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V.

Ce n'est pas à moi, ma colombe,
De prier pour tous les mortels,
Pour les vivants dont la foi tombe,
Pour tous ceux qu'enferme la tombe,
Cette racine des autels !

Ce n'est pas moi, dont l'âme est vaine,
Pleine d'erreurs, vide de foi,
Qui prierais pour la race humaine,
Puisque ma voix suffit à peine,
Seigneur, à vous prier pour moi !

Non, si pour la terre méchante
Quelqu'un peut prier aujourd'hui,
C'est toi, dont la parole chante,
C'est toi ! ta prière innocente,
Enfant, peut se charger d'autrui !

Ah ! demande à ce père auguste
Qui sourit à ton oraison
Pourquoi l'arbre étouffe l'arbuste,
Et qui fait du juste à l'injuste
Chanceler l'humaine raison ?

Demande-lui si la sagesse
N'appartient qu'à l'éternité ?
Pourquoi son souffle nous abaisse ?
Pourquoi dans la tombe sans cesse
Il effeuille l'humanité ?

Pour ceux que les vices consument,
Les enfants veillent au saint lieu ,
Ce sont des fleurs qui le parfument,
Ce sont des encensoirs qui fument,
Ce sont des voix qui vont à Dieu !

Laissons faire ces voix sublimes,
Laissons les enfants à genoux.
Pécheurs ! nous avons tous nos crimes,
Nous penchons tous sur les abîmes,
L'enfance doit prier pour tous !

Mai 1830.
I.

Le ciel est calme et pur, la terre lui ressemble ;
Elle offre avec orgueil au soleil radieux
L'essaim tourbillonnant de ses enfants heureux.
Dans les parvis sacrés, la foule se rassemble.
Ô vous.... qui vous aimez et qui restez ensemble !
Vous qui pouvez encor prier en souriant,
Un mot à Dieu pour ceux qui pleurent en priant,
Vous qui restez ensemble !

Soleil ! du voyageur, toi, le divin secours,
En tous lieux brilles-tu comme au ciel de la France ?
N'as-tu pas en secret, parfois, de préférence,
Comme un cœur a souvent de secrètes amours ?
Ou, pour tous les pays, as-tu donc de beaux jours ?
Oh ! d'un rayon ami, protège le voyage !
Sur le triste exilé qui fuit **** du rivage,
Soleil, brille toujours !

Brise de nos printemps, qui courbes chaque branche,
Dont le souffle léger vient caresser les fleurs
Et s'imprègne en passant de leurs fraîches odeurs !
Au ****, du faible esquif qui s'incline et se penche,
Enfles-tu doucement l'humide voile blanche ?
Brise, sois douce et bonne au vaisseau qui s'enfuit ;
Comme un ange gardien, surveille jour et nuit
L'humide voile blanche.

Mer, dont l'immensité se dérobe à mes yeux !
Arrête la fureur de ta vague écumante,
Étouffe l'ouragan dont la voix se lamente,
Endors tes flots profonds, sombre miroir des cieux.
Que ton onde sommeille à l'heure des adieux ;
Renferme dans ton sein le vent de la tempête,
Et reçois mon ami, comme un ami qu'on fête,
À l'heure des adieux.

Mais pourquoi de la mer implorer la clémence,
Quand l'univers entier obéit au Seigneur ?
C'est lui qu'il faut prier quand se brise le cœur,
Quand sur nos fronts pâlis vient planer la souffrance,
Quand, pour nos yeux en pleurs, ton aurore commence,
Ô toi, de tous nos jours le jour le plus affreux,
- Que l'on achève seul, que l'on commence à deux
Premier jour de l'absence !

Mais n'est-il pas, mon Dieu ! dans tes divins séjours,
Un ange qui protège à l'ombre de ses ailes
Tous les amours bénis par tes mains paternelles :
Le bon ange, ô mon Dieu, des fidèles amours !
Il s'attriste aux départs et sourit aux retours,
Il rend au pèlerin la route plus unie ;
Oh ! veille donc sur lui, toi qui m'as tant bénie,
Bon ange des amours !

Le ciel est calme et pur, la terre lui ressemble ;
Elle offre avec orgueil au soleil radieux
L'essaim tourbillonnant de ses enfants heureux ;
Dans les parvis sacrés, la foule se rassemble.
Ô vous qui vous aimez et qui restez ensemble,
Vous qui pouvez encor prier en souriant,
Un mot à Dieu pour ceux qui pleurent en priant,
Vous qui restez ensemble !

II.

Voici l'heure du bal ; allez, hâtez vos pas !
De ces fleurs sans parfums couronnez voire tête ;
Allez danser ! mon cœur ne vous enviera pas.
Il est dans le silence aussi des jours de fête,
Et des chants intérieurs que vous n'entendez pas !...

Oh ! laissez-moi rêver, ne plaignez pas mes larmes !
Si souvent, dans le monde, on rit sans être heureux,
Que pleurer d'un regret est parfois plein de charmes,
Et vaut mieux qu'un bonheur qui ment à tous les yeux.

Je connais du plaisir le beau masque hypocrite,
La voix au timbre faux, et le rire trompeur
Que vos pleurs en secret vont remplacer bien vite,
Comme un fer retiré des blessures du cœur !

Pour moi, du moins, les pleurs n'ont pas besoin de voile ;
Sur mon front, ma douleur - comme au ciel, une étoile !

Béni sois-tu, Seigneur, qui vers de saints amours,
Toi-même, pour mon cœur, fraya la douce pente,
Comme en des champs fleuris, de l'onde murmurante
La main du laboureur sait diriger le cours !

Oh ! laissez-moi rêver **** du bal qui s'apprête ;
De ces fleurs sans parfums couronnez votre tête,
Allez danser ! mon cœur ne vous enviera pas.
Il est dans le silence aussi des jours de fête,
Et des chants intérieurs que vous n'entendez pas.

Oui, laissez-moi rêver, pour garder souvenance
Du dernier mot d'adieu qui précéda l'absence ;
Laissez vibrer en moi, dans l'ombre et **** du bruit,
Ce triste et doux écho qui me reste de lui !

Plus ****, on me verra me mêler à la foule ;
Mais dans son noir chaos où notre âme s'endort,
Où notre esprit s'éteint, - c'est un bonheur encor
D'espérer au delà de l'heure qui s'écoule,
D'attendre un jour parmi tous les jours à venir,
De marcher grave et triste au milieu de la foule,
Au front, une pensée ; au cœur, un souvenir !

III.

Tu me fuis, belle Étoile, Étoile du retour !
Toi, que mon cœur brisé cherchait avec amour,
Tu quittes l'horizon qu'obscurcit un nuage,
Tu disparais du ciel, tu fuis devant l'orage.
Depuis deux ans, pourtant, partout je te cherchais !
Les yeux fixés sur toi, j'espérais... je marchais.
Comme un phare brillant d'une lumière amie,
De ton espoir lointain, s'illuminait ma vie ;
J'avançais à ton jour, tu m'indiquais le port ;
Pour arriver vers toi, je redoublais d'effort.
De chacun de mes pas je comptais la distance,
Je disais : « C'est une heure ôtée à la souffrance ;
C'est une heure de moins, entre ce sombre jour
Et le jour radieux qui verra son retour ! »

Étoile d'espérance, appui d'une pauvre âme,
Pourquoi lui ravis-tu ta lumineuse flamme ?
Mon vol s'est arrêté dans ces obscurs déserts,
Mon aile vainement s'agite dans les airs ;
La nuit règne partout. - Sans lumière et sans guide,
En vain, vers l'Orient, de mon regard avide
J'appelle le soleil, qui chaque jour y luit...
Le soleil ne doit pas se lever aujourd'hui !
J'attends, et tour à tour ou je tremble ou j'espère.
Le vent souffle du ciel ou souffle de la terre ;
Il m'emporte à son gré dans son cours tortueux :
Ainsi, tourbillonnant, une feuille légère
Passe d'un noir ravin au calme azur des cieux.

Comme aux buissons l'agneau laisse un peu de sa laine,
Mon âme fatiguée, en sa course incertaine,
À force de douleurs perd l'espoir et la foi,
Et ne sait plus, mon Dieu, lever les yeux vers toi.
Étoile du retour, dissipe les orages !
Toi que j'ai tant priée, écarte les nuages !
Reviens à l'horizon me rendre le bonheur,
Et, du ciel où tu luis à côté du Seigneur,
Fais descendre, le soir, un rayon d'espérance
Sur les cœurs pleins d'amour que déchire l'absence !
Eh quoi ! prier déjà.... tu bégayes encore ;
De la vie, ici-bas, tu n'as vu que l'aurore ;
Pour loi, le beau printemps n'est venu que deux fois ;
À peine connaît-on le doux son de ta voix.
Et cependant, docile aux leçons d'une mère,
Tu bégayes déjà quelques mots de prière !
Oh ! laisse la prière au cœur des malheureux,
Et toi, petit enfant, va reprendre tes jeux !

Pourvu qu'à ton réveil, s'échappant de sa cage,
L'oiseau qui te connaît commence son ramage,
Qu'il reste près de toi ; que d'un bouquet nouveau,
Ta mère, en souriant, vienne orner ton berceau ;
Pourvu que vers le soir, sa voix mélodieuse
T'endorme doucement, ou que, silencieuse,
Elle ébranle ta couche, et d'un léger effort,
En longs balancements t'endorme mieux encor :
C'est là tout le bonheur de ta paisible enfance.
Et comment prierais-tu ? tu n'as pas d'espérance !
À ton âge charmant, l'existence est un jour,
Où le rire et les pleurs s'effacent tour à tour.

Plus ****, petit enfant, poursuivant ton voyage,
Ton cœur s'agitera du trouble du jeune âge ;
Tu sentiras alors les charmes enivrants
De nos illusions, rêves purs et charmants.
Un doux espoir, ainsi qu'une ombre fugitive,
Apparaîtra soudain à ton âme naïve,
Te faisant pressentir l'amour et le bonheur...
Alors, il sera temps de prier le Seigneur !

À genoux devant lui, plein de foi, d'espérance,
On dit tout sans parler ; - Dieu comprend le silence.
Ô mon Dieu ! que l'on aime à vous prier longtemps,
Lorsqu'on veut être heureux et que l'on a seize ans !

Car, hélas ! jeune enfant, pendant le long voyage,
Nous n'avons pas toujours un beau ciel sans nuage ;
Le limpide ruisseau qui s'en va murmurant,
Se change bien souvent en horrible torrent,
Et l'aquilon, soufflant sur la barque légère,
Vient la briser, le soir, aux écueils de la terre.
Va jouer, bel enfant !... il te faudra plus ****
Souffrir ainsi que nous : ta vie aura sa part !
Tu verras fuir l'espoir qui venait de paraître ;
Un jour, on t'aimera..., l'on t'oubliera peut-être !...
Ah ! qu'ai-je dit, enfant ? -Suspends, suspends tes jeux
Joins tes petites mains, et regarde les cieux.
J'entrai dernièrement dans une vieille église ;

La nef était déserte, et sur la dalle grise,

Les feux du soir, passant par les vitraux dorés,

Voltigeaient et dansaient, ardemment colorés.

Comme je m'en allais, visitant les chapelles,

Avec tous leurs festons et toutes leurs dentelles,

Dans un coin du jubé j'aperçus un tableau

Représentant un Christ qui me parut très-beau.

On y voyait saint Jean, Madeleine et la Vierge ;

Leurs chairs, d'un ton pareil à la cire de cierge,

Les faisaient ressembler, sur le fond sombre et noir,

A ces fantômes blancs qui se dressent le soir,

Et vont croisant les bras sous leurs draps mortuaires ;

Leurs robes à plis droits, ainsi que des suaires,

S'allongeaient tout d'un jet de leur nuque à leurs pieds ;

Ainsi faits, l'on eût dit qu'ils fussent copiés

Dans le campo-Santo sur quelque fresque antique,

D'un vieux maître Pisan, artiste catholique,

Tant l'on voyait reluire autour de leur beauté,

Le nimbe rayonnant de la mysticité,

Et tant l'on respirait dans leur humble attitude,

Les parfums onctueux de la béatitude.


Sans doute que c'était l'œuvre d'un Allemand,

D'un élève d'Holbein, mort bien obscurément,

A vingt ans, de misère et de mélancolie,

Dans quelque bourg de Flandre, au retour d'Italie ;

Car ses têtes semblaient, avec leur blanche chair,

Un rêve de soleil par une nuit d'hiver.


Je restai bien longtemps dans la même posture,

Pensif, à contempler cette pâle peinture ;

Je regardais le Christ sur son infâme bois,

Pour embrasser le monde, ouvrant les bras en croix ;

Ses pieds meurtris et bleus et ses deux mains clouées,

Ses chairs, par les bourreaux, à coups de fouets trouées,

La blessure livide et béante à son flanc ;

Son front d'ivoire où perle une sueur de sang ;

Son corps blafard, rayé par des lignes vermeilles,

Me faisaient naître au cœur des pitiés nonpareilles,

Et mes yeux débordaient en des ruisseaux de pleurs,

Comme dut en verser la Mère de Douleurs.

Dans l'outremer du ciel les chérubins fidèles,

Se lamentaient en chœur, la face sous leurs ailes,

Et l'un d'eux recueillait, un ciboire à la main,

Le pur-sang de la plaie où boit le genre humain ;

La sainte vierge, au bas, regardait : pauvre mère

Son divin fils en proie à l'agonie amère ;

Madeleine et saint Jean, sous les bras de la croix

Mornes, échevelés, sans soupirs et sans voix,

Plus dégoutants de pleurs qu'après la pluie un arbre,

Étaient debout, pareils à des piliers de marbre.


C'était, certes, un spectacle à faire réfléchir,

Et je sentis mon cou, comme un roseau, fléchir

Sous le vent que faisait l'aile de ma pensée,

Avec le chant du soir, vers le ciel élancée.

Je croisai gravement mes deux bras sur mon sein,

Et je pris mon menton dans le creux de ma main,

Et je me dis : « O Christ ! Tes douleurs sont trop vives ;

Après ton agonie au jardin des Olives,

Il fallait remonter près de ton père, au ciel,

Et nous laisser à nous l'éponge avec le fiel ;

Les clous percent ta chair, et les fleurons d'épines

Entrent profondément dans tes tempes divines.

Tu vas mourir, toi, Dieu, comme un homme. La mort

Recule épouvantée à ce sublime effort ;

Elle a peur de sa proie, elle hésite à la prendre,

Sachant qu'après trois jours il la lui faudra rendre,

Et qu'un ange viendra, qui, radieux et beau,

Lèvera de ses mains la pierre du tombeau ;

Mais tu n'en as pas moins souffert ton agonie,

Adorable victime entre toutes bénie ;

Mais tu n'en a pas moins avec les deux voleurs,

Étendu tes deux bras sur l'arbre de douleurs.


Ô rigoureux destin ! Une pareille vie,

D'une pareille mort si promptement suivie !

Pour tant de maux soufferts, tant d'absinthe et de fiel,

Où donc est le bonheur, le vin doux et le miel ?

La parole d'amour pour compenser l'injure,

Et la bouche qui donne un baiser par blessure ?

Dieu lui-même a besoin quand il est blasphémé,

Pour nous bénir encore de se sentir aimé,

Et tu n'as pas, Jésus, traversé cette terre,

N'ayant jamais pressé sur ton cœur solitaire

Un cœur sincère et pur, et fait ce long chemin

Sans avoir une épaule où reposer ta main,

Sans une âme choisie où répandre avec flamme

Tous les trésors d'amour enfermés dans ton âme.


Ne vous alarmez pas, esprits religieux,

Car l'inspiration descend toujours des cieux,

Et mon ange gardien, quand vint cette pensée,

De son bouclier d'or ne l'a pas repoussée.

C'est l'heure de l'extase où Dieu se laisse voir,

L'Angélus éploré tinte aux cloches du soir ;

Comme aux bras de l'amant, une vierge pâmée,

L'encensoir d'or exhale une haleine embaumée ;

La voix du jour s'éteint, les reflets des vitraux,

Comme des feux follets, passent sur les tombeaux,

Et l'on entend courir, sous les ogives frêles,

Un bruit confus de voix et de battements d'ailes ;

La foi descend des cieux avec l'obscurité ;

L'orgue vibre ; l'écho répond : Eternité !

Et la blanche statue, en sa couche de pierre,

Rapproche ses deux mains et se met en prière.

Comme un captif, brisant les portes du cachot,

L'âme du corps s'échappe et s'élance si haut,

Qu'elle heurte, en son vol, au détour d'un nuage,

L'étoile échevelée et l'archange en voyage ;

Tandis que la raison, avec son pied boiteux,

La regarde d'en-bas se perdre dans les cieux.

C'est à cette heure-là que les divins poètes,

Sentent grandir leur front et deviennent prophètes.


Ô mystère d'amour ! Ô mystère profond !

Abîme inexplicable où l'esprit se confond ;

Qui de nous osera, philosophe ou poète,

Dans cette sombre nuit plonger avant la tête ?

Quelle langue assez haute et quel cœur assez pur,

Pour chanter dignement tout ce poème obscur ?

Qui donc écartera l'aile blanche et dorée,

Dont un ange abritait cette amour ignorée ?

Qui nous dira le nom de cette autre Éloa ?

Et quelle âme, ô Jésus, à t'aimer se voua ?


Murs de Jérusalem, vénérables décombres,

Vous qui les avez vus et couverts de vos ombres,

Ô palmiers du Carmel ! Ô cèdres du Liban !

Apprenez-nous qui donc il aimait mieux que Jean ?

Si vos troncs vermoulus et si vos tours minées,

Dans leur écho fidèle, ont, depuis tant d'années,

Parmi les souvenirs des choses d'autrefois,

Conservé leur mémoire et le son de leur voix ;

Parlez et dites-nous, ô forêts ! ô ruines !

Tout ce que vous savez de ces amours divines !

Dites quels purs éclairs dans leurs yeux reluisaient,

Et quels soupirs ardents de leurs cœurs s'élançaient !

Et toi, Jourdain, réponds, sous les berceaux de palmes,

Quand la lune trempait ses pieds dans tes eaux calmes,

Et que le ciel semait sa face de plus d'yeux,

Que n'en traîne après lui le paon tout radieux ;

Ne les as-tu pas vus sur les fleurs et les mousses,

Glisser en se parlant avec des voix plus douces

Que les roucoulements des colombes de mai,

Que le premier aveu de celle que j'aimai ;

Et dans un pur baiser, symbole du mystère,

Unir la terre au ciel et le ciel à la terre.


Les échos sont muets, et le flot du Jourdain

Murmure sans répondre et passe avec dédain ;

Les morts de Josaphat, troublés dans leur silence,

Se tournent sur leur couche, et le vent frais balance

Au milieu des parfums dans les bras du palmier,

Le chant du rossignol et le nid du ramier.


