s'arrange guère

Des consolations d'un bonheur si vulgaire ;

Madame, ce n'est point un vase où, tour à tour,

Chacun puisse étancher la soif de son amour ;

Mais Dieu la fit semblable à la coupe choisie,

Dans les plus purs cristaux des rochers de l'Asie,

Où l'on verse au sultan le Chypre et le Xérès,

Qui ne sert qu'une fois, et qui se brise après.

Gardez-la donc toujours cette triste pensée

D'un amour méconnu et d'une âme froissée :

Que le prêtre debout, sur l'autel aboli,

Reste fidèle au Dieu dont il était rempli ;

Que le temple désert, aux vitraux de l'enceinte

Garde un dernier rayon de l'auréole sainte.

Et que l'encensoir d'or ne cesse d'exhaler

Le parfum d'un encens qui cessa de brûler !

Il n'est si triste nuit qu'au crêpe de son voile

Dieu ne fasse parfois luire une blanche étoile,

Et le ciel mit au fond des amours malheureux

Certains bonheurs cachés qu'il a gardés pour eux.

Supportez donc vos maux, car plus d'un les envie ;

Car, moi qui parle, au prix du repos de ma vie.

Au prix de tout mon sang. Madame, je voudrais

Les éprouver un jour, quitte à mourir après.
Que devant les coquins l'honnête homme soupire ;
Que l'histoire soit laide et plate ; que l'empire
Boîte avec Talleyrand ou louche avec Parieu ;
Qu'un tour d'escroc bien fait ait nom grâce de Dieu ;
Que le pape en massue ait changé sa houlette ;
Qu'on voie au Champ de Mars piaffer sous l'épaulette
Le Meurtre général, le Vol aide de camp ;
Que hors de l'Elysée un prince débusquant,
Qu'un flibustier quittant l'île de la Tortue,
Assassine, extermine, égorge, pille et tue ;
Que les bonzes chrétiens, cognant sur leur tam-tam
Hurlent devant Soufflard : Attollite portam !
Que pour claqueurs le crime ait cent journaux infâmes,
Ceux qu'à la maison d'or, sur les genoux des femmes,
Griffonnent les Romieux, le verre en main, et ceux
Que saint-Ignace inspire à des gredins crasseux ;
Qu'en ces vils tribunaux, où le regard se heurte
De Moreau de la Seine à Moreau de la Meurthe,
La justice ait reçu d'horribles horions ;
Que, sur un lit de camp, par des centurions
La loi soit violée et râle à l'agonie ;
Que cet être choisi, créé par Dieu génie,
L'homme, adore à genoux le loup fait empereur ;
Qu'en un éclat de rire abrégé par l'horreur,
Tout ce que nous voyons aujourd'hui se résume ;
Qu'Hautpoul vende son sabre et Cucheval sa plume ;
Que tous les grands bandits, en petit copiés,
Revivent ; qu'on emplisse un sénat de plats-pieds
Dont la servilité négresse et mamelouque
Eût révolté Mahmoud et lasserait Soulouque ;
Que l'or soit le seul culte, et qu'en ce temps vénal,
Coffre-fort étant Dieu, Gousset soit cardinal ;
Que la vieille Thémis ne soit plus qu'une gouine
Baisant Mandrin dans l'antre où Mongis baragouine ;
Que Montalembert bave accoudé sur l'autel ;
Que Veuillot sur Sibour crève sa poche au fiel ;
Qu'on voie aux bals de cour s'étaler des guenipes
Qui le long des trottoirs traînaient hier leurs nippes,
Beautés de lansquenet avec un profil grec ;
Que Haynau dans Brescia soit pire que Lautrec ;
Que partout, des Sept-Tours aux colonnes d'Hercule,
Napoléon, le poing sur la hanche, recule,
Car l'aigle est vieux, Essling grisonne, Marengo
À la goutte, Austerlitz est pris d'un lombago ;
Que le czar russe ait peur tout autant que le nôtre ;
Que l'ours noir et l'ours blanc tremblent l'un devant l'autre ;
Qu'avec son grand panache et sur son grand cheval
Rayonne Saint-Arnaud, ci-devant Florival,
Fort dans la pantomime et les combats à l'hache ;
Que Sodome se montre et que Paris se cache ;
Qu'Escobar et Houdin vendent le même onguent ;
Que grâce à tous ces gueux qu'on touche avec le gant,
Tout dorés au dehors, au dedans noirs de lèpres,
Courant les bals, courant les jeux, allant à vêpres,
Grâce à ces bateleurs mêlés aux scélérats,
La Saint-Barthélemy s'achève en mardi gras ;
Ô nature profonde et calme, que t'importe !
Nature, Isis voilée assise à notre porte,
Impénétrable aïeule aux regards attendris,
Vieille comme Cybèle et fraîche comme Iris,
Ce qu'on fait ici-bas s'en va devant ta face ;
À ton rayonnement toute laideur s'efface ;
Tu ne t'informes pas quel drôle ou quel tyran
Est fait premier chanoine à Saint-Jean-de-Latran ;
Décembre, les soldats ivres, les lois faussées,
Les cadavres mêlés aux bouteilles cassées,
Ne te font rien ; tu suis ton flux et ton reflux.
Quand l'homme des faubourgs s'endort et ne sait plus
Bourrer dans un fusil des balles de calibre ;
Quand le peuple français n'est plus le peuple libre ;
Quand mon esprit, fidèle au but qu'il se fixa,
Sur cette léthargie applique un vers moxa,
Toi, tu rêves ; souvent du fond des geôles sombres,
Sort, comme d'un enfer, le murmure des ombres
Que Baroche et Rouher gardent sous les barreaux,
Car ce tas de laquais est un tas de bourreaux ;
Etant les cœurs de boue, ils sont les cœurs de roche ;
Ma strophe alors se dresse, et, pour cingler Baroche,
Se taille un fouet sanglant dans Rouher écorché ;
Toi, tu ne t'émeus point ; flot sans cesse épanché,
La vie indifférente emplit toujours tes urnes ;
Tu laisses s'élever des attentats nocturnes,
Des crimes, des fureurs, de Rome mise en croix,
De Paris mis aux fers, des guets-apens des rois,
Des pièges, des serments, des toiles d'araignées,
L'orageuse clameur des âmes indignées ;
Dans ce calme où toujours tu te réfugias,
Tu laisses le fumier croupir chez Augias,
Et renaître un passé dont nous nous affranchîmes,
Et le sang rajeunir les abus cacochymes,
La France en deuil jeter son suprême soupir,
Les prostitutions chanter, et se tapir
Les lâches dans leurs trous, la taupe en ses cachettes,
Et gronder les lions, et rugir les poètes !
Ce n'est pas ton affaire à toi de t'irriter.
Tu verrais, sans frémir et sans te révolter,
Sur tes fleurs, sous tes pins, tes ifs et tes érables,
Errer le plus coquin de tous ces misérables.
Quand Troplong, le matin, ouvre un œil chassieux,
Vénus, splendeur sereine éblouissant les cieux,
Vénus, qui devrait fuir courroucée et hagarde,
N'a pas l'air de savoir que Troplong la regarde !
Tu laisserais cueillir une rose à Dupin !
Tandis que, de velours recouvrant le sapin,
L'escarpe couronné que l'Europe surveille,
Trône et guette, et qu'il a, lui parlant à l'oreille,
D'un côté Loyola, de l'autre Trestaillon,
Ton doigt au blé dans l'ombre entrouvre le sillon.
Pendant que l'horreur sort des sénats, des conclaves,
Que les États-Unis ont des marchés d'esclaves
Comme en eut Rome avant que Jésus-Christ passât,
Que l'américain libre à l'africain forçat
Met un bât, et qu'on vend des hommes pour des piastres,
Toi, tu gonfles la mer, tu fais lever les astres,
Tu courbes l'arc-en-ciel, tu remplis les buissons
D'essaims, l'air de parfums et les nids de chansons,
Tu fais dans le bois vert la toilette des roses,
Et tu fais concourir, **** des hommes moroses,
Pour des prix inconnus par les anges cueillis,
La candeur de la vierge et la blancheur du lys.
Et quand, tordant ses mains devant les turpitudes,
Le penseur douloureux fuit dans tes solitudes,
Tu lui dis : Viens ! c'est moi ! moi que rien ne corrompt !
Je t'aime ! et tu répands dans l'ombre, sur son front
Où de l'artère ardente il sent battre les ondes,
L'âcre fraîcheur de l'herbe et des feuilles profondes !
Par moments, à te voir, parmi les trahisons,
Mener paisiblement tes mois et tes saisons,
À te voir impassible et froide, quoi qu'on fasse,
Pour qui ne creuse point plus bas que la surface,
Tu sembles bien glacée, et l'on s'étonne un peu.
Quand les proscrits, martyrs du peuple, élus de Dieu,
Stoïques, dans la mort se couchent sans se plaindre,
Tu n'as l'air de songer qu'à dorer et qu'à peindre
L'aile du scarabée errant sur leurs tombeaux.
Les rois font les gibets, toi, tu fais les corbeaux.
Tu mets le même ciel sur le juste et l'injuste.
Occupée à la mouche, à la pierre, à l'arbuste,
Aux mouvements confus du vil monde animal,
Tu parais ignorer le bien comme le mal ;
Tu laisses l'homme en proie à sa misère aiguë.
Que t'importe Socrate ! et tu fais la ciguë.
Tu créas le besoin, l'instinct et l'appétit ;
Le fort mange le faible et le grand le petit,
L'ours déjeune du rat, l'autour de la colombe,
Qu'importe ! allez, naissez, fourmillez pour la tombe,
Multitudes ! vivez, tuez, faites l'amour,
Croissez ! le pré verdit, la nuit succède au jour,
L'âne brait, le cheval hennit, le taureau beugle.
Ô figure terrible, on te croirait aveugle !
Le bon et le mauvais se mêlent sous tes pas.
Dans cet immense oubli, tu ne vois même pas
Ces deux géants lointains penchés sur ton abîme,
Satan, père du mal, Caïn, père du crime !

