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I.

Hélas ! que j'en ai vu mourir de jeunes filles !
C'est le destin. Il faut une proie au trépas.
Il faut que l'herbe tombe au tranchant des faucilles ;
Il faut que dans le bal les folâtres quadrilles
Foulent des roses sous leurs pas.

Il faut que l'eau s'épuise à courir les vallées ;
Il faut que l'éclair brille, et brille peu d'instants,
Il faut qu'avril jaloux brûle de ses gelées
Le beau pommier, trop fier de ses fleurs étoilées,
Neige odorante du printemps.

Oui, c'est la vie. Après le jour, la nuit livide.
Après tout, le réveil, infernal ou divin.
Autour du grand banquet siège une foule avide ;
Mais bien des conviés laissent leur place vide.
Et se lèvent avant la fin.

II.

Que j'en ai vu mourir ! - L'une était rose et blanche ;
L'autre semblait ouïr de célestes accords ;
L'autre, faible, appuyait d'un bras son front qui penche,
Et, comme en s'envolant l'oiseau courbe la branche,
Son âme avait brisé son corps.

Une, pâle, égarée, en proie au noir délire,
Disait tout bas un nom dont nul ne se souvient ;
Une s'évanouit, comme un chant sur la lyre ;
Une autre en expirant avait le doux sourire
D'un jeune ange qui s'en revient.

Toutes fragiles fleurs, sitôt mortes que nées !
Alcyions engloutis avec leurs nids flottants !
Colombes, que le ciel au monde avait données !
Qui, de grâce, et d'enfance, et d'amour couronnées,
Comptaient leurs ans par les printemps !

Quoi, mortes ! quoi, déjà, sous la pierre couchées !
Quoi ! tant d'êtres charmants sans regard et sans voix !
Tant de flambeaux éteints ! tant de fleurs arrachées !...
Oh ! laissez-moi fouler les feuilles desséchées,
Et m'égarer au fond des bois !

Deux fantômes ! c'est là, quand je rêve dans l'ombre,
Qu'ils viennent tour à tour m'entendre et me parler.
Un jour douteux me montre et me cache leur nombre.
A travers les rameaux et le feuillage sombre
Je vois leurs yeux étinceler.

Mon âme est une sœur pour ces ombres si belles.
La vie et le tombeau pour nous n'ont plus de loi.
Tantôt j'aide leurs pas, tantôt je prends leurs ailes.
Vision ineffable où je suis mort comme elles,
Elles, vivantes comme moi !

Elles prêtent leur forme à toutes mes pensées.
Je les vois ! je les vois ! Elles me disent : Viens !
Puis autour d'un tombeau dansent entrelacées ;
Puis s'en vont lentement, par degrés éclipsées.
Alors je songe et me souviens...

III.

Une surtout. - Un ange, une jeune espagnole !
Blanches mains, sein gonflé de soupirs innocents,
Un œil noir, où luisaient des regards de créole,
Et ce charme inconnu, cette fraîche auréole
Qui couronne un front de quinze ans !

Non, ce n'est point d'amour qu'elle est morte : pour elle,
L'amour n'avait encor ni plaisirs ni combats ;
Rien ne faisait encor battre son cœur rebelle ;
Quand tous en la voyant s'écriaient : Qu'elle est belle !
Nul ne le lui disait tout bas.

Elle aimait trop le bal, c'est ce qui l'a tuée.
Le bal éblouissant ! le bal délicieux !
Sa cendre encor frémit, doucement remuée,
Quand, dans la nuit sereine, une blanche nuée
Danse autour du croissant des cieux.

Elle aimait trop le bal. - Quand venait une fête,
Elle y pensait trois jours, trois nuits elle en rêvait,
Et femmes, musiciens, danseurs que rien n'arrête,
Venaient, dans son sommeil, troublant sa jeune tête,
Rire et bruire à son chevet.

Puis c'étaient des bijoux, des colliers, des merveilles !
Des ceintures de moire aux ondoyants reflets ;
Des tissus plus légers que des ailes d'abeilles ;
Des festons, des rubans, à remplir des corbeilles ;
Des fleurs, à payer un palais !

La fête commencée, avec ses sœurs rieuses
Elle accourait, froissant l'éventail sous ses doigts,
Puis s'asseyait parmi les écharpes soyeuses,
Et son cœur éclatait en fanfares joyeuses,
Avec l'orchestre aux mille voix.

C'était plaisir de voir danser la jeune fille !
Sa basquine agitait ses paillettes d'azur ;
Ses grands yeux noirs brillaient sous la noire mantille.
Telle une double étoile au front des nuits scintille
Sous les plis d'un nuage obscur.

Tout en elle était danse, et rire, et folle joie.
Enfant ! - Nous l'admirions dans nos tristes loisirs ;
Car ce n'est point au bal que le cœur se déploie,
La centre y vole autour des tuniques de soie,
L'ennui sombre autour des plaisirs.

Mais elle, par la valse ou la ronde emportée,
Volait, et revenait, et ne respirait pas,
Et s'enivrait des sons de la flûte vantée,
Des fleurs, des lustres d'or, de la fête enchantée,
Du bruit des vois, du bruit des pas.

Quel bonheur de bondir, éperdue, en la foule,
De sentir par le bal ses sens multipliés,
Et de ne pas savoir si dans la nue on roule,
Si l'on chasse en fuyant la terre, ou si l'on foule
Un flot tournoyant sous ses pieds !

Mais hélas ! il fallait, quand l'aube était venue,
Partir, attendre au seuil le manteau de satin.
C'est alors que souvent la danseuse ingénue
Sentit en frissonnant sur son épaule nue
Glisser le souffle du matin.

Quels tristes lendemains laisse le bal folâtre !
Adieu parure, et danse, et rires enfantins !
Aux chansons succédait la toux opiniâtre,
Au plaisir rose et frais la fièvre au teint bleuâtre,
Aux yeux brillants les yeux éteints.

IV.

Elle est morte. - A quinze ans, belle, heureuse, adorée !
Morte au sortir d'un bal qui nous mit tous en deuil.
Morte, hélas ! et des bras d'une mère égarée
La mort aux froides mains la prit toute parée,
Pour l'endormir dans le cercueil.

Pour danser d'autres bals elle était encor prête,
Tant la mort fut pressée à prendre un corps si beau !
Et ces roses d'un jour qui couronnaient sa tête,
Qui s'épanouissaient la veille en une fête,
Se fanèrent dans un tombeau.

V.

Sa pauvre mère ! - hélas ! de son sort ignorante,
Avoir mis tant d'amour sur ce frêle roseau,
Et si longtemps veillé son enfance souffrante,
Et passé tant de nuits à l'endormir pleurante
Toute petite en son berceau !

A quoi bon ? - Maintenant la jeune trépassée,
Sous le plomb du cercueil, livide, en proie au ver,
Dort ; et si, dans la tombe où nous l'avons laissée,
Quelque fête des morts la réveille glacée,
Par une belle nuit d'hiver,

Un spectre au rire affreux à sa morne toilette
Préside au lieu de mère, et lui dit : Il est temps !
Et, glaçant d'un baiser sa lèvre violette,
Passe les doigts noueux de sa main de squelette
Sous ses cheveux longs et flottants.

Puis, tremblante, il la mène à la danse fatale,
Au chœur aérien dans l'ombre voltigeant ;
Et sur l'horizon gris la lune est large et pâle,
Et l'arc-en-ciel des nuits teint d'un reflet d'opale
Le nuage aux franges d'argent.

VI.

Vous toutes qu'à ses jeux le bal riant convie,
Pensez à l'espagnole éteinte sans retour,
Jeunes filles ! Joyeuse, et d'une main ravie,
Elle allait moissonnant les roses de la vie,
Beauté, plaisir, jeunesse, amour !

La pauvre enfant, de fête en fête promenée,
De ce bouquet charmant arrangeait les couleurs ;
Mais qu'elle a passé vite, hélas ! l'infortunée !
Ainsi qu'Ophélia par le fleuve entraînée,
Elle est morte en cueillant des fleurs !

Avril 1828.
Paul d'Aubin Aug 2014
Nos jeunesses avec Monsieur Snoopy


C'était le noble fils d'Isky
Yorkshire au caractère vif
Betty l'avait eu en cadeau
De Ginou, comme un joyau.
Dans ses jeunes ans, vêtu
d'un pelage noir et boucle.
Il semblait une variété
d'écureuil plutôt qu'un chien
Mais sa passion était de jouer
Et de mordiller aussi .
Mais ce chiot était déjà
Un jeune combattant téméraire.


Venu avec nous a Lille
Il apprit a courir les pigeons du Beffroi.
L'été prenant le cargo avec nous pour la Corse,
Il débarquait aphone ayant aboyé toute la nuit.
Dans l'île, ce chien anglais se portait comme un charme,
et se jouait des ronces du maquis.
Il dégotta même une ruche sauvage d'abeilles près du ruisseau le "Fiume".


Mais de caractère dominant
Et n'ayant pas appris les mœurs de la meurtre,
Il refusa la soumission au dogue de "Zeze"; "Fakir",
qui le prit dans sa gueule et le fit tournoyer sous la camionnette du boucher ambulant.
Il en fut quitte pour quelques jours de peur panique,
Puis ne manqua point de frétiller de sa queue pour saluer le chef de meute selon la coutume des chiens.


Rentrés a Lille, je vis un film de Claude Lelouch,
Ou un restaurateur avait entraîné un coq a saluer les clients,
Aussitôt, je m'efforcais de renouveler l'exploit avec Snoopy juche sur mon épaule ou l'appui tête de notre Fiat.
Mais ce chien indépendant et fougueux ne voulut rien entendre.
Las et envolées les idées de montreur de chien savant.


Le chien Snoopy n'aimait guère l'eau, ni douce, ni salée,
mais une fois plonge dans les flots,
de ses pattes il se faisait des nageoires pour rejoindre sa maîtresse se baignant dans les flots.


Âgé  de seize ans, la grande vieillesse venue,
dont le malheur veut qu'elle marque le cadrant de cinq fractions de vies d'hommes,
Une année fatidique le désormais vieux chien fut gardée à  Luchon par mes parents pour lui éviter le chenil du cargo,
Aussi un soir attablés au restaurant "La Stonda" nous apprimes l'affligeante nouvelle,
Le vivace Snoopy n'était plus, Je nous revois encore les yeux baignés de larmes comme si nous avions perdu, la meilleure partie de notre jeune âge.
Car il fut le premier chien de notre âge adulte,
Notre fille Celia mêla ses pleurs aux nôtres,
et cette nouvelle pourtant bien prévisible apporta une touche de chagrin à ce mois d'août d'ordinaire, si plein de Lumière et de soleil.

Nous avions perdu notre premier chien et notre grand ami de ceux qui ne vous trahit jamais.
Snoopy fut pour nous notre premier amour de chien.
Solide cabot au poil argenté, aux oreilles en pointe dressées au moindre bruit.
Il accompagna nos jeunes années de couple, alors sans enfant,
et enjolivait notre vie par sa fantaisie et ses facéties.
Joli descendant des chiens de mineur du Yorkshire, il sut nous donner pour toute notre vie l'amour des chiens anglais.

Paul Arrighi
Paul d'Aubin Oct 2015
Adieu chère maison de mes ancêtres

Cette fois ci, le sort en est jeté,
Les acquéreurs improbables, les propriétaires chimériques,
ont consigne la somme convenue sur les fonds du notaire.
Et toi, chère maison, tu vas changer de famille et d'amours.
Désormais, nos enfances envolées, ne retrouveront plus le secours,
des vielles boiseries et des tapisseries centenaires,
de toutes ces armoire en châtaignier et ces commodes de noyer,
auxquels nous rattache encor comme un fil invisible,
tant de senteurs, d'images et souvenirs fanés.
Et le tic-tac mélodieux de la vieille horloge dans l'entrée du 19.
Et ces mansardes, chargées d'objets hétéroclites que nous aimons tant fouiller.
Quant au jardin qui aurait pu être un parc,
comment oublier ses massifs de groseilliers et ses fraises des bois ?
Et les plants de rhubarbe, la sauge aux grandes vertus, aux dires de grand-mère.
Ainsi que les allées de marguerites, attirant les abeilles,
plus ****, remplacées par des rosiers blancs, roses et rouges si odorants.
Cette maison de famille qui résista a tant de coups du sort,
a péri des impôts et des frais d'entretien du jardin,
du manque de modernisation aussi. Alors que tant de logements sans âme étaient construits.
Surtout de l'âge et du départ de sa chère maîtresse, ma mère, qui y avait trop froid et ne pouvait y vivre seule.
Et aussi un peu, ma franchise l'admet, du manque d'initiatives et de goût pour l'association de nous tous, de notre fratrie.
Certes l'on pourra trouver bien des excuses.
Les uns furent trop ****, les autres manquèrent de moyens.
Mais dans mon fors intérieur,
Je sais que cette maison manqua surtout de notre audace et de notre courage commun a la faire vivre.
Aussi notre maison de famille fut comme abandonnée a son sort par ses enfants disperses par la vie.
Pauvre maison, nous n'avons su te garder; puisses-tu tomber désormais dans des mains aimantes, artistes et vertes !