Frère, mais voyez donc comme la Madeleine

Laisse sur son col blanc couler à flots d'ébène

Ses longs cheveux en pleurs, et comme ses beaux yeux,

Mélancoliquement, se tournent vers les cieux !

Qu'elle est belle ! Jamais, depuis Ève la blonde,

Une telle beauté n'apparut sur le monde ;

Son front est si charmant, son regard est si doux,

Que l'ange qui la garde, amoureux et jaloux,

Quand le désir craintif rôde et s'approche d'elle,

Fait luire son épée et le chasse à coups d'aile.


Ô pâle fleur d'amour éclose au paradis !

Qui répands tes parfums dans nos déserts maudits,

Comment donc as-tu fait, ô fleur ! Pour qu'il te reste

Une couleur si fraîche, une odeur si céleste ?

Comment donc as-tu fait, pauvre sœur du ramier,

Pour te conserver pure au cœur de ce bourbier ?

Quel miracle du ciel, sainte prostituée,

Que ton cœur, cette mer, si souvent remuée,

Des coquilles du bord et du limon impur,

N'ait pas, dans l'ouragan, souillé ses flots d'azur,

Et qu'on ait toujours vu sous leur manteau limpide,

La perle blanche au fond de ton âme candide !

C'est que tout cœur aimant est réhabilité,

Qu'il vous vient une autre âme et que la pureté

Qui remontait au ciel redescend et l'embrasse,

comme à sa sœur coupable une sœur qui fait grâce ;

C'est qu'aimer c'est pleurer, c'est croire, c'est prier ;

C'est que l'amour est saint et peut tout expier.


Mon grand peintre ignoré, sans en savoir les causes,

Dans ton sublime instinct tu comprenais ces choses,

Tu fis de ses yeux noirs ruisseler plus de pleurs ;

Tu gonflas son beau sein de plus hautes douleurs ;

La voyant si coupable et prenant pitié d'elle,

Pour qu'on lui pardonnât, tu l'as faite plus belle,

Et ton pinceau pieux, sur le divin contour,

A promené longtemps ses baisers pleins d'amour ;

Elle est plus belle encore que la vierge Marie,

Et le prêtre, à genoux, qui soupire et qui prie,

Dans sa pieuse extase, hésite entre les deux,

Et ne sait pas laquelle est la reine des cieux.


Ô sainte pécheresse ! Ô grande repentante !

Madeleine, c'est toi que j'eusse pour amante

Dans mes rêves choisie, et toute la beauté,

Tout le rayonnement de la virginité,

Montrant sur son front blanc la blancheur de son âme,

Ne sauraient m'émouvoir, ô femme vraiment femme,

Comme font tes soupirs et les pleurs de tes yeux,

Ineffable rosée à faire envie aux cieux !

Jamais lis de Saron, divine courtisane,

Mirant aux eaux des lacs sa robe diaphane,

N'eut un plus pur éclat ni de plus doux parfums ;

Ton beau front inondé de tes longs cheveux bruns,

Laisse voir, au travers de ta peau transparente,

Le rêve de ton âme et ta pensée errante,

Comme un globe d'albâtre éclairé par dedans !

Ton œil est un foyer dont les rayons ardents

Sous la cendre des cœurs ressuscitent les flammes ;

O la plus amoureuse entre toutes les femmes !

Les séraphins du ciel à peine ont dans le cœur,

Plus d'extase divine et de sainte langueur ;

Et tu pourrais couvrir de ton amour profonde,

Comme d'un manteau d'or la nudité du monde !

Toi seule sais aimer, comme il faut qu'il le soit,

Celui qui t'a marquée au front avec le doigt,

Celui dont tu baignais les pieds de myrrhe pure,

Et qui pour s'essuyer avait ta chevelure ;

Celui qui t'apparut au jardin, pâle encore

D'avoir dormi sa nuit dans le lit de la mort ;

Et, pour te consoler, voulut que la première

Tu le visses rempli de gloire et de lumière.


En faisant ce tableau, Raphaël inconnu,

N'est-ce pas ? Ce penser comme à moi t'est venu,

Et que ta rêverie a sondé ce mystère,

Que je voudrais pouvoir à la fois dire et taire ?

Ô poètes ! Allez prier à cet autel,

A l'heure où le jour baisse, à l'instant solennel,

Quand d'un brouillard d'encens la nef est toute pleine.

Regardez le Jésus et puis la Madeleine ;

Plongez-vous dans votre âme et rêvez au doux bruit

Que font en s'éployant les ailes de la nuit ;

Peut-être un chérubin détaché de la toile,

A vos yeux, un moment, soulèvera le voile,

Et dans un long soupir l'orgue murmurera

L'ineffable secret que ma bouche taira.
I


Mon Dieu m'a dit : Mon fils, il faut m'aimer. Tu vois

Mon flanc percé, mon cœur qui rayonne et qui saigne,

Et mes pieds offensés que Madeleine baigne

De larmes, et mes bras douloureux sous le poids


De tes péchés, et mes mains ! Et tu vois la croix,

Tu vois les clous, le fiel, l'éponge et tout t'enseigne

À n'aimer, en ce monde où la chair règne.

Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.


Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même,

Mon frère en mon Père, ô mon fils en l'Esprit,

Et n'ai-je pas souffert, comme c'était écrit ?


N'ai-je pas sangloté ton angoisse suprême

Et n'ai-je pas sué la sueur de tes nuits,

Lamentable ami qui me cherches où je suis ? »


II


J'ai répondu : Seigneur, vous avez dit mon âme.

C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas.

Mais vous aimer ! Voyez comme je suis en bas,

Vous dont l'amour toujours monte comme la flamme.


Vous, la source de paix que toute soif réclame,

Hélas ! Voyez un peu mes tristes combats !

Oserai-je adorer la trace de vos pas,

Sur ces genoux saignants d'un rampement infâme ?


Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements,

Je voudrais que votre ombre au moins vêtît ma houle,

Mais vous n'avez pas d'ombre, ô vous dont l'amour monte,


Ô vous, fontaine calme, amère aux seuls amants

De leur damnation, ô vous toute lumière

Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupière !


III


- Il faut m'aimer ! Je suis l'universel Baiser,

Je suis cette paupière et je suis cette lèvre

Dont tu parles, ô cher malade, et cette fièvre

Qui t'agite, c'est moi toujours ! il faut oser


M'aimer ! Oui, mon amour monte sans biaiser

Jusqu'où ne grimpe pas ton pauvre amour de chèvre,

Et t'emportera, comme un aigle vole un lièvre,

Vers des serpolets qu'un ciel cher vient arroser.


Ô ma nuit claire ! Ô tes yeux dans mon clair de lune !

Ô ce lit de lumière et d'eau parmi la brune !

Toute celle innocence et tout ce reposoir !


Aime-moi ! Ces deux mots sont mes verbes suprêmes,

Car étant ton Dieu tout-puissant, Je peux vouloir,

Mais je ne veux d'abord que pouvoir que tu m'aimes.


IV


- Seigneur, c'est trop ? Vraiment je n'ose. Aimer qui ? Vous ?

Oh ! non ! Je tremble et n'ose. Oh ! vous aimer je n'ose,

Je ne veux pas ! Je suis indigne. Vous, la Rose

Immense des purs vents de l'Amour, ô Vous, tous


Les cœurs des saints, ô vous qui fûtes le Jaloux

D'Israël, Vous, la chaste abeille qui se pose

Sur la seule fleur d'une innocence mi-close.

Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer. Êtes-vous fous


Père, Fils, Esprit ? Moi, ce pécheur-ci, ce lâche,

Ce superbe, qui fait le mal comme sa tâche

Et n'a dans tous ses sens, odorat, toucher, goût.


Vue, ouïe, et dans tout son être - hélas ! dans tout

Son espoir et dans tout son remords que l'extase

D'une caresse où le seul vieil Adam s'embrase ?


V


- Il faut m'aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,

Je suis l'Adam nouveau qui mange le vieil homme,

Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome,

Comme un pauvre rué parmi d'horribles mets.


Mon amour est le feu qui dévore à jamais

Toute chair insensée, et l'évaporé comme

Un parfum, - et c'est le déluge qui consomme

En son Ilot tout mauvais germe que je semais.


Afin qu'un jour la Croix où je meurs fût dressée

Et que par un miracle effrayant de bonté

Je t'eusse un jour à moi, frémissant et dompté.


Aime. Sors de ta nuit. Aime. C'est ma pensée

De toute éternité, pauvre âme délaissée,

Que tu dusses m'aimer, moi seul qui suis resté !


VI


- Seigneur, j'ai peur. Mon âme en moi tressaille toute.

Je vois, je sens qu'il faut vous aimer. Mais comment

Moi, ceci, me ferais-je, ô mon Dieu, votre amant,

Ô Justice que la vertu des bons redoute ?


Oui, comment ? Car voici que s'ébranle la voûte

Où mon cœur creusait son ensevelissement

Et que je sens fluer à moi le firmament,

Et je vous dis : de vous à moi quelle est la route ?


Tendez-moi votre main, que je puisse lever

Cette chair accroupie et cet esprit malade.

Mais recevoir jamais la céleste accolade.


Est-ce possible ? Un jour, pouvoir la retrouver

Dans votre sein, sur votre cœur qui fut le nôtre,

La place où reposa la tête de l'apôtre ?


VII


- Certes, si tu le veux mériter, mon fils, oui,

Et voici. Laisse aller l'ignorance indécise

De ton cœur vers les bras ouverts de mon Église,

Comme la guêpe vole au lis épanoui.


Approche-toi de mon oreille. Épanches-y

L'humiliation d'une brave franchise.

Dis-moi tout sans un mot d'orgueil ou de reprise

Et m'offre le bouquet d'un repentir choisi.


Puis franchement et simplement viens à ma table.

Et je t'y bénirai d'un repas délectable

Auquel l'ange n'aura lui-même qu'assisté,


Et tu boiras le Vin de la vigne immuable,

Dont la force, dont la douceur, dont la bonté

Feront germer ton sang à l'immortalité.


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Puis, va ! Garde une foi modeste en ce mystère

D'amour par quoi je suis ta chair et ta raison,

Et surtout reviens très souvent dans ma maison,

Pour y participer au Vin qui désaltère.


Au Pain sans qui la vie est une trahison,

Pour y prier mon Père et supplier ma Mère

Qu'il te soit accordé, dans l'exil de la terre,

D'être l'agneau sans cris qui donne sa toison.


D'être l'enfant vêtu de lin et d'innocence,

D'oublier ton pauvre amour-propre et ton essence,

Enfin, de devenir un peu semblable à moi


Qui fus, durant les jours d'Hérode et de Pilate

Et de Judas et de Pierre, pareil à toi

Pour souffrir et mourir d'une mort scélérate !


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Et pour récompenser ton zèle en ces devoirs

Si doux qu'ils sont encore d'ineffables délices,

Je te ferai goûter sur terre mes prémices,

La paix du cœur, l'amour d'être pauvre, et mes soirs -


Mystiques, quand l'esprit s'ouvre aux calmes espoirs

Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice

Éternel, et qu'au ciel pieux la lune glisse,

Et que sonnent les angélus roses et noirs,


En attendant l'assomption dans ma lumière,

L'éveil sans fin dans ma charité coutumière,

La musique de mes louanges à jamais,


Et l'extase perpétuelle et la science.

Et d'être en moi parmi l'aimable irradiance

De tes souffrances, enfin miennes, que j'aimais !


VIII


- Ah ! Seigneur, qu'ai-je ? Hélas ! me voici tout en larmes

D'une joie extraordinaire : votre voix

Me fait comme du bien et du mal à la fois,

Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes.


Je ris, je pleure, et c'est comme un appel aux armes

D'un clairon pour des champs de bataille où je vois

Des anges bleus et blancs portés sur des pavois,

Et ce clairon m'enlève en de fières alarmes.


J'ai l'extase et j'ai la terreur d'être choisi.

Je suis indigne, mais je sais votre clémence.

Ah ! quel effort, mais quelle ardeur ! Et me voici


Plein d'une humble prière, encore qu'un trouble immense

Brouille l'espoir que votre voix me révéla,

Et j'aspire en tremblant.


IX


- Pauvre âme, c'est cela !
I

Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange
Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange,
Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi.

Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi,
Ce livre qui contient le spectre de ma vie,
Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie,
L'ombre et son ouragan, la rose et son pistil,
Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ?
D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ?
Depuis quatre ans, j'habite un tourbillon d'écume ;
Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais ;
Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit. Je vais.
Et, quand j'eus terminé ces pages, quand ce livre
Se mit à palpiter, à respirer, à vivre,
Une église des champs, que le lierre verdit,
Dont la tour sonne l'heure à mon néant, m'a dit :
Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte.
- Je le réclame, a dit la forêt inquiète ;
Et le doux pré fleuri m'a dit : - Donne-le-moi.
La mer, en le voyant frémir, m'a dit : - Pourquoi
Ne pas me le jeter, puisque c'est une voile !
- C'est à moi qu'appartient cet hymne, a dit l'étoile.
- Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents.
Et les oiseaux m'ont dit : - Vas-tu pas aux vivants
Offrir ce livre, éclos si **** de leurs querelles ?
Laisse-nous l'emporter dans nos nids sur nos ailes ! -
Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds !
Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,
Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ;
Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ;
Ni l'église où le temps fait tourner son compas ;
Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas,
L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe,
Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe.

II

Autrefois, quand septembre en larmes revenait,
Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,
Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne !
J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne,
Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,
Sachant bien que j'irais où je devais aller ;
Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre !
Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre,
Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,
J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais.
Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines !
Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines,
Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir
Avec l'avidité morne du désespoir ;
Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ;
Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,
L'oeil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ;
Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient !
Les ronces écartaient leurs branches desséchées ;
Je marchais à travers les humbles croix penchées,
Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ;
Et je m'agenouillais au milieu des rameaux
Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure.
Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure
Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ?

Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets,
Et disaient : Qu'est-ce donc que cet homme qui songe ?
Et le jour, et le soir, et l'ombre qui s'allonge,
Et Vénus, qui pour moi jadis étincela,
Tout avait disparu que j'étais encor là.
J'étais là, suppliant celui qui nous exauce ;
J'adorais, je laissais tomber sur cette fosse,
Hélas ! où j'avais vu s'évanouir mes cieux,
Tout mon coeur goutte à goutte en pleurs silencieux ;
J'effeuillais de la sauge et de la clématite ;
Je me la rappelais quand elle était petite,
Quand elle m'apportait des lys et des jasmins,
Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains,
Gaie, et riant d'avoir de l'encre à ses doigts roses ;
Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses,
Je fixais mon regard sur ces froids gazons verts,
Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers
La pierre du tombeau, comme une lueur d'âme !

Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame
Tintait dans le ciel triste et dans mon coeur saignant,
Rien ne me retenait, et j'allais ; maintenant,
Hélas !... - Ô fleuve ! ô bois ! vallons dont je fus l'hôte,
Elle sait, n'est-ce pas ? que ce n'est pas ma faute
Si, depuis ces quatre ans, pauvre coeur sans flambeau,
Je ne suis pas allé prier sur son tombeau !

III

Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre
Que je contemplais, pâle, adossé contre un arbre,
Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher,
La nuit, que je voyais lentement approcher,
Ces ifs, ce crépuscule avec ce cimetière,
Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre,
Ô mon Dieu, tout cela, c'était donc du bonheur !

Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur,
Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ?
A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ?
As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ?
Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ?
T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre
De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître
Un passant, à travers le noir cercueil mal joint,
Attentive, écoutant si tu n'entendais point
Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ?
Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre,
En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas !
Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ?

Que de fois j'ai choisi, tout mouillés de rosée,
Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensée !
Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur !
Que de fois j'ai, là-bas, cherché la tour d'Harfleur,
Murmurant : C'est demain que je pars ! et, stupide,
Je calculais le vent et la voile rapide,
Puis ma main s'ouvrait triste, et je disais : Tout fuit !
Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit !
Oh ! que de fois, sentant qu'elle devait m'attendre,
J'ai pris ce que j'avais dans le coeur de plus tendre
Pour en charger quelqu'un qui passerait par là !

Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l'appela ;
Quand je lui parle, hélas ! pourquoi les ferme-t-elle ?
Où serait donc le mal quand de l'ombre mortelle
L'amour violerait deux fois le noir secret,
Et quand, ce qu'un dieu fit, un père le ferait ?

IV

Que ce livre, du moins, obscur message, arrive,
Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive !
Qu'il y tombe, sanglot, soupir, larme d'amour !
Qu'il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour
Le baiser, la jeunesse, et l'aube, et la rosée,
Et le rire adoré de la fraîche épousée,
Et la joie, et mon coeur, qui n'est pas ressorti !
Qu'il soit le cri d'espoir qui n'a jamais menti,
Le chant du deuil, la voix du pâle adieu qui pleure,
Le rêve dont on sent l'aile qui nous effleure !
Qu'elle dise : Quelqu'un est là ; j'entends du bruit !
Qu'il soit comme le pas de mon âme en sa nuit !

Ce livre, légion tournoyante et sans nombre
D'oiseaux blancs dans l'aurore et d'oiseaux noirs dans l'ombre,
Ce vol de souvenirs fuyant à l'horizon,
Cet essaim que je lâche au seuil de ma prison,
Je vous le confie, air, souffles, nuée, espace !
Que ce fauve océan qui me parle à voix basse,
Lui soit clément, l'épargne et le laisse passer !
Et que le vent ait soin de n'en rien disperser,
Et jusqu'au froid caveau fidèlement apporte
Ce don mystérieux de l'absent à la morte !

Ô Dieu ! puisqu'en effet, dans ces sombres feuillets,
Dans ces strophes qu'au fond de vos cieux je cueillais,
Dans ces chants murmurés comme un épithalame
Pendant que vous tourniez les pages de mon âme,
Puisque j'ai, dans ce livre, enregistré mes jours,
Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problèmes sourds,
Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure ;
Puisque vous ne voulez pas encor que je meure,
Et qu'il faut bien pourtant que j'aille lui parler ;
Puisque je sens le vent de l'infini souffler
Sur ce livre qu'emplit l'orage et le mystère ;
Puisque j'ai versé là toutes vos ombres, terre,
Humanité, douleur, dont je suis le passant ;
Puisque de mon esprit, de mon coeur, de mon sang,
J'ai fait l'âcre parfum de ces versets funèbres,
Va-t'en, livre, à l'azur, à travers les ténèbres !
Fuis vers la brume où tout à pas lents est conduit !
Oui, qu'il vole à la fosse, à la tombe, à la nuit,
Comme une feuille d'arbre ou comme une âme d'homme !
Qu'il roule au gouffre où va tout ce que la voix nomme !
Qu'il tombe au plus profond du sépulcre hagard,
A côté d'elle, ô mort ! et que là, le regard,
Près de l'ange qui dort, lumineux et sublime,
Le voie épanoui, sombre fleur de l'abîme !

