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Maître de boucan
Je construis mon ajoupa à flanc de montagne.
Il n 'y a cette nuit ni vent ni pluie
Dans ce pays en suspension
Entre bois, montagnes et précipices.

J'ai franchi avec toi sept rivières à gué
Escaladé les parois abruptes
Tandis que les diables faisaient grand bruit
Sortaient en miaulant et piaillant de leurs repaires
Pour aller voleter au-dessus de la mer.

Malgré leur chant d'effroi je ne désarmais pas, au contraire
C'était pour leur chair noire, douce et exquise
Que j'étais là en plein Carème
Dans cette montagne aux Diables.
Ni grives ni perroquets ni perdriques ni perdrix
Ne m'auraient fait dévier de ma chasse
Sans chiens et sans bâtons
A ce mets délicieux que sont les diablotins.

Je me voyais déjà les déloger de leurs terriers dans les falaises
Et les manger de broche en bouche
Selon les règles boucanières d'antan
Ou dans une feuille de cachibou ou de balisier
Quand tu m'as soufflé en me mordillant l'oreille
Ton envie urgente de pastrama fumé aux sarments de vigne.
Tes désirs sont des ordres
Mais comment trouver en pleine montagne aux Diables
A trois heures et quelques du matin un mouton sauvage,
Un agneau de pré-salé,
Un bélier broutant dans les vignes
Qui accepte de gaîté de coeur d'être sacrifié en holocauste
En pleine période de jeûne ?

Je me mis à prier le Révérend Père et la Vieille Dame
A qui je promis l'abstinence perpétuelle
De ces diablotins et autres cottous
Au goût de poisson
Pourvu qu'ils me fassent tomber du ciel
La divine pitance de tes ovins délicieux .

J'ai commencé à ramasser les herbes et les brindilles
Les branches de cannes sèches et les écorces de coco,
Les branches sèches de manguiers et de citronniers
Le chiendent, le *****-contra pour parfumer.
Et le silex et l'amadou pour mettre le feu.
Un peu d'alizé pour la fumée.
Et de la patience pour que le feu prenne.

Mais en lieu et place des moutons
Il se mit à pleuvoir sur notre bivouac
Une volée de cent un de ces volatiles blancs et noirs
Daciens comme Dalmatiens
Frais, séchés puis marinés aux rayons de lune
Tous volontaires et consentant à la dégustation magique
Du pastrama fumé de diablotins

Goûte-moi donc à ce vin de madère
De derrière les ******
Sans lequel je ne pars jamais en excursion
Et pardonne-moi pour le mouton
Si tu veux demain je te ferai un pastrama d'oies traditionnel
Voire un pastrama de voyelles
Marinées dans le miel, le thym, le sel
Le romarin, le laurier, le poivre et le piment
Le sel, l'ail et l'huile d'olive
La menthe, l 'oignon et le vin rouge à volonté
Ce que tu voudras, tant que tu voudras...

Mais goûte-moi ce matin avant que le jour ne se lève
Ce pastrama de diablotin fumé
Essaie et dis-moi !

Tout est affaire de goût et d'accoutumance !

Savourons ensemble le panorama et le pastrama
Savourons l'altitude de ces diablotins rôtis à la broche
Et fumés aux sarments de chiendent et *****-contra
Savourons la manne et l 'abstinence
De cette nuit étale de printemps-hiver
Au sommet de la Souphrière
Avant que conformément à ma parole
Je n'entre dans les Ordres.
Le Père Labat était grand amateur de pastis
Qu 'il coupait de son rhum guêpes
Bien agricole à 55 degrés
Comme décollage
Avant d'ingurgiter coup sur coup
Un ou deux diablotins de Marie-Galante
Rôtis à point au boucan
Dans les hauts du volcan
De Dame Soufrière.
Le Père Labat pour compléter  aimait sa purée d'avocat et banane jaune bien écrasée à la fourchette.

Or il advint qu'un jour à Pâques le Révérend Père
Plus vorace qu'à son habitude, comme illuminé,
Engloutit douze diablotines afin de rompre le jeûne du Carème.
Vous imaginez  l 'indigestion que dut subir le saint homme.
Cette overdose charnelle se manifesta par une érection phénoménale
Qui prit possession du quidam qui entra en transe perpétuelle.