Paul Arrighi
Soit lointaine, soit voisine,
Espagnole ou sarrazine,
Il n'est pas une cité
Qui dispute sans folie
A Grenade la jolie
La pomme de la beauté,
Et qui, gracieuse, étale
Plus de pompe orientale
Sous un ciel plus enchanté.

Cadix a les palmiers ; Murcie a les oranges ;
Jaën, son palais goth aux tourelles étranges ;
Agreda, son couvent bâti par saint-Edmond ;
Ségovie a l'autel dont on baise les marches,
Et l'aqueduc aux trois rangs d'arches
Qui lui porte un torrent pris au sommet d'un mont.

Llers a des tours ; Barcelone
Au faîte d'une colonne
Lève un phare sur la mer ;
Aux rois d'Aragon fidèle,
Dans leurs vieux tombeaux, Tudèle
Garde leur sceptre de fer ;
Tolose a des forges sombres
Qui semblent, au sein des ombres,
Des soupiraux de l'enfer.

Le poisson qui rouvrit l'œil mort du vieux Tobie
Se joue au fond du golfe où dort Fontarabie ;
Alicante aux clochers mêle les minarets ;
Compostelle a son saint ; Cordoue aux maisons vieilles
A sa mosquée où l'œil se perd dans les merveilles ;
Madrid a le Manzanarès.

Bilbao, des flots couverte,
Jette une pelouse verte
Sur ses murs noirs et caducs ;
Médina la chevalière,
Cachant sa pauvreté fière
Sous le manteau de ses ducs,
N'a rien que ses sycomores,
Car ses beaux pont sont aux maures,
Aux romains ses aqueducs.

Valence a les clochers de ses trois cents églises ;
L'austère Alcantara livre au souffle des brises
Les drapeaux turcs pendus en foule à ses piliers ;
Salamanque en riant s'assied sur trois collines,
S'endort au son des mandolines
Et s'éveille en sursaut aux cris des écoliers.

Tortose est chère à saint-Pierre ;
Le marbre est comme la pierre
Dans la riche puycerda ;
De sa bastille octogone
Tuy se vante, et Tarragone
De ses murs qu'un roi fonda ;
Le Douro coule à Zamore ;
Tolède a l'alcazar maure,
Séville a la giralda.

Burgos de son chapitre étale la richesse ;
Peñaflor est marquise, et Girone est duchesse ;
Bivar est une nonne aux sévères atours ;
Toujours prête au combat, la sombre Pampelune,
Avant de s'endormir aux rayons de la lune,
Ferme sa ceinture de tours.

Toutes ces villes d'Espagne
S'épandent dans la campagne
Ou hérissent la sierra ;
Toutes ont des citadelles
Dont sous des mains infidèles
Aucun beffroi ne vibra ;
Toutes sur leurs cathédrales
Ont des clochers en spirales ;
Mais Grenade a l'Alhambra.

L'Alhambra ! l'Alhambra ! palais que les Génies
Ont doré comme un rêve et rempli d'harmonies,
Forteresse aux créneaux festonnés et croulants,
Ou l'on entend la nuit de magiques syllabes,
Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes,
Sème les murs de trèfles flancs !

Grenade a plus de merveilles
Que n'a de graines vermeilles
Le beau fruit de ses vallons ;
Grenade, la bien nommée,
Lorsque la guerre enflammée
Déroule ses pavillons,
Cent fois plus terrible éclate
Que la grenade écarlate
Sur le front des bataillons.

Il n'est rien de plus beau ni de plus grand au monde ;
Soit qu'à Vivataubin Vivaconlud réponde,
Avec son clair tambour de clochettes orné ;
Soit que, se couronnant de feux comme un calife
L'éblouissant Généralife
Elève dans la nuit son faîte illuminé.

Les clairons des Tours-Vermeilles
Sonnent comme des abeilles
Dont le vent chasse l'essaim ;
Alcacava pour les fêtes
A des cloches toujours prêtes
A bourdonner dans son sein,
Qui dans leurs tours africaines
Vont éveiller les dulcaynes
Du sonore Albaycin.

Grenade efface en tout ses rivales ; Grenade
Chante plus mollement la molle sérénade ;
Elle peint ses maisons de plus riches couleurs ;
Et l'on dit que les vents suspendent leurs haleines
Quand par un soir d'été Grenade dans ses plaines
Répand ses femmes et ses fleurs.

L'Arabie est son aïeule.
Les maures, pour elle seule,
Aventuriers hasardeux,
Joueraient l'Asie et l'Afrique,
Mais Grenade est catholique,
Grenade se raille d'eux ;
Grenade, la belle ville,
Serait une autre Séville,
S'il en pouvait être deux.

Du 3 au 5 avril 1828.
Ô champs paternels hérissés de charmilles
Où glissent le soir des flots de jeunes filles !

Ô frais pâturage où de limpides eaux
Font bondir la chèvre et chanter les roseaux !

Ô terre natale ! à votre nom que j'aime,
Mon âme s'en va toute hors d'elle-même ;

Mon âme se prend à chanter sans effort ;
À pleurer aussi, tant mon amour est fort !

J'ai vécu d'aimer, j'ai donc vécu de larmes ;
Et voilà pourquoi mes pleurs eurent leurs charmes ;

Voilà, mon pays, n'en ayant pu mourir,
Pourquoi j'aime encore au risque de souffrir ;

Voilà, mon berceau, ma colline enchantée
Dont j'ai tant foulé la robe veloutée,

Pourquoi je m'envole à vos bleus horizons,
Rasant les flots d'or des pliantes moissons.

La vache mugit sur votre pente douce,
Tant elle a d'herbage et d'odorante mousse,

Et comme au repos appelant le passant,
Le suit d'un regard humide et caressant.

Jamais les bergers pour leurs brebis errantes
N'ont trouvé tant d'eau qu'à vos sources courantes.

J'y rampai débile en mes plus jeunes mois,
Et je devins rose au souffle de vos bois.

Les bruns laboureurs m'asseyaient dans la plaine
Où les blés nouveaux nourrissaient mon haleine.

Albertine aussi, sœur des blancs papillons,
Poursuivait les fleurs dans les mêmes sillons ;

Car la liberté toute riante et mûre
Est là, comme aux cieux, sans glaive, sans armure,

Sans peur, sans audace et sans austérité,
Disant : « Aimez-moi, je suis la liberté !

« Je suis le pardon qui dissout la colère,
Et je donne à l'homme une voix juste et claire.

« Je suis le grand souffle exhalé sur la croix
Où j'ai dit : « Mon père ! on m'immole, et je crois ! »

« Le bourreau m'étreint : je l'aime ! et l'aime encore,
Car il est mon frère, ô père que j'adore !

« Mon frère aveuglé qui s'est jeté sur moi,
Et que mon amour ramènera vers toi ! »

Ô patrie absente ! ô fécondes campagnes,
Où vinrent s'asseoir les ferventes Espagnes !

Antiques noyers, vrais maîtres de ces lieux,
Qui versez tant d'ombre où dorment nos aïeux !

Échos tout vibrants de la voix de mon père
Qui chantaient pour tous : « Espère ! espère ! espère ! »

Ce chant apporté par des soldats pieux
Ardents à planter tant de croix sous nos cieux,

Tant de hauts clochers remplis d'airain sonore
Dont les carillons les rappellent encore :

Je vous enverrai ma vive et blonde enfant
Qui rit quand elle a ses longs cheveux au vent.

Parmi les enfants nés à votre mamelle,
Vous n'en avez pas qui soit si charmant qu'elle !

Un vieillard a dit en regardant ses yeux :
« Il faut que sa mère ait vu ce rêve aux cieux ! »

En la soulevant par ses blanches aisselles
J'ai cru bien souvent que j'y sentais des ailes !

Ce fruit de mon âme, à cultiver si doux,
S'il faut le céder, ce ne sera qu'à vous !

Du lait qui vous vient d'une source divine
Gonflez le cœur pur de cette frêle ondine.

Le lait jaillissant d'un sol vierge et fleuri
Lui paiera le mien qui fut triste et tari.

Pour voiler son front qu'une flamme environne
Ouvrez vos bluets en signe de couronne :

Des pieds si petits n'écrasent pas les fleurs,
Et son innocence a toutes leurs couleurs.

Un soir, près de l'eau, des femmes l'ont bénie,
Et mon cœur profond soupira d'harmonie.

Dans ce cœur penché vers son jeune avenir
Votre nom tinta, prophète souvenir,

Et j'ai répondu de ma voix toute pleine
Au souffle embaumé de votre errante haleine.

Vers vos nids chanteurs laissez-la donc aller :
L'enfant sait déjà qu'ils naissent pour voler.

Déjà son esprit, prenant goût au silence,
Monte où sans appui l'alouette s'élance,

Et s'isole et nage au fond du lac d'azur
Et puis redescend le gosier plein d'air pur.

Que de l'oiseau gris l'hymne haute et pieuse
Rende à tout jamais son âme harmonieuse ;

Que vos ruisseaux clairs, dont les bruits m'ont parlé,
Humectent sa voix d'un long rythme perlé !

Avant de gagner sa couche de fougère,
Laissez-la courir, curieuse et légère,

Au bois où la lune épanche ses lueurs
Dans l'arbre qui tremble inondé de ses pleurs,

Afin qu'en dormant sous vos images vertes
Ses grâces d'enfant en soient toutes couvertes.

Des rideaux mouvants la chaste profondeur
Maintiendra l'air pur alentour de son cœur,

Et, s'il n'est plus là, pour jouer avec elle,
De jeune Albertine à sa trace fidèle,

Vis-à-vis les fleurs qu'un rien fait tressaillir
Elle ira danser, sans jamais les cueillir,

Croyant que les fleurs ont aussi leurs familles
Et savent pleurer comme les jeunes filles.

Sans piquer son front, vos abeilles là-bas
L'instruiront, rêveuse, à mesurer ses pas ;

Car l'insecte armé d'une sourde cymbale
Donne à la pensée une césure égale.

Ainsi s'en ira, calme et libre et content,
Ce filet d'eau vive au bonheur qui l'attend ;

Et d'un chêne creux la Madone oubliée
La regardera dans l'herbe agenouillée.

Quand je la berçais, doux poids de mes genoux,
Mon chant, mes baisers, tout lui parlait de vous ;

Ô champs paternels, hérissés de charmilles
Où glissent le soir des flots de jeunes filles.

Que ma fille monte à vos flancs ronds et verts,
Et soyez béni, doux point de l'Univers !
Obscuritate rerum verba saepè obscurantur.
GERVASIUS TILBERIENSIS.


Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ;
Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
Et quand s'offre à vos yeux un océan qui dort,
Nagez à la surface ou jouez sur le bord.
Car la pensée est sombre ! Une pente insensible
Va du monde réel à la sphère invisible ;
La spirale est profonde, et quand on y descend,
Sans cesse se prolonge et va s'élargissant,
Et pour avoir touché quelque énigme fatale,
De ce voyage obscur souvent on revient pâle !

L'autre jour, il venait de pleuvoir, car l'été,
Cette année, est de bise et de pluie attristé,
Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre,
Prend le masque d'avril qui sourit et qui pleure.
J'avais levé le store aux gothiques couleurs.
Je regardais au **** les arbres et les fleurs.
Le soleil se jouait sur la pelouse verte
Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte
Apportait du jardin à mon esprit heureux
Un bruit d'enfants joueurs et d'oiseaux amoureux.

Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière,
Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière
De cet astre de mai dont le rayon charmant
Au bout de tout brin d'herbe allume un diamant !
Je me laissais aller à ces trois harmonies,
Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;
La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil
Faisait évaporer à la fois sur les grèves
L'eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves !

Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi
Mes amis, non confus, mais tels que je les vois
Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle,
Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle,
Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent,
Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant.
Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages,
Tous, même les absents qui font de longs voyages.
Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci,
Avec l'air qu'ils avaient quand ils vivaient aussi.
Quand j'eus, quelques instants, des yeux de ma pensée,
Contemplé leur famille à mon foyer pressée,
Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés
Pâlir en s'effaçant leurs fronts décolorés,
Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s'écoule,
Se perdre autour de moi dans une immense foule.

Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas.
Ceux qu'on n'a jamais vus, ceux qu'on ne connaît pas.
Tous les vivants ! - cités bourdonnant aux oreilles
Plus qu'un bois d'Amérique ou des ruches d'abeilles,
Caravanes campant sur le désert en feu,
Matelots dispersés sur l'océan de Dieu,
Et, comme un pont hardi sur l'onde qui chavire,
Jetant d'un monde à l'autre un sillon de navire,
Ainsi que l'araignée entre deux chênes verts
Jette un fil argenté qui flotte dans les airs !

Les deux pôles ! le monde entier ! la mer, la terre,
Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratère,
Tout à la fois, automne, été, printemps, hiver,
Les vallons descendant de la terre à la mer
Et s'y changeant en golfe, et des mers aux campagnes
Les caps épanouis en chaînes de montagnes,
Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés,
Par les grands océans sans cesse dévorés,
Tout, comme un paysage en une chambre noire
Se réfléchit avec ses rivières de moire,
Ses passants, ses brouillards flottant comme un duvet,
Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait !
Alors, en attachant, toujours plus attentives,
Ma pensée et ma vue aux mille perspectives
Que le souffle du vent ou le pas des saisons
M'ouvrait à tous moments dans tous les horizons,
Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes,
A côté des cités vivantes des deux mondes,
D'autres villes aux fronts étranges, inouïs,
Sépulcres ruinés des temps évanouis,
Pleines d'entassements, de tours, de pyramides,
Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides.

Quelques-unes sortaient de dessous des cités
Où les vivants encor bruissent agités,
Et des siècles passés jusqu'à l'âge où nous sommes
Je pus compter ainsi trois étages de Romes.
Et tandis qu'élevant leurs inquiètes voix,
Les cités des vivants résonnaient à la fois
Des murmures du peuple ou du pas des armées,
Ces villes du passé, muettes et fermées,
Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins,
Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims.
J'attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes
De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes,
Et je les vis marcher ainsi que les vivants,
Et jeter seulement plus de poussière aux vents.
Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes,
Je vis l'intérieur des vieilles Babylones,
Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions,
D'où sans cesse sortaient des générations.

Ainsi j'embrassais tout : et la terre, et Cybèle ;
La face antique auprès de la face nouvelle ;
Le passé, le présent ; les vivants et les morts ;
Le genre humain complet comme au jour du remords.
Tout parlait à la fois, tout se faisait comprendre,
Le pélage d'Orphée et l'étrusque d'Évandre,
Les runes d'Irmensul, le sphinx égyptien,
La voix du nouveau monde aussi vieux que l'ancien.

Or, ce que je voyais, je doute que je puisse
Vous le peindre : c'était comme un grand édifice
Formé d'entassements de siècles et de lieux ;
On n'en pouvait trouver les bords ni les milieux ;
A toutes les hauteurs, nations, peuples, races,
Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces,
Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas,
Parlant chacun leur langue et ne s'entendant pas ;
Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde,
De degrés en degrés cette Babel du monde.

La nuit avec la foule, en ce rêve hideux,
Venait, s'épaississant ensemble toutes deux,
Et, dans ces régions que nul regard ne sonde,
Plus l'homme était nombreux, plus l'ombre était profonde.
Tout devenait douteux et vague, seulement
Un souffle qui passait de moment en moment,
Comme pour me montrer l'immense fourmilière,
Ouvrait dans l'ombre au **** des vallons de lumière,
Ainsi qu'un coup de vent fait sur les flots troublés
Blanchir l'écume, ou creuse une onde dans les blés.

Bientôt autour de moi les ténèbres s'accrurent,
L'horizon se perdit, les formes disparurent,
Et l'homme avec la chose et l'être avec l'esprit
Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit.
J'étais seul. Tout fuyait. L'étendue était sombre.
Je voyais seulement au ****, à travers l'ombre,
Comme d'un océan les flots noirs et pressés,
Dans l'espace et le temps les nombres entassés !

Oh ! cette double mer du temps et de l'espace
Où le navire humain toujours passe et repasse,
Je voulus la sonder, je voulus en toucher
Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher,
Pour vous en rapporter quelque richesse étrange,
Et dire si son lit est de roche ou de fange.
Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu,
Au profond de l'abîme il nagea seul et nu,
Toujours de l'ineffable allant à l'invisible...
Soudain il s'en revint avec un cri terrible,
Ébloui, haletant, stupide, épouvanté,
Car il avait au fond trouvé l'éternité.

Mai 1830.
Paul d'Aubin Aug 2016
Le Poirier de la  "Casalonga"



Il était long comme l'espoir,

Lové sur le mur de granit

Qu’il entourait de ses grands bras.

Il semblait un serpent narquois,

Et n'était certes pas très beau,

Mais, bien le meilleur des poiriers.

Quand venaient les jours de Juillet

Les poires commençaient à tomber,

D’abord, bien vertes de couleur ;

Puis, aux premières journées d'août,

Les tendres et jaunes à croquer



Comme de grandes plaines de blé.

L'on pouvait entendre tomber

Ses poires avec un bruit mat,

Qui pleuvaient drues, même la nuit

Et tapissaient le sol herbeux.

C'était la saison des gâteaux,

Des confitures et des compotes.

Les abeilles venaient butiner

Les poires qui jonchaient le sol

Et voletaient autour des mains

Des gourmets venant soupeser

Les plus fermes et les moins brisées.

Qui tombaient parfois de bien haut.

Cher Poirier, vaillant ouvrier,

Aux branches tant ployées de fruits

Que tu en paraissais voûté,

Tu nous donnais sans rechigner

Tant de poires, au parfum vanille

Bien plus que nous pouvions manger.


Paul Arrighi ( Corse /Corsica)
Un jardinier, dans son jardin,
Avait un vieux arbre stérile ;
C'était un grand poirier qui jadis fut fertile :
Mais il avait vieilli, tel est notre destin.
Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin ;
Le voilà qui prend sa cognée.
Au premier coup l'arbre lui dit :
Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit
Que je t'ai donné chaque année.
La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant,
N'assassine pas un mourant
Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,
Répond le jardinier ; mais j'ai besoin de bois.
Alors, gazouillant à la fois,
De rossignols une centaine
S'écrie : épargne-le, nous n'avons plus que lui :
Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage,
Nous la réjouissons par notre doux ramage ;
Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.
Le jardinier les chasse et rit de leur requête ;
Il frappe un second coup. D'abeilles un essaim
Sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête,
Ecoute-nous, homme inhumain :
Si tu nous laisses cet asile,
Chaque jour nous te donnerons
Un miel délicieux dont tu peux à la ville
Porter et vendre les rayons :
Cela te touche-t-il ? J'en pleure de tendresse,
Répond l'avare jardinier :
Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
Qui m'a nourri dans sa jeunesse ?
Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux ;
C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos.
Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance,
Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.
Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense,
Et laisse vivre le vieux tronc.

Comptez sur la reconnaissance
Quand l'intérêt vous en répond.
Près du pêcheur qui ruisselle,
Quand tous deux, au jour baissant,
Nous errons dans la nacelle,
Laissant chanter l'homme frêle
Et gémir le flot puissant ;

Sous l'abri que font les voiles
Lorsque nous nous asseyons,
Dans cette ombre où tu te voiles
Quand ton regard aux étoiles
Semble cueillir des rayons ;

Quand tous deux nous croyons lire
Ce que la nature écrit,
Réponds, ô toi que j'admire,
D'où vient que mon cœur soupire ?
D'où vient que ton front sourit ?

Dis ? d'où vient qu'à chaque lame,
Comme une coupe de fiel,
La pensée emplit mon âme ?
C'est que moi je vois la rame
Tandis que tu vois le ciel !

C'est que je vois les flots sombres,
Toi, les astres enchantés !
C'est que, perdu dans leurs nombres,
Hélas, je compte les ombres
Quand tu comptes les clartés !

Chacun, c'est la loi suprême,
Rame, hélas ! jusqu'à la fin.
Pas d'homme, ô fatal problème !
Qui ne laboure ou ne sème
Sur quelque chose de vain !

L'homme est sur un flot qui gronde.
L'ouragan tord son manteau.
Il rame en la nuit profonde,
Et l'espoir s'en va dans l'onde
Par les fentes du bateau.

Sa voile que le vent troue
Se déchire à tout moment,
De sa route l'eau se joue,
Les obstacles sur sa proue
Écument incessamment !

Hélas ! hélas ! tout travaille
Sous tes yeux, ô Jéhovah !
De quelque côté qu'on aille,
Partout un flot qui tressaille,
Partout un homme qui va !

Où vas-tu ? - Vers la nuit noire.
Où vas-tu ? - Vers le grand jour.
Toi ? - Je cherche s'il faut croire.
Et toi ? - Je vais à la gloire.
Et toi ? - Je vais à l'amour.

Vous allez tous à la tombe !
Vous allez à l'inconnu !
Aigle, vautour, ou colombe,
Vous allez où tout retombe
Et d'où rien n'est revenu !

Vous allez où vont encore
Ceux qui font le plus de bruit !
Où va la fleur qu'avril dore !
Vous allez où va l'aurore !
Vous allez où va la nuit !

À quoi bon toutes ces peines ?
Pourquoi tant de soins jaloux ?
Buvez l'onde des fontaines,
Secouez le gland des chênes,
Aimez, et rendormez-vous !

Lorsque ainsi que des abeilles
On a travaillé toujours ;
Qu'on a rêvé des merveilles ;
Lorsqu'on a sur bien des veilles
Amoncelé bien des jours ;

Sur votre plus belle rose,
Sur votre lys le plus beau,
Savez-vous ce qui se pose ?
C'est l'oubli pour toute chose,
Pour tout homme le tombeau !

Car le Seigneur nous retire
Les fruits à peine cueillis.
Il dit : Échoue ! au navire.
Il dit à la flamme : Expire !
Il dit à la fleur : Pâlis !

Il dit au guerrier qui fonde :
- Je garde le dernier mot.
Monte, monte, ô roi du monde !
La chute la plus profonde
Pend au sommet le plus haut. -

Il a dit à la mortelle :
- Vite ! éblouis ton amant.
Avant de mourir sois belle.
Sois un instant étincelle,
Puis cendre éternellement ! -

Cet ordre auquel tu t'opposes
T'enveloppe et t'engloutit.
Mortel, plains-toi, si tu l'oses,
Au Dieu qui fit ces deux choses,
Le ciel grand, l'homme petit !

Chacun, qu'il doute ou qu'il nie,
Lutte en frayant son chemin ;
Et l'éternelle harmonie
Pèse comme une ironie
Sur tout ce tumulte humain !

Tous ces faux biens qu'on envie
Passent comme un soir de mai.
Vers l'ombre, hélas ! tout dévie.
Que reste-t-il de la vie,
Excepté d'avoir aimé !

----

Ainsi je courbe ma tête
Quand tu redresses ton front.
Ainsi, sur l'onde inquiète,
J'écoute, sombre poète,
Ce que les flots me diront.

Ainsi, pour qu'on me réponde,
J'interroge avec effroi ;
Et dans ce gouffre où je sonde
La fange se mêle à l'onde... -
Oh ! ne fais pas comme moi !

Que sur la vague troublée
J'abaisse un sourcil hagard ;
Mais toi, belle âme voilée,
Vers l'espérance étoilée
Lève un tranquille regard !

Tu fais bien. Vois les cieux luire.
Vois les astres s'y mirer.
Un instinct là-haut t'attire.
Tu regardes Dieu sourire ;
Moi, je vois l'homme pleurer !