Erreur ! erreur ! erreur ! ô géante aux cent yeux,
Tu fais un grand labeur, saint et mystérieux !
Oh ! qu'un autre que moi te blasphème, ô nature
Tandis que notre chaîne étreint notre ceinture,
Et que l'obscurité s'étend de toutes parts,
Les principes cachés, les éléments épars,
Le fleuve, le volcan à la bouche écarlate,
Le gaz qui se condense et l'air qui se dilate,
Les fluides, l'éther, le germe sourd et lent,
Sont autant d'ouvriers dans l'ombre travaillant ;
Ouvriers sans sommeil, sans fatigue, sans nombre.
Tu viens dans cette nuit, libératrice sombre !
Tout travaille, l'aimant, le bitume, le fer,
Le charbon ; pour changer en éden notre enfer,
Les forces à ta voix sortent du fond des gouffres.

Tu murmures tout bas : - Race d'Adam qui souffres,
Hommes, forçats pensants au vieux monde attachés,
Chacune de mes lois vous délivre. Cherchez ! -
Et chaque jour surgit une clarté nouvelle,
Et le penseur épie et le hasard révèle ;
Toujours le vent sema, le calcul récolta.
Ici Fulton, ici Galvani, là Volta,
Sur tes secrets profonds que chaque instant nous livre,
Rêvent ; l'homme ébloui déchiffre enfin ton livre.

D'heure en heure on découvre un peu plus d'horizon
Comme un coup de bélier au mur d'une prison,
Du genre humain qui fouille et qui creuse et qui sonde,
Chaque tâtonnement fait tressaillir le monde.
L'***** des nations s'accomplit. Passions,
Intérêts, mœurs et lois, les révolutions
Par qui le cœur humain germe et change de formes,
Paris, Londres, New-York, les continents énormes,
Ont pour lien un fil qui tremble au fond des mers.
Une force inconnue, empruntée aux éclairs,
Mêle au courant des flots le courant des idées.
La science, gonflant ses ondes débordées,
Submerge trône et sceptre, idole et potentat.
Tout va, pense, se meut, s'accroît. L'aérostat
Passe, et du haut des cieux ensemence les hommes.
Chanaan apparaît ; le voilà, nous y sommes !
L'amour succède aux pleurs et l'eau vive à la mort,
Et la bouche qui chante à la bouche qui mord.
La science, pareille aux antiques pontifes,
Attelle aux chars tonnants d'effrayants hippogriffes
Le feu souffle aux naseaux de la bête d'airain.
Le globe esclave cède à l'esprit souverain.
Partout où la terreur régnait, où marchait l'homme,
Triste et plus accablé que la bête de somme,
Traînant ses fers sanglants que l'erreur a forgés,
Partout où les carcans sortaient des préjugés,
Partout où les césars, posant le pied sur l'âme,
Etouffaient la clarté, la pensée et la flamme,
Partout où le mal sombre, étendant son réseau,
Faisait ramper le ver, tu fais naître l'oiseau !
Par degrés, lentement, on voit sous ton haleine
La liberté sortir de l'herbe de la plaine,
Des pierres du chemin, des branches des forêts,
Rayonner, convertir la science en décrets,
Du vieil univers mort briser la carapace,
Emplir le feu qui luit, l'eau qui bout, l'air qui passe,
Gronder dans le tonnerre, errer dans les torrents,
Vivre ! et tu rends le monde impossible aux tyrans !
La matière, aujourd'hui vivante, jadis morte,
Hier écrasait l'homme et maintenant l'emporte.