Il y avait là fort heureusement un docteur feuilles qui habitait dans les parages
Un maître quimboiseur
Fort connaisseur en herbes et onguents
Qui lui fit prescrire une bonne soupe de gombo bien pimentée pour lui éclaircir la bile.
Mais cela ne fit aucun effet. L'homme apparemment était dévôt de Priape.
L'urgence était urgentissime. Il s'agissait d'un cas de vie ou de mort.
Il y avait sur une  goélette qui arrivait de la métropole
Un médicament miracle du nom de képone.
Un médicament miracle qui allait résoudre tous les problèmes
Le bois bandé ecclésiastique qui avait comme effet
Non pas de produire d'intenses érections mais d'avoir des bananes fruits et légumes de haute tenue.
C'était un nouveau médicament du nom français de chlordécone
Non remboursé par la Sécurité Sociale du Roi et du bon Colbert
Mais qui avait été testé sur d'autres cas terminaux comme celui du prélat.
Le saint homme dut suivre un régime de quarante jours et quarante nuits
Qui consistait à gober à longueur de journée des bananes jaunes
Trempées dans du jus de canne arrosé de moitié de chlordécone.
On ne sait par quel miracle mais le Père Labat fut sauvé et rentra illico au pays de ses ancêtres se consacrer à l'étude et à la méditation.
Mais jusqu 'à aujourd'hui encore les terres de la Soufrière et d'ailleurs  sont contaminées.
Les bananes antillaises hantent de leur Chlordécone invisible et inodore les prostates cancéreuses de ces messieurs !
Seul Décébale et nul Autre, me dis-tu, pourrait de sa dague d'eau bénite
Eteindre le feu qui couve sous ta carapace douce et soyeuse!
Décébale le Dace seul aurait la fougue et le courage nécessaires
Pour te faire tournoyer
Et tu dis encore que toi et Décébale ne font quasiment qu'un.

Je ne suis pas jaloux !
A Décébale ce qui appartient à Décébale
A Nul Autre ce qui appartient à Nul Autre.

Moi, comme Nul Autre pareil
Je veux juste apaiser ton feu
L'apprivoiser, l'amadouer
Pour qu'il ne te brûle pas.
Pour cela il faut que je me muscle :
Affronter le feu de Décébale n 'est pas rien,
Décébale c'est dix hommes à la fois.
Je pourrais, s'il le fallait, convoquer dix diablotins,
Dix chats-huants pour me porter assistance
Et défier Décébale en combat singulier.
Sur l'échiquier de ton corps
Mais ce serait tricher
Et tricher n'est pas jouer.
Et à vaincre sans péril on triomphe sans gloire

En conclusion :
Je cède en vertu du droit d'aînesse
A Décébale le feu. A moi le sirocco, la glace !
Pistache, coco et rhum raisins si tu le permets !

Vois-tu ce sont tes lacs glacés que je veux réchauffer,
Tes pics et tes pitons enneigés que je veux faire fondre
A petit feu sous mon vent de braise
Et que la chevauchée prenne des lustres à se consommer
Je veux que partout où tu es
Tu saches
Que je suis là au fond de toi !

Je nage comme un saumon ivre dans tes eaux glacées.
C'est seulement dans ces criques et ces fjords que j'arrive à nager
Je fais du crawl, de la brasse, du ski nautique, du paddle.
Je suis casse-cou dans tes eaux
Comme jamais je ne l'ai été.

Je fais même du surf, du plongeon
et du water polo.
Tant que tu joues avec moi
Je flotte sans bouée
Tant que tu es généreuse
Je dérive
Tant que tu te donnes sans compter
Dans notre nage synchronisée
J'existe de figures en figures.

Et pendant que je te dis tout ça
Voila que ce fieffé diablotin lève la tête,
Bombe le torse,
Et se prend pour Décébale.
Ce n'est qu'un petit pétrel diablotin,
Un simple et infime cottous à peine sorti du nid
Mais j'ai beau lui dire
Qu'il n'est pas multiple de quatre
Il se prend pour Décébale
"Tu n'es pas Dace ",
Lui ai-je pourtant dit cent fois ce matin
Mais il persiste et signe.
Il chante même à tue-tête l'hymne :
Je suis Dacien, voila ma gloire, mon espérance et mon soutien

— The End —