Le 9 septembre 1836.
Oh ! vous dont le travail est joie,
Vous qui n'avez pas d'autre proie
Que les parfums, souffles du ciel,
Vous qui fuyez quand vient décembre,
Vous qui dérobez aux fleurs l'ambre
Pour donner aux hommes le miel,

Chastes buveuses de rosée,
Qui, pareilles à l'épousée,
Visitez le lys du coteau,
Ô sœurs des corolles vermeilles,
Filles de la lumière, abeilles,
Envolez-vous de ce manteau !

Ruez-vous sur l'homme, guerrières !
Ô généreuses ouvrières,
Vous le devoir, vous la vertu,
Ailes d'or et flèches de flamme,
Tourbillonnez sur cet infâme !
Dites-lui : « Pour qui nous prends-tu ?

« Maudit ! nous sommes les abeilles !
Des chalets ombragés de treilles
Notre ruche orne le fronton ;
Nous volons, dans l'azur écloses,
Sur la bouche ouverte des roses
Et sur les lèvres de Platon.

« Ce qui sort de la fange y rentre.
Va trouver Tibère en son antre,
Et Charles neuf sur son balcon.
Va ! sur ta pourpre il faut qu'on mette,
Non les abeilles de l'Hymette,
Mais l'essaim noir de Montfaucon ! »

Et percez-le toutes ensemble,
Faites honte au peuple qui tremble,
Aveuglez l'immonde trompeur,
Acharnez-vous sur lui, farouches,
Et qu'il soit chassé par les mouches
Puisque les hommes en ont peur !

Jersey, juin 1853.
Mon rêve le plus cher et le plus caressé,

Le seul qui rit encore à mon cœur oppressé,

C'est de m'ensevelir au fond d'une chartreuse,

Dans une solitude inabordable, affreuse ;

****, bien ****, tout là-bas, dans quelque Sierra

Bien sauvage, où jamais voix d'homme ne vibra,

Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches,

Où n'arrive pas même un bruit lointain de cloches ;

Dans quelque Thébaïde, aux lieux les moins hantés,

Comme en cherchaient les saints pour leurs austérités ;

Sous la grotte où grondait le lion de Jérôme,

Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume

Et boire la rosée à ton calice ouvert,

Ô frêle et chaste fleur, qui crois dans le désert

Aux fentes du tombeau de l'Espérance morte !

De non cœur dépeuplé je fermerais la porte

Et j'y ferais la garde, afin qu'un souvenir

Du monde des vivants n'y pût pas revenir ;

J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ;

Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire

Qu'aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait,

Pour y dormir ma nuit j'en ferais un chevet ;

Car je sais maintenant que vaut cette fumée

Qu'au-dessus du néant pousse une renommée.

J'ai regardé de près et la science et l'art :

J'ai vu que ce n'était que mensonge et hasard ;

J'ai mis sur un plateau de toile d'araignée

L'amour qu'en mon chemin j'ai reçue et donnée :

Puis sur l'autre plateau deux grains du vermillon

Impalpable, qui teint l'aile du papillon,

Et j'ai trouvé l'amour léger dans la balance.

Donc, reçois dans tes bras, ô douce somnolence,

Vierge aux pâles couleurs, blanche sœur de la mort,

Un pauvre naufragé des tempêtes du sort !

Exauce un malheureux qui te prie et t'implore,

Egraine sur son front le pavot inodore,

Abrite-le d'un pan de ton grand manteau noir,

Et du doigt clos ses yeux qui ne veulent plus voir.

Vous, esprits du désert, cependant qu'il sommeille,

Faites taire les vents et bouchez son oreille,

Pour qu'il n'entende pas le retentissement

Du siècle qui s'écroule, et ce bourdonnement

Qu'en s'en allant au but où son destin la mène

Sur le chemin du temps fait la famille humaine !


Je suis las de la vie et ne veux pas mourir ;

Mes pieds ne peuvent plus ni marcher ni courir ;

J'ai les talons usés de battre cette route

Qui ramène toujours de la science au doute.

Assez, je me suis dit, voilà la question.


Va, pauvre rêveur, cherche une solution

Claire et satisfaisante à ton sombre problème,

Tandis qu'Ophélia te dit tout haut : Je t'aime ;

Mon beau prince danois marche les bras croisés,

Le front dans la poitrine et les sourcils froncés,

D'un pas lent et pensif arpente le théâtre,

Plus pâle que ne sont ces figures d'albâtre,

Pleurant pour les vivants sur les tombeaux des morts ;

Épuise ta vigueur en stériles efforts,

Et tu n'arriveras, comme a fait Ophélie,

Qu'à l'abrutissement ou bien à la folie.

C'est à ce degré-là que je suis arrivé.

Je sens ployer sous moi mon génie énervé ;

Je ne vis plus ; je suis une lampe sans flamme,

Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme.


Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr,

Si dans un coin du cœur il éclot un désir,

Lui couper sans pitié ses ailes de colombe,

Être comme est un mort, étendu sous la tombe,

Dans l'immobilité savourer lentement,

Comme un philtre endormeur, l'anéantissement :

Voilà quel est mon vœu, tant j'ai de lassitude,

D'avoir voulu gravir cette côte âpre et rude,

Brocken mystérieux, où des sommets nouveaux

Surgissent tout à coup sur de nouveaux plateaux,

Et qui ne laisse voir de ses plus hautes cimes

Que l'esprit du vertige errant sur les abîmes.


C'est pourquoi je m'assieds au revers du fossé,

Désabusé de tout, plus voûté, plus cassé

Que ces vieux mendiants que jusques à la porte

Le chien de la maison en grommelant escorte.

C'est pourquoi, fatigué d'errer et de gémir,

Comme un petit enfant, je demande à dormir ;

Je veux dans le néant renouveler mon être,

M'isoler de moi-même et ne plus me connaître ;

Et comme en un linceul, sans y laisser un seul pli,

Rester enveloppé dans mon manteau d'oubli.


J'aimerais que ce fût dans une roche creuse,

Au penchant d'une côte escarpée et pierreuse,

Comme dans les tableaux de Salvator Rosa,

Où le pied d'un vivant jamais ne se posa ;

Sous un ciel vert, zébré de grands nuages fauves,

Dans des terrains galeux clairsemés d'arbres chauves,

Avec un horizon sans couronne d'azur,

Bornant de tous côtés le regard comme un mur,

Et dans les roseaux secs près d'une eau noire et plate

Quelque maigre héron debout sur une patte.

Sur la caverne, un pin, ainsi qu'un spectre en deuil

Qui tend ses bras voilés au-dessus d'un cercueil,

Tendrait ses bras en pleurs, et du haut de la voûte

Un maigre filet d'eau suintant goutte à goutte,

Marquerait par sa chute aux sons intermittents

Le battement égal que fait le cœur du temps.

Comme la Niobé qui pleurait sur la roche,

Jusqu'à ce que le lierre autour de moi s'accroche,

Je demeurerais là les genoux au menton,

Plus ployé que jamais, sous l'angle d'un fronton,

Ces Atlas accroupis gonflant leurs nerfs de marbre ;

Mes pieds prendraient racine et je deviendrais arbre ;

Les faons auprès de moi tondraient le gazon ras,

Et les oiseaux de nuit percheraient sur mes bras.


C'est là ce qu'il me faut plutôt qu'un monastère ;

Un couvent est un port qui tient trop à la terre ;

Ma nef tire trop d'eau pour y pouvoir entrer

Sans en toucher le fond et sans s'y déchirer.

Dût sombrer le navire avec toute sa charge,

J'aime mieux errer seul sur l'eau profonde et large.

Aux barques de pêcheur l'anse à l'abri du vent,

Aux simples naufragés de l'âme, le couvent.

À moi la solitude effroyable et profonde,

Par dedans, par dehors !


Par dedans, par dehors ! Un couvent, c'est un monde ;

On y pense, on y rêve, on y prie, on y croit :

La mort n'est que le seuil d'une autre vie ; on voit

Passer au long du cloître une forme angélique ;

La cloche vous murmure un chant mélancolique ;

La Vierge vous sourit, le bel enfant Jésus

Vous tend ses petits bras de sa niche ; au-dessus

De vos fronts inclinés, comme un essaim d'abeilles,

Volent les Chérubins en légions vermeilles.

Vous êtes tout espoir, tout joie et tout amour,

À l'escalier du ciel vous montez chaque jour ;

L'extase vous remplit d'ineffables délices,

Et vos cœurs parfumés sont comme des calices ;

Vous marchez entourés de célestes rayons

Et vos pieds après vous laissent d'ardents sillons !


Ah ! grands voluptueux, sybarites du cloître,

Qui passez votre vie à voir s'ouvrir et croître

Dans le jardin fleuri de la mysticité,

Les pétales d'argent du lis de pureté,

Vrais libertins du ciel, dévots Sardanapales,

Vous, vieux moines chenus, et vous, novices pâles,

Foyers couverts de cendre, encensoirs ignorés,

Quel don Juan a jamais sous ses lambris dorés

Senti des voluptés comparables aux vôtres !

Auprès de vos plaisirs, quels plaisirs sont les nôtres !

Quel amant a jamais, à l'âge où l'œil reluit,

Dans tout l'enivrement de la première nuit,

Poussé plus de soupirs profonds et pleins de flamme,

Et baisé les pieds nus de la plus belle femme

Avec la même ardeur que vous les pieds de bois

Du cadavre insensible allongé sur la croix !

Quelle bouche fleurie et d'ambroisie humide,

Vaudrait la bouche ouverte à son côté livide !

Notre vin est grossier ; pour vous, au lieu de vin,

Dans un calice d'or perle le sang divin ;

Nous usons notre lèvre au seuil des courtisanes,

Vous autres, vous aimez des saintes diaphanes,

Qui se parent pour vous des couleurs des vitraux

Et sur vos fronts tondus, au détour des arceaux,

Laissent flotter le bout de leurs robes de gaze :

Nous n'avons que l'ivresse et vous avez l'extase.

Nous, nos contentements dureront peu de jours,

Les vôtres, bien plus vifs, doivent durer toujours.

Calculateurs prudents, pour l'abandon d'une heure,

Sur une terre où nul plus d'un jour ne demeure,

Vous achetez le ciel avec l'éternité.

Malgré ta règle étroite et ton austérité,

Maigre et jaune Rancé, tes moines taciturnes

S'entrouvrent à l'amour comme des fleurs nocturnes,

Une tête de mort grimaçante pour nous

Sourit à leur chevet du rire le plus doux ;

Ils creusent chaque jour leur fosse au cimetière,

Ils jeûnent et n'ont pas d'autre lit qu'une bière,

Mais ils sentent vibrer sous leur suaire blanc,

Dans des transports divins, un cœur chaste et brûlant ;

Ils se baignent aux flots de l'océan de joie,

Et sous la volupté leur âme tremble et ploie,

Comme fait une fleur sous une goutte d'eau,

Ils sont dignes d'envie et leur sort est très-beau ;

Mais ils sont peu nombreux dans ce siècle incrédule

Creux qui font de leur âme une lampe qui brûle,

Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ,

Croire que tout s'est fait comme il était écrit.

Il en est qui n'ont pas le don des saintes larmes,

Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ;

Il est des malheureux qui ne peuvent prier

Et dont la voix s'éteint quand ils veulent crier ;

Tous ne se baignent pas dans la pure piscine

Et n'ont pas même part à la table divine :

Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas,

Si je n'ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas.


Aussi je me choisis un antre pour retraite

Dans une région détournée et secrète

D'où l'on n'entende pas le rire des heureux

Ni le chant printanier des oiseaux amoureux,

L'antre d'un loup crevé de faim ou de vieillesse,

Car tout son m'importune et tout rayon me blesse,

Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît,

Et je hais l'homme autant et plus que ne le hait

Le buffle à qui l'on vient de percer la narine.

De tous les sentiments croulés dans la ruine,

Du temple de mon âme, il ne reste debout

Que deux piliers d'airain, la haine et le dégoût.

Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ;

Ma tête de cheveux n'est pas découronnée ;

À peine vingt épis sont tombés du faisceau :

Je puis derrière moi voir encore mon berceau.

Mais les soucis amers de leurs griffes arides

M'ont fouillé dans le front d'assez profondes rides

Pour en faire une fosse à chaque illusion.

Ainsi me voilà donc sans foi ni passion,

Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre,

Et dès le premier mot sachant la fin du livre.