V

Ô doux commencements d'azur qui me trompiez,
Ô bonheurs ! je vous ai durement expiés !
J'ai le droit aujourd'hui d'être, quand la nuit tombe,
Un de ceux qui se font écouter de la tombe,
Et qui font, en parlant aux morts blêmes et seuls,
Remuer lentement les plis noirs des linceuls,
Et dont la parole, âpre ou tendre, émeut les pierres,
Les grains dans les sillons, les ombres dans les bières,
La vague et la nuée, et devient une voix
De la nature, ainsi que la rumeur des bois.
Car voilà, n'est-ce pas, tombeaux ? bien des années,
Que je marche au milieu des croix infortunées,
Échevelé parmi les ifs et les cyprès,
L'âme au bord de la nuit, et m'approchant tout près,
Et que je vais, courbé sur le cercueil austère,
Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre
Qui pour moi sort des yeux de la tête de mort,
Le squelette qui rit, le squelette qui mord,
Les mains aux doigts noueux, les crânes, les poussières,
Et les os des genoux qui savent des prières !

Hélas ! j'ai fouillé tout. J'ai voulu voir le fond.
Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond,
J'ai voulu le savoir. J'ai dit : Que faut-il croire ?
J'ai creusé la lumière, et l'aurore, et la gloire,
L'enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur,
Et l'amour, et la vie, et l'âme, - fossoyeur.

Qu'ai-je appris ? J'ai, pensif , tout saisi sans rien prendre ;
J'ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre.
Qui sommes-nous ? que veut dire ce mot : Toujours ?
J'ai tout enseveli, songes, espoirs, amours,
Dans la fosse que j'ai creusée en ma poitrine.
Qui donc a la science ? où donc est la doctrine ?
Oh ! que ne suis-je encor le rêveur d'autrefois,
Qui s'égarait dans l'herbe, et les prés, et les bois,
Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille,
Tenant la main petite et blanche de sa fille,
Et qui, joyeux, laissant luire le firmament,
Laissant l'enfant parler, se sentait lentement
Emplir de cet azur et de cette innocence !

Entre Dieu qui flamboie et l'ange qui l'encense,
J'ai vécu, j'ai lutté, sans crainte, sans remord.
Puis ma porte soudain s'ouvrit devant la mort,
Cette visite brusque et terrible de l'ombre.
Tu passes en laissant le vide et le décombre,
Ô spectre ! tu saisis mon ange et tu frappas.
Un tombeau fut dès lors le but de tous mes pas.

VI

Je ne puis plus reprendre aujourd'hui dans la plaine
Mon sentier d'autrefois qui descend vers la Seine ;
Je ne puis plus aller où j'allais ; je ne puis,
Pareil à la laveuse assise au bord du puits,
Que m'accouder au mur de l'éternel abîme ;
Paris m'est éclipsé par l'énorme Solime ;
La hauteNotre-Dame à présent, qui me luit,
C'est l'ombre ayant deux tours, le silence et la nuit,
Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles ;
Et je vois sur mon front un panthéon d'étoiles ;
Si j'appelle Rouen, Villequier, Caudebec,
Toute l'ombre me crie : Horeb, Cédron, Balbeck !
Et, si je pars, m'arrête à la première lieue,
Et me dit: Tourne-toi vers l'immensité bleue !
Et me dit : Les chemins où tu marchais sont clos.
Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots !
A quoi penses-tu donc ? que fais-tu, solitaire ?
Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre ?
Où vas-tu de la sorte et machinalement ?
Ô songeur ! penche-toi sur l'être et l'élément !
Écoute la rumeur des âmes dans les ondes !
Contemple, s'il te faut de la cendre, les mondes ;
Cherche au moins la poussière immense, si tu veux
Mêler de la poussière à tes sombres cheveux,
Et regarde, en dehors de ton propre martyre,
Le grand néant, si c'est le néant qui t'attire !
Sois tout à ces soleils où tu remonteras !
Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras,
Ô proscrit de l'azur, vers les astres patries !
Revois-y refleurir tes aurores flétries ;
Deviens le grand oeil fixe ouvert sur le grand tout.
Penche-toi sur l'énigme où l'être se dissout,
Sur tout ce qui naît, vit, marche, s'éteint, succombe,
Sur tout le genre humain et sur toute la tombe !

Mais mon coeur toujours saigne et du même côté.
C'est en vain que les cieux, les nuits, l'éternité,
Veulent distraire une âme et calmer un atome.
Tout l'éblouissement des lumières du dôme
M'ôte-t-il une larme ? Ah ! l'étendue a beau
Me parler, me montrer l'universel tombeau,
Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie ;
J'écoute, et je reviens à la douce endormie.

VII

Des fleurs ! oh ! si j'avais des fleurs ! si je pouvais
Aller semer des lys sur ces deux froids chevets !
Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle !
Les fleurs sont l'or, l'azur, l'émeraude, l'opale !
Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher ;
Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher
Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes !
Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes,
Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir,
Puisqu'il nous fait lâcher ce qu'on croyait tenir,
Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde,
Sur la première porte en scelle une seconde,
Et, sur le père triste et sur l'enfant qui dort,
Ferme l'exil après avoir fermé la mort,
Puisqu'il est impossible à présent que je jette
Même un brin de bruyère à sa fosse muette,
C'est bien le moins qu'elle ait mon âme, n'est-ce pas ?
Ô vent noir dont j'entends sur mon plafond le pas !
Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle !
Mers, nuits ! et je l'ai mise en ce livre pour elle !

Prends ce livre ; et dis-toi : Ceci vient du vivant
Que nous avons laissé derrière nous, rêvant.
Prends. Et, quoique de ****, reconnais ma voix, âme !
Oh ! ta cendre est le lit de mon reste de flamme ;
Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi ;
Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi.
Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume !
Qu'entre tes vagues mains il devienne fantôme !
Qu'il blanchisse, pareil à l'aube qui pâlit,
A mesure que l'oeil de mon ange le lit,
Et qu'il s'évanouisse, et flotte, et disparaisse,
Ainsi qu'un âtre obscur qu'un souffle errant caresse,
Ainsi qu'une lueur qu'on voit passer le soir,
Ainsi qu'un tourbillon de feu de l'encensoir,
Et que, sous ton regard éblouissant et sombre,
Chaque page s'en aille en étoiles dans l'ombre !

VIII

Oh ! quoi que nous fassions et quoi que nous disions,
Soit que notre âme plane au vent des visions,
Soit qu'elle se cramponne à l'argile natale,
Toujours nous arrivons à ta grotte fatale,
Gethsémani ! qu'éclaire une vague lueur !
Ô rocher de l'étrange et funèbre sueur !
Cave où l'esprit combat le destin ! ouverture
Sur les profonds effrois de la sombre nature !
Antre d'où le lion sort rêveur, en voyant
Quelqu'un de plus sinistre et de plus effrayant,
La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée !
Ô chute ! asile ! ô seuil de la trouble vallée
D'où nous apercevons nos ans fuyants et courts,
Nos propres pas marqués dans la fange des jours,
L'échelle où le mal pèse et monte, spectre louche,
L'âpre frémissement de la palme farouche,
Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés,
Et les frissons aux fronts des anges effarés !

Toujours nous arrivons à cette solitude,
Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude !

Paix à l'ombre ! Dormez ! dormez ! dormez ! dormez !
Êtres, groupes confus lentement transformés !
Dormez, les champs ! dormez, les fleurs ! dormez, les tombes !
Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes,
Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids,
Dormez ! dormez, brins d'herbe, et dormez, infinis !
Calmez-vous, forêt, chêne, érable, frêne, yeuse !
Silence sur la grande horreur religieuse,
Sur l'océan qui lutte et qui ronge son mors,
Et sur l'apaisement insondable des morts !
Paix à l'obscurité muette et redoutée,
Paix au doute effrayant, à l'immense ombre athée,
A toi, nature, cercle et centre, âme et milieu,
Fourmillement de tout, solitude de Dieu !
Ô générations aux brumeuses haleines,
Reposez-vous ! pas noirs qui marchez dans les plaines !
Dormez, vous qui saignez ; dormez, vous qui pleurez !
Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés !
Tout est religio
Fable I, Livre IV.


Je n'aime pas ces paladins femelles
Désavoués de Vénus et de Mars,
Qui contre un heaume échangeaient leurs dentelles
Portaient rondache, et brassards et cuissards ;
Et, se jetant au milieu des hasards,
L'épée au poing, contre de vieux soudars
Ne craignaient pas de mesurer leurs lames ;
Par des brutaux se laissaient terrasser,
Ou, d'une main faite pour caresser,
Sabraient des sots, qui les croyaient des femmes.
Le prix du temps est mieux connu des dames,
Et de nos jours on sait mieux l'employer.
Que dis-je ? hélas! si Mars n'a plus d'amantes,
La plume en main, burlesques Bradamantes,
Ne voit-on pas les Sapho guerroyer ?
Ne voit-on pas plus d'une péronnelle,
Du dieu du goût soi-disant sentinelle,
Cuistre en cornette, et Zoïle en jupon,
De Despautère empoigner la férule,
Et de Boileau se déclarer émule,
Les doigts salis de l'encre de Gâcon ?
À ce métier qui les force à descendre ?
Quel est l'honneur, le bien qu'il leur promet ?
Par ce récit vous le pouvez apprendre,
Si votre temps, messieurs, vous le permet.

Follette avait été jolie en sa jeunesse,
Du moins le croyait-elle, et cela se conçoit :
On croit, et c'est encor la commune faiblesse,
Aux compliments que l'on reçoit
Bien plus qu'à ceux qu'on fait. Pardonnons à Follette,
Qui n'est qu'une pauvre levrette,
Un travers qu'il nous faut excuser tous les jours
Chez tant de personnes honnêtes,
Femmes d'esprit, parfois, à de pareils discours
Aussi crédules que des bêtes.
Sur une aile rapide incessamment porté,
Le temps entraîne tout en sa vitesse extrême ;
Et souvent l'âge heureux, qui tient lieu de beauté,
Fuit plus prompt que la beauté même.
Ce vernis de fraîcheur, sous lequel, à vingt ans,
La laideur même a quelque grâce,
Des charmes qu'on lui dut pendant quelques instants,
Emporte, en s'effaçant, jusqu'à la moindre trace.
Follette, en le perdant, parut ce qu'elle était.
Tel défaut qui passait avant pour un attrait,
Ne fut plus qu'un défaut : sa taille, en tout temps maigre,
Et qu'on disait légère, enfin prend son vrai nom ;
Son poil roux cesse d'être blond ;
Piquante auparavant, son humeur n'est plus qu'aigre.
De caresses sevrée, ainsi que de bonbons,
Follette, à ses jeunes rivales,
Voit, par des mains pour elle autrefois libérales,
La préférence offrir et prodiguer ses dons.
Son orgueil s'en indigne. « Et c'est à moi, dit-elle,
Qu'on refuse même un regard !
C'est moi qu'on traite, sans égard,
Comme mie vieille demoiselle !
Un tel scandale doit cesser ;
Bientôt tout rentrera dans l'ordre.
Je ne me faisais pas prier pour caresser,
Je me ferai prier bien moins encor pour mordre. »
Et puis, sans distinguer le maître, les valets,
Les grands et les petits, le garçon et la fille,
La voilà qui se rue à travers la famille :
À ceux-ci mordant les mollets ;
À ceux-là mordant la cheville.
Je vous laisse à penser quel fut l'étonnement !
Sur la cause du mal, dans le premier moment,
La compagnie est partagée :
« La levrette, dit l'un, est folle assurément ! »
« Non, dit l'autre, elle est enragée. »
« Il s'en faut assurer, ajoute le dernier,
Et prévenir la récidive. »
Follette cependant, en aboyant s'esquive ;
En trois sauts elle est au grenier.
Là vivait un ermite, un égoïste, un sage ;
Là vivait un vieux chat, animal casanier,
Vieil ennemi des rats, vieil ami du fromage,
Vieux courtisan du cuisinier.
Il demande, on lui dit le sujet du tapage.
« Maître Mitis, oui, ce fracas
« Me blesse moins que le silence.
« - Ainsi donc, tout ce bruit que l'on entend là-bas...
«  - C'est ma célébrité, mon ami, qui commence.
« - Pour être illustre, en ce bon temps,
« Suffit-il qu'on crie et qu'on gronde ?
« - Voyez Mouflard : Mouflard, si dur aux pauvres gens,
« Serait-il fameux à la ronde,
« S'il n'aboyait tous les passants,
« S'il ne montrait toujours les dents,
« S'il n'épouvantait tout le monde ?
« - Tu veux l'imiter aujourd'hui :
« Mais as-tu la gueule assez forte ?
« Mais, de plus, veux-tu qu'à la porte
« On t'envoie à côté de lui ?
« Qu'attrape-t-il là, des injures ;
« Pour lui répondre, on prend son ton ;
« Et, quand il mord, par le bâton
« Il est payé de ses morsures :
« Tels seront tes plus sûrs produits,
« Si tu prends son ton, son air rogue
« En dogue si tu te conduis,
« On t'étrillera comme un dogue. »
L'ennui de vivre avec les gens et dans les choses

Font souvent ma parole et mon regard moroses.


Mais d'avoir conscience et souci dans tel cas

Exhausse ma tristesse, ennoblit mon tracas.


Alors mon discours chante et mes yeux de sourire

Où la divine certitude s'en vient luire.


Et la divine patience met son sel

Dans mon long bon conseil d'usage universel.


Car non pas tout à fait par effet de l'âge

A mes heures je suis une façon de sage,


Presque un sage sans trop d'emphase ou d'embarras.

Répandant quelque bien et faisant des ingrats.


Or néanmoins la vie et son morne problème

Rendent parfois ma voix maussade et mon front blême.


De ces tentations je me sauve à nouveau

En des moralités juste à mon seul niveau ;


Et c'est d'un examen méthodique et sévère,

Dieu qui sondez les reins ! que je me considère.


Scrutant mes moindres torts et jusques aux derniers,

Tel un juge interroge à fond des prisonniers.


Je poursuis à ce point l'humeur de mon scrupule,

Que de gens ont parlé qui m'ont dit ridicule.


N'importe ! en ces moments est-ce d'humilité ?

Je me semble béni de quelque charité,


De quelque loyauté, pour parler en pauvre homme.

De quelque encore charité. - Folie en somme !


Nous ne sommes rien. Dieu c'est tout. Dieu nous créa,

Dieu nous sauve. Voilà ! Voici mon aléa :


Prier obstinément. Plonger dans la prière,

C'est se tremper aux flots d'une bonne rivière


C'est faire de son être un parfait instrument

Pour combattre le mal et courber l'élément.


Prier intensément. Rester dans la prière

C'est s'armer pour l'élan et s'assurer derrière.


C'est de paraître doux et ferme pour autrui

Conformément à ce qu'on se rend envers lui.


La prière nous sauve après nous faire vivre,

Elle est le gage sûr et le mot qui délivre


Elle est l'ange et la dame, elle est la grande sœur

Pleine d'amour sévère et de forte douceur.


La prière a des pieds légers comme des ailes ;

Et des ailes pour que ses pieds volent comme elles ;


La prière est sagace ; elle pense, elle voit,

Scrute, interroge, doute, examine, enfin croit.


Elle ne peut nier, étant par excellence

La crainte salutaire et l'effort en silence.


Elle est universelle et sanglante ou sourit,

Vole avec le génie et court avec l'esprit.


Elle est ésotérique ou bégaie, enfantine

Sa langue est indifféremment grecque ou latine,


Ou vulgaire, ou patoise, argotique s'il faut !

Car souvent plus elle est bas, mieux elle vaut.


Je me dis tout cela, je voudrais bien le faire,

Seigneur, donnez-moi de m'élever de terre


En l'humble vœu que seul peut former un enfant

Vers votre volonté d'après comme d'avant.


Telle action quelconque en tel temps de ma vie

Et que cette action quelconque soit suivie


D'un abandon complet en vous que formulât

Le plus simple et le plus ponctuel postulat,


Juste pour la nécessité quotidienne

En attendant, toujours sans fin, ma mort chrétienne.
Vous surtout que je plains si vous n'êtes chéries,
Vous surtout qui souffrez, je vous prends pour mes soeurs :
C'est à vous qu'elles vont, mes lentes rêveries,
Et de mes pleurs chantés les amères douceurs.

Prisonnière en ce livre une âme est contenue.
Ouvrez, lisez : comptez les jours que j'ai soufferts.
Pleureuses de ce monde où je passe inconnue,
Rêvez sur cette cendre et trempez-y vos fers.

Chantez ! Un chant de femme attendrit la souffrance.
Aimez ! Plus que l'amour la haine fait souffrir.
Donnez ! La charité relève l'espérance :
Tant que l'on peut donner on ne veut pas mourir !

Si vous n'avez le temps d'écrire aussi vos larmes,
Laissez-les de vos yeux descendre sur ces vers.
Absoudre, c'est prier ; prier, ce sont nos armes.
Absolvez de mon sort les feuillets entr'ouverts !

Pour livrer sa pensée au vent de la parole,
S'il faut avoir perdu quelque peu sa raison,
Qui donne son secret est plus tendre que folle :
Méprise-t-on l'oiseau qui répand sa chanson ?
Paul d'Aubin Oct 2016
Peire-Roger, le Chevalier Faydit.

