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Pourquoi, du doux éclat des croyances du cœur
Vouloir éteindre en moi la dernière lueur ?
Pourquoi, lorsque la brise à l'aurore m'arrive,
Me dire de rester pleurante sur la rive ?
Pourquoi, lorsque des fleurs je veux chercher le miel,
Portez-vous à ma bouche et l'absinthe et le fiel ?

Pourquoi, si je souris au murmure de l'onde,
Dites-vous que plus **** c'est un torrent qui gronde ?
Pourquoi de nos saisons n'admettre que l'hiver,
Ou lorsque l'or reluit ne parler que du fer ?
Pourquoi, brisant la coupe où j'essaye de boire,
Enlever à mon cœur le doux bonheur de croire ;
Lui crier que, pour tous, tout s'altère ici-bas,
Que l'amour, par l'oubli ; se donne un prompt trépas ;
Qu'une idole adorée ou se brise ou se change,
Que tout commence au ciel et finit dans la fange !..

Vous que je nomme amis, vous qui serrez ma main,
Votre bouche me dit : « Rien n'arrive à demain. »
Vous parlez en riant et j'écoute avec larmes !
Vous brisez de mes jours les poétiques charmes.
À côté de la Foi, s'envolera l'Espoir...
Ces deux anges partis, le ciel sera bien noir !
Laissez-moi le soleil ; que son disque de flamme
Descende en longs rayons et réchauffe mon âme !
Vous qui doutez de tout, je lutte contre vous,
L'armure de mon cœur résiste sous vos coups.
De vos glaives cruels brisant la froide lame,
Radieuse d'espoir, vous échappe mon âme !
**** des climats glacés l'instinct la guidera,
Et sans jeter ses fleurs, son vol se poursuivra.

Vous qui doutez de tout, niant votre blasphème,
Malgré vous, en ce jour, je crois même en vous-même !
Il est, à votre insu, dans le fond de vos cœurs,
Des parfums ignorés, des calices de fleurs
Qui, dans vos jours bruyants, n'ont pu fleurir encore,
Et qu'un soleil plus doux ferait peut-être éclore.

Oui, je crois au printemps, au matin, au réveil ;
À l'étoile, la nuit ; et le jour, au soleil.

Je crois que la chaleur vient souvent sans orage,
Qu'un arbre peut tomber avec son vert feuillage,
Que les fleurs de la terre ont encore du miel,
Qu'il est, à l'horizon, un peu d'azur au ciel !

Je crois aux nobles cœurs, je crois aux nobles âmes,
Chez qui l'amour du bien n'éteint jamais ses flammes ;
Je crois aux dévouements qui poursuivent leurs cours,
Vieillissant en disant ce mot béni : « Toujours. »

Je crois à l'Amitié, sœur aimante et fidèle,
Sur les flots en courroux suivant notre nacelle,
Debout à nos côtés quand frappe le destin...
Sommeillant à nos pieds quand le ciel est serein !

Puis je crois à l'Amour, merveilleuse harmonie
Dont le céleste chant suit le cours de la vie,
Amour que rien n'atteint, sainte et divine foi
Qui fait croire en un autre et surtout croire à soi !
D'un noble dévouement source vive et féconde,
Qui trouve trop étroits et la vie et le monde.

Je crois au Souvenir, au long regret du cœur,
Regret que l'on bénit comme un dernier bonheur,
Crépuscule d'amour, triste après la lumière...
Mais plus brillant encore que le jour de la terre !

Je crois à la Vertu, mais voilée ici-bas ;
C'est un ange cachant la trace de ses pas.
Sous ses voiles épais, Dieu seul sait qu'elle est belle,
Et vous la blasphémez, en passant auprès d'elle !

La terre sous nos pieds cache ses mines d'or :
Comme elle, croyez-moi, le cœur a son trésor,
Mais il faut le creuser ; souvent, à sa surface,
De ses veines d'or pur rien ne trahit la trace.

Oh ! croyez comme moi, que sur l'immense mer
Il est des bords lointains dont le feuillage est vert ;
Cherchez-les, et ramez vers ces heureux rivages...
Tendez la voile au vent, saisissez les cordages ;
Debout au gouvernail, portez au **** vos yeux,
Prenez pour votre guide une étoile des cieux !
Ne courbez pas vos fronts pour sonder les abîmes,
Mais levez les regards pour découvrir les cimes.
Marchez, marchez toujours, et quand viendra la mort,
En regardant les cieux, amis, croyez encore !
Tant que mon pauvre cœur, encor plein de jeunesse,
A ses illusions n'aura pas dit adieu,
Je voudrais m'en tenir à l'antique sagesse,
Qui du sobre Épicure a fait un demi-dieu
Je voudrais vivre, aimer, m'accoutumer aux hommes
Chercher un peu de joie et n'y pas trop compter,
Faire ce qu'on a fait, être ce que nous sommes,
Et regarder le ciel sans m'en inquiéter.