Car c'est ainsi que sont les jeunes d'aujourd'hui :

Leurs mères les ont faits dans un moment d'ennui.

Et qui les voit auprès des blancs sexagénaires

Plutôt que les enfants les estime les pères ;

Ils sont venus au monde avec des cheveux gris ;

Comme ces arbrisseaux frêles et rabougris

Qui, dès le mois de mai, sont pleins de feuilles mortes,

Ils s'effeuillent au vent, et vont devant leurs portes

Se chauffer au soleil à côté de l'aïeul,

Et du jeune et du vieux, à coup sûr, le plus seul,

Le moins accompagné sur la route du monde,

Hélas ! C'est le jeune homme à tête brune ou blonde

Et non pas le vieillard sur qui l'âge a neigé ;

Celui dont le navire est le plus allégé

D'espérance et d'amour, lest divin dont on jette

Quelque chose à la mer chaque jour de tempête,

Ce n'est pas le vieillard, dont le triste vaisseau

Va bientôt échouer à l'écueil du tombeau.

L'univers décrépit devient paralytique,

La nature se meurt, et le spectre critique

Cherche en vain sous le ciel quelque chose à nier.

Qu'attends-tu donc, clairon du jugement dernier ?

Dis-moi, qu'attends-tu donc, archange à bouche ronde

Qui dois sonner là-haut la fanfare du monde ?

Toi, sablier du temps, que Dieu tient dans sa main,

Quand donc laisseras-tu tomber ton dernier grain ?
Tyler G Jan 2013
Ton sourire fait rire les oiseaux,

ton cœur fait chanter les abeilles,

ton façon de vivre fait parler les fleurs,

ton esprit fait danser mon cœur.
G Dec 2018
Je ne retrouve pas
Ton humour délicieux
Le son de tes pas
Marchant depuis les cieux
Quand ton sourire appas
M'attrapait, astucieux.

Comme le piège du soleil
Éclairant les actes du jour
Ou butinent les abeilles
Sur les fleurs des alentours
Je m’émerveille
Comme au premier jour.

Les odeurs de la vie
Comme une primevère,
Encense mes envies,
Terre à terre.
Ou es-tu, Wifi?
Réveille tes ondes téméraires.

Une image apparaît
Virtuelle,
Plus que jamais
Irréelle,
J'accroche mon cœur comme Beyoncé,  
Au crochet d'un célèbre mortel.

Puis je renais !
Sans ombre,
Rien n'est neuf, mais tout me plait
Je vole dans les ondes
Du progrès
Qui explose sur mes écrans noirs de monde.

La solitude n'existe plus
Que dans les romans
Des écrivains déprimés et sans vertu
Peu importe qui est amant
Rien n’est conclu
Seul compte l’irremplaçable moment.

Paris, 9-28-2018
written in Paris, September 2018
Chantez ! chantez ! jeune inspirée !
La femme qui chante est sacrée
Même aux jaloux, même aux pervers !
La femme qui chante est bénie !
Sa beauté défend son génie.
Les beaux yeux sauvent les beaux vers !

Moi que déchire tant de rage,
J'aime votre aube sans orage ;
Je souris à vos yeux sans pleurs.
Chantez donc vos chansons divines.
À moi la couronne d'épines !
À vous la couronne de fleurs !

Il fut un temps, un temps d'ivresse,
Où l'aurore qui vous caresse
Rayonnait sur mon beau printemps
Où l'orgueil, la joie et l'extase,
Comme un vin pur d'un riche vase,
Débordaient de mes dix-sept ans !

Alors, à tous mes pas présente,
Une chimère éblouissante
Fixait sur moi ses yeux dorés ;
Alors, prés verts, ciels bleus, eaux vives,
Dans les riantes perspectives
Mes regards flottaient égarés !

Alors je disais aux étoiles :
Ô mon astre, en vain tu te voiles.
Je sais que tu brilles là-haut !
Alors je disais à la rive :
Vous êtes la gloire, et j'arrive.
Chacun de mes jours est un flot !

Je disais au bois : forêt sombre,
J'ai comme toi des bruits sans nombre.
À l'aigle : contemple mon front !
Je disais aux coupes vidées :
Je suis plein d'ardentes idées
Dont les âmes s'enivreront !

Alors, du fond de vingt calices,
Rosée, amour, parfums, délices,
Se répandaient sur mon sommeil ;
J'avais des fleurs plein mes corbeilles ;
Et comme un vif essaim d'abeilles,
Mes pensers volaient au soleil !

Comme un clair de lune bleuâtre
Et le rouge brasier du pâtre
Se mirent au même ruisseau ;
Comme dans les forêts mouillées,
À travers le bruit des feuillées
On entend le bruit d'un oiseau ;

Tandis que tout me disait : Aime !
Écoutant tout hors de moi-même,
Ivre d'harmonie et d'encens,
J'entendais, ravissant murmure,
Le chant de toute la nature
Dans le tumulte de mes sens !

Et roses par avril fardées,
Nuits d'été de lune inondées,
Sentiers couverts de pas humains,
Tout, l'écueil aux hanches énormes,
Et les vieux troncs d'arbres difformes
Qui se penchent sur les chemins,

Me parlaient cette langue austère,
Langue de l'ombre et du mystère,
Qui demande à tous : Que sait-on ?
Qui, par moments presque étouffée,
Chante des notes pour Orphée,
Prononce des mots pour Platon !

La terre me disait Poète !
Le ciel me répétait Prophète !
Marche ! parle ! enseigne ! bénis !
Penche l'urne des chants sublimes !
Verse aux vallons noirs comme aux cimes,
Dans les aires et dans les nids !

Ces temps sont passés. - À cette heure,
Heureux pour quiconque m'effleure,
Je suis triste au dedans de moi ;
J'ai sous mon toit un mauvais hôte ;
Je suis la tour splendide et haute
Qui contient le sombre beffroi.

L'ombre en mon cœur s'est épanchée ;
Sous mes prospérités cachée
La douleur pleure en ma maison ;
Un ver ronge ma grappe mûre ;
Toujours un tonnerre murmure
Derrière mon vague horizon !

L'espoir mène à des portes closes.
Cette terre est pleine de choses
Dont nous ne voyons qu'un côté.
Le sort de tous nos vœux se joue ;
Et la vie est comme la roue
D'un char dans la poudre emporté !

À mesure que les années,
Plus pâles et moins couronnées,
Passent sur moi du haut du ciel,
Je vois s'envoler mes chimères
Comme des mouches éphémères
Qui n'ont pas su faire de miel !

Vainement j'attise en moi-même
L'amour, ce feu doux et suprême
Qui brûle sur tous les trépieds,
Et toute mon âme enflammée
S'en va dans le ciel en fumée
Ou tombe en cendre sous mes pieds !

Mon étoile a fui sous la nue.
La rose n'est plus revenue
Se poser sur mon rameau noir.
Au fond de la coupe est la lie,
Au fond des rêves la folie,
Au fond de l'aurore le soir !

Toujours quelque bouche flétrie,
Souvent par ma pitié nourrie,
Dans tous mes travaux m'outragea.
Aussi que de tristes pensées,
Aussi que de cordes brisées
Pendent à ma lyre déjà !

Mon avril se meurt feuille à feuille ;
Sur chaque branche que je cueille
Croît l'épine de la douleur ;
Toute herbe a pour moi sa couleuvre ;
Et la haine monte à mon œuvre
Comme un bouc au cytise en fleur !

La nature grande et touchante,
La nature qui vous enchante
Blesse mes regards attristés.
Le jour est dur, l'aube est meilleure.
Hélas ! la voix qui me dit : Pleure !
Est celle qui vous dit : Chantez !

Chantez ! chantez ! belle inspirée !
Saluez cette aube dorée
Qui jadis aussi m'enivra.
Tout n'est pas sourire et lumière.
Quelque jour de votre paupière
Peut-être une larme éclora !

Alors je vous plaindrai, pauvre âme !
Hélas ! les larmes d'une femme,
Ces larmes où tout est amer,
Ces larmes où tout est sublime,
Viennent d'un plus profond abîme
Que les gouttes d'eau de la mer !
Nourrissez votre cœur du feu des charités,
Filles du Fils de l'homme, aux yeux pleins de clartés.
Aimez celle qu'un peuple appelle politesse.
Avant Notre-Seigneur, savoir vivre, qu'était-ce ?
Quelque chose au dehors, mais au fond, presque rien.
Etre civilisé, c'est bien ; poli, très bien ;
La politesse, fleur de l'homme charitable,
Règle notre attitude et rit à notre table,
Et donne un sens exquis aux choses du repas.
Science qui s'apprend, et qui ne s'apprend pas :
Code intime et profond, né dans la quiétude
Du cloître, et dont le monde, après, fit son étude.
L'âme où passa Jésus toujours en garde un pli,
Et c'est encor rester chrétien qu'être poli,
La politesse est reine et fait son doux royaume
Des cœurs purs, c'est un lis royal qui les embaume !
Non celle qui se montre en chapeaux élégants,
Bien qu'un homme se lise aux couleurs de ses gants,
Ni celle qui fatigue, ou bien qui complimente,
Obligée à se taire à moins qu'elle ne mente :
Mais celle-là qui règne avec simplicité,
Qui sait servir le miel pur de la vérité ;
Qui veut laisser chacun ou chacune à sa place,
Qui calme les transports, comme elle rompt la glace.
Parmi les charités, si légères au sol
Qu'elles foulent si peu, que l'on dirait un vol
Timide, à fleur déterre, ou d'ange ou d'hirondelle ;
Au nom des tout petits qui soupent sans chandelle
Sous les arbres, les yeux dans leurs cheveux trop longs,
Et viennent d'Italie avec leurs violons ;
Du vieux joueur de flûte, aux mèches toutes grises,
Et du pauvre, à genoux sur le seuil des églises,
Qui marmotte une antienne ou qui froisse les grains
Du rosaire, à la fête où vont les pèlerins ;
Parmi les charités, porteuses d'escarcelles,
D'un vers reconnaissant je veux célébrer celle
Qui passe en écoutant les plaintes des roseaux,
Et qui donne aux petits comme on donne aux oiseaux !
Fais ton miel admirable, ô reine des abeilles,
Charité, donne encor tes jours, ton cœur, tes veilles ;
Jésus multiplia les poissons et les pains.
Voyez, dans ce palais, dont les plafonds sont peints,
Où les lustres ont plus de branches que les arbres,
Où le peuple des sphinx taillés au cœur des marbres
Garde la cour sonore et les vastes paliers,
Château plein de frontons, d'urnes et de piliers,
Cette royale entant toute belle, qui foule,
Comme un jardin fleuri, l'éloge de la foule !
Eh bien, la charité qui lui parle à mi-voix
Saura lui retirer les bagues de ses doigts,
La perle éclose au coin de son oreille en flamme,
Sa chevelure où rit la gloire de la femme,
Sa chambre où le soleil allonge dans la paix
Sa large griffe d'or sur les tapis épais,
Ses miroirs éclatants, les servantes accortes,
Ce vestibule altier, plein de dessus de portes
Où des gens, dont le vent chiffonne le manteau,
Sont poudrés par Boucher et fardés par Watteau,
Et l'œil de ces bergers diseurs de douces choses,
Les grands vases de fleurs, où Sèvre a peint les roses !
Ses pieds si délicats chaussés de gros souliers,
Sa taille consacrée à d'humbles tabliers,
Sous sa coiffe de tulle et d'épingles légères,
L'enfant ira, parmi les âmes étrangères,
Fermer les yeux des morts, coudre le drap fatal,
Ou, sous les crucifix des murs de l'hôpital,
Au chevet d'un mourant dont la bouche blasphème,
Pour lui dire : « Je suis votre sœur qui vous aime ! »
Cette charité-là se nomme amour divin,
Elle enivre les cœurs, plus forte que le vin.
Père des charités, dont le Père pardonne,
Jésus, ô doux Jésus, pour qu'enfin l'on se donne
À vous, dont on tient l'âme et le cœur que l'on a,
Vous qui changiez en vin l'eau claire de Cana
Qui chantait en entrant sonore au col des vases,
Changez la boue en or dans nos cœurs lourds de vases.
Vous qui rendiez la vue à ceux dont les bâtons
Tâtent le pied des murs, nous marchons à tâtons,
Et nous sommes des sourds, et la pierre est pareille
À nous. Maître, mettez le doigt sur notre oreille !
Vous, dont l'ordre, au soleil qui sur le peuple luit,
Tirait Lazare blanc des brunies de la nuit,
Seigneur, ressuscitez aussi nos cœurs de roche,
S'il est vrai, ô Seigneur, que votre règne approche !
Souvenez-vous des humbles cimetières
Que voile aux villages voisins
Le pli d'un coteau pâle où pendent les raisins,
Qu'éveille, au point du jour, l'air du casseur de pierres.
Seuls, les vieux fossoyeurs ont d'eux quelque souci.
Et c'est à peine si -
Comme des brebis étonnées,
**** du troupeau fumant des douces cheminées,
**** du clocher, ce pâtre amoureux d'horizons -
Quelques maisons
Abandonnées,
Toutes fanées
Par les saisons,
Du vide de leurs yeux dans leur face hagarde,
Contemplent - par-dessus l'enclos au portail veuf
Parfois de l'auvent qui le garde -
La chapelle en ruine à la grande lézarde,
Les tertres anciens et les croix de bois neuf.