C'est Peire-Roger le Faydit
regardant la vie avec hauteur
Comme l'aigrette flottant
sur son heaume argenté.
Ses terres furent mises en proie
Par les prélats du Pape
Au profit de barons pillards.
Venus de Septentrion.
Il était Languedocien,
Par la langue et le cœur
Sa sœur Esclarmonde, était une «Cathare»,
l’une de ces chrétiens hétérodoxes,
Se vouant à l'Esprit,
Et disant rejeter ce mal
Qui corrompt l'esprit humain,
En colorant de sombre
Les œuvres terrestres.
Très jeune, les jeux de guerre
Furent, pour lui, comme un breuvage ardent.
Il éprouva l'amour brûlant
Pour de belles châtelaines,
Si dures à séduire,
Au jeu du «fin Amor».
Mais il était certes moins aimé
Pour ses vers d'ingénieux troubadour,
Que comme homme fort,
ayant belle prestance,
Et apparaissant triomphant,
dans ses courses au galop,
Et les grands coups
Qu'il donnait pour se frayer
Un passage dans la mêlée,
Dans les éclats, les étincelles
De l'entrechoc des épées.
Bien jeune, il vit son père
Spolié de sa seigneurie,
Confisquée au bénéfice
de la lignée maudite
De la maison de Montfort.
Il fut tout jeune humilié
par la tourbe des seigneurs pillards
Conduite par des fanatiques
Et masquant sous l'apparence
De religion, leur vile convoitise
Et leur voracité de loups.
Une fausse paix obligea son père
A rompre l'allégeance
Avec les comtes de Toulouse.
Alors que la persécution
Des «bonshommes» s'amplifiait,
Et que les libertés Toulousaines
Étaient sous le talon de fer.
Son père s'en vint en Aragon
Parmi tant d'autres hommes,
droits et valeureux,
Pour sauvegarder l'honneur,
Et préparer la reconquête
Des terres confisquées,
par l'avidité de ces nuées
De corbeaux et des loups
Venus faire bombance
De terres Languedociennes.
Comme plus ****,
les Lys viendraient agrandir,
Leurs fiefs pour le seul profit
De Paris la dominante et la vorace.
Sa jeunesse se passa à s'entraîner
Et à rêver au jour où
Il traverserait les cols
Pour la revanche de son sang
Et la mémoire de son père,
Mort en exil en Aragon.
Enfin les appels de Raymond VII de Toulouse,
De Trencavel et du peuple de Tolosa révolté,
Résonnèrent comme buccin
Dans tout le Languedoc sous le joug,
Et l'oriflamme de Tolosa fut levé
Qui embrasa plaines et collines.
Le temps était venu de combattre
Et ce fut une guerre
Aussi ardente que cruelle,
comme une chasse à courre,
Faite de sièges et d'escarmouches
Contre les troupes du Roi Louis VIII.
Peirce-Roger chevaucha et guerroya
Donnant tout son corps et son âme,
Et fut maintes fois blessé,
Mais il lui fallut bien du courage
Pour déposer les armes
Quand les chefs s'entendirent
Pour donner en mariage
Jeanne de Toulouse
A Alphonse de France.
Ce mariage funeste,
annonçait et scellait la perte,
Des libertés et de la tolérance
De la haute civilisation
des pays Tolédans et Languedociens.
Aussi Peire-Roger, l'esprit blessé
Plus encore que ses chairs
Meurtries et tailladées,
Décida de consacrer sa vie
Au soutien et a la protection,
Des «bonshommes» traqués,
Par cette infamie nommée l'inquisition,
Usant des pires moyens,
Dont la délation et la torture,
Pour extirper par les cordes,
les tenailles et le feu,
Ce que la Papauté ne pouvait obtenir
Du choix des consciences,
Par le libre débat et le consentement.
Peire-Roger vint à Montségur
Sur les hauteurs du Po
Transforme en abri, en refuge et en temple,
Sur les terres du comte de Foix.
Il admira Esclarmonde la pure, la parfaite,
Et la pureté de mœurs
De cette communauté de «Bonhommes»,
de Femmes et d'Hommes libres,
Bien divers, mais si fraternels,
Ayant choisi de vivre leur spiritualité.
Contrairement aux calomnies,
Qui les disait adorateurs du Diable,
Ils mettaient par-dessus tout
Leur vie spirituelle et leur idéal commun.
Et leurs autres vertus étaient
Le dépouillement et la simplicité.
Hélas vautours et corbeaux,
Planaient autour de l'altier Pog.
Alors que la bise des premiers froids
Se faisait sentir les matins.
C'est alors qu'un groupe d'inquisiteurs
Chevaucha jusqu'à Avignonet
pour y chercher des proies.
Cela embrasa de colère
nombre de Chevaliers Faydits,
Dont les parents avaient tant soufferts
Le feu de la vengeance l’emporta
Sur la prudente et sage patience.
Et Peire-Roger lui-même
Pris le commandement de la troupe.
Qui arriva de nuit à Avignonet
Pour punir la cruauté par le fer.
Le Bayle, Raymond d'Alfaro
Ouvrit les portes aux vengeurs,
Et un nouveau crime s'ajouta
Aux précédents crimes innombrables.
L’inquisiteur Guillaume Arnaud
Et Étienne de Saint Thibery,
furent massacres avec leurs compagnons.
Leurs cris d'épouvante et d'agonie
Résonnèrent dans cette Avignonet
Qui huma l'acre parfum du sang,
La peur semblait disparue
Et la vengeance rendue.
Mais la lune aussi pleura du sang
Dans le ciel blafard et blême
Vengeance fut ainsi accomplie
Pour les chairs et les âmes martyrisées.
Mais le sang répandu appelle
Toujours plus de sang encore.
Quelques mois après un ost
De plusieurs centaines de soldats,
Sous le commandement
D'Hugues des Arcis.
Vint en mai 1243,
Mettre le siège de la place fortifiée.
Peire-Roger se battit comme un Lion
Avec ses compagnons Faydits,
Ils accomplirent des prouesses
De courage et de vaillance
Furent données.
Mais lorsque de nuit par un chemin secret
Qui leur avait été révélé,
Les assaillant s'emparèrent
Du roc de la tour,
Et y posèrent une Perrière
Pour jeter des projectiles
Sur les fortifications et les assiégés.
L'espoir de Peire-Roger,
des défenseurs et des bonshommes,
Commença à fléchir.
Et une reddition fut conclue
Le 1er mars 1244 laissant aux cathares,
Le choix de la conversion ou de la mort dans les flammes.
Ce fut grand pitié ce 16 mars de voir
Plus de deux cent femmes et hommes bons et justes,
Choisir en conscience de ne pas renier leur choix et leur foi,
Préférant terminer leur vie
D'une manière aussi affreuse,
en ce début du printemps
Qui pointait ses lumières.
Et jusqu'à l'ignoble bûcher,
Leurs chants d'amour,
Furent entendus puis couvert,
Par leurs cris de douleur
Et les crépitements des buches.
Aussi; qu’une honte dans pareille
En retombe sur le Pape si mal nomme, Innovent III
Et sur le roi Louis IX, sanctifié par imposture,
Et sur l'archevêque de Narbonne, Pierre Amiel.
Que surtout vienne le temps
Où la Paix aux doux, aux justes
Et aux Pacifiques s'établisse.
Et qu'une honte et un remord sans fin
Punissent ceux et celles qui continuent
A se comporter en inquisiteurs
qu'elle qu'en soient les raisons et les circonstances.
Il semblerait sans aucune certitude
Que Peire-Roger, le chevalier Faydit
Témoin de ces temps de fer et de feu.
Soit allé, au ****, se retirer et prier
Dans une communauté de bonshommes
En Aragon ou en Lombardie.

Paul Arrighi
Le personnage de Peire-Vidal n'est pas imaginaire. Il a bien existe mais je rassemble en lui les qualités de plusieurs Chevaliers Faydits qui se battirent pour la sauvegarde de leurs terres et des libertés des pays d'Oc et du Languedoc face a l'avidité et au fanatisme - Paul Arrighi
I


Les prêtres avaient dit : « En ce temps-là, mes frères,

On a vu s'élever des docteurs téméraires,

Des dogmes de la foi censeurs audacieux :

Au fond du Saint des saints l'Arche s'est refermée,

Et le puits de l'abîme a vomi la fumée

Qui devait obscurcir la lumière des cieux.


L'Antéchrist est venu, qui parcourut la terre :

Tout à coup, soulevant un terrible mystère,

L'impie a remué de profanes débats ;

Il a dressé la tête : et des voix hérétiques

Ont outragé la Bible, et chanté les cantiques

Dans le langage impur qui se parle ici-bas.


Mais si le ciel permet que l'Église affligée

Gémisse pour un temps, et ne soit point vengée ;

S'il lui plaît de l'abattre et de l'humilier :

Si sa juste colère, un moment assoupie.

Dans sa gloire d'un jour laisse dormir l'impie,

Et livre ses élus au bras séculier ;


Quand les temps sont venus, le fort qui se relève

Soudain de la main droite a ressaisi le glaive :

Sur les débris épars qui gisaient sans honneur

Il rebâtit le Temple, et ses armes bénites

Abattent sous leurs coups les vils Madianites,

Comme fait les épis la faux du moissonneur.


Allez donc, secondant de pieuses vengeances,

Pour vous et vos parents gagner les indulgences ;

Fidèles, qui savez croire sans examen,

Noble race d'élus que le ciel a choisie,

Allez, et dans le sang étouffez l'hérésie !

Ou la messe, ou la mort !» - Le peuple dit : Amen.


II


A l'hôtel de Soissons, dans une tour mystique,

Catherine interroge avec des yeux émus

Des signes qu'imprima l'anneau cabalistique

Du grand Michel Nostradamus.

Elle a devant l'autel déposé sa couronne ;

A l'image de sa patronne,

En s'agenouillant pour prier.

Elle a dévotement promis une neuvaine,

Et tout haut, par trois fois, conjuré la verveine

Et la branche du coudrier.


« Les astres ont parlé : qui sait entendre, entende !

Ils ont nommé ce vieux Gaspard de Châtillon :

Ils veulent qu'en un jour ma vengeance s'étende

De l'Artois jusqu'au Roussillon.

Les pieux défenseurs de la foi chancelante

D'une guerre déjà trop lente

Ont assez couru les hasards :

A la cause du ciel unissons mon outrage.

Périssent, engloutis dans un même naufrage.

Les huguenots et les guisards ! »


III


C'était un samedi du mois d'août : c'était l'heure

Où l'on entend de ****, comme une voix qui pleure,

De l'angélus du soir les accents retentir :

Et le jour qui devait terminer la semaine

Était le jour voué, par l'Église romaine.

A saint Barthélémy, confesseur et martyr.


Quelle subite inquiétude

A cette heure ? quels nouveaux cris

Viennent troubler la solitude

Et le repos du vieux Paris ?

Pourquoi tous ces apprêts funèbres,

Pourquoi voit-on dans les ténèbres

Ces archers et ces lansquenets ?

Pourquoi ces pierres entassées,

Et ces chaînes de fer placées

Dans le quartier des Bourdonnais ?


On ne sait. Mais enfin, quelque chose d'étrange

Dans l'ombre de la nuit se prépare et s'arrange.

Les prévôts des marchands, Marcel et Jean Charron.

D'un projet ignoré mystérieux complices.

Ont à l'Hôtel-de-Ville assemblé les milices,

Qu'ils doivent haranguer debout sur le perron.


La ville, dit-on, est cernée

De soldats, les mousquets chargés ;

Et l'on a vu, l'après-dînée.

Arriver les chevau-légers :

Dans leurs mains le fer étincelle ;

Ils attendent le boute-selle.

Prêts au premier commandement ;

Et des cinq cantons catholiques,

Sur l'Évangile et les reliques,

Les Suisses ont prêté serment.


Auprès de chaque pont des troupes sont postées :

Sur la rive du nord les barques transportées ;

Par ordre de la cour, quittant leurs garnisons,

Des bandes de soldats dans Paris accourues

Passent, la hallebarde au bras, et dans les rues

Des gens ont été vus qui marquaient des maisons.


On vit, quand la nuit fut venue,

Des hommes portant sur le dos

Des choses de forme inconnue

Et de mystérieux fardeaux.

Et les passants se regardèrent :

Aucuns furent qui demandèrent :

- Où portes-tu, par l'ostensoir !

Ces fardeaux persans, je te prie ?

- Au Louvre, votre seigneurie.

Pour le bal qu'on donne ce soir.


IV


Il est temps ; tout est prêt : les gardes sont placés.

De l'hôtel Châtillon les portes sont forcées ;

Saint-Germain-l'Auxerrois a sonné le tocsin :

Maudit de Rome, effroi du parti royaliste,

C'est le grand-amiral Coligni que la liste

Désigne le premier au poignard assassin.


- « Est-ce Coligni qu'on te nomme ? »

- « Tu l'as dit. Mais, en vérité,

Tu devrais respecter, jeune homme.

Mon âge et mon infirmité.

Va, mérite ta récompense ;

Mais, tu pouvais bien, que je pense,

T'épargner un pareil forfait

Pour le peu de jours qui m'attendent ! »

Ils hésitaient, quand ils entendent

Guise leur criant : « Est-ce fait ? »


Ils l'ont tué ! la tête est pour Rome. On espère

Que ce sera présent agréable au saint père.

Son cadavre est jeté par-dessus le balcon :

Catherine aux corbeaux l'a promis pour curée.

Et rira voir demain, de ses fils entourée,

Au gibet qu'elle a fait dresser à Montfaucon.


Messieurs de Nevers et de Guise,

Messieurs de Tavanne et de Retz,

Que le fer des poignards s'aiguise,

Que vos gentilshommes soient prêts.

Monsieur le duc d'Anjou, d'Entrague,

Bâtard d'Angoulême, Birague,

Faites armer tous vos valets !

Courez où le ciel vous ordonne,

Car voici le signal que donne

La Tour-de-l'horloge au Palais.


Par l'espoir du butin ces hordes animées.

Agitant à la main des torches allumées,

Au lugubre signal se hâtent d'accourir :

Ils vont. Ceux qui voudraient, d'une main impuissante,

Écarter des poignards la pointe menaçante.

Tombent ; ceux qui dormaient s'éveillent pour mourir.


Troupes au massacre aguerries,

Bedeaux, sacristains et curés,

Moines de toutes confréries.

Capucins, Carmes, Prémontrés,

Excitant la fureur civile,

En tout sens parcourent la ville

Armés d'un glaive et d'un missel.

Et vont plaçant des sentinelles

Du Louvre au palais des Tournelles

De Saint-Lazare à Saint-Marcel.


Parmi les tourbillons d'une épaisse fumée

Que répand en flots noirs la résine enflammée,

A la rouge clarté du feu des pistolets,

On voit courir des gens à sinistre visage,

Et comme des oiseaux de funeste présage,

Les clercs du Parlement et des deux Châtelets.


Invoquant les saints et les saintes,

Animés par les quarteniers,

Ils jettent les femmes enceintes

Par-dessus le Pont-aux-Meuniers.

Dans les cours, devant les portiques.

Maîtres, écuyers, domestiques.

Tous sont égorgés sans merci :

Heureux qui peut dans ce carnage,

Traversant la Seine à la nage.

Trouver la porte de Bussi !


C'est par là que, trompant leur fureur meurtrière,

Avertis à propos, le vidame Perrière,

De Fontenay, Caumont, et de Montgomery,

Pressés qu'ils sont de fuir, sans casque, sans cuirasse.

Échappent aux soldats qui courent sur leur trace

Jusque sous les remparts de Montfort-l'Amaury.


Et toi, dont la crédule enfance,

Jeune Henri le Navarrois.

S'endormit, faible et sans défense,

Sur la foi que donnaient les rois ;

L'espérance te soit rendue :

Une clémence inattendue

A pour toi suspendu l'arrêt ;

Vis pour remplir ta destinée,

Car ton heure n'est pas sonnée,

Et ton assassin n'est pas prêt !


Partout des toits rompus et des portes brisées,

Des cadavres sanglants jetés par les croisées,

A des corps mutilés des femmes insultant ;

De bourgeois, d'écoliers, des troupes meurtrières.

Des blasphèmes, des pleurs, des cris et des prières.

Et des hommes hideux qui s'en allaient chantant :


« Valois et Lorraine

Et la double croix !

L'hérétique apprenne

Le pape et ses droits !

Tombant sous le glaive.

Que l'impie élève

Un bras impuissant ;

Archers de Lausanne,

Que la pertuisane

S'abreuve de sang !


Croyez-en l'oracle

Des corbeaux passants,

Et le grand miracle

Des Saints-Innocents.

A nos cris de guerre

On a vu naguère,

Malgré les chaleurs,

Surgir une branche

D'aubépine franche

Couverte de fleurs !


Honni qui pardonne !

Allez sans effroi,

C'est Dieu qui l'ordonne,

C'est Dieu, c'est le roi !

Le crime s'expie ;

Plongez à l'impie

Le fer au côté

Jusqu'à la poignée ;

Saignez ! la saignée

Est bonne en été ! »


V


Aux fenêtres du Louvre, on voyait le roi. « Tue,

Par la mort Dieu ! que l'hydre enfin soit abattue !

Qu'est-ce ? Ils veulent gagner le faubourg Saint-Germain ?

J'y mets empêchement : et, si je ne m'abuse,

Ce coup est bien au droit. - George, une autre arquebuse,

Et tenez toujours prête une mèche à la main.


Allons, tout va bien : Tue ! - Ah. Cadet de Lorraine,

Allez-vous-en quérir les filles de la reine.

Voici Dupont, que vient d'abattre un Écossais :

Vous savez son affaire ? Aussi bien, par la messe,

Le cas était douteux, et je vous fais promesse

Qu'elles auront plaisir à juger le procès.


Je sais comment la meute en plaine est gouvernée ;

Comment il faut chasser, en quel temps de l'année.

Aux perdrix, aux faisans, aux geais, aux étourneaux ;

Comment on doit forcer la fauve en son repaire ;

Mais je n'ai point songé, par l'âme de mon père,

A mettre en mon traité la chasse aux huguenots ! »
II.

Ma fille, va prier ! - D'abord, surtout, pour celle
Qui berça tant de nuits ta couche qui chancelle,
Pour celle qui te prit jeune âme dans le ciel,
Et qui te mit au monde, et depuis, tendre mère,
Faisant pour toi deux parts dans cette vie amère,
Toujours a bu l'absinthe et t'a laissé le miel !

Puis ensuite pour moi ! j'en ai plus besoin qu'elle !
Elle est, ainsi que toi, bonne, simple et fidèle !
Elle a le coeur limpide et le front satisfait.
Beaucoup ont sa pitié, nul ne lui fait envie ;
Sage et douce, elle prend patiemment la vie ;
Elle souffre le mal sans savoir qui le fait.

Tout en cueillant des fleurs, jamais sa main novice
N'a touché seulement à l'écorce du vice ;
Nul piège ne l'attire à son riant tableau ;
Elle est pleine d'oubli pour les choses passées ;
Elle ne connaît pas les mauvaises pensées
Qui passent dans l'esprit comme une ombre sur l'eau.

Elle ignore - à jamais ignore-les comme elle ! -
Ces misères du monde où notre âme se mêle,
Faux plaisirs, vanités, remords, soucis rongeurs,
Passions sur le coeur flottant comme une écume,
Intimes souvenirs de honte et d'amertume
Qui font monter au front de subites rougeurs !

Moi, je sais mieux la vie ; et je pourrai te dire,
Quand tu seras plus grande et qu'il faudra t'instruire,
Que poursuivre l'empire et la fortune et l'art,
C'est folie et néant ; que l'urne aléatoire
Nous jette bien souvent la honte pour la gloire,
Et que l'on perd son âme à ce jeu de hasard !

L'âme en vivant s'altère ; et, quoique en toute chose
La fin soit transparente et laisse voir la cause,
On vieillit sous le vice et l'erreur abattu ;
À force de marcher l'homme erre, l'esprit doute.
Tous laissent quelque chose aux buissons de la route,
Les troupeaux leur toison, et l'homme sa vertu !