Le bien germe à toute heure et la joie en tout lieu.
Oh ! sois fière en ton cœur, toi qui, sous l'œil de Dieu,
Nous prodigues les dons que ton mystère épanche,
Toi qui regardes, comme une mère se penche
Pour voir naître l'enfant que son ventre a porté,
De ton flanc éternel sortir l'humanité !

Vie ! idée ! avenir bouillonnant dans les têtes !
Le progrès, reliant entre elles ses conquêtes,
Gagne un point après l'autre, et court contagieux.
De cet obscur amas de faits prodigieux
Qu'aucun regard n'embrasse et qu'aucun mot ne nomme,
Tu nais plus frissonnant que l'aigle, esprit de l'homme,
Refaisant mœurs, cités, codes, religion.
Le passé n'est que l'oeuf d'où tu sors, Légion !

Ô nature ! c'est là ta genèse sublime.
Oh ! l'éblouissement nous prend sur cette cime !
Le monde, réclamant l'essor que Dieu lui doit,
Vibre, et dès à présent, grave, attentif, le doigt
Sur la bouche, incliné sur les choses futures,
Sur la création et sur les créatures,
Une vague lueur dans son œil éclatant,
Le voyant, le savant, le philosophe entend
Dans l'avenir, déjà vivant sous ses prunelles,
La palpitation de ces millions d'ailes !

Jersey, le 23 mai 1853.
Que faites-vous, Seigneur ? à quoi sert votre ouvrage ?
À quoi bon l'eau du fleuve et l'éclair de l'orage ?
Les prés ? les ruisseaux purs qui lavent le gazon ?
Et, sur les coteaux verts dont s'emplit l'horizon,
Les immenses troupeaux aux fécondes haleines
Que l'aboiement des chiens chasse à travers les plaines ?
Pourquoi, dans ce doux mois où l'air semble attiédi,
Quand un calice s'ouvre aux souffles de midi,
Y plonger, ô Seigneur, l'abeille butinante,
Et changer toute fleur en cloche bourdonnante ?
Pourquoi le brouillard d'or qui monte des hameaux ?
Pourquoi l'ombre et la paix qui tombent des rameaux ?
Pourquoi le lac d'azur semé de molles îles ?
Pourquoi les bois profonds, les grottes, les asiles ?
À quoi bon, chaque soir, quand luit l'été vermeil,
Comme un charbon ardent déposant le soleil
Au milieu des vapeurs par les vents remuées,
Allumer au couchant un brasier de nuées ?
Pourquoi rougir la vigne et jeter aux vieux murs
Le rayon qui revient gonfler les raisins mûrs ?
À quoi bon incliner sur ses axes mobiles
Ce globe monstrueux avec toutes ses villes,
Et ses monts et ses mers qui flottent alentour,
À quoi bon, ô Seigneur, l'incliner tour à tour,
Pour que l'ombre l'éteigne ou que le jour le dore,
Tantôt vers la nuit sombre et tantôt vers l'aurore ?
À quoi vous sert le flot, le nuage, le bruit
Qu'en secret dans la fleur fait le germe du fruit ?
À quoi bon féconder les éthers et les ondes,
Faire à tous les soleils des ceintures de mondes,
Peupler d'astres errants l'arche énorme des cieux,
Seigneur ! et sur nos fronts, d'où rayonnent nos yeux,
Entasser en tous sens des millions de lieues
Et du vague infini poser les plaines bleues ?
Pourquoi sur les hauteurs et dans les profondeurs
Cet amas effrayant d'ombres et de splendeurs ?
À quoi bon parfumer, chauffer, nourrir et luire,
Tout aimer, et, Dieu bon ! incessamment traduire,
Pour l'oeil intérieur comme pour l'oeil charnel,
L'éternelle pensée en spectacle éternel ?
Si c'est pour qu'en ce siècle où la loi tombe en cendre
L'homme passe sans voir, sans croire, sans comprendre,
Sans rien chercher dans l'ombre, et sans lever les yeux
Vers les conseils divins qui flottent dans les cieux,
Sous la forme sacrée ou sous l'éclatant voile
Tantôt d'une nuée et tantôt d'une étoile !
Si c'est pour que ce temps fasse, en son morne ennui,
De l'opprimé d'hier l'oppresseur d'aujourd'hui ;
Pour que l'on s'entre-déchire à propos de cent rêves ;
Pour que le peuple, foule où dorment tant de sèves,
Aussi bien que les rois, - grave et haute leçon ! -
Ait la brutalité pour dernière raison,
Et réponde, troupeau qu'on tue ou qui lapide,
À l'aveugle boulet par le pavé stupide !
Si c'est pour que l'émeute ébranle la cité !
Pour que tout soit tyran, même la liberté !
Si c'est pour que l'honneur des anciens gentilshommes,
Aux projets des partis s'attelle tristement ;
Si c'est pour qu'à sa haine on ajoute un serment
Comme à son vieux poignard on remet une lame ;
Si c'est pour que le prince, homme né d'une femme,
Né pour briller bien vite et pour vivre bien peu,
S'imagine être roi comme vous êtes Dieu !
Si c'est pour que la joie aux justes soit ravie ;
Pour que l'iniquité règne, pour que l'envie,
Emplissant tant de fronts de brasiers dévorants,
Fasse petits des coeurs que l'amour ferait grands !
Si c'est pour que le prêtre, infirme et triste apôtre,
Marche avec ses deux yeux, ouvrant l'un fermant l'autre,
Insulte à la nature au nom du verbe écrit,
Et ne comprenne pas qu'ici tout est l'esprit,
Que Dieu met comme en nous son souffle dans l'argile,
Et que l'arbre et la fleur commentent l'Évangile !
Si c'est pour que personne enfin, grand ou petit,
Pas même le vieillard que l'âge appesantit,
Personne, du tombeau sondant les avenues,
N'ait l'austère souci des choses inconnues,
Et que, pareil au boeuf par l'instinct assoupi,
Chacun trace un sillon sans songer à l'épi !
Car l'humanité, morne et manquant de prophètes,
Perd l'admiration des oeuvres que vous faites ;
L'homme ne sent plus luire en son coeur triomphant
Ni l'aube, ni le lys, ni l'ange, ni l'enfant,
Ni l'âme, ce rayon fait de lumière pure,
Ni la création, cette immense figure !