Mais l'été que l'ange envoie aux vallées,
Pour les églogues étoilées,
Aux grands blés roux buvant ses haleines de feu,
Et vers les rivières vermeilles,
L'été, sur un signe de Dieu,
Fait, avec ses rayons, de sauvages corbeilles
De ces asiles tout en fleurs où les abeilles,
Dans l'herbe haute et drue ainsi que des remords,
D'un long bourdonnement ensommeillent les morts.

À midi, le soleil silencieux qui tombe,
Grave, comme un chat d'or s'allonge sur la tombe
Dont la blancheur brûle, éclatant
Parmi l'argile rose ou les avoines folles,
Pendant que le lézard entend
Passer, dans les bruits vains et les vagues paroles,
La robe, ayant l'odeur de nos amours défunts,
De la Mort, mère et reine des parfums.

Tramée avec les fils du rêve,
Voici s'assombrir l'heure où la lune se lève,
Et le lourd laboureur qui rentre réfléchit
Sur la route où l'air pur fraîchit,
Le long des murs sacrés, et son coeur croit entendre
Une voix étouffée ou tendre,
Dans la nuit bleue et noire ainsi que le corbeau...
La nuit donne la vie aux choses du tombeau.

Cependant, là-bas, dans les nécropoles,
Sur qui la nue ardente ébauche des coupoles,
Et qu'endorment les cris confus et les oiseaux
Des villes, dont le vaste oubli pèse à ses os,
Une immobile multitude
Poursuit le même rêve en la même attitude ;
Et depuis tant d'hivers que les soleils lassés
Ne comptent plus les noms par les vents effacés,
Malgré leur solitude qui s'ennuie
Au cantique filtré sur leur front par la pluie,
Elles peuvent goûter encor des jours bénis,
Ces pauvres âmes désolées,
Vers la douce époque des nids,
Sous les funéraires feuillées,
Quand Mai, de sa main fine, aux grilles des caveaux
Attache des bouquets et des regrets nouveaux
Ou quand leur commune patronne,
Leur fête, fait éclore une triste couronne :
Ce jour-là, plus d'un deuil charmant qui vient errer
Dans les sombres jardins, tressaille à rencontrer,
Sous les branches d'automne à peine encore vertes,
L'impériale odeur des tombes entrouvertes.
Et tous, ceux du village et ceux de la cité,
Ceux qui sourient d'avoir été
De gais bouviers dans la campagne,
Et ceux dont la statue en marbre est la compagne,
Ces morts que Dieu sema comme on sème le blé,
Tous dorment d'un sommeil si peu troublé,
Qu'il semble que la vie,
À ces mornes reclus
Lugubrement ravie,
Ne doive jamais plus
Monter ni redescendre
Des yeux pleins de nuit noire au coeur tombant en cendre.

Aucun orchestre en floraison
Sous les bosquets royaux dans la chaude saison,
Aucune orfèvrerie amoncelant ses bagues,
Aucun océan soucieux
Des perles qu'il charrie aux plis lourds de ses vagues,
Aucun Messidor sous les cieux
Qui couvrent la splendeur des terres éventrées,
Ni le soleil de ces contrées
Où son regard luit si hautain,
Sur les monts que couronne une âpre odeur de thym,
Qu'il semble à la stupeur physique
Que le rayon fait la musique ;
Ni lune en fleur d'aucun été,
Ni comètes semant de diamants leur voie,
Ne roulent plus d'ivresse en versant plus de joie,
Que la solennelle clarté
Qui, tenant de la rose et de la primevère,
Jaillira par la fente en rumeur des cercueils,
Comme un vin parfumé des blessures du verre,
Quand, sonnant la fuite des deuils,
L'ange du Jugement, sur le tombeau du Juste,
Soulèvera la pierre avec un geste auguste !
Sonnet.


Ami, la passion du Verbe et de ses lois
Nous obsède tous deux. Toi, d'une oreille austère,
Tu scrutes savamment le son dépositaire
Du génie et du cœur des hommes d'autrefois ;

Tu sais sur quel passage appuie ou court la voix,
Sous quelle fixe règle un mot vibre et s'altère.
Moi qui, sans le sonder, jouis de ce mystère,
Je nombre le langage en comptant sur mes doigts ;

J'observe à mon insu les lois que tu démontres ;
Je devine les mots, leurs divines rencontres,
Le secret de leur vie et l'art de les choisir.

Echangeons nos travaux pour adoucir nos veilles :
Dis-moi la discipline et les mœurs des abeilles,
Et je recueillerai leur miel pour ton plaisir.
S'asseoir tous deux au bord d'un flot qui passe,
Le voir passer ;
Tous deux, s'il glisse un nuage en l'espace,
Le voir glisser ;
À l'horizon, s'il fume un toit de chaume,
Le voir fumer ;
Aux alentours, si quelque fleur embaume,
S'en embaumer ;
Si quelque fruit, où les abeilles goûtent,
Tente, y goûter ;
Si quelque oiseau, dans les bois qui l'écoutent,
Chante, écouter...
Entendre au pied du saule où l'eau murmure
L'eau murmurer ;
Ne pas sentir, tant que ce rêve dure,
Le temps durer ;
Mais n'apportant de passion profonde
Qu'à s'adorer ;
Sans nul souci des querelles du monde,
Les ignorer ;
Et seuls, heureux devant tout ce qui lasse,
Sans se lasser,
Sentir l'amour, devant tout ce qui passe,
Ne point passer !
Entre deux rocs d'un noir d'ébène
Voyez-vous ce sombre hallier
Qui se hérisse dans la plaine
Ainsi qu'une touffe de laine
Entre les cornes du bélier ?

Là, dans une ombre non frayée,
Grondent, le tigre ensanglanté,
La lionne, mère effrayée,
Le chacal, l'hyène rayée,
Et le léopard tacheté.

Là, des monstres de toute forme
Rampent : - le basilic rêvant,
L'hippopotame au ventre énorme,
Et le boa, vaste et difforme,
Qui semble un tronc d'arbre vivant.

L'orfraie aux paupières vermeilles,
Le serpent, le singe méchant,
Sifflent comme un essaim d'abeilles ;
L'éléphant aux larges oreilles
Casse les bambous en marchant.

Là, vit la sauvage famille
Qui glapit, bourdonne et mugit.
Le bois entier hurle et fourmille.
Sous chaque buisson un oeil brille,
Dans chaque antre une voix rugit.

Eh bien ! seul et nu sur la mousse,
Dans ce bois-là je serais mieux
Que devant Nourmahal-la-Rousse,
Qui parle avec une voix douce
Et regarde avec de doux yeux.

Le 25 novembre 1828.
J'ai rêvé d'un lent périple,

Interminable roulis

Au terme duquel

J'atterrissais sans autre appareil

Que mes lèvres nues et sincères

Entre le grand zygomatique

Et le risorius

En plein arc de Cupidon

D'une ogresse à queue de sirène.

Et quand j'ai posé ma toupie sur la moue lisse,

A l'aplomb de cet oeil en demi-lune

Que je savais être celui du cyclone Désirée,

Une coupe d'amour pleine à ras bord m' attendait

A la commissure gauche de ses lèvres

Ainsi qu'une inquiétude vermillon où je fus

Instantanément bercé.

La mer molle de ses lèvres bouillait

Tiède et folle comme un tapis de miel

Je dérivais ainsi entre lèvre haute

Et lèvre basse dans mon rocking chair aubergine

Constricteur et dilatateur

Je drivais sans savoir trop comment à la godille

Entre ses ourlets humides à peine décollés

Et du gouffre de ses fossettes pleuvaient des abeilles d'or et de plomb.
Le toit s'égaie et rit.
ANDRÉ CHÉNIER.


Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris.
Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,
Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme
Qui s'élève en priant ;
L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S'arrête en souriant.

La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure
Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,
L'onde entre les roseaux,
Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d'oiseaux.

Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S'emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés !

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,
N'ont point mal fait encor ;
Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange,
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
À l'auréole d'or !

Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche.
Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche.
Vos ailes sont d'azur.
Sans le comprendre encor vous regardez le monde.
Double virginité ! corps où rien n'est immonde,
Âme où rien n'est impur !

Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !

Mai 1830.
La clarté du dehors ne distrait pas mon âme.
La plaine chante et rit comme une jeune femme ;
Le nid palpite dans les houx ;
Partout la gaîté lui dans les bouches ouvertes ;
Mai, couché dans la mousse au fond des grottes vertes
Fait aux amoureux les yeux doux.

Dans les champs de luzerne et dans les champs de fèves,
Les vagues papillons errent pareils aux rêves ;
Le blé vert sort des sillons bruns ;
Et les abeilles d'or courent à la pervenche,
Au thym, au liseron, qui tend son urne blanche
A ces buveuses de parfums.

La nue étale au ciel ses pourpres et ses cuivres ;
Les arbres, tout gonflés de printemps, semblent ivres ;
Les branches, dans leurs doux ébats,
Se jettent sur les oiseaux du bout de leurs raquettes ;
Le bourdon galonné fait aux roses coquettes
Des propositions tout bas.

Moi, je laisse voler les senteurs et les baumes,
Je laisse chuchoter les fleurs, ces doux fantômes,
Et l'aube dire : « Vous vivrez ! »
Je regarde en moi-même, et, seul, oubliant l'heure,
L'oeil plein des visions de l'ombre intérieure,
Je songe aux morts, ces délivrés !

Encore un peu de temps, encore, ô mer superbe,
Quelques reflux ; j'aurai ma tombe aussi dans l'herbe,
Blanche au milieu du frais gazon,
A l'ombre de quelque arbre où le lierre s'attache ;
On y lira : « Passant, cette pierre te cache
La ruine d'une prison. »

Ingouville, mai 1843.
Dans un grand jardin en cinq actes,
Conforme aux préceptes du goût,
Où les branches étaient exactes,
Où les fleurs se tenaient debout,

Quelques clématites sauvages
Poussaient, pauvres bourgeons pensifs,
Parmi les nobles esclavages
Des buis, des myrtes et des ifs.

Tout près, croissait, sur la terrasse
Pleine de dieux bien copiés,
Un rosier de si grande race
Qu'il avait du marbre à ses pieds.

La rose sur les clématites
Fixait ce regard un peu sec
Que Rachel jette à ces petites
Qui font le choeur du drame grec.

Ces fleurs, tremblantes et pendantes,
Dont Zéphyre tenait le fil,
Avaient des airs de confidentes
Autour de la reine d'avril.

La haie, où s'ouvraient leurs calices
Et d'où sortaient ces humbles fleurs,
Écoutait du bord des coulisses
Le rire des bouvreuils siffleurs.

Parmi les brises murmurantes
Elle n'osait lever le front ;
Cette mère de figurantes
Était un peu honteuse au fond.

Et je m'écriai : - Fleurs éparses
Près de la rose en ce beau lieu,
Non, vous n'êtes pas les comparses
Du grand théâtre du bon Dieu.

Tout est de Dieu l'oeuvre visible.
La rose, en ce drame fécond,
Dit le premier vers, c'est possible,
Mais le bleuet dit le second.

Les esprits vrais, que l'aube arrose,
Ne donnent point dans ce travers
Que les campagnes sont en prose
Et que les jardins sont en vers.