Va donc prier pour moi ! - Dis pour toute prière :
-- Seigneur, Seigneur mon Dieu, vous êtes notre père,
Grâce, vous êtes bon ! grâce, vous êtes grand ! -
Laisse aller ta parole où ton âme l'envoie ;
Ne t'inquiète pas, toute chose a sa voie,
Ne t'inquiète pas du chemin qu'elle prend !

Il n'est rien ici-bas qui ne trouve sa pente.
Le fleuve jusqu'aux mers dans les plaines serpente ;
L'abeille sait la fleur qui recèle le miel.
Toute aile vers son but incessamment retombe,
L'aigle vole au soleil, le vautour à la tombe,
L'hirondelle au printemps, et la prière au ciel !

Lorsque pour moi vers Dieu ta voix s'est envolée,
Je suis comme l'esclave, assis dans la vallée,
Qui dépose sa charge aux bornes du chemin ;
Je me sens plus léger ; car ce fardeau de peine,
De fautes et d'erreurs qu'en gémissant je traîne,
Ta prière en chantant l'emporte dans sa main !

Va prier pour ton père ! - Afin que je sois digne
De voir passer en rêve un ange au vol de cygne,
Pour que mon âme brûle avec les encensoirs !
Efface mes péchés sous ton souffle candide,
Afin que mon coeur soit innocent et splendide
Comme un pavé d'autel qu'on lave tous les soirs !

Mai 1830.
Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

J'aime le vrai soldat, effroi de Bélial.
Son turban évasé rend son front plus sévère,
Il baise avec respect la barbe de son père,
Il voue à son vieux sabre un amour filial,
Et porte un doliman, percé dans les mêlées
De plus de coups, que n'a de taches étoilées
La peau du tigre impérial.

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Un bouclier de cuivre à son bras sonne et luit,
Rouge comme la lune au milieu d'une brume.
Son cheval hennissant mâche un frein blanc d'écume ;
Un long sillon de poudre en sa course le suit.
Quand il passe au galop sur le pavé sonore,
On fait silence, on dit : C'est un cavalier maure !
Et chacun se retourne au bruit.

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Quand dix mille giaours viennent au son du cor,
Il leur répond ; il vole, et d'un souffle farouche
Fait jaillir la terreur du clairon qu'il embouche,
Tue, et parmi les morts sent croître son essor,
Rafraîchit dans leur sang son caftan écarlate,
Et pousse son coursier qui se lasse, et le flatte
Pour en égorger plus encor !

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

J'aime, s'il est vainqueur, quand s'est tû le tambour,
Qu'il ait sa belle esclave aux paupières arquées,
Et, laissant les imans qui prêchent aux mosquées
Boire du vin la nuit, qu'il en boive au grand jour ;
J'aime, après le combat, que sa voix enjouée
Rie, et des cris de guerre encor tout enrouée,
Chante les houris et l'amour !

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Qu'il soit grave, et rapide à venger un affront ;
Qu'il aime mieux savoir le jeu du cimeterre
Que tout ce qu'à vieillir on apprend sur la terre ;
Qu'il ignore quel jour les soleils s'éteindront ;
Quand rouleront les mers sur les sables arides ;
Mais qu'il soit brave et jeune, et préfère à des rides
Des cicatrices sur son front.

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Tel est, coparadgis, spahis, timariots,
Le vrai guerrier croyant ! Mais celui qui se vante,
Et qui tremble au moment de semer l'épouvante,
Qui le dernier arrive aux camps impériaux,
Qui, lorsque d'une ville on a forcé la porte,
Ne fait pas, sous le poids du butin qu'il rapporte,
Plier l'essieu des chariots ;

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Celui qui d'une femme aime les entretiens ;
Celui qui ne sait pas dire dans une orgie
Quelle est d'un beau cheval la généalogie ;
Qui cherche ailleurs qu'en soi force, amis et soutiens,
Sur de soyeux divans se couche avec mollesse,
Craint le soleil, sait lire, et par scrupule laisse
Tout le vin de Chypre aux chrétiens ;

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Celui-là, c'est un lâche, et non pas un guerrier.
Ce n'est pas lui qu'on voit dans la bataille ardente
Pousser un fier cheval à la housse pendante,
Le sabre en main, debout sur le large étrier ;
Il n'est bon qu'à presser des talons une mule,
En murmurant tout bas quelque vaine formule,
Comme un prêtre qui va prier !

Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle.

Du 1 au 2 mai 1828.
La coupe de mes jours s'est brisée encor pleine ;
Ma vie hors de mon sein s'enfuit à chaque haleine ;
Ni baisers ni soupirs ne peuvent l'arrêter ;
Et l'aile de la mort, sur l'airain qui me pleure,
En sons entrecoupés frappe ma dernière heure ;
Faut-il gémir ? faut-il chanter ?...

Chantons, puisque mes doigts sont encor sur la lyre ;
Chantons, puisque la mort, comme au cygne, m'inspire
Aux bords d'un autre monde un cri mélodieux.
C'est un présage heureux donné par mon génie,
Si notre âme n'est rien qu'amour et qu'harmonie,
Qu'un chant divin soit ses adieux !

La lyre en se brisant jette un son plus sublime ;
La lampe qui s'éteint tout à coup se ranime,
Et d'un éclat plus pur brille avant d'expirer ;
Le cygne voit le ciel à son heure dernière,
L'homme seul, reportant ses regards en arrière,
Compte ses jours pour les pleurer.

Qu'est-ce donc que des jours pour valoir qu'on les pleure ?
Un soleil, un soleil ; une heure, et puis une heure ;
Celle qui vient ressemble à celle qui s'enfuit ;
Ce qu'une nous apporte, une autre nous l'enlève :
Travail, repos, douleur, et quelquefois un rêve,
Voilà le jour, puis vient la nuit.

Ah ! qu'il pleure, celui dont les mains acharnées
S'attachant comme un lierre aux débris des années,
Voit avec l'avenir s'écrouler son espoir !
Pour moi, qui n'ai point pris racine sur la terre,
Je m'en vais sans effort, comme l'herbe légère
Qu'enlève le souffle du soir.

Le poète est semblable aux oiseaux de passage
Qui ne bâtissent point leurs nids sur le rivage,
Qui ne se posent point sur les rameaux des bois ;
Nonchalamment bercés sur le courant de l'onde,
Ils passent en chantant **** des bords ; et le monde
Ne connaît rien d'eux, que leur voix.

Jamais aucune main sur la corde sonore
Ne guida dans ses jeux ma main novice encore.
L'homme n'enseigne pas ce qu'inspire le ciel ;
Le ruisseau n'apprend pas à couler dans sa pente,
L'aigle à fendre les airs d'une aile indépendante,
L'abeille à composer son miel.

L'airain retentissant dans sa haute demeure,
Sous le marteau sacré tour à tour chante et pleure,
Pour célébrer l'*****, la naissance ou la mort ;
J'étais comme ce bronze épuré par la flamme,
Et chaque passion, en frappant sur mon âme,
En tirait un sublime accord.

Telle durant la nuit la harpe éolienne,
Mêlant aux bruits des eaux sa plainte aérienne,
Résonne d'elle-même au souffle des zéphyrs.
Le voyageur s'arrête, étonné de l'entendre,
Il écoute, il admire et ne saurait comprendre
D'où partent ces divins soupirs.

Ma harpe fut souvent de larmes arrosée,
Mais les pleurs sont pour nous la céleste rosée ;
Sous un ciel toujours pur le cœur ne mûrit pas :
Dans la coupe écrasé le jus du pampre coule,
Et le baume flétri sous le pied qui le foule
Répand ses parfums sur nos pas.

Dieu d'un souffle brûlant avait formé mon âme ;
Tout ce qu'elle approchait s'embrasait de sa flamme :
Don fatal ! et je meurs pour avoir trop aimé !
Tout ce que j'ai touché s'est réduit en poussière :
Ainsi le feu du ciel tombé sur la bruyère
S'éteint quand tout est consumé.

Mais le temps ? - Il n'est plus. - Mais la gloire ? - Eh ! qu'importe
Cet écho d'un vain son, qu'un siècle à l'autre apporte ?
Ce nom, brillant jouet de la postérité ?
Vous qui de l'avenir lui promettez l'empire,
Écoutez cet accord que va rendre ma lyre !...

...............................................

Les vents déjà l'ont emporté !
Ah ! donnez à la mort un espoir moins frivole.
Eh quoi ! le souvenir de ce son qui s'envole
Autour d'un vain tombeau retentirait toujours ?
Ce souffle d'un mourant, quoi! c'est là de la gloire ?
Mais vous qui promettez les temps à sa mémoire,
Mortels, possédez-vous deux jours ?

J'en atteste les dieux ! depuis que je respire,
Mes lèvres n'ont jamais prononcé sans sourire
Ce grand nom inventé par le délire humain ;
Plus j'ai pressé ce mot, plus je l'ai trouvé vide,
Et je l'ai rejeté, comme une écorce aride
Que nos lèvres pressent en vain.

Dans le stérile espoir d'une gloire incertaine,
L'homme livre, en passant, au courant qui l'entraîne
Un nom de jour en jour dans sa course affaibli ;
De ce brillant débris le flot du temps se joue ;
De siècle en siècle, il flotte, il avance, il échoue
Dans les abîmes de l'oubli.

Je jette un nom de plus à ces flots sans rivage ;
Au gré des vents, du ciel, qu'il s'abîme ou surnage,
En serai-je plus grand ? Pourquoi ? ce n'est qu'un nom.
Le cygne qui s'envole aux voûtes éternelles,
Amis ! s'informe-t-il si l'ombre de ses ailes
Flotte encor sur un vil gazon ?

Mais pourquoi chantais-tu ? - Demande à Philomèle
Pourquoi, durant les nuits, sa douce voix se mêle
Au doux bruit des ruisseaux sous l'ombrage roulant !
Je chantais, mes amis, comme l'homme respire,
Comme l'oiseau gémit, comme le vent soupire,
Comme l'eau murmure en coulant.

Aimer, prier, chanter, voilà toute ma vie.
Mortels ! de tous ces biens qu'ici-bas l'homme envie,
À l'heure des adieux je ne regrette rien ;
Rien que l'ardent soupir qui vers le ciel s'élance,
L'extase de la lyre, ou l'amoureux silence
D'un cœur pressé contre le mien.

Aux pieds de la beauté sentir frémir sa lyre,
Voir d'accord en accord l'harmonieux délire
Couler avec le son et passer dans son sein,
Faire pleuvoir les pleurs de ces yeux qu'on adore,
Comme au souffle des vents les larmes de l'aurore
Tombent d'un calice trop plein ;

Voir le regard plaintif de la vierge modeste
Se tourner tristement vers la voûte céleste,
Comme pour s'envoler avec le son qui fuit,
Puis retombant sur vous plein d'une chaste flamme,
Sous ses cils abaissés laisser briller son âme,
Comme un feu tremblant dans la nuit ;

Voir passer sur son front l'ombre de sa pensée,
La parole manquer à sa bouche oppressée,
Et de ce long silence entendre enfin sortir
Ce mot qui retentit jusque dans le ciel même,
Ce mot, le mot des dieux, et des hommes : ... Je t'aime !
Voilà ce qui vaut un soupir.

Un soupir ! un regret ! inutile parole !
Sur l'aile de la mort, mon âme au ciel s'envole ;
Je vais où leur instinct emporte nos désirs ;
Je vais où le regard voit briller l'espérance ;
Je vais où va le son qui de mon luth s'élance ;
Où sont allés tous mes soupirs !

Comme l'oiseau qui voit dans les ombres funèbres,
La foi, cet oeil de l'âme, a percé mes ténèbres ;
Son prophétique instinct m'a révélé mon sort.
Aux champs de l'avenir combien de fois mon âme,
S'élançant jusqu'au ciel sur des ailes de flamme,
A-t-elle devancé la mort ?

N'inscrivez point de nom sur ma demeure sombre.
Du poids d'un monument ne chargez pas mon ombre :
D'un peu de sable, hélas ! je ne suis point jaloux.
Laissez-moi seulement à peine assez d'espace
Pour que le malheureux qui sur ma tombe passe
Puisse y poser ses deux genoux.

Souvent dans le secret de l'ombre et du silence,
Du gazon d'un cercueil la prière s'élance
Et trouve l'espérance à côté de la mort.
Le pied sur une tombe on tient moins à la terre ;
L'horizon est plus vaste, et l'âme, plus légère,
Monte au ciel avec moins d'effort.

Brisez, livrez aux vents, aux ondes, à la flamme,
Ce luth qui n'a qu'un son pour répondre à mon âme !
Le luth des Séraphins va frémir sous mes doigts.
Bientôt, vivant comme eux d'un immortel délire,
Je vais guider, peut-être, aux accords de ma lyre,
Des cieux suspendus à ma voix.

Bientôt ! ... Mais de la mort la main lourde et muette
Vient de toucher la corde : elle se brise, et jette
Un son plaintif et sourd dans le vague des airs.
Mon luth glacé se tait ... Amis, prenez le vôtre ;
Et que mon âme encor passe d'un monde à l'autre
Au bruit de vos sacrés concerts !
La muse

Poète, prends ton luth et me donne un baiser ;
La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore,
Le printemps naît ce soir ; les vents vont s'embraser ;
Et la bergeronnette, en attendant l'aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser.
Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.

Le poète

Comme il fait noir dans la vallée !
J'ai cru qu'une forme voilée
Flottait là-bas sur la forêt.
Elle sortait de la prairie ;
Son pied rasait l'herbe fleurie ;
C'est une étrange rêverie ;
Elle s'efface et disparaît.

La muse

Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse,
Balance le zéphyr dans son voile odorant.
La rose, vierge encor, se referme jalouse
Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant.
Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée.
Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée
Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.
Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature
Se remplit de parfums, d'amour et de murmure,
Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.

Le poète

Pourquoi mon coeur bat-il si vite ?
Qu'ai-je donc en moi qui s'agite
Dont je me sens épouvanté ?
Ne frappe-t-on pas à ma porte ?
Pourquoi ma lampe à demi morte
M'éblouit-elle de clarté ?
Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.
Qui vient ? qui m'appelle ? - Personne.
Je suis seul ; c'est l'heure qui sonne ;
Ô solitude ! ô pauvreté !

La muse

Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse
Fermente cette nuit dans les veines de Dieu.
Mon sein est inquiet ; la volupté l'oppresse,
Et les vents altérés m'ont mis la lèvre en feu.
Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle.
Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas,
Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile,
Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ?
Ah ! je t'ai consolé d'une amère souffrance !
Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d'amour.
Console-moi ce soir, je me meurs d'espérance ;
J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour.

Le poète

Est-ce toi dont la voix m'appelle,
Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ?
Ô ma fleur ! ô mon immortelle !
Seul être pudique et fidèle
Où vive encor l'amour de moi !
Oui, te voilà, c'est toi, ma blonde,
C'est toi, ma maîtresse et ma soeur !
Et je sens, dans la nuit profonde,
De ta robe d'or qui m'inonde
Les rayons glisser dans mon coeur.

La muse

Poète, prends ton luth ; c'est moi, ton immortelle,
Qui t'ai vu cette nuit triste et silencieux,
Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle,
Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux.
Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire
Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ;
Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur terre,
Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur.
Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées,
Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ;
Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu,
Éveillons au hasard les échos de ta vie,
Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie,
Et que ce soit un rêve, et le premier venu.
Inventons quelque part des lieux où l'on oublie ;
Partons, nous sommes seuls, l'univers est à nous.
Voici la verte Écosse et la brune Italie,
Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,
Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes,
Et le front chevelu du Pélion changeant ;
Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent
Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer ?
D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ?
Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,
Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,
Secouait des lilas dans sa robe légère,
Et te contait tout bas les amours qu'il rêvait ?
Chanterons-nous l'espoir, la tristesse ou la joie ?
Tremperons-nous de sang les bataillons d'acier ?
Suspendrons-nous l'amant sur l'échelle de soie ?
Jetterons-nous au vent l'écume du coursier ?
Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre
De la maison céleste, allume nuit et jour
L'huile sainte de vie et d'éternel amour ?
Crierons-nous à Tarquin : " Il est temps, voici l'ombre ! "
Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ?
Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ?
Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ?
Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ?
La biche le regarde ; elle pleure et supplie ;
Sa bruyère l'attend ; ses faons sont nouveau-nés ;
Il se baisse, il l'égorge, il jette à la curée
Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant.
Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée,
S'en allant à la messe, un page la suivant,
Et d'un regard distrait, à côté de sa mère,
Sur sa lèvre entr'ouverte oubliant sa prière ?
Elle écoute en tremblant, dans l'écho du pilier,
Résonner l'éperon d'un hardi cavalier.
Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France
De monter tout armés aux créneaux de leurs tours,
Et de ressusciter la naïve romance
Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ?
Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ?
L'homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie,
Et ce qu'il a fauché du troupeau des humains
Avant que l'envoyé de la nuit éternelle
Vînt sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile,
Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ?
Clouerons-nous au poteau d'une satire altière
Le nom sept fois vendu d'un pâle pamphlétaire,
Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli,
S'en vient, tout grelottant d'envie et d'impuissance,
Sur le front du génie insulter l'espérance,
Et mordre le laurier que son souffle a sali ?
Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ;
Mon aile me soulève au souffle du printemps.
Le vent va m'emporter ; je vais quitter la terre.
Une larme de toi ! Dieu m'écoute ; il est temps.

Le poète

S'il ne te faut, ma soeur chérie,
Qu'un baiser d'une lèvre amie
Et qu'une larme de mes yeux,
Je te les donnerai sans peine ;
De nos amours qu'il te souvienne,
Si tu remontes dans les cieux.
Je ne chante ni l'espérance,
Ni la gloire, ni le bonheur,
Hélas ! pas même la souffrance.
La bouche garde le silence
Pour écouter parler le coeur.

La muse

Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau ?
Ô poète ! un baiser, c'est moi qui te le donne.
L'herbe que je voulais arracher de ce lieu,
C'est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du coeur :
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au **** s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L'Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son coeur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur,
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le coeur.
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.

Le poète

Ô Muse ! spectre insatiable,
Ne m'en demande pas si long.
L'homme n'écrit rien sur le sable
À l'heure où passe l'aquilon.
J'ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j'ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j'en pourrais dire,
Si je l'essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.
Stances

I

Sans doute il est trop **** pour parler encor d'elle ;
Depuis qu'elle n'est plus quinze jours sont passés,
Et dans ce pays-ci quinze jours, je le sais,
Font d'une mort récente une vieille nouvelle.
De quelque nom d'ailleurs que le regret s'appelle,
L'homme, par tout pays, en a bien vite assez.

II

Ô Maria-Felicia ! le peintre et le poète
Laissent, en expirant, d'immortels héritiers ;
Jamais l'affreuse nuit ne les prend tout entiers.
À défaut d'action, leur grande âme inquiète
De la mort et du temps entreprend la conquête,
Et, frappés dans la lutte, ils tombent en guerriers.