Je ne puis ; - malgré moi l'infini me tourmente.
Je n'y saurais songer sans crainte et sans espoir ;
Et, quoi qu'on en ait dit, ma raison s'épouvante
De ne pas le comprendre et pourtant de le voir.
Qu'est-ce donc que ce monde, et qu'y venons-nous faire,
Si pour qu'on vive en paix, il faut voiler les cieux ?
Passer comme un troupeau les yeux fixés à terre,
Et renier le reste, est-ce donc être heureux ?
Non, c'est cesser d'être homme et dégrader son âme.
Dans la création le hasard m'a jeté ;
Heureux ou malheureux, je suis né d'une femme,
Et je ne puis m'enfuir hors de l'humanité.

Que faire donc ? « Jouis, dit la raison païenne ;
Jouis et meurs ; les dieux ne songent qu'à dormir.
- Espère seulement, répond la foi chrétienne ;
Le ciel veille sans cesse, et tu ne peux mourir. »
Entre ces deux chemins j'hésite et je m'arrête.
Je voudrais, à l'écart, suivre un plus doux sentier.
Il n'en existe pas, dit une voix secrète ;
En présence du ciel, il faut croire ou nier.
Je le pense en effet ; les âmes tourmentées
Dans l'un et l'autre excès se jettent tour à tour,
Mais les indifférents ne sont que des athées ;
Ils ne dormiraient plus s'ils doutaient un seul jour.
Je me résigne donc, et, puisque la matière
Me laisse dans le cœur un désir plein d'effroi,
Mes genoux fléchiront ; je veux croire et j'espère.
Que vais-je devenir, et que veut-on de moi ?
Me voilà dans les mains d'un Dieu plus redoutable
Que ne sont à la fois tous les maux d'ici-bas ;
Me voilà seul, errant, fragile et misérable,
Sous les yeux d'un témoin qui ne me quitte pas.
Il m'observer il me suit. Si mon cœur bat trop vite,
J'offense sa grandeur et sa divinité.
Un gouffre est sous mes pas si je m'y précipite,
Pour expier une heure il faut l'éternité.
Mon juge est un bourreau qui trompe sa victime.
Pour moi, tout devient piège et tout change de nom
L'amour est un péché, le bonheur est un crime,
Et l'œuvre des sept jours n'est que tentation
Je ne garde plus rien de la nature humaine ;
Il n'existe pour moi ni vertu ni remord .
J'attends la récompense et j'évite la peine ;
Mon seul guide est la peur, et mon seul but, la mort
On me dit cependant qu'une joie infinie
Attend quelques élus. - Où sont-ils, ces heureux ?
Si vous m'avez trompé, me rendrez-vous la vie ?
Si vous m'avez dit vrai, m'ouvrirez-vous les cieux ?
Hélas ! ce beau pays dont parlaient vos prophètes,
S'il existe là-haut, ce doit être un désert
Vous les voulez trop purs, les heureux que vous faites,
Et quand leur joie arrive, ils en ont trop souffert.
Je suis seulement homme, et ne veux pas moins être,
Ni tenter davantage. - À quoi donc m'arrêter ?
Puisque je ne puis croire aux promesses du prêtre,
Est-ce l'indifférent que je vais consulter ?