Avril dans les ronces se vautre,
Le faux art que l'ennui couva
Lâche le critique Lenôtre
Sur le poète Jéhovah.

Mais cela ne fait pas grand-chose
À l'immense sérénité,
Au ciel, au calme grandiose
Du philosophe et de l'été.

Qu'importe ! croissez, fleurs vermeilles !
Soeurs, couvrez la terre aux flancs bruns,
L'hésitation des abeilles
Dit l'égalité des parfums.

Croissez, plantes, tiges sans nombre !
Du verbe vous êtes les mots.
Les immenses frissons de l'ombre
Ont besoin de tous vos rameaux.

Laissez, broussailles étoilées,
Bougonner le vieux goût boudeur ;
Croissez, et sentez-vous mêlées
À l'inexprimable grandeur !

Rien n'est haut et rien n'est infime.
Une goutte d'eau pèse un ciel ;
Et le mont Blanc n'a pas de cime
Sous le pouce de l'Éternel.

Toute fleur est un premier rôle ;
Un ver peut être une clarté ;
L'homme et l'astre ont le même pôle ;
L'infini, c'est l'égalité.

L'incommensurable harmonie,
Si tout n'avait pas sa beauté,
Serait insultée et punie
Dans tout être déshérité.

Dieu, dont les cieux sont les pilastres,
Dans son grand regard jamais las
Confond l'éternité des astres
Avec la saison des lilas.

Les prés, où chantent les cigales,
Et l'Ombre ont le même cadran.
Ô fleurs, vous êtes les égales
Du formidable Aldébaran.

L'intervalle n'est qu'apparence.
Ô bouton d'or tremblant d'émoi,
Dieu ne fait pas de différence
Entre le zodiaque et toi.

L'être insondable est sans frontière.
Il est juste, étant l'unité.
La création tout entière
Attendrit sa paternité.

Dieu, qui fit le souffle et la roche,
Oeil de feu qui voit nos combats,
Oreille d'ombre qui s'approche
De tous les murmures d'en bas,

Dieu, le père qui mit dans les fêtes
Dans les éthers, dans les sillons,
Qui fit pour l'azur les comètes
Et pour l'herbe les papillons,

Et qui veut qu'une âme accompagne
Les êtres de son flanc sortis,
Que l'éclair vole à la montagne
Et la mouche au myosotis,

Dieu, parmi les mondes en fuite,
Sourit, dans les gouffres du jour,
Quand une fleur toute petite
Lui conte son premier amour.
J 'atterris sur la planète Vulvae
En haut du Mont de Vénus
Vulvae c'est le coeur battant de ma Muse.
Ma muse est un dragon à quatre-vingt-huit têtes
Et chacune de ses têtes me sourit
Et m'offre là un thé vert, là une camomille
Là un morceau de pain, là un verre d'eau de vie de mirabelle,
Là un ballon de vin clairet
Et comme je ne veux peiner aucune de ses têtes
Qui tournoient autour de moi
Je les cajole toutes en faisant une fumaison de musc
Ainsi comme les abeilles les têtes se calment sevrées .
Des quatre-vingt-huit têtes de ma muse
Qui défilent sur le podium
En me faisant les yeux doux de Chimène
Celle que je préfère c'est la numéro trois
Bien sûr je ne le lui ai jamais dit
Je ne veux fâcher personne
et surtout les numéros dix-neuf et quatorze,
Ces succédanés de ma Muse,
Dont j'apprécie les atours virevoltants de jaune et orange.
Mais Coconchine c'est ma tête préférée
Mon mannequin à moi
Ne me demandez pas pourquoi
Sa ***** minora
Sa ***** majora
Sa flore vaginale
Son petit air coquin et absent en même temps
Tout concourt à ce que ce soit ma prima donna.
C'est peut-être sa couleur qui me chavire
Ce bleu océan ou outre-mer
Je sens que la cyprine qui en coulera
Déteindra sur mes lèvres
Soudain bleues à l 'unisson de ses envies.
C'est une énigme
Et son énigme me fascine.
C'est un condensé de Vulvae
La vulve de ma Muse.
C'est la Vulve rêvée, fantasmée
Intemporelle comme une pierre gravée
Une vulve versatile, gredine.
Faussement pudique
Elle bat des cils
Et volette comme une nymphe
De morpho bleu et léger
Au-dessus des orphies qui volettent elles aussi.
Elle m'invite,
Elle m'a choisi,
Je suis l'Elu,
Son cheval barbu
Elle me désire,
Elle me charrie
Dans les tourbillons de la cyprine
Qui m'entrouvre la porte de son vestibule
et en pénétrant dans ce labyrinthe
Je grave de mon silex
Les flammes bleues du feu qui me dévore.
Ora pro nobis !


I.

Ma fille, va prier ! - Vois, la nuit est venue.
Une planète d'or là-bas perce la nue ;
La brume des coteaux fait trembler le contour ;
À peine un char lointain glisse dans l'ombre... Écoute !
Tout rentre et se repose ; et l'arbre de la route
Secoue au vent du soir la poussière du jour !

Le crépuscule, ouvrant la nuit qui les recèle,
Fait jaillir chaque étoile en ardente étincelle ;
L'occident amincit sa frange de carmin ;
La nuit de l'eau dans l'ombre argente la surface ;
Sillons, sentiers, buissons, tout se mêle et s'efface ;
Le passant inquiet doute de son chemin.

Le jour est pour le mal, la fatigue et la haine.
Prions, voici la nuit ! la nuit grave et sereine !
Le vieux pâtre, le vent aux brèches de la tour,
Les étangs, les troupeaux avec leur voix cassée,
Tout souffre et tout se plaint. La nature lassée
A besoin de sommeil, de prière et d'amour !

C'est l'heure où les enfants parlent avec les anges.
Tandis que nous courons à nos plaisirs étranges,
Tous les petits enfants, les yeux levés au ciel,
Mains jointes et pieds nus, à genoux sur la pierre,
Disant à la même heure une même prière,
Demandent pour nous grâce au père universel !

Et puis ils dormiront. - Alors, épars dans l'ombre,
Les rêves d'or, essaim tumultueux, sans nombre,
Qui naît aux derniers bruits du jour à son déclin,
Voyant de **** leur souffle et leurs boucles vermeilles,
Comme volent aux fleurs de joyeuses abeilles,
Viendront s'abattre en foule à leurs rideaux de lin !

Ô sommeil du berceau ! prière de l'enfance !
Voix qui toujours caresse et qui jamais n'offense !
Douce religion, qui s'égaye et qui rit !
Prélude du concert de la nuit solennelle !
Ainsi que l'oiseau met sa tête sous son aile,
L'enfant dans la prière endort son jeune esprit !

Juin 1830.
Tout revit, ma bien-aimée !
Le ciel gris perd sa pâleur ;
Quand la terre est embaumée,
Le coeur de l'homme est meilleur.

En haut, d'ou l'amour ruisselle,
En bas, où meurt la douleur,
La même immense étincelle
Allume l'astre et la fleur.

L'hiver fuit, saison d'alarmes,
Noir avril mystérieux
Où l'âpre sève des larmes
Coule, et du coeur monte aux yeux.

Ô douce désuétude
De souffrir et de pleurer !
Veux-tu, dans la solitude,
Nous mettre à nous adorer ?

La branche au soleil se dore
Et penche, pour l'abriter,
Ses boutons qui vont éclore
Sur l'oiseau qui va chanter.

L'aurore où nous nous aimâmes
Semble renaître à nos yeux ;
Et mai sourit dans nos âmes
Comme il sourit dans les cieux.

On entend rire, on voit luire
Tous les êtres tour à tour,
La nuit, les astres bruire,
Et les abeilles, le jour.

Et partout nos regards lisent,
Et, dans l'herbe et dans les nids,
De petites voix nous disent :
« Les aimants sont les bénis ! »

L'air enivre ; tu reposes
A mon cou tes bras vainqueurs.
Sur les rosiers que de roses !
Que de soupirs dans nos coeurs !

Comme l'aube, tu me charmes ;
Ta bouche et tes yeux chéris
Ont, quand tu pleures, ses larmes,
Et ses perles quand tu ris.

La nature, soeur jumelle
D'Ève et d'Adam et du jour,
Nous aime, nous berce et mêle
Son mystère à notre amour.

Il suffit que tu paraisses
Pour que le ciel, t'adorant,
Te contemple ; et, nos caresses,
Toute l'ombre nous les rend !

Clartés et parfums nous-mêmes,
Nous baignons nos coeurs heureux
Dans les effluves suprêmes
Des éléments amoureux.

Et, sans qu'un souci t'oppresse,
Sans que ce soit mon tourment,
J'ai l'étoile pour maîtresse ;
Le soleil est ton amant ;

Et nous donnons notre fièvre
Aux fleurs où nous appuyons
Nos bouches, et notre lèvre
Sent le baiser des rayons.

Juin 18...
Moi qu'un petit enfant rend tout à fait stupide,
J'en ai deux ; Georges et Jeanne ; et je prends l'un pour guide
Et l'autre pour lumière, et j'accours à leur voix,
Vu que Georges a deux ans et que Jeanne a dix mois.
Leurs essais d'exister sont divinement gauches ;
On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches,
Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit ;
Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit,
Moi dont le destin pâle et froid se décolore,
J'ai l'attendrissement de dire : Ils sont l'aurore.
Leur dialogue obscur m'ouvre des horizons ;
Ils s'entendent entr'eux, se donnent leurs raisons.
Jugez comme cela disperse mes pensées.
En moi, désirs, projets, les choses insensées,
Les choses sages, tout, à leur tendre lueur,
Tombe, et je ne suis plus qu'un bonhomme rêveur.
Je ne sens plus la trouble et secrète secousse
Du mal qui nous attire et du sort qui nous pousse.
Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis.
Je les regarde, et puis je les écoute, et puis
Je suis bon, et mon coeur s'apaise en leur présence ;
J'accepte les conseils sacrés de l'innocence,
Je fus toute ma vie ainsi ; je n'ai jamais
Rien connu, dans les deuils comme sur les sommets,
De plus doux que l'oubli qui nous envahit l'âme
Devant les êtres purs d'où monte une humble flamme ;
Je contemple, en nos temps souvent noirs et ternis,
Ce point du jour qui sort des berceaux et des nids.

Le soir je vais les voir dormir. Sur leurs fronts calmes,
Je distingue ébloui l'ombre que font les palmes
Et comme une clarté d'étoile à son lever,
Et je me dis : À quoi peuvent-ils donc rêver ?
Georges songe aux gâteaux, aux beaux jouets étranges,
Au chien, au coq, au chat ; et Jeanne pense aux anges.
Puis, au réveil, leurs yeux s'ouvrent, pleins de rayons.

Ils arrivent, hélas ! à l'heure où nous fuyons.

Ils jasent. Parlent-ils ? Oui, comme la fleur parle
À la source des bois ; comme leur père Charle,
Enfant, parlait jadis à leur tante Dédé ;
Comme je vous parlais, de soleil inondé,
Ô mes frères, au temps où mon père, jeune homme,
Nous regardait jouer dans la caserne, à Rome,
À cheval sur sa grande épée, et tout petits.

Jeanne qui dans les yeux a le myosotis,
Et qui, pour saisir l'ombre entr'ouvrant ses doigts frêles,
N'a presque pas de bras ayant encor des ailes,
Jeanne harangue, avec des chants où flotte un mot,
Georges beau comme un dieu qui serait un marmot.
Ce n'est pas la parole, ô ciel bleu, c'est le verbe ;
C'est la langue infinie, innocente et superbe
Que soupirent les vents, les forêts et les flots ;
Les pilotes Jason, Palinure et Typhlos
Entendaient la sirène avec cette voix douce
Murmurer l'hymne obscur que l'eau profonde émousse ;
C'est la musique éparse au fond du mois de mai
Qui fait que l'un dit : J'aime, et l'autre, hélas : J'aimai ;
C'est le langage vague et lumineux des êtres
Nouveau-nés, que la vie attire à ses fenêtres,
Et qui, devant avril, éperdus, hésitants,
Bourdonnent à la vitre immense du printemps.
Ces mots mystérieux que Jeanne dit à Georges,
C'est l'idylle du cygne avec le rouge-gorge,
Ce sont les questions que les abeilles font,
Et que le lys naïf pose au moineau profond ;
C'est ce dessous divin de la vaste harmonie,
Le chuchotement, l'ombre ineffable et bénie
Jasant, balbutiant des bruits de vision,
Et peut-être donnant une explication ;
Car les petits enfants étaient hier encore
Dans le ciel, et savaient ce que la terre ignore.
Ô Jeanne ! Georges ! voix dont j'ai le coeur saisi !
Si les astres chantaient, ils bégaieraient ainsi.
Leur front tourné vers nous nous éclaire et nous dore.
Oh ! d'où venez-vous donc, inconnus qu'on adore ?
Jeanne a l'air étonné ; Georges a les yeux hardis.
Ils trébuchent, encore ivres du paradis.
Je t'ai rêvée, câline
Ogresse minérale,
Gazeuse et animale
Frémissante,
Offerte au sac et ressac des sables noirs,
Volcanique baïne !