III

Celui-là sur l'airain a gravé sa pensée ;
Dans un rythme doré l'autre l'a cadencée ;
Du moment qu'on l'écoute, on lui devient ami.
Sur sa toile, en mourant, Raphael l'a laissée,
Et, pour que le néant ne touche point à lui,
C'est assez d'un enfant sur sa mère endormi.

IV

Comme dans une lampe une flamme fidèle,
Au fond du Parthénon le marbre inhabité
Garde de Phidias la mémoire éternelle,
Et la jeune Vénus, fille de Praxitèle,
Sourit encor, debout dans sa divinité,
Aux siècles impuissants qu'a vaincus sa beauté.

V

Recevant d'âge en âge une nouvelle vie,
Ainsi s'en vont à Dieu les gloires d'autrefois ;
Ainsi le vaste écho de la voix du génie
Devient du genre humain l'universelle voix...
Et de toi, morte hier, de toi, pauvre Marie,
Au fond d'une chapelle il nous reste une croix !

VI

Une croix ! et l'oubli, la nuit et le silence !
Écoutez ! c'est le vent, c'est l'Océan immense ;
C'est un pêcheur qui chante au bord du grand chemin.
Et de tant de beauté, de gloire et d'espérance,
De tant d'accords si doux d'un instrument divin,
Pas un faible soupir, pas un écho lointain !

VII

Une croix ! et ton nom écrit sur une pierre,
Non pas même le tien, mais celui d'un époux,
Voilà ce qu'après toi tu laisses sur la terre ;
Et ceux qui t'iront voir à ta maison dernière,
N'y trouvant pas ce nom qui fut aimé de nous,
Ne sauront pour prier où poser les genoux.

VIII

Ô Ninette ! où sont-ils, belle muse adorée,
Ces accents pleins d'amour, de charme et de terreur,
Qui voltigeaient le soir sur ta lèvre inspirée,
Comme un parfum léger sur l'aubépine en fleur ?
Où vibre maintenant cette voix éplorée,
Cette harpe vivante attachée à ton coeur ?

IX

N'était-ce pas hier, fille joyeuse et folle,
Que ta verve railleuse animait Corilla,
Et que tu nous lançais avec la Rosina
La roulade amoureuse et l'oeillade espagnole ?
Ces pleurs sur tes bras nus, quand tu chantais le Saule,
N'était-ce pas hier, pâle Desdemona ?

X

N'était-ce pas hier qu'à la fleur de ton âge
Tu traversais l'Europe, une lyre à la main ;
Dans la mer, en riant, te jetant à la nage,
Chantant la tarentelle au ciel napolitain,
Coeur d'ange et de lion, libre oiseau de passage,
Espiègle enfant ce soir, sainte artiste demain ?

XI

N'était-ce pas hier qu'enivrée et bénie
Tu traînais à ton char un peuple transporté,
Et que Londre et Madrid, la France et l'Italie,
Apportaient à tes pieds cet or tant convoité,
Cet or deux fois sacré qui payait ton génie,
Et qu'à tes pieds souvent laissa ta charité ?

XII

Qu'as-tu fait pour mourir, ô noble créature,
Belle image de Dieu, qui donnais en chemin
Au riche un peu de joie, au malheureux du pain ?
Ah ! qui donc frappe ainsi dans la mère nature,
Et quel faucheur aveugle, affamé de pâture,
Sur les meilleurs de nous ose porter la main ?

XIII

Ne suffit-il donc pas à l'ange de ténèbres
Qu'à peine de ce temps il nous reste un grand nom ?
Que Géricault, Cuvier, Schiller, Goethe et Byron
Soient endormis d'hier sous les dalles funèbres,
Et que nous ayons vu tant d'autres morts célèbres
Dans l'abîme entr'ouvert suivre Napoléon ?

XIV

Nous faut-il perdre encor nos têtes les plus chères,
Et venir en pleurant leur fermer les paupières,
Dès qu'un rayon d'espoir a brillé dans leurs yeux ?
Le ciel de ses élus devient-il envieux ?
Ou faut-il croire, hélas ! ce que disaient nos pères,
Que lorsqu'on meurt si jeune on est aimé des dieux ?

XV

Ah ! combien, depuis peu, sont partis pleins de vie !
Sous les cyprès anciens que de saules nouveaux !
La cendre de Robert à peine refroidie,
Bellini tombe et meurt ! - Une lente agonie
Traîne Carrel sanglant à l'éternel repos.
Le seuil de notre siècle est pavé de tombeaux.

XVI

Que nous restera-t-il si l'ombre insatiable,
Dès que nous bâtissons, vient tout ensevelir ?
Nous qui sentons déjà le sol si variable,
Et, sur tant de débris, marchons vers l'avenir,
Si le vent, sous nos pas, balaye ainsi le sable,
De quel deuil le Seigneur veut-il donc nous vêtir ?

XVII

Hélas ! Marietta, tu nous restais encore.
Lorsque, sur le sillon, l'oiseau chante à l'aurore,
Le laboureur s'arrête, et, le front en sueur,
Aspire dans l'air pur un souffle de bonheur.
Ainsi nous consolait ta voix fraîche et sonore,
Et tes chants dans les cieux emportaient la douleur.

XVIII

Ce qu'il nous faut pleurer sur ta tombe hâtive,
Ce n'est pas l'art divin, ni ses savants secrets :
Quelque autre étudiera cet art que tu créais ;
C'est ton âme, Ninette, et ta grandeur naïve,
C'est cette voix du coeur qui seule au coeur arrive,
Que nul autre, après toi, ne nous rendra jamais.

XIX

Ah ! tu vivrais encor sans cette âme indomptable.
Ce fut là ton seul mal, et le secret fardeau
Sous lequel ton beau corps plia comme un roseau.
Il en soutint longtemps la lutte inexorable.
C'est le Dieu tout-puissant, c'est la Muse implacable
Qui dans ses bras en feu t'a portée au tombeau.

**

Que ne l'étouffais-tu, cette flamme brûlante
Que ton sein palpitant ne pouvait contenir !
Tu vivrais, tu verrais te suivre et t'applaudir
De ce public blasé la foule indifférente,
Qui prodigue aujourd'hui sa faveur inconstante
À des gens dont pas un, certes, n'en doit mourir.

XXI

Connaissais-tu si peu l'ingratitude humaine ?
Quel rêve as-tu donc fait de te tuer pour eux ?
Quelques bouquets de fleurs te rendaient-ils si vaine,
Pour venir nous verser de vrais pleurs sur la scène,
Lorsque tant d'histrions et d'artistes fameux,
Couronnés mille fois, n'en ont pas dans les yeux ?

XXII

Que ne détournais-tu la tête pour sourire,
Comme on en use ici quand on feint d'être ému ?
Hélas ! on t'aimait tant, qu'on n'en aurait rien vu.
Quand tu chantais le Saule, au lieu de ce délire,
Que ne t'occupais-tu de bien porter ta lyre ?
La Pasta fait ainsi : que ne l'imitais-tu ?

XXIII

Ne savais-tu donc pas, comédienne imprudente,
Que ces cris insensés qui te sortaient du coeur
De ta joue amaigrie augmentaient la pâleur ?
Ne savais-tu donc pas que, sur ta tempe ardente,
Ta main de jour en jour se posait plus tremblante,
Et que c'est tenter Dieu que d'aimer la douleur ?

XXIV

Ne sentais-tu donc pas que ta belle jeunesse
De tes yeux fatigués s'écoulait en ruisseaux,
Et de ton noble coeur s'exhalait en sanglots ?
Quand de ceux qui t'aimaient tu voyais la tristesse,
Ne sentais-tu donc pas qu'une fatale ivresse
Berçait ta vie errante à ses derniers rameaux ?

XXV

Oui, oui, tu le savais, qu'au sortir du théâtre,
Un soir dans ton linceul il faudrait te coucher.
Lorsqu'on te rapportait plus froide que l'albâtre,
Lorsque le médecin, de ta veine bleuâtre,
Regardait goutte à goutte un sang noir s'épancher,
Tu savais quelle main venait de te toucher.

XXVI

Oui, oui, tu le savais, et que, dans cette vie,
Rien n'est bon que d'aimer, n'est vrai que de souffrir.
Chaque soir dans tes chants tu te sentais pâlir.
Tu connaissais le monde, et la foule, et l'envie,
Et, dans ce corps brisé concentrant ton génie,
Tu regardais aussi la Malibran mourir.

XXVII

Meurs donc ! ta mort est douce, et ta tâche est remplie.
Ce que l'homme ici-bas appelle le génie,
C'est le besoin d'aimer ; hors de là tout est vain.
Et, puisque tôt ou **** l'amour humain s'oublie,
Il est d'une grande âme et d'un heureux destin
D'expirer comme toi pour un amour divin !
Mon rêve le plus cher et le plus caressé,

Le seul qui rit encore à mon cœur oppressé,

C'est de m'ensevelir au fond d'une chartreuse,

Dans une solitude inabordable, affreuse ;

****, bien ****, tout là-bas, dans quelque Sierra

Bien sauvage, où jamais voix d'homme ne vibra,

Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches,

Où n'arrive pas même un bruit lointain de cloches ;

Dans quelque Thébaïde, aux lieux les moins hantés,

Comme en cherchaient les saints pour leurs austérités ;

Sous la grotte où grondait le lion de Jérôme,

Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume

Et boire la rosée à ton calice ouvert,

Ô frêle et chaste fleur, qui crois dans le désert

Aux fentes du tombeau de l'Espérance morte !

De non cœur dépeuplé je fermerais la porte

Et j'y ferais la garde, afin qu'un souvenir

Du monde des vivants n'y pût pas revenir ;

J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ;

Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire

Qu'aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait,

Pour y dormir ma nuit j'en ferais un chevet ;

Car je sais maintenant que vaut cette fumée

Qu'au-dessus du néant pousse une renommée.

J'ai regardé de près et la science et l'art :

J'ai vu que ce n'était que mensonge et hasard ;

J'ai mis sur un plateau de toile d'araignée

L'amour qu'en mon chemin j'ai reçue et donnée :

Puis sur l'autre plateau deux grains du vermillon

Impalpable, qui teint l'aile du papillon,

Et j'ai trouvé l'amour léger dans la balance.

Donc, reçois dans tes bras, ô douce somnolence,

Vierge aux pâles couleurs, blanche sœur de la mort,

Un pauvre naufragé des tempêtes du sort !

Exauce un malheureux qui te prie et t'implore,

Egraine sur son front le pavot inodore,

Abrite-le d'un pan de ton grand manteau noir,

Et du doigt clos ses yeux qui ne veulent plus voir.

Vous, esprits du désert, cependant qu'il sommeille,

Faites taire les vents et bouchez son oreille,

Pour qu'il n'entende pas le retentissement

Du siècle qui s'écroule, et ce bourdonnement

Qu'en s'en allant au but où son destin la mène

Sur le chemin du temps fait la famille humaine !


Je suis las de la vie et ne veux pas mourir ;

Mes pieds ne peuvent plus ni marcher ni courir ;

J'ai les talons usés de battre cette route

Qui ramène toujours de la science au doute.

Assez, je me suis dit, voilà la question.


Va, pauvre rêveur, cherche une solution

Claire et satisfaisante à ton sombre problème,

Tandis qu'Ophélia te dit tout haut : Je t'aime ;

Mon beau prince danois marche les bras croisés,

Le front dans la poitrine et les sourcils froncés,

D'un pas lent et pensif arpente le théâtre,

Plus pâle que ne sont ces figures d'albâtre,

Pleurant pour les vivants sur les tombeaux des morts ;

Épuise ta vigueur en stériles efforts,

Et tu n'arriveras, comme a fait Ophélie,

Qu'à l'abrutissement ou bien à la folie.

C'est à ce degré-là que je suis arrivé.

Je sens ployer sous moi mon génie énervé ;

Je ne vis plus ; je suis une lampe sans flamme,

Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme.


Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr,

Si dans un coin du cœur il éclot un désir,

Lui couper sans pitié ses ailes de colombe,

Être comme est un mort, étendu sous la tombe,

Dans l'immobilité savourer lentement,

Comme un philtre endormeur, l'anéantissement :

Voilà quel est mon vœu, tant j'ai de lassitude,

D'avoir voulu gravir cette côte âpre et rude,

Brocken mystérieux, où des sommets nouveaux

Surgissent tout à coup sur de nouveaux plateaux,

Et qui ne laisse voir de ses plus hautes cimes

Que l'esprit du vertige errant sur les abîmes.


C'est pourquoi je m'assieds au revers du fossé,

Désabusé de tout, plus voûté, plus cassé

Que ces vieux mendiants que jusques à la porte

Le chien de la maison en grommelant escorte.

C'est pourquoi, fatigué d'errer et de gémir,

Comme un petit enfant, je demande à dormir ;

Je veux dans le néant renouveler mon être,

M'isoler de moi-même et ne plus me connaître ;

Et comme en un linceul, sans y laisser un seul pli,

Rester enveloppé dans mon manteau d'oubli.


J'aimerais que ce fût dans une roche creuse,

Au penchant d'une côte escarpée et pierreuse,

Comme dans les tableaux de Salvator Rosa,

Où le pied d'un vivant jamais ne se posa ;

Sous un ciel vert, zébré de grands nuages fauves,

Dans des terrains galeux clairsemés d'arbres chauves,

Avec un horizon sans couronne d'azur,

Bornant de tous côtés le regard comme un mur,

Et dans les roseaux secs près d'une eau noire et plate

Quelque maigre héron debout sur une patte.

Sur la caverne, un pin, ainsi qu'un spectre en deuil

Qui tend ses bras voilés au-dessus d'un cercueil,

Tendrait ses bras en pleurs, et du haut de la voûte

Un maigre filet d'eau suintant goutte à goutte,

Marquerait par sa chute aux sons intermittents

Le battement égal que fait le cœur du temps.

Comme la Niobé qui pleurait sur la roche,

Jusqu'à ce que le lierre autour de moi s'accroche,

Je demeurerais là les genoux au menton,

Plus ployé que jamais, sous l'angle d'un fronton,

Ces Atlas accroupis gonflant leurs nerfs de marbre ;

Mes pieds prendraient racine et je deviendrais arbre ;

Les faons auprès de moi tondraient le gazon ras,

Et les oiseaux de nuit percheraient sur mes bras.


C'est là ce qu'il me faut plutôt qu'un monastère ;

Un couvent est un port qui tient trop à la terre ;

Ma nef tire trop d'eau pour y pouvoir entrer

Sans en toucher le fond et sans s'y déchirer.

Dût sombrer le navire avec toute sa charge,

J'aime mieux errer seul sur l'eau profonde et large.

Aux barques de pêcheur l'anse à l'abri du vent,

Aux simples naufragés de l'âme, le couvent.

À moi la solitude effroyable et profonde,

Par dedans, par dehors !


Par dedans, par dehors ! Un couvent, c'est un monde ;

On y pense, on y rêve, on y prie, on y croit :

La mort n'est que le seuil d'une autre vie ; on voit

Passer au long du cloître une forme angélique ;

La cloche vous murmure un chant mélancolique ;

La Vierge vous sourit, le bel enfant Jésus

Vous tend ses petits bras de sa niche ; au-dessus

De vos fronts inclinés, comme un essaim d'abeilles,

Volent les Chérubins en légions vermeilles.

Vous êtes tout espoir, tout joie et tout amour,

À l'escalier du ciel vous montez chaque jour ;

L'extase vous remplit d'ineffables délices,

Et vos cœurs parfumés sont comme des calices ;

Vous marchez entourés de célestes rayons

Et vos pieds après vous laissent d'ardents sillons !


Ah ! grands voluptueux, sybarites du cloître,

Qui passez votre vie à voir s'ouvrir et croître

Dans le jardin fleuri de la mysticité,

Les pétales d'argent du lis de pureté,

Vrais libertins du ciel, dévots Sardanapales,

Vous, vieux moines chenus, et vous, novices pâles,

Foyers couverts de cendre, encensoirs ignorés,

Quel don Juan a jamais sous ses lambris dorés

Senti des voluptés comparables aux vôtres !

Auprès de vos plaisirs, quels plaisirs sont les nôtres !

Quel amant a jamais, à l'âge où l'œil reluit,

Dans tout l'enivrement de la première nuit,

Poussé plus de soupirs profonds et pleins de flamme,

Et baisé les pieds nus de la plus belle femme

Avec la même ardeur que vous les pieds de bois

Du cadavre insensible allongé sur la croix !

Quelle bouche fleurie et d'ambroisie humide,

Vaudrait la bouche ouverte à son côté livide !

Notre vin est grossier ; pour vous, au lieu de vin,

Dans un calice d'or perle le sang divin ;

Nous usons notre lèvre au seuil des courtisanes,

Vous autres, vous aimez des saintes diaphanes,

Qui se parent pour vous des couleurs des vitraux

Et sur vos fronts tondus, au détour des arceaux,

Laissent flotter le bout de leurs robes de gaze :

Nous n'avons que l'ivresse et vous avez l'extase.

Nous, nos contentements dureront peu de jours,

Les vôtres, bien plus vifs, doivent durer toujours.

Calculateurs prudents, pour l'abandon d'une heure,

Sur une terre où nul plus d'un jour ne demeure,

Vous achetez le ciel avec l'éternité.

Malgré ta règle étroite et ton austérité,

Maigre et jaune Rancé, tes moines taciturnes

S'entrouvrent à l'amour comme des fleurs nocturnes,

Une tête de mort grimaçante pour nous

Sourit à leur chevet du rire le plus doux ;

Ils creusent chaque jour leur fosse au cimetière,

Ils jeûnent et n'ont pas d'autre lit qu'une bière,

Mais ils sentent vibrer sous leur suaire blanc,

Dans des transports divins, un cœur chaste et brûlant ;

Ils se baignent aux flots de l'océan de joie,

Et sous la volupté leur âme tremble et ploie,

Comme fait une fleur sous une goutte d'eau,

Ils sont dignes d'envie et leur sort est très-beau ;

Mais ils sont peu nombreux dans ce siècle incrédule

Creux qui font de leur âme une lampe qui brûle,

Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ,

Croire que tout s'est fait comme il était écrit.

Il en est qui n'ont pas le don des saintes larmes,

Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ;

Il est des malheureux qui ne peuvent prier

Et dont la voix s'éteint quand ils veulent crier ;

Tous ne se baignent pas dans la pure piscine

Et n'ont pas même part à la table divine :

Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas,

Si je n'ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas.


Aussi je me choisis un antre pour retraite

Dans une région détournée et secrète

D'où l'on n'entende pas le rire des heureux

Ni le chant printanier des oiseaux amoureux,

L'antre d'un loup crevé de faim ou de vieillesse,

Car tout son m'importune et tout rayon me blesse,

Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît,

Et je hais l'homme autant et plus que ne le hait

Le buffle à qui l'on vient de percer la narine.