De là vient que souvent je rêve et que je dis :
- Est-ce que nous serions condamnés et maudits ?
Est-ce que ces vivants, chétivement prospères,
Seraient déshérités du souffle de leurs pères ?
Ô Dieu ! considérez les hommes de ce temps,
Aveugles, **** de vous sous tant d'ombre flottants.
Éteignez vos soleils, ou rallumez leur flamme !
Reprenez votre monde, ou donnez-leur une âme !

Juin 1839.
Et toi, dors-tu quand la nuit est si belle,
Quand l'eau me cherche et me fuit comme toi,
Quand je te donne un cœur longtemps rebelle ?
Dors-tu, ma vie ! ou rêves-tu de moi ?

Démêles-tu, dans ton âme confuse,
Les doux secrets qui brûlent entre nous ?
Ces longs secrets dont l'amour nous accuse,
Viens-tu les rompre en songe à mes genoux ?

As-tu livré ta voix tendre et hardie
Aux fraîches voix qui font trembler les fleurs ?
Non ! c'est du soir la vague mélodie :
Ton souffle encor n'a pas séché mes pleurs !

Garde toujours ce douloureux empire
Sur notre amour qui cherche à nous trahir ;
Mais garde aussi son mal dont je soupire ;
Son mal est doux, bien qu'il fasse mourir !
Un prêtre de Jupiter,
Père de deux grandes filles,
Toutes deux assez gentilles,
De bien les marier fit son soin le plus cher.
Les prêtres de ce temps vivaient de sacrifices,
Et n'avaient point de bénéfices.
La dot était fort mince. Un jeune jardinier
Se présenta pour gendre ; on lui donna l'aînée.
Bientôt après cet hyménée
La cadette devint la femme d'un potier.
À quelques jours de là, chaque épouse établie
Chez son époux, le père va les voir.
Bon jour, dit-il, je viens savoir
Si le choix que j'ai fait rend heureuse ta vie,
S'il ne te manque rien, si je peux y pourvoir.
Jamais, répond la jardinière,
Vous ne fîtes meilleure affaire :
La paix et le bonheur habitent ma maison ;
Je tâche d'être bonne, et mon époux est bon :
Il sait m'aimer sans jalousie,
Je l'aime sans coquetterie ;
Aussi tout est plaisir, tout jusqu'à nos travaux ;
Nous ne désirons rien, sinon qu'un peu de pluie
Fasse pousser nos artichauts.
- C'est là tout ? - Oui vraiment. -tu seras satisfaite,
Dit le vieillard : demain je célèbre la fête
De Jupiter ; je lui dirai deux mots.
Adieu, ma fille. - Adieu, mon père.
Le prêtre de ce pas s'en va chez la potière
L'interroger, comme sa sœur,
Sur son mari, sur son bonheur.
Oh ! Répond celle-ci, dans mon petit ménage,
Le travail, l'amour, la santé,
Tout va fort bien en vérité ;
Nous ne pouvons suffire à la vente, à l'ouvrage :
Notre unique désir serait que le soleil
Nous montrât plus souvent son visage vermeil
Pour sécher notre poterie.
Vous, pontife du dieu de l'air,
Obtenez-nous cela, mon père, je vous prie ;
Parlez pour nous à Jupiter.
- Très volontiers, ma chère amie :
Mais je ne sais comment accorder mes enfants ;
Tu me demandes du beau temps,
Et ta sœur a besoin de pluie.
Ma foi, je me tairai, de peur d'être en défaut.
Jupiter mieux que nous sait bien ce qu'il nous faut ;
Prétendre le guider serait folie extrême.
Sachons prendre le temps comme il veut l'envoyer :
L'homme est plus cher aux dieux qu'il ne l'est à lui-même ;
Se soumettre, c'est les prier.
Marie, à tous les coups vous me venez reprendre
Que je suis trop léger, et me dites toujours,
Quand je vous veux baiser, que j'aille à ma Cassandre,
Et toujours m'appelez inconstant en amours.


Je le veux être aussi, les hommes sont bien lourds
Qui n'osent en cent lieux neuve amour entreprendre.
Celui-là qui ne veut qu'à une seule entendre,
N'est pas digne qu'Amour lui fasse de bons tours.


Celui qui n'ose faire une amitié nouvelle,
A faute de courage, ou faute de cervelle,
Se défiant de soi, qui ne peut avoir mieux.


Les hommes maladifs, ou matés de vieillesse,
Doivent être constants : mais sotte est la jeunesse
Qui n'est point éveillée, et qui n'aime en cent lieux.
Qui donne au pauvre prête à Dieu.
Victor HUGO.


Dans vos fêtes d'hiver, riches, heureux du monde,
Quand le bal tournoyant de ses feux vous inonde,
Quand partout à l'entour de vos pas vous voyez
Briller et rayonner cristaux, miroirs, balustres,
Candélabres ardents, cercle étoilé des lustres,
Et la danse, et la joie au front des conviés ;

Tandis qu'un timbre d'or sonnant dans vos demeures
Vous change en joyeux chant la voix grave des heures,
Oh ! songez-vous parfois que, de faim dévoré
Peut-être un indigent dans les carrefours sombres
S'arrête, et voit danser vos lumineuses ombres
Aux vitres du salon doré ?

Songez-vous qu'il est là sous le givre et la neige,
Ce père sans travail que la famine assiège ?
Et qu'il se dit tout bas : « Pour un seul, que de biens !
À son large festin que d'amis se récrient !
Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient.
Rien que dans leurs jouets, que de pain pour les miens ! »

Et puis à votre fête il compare en son âme
Son foyer où jamais ne rayonne une flamme,
Ses enfants affamés, et leur mère en lambeau,
Et sur un peu de paille, étendue et muette,
L'aïeule, que l'hiver, hélas ! a déjà faite
Assez froide pour le tombeau.