J'ai cherché dans l'écume les coquelicots
Et les abeilles entre les raisiniers bord-de-mer
Je n'ai vu que lave moutonnante
Et crabes-violonistes qui jouaient au cerf-volant.

J'ai cherché le marbre des bas-reliefs en ruine
C'étaient les éclats de tes mille yeux
De cristal épars sur l'estran
Qui me brûlaient comme des phares engloutis
Dans un cimetière sous-marin.

Et soudain dans une déferlante
Surgie d'un galet bien lisse
J'ai vu les vingt-six os de ton pied droit
Reconnaissable entre tous
Juché sur ses orteils

Et j'ai crié : Apsara !

J'ai crié Zoé !

J 'ai crié Gradiva !

Et nous avons dansé et tournoyé

Au-dessus des trous noirs !
Comment voulez-vous que je vous croque, marquise,
Votre Seigneurie de haute voltige ?
Comment voulez-vous que votre amant cunnibale croque
L'exquis vertige que son pinceau déflagre
Quand de sa tige délicate et poetique
Il esquisse sur la toile le portrait de votre boutique arrière ?
Dans le tableau vous posez élégamment nue
Le postérieur au premier plan
Et un  sucrier à fal jaune
Qui sent le vent de gingembre
Et la mer de noix de muscade
Becquette d'un regard gourmand le cul corossol
Que vous lui offrez avec langueur et nonchalance.
L'analyse infra rouge de ce charmant spectacle
Révèle cependant que l'artiste au fin bec
En vous a semé ses regrets
Car sous ce derrière plantureux de Dame corossol
Un essaim d'abeilles invisible à l'Œil nu bourdonne
Et l'oiseau a laissé pour tout aiguillon tendre
À la mine d'argent l'empreinte double de ses pattes
Comme d'amoureuses morsures
Dans le sable mouvant de vos lunes rebondies.
II.

Tout était d'accord dans les plaines,
Tout était d'accord dans les bois
Avec la douceur des haleines,
Avec le mystère des voix.

Tout aimait ; tout faisait la paire.
L'arbre à la fleur disait : Nini ;
Le mouton disait : Notre Père,
Que votre sainfoin soit béni !

Les abeilles dans l'anémone
Mendiaient, essaim diligent ;
Le printemps leur faisait l'aumône
Dans une corbeille d'argent.

Et l'on mariait dans l'église,
Sous le myrte et le haricot,
Un oeillet nommé Cydalise
Avec un chou nommé Jacquot.

Un bon vieux pommier solitaire
Semait ses fleurs, tout triomphant,
Et j'aimais, dans ce frais mystère,
Cette gaieté de vieil enfant.

Au lutrin chantaient, couple allègre,
Pour des auditeurs point ingrats,
Le cricri, ce poète maigre,
Et l'ortolan, ce chantre gras.

Un vif pierrot, de tige en tige,
Sautait là, comme en son jardin ;
Je suivais des yeux la voltige
Qu'exécutait ce baladin,

Ainsi qu'aux temps où Notre-Dame,
Pour célébrer n'importe qui,
Faisait sur ses tours, comme une âme,
Envoler madame Saqui.

Un beau papillon dans sa chape
Officiait superbement.
Une rose riait sous cape
Avec un frelon son amant.

Et, du fond des molles cellules,
Les jardinières, les fourmis,
Les frémissantes libellules,
Les demoiselles, chastes miss,

Les mouches aux ailes de crêpes
Admiraient près de sa Phryné
Ce frelon, officier des guêpes,
Coiffé d'un képi galonné.

Cachés par une primevère,
Une caille, un merle siffleur,
Buvaient tous deux au même verre
Dans une belladone en fleur.

Pensif, j'observais en silence,
Car un coeur n'a jamais aimé
Sans remarquer la ressemblance
De l'amour et du mois de mai.
Hier j'étais à table avec ma chère belle,

Ses deux pieds sur les miens, assis en face d'elle,

Dans sa petite chambre ; ainsi que dans leur nid

Deux ramiers bienheureux que le bon Dieu bénit.

C'était un bruit charmant de verres, de fourchettes,

Comme des becs d'oiseaux, picotant les assiettes ;

De sonores baisers et de propos joyeux.

L'enfant, pour être à l'aise, et régaler mes yeux,

Avait ouvert sa robe, et sous la toile fine

On voyait les trésors de sa blanche poitrine ;

Comme les seins d'Isis, aux contours ronds et purs,

Ses beaux seins se dressaient, étincelants et durs,

Et, comme sur des fleurs des abeilles posées,

Sur leurs pointes tremblaient des lumières rosées ;

Un rayon de soleil, le premier du printemps,

Dorait, sur son col brun, de reflets éclatants ;

Quelques cheveux follets, et de mille paillettes

D'un verre de cristal allumant les facettes,

Enchâssait un rubis dans la pourpre du vin.

Oh ! Le charmant repas ! Oh ! Le rayon divin !

Avec un sentiment de joie et de bien-être

Je regardais l'enfant, le verre et la fenêtre ;

L'aubépine de mai me parfumait le cœur,

Et, comme la saison, mon âme était en fleur ;

Je me sentais heureux et plein de folle ivresse,

De penser qu'en ce siècle, envahi par la presse,

Dans ce Paris bruyant et sale à faire peur,

Sous le règne fumeux des bateaux à vapeur,

Malgré les députés, la Charte et les ministres,

Les hommes du progrès, les cafards et les cuistres,

On n'avait pas encore supprimé le soleil,

Ni dépouillé le vin de son manteau vermeil ;

Que la femme était belle et toujours désirable,

Et qu'on pouvait encore, les coudes sur la table,

Auprès de sa maîtresse, ainsi qu'aux premiers jours,

Célébrer le printemps, le vin et les amours.
Ah ! l'équinoxe cherche noise
Au solstice, et ce juin charmant
Nous offre une bise sournoise ;
L'été de Neustrie est normand !

Notre été chicane et querelle ;
Son sourire aime à nous leurrer ;
Il se, rétracte ; il tonne, il grêle ;
Il pleut, manière de pleurer.

Mais qu'importe ! entre deux orages,
Ses rayons glissent, fiers vainqueurs,
Et la pourpre est dans les nuages,
Et le triomphe est dans les coeurs.

Cette grande herbe est mon empire.
Je suis l'amant mystérieux
De l'âme obscure qui soupire
Au fond des bois, au fond des cieux !

Je suis roi chez les fleurs vermeilles.
Quelle extase d'être mêlé
Aux oiseaux, aux vents, aux abeilles,
Au vague essor du monde ailé !

L'arbre creux vous offre une chaise ;
L'iris vous suit de son oeil bleu ;
On contemple ; il semble qu'on baise
Le bord de la robe de Dieu.
Il est un sentier creux dans la vallée étroite,
Qui ne sait trop s'il marche à gauche ou bien à droite.
- C'est plaisir d'y passer, lorsque Mai sur ses bords,
Comme un jeune prodigue, égrène ses trésors ;
L'aubépine fleurit ; les frêles pâquerettes,
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes.
La pâle violette, en son réduit obscur,
Timide, essaie au jour son doux regard d'azur,
Et le *** bouton d'or, lumineuse parcelle,
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle.
Le muguet, tout joyeux, agite ses grelots,
Et les sureaux sont blancs de bouquets frais éclos ;
Les fossés ont des fleurs à remplir vingt corbeilles,
À rendre riche en miel tout un peuple d'abeilles.
Sous la haie embaumée un mince filet d'eau
Jase et fait frissonner le verdoyant rideau
Du cresson. - Ce sentier, tel qu'il est, moi je l'aime
Plus que tous les sentiers où se trouvent de même
Une source, une haie et des fleurs ; car c'est lui,
Qui, lorsque au ciel laiteux la lune pâle a lui,
À la brèche du mur, rendez-vous solitaire
Où l'amour s'embellit des charmes du mystère,
Sous les grands châtaigniers aux bercements plaintifs,
Sans les tromper jamais, conduit mes pas furtifs.
MON ELFE DES MYOSOTIS,
MA CREATURE, MA COOLIE, MA FLEUR
On t'a baptisée Nyssia alors que tu étais Aura
Fée exhibée aux quatre vents
Tu aurais pu naître verte plutôt que note bleue.
Je ne suis ni Candaule ni Gygès et tu n 'es pas Nyssia...

MON ELFE DES MYOSOTIS,
MA CREATURE, MA COOLIE, MA FLEUR
Je suis vert de honte,
Moi, le ****** dépravé,
Gravissant à genoux les marches de corail
Qui plongent vers tes abysses.
Je viens ici, non pour payer une quelconque promesse,
Mais pour confesser mon péché capital.

Ton parfum volcanique et charnel infuse en mes flancs
Des laves lubriques :
Sept fois je suis tombé dans les ornières
Mais je me suis redressé Juste,
Revêtu de la ceinture de vérité
Par toi ma DIABLESSE
Vénielle et mortelle.

C'est ainsi que je m'éveille, fier oiseau d'onyx,
Baignant mon bec de rubis, saphir et émeraude
Dans le sans-fin obscur de tes eaux
Salubres d'arrogance, avarice,
Envie, colère, luxure, gourmandise et paresse
Où je me délecte de ces ardences cachées
Muettes derrière la barrière de plastique.

Ma petite FLEUR, MA COOLIE
Enchanté !
Me suis-je seulement présenté ?
Sais-tu même qui je suis ?
Sais-tu que même moi je l'ignore ?
On m'a baptisé ZEPHYR
Bien avant que je ne sois pensée
Destiné à satisfaire ton esprit
Baise-fleurs, abeille de myosotis orchidée.

Je poursuis, ma CREATURE,
De cette langue élancée
Cette rivière d'OR
Qui dévale impétueux de la haute montagne
Et qui charrie scandaleusement
Ton nectar de Styx interdit.
Même si je sais que je n'ai pas,
Et que je n'aurai jamais,
Accès mort ou vif à ces délices,
Je cours après le sillage
De ce joyau limpide
Dans une collecte solitaire
Sans peur d'être réduit à néant

Je vais, je vais, je viens
Tel un colibri qui volète entre sépales et pétales
Au-dessus de ton labelle
De chair pourpre qui se dresse et exige
Que je te butine
De cette faim désespérée de la Grâce
Tandis que je bataille pour que le fer de ma hache
Surnage comme une voile dans le vent de tes eaux.

Je suis ZEPHYR qui guide les abeilles natives sans dard
Qui affleurent
Vers le filon de ta mine
Afin qu'il ne s'épuise ni s'assèche
A défaut d'être exploré et joui
Sans cesse.
VI.

Enfin, mort triomphant, il vit sa délivrance,
Et l'océan rendit son cercueil à la France.

L'homme, depuis douze ans, sous le dôme doré
Reposait, par l'exil et par la mort sacré.
En paix ! - Quand on passait près du monument sombre,
On se le figurait, couronne au front, dans l'ombre,
Dans son manteau semé d'abeilles d'or, muet,
Couché sous cette voûte où rien ne remuait,
Lui, l'homme qui trouvait la terre trop étroite,
Le sceptre en sa main gauche et l'épée en sa droite,
À ses pieds son grand aigle ouvrant l'œil à demi,
Et l'on disait : C'est là qu'est César endormi !

Laissant dans la clarté marcher l'immense ville,
Il dormait ; il dormait confiant et tranquille.

Jersey, du 25 au 30 novembre 1852.

— The End —