De tous les sentiments croulés dans la ruine,

Du temple de mon âme, il ne reste debout

Que deux piliers d'airain, la haine et le dégoût.

Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ;

Ma tête de cheveux n'est pas découronnée ;

À peine vingt épis sont tombés du faisceau :

Je puis derrière moi voir encore mon berceau.

Mais les soucis amers de leurs griffes arides

M'ont fouillé dans le front d'assez profondes rides

Pour en faire une fosse à chaque illusion.

Ainsi me voilà donc sans foi ni passion,

Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre,

Et dès le premier mot sachant la fin du livre.

Car c'est ainsi que sont les jeunes d'aujourd'hui :

Leurs mères les ont faits dans un moment d'ennui.

Et qui les voit auprès des blancs sexagénaires

Plutôt que les enfants les estime les pères ;

Ils sont venus au monde avec des cheveux gris ;

Comme ces arbrisseaux frêles et rabougris

Qui, dès le mois de mai, sont pleins de feuilles mortes,

Ils s'effeuillent au vent, et vont devant leurs portes

Se chauffer au soleil à côté de l'aïeul,

Et du jeune et du vieux, à coup sûr, le plus seul,

Le moins accompagné sur la route du monde,

Hélas ! C'est le jeune homme à tête brune ou blonde

Et non pas le vieillard sur qui l'âge a neigé ;

Celui dont le navire est le plus allégé

D'espérance et d'amour, lest divin dont on jette

Quelque chose à la mer chaque jour de tempête,

Ce n'est pas le vieillard, dont le triste vaisseau

Va bientôt échouer à l'écueil du tombeau.

L'univers décrépit devient paralytique,

La nature se meurt, et le spectre critique

Cherche en vain sous le ciel quelque chose à nier.

Qu'attends-tu donc, clairon du jugement dernier ?

Dis-moi, qu'attends-tu donc, archange à bouche ronde

Qui dois sonner là-haut la fanfare du monde ?

Toi, sablier du temps, que Dieu tient dans sa main,

Quand donc laisseras-tu tomber ton dernier grain ?
A qui donc sommes-nous ? Qui nous a ? qui nous mène ?
Vautour fatalité, tiens-tu la race humaine ?
Oh ! parlez, cieux vermeils,
L'âme sans fond tient-elle aux étoiles sans nombre ?
Chaque rayon d'en haut est-il un fil de l'ombre
Liant l'homme aux soleils ?

Est-ce qu'en nos esprits, que l'ombre a pour repaires,
Nous allons voir rentrer les songes de nos pères ?
Destin, lugubre assaut !
O vivants, serions-nous l'objet d'une dispute ?
L'un veut-il notre gloire, et l'autre notre chute ?
Combien sont-ils là-haut ?

Jadis, au fond du ciel, aux yeux du mage sombre,
Deux joueurs effrayants apparaissaient dans l'ombre.
Qui craindre? qui prier ?
Les Manès frissonnants, les pâles Zoroastres
Voyaient deux grandes mains qui déplaçaient les astres
Sur le noir échiquier.

Songe horrible! le bien, le mal, de cette voûte
Pendent-ils sur nos fronts ? Dieu, tire-moi du doute !
O sphinx, dis-moi le mot !
Cet affreux rêve pèse à nos yeux qui sommeillent,
Noirs vivants! heureux ceux qui tout à coup s'éveillent
Et meurent en sursaut !
Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,

Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.

Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ :

Une tentation des pires. Fuis l'infâme.


Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme,

Battant toute vendange aux collines, couchant

Toute moisson de la vallée, et ravageant

Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame.


Ô pâlis, et va-t'en, lente et joignant les mains.

Si ces hiers allaient manger nos beaux demains ?

Si la vieille folie était encore en route ?


Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer ?

Un assaut furieux, le suprême sans doute !

Ô, va prier contre l'orage, va prier.
(Sur le départ de Madame la marquise.)

Allez, belle marquise, allez en d'autres lieux
Semer les doux périls qui naissent de vos yeux.
Vous trouverez partout les âmes toutes prêtes
A recevoir vos lois et grossir vos conquêtes,
Et les cœurs à l'envi se jetant dans vos fers
Ne feront point de vœux qui ne vous soient offerts ;
Mais ne pensez pas tant aux glorieuses peines
De ces nouveaux captifs qui vont prendre vos chaînes,
Que vous teniez vos soins tout-à-fait dispensés
De faire un peu de grâce à ceux que vous laissez.
Apprenez à leur noble et chère servitude
L'art de vivre sans vous et sans inquiétude ;
Et, si sans faire un crime on peut vous en prier,
Marquise, apprenez-moi l'art de vous oublier.

En vain de tout mon cœur la triste prévoyance
A voulu faire essai des maux de votre absence ;
Quand j'ai cru le soustraire à des yeux si charmants,
Je l'ai livré moi-même à de nouveaux tourments :
Il a fait quelques jours le mutin et le brave,
Mais il revient à vous, et revient plus esclave,
Et reporte à vos pieds le tyrannique effet
De ce tourment nouveau que lui-même il s'est fait.

Vengez-vous du rebelle, et faites-vous justice ;
Vous devez un mépris du moins à son caprice ;
Avoir un si long temps des sentiments si vains,
C'est assez mériter l'honneur de vos dédains.
Quelle bonté superbe, ou quelle indifférence
A sa rébellion ôte le nom d'offense ?

Quoi ! vous me revoyez sans vous plaindre de rien ?
Je trouve même accueil avec même entretien ?
Hélas ! et j'espérais que votre humeur altière
M'ouvrirait les chemins à la révolte entière ;
Ce cœur, que la raison ne peut plus secourir,
Cherchait dans votre orgueil une aide à se guérir :
Mais vous lui refusez un moment de colère ;
Vous m'enviez le bien d'avoir pu vous déplaire ;
Vous dédaignez de voir quels sont mes attentats,
Et m'en punissez mieux ne m'en punissant pas.

Une heure de grimace ou froide ou sérieuse,
Un ton de voix trop rude ou trop impérieuse,
Un sourcil trop sévère, une ombre de fierté,
M'eût peut-être à vos yeux rendu la liberté.

J'aime, mais en aimant je n'ai point la bassesse
D'aimer jusqu'au mépris de l'objet qui me blesse ;
Ma flamme se dissipe à la moindre rigueur.
Non qu'enfin mon amour prétende cœur pour cœur :
Je vois mes cheveux gris : je sais que les années
Laissent peu de mérite aux âmes les mieux nées ;
Que les plus beaux talents des plus rares esprits,
Quand les corps sont usés, perdent bien de leur prix ;
Que, si dans mes beaux jours je parus supportable,
J'ai trop longtemps aimé pour être encore aimable,
Et que d'un front ridé les replis jaunissants
Mêlent un triste charme au prix de mon encens.
Je connais mes défauts ; mais après tout, je pense
Être pour vous encore un captif d'importance :

Car vous aimez la gloire, et vous savez qu'un roi
Ne vous en peut jamais assurer tant que moi.
Il est plus en ma main qu'en celle d'un monarque
De vous faire égaler l'amante de Pétrarque,
Et mieux que tous les rois je puis faire douter
De sa Laure ou de vous qui le doit emporter.

Aussi, je le vois trop, vous aimez à me plaire,
Vous vous rendez pour moi facile à satisfaire ;
Votre âme de mes feux tire un plaisir secret,
Et vous me perdriez sans honte avec regret.

Marquise, dites donc ce qu'il faut que je fasse :
Vous rattachez mes fers quand la saison vous chasse ;
Je vous avais quittée, et vous me rappelez
Dans le cruel instant que vous vous en allez.
Rigoureuse faveur, qui force à disparaître
Ce calme étudié que je faisais renaître,
Et qui ne rétablit votre absolu pouvoir
Que pour me condamner à languir sans vous voir !

Payez, payez mes feux d'une plus faible estime,
Traitez-les d'inconstants ; nommez ma fuite un crime ;
Prêtez-moi, par pitié, quelque injuste courroux ;
Renvoyez mes soupirs qui volent après vous ;
Faites-moi présumer qu'il en est quelques autres
A qui jusqu'en ces lieux vous renvoyez des vôtres,
Qu'en faveur d'un rival vous allez me trahir :
J'en ai, vous le savez, que je ne puis haïr ;
Négligez-moi pour eux, mais dites en vous-même :
« Moins il me veut aimer, plus il fait voir qu'il m'aime,
Et m'aime d'autant plus que son cœur enflammé
N'ose même aspirer au bonheur d'être aimé ;
Je fais tous ses plaisirs, j'ai toutes ses pensées,
Sans que le moindre espoir les ait intéressées. »

Puissé-je malgré vous y penser un peu moins,
M'échapper quelques jours vers quelques autres soins,
Trouver quelques plaisirs ailleurs qu'en votre idée,
Et voir toute mon âme un peu moins obsédée ;
Et vous, de qui je n'ose attendre jamais rien,
Ne ressentir jamais un mal pareil au mien !

Ainsi parla Cléandre, et ses maux se passèrent,
Son feu s'évanouit, ses déplaisirs cessèrent :
Il vécut sans la dame, et vécut sans ennui,
Comme la dame ailleurs se divertit sans lui.
Heureux en son amour, si l'ardeur qui l'anime
N'en conçoit les tourments que pour s'en plaindre en rime,
Et si d'un feu si beau la céleste vigueur
Peut enflammer ses vers sans échauffer son cœur !
C'était l'explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d'une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort.

Au milieu de ce tohu-bohu et de ce vacarme, un âne trottait vivement, harcelé par un malotru armé d'un fouet.

Comme l'âne allait tourner l'angle d'un trottoir, un beau monsieur ganté, verni, cruellement cravaté et emprisonné dans des habits tout neufs, s'inclina cérémonieusement devant l'humble bête, et lui dit, en ôtant son chapeau : « Je vous la souhaite bonne et heureuse ! » puis se retourna vers je ne sais quels camarades avec un air de fatuité, comme pour les prier d'ajouter leur approbation à son contentement.

L'âne ne vit pas ce beau plaisant, et continua de courir avec zèle où l'appelait son devoir.

Pour moi, je fus pris subitement d'une incommensurable rage contre ce magnifique imbécile, qui me parut concentrer en lui tout l'esprit de la France.
Sois de bronze et de marbre et surtout sois de chair

Certes, prise l'orgueil nécessaire plus cher,

Pour ton combat avec les contingences vaines ;

Que les poils de ta barbe ou le sang de tes veines ;

Mais vis, vis pour souffrir, souffre pour expier,

Expie et va-t'en vivre et puis reviens prier,

Prier pour le courage et la persévérance

De vivre dans ce siècle, hélas ! et cette France,

Siècle et France ignorants et tristement railleurs.

(Mais le règne est plus haut et la patrie ailleurs

Et la solution est autre du problème.)

Sois de chair et même aime cette chair, la même

Que celle de Jésus sur terre et dans les cieux,

Et dans le Très Saint-Sacrement si précieux

Qu'il n'est de comparable à sa valeur que celle

De ta chair vénérable en sa moindre parcelle

Et dans le moindre grain de l'Hostie à l'autel ;

Car ce mystère, l'Incarnation, est tel,

Par l'exégèse autour comme par sa nature ;

Qu'il fait égale au Créateur la créature,

Cependant que, par un miracle encor plus grand,

L'Eucharistie, elle, les confond et les rend

Identiques. Or cette chair expiatoire.

Fais-t'en une arme douloureuse de victoire

Sur l'orgueil que Satan peut d'elle t'inspirer

Pour l'orgueil qu'à jamais tu peux considérer

Comme le prix suprême et le but enviable.

Tout le reste n'est rien que malice du diable !

Alors, oui, sois de bronze impassible, revêts

L'armure inaccessible à braver le Mauvais,

Pudeur, Calme, Respect, Silence et Vigilance.

Puis sois de marbre, et pur, sous le heaume qui lance

Par ses trous le regard de tes yeux assurés,

Marche à pas révérents sur les parvis sacrés.
Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté,

Pour moi, poète chétif,
Ton jeune corps maladif,
Plein de taches de rousseur,
A sa douceur.

Tu portes plus galamment
Qu'une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.

Au lieu d'un haillon trop court,
Qu'un superbe habit de cour
Traîne à plis bruyants et longs
Sur tes talons ;

En place de bas troués,
Que pour les yeux des roués
Sur ta jambe un poignard d'or
Reluise encor ;

Que des noeuds mal attachés
Dévoilent pour nos péchés
Tes deux beaux seins, radieux
Comme des yeux ;

Que pour te déshabiller
Tes bras se fassent prier
Et chassent à coups mutins
Les doigts lutins,

Perles de la plus belle eau,
Sonnets de maître Belleau
Par tes galants mis aux fers
Sans cesse offerts,

Valetaille de rimeurs
Te dédiant leurs primeurs
Et contemplant ton soulier
Sous l'escalier,

Maint page épris du hasard,
Maint seigneur et maint Ronsard
Épieraient pour le déduit
Ton frais réduit !

Tu compterais dans tes lits
Plus de baisers que de lis
Et rangerais sous tes lois
Plus d'un Valois !

- Cependant tu vas gueusant
Quelque vieux débris gisant
Au seuil de quelque Véfour
De carrefour ;

Tu vas lorgnant en dessous
Des bijoux de vingt-neuf sous
Dont je ne puis, oh ! pardon !
Te faire don.

Va donc ! sans autre ornement,
Parfum, perles, diamant,
Que ta maigre nudité,
Ô ma beauté !
Le ciel... prodigue en leur faveur les miracles.
La postérité de Joseph rentre dans la terre de Gessen ;
Et cette conquête, due aux larmes des vainqueurs,
Ne coûte pas une larme aux vaincus.
Chateaubriand, Martyrs.

I.

Savez-vous, voyageur, pourquoi, dissipant l'ombre,
D'innombrables clartés brillent dans la nuit sombre ?
Quelle immense vapeur rougit les cieux couverts ?
Et pourquoi mille cris, frappant la nue ardente,
Dans la ville, au **** rayonnante,
Comme un concert confus, s'élèvent dans les airs ?

II.

Ô joie ! ô triomphe ! ô mystère !
Il est né, l'enfant glorieux,
L'ange que promit à la terre
Un martyr partant pour les cieux :
L'avenir voilé se révèle.
Salut à la flamme nouvelle
Qui ranime l'ancien flambeau !
Honneur à ta première aurore,
Ô jeune lys qui viens d'éclore,
Tendre fleur qui sors d'un tombeau !

C'est Dieu qui l'a donné, le Dieu de la prière.
La cloche, balancée aux tours du sanctuaire,
Comme aux jours du repos, y rappelle nos pas.
C'est Dieu qui l'a donné, le Dieu de la victoire !
Chez les vieux martyrs de la gloire
Les canons ont tonné, comme au jour des combats.

Ce bruit, si cher à ton oreille,
Joint aux voix des temples bénis,
N'a-t-il donc rien qui te réveille,
Ô toi qui dors à Saint-Denis ?
Lève-toi ! Henri doit te plaire
Au sein du berceau populaire ;
Accours, ô père triomphant !
Enivre sa lèvre trompée,
Et viens voir si ta grande épée
Pèse aux mains du royal enfant.

Hélas ! il est absent, il est au sein des justes.
Sans doute, en ce moment, de ses aïeux augustes
Le cortège vers lui s'avance consolé :
Car il rendit, mourant sous des coups parricides,
Un héros à leurs tombes vides,
Une race de rois à leur trône isolé.

Parmi tous ces nobles fantômes,
Qu'il élève un front couronné,
Qu'il soit fier dans les saints royaumes,
Le père du roi nouveau-né !
Une race longue et sublime
Sort de l'immortelle victime ;
Tel un fleuve mystérieux,
Fils d'un mont frappé du tonnerre,
De son cours fécondant la terre,
Cache sa source dans les cieux.

Honneur au rejeton qui deviendra la tige !
Henri, nouveau Joas, sauvé par un prodige,
À l'ombre de l'autel croîtra vainqueur du sort ;
Un jour, de ses vertus notre France embellie,
À ses sœurs, comme Cornélie,
Dira : « Voilà mon fils, c'est mon plus beau trésor. »

III.

Ô toi, de ma pitié profonde
Reçois l'hommage solennel,
Humble objet des regards du monde
Privé du regard paternel !
Puisses-tu, né dans la souffrance,
Et de ta mère et de la France
Consoler la longue douleur !
Que le bras divin, t'environne,
Et puisse, ô Bourbon ! la couronne
Pour toi ne pas être un malheur !

Oui, souris, orphelin, aux larmes de ta mère !
Ecarte, en te jouant, ce crêpe funéraire
Qui voile ton berceau des couleurs du cercueil ;
Chasse le noir passé qui nous attriste encore ;
Sois à nos yeux comme une aurore !
Rends le jour et la joie à notre ciel en deuil !

Ivre d'espoir, ton roi lui-même,
Consacrant le jour où tu nais,
T'impose, avant le saint baptême,
Le baptême du Béarnais.
La veuve t'offre à l'orpheline ;
Vers toi, conduit par l'héroïne,
Vient ton aïeul en cheveux blancs ;
Et la foule, bruyante et fière,
Se presse à ce Louvre, où naguère,
Muette, elle entrait à pas lents.

Guerriers, peuple, chantez ; Bordeaux, lève ta tête,
Cité qui, la première, aux jours de la conquête,
Rendue aux fleurs de lys, as proclamé ta foi.
Et toi, que le martyr aux combats eût guidée,
Sors de ta douleur, ô Vendée !
Un roi naît pour la France, un solda naît pour toi.

IV.

Rattachez la nef à la rive :
La veuve reste parmi nous,
Et de sa patrie adoptive
Le ciel lui semble enfin plus doux.
L'espoir à la France l'enchaîne ;
Aux champs où fut frappé le chêne
Dieu fait croître un frêle roseau.
L'amour retient l'humble colombe ;
Il faut prier sur une tombe,
Il faut veiller sur un berceau.

Dis, qu'irais-tu chercher au lieu qui te vit naître,
Princesse ? Parthénope outrage son vieux maître :
L'étranger, qu'attiraient des bords exempts d'hivers
Voit Palerme en fureur, voit Messine en alarmes,
Et, plaignant la Sicile en armes,
De ce funèbre éden fuit les sanglantes mers.

Mais que les deux volcans s'éveillent !
Que le souffle du Dieu jaloux
Des sombres géants qui sommeillent
Rallume enfin l'ardent courroux ;
Devant les flots brûlants des laves
Que seront ces hautains esclaves,
Ces chefs d'un jour, ces grands soldats ?
Courage ! ô vous, vainqueurs sublimes !
Tandis que vous marchez aux crimes,
La terre tremble sous vos pas !

Reste au sein des français, ô fille de Sicile !
Ne fuis pas, pour des bords d'où le bonheur s'exile,
Une terre où le lys se relève immortel ;
Où du peuple et des rois l'union salutaire
N'est point cet ***** adultère
Du trône et des partis, des camps et de l'autel.