Car Dieu mit ses degrés aux fortunes humaines,
Les uns vont tout courbés sous le fardeau des peines ;
Au banquet du bonheur bien peu sont conviés ;
Tous n'y sont point assis également à l'aise,
Une loi, qui d'en bas semble injuste et mauvaise,
Dit aux uns : Jouissez ! aux autres : ENVIEZ !

Cette pensée est sombre, amère, inexorable,
Et fermente en silence, au coeur du misérable.
Riches, heureux du jour, qu'endort la volupté,
Que ce ne soit pas lui qui des mains vous arrache,
Tous ces biens superflus où son regard s'attache ;
Oh ! que ce soit la charité !

L'ardente charité, que le pauvre idolâtre !
Mère de ceux pour qui la fortune est marâtre,
Qui relève et soutient ceux qu'on foule en passant,
Qui, lorsqu'il le faudra, se sacrifiant toute,
Comme le Dieu martyr dont elle suit la route,
Dira : Buvez, mangez ! c'est ma chair et mon sang !

Que ce soit elle, oh ! oui, riches, que ce soit elle
Qui, bijoux, diamants, rubans, hochets, dentelle,
Perles, saphirs, joyaux toujours faux, toujours vains,
Pour nourrir l'indigent et pour sauver vos âmes,
Des bras de vos enfants et du sein de vos femmes
Arrache tout à pleines mains !

Donnez, riches ! L'aumône est soeur de la prière,
Hélas ! quand un vieillard, sur votre seuil de pierre,
Tout roidi par l'hiver, en vain tombe à genoux ;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des ******,
La face du Seigneur se détourne de vous.

Donnez ! afin que Dieu, qui dote les familles,
Donne à vos fils la force, et la grâce à vos filles ;
Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit ;
Afin qu'un blé plus mûr fasse plier vos granges ;
Afin d'être meilleurs ; afin de voir les anges
Passer dans vos rêves la nuit.

Donnez, il vient un jour où la terre nous laisse.
Vos aumônes là-haut vous font une richesse,
Donnez, afin qu'on dise : Il a pitié de nous !
Afin que l'indigent que glacent les tempêtes,
Que le pauvre qui souffre à côté de vos fêtes,
Au seuil de vos palais fixe un oeil moins jaloux.

Donnez ! pour être aimés du Dieu qui se fit homme,
Pour que le méchant même en s'inclinant vous nomme,
Pour que votre foyer soit calme et fraternel ;
Donnez ! afin qu'un jour, à votre heure dernière,
Contre tous vos péchés vous ayez la prière
D'un mendiant puissant au ciel.

Janvier 1830.
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis.

Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.

Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle,
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.

Pensez-y, belle marquise.
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi.
Ces hommes passeront comme un ver sur le sable.
Qu'est-ce que tu ferais de leur sang méprisable ?
Le dégoût rend clément.
Retenons la colère âpre, ardente, électrique.
Peuple, si tu m'en crois, tu prendras une trique
Au jour du châtiment.

Ô de Soulouque-deux burlesque cantonade !
Ô ducs de Trou-Bonbon, marquis de Cassonade,
Souteneurs du larron,
Vous dont la poésie, ou sublime ou mordante,
Ne sait que faire, gueux, trop grotesques pour Dante,
Trop sanglants pour Scarron,

Ô jongleurs, noirs par l'âme et par la servitude,
Vous vous imaginez un lendemain trop rude,
Vous êtes trop tremblants,
Vous croyez qu'on en veut, dans l'exil où nous sommes,
À cette peau qui fait qu'on vous prend pour des hommes ;
Calmez-vous, nègres blancs !

Cambyse, j'en conviens, eût eu ce cœur de roche
De faire asseoir Troplong sur la peau de Baroche
Au bout d'un temps peu long,
Il eût crié : Cet autre est pire. Qu'on l'étrangle !
Et, j'en conviens encore, eût fait asseoir Delangle
Sur la peau de Troplong.

Cambyse était stupide et digne d'être auguste ;
Comme s'il suffisait pour qu'un être soit juste,
Sans vices, sans orgueil,
Pour qu'il ne soit pas traître à la loi, ni transfuge,
Que d'une peau de tigre ou d'une peau de juge
On lui fasse un fauteuil !

Toi, peuple, tu diras : - Ces hommes se ressemblent.
Voyons les mains. - Et tous trembleront comme tremblent
Les loups pris aux filets.
Bon. Les uns ont du sang, qu'au bagne on les écroue,
À la chaîne ! Mais ceux qui n'ont que de la boue,
Tu leur diras : - Valets !

La loi râlait, ayant en vain crié : main-forte !
Vous avez partagé les habits de la morte.
Par César achetés,
De tous nos droits livrés vous avez fait des ventes ;
Toutes ses trahisons ont trouvé pour servantes
Toutes vos lâchetés !

Allez, fuyez, vivez ! pourvu que, mauvais prêtre,
Mauvais juge, on vous voie en vos trous disparaître,
Rampant sur vos genoux,
Et qu'il ne reste rien, sous les cieux que Dieu dore,
Sous le splendide azur où se lève l'aurore,
Rien de pareil à vous !

Vivez, si vous pouvez ! l'opprobre est votre asile.
Vous aurez à jamais, toi, cardinal Basile,
Toi, sénateur Crispin,
De quoi boire et manger dans vos fuites lointaines,
Si le mépris se boit comme l'eau des fontaines,
Si la honte est du pain ! -

Peuple, alors nous prendrons au collet tous ces drôles,
Et tu les jetteras dehors par les épaules
À grands coups de bâton ;
Et dans le Luxembourg, blancs sous les branches d'arbre,
Vous nous approuverez de vos têtes de marbre,
Ô Lycurgue, ô Caton !

Citoyens ! le néant pour ces laquais se rouvre
Qu'importe, ô citoyens ! l'abjection les couvre
De son manteau de plomb.
Qu'importe que, le soir, un passant solitaire,
Voyant un récureur d'égouts sortir de terre,
Dise : Tiens ! c'est Troplong !

Qu'importe que Rouher sur le Pont-Neuf se carre,
Que Baroche et Delangle, en quittant leur simarre,
Prennent des tabliers,
Qu'ils s'offrent pour trois sous, oubliés quoique infâmes,
Et qu'ils aillent, après avoir sali leurs âmes,
Nettoyer vos souliers !

Jersey, le 23 novembre 1853.
Je lisais. Que lisais-je ? Oh ! le vieux livre austère,
Le poème éternel ! - La Bible ? - Non, la terre.
Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,
Lisait les vers d'Homère, et moi les fleurs de Dieu.
J'épelle les buissons, les brins d'herbe, les sources ;
Et je n'ai pas besoin d'emporter dans mes courses
Mon livre sous mon bras, car je l'ai sous mes pieds.
Je m'en vais devant moi dans les lieux non frayés,
Et j'étudie à fond le texte, et je me penche,
Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche.
Donc, courbé, - c'est ainsi qu'en marchant je traduis
La lumière en idée, en syllabes les bruits, -
J'étais en train de lire un champ, page fleurie.
Je fus interrompu dans cette rêverie ;
Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait ; il disait : « Ô pauvre homme, tremblant
Entre le doute morne et la foi qui délivre,
Je t'approuve. Il est bon de lire dans ce livre.
Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité,
Et que les champs profonds t'emplissent de clarté !
Il est sain de toujours feuilleter la nature,
Car c'est la grande lettre et la grande écriture ;
Car la terre, cantique où nous nous abîmons,
A pour versets les bois et pour strophes les monts !
Lis. Il n'est rien dans tout ce que peut sonder l'homme
Qui, bien questionné par l'âme, ne se nomme.
Médite. Tout est plein de jour, même la nuit ;
Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,
A des rayons : la roue au dur moyeu, l'étoile,
La fleur, et l'araignée au centre de sa toile.
Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c'est aimer.
Les plaines où le ciel aide l'herbe à germer,
L'eau, les prés, sont autant de phrases où le sage
Voit serpenter des sens qu'il saisit au passage.
Marche au vrai. Le réel, c'est le juste, vois-tu ;
Et voir la vérité, c'est trouver la vertu.
Bien lire l'univers, c'est bien lire la vie.
Le monde est l'oeuvre où rien ne ment et ne dévie,
Et dont les mots sacrés répandent de l'encens.
L'homme injuste est celui qui fait des contre-sens.
Oui, la création tout entière, les choses,
Les êtres, les rapports, les éléments, les causes,
Rameaux dont le ciel clair perce le réseau noir,
L'arabesque des bois sur les cuivres du soir,
La bête, le rocher, l'épi d'or, l'aile peinte,
Tout cet ensemble obscur, végétation sainte,
Compose en se croisant ce chiffre énorme : DIEU.
L'éternel est écrit dans ce qui dure peu ;
Toute l'immensité, sombre, bleue, étoilée,
Traverse l'humble fleur, du penseur contemplée ;
On voit les champs, mais c'est de Dieu qu'on s'éblouit.
Le lys que tu comprends en toi s'épanouit ;
Les roses que tu lis s'ajoutent à ton âme.
Les fleurs chastes, d'où sort une invisible flamme,
Sont les conseils que Dieu sème sur le chemin ;
C'est l'âme qui les doit cueillir, et non la main.
Ainsi tu fais ; aussi l'aube est sur ton front sombre ;
Aussi tu deviens bon, juste et sage; et dans l'ombre
Tu reprends la candeur sublime du berceau. »
Je répondis : « Hélas ! tu te trompes, oiseau.
Ma chair, faite de cendre, à chaque instant succombe ;
Mon âme ne sera blanche que dans la tombe ;
Car l'homme, quoi qu'il fasse, est aveugle ou méchant. »
Et je continuai la lecture du champ.

Juillet 1833.
C'est une émotion étrange pour mon âme
De voir l'enfant, encor dans les bras de la femme,
Fleur ignorant l'hiver, ange ignorant Satan,
Secouant un hochet devant Léviathan,
Approcher doucement la nature terrible.
Les beaux séraphins bleus qui passent dans la bible,
Envolés d'on ne sait quel ciel mystérieux,
N'ont pas une plus pure aurore dans les yeux
Et n'ont pas sur le front une plus sainte flamme
Que l'enfant innocent riant au monstre infâme.
Ciel noir ! Quel vaste cri que le rugissement !
Quand la bête, âme aveugle et visage écumant,
Lance au ****, n'importe où, dans l'étendue hostile
Sa voix lugubre, ainsi qu'un sombre projectile,
C'est tout le gouffre affreux des forces sans clarté
Qui hurle ; c'est l'obscène et sauvage Astarté,
C'est la nature abjecte et maudite qui gronde ;
C'est Némée, et Stymphale, et l'Afrique profonde
C'est le féroce Atlas, c'est l'Athos plus hanté
Par les foudres qu'un lac par les mouches d'été ;
C'est Lerne, Pélion, Ossa, c'est Érymanthe,
C'est Calydon funeste et noir, qui se lamente.

L'enfant regarde l'ombre où sont les lions roux.
La bête grince ; à qui s'adresse ce courroux ?
L'enfant jase ; sait-on qui les enfants appellent ?
Les deux voix, la tragique et la douce se mêlent
L'enfant est l'espérance et la bête est la faim ;
Et tous deux sont l'attente ; il gazouille sans fin
Et chante, et l'animal écume sans relâche ;
Ils ont chacun en eux un mystère qui tâche
De dire ce qu'il sait et d'avoir ce qu'il veut
Leur langue est prise et cherche à dénouer le nœud.
Se parlent-ils ? Chacun fait son essai, l'un triste
L'autre charmant ; l'enfant joyeusement existe ;
Quoique devant lui l'Être effrayant soit debout
Il a sa mère, il a sa nourrice, il a tout ;
Il rit.

De quelle nuit sortent ces deux ébauches ?
L'une sort de l'azur ; l'autre de ces débauches,
De ces accouplements du nain et du géant,
De ce hideux baiser de l'abîme au néant
Qu'un nomme le chaos.

Oui, cette cave immonde,
Dont le soupirail blême apparaît sous le monde,
Le chaos, ces chocs noirs, ces danses d'ouragans,
Les éléments gâtés et devenus brigands
Et changés en fléaux dans le cloaque immense,
Le rut universel épousant la démence,
La fécondation de Tout produisant Rien,
Cet engloutissement du vrai, du beau, du bien,
Qu'Orphée appelle Hadès, qu'Homère appelle Érèbe,
Et qui rend fixe l'oeil fatal des sphinx de Thèbe,
C'est cela, c'est la folle et mauvaise action
Qu'en faisant le chaos fit la création,
C'est l'attaque de l'ombre au soleil vénérable,
C'est la convulsion du gouffre misérable
Essayant d'opposer l'informe à l'idéal,
C'est Tisiphone offrant son ventre à Bélial,
C'est cet ensemble obscur de forces échappées
Où les éclairs font rage et tirent leurs épées,
Où périrent Janus, l'âge d'or et Rhéa,
Qui, si nous en croyons les mages, procréa
L'animal ; et la bête affreuse fut rugie
Et vomie au milieu des nuits par cette orgie.