V.

Nous, ne craignons plus les tempêtes !
Bravons l'horizon menaçant !
Les forfaits qui chargeaient nos têtes
Sont rachetés par l'innocent !
Quand les nochers, dans la tourmente,
Jadis, voyaient l'onde écumante
Entr'ouvrir leurs frêle vaisseau,
Sûrs de la clémence éternelle,
Pour sauver la nef criminelle
Ils y suspendaient un berceau.

Octobre 1820.
Tous ceux qui parlent des merveilles
Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent leurs larmes pour de l'eau

Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu'il voit
Ce qu'il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix

Ses secrets partout qu'il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé

Ma vie au **** mon étrangère
Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été

Automne automne long automne
Comme le cri du vitrier
De rue en rue et je chantonne
Un air dont lentement s'étonne
Celui qui ne sait plus prier.
L'étang mystérieux, suaire aux blanches moires,
Frisonne ; au fond du bois la clairière apparaît ;
Les arbres sont profonds et les branches sont noires ;
Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ?

Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?
Vous qui passez dans l'ombre, êtes-vous des amants ?
Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines ;
L'herbe s'éveille et parle aux sépulcres dormants.

Que dit-il, le brin d'herbe ? et que répond la tombe ?
Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs.
Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe ;
Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.

Dieu veut qu'on ait aimé. Vivez ! faites envie,
Ô couples qui passez sous le vert coudrier.
Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,
On emporta d'amour, on l'emploie à prier.

Les mortes d'aujourd'hui furent jadis les belles.
Le ver luisant dans l'ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles,
Le brin d'herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.

La forme d'un toit noir dessine une chaumière ;
On entend dans les prés le pas lourd du faucheur ;
L'étoile aux cieux, ainsi qu'une fleur de lumière,
Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur.

Aimez-vous ! c'est le mois où les fraises sont mûres.
L'ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,
Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,
Les prières des morts aux baisers des vivants.

Chelles, août 18...
Il est certains esprits d'un naturel hargneux
Qui toujours ont besoin de guerre ;
Ils aiment à piquer, se plaisent à déplaire,
Et montrent pour cela des talents merveilleux.
Quant à moi, je les fuis sans cesse,
Eussent-ils tous les dons et tous les attributs :
J'y veux de l'indulgence ou de la politesse ;
C'est la parure des vertus.
Un hérisson, qu'une tracasserie
Avait forcé de quitter sa patrie,
Dans un grand terrier de lapins
Vint porter sa misanthropie.
Il leur conta ses longs chagrins,
Contre ses ennemis exhala bien sa bile,
Et finit par prier les hôtes souterrains
De vouloir lui donner asile.
Volontiers, lui dit le doyen :
Nous sommes bonnes gens, nous vivons comme frères,
Et nous ne connaissons ni le tien ni le mien ;
Tout est commun ici : nos plus grandes affaires
Sont d'aller, dès l'aube du jour,
Brouter le serpolet, jouer sur l'herbe tendre :
Chacun, pendant ce temps, sentinelle à son tour,
Veille sur le chasseur qui voudrait nous surprendre ;
S'il l'aperçoit, il frappe, et nous voilà blottis.
Avec nos femmes, nos petits,
Dans la gaîté, dans la concorde,
Nous passons les instants que le ciel nous accorde.
Souvent ils sont prompts à finir ;
Les panneaux, les furets, abrègent notre vie,
Raison de plus pour en jouir.
Du moins par l'amitié, l'amour et le plaisir,
Autant qu'elle a duré nous l'avons embellie :
Telle est notre philosophie.
Si cela vous convient, demeurez avec nous,
Et soyez de la colonie ;
Sinon, faites l'honneur à notre compagnie
D'accepter à dîner, puis retournez chez vous.
À ce discours plein de sagesse,
Le hérisson repart qu'il sera trop heureux
De passer ses jours avec eux.
Alors chaque lapin s'empresse
D'imiter l'honnête doyen
Et de lui faire politesse.
Jusques au soir tout alla bien.
Mais lorsqu'après souper la troupe réunie
Se mit à deviser des affaires du temps,
Le hérisson de ses piquants
Blesse un jeune lapin. Doucement, je vous prie,
Lui dit le père de l'enfant.
Le hérisson, se retournant,
En pique deux, puis trois, et puis un quatrième.
On murmure, on se fâche, on l'entoure en grondant.
Messieurs, s'écria-t-il, mon regret est extrême ;
Il faut me le passer, je suis ainsi bâti,
Et je ne puis pas me refondre.
Ma foi, dit le doyen, en ce cas, mon ami,
Tu peux aller te faire tondre.
Un prêtre de Jupiter,
Père de deux grandes filles,
Toutes deux assez gentilles,
De bien les marier fit son soin le plus cher.
Les prêtres de ce temps vivaient de sacrifices,
Et n'avaient point de bénéfices.
La dot était fort mince. Un jeune jardinier
Se présenta pour gendre ; on lui donna l'aînée.
Bientôt après cet hyménée
La cadette devint la femme d'un potier.
À quelques jours de là, chaque épouse établie
Chez son époux, le père va les voir.
Bon jour, dit-il, je viens savoir
Si le choix que j'ai fait rend heureuse ta vie,
S'il ne te manque rien, si je peux y pourvoir.
Jamais, répond la jardinière,
Vous ne fîtes meilleure affaire :
La paix et le bonheur habitent ma maison ;
Je tâche d'être bonne, et mon époux est bon :
Il sait m'aimer sans jalousie,
Je l'aime sans coquetterie ;
Aussi tout est plaisir, tout jusqu'à nos travaux ;
Nous ne désirons rien, sinon qu'un peu de pluie
Fasse pousser nos artichauts.
- C'est là tout ? - Oui vraiment. -tu seras satisfaite,
Dit le vieillard : demain je célèbre la fête
De Jupiter ; je lui dirai deux mots.
Adieu, ma fille. - Adieu, mon père.
Le prêtre de ce pas s'en va chez la potière
L'interroger, comme sa sœur,
Sur son mari, sur son bonheur.
Oh ! Répond celle-ci, dans mon petit ménage,
Le travail, l'amour, la santé,
Tout va fort bien en vérité ;
Nous ne pouvons suffire à la vente, à l'ouvrage :
Notre unique désir serait que le soleil
Nous montrât plus souvent son visage vermeil
Pour sécher notre poterie.
Vous, pontife du dieu de l'air,
Obtenez-nous cela, mon père, je vous prie ;
Parlez pour nous à Jupiter.
- Très volontiers, ma chère amie :
Mais je ne sais comment accorder mes enfants ;
Tu me demandes du beau temps,
Et ta sœur a besoin de pluie.
Ma foi, je me tairai, de peur d'être en défaut.
Jupiter mieux que nous sait bien ce qu'il nous faut ;
Prétendre le guider serait folie extrême.
Sachons prendre le temps comme il veut l'envoyer :
L'homme est plus cher aux dieux qu'il ne l'est à lui-même ;
Se soumettre, c'est les prier.
Marbre de Paros.

Un jour, au doux rêveur qui l'aime,
En train de montrer ses trésors,
Elle voulut lire un poème,
Le poème de son beau corps.

D'abord, superbe et triomphante
Elle vint en grand apparat,
Traînant avec des airs d'infante
Un flot de velours nacarat :

Telle qu'au rebord de sa loge
Elle brille aux Italiens,
Ecoutant passer son éloge
Dans les chants des musiciens.

Ensuite, en sa verve d'artiste,
Laissant tomber l'épais velours,
Dans un nuage de batiste
Elle ébaucha ses fiers contours.

Glissant de l'épaule à la hanche,
La chemise aux plis nonchalants,
Comme une tourterelle blanche
Vint s'abattre sur ses pieds blancs.

Pour Apelle ou pour Cléoméne,
Elle semblait, marbre de chair,
En Vénus Anadyomène
Poser nue au bord de la mer.

De grosses perles de Venise
Roulaient au lieu de gouttes d'eau,
Grains laiteux qu'un rayon irise,
Sur le frais satin de sa peau.

Oh ! quelles ravissantes choses,
Dans sa divine nudité,
Avec les strophes de ses poses,
Chantait cet hymne de beauté !

Comme les flots baisant le sable
Sous la lune aux tremblants rayons,
Sa grâce était intarissable
En molles ondulations.

Mais bientôt, lasse d'art antique,
De Phidias et de Vénus,
Dans une autre stance plastique
Elle groupe ses charmes nus.

Sur un tapis de Cachemire,
C'est la sultane du sérail,
Riant au miroir qui l'admire
Avec un rire de corail ;

La Géorgienne indolente,
Avec son souple narguilhé,
Etalant sa hanche opulente,
Un pied sous l'autre replié.

Et comme l'odalisque d'Ingres,
De ses reins cambrant les rondeurs,
En dépit des vertus malingres,
En dépit des maigres pudeurs !

Paresseuse odalisque, arrière !
Voici le tableau dans son jour,
Le diamant dans sa lumière ;
Voici la beauté dans l'amour !

Sa tête penche et se renverse ;
Haletante, dressant les seins,
Aux bras du rêve qui la berce,
Elle tombe sur ses coussins.

Ses paupières battent des ailes
Sur leurs globes d'argent bruni,
Et l'on voit monter ses prunelles
Dans la nacre de l'infini.

D'un linceul de point d'Angleterre
Que l'on recouvre sa beauté :
L'extase l'a prise à la terre ;
Elle est morte de volupté !

Que les violettes de Parme,
Au lieu des tristes fleurs des morts
Où chaque perle est une larme,
Pleurent en bouquets sur son corps !

Et que mollement on la pose
Sur son lit, tombeau blanc et doux,
Où le poète, à la nuit close,
Ira prier à deux genoux.
Kevin Haack Feb 2015
F
I was once the best
I was always first
Everything was so easy
Understanding and
Prier knowledge
Helped me
But it soon caught me
Something similar
But all different
I began to fall
From my throne
But I will earn
My place at the top
Again
Les grands appartements qu'elle habite l'hiver
Sont tièdes. Aux plafonds, légers comme l'éther,
Planent d'amoureuses peintures.

Nul bruit ; partout les voix, les pas sont assoupis
Par la laine opulente et molle des tapis
Et l'ample velours des tentures.

Aux fenêtres, dehors, la grêle a beau sévir,
Sous ses balles de glace à peine on sent frémir
L'épais vitrail qui les renvoie ;

Et la neige et le givre aux glaciales fleurs
Restent voilés aux yeux sous les chaudes couleurs
De longs rideaux brochés de soie.

Là, dans de vieux tableaux, le ciel vénitien
Prête au soleil de France un effluve du sien ;
Et sur la haute cheminée,

Dans des vases ravis en Grèce à des autels,
Des lis renouvelés qu'on dirait immortels
Ne font qu'un printemps de l'année.

Sa chambre est toute bleue et suave ; on y sent
Le vestige embaumé de quelque œillet absent
Dont l'air a gardé la mémoire ;

Ses genoux, pour prier, posent sur du satin,
Et ses aïeux tenaient d'un maître florentin
Son crucifix de vieil ivoire.

Elle peut, lasse enfin des salons somptueux,
Goûter de son boudoir le jour voluptueux
Où sommeille un vague mystère ;

Et là ses yeux levés rencontrent un Watteau
Où de sveltes amants, un pied sur le bateau,
Vont appareiller pour Cythère.

L'hiver passe, elle émigre en sa villa d'été.
Elle y trouve le ciel, l'immense aménité
Des monts, des vallons et des plaines ;

Depuis les dahlias qui bordent la maison
Jusques au dernier flot des blés à l'horizon,
Elle ne voit que ses domaines.

Puis c'est la promenade en barque sur les lacs,
La sieste à l'ombre au fond des paresseux hamacs,
La course aux prés en jupes blanches,

Et le roulement doux des calèches au bois,
Et le galop, voilette au front, badine aux doigts,
Sous le mobile arceau des branches ;

Et, par les midis lourds, les délices du bain :
Deux jets purs inondant la vasque dont sa main
Tourne à son gré les cols de cygnes,

Et le charme du frais, suave abattement
Où, rêveuse, elle voit sous l'eau, presque en dormant,
De son beau corps trembler les lignes.

Ainsi coulent ses jours, pareils aux jours heureux ;
Mais un secret fardeau s'appesantit sur eux,
Ils ne sont pas dignes d'envie.

On lit dans son regard fiévreux ou somnolent,
Dans son rare sourire et dans son geste lent
Le dégoût amer de la vie.

Oh ! Quelle âme entendra sa pauvre âme crier ?
Quel sauveur magnanime et beau, quel chevalier
Doit survenir à l'improviste,

Et l'enlever en croupe, et l'emporter là-bas,
Sous un chaume enfoui dans l'herbe et les lilas,
****, bien **** de ce luxe triste ?

Personne. Elle dédaigne un criminel espoir,
Et se plaît à languir, en proie à son devoir.
Morte sous ses parures neuves,

Elle n'a pas d'amour, l'honneur le lui défend ;
Misérablement riche, elle n'a pas d'enfant ;
Elle est plus seule que les veuves.
Tristesse amère

Ne peut crier :

Pourtant, ma mère,

Je veux prier.


Là-haut peut-être

On m'entendra ;

Qui m'a fait naître

Me soutiendra.


James qui m'aime

Va me quitter ;

Cette nuit même

Doit l'emporter.


Le temps est sombre,

Et sur les flots

Voyez-vous l'ombre

Des matelots ?


Dans leur nacelle

Il s'engagea ;

C'est encor celle

Qui naufragea !


On tend la voile ;

Ô désespoir !

Pas une étoile

Pour l'entrevoir.


A la chapelle,

Avant le jour,

Un vœu m'appelle,

Un vœu d'amour.


Il doit m'attendre ;

J'y porte encor

Un baiser tendre,

Un anneau d'or.


Don de mon père,

C'est le dernier :

Qu'il soit prospère

Au marinier !


C'est le symbole

De mon lien ;

Pour mon idole

Je n'ai plus rien.
Il ne faudrait pourtant, me disais-je à moi-même,
Qu'une permission de notre seigneur Dieu,
Pour qu'il vînt à passer quelque femme en ce lieu.
Les bosquets sont déserts ; la chaleur est extrême ;
Les vents sont à l'amour l'horizon est en feu ;
Toute femme, ce soir, doit désirer qu'on l'aime.

S'il venait à passer, sous ces grands marronniers,
Quelque alerte beauté de l'école flamande,
Une ronde fillette, échappée à Téniers,
Ou quelque ange pensif de candeur allemande :
Une vierge en or fin d'un livre de légende,
Dans un flot de velours traînant ses petits pieds ;

Elle viendrait par là, de cette sombre allée,
Marchant à pas de biche avec un air boudeur,
Ecoutant murmurer le vent dans la feuillée,
De paresse amoureuse et de langueur voilée,
Dans ses doigts inquiets tourmentant une fleur,
Le printemps sur la joue, et le ciel dans le coeur.

Elle s'arrêterait là-bas, sous la tonnelle.
Je ne lui dirais rien, j'irais tout simplement
Me mettre à deux genoux par terre devant elle,
Regarder dans ses yeux l'azur du firmament,
Et pour toute faveur la prier seulement
De se laisser aimer d'une amour immortelle.
Dieu ! créez à sa vie un objet plein de charmes,
Une voix qui réponde aux secrets de sa voix !
Donnez-lui du bonheur, Dieu ! donnez-lui des larmes ;
Du bonheur de le voir j'ai pleuré tant de fois !

J'ai pleuré : mais ma voix se tait devant la sienne ;
Mais tout ce qu'il m'apprend, lui seul l'ignorera ;
Il ne dira jamais : « Soyons heureux, sois mienne ! »
L'aimera-t-elle assez, celle qui l'entendra ?

Celle à qui sa présence ira porter la vie,
Qui sentira son cœur l'atteindre et la chercher,
Qui ne fuira jamais, bien qu'à jamais suivie,
Et dont l'ombre à la sienne osera s'attacher ?

Ils ne feront qu'un seul ! et ces ombres heureuses
Dans les clartés du soir se confondront toujours ;
Ils ne sentiront pas d'entraves douloureuses
Désenchaîner leurs nuits, désenchanter leurs jours !

Qu'il la trouve demain ! Qu'il m'oublie et l'adore !
Demain : à mon courage il reste peu d'instants.
Pour une autre aujourd'hui je peux prier encore ;
Mais . . . Dieu ! vous savez tout : vous savez s'il est temps !
Ne m'aimez pas !... Je veux pouvoir prier pour vous,
Comme pour les amis dont le soir, à genoux,
Je me souviens - afin qu'éloignant la tempête,
Dieu leur donne un ciel pur pour abriter leur tête.

Je veux, de vos bonheurs, prendre tout haut ma part,
Le front calme et serein, sans craindre aucun regard ;
Je veux, quand vous entrez, vous donner un sourire,
Trouver doux de vous voir, en osant vous le dire.

Je veux, si vous souffrez, partageant vos destins,
Vous dire : « Qu'avez-vous ? » et vous tendre les mains.
Je veux, si par hasard votre raison chancelle,
Vous réserver l'appui de l'amitié fidèle,
Et qu'entraîné par moi dans le sentier du bien,
Votre pas soit guidé par la trace du mien.

Je veux, si je me blesse aux buissons de la route,
Vous chercher du regard, et sans crainte, sans doute,
Murmurer à voix basse : « Ami, protégez-moi ! »
Et prenant votre bras, m'y pencher sans effroi.

Je veux qu'en nos vieux jours, au déclin de la vie,
Nous détournant pour voir la route... alors finie,
Nos yeux, en parcourant le long sillon tracé,
Ne trouvent nul remords dans les champs du passé.

Laissez les sentiments qu'on brise ou qu'on oublie ;
Gardons notre amitié, que ce soit pour la vie !
Votre sœur, chaque jour, vous suivra pas à pas...
Oh ! je vous en conjure, ami, ne m'aimez pas !
Sonnet.


Je voudrais bien prier, je suis plein de soupirs !
Ma cruelle raison veut que je les contienne.
Ni les vœux suppliants d'une mère chrétienne,
Ni l'exemple des saints, ni le sang des martyrs,

Ni mon besoin d'aimer, ni mes grands repentirs,
Ni mes pleurs, n'obtiendront que la foi me revienne.
C'est une angoisse impie et sainte que la mienne :
Mon doute insulte en moi le Dieu de mes désirs.

Pourtant je veux prier, je suis trop solitaire ;
Voici que j'ai posé mes deux genoux à terre :
Je vous attends, Seigneur ; Seigneur, êtes-vous là ?

J'ai beau joindre les mains, et, le front sur la Bible,
Redire le Credo que ma bouche épela,
Je ne sens rien du tout devant moi. C'est horrible.

— The End —