C'est de là que nous vient le monstre inquiétant.

L'enfant, lui, pur songeur rassurant et content,
Est l'autre énigme ; il sort de l'obscurité bleue.
Tous les petits oiseaux, mésange, hochequeue,
Fauvette, passereau, bavards aux fraîches voix,
Sont ses frères, tandis que ces marmots des bois
Sentent pousser leur aile, il sent croître son âme
Des azurs embaumés de myrrhe et de cinname,
Des entre-croisements de fleurs et de rayons,
Ces éblouissements sacrés que nous voyons
Dans nos profonds sommeils quand nous sommes des justes,
Un pêle-mêle obscur de branchages augustes
Dont les anges au vol divin sont les oiseaux,
Une lueur pareille au clair reflet des eaux
Quand, le soir, dans l'étang les arbres se renversent,
Des lys vivants, un ciel qui rit, des chants qui bercent,
Voilà ce que l'enfant, rose, a derrière lui.
Il s'éveille ici-bas, vaguement ébloui ;
Il vient de voir l'Eden et Dieu ; rien ne l'effraie,
Il ne croit pas au mal ; ni le loup, ni l'orfraie,
Ni le tigre, démon taché, ni ce trompeur,
Le renard, ne le font trembler ; il n'a pas peur,
Il chante ; et quoi de plus touchant pour la pensée
Que cette confiance au paradis, poussée
Jusqu'à venir tout près sourire au sombre enfer !
Quel ange que l'enfant ! Tout, le mal, sombre mer,
Les hydres qu'en leurs flots roulent les vils avernes,
Les griffes, ces forêts, les gueules, ces cavernes,
Les cris, les hurlements, les râles, les abois,
Les rauques visions, la fauve horreur des bois,
Tout, Satan, et sa morne et féroce puissance,
S'évanouit au fond du bleu de l'innocence !
C'est beau. Voir Caliban et rester Ariel !
Avoir dans son humble âme un si merveilleux ciel
Que l'apparition indignée et sauvage
Des êtres de la nuit n'y fasse aucun ravage,
Et se sentir si plein de lumière et si doux
Que leur souffle n'éteigne aucune étoile en vous !

Et je rêve. Et je crois entendre un dialogue
Entre la tragédie effroyable et l'églogue ;
D'un côté l'épouvante, et de l'autre l'amour ;
Dans l'une ni dans l'autre il ne fait encor jour ;
L'enfant semble vouloir expliquer quelque chose ;
La bête gronde, et, monstre incliné sur la rose,
Écoute... - Et qui pourrait comprendre, ô firmament,
Ce que le bégaiement dit au rugissement ?

Quel que soit le secret, tout se dresse et médite,
La fleur bénie ainsi que l'épine maudite ;
Tout devient attentif ; tout tressaille ; un frisson
Agite l'air, le flot, la branche, le buisson,
Et dans les clairs-obscurs et dans les crépuscules,
Dans cette ombre où jadis combattaient les Hercules,
Où les Bellérophons s'envolaient, où planait
L'immense Amos criant : Un nouveau monde naît !
On sent on ne sait quelle émotion sacrée,
Et c'est, pour la nature où l'éternel Dieu crée,
C'est pour tout le mystère un attendrissement
Comme si l'on voyait l'aube au rayon calmant
S'ébaucher par-dessus d'informes promontoires,
Quand l'âme blanche vient parler aux âmes noires.
Si autrefois sous l'ombre de Gastine
Avons joué quelque chanson latine,
De Cassandre enamouré,
Sus, maintenant, luth doré,
Sus ; l'honneur mien, dont la voix délectable,
Sait réjouir les princes à la table,
Change de forme, et me sois
Maintenant un luth françois.

Je t'assure que tes cordes
Par moi ne seront polues
De chansons salement ordes
D'un tas d'amours dissolues ;
Je ne chanterai les princes,
Ni le soin de leurs provinces,
Ni moins la nef que prépare
Le marchant, las ! trop avare
Pour aller après ramer
Jusqu'aux plus lointaines terres,
Pêchant ne sais quelles pierres
Au bord de l'Indique mer.

Tandis qu'en l'air je soufflerai ma vie,
Sonner Phébus j'aurai toujours envie,
Et ses compagnes aussi,
Pour leur rendre un grand merci
De m'avoir fait poète de nature,
Idolâtrant la musique et peinture,
Prestre saint de leurs chansons,
Qui accordent à tes sons.

L'enfant que la douce Muse
Naissant d'œil bénin a vu,
Et de sa science infuse
Son jeune esprit a pourvu,
Toujours en sa fantaisie
Ardera de poésie
Sans prétende un autre bien ;
Encor qu'il combattit bien,
Jamais les Muses peureuses
Ne voudront le prémïer
De laurier, fut-il premier
Aux guerres victorieuses.

La poésie est un feu consumant
Par grand ardeur l'esprit de son amant,
Esprit que jamais ne laisse
En repos, tant elle presse.
Voila pourquoi le ministre des Dieux
Vit sans grands biens, d'autant qu'il aime mieux
Abonder d'inventions
Que de grandes possessions.

Mais Dieu juste, qui dispense
Tout en tous, les fait chanter
Le futur en récompense
Pour le monde épouvanter.
Ce sont les seuls interprètes
Des hauts Dieux que les poètes ;
Car aux prières qu'ils font
L'or aux Dieux criant ne sont,
Ni la richesse, qui passe ;
Mais un luth toujours parlant
L'art des Muses excellent,
Pour dessus leur rendre grâce.

Que dirons-nous de la musique sainte ?
Si quelque amante en a l'oreille atteinte,
Lente en larmes goutte à goutte
Fondra sa chère âme toute,
Tant la douceur d'une harmonie éveille
D'un cœur ardent l'amitié qui sommeille,
Au vif lui représentant
L'aimé parce qu'elle entend.

La Nature, de tout mère,
Prévoyant que notre vie
Sans plaisir serait amère,
De la musique eut envie,
Et, ses accords inventant,
Alla ses fils contentant
Par le son, qui **** nous jette
L'ennui de l'âme sujette,
Pour l'ennui même donter ;
Ce que l'émeraude fine
Ni l'or tiré de sa mine
N'ont la puissance d'ôter.

Sus, Muses, sus, célébrez-moi le nom
Du grand Appelle, immortel de renom,
Et de Zeus qui peignait
Si au vif qu'il contraignait
L'esprit ravi du pensif regardant
A s'oublier soi-même, cependant
Que l'œil humait à longs traits
La douceur de ses portraits.

C'est un céleste présent
Transmis çà-bas où nous sommes,
Qui règne encore à présent,
Pour lever en haut les hommes ;
Car, ainsi que Dieu a fait
De rien le monde parfait,
II veut qu'en petite espace
Le peintre ingénieux fasse
(Alors qu'il est agité),
Sans avoir nulle matière,
Instrument de deïté.

On dit que cil qui ranima les terres,
Vuides de gens, par le jet de ses pierres
(Origine de la rude
Et grossière multitude),
Avait aussi des diamants semé
Dont tel ouvrier fut vivement formé,
Son esprit faisant connaître
L'origine de son être.

Dieux ! de quelle oblation
Acquitter vers vous me puis-je,
Pour rémunération
Du bien reçu qui m'oblige ?
Certes, je suis glorieux
D'être ainsi ami des dieux,
Qui seuls m'ont fait recevoir
Le meilleur de leur savoir
Pour mes passions guérir,
Et d'eux, mon luth, tu attends
Vivre çà-bas en tout temps,
Non de moi, qui dois mourir.

Ô de Phébus la gloire et le trophée,
De qui jadis le Thracien Orphée
Faisait arrêter les vents
Et courir les bois suivants !
Je te salue, ô luth harmonieux,
Raclant de moi tout le soin ennuyeux,
Et de mes amours tranchantes
Les peines, lorsque tu chantes !
Dans un tronc d'angélique
J'ai creusé une cachette pour ma muse
Electro hyper sensible
Et j'ai béni de l'écume des anges
L'hippocampe qui haletait
À la proue de mon équipage.
Ma quille bien encastrée dans l'étrave
J'ai pris la mer étale à tout ballant
Vers la montagne d'eau
Où résident les ors des muses.
Des ondes amoncelées pleuvaient des perles lustrées
Des vertes, des bleues, des peacock,
Des pamplemousses, des aubergines
Et je ne voyais rien de leurs galipettes
Je cherchais l'or nu des mots sous la couette
Je ne voyais pas les perles offertes du silence
Je ne voyais pas les colliers, les coiffes, les parures, les couronnes tressées
Je cherchais le verbe fait chair dans les paillettes
Je ne voyais pas l'iris multicolore des regards mouillés
Je cherchais l'or, les carats
Je ne voyais pas dans la nuit force cinq
Etinceler l'once du sourire complice
Des dents de l'hippocampe
Qui me toisait derrière sa muselière
De perles et fougères
Exigeant que tel un orpailleur je fasse ripaille,
Que je me déchaîne sans délai
Au cœur de la nacre sacrée
Au cœur battant de la grâce
Bis repetita
Au nom du Roi
Bis repetita
Au nom de la Loi
Bis repetita
Au nom de la Foi
Bis repetita
Au nom des Muses.
Le toit s'égaie et rit.
ANDRÉ CHÉNIER.


Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris.
Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,
Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme
Qui s'élève en priant ;
L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S'arrête en souriant.

La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure
Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,
L'onde entre les roseaux,
Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d'oiseaux.

Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S'emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés !

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,
N'ont point mal fait encor ;
Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange,
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
À l'auréole d'or !

Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche.
Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche.
Vos ailes sont d'azur.
Sans le comprendre encor vous regardez le monde.
Double virginité ! corps où rien n'est immonde,
Âme où rien n'est impur !

Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !

Mai 1830.
Le Progrès calme et fort, et toujours innocent,
Ne sait pas ce que c'est que de verser le sang.
Il règne, conquérant désarmé ; quoi qu'on fasse,
De la hache et du glaive il détourne sa face,
Car le doigt éternel écrit dans le ciel bleu
Que la terre est à l'homme et que l'homme est à Dieu ;
Car la force invincible est la force impalpable. -
Peuple, jamais de sang ! - Vertueux ou coupable,
Le sang qu'on a versé monte des mains au front.
Quand sur une mémoire, indélébile affront,
Il jaillit, plus d'espoir ; cette fatale goutte
Finit par la couvrir et la dévorer toute ;
Il n'est pas dans l'histoire une tache de sang
Qui sur les noirs bourreaux n'aille s'élargissant.
Sachons-le bien, la honte est la meilleure tombe.
Le même homme sur qui son crime enfin retombe
Sort sanglant du sépulcre et fangeux du mépris.
Le bagne dédaigneux sur les coquins flétris
Se ferme, et tout est dit ; l'obscur tombeau se rouvre.
Qu'on le fasse profond et muré, qu'on le couvre
D'une dalle de marbre et d'un plafond massif,
Quand vous avez fini, le fantôme pensif
Lève du front la pierre et lentement se dresse.
Mettez sur ce tombeau toute une forteresse,
Tout un mont de granit, impénétrable et sourd,
Le fantôme est plus fort que le granit n'est lourd.
Il soulève ce mont comme une feuille morte.
Le voici, regardez, il sort ; il faut qu'il sorte,
Il faut qu'il aille et marche et traîne son linceul
Il surgit devant vous dès que vous êtes seul ;
Il dit : c'est moi ; tout vent qui souffle vous l'apporte ;
La nuit, vous l'entendez qui frappe à votre porte.
Les exterminateurs, avec ou sans le droit,
Je les hais, mais surtout je les plains. On les voit,
À travers l'âpre histoire où le vrai seul demeure,
Pour s'être délivrés de leurs rivaux d'une heure,
D'ennemis innocents, ou même criminels,
Fuir dans l'ombre entourés de spectres éternels.


Jersey, le 25 mars 1853.
Quand je suis tout baissé sur votre belle face,
Je vois dedans vos yeux je ne sais quoi de blanc,
Je ne sais quoi de noir, qui m'émeut tout le sang,
Et qui jusques au coeur de veine en veine passe.


Je vois dedans Amour, qui va changeant de place,
Ores bas, ores haut, toujours me regardant,
Et son arc contre moi coup sur coup débandant.
Las ! si je faux, raison, que veux-tu que j'y fasse ?


Tant s'en faut que je sois alors maître de moi,
Que je vendrais mon père, et trahirais mon Roi,
Mon pays, et ma soeur, mes frères et ma mère :


Tant je suis hors du sens, après que j'ai tâté
A longs traits amoureux de la poison amère,
Qui sort de ces beaux yeux, dont je suis enchanté.

— The End —