Si mon cœur, fatigué du rêve qui l'obsède,
À la réalité revient pour s'assouvir,
Au fond des vains plaisirs que j'appelle à mon aide
Je trouve un tel dégoût, que je me sens mourir
Aux jours même où parfois la pensée est impie,
Où l'on voudrait nier pour cesser de douter,
Quand je posséderais tout ce qu'en cette vie
Dans ses vastes désirs l'homme peut convoiter ;
Donnez-moi le pouvoir, la santé, la richesse,
L'amour même, l'amour, le seul bien d'ici-bas !
Que la blonde Astarté, qu'idolâtrait la Grèce,
De ses îles d'azur sorte en m'ouvrant les bras ;
Quand je pourrais saisir dans le sein de la terre
Les secrets éléments de sa fécondité,
Transformer à mon gré la vivace matière
Et créer pour moi seul une unique beauté ;
Quand Horace, Lucrèce et le vieil Épicure,
Assis à mes côtés m'appelleraient heureux
Et quand ces grands amants de l'antique nature
Me chanteraient la joie et le mépris des dieux,
Je leur dirais à tous : « Quoi que nous puissions faire,
Je souffre, il est trop **** ; le monde s'est fait vieux
Une immense espérance a traversé la terre ;
Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux ! »
Que me reste-t-il donc ? Ma raison révoltée
Essaye en vain de croire et mon cœur de douter
De chrétien m'épouvante, et ce que dit l'athée,
En dépit de mes sens, je ne puis l'écouter.
Les vrais religieux me trouveront impie,
Et les indifférents me croiront insensé.
À qui m'adresserai-je, et quelle voix amie
Consolera ce cœur que le doute a blessé ?

Il existe, dit-on, une philosophie
Qui nous explique tout sans révélation,
Et qui peut nous guider à travers cette vie
Entre l'indifférence et la religion.
J'y consens. - Où sont-ils, ces faiseurs de systèmes,
Qui savent, sans la foi, trouver la vérité,
Sophistes impuissants qui ne croient qu'en eux-mêmes ?
Quels sont leurs arguments et leur autorité ?
L'un me montre ici-bas deux principes en guerre,
Qui, vaincus tour à tour, sont tous deux immortels ;
L'autre découvre au ****, dans le ciel solitaire,
Un inutile Dieu qui ne veut pas d'autels.
Je vois rêver Platon et penser Aristote ;
J'écoute, j'applaudis, et poursuis mon chemin
Sous les rois absolus je trouve un Dieu despote ;
On nous parle aujourd'hui d'un Dieu républicains.
Pythagore et Leibniz transfigurent mon être.
Descartes m'abandonne au sein des tourbillons.
Montaigne s'examine, et ne peut se connaître.
Pascal fuit en tremblant ses propres visions.
Pyrrhon me rend aveugle, et Zénon insensible.
Voltaire jette à bas tout ce qu'il voit debout
Spinoza, fatigué de tenter l'impossible,
Cherchant en vain son Dieu, croit le trouver partout.
Pour le sophiste anglais l'homme est une machine.
Enfin sort des brouillards un rhéteur allemand
Qui, du philosophisme achevant la ruine,
Déclare le ciel vide, et conclut au néant.

Voilà donc les débris de l'humaine science !
Et, depuis cinq mille ans qu'on a toujours douté,
Après tant de fatigue et de persévérance,
C'est là le dernier mot qui nous en est rester
Ah ! pauvres insensés, misérables cervelles,
Qui de tant de façons avez tout expliqué,
Pour aller jusqu'aux cieux il vous fallait des ailes ;
Vous aviez le désir, la foi vous a manqué.
Je vous plains ; votre orgueil part d'une âme blesses,
Vous sentiez les tourments dont mon cœur est rempli
Et vous la connaissiez, cette amère pensée
Qui fait frissonner l'homme en voyant l'infini.
Eh bien, prions ensemble,-abjurons la misère
De vos calculs d'enfants, de tant de vains travaux !
Maintenant que vos corps sont réduits en poussière
J'irai m'agenouiller pour vous sur vos tombeaux.
Venez, rhéteurs païens, maîtres de la science,
Chrétiens des temps passés et rêveurs d'aujourd'hui ;
Croyez-moi' la prière est un cri d'espérance !
Pour que Dieu nous réponde, adressons-nous à lui,
Il est juste, il est bon ; sans doute il vous pardonne.
Tous vous avez souffert, le reste est oublié.
Si le ciel est désert, nous n'offensons personne ;
Si quelqu'un nous entend, qu'il nous prenne en pitié !

Ô toi que nul n'a pu connaître,
Et n'a renié sans mentir,
Réponds-moi, toi qui m'as fait naître,
Et demain me feras mourir !

Puisque tu te laisses comprendre,
Pourquoi fais-tu douter de toi ?
Quel triste plaisir peux-tu prendre
À tenter notre bonne foi ?

Dès que l'homme lève la tête,
Il croit t'entrevoir dans les cieux ;
La création, sa conquête,
N'est qu'un vaste temple à ses yeux.

Dès qu'il redescend en lui-même,
Il l'y trouve ; tu vis en lui.
S'il souffre, s'il pleure, s'il aime,
C'est son Dieu qui le veut ainsi.

De la plus noble intelligence
La plus sublime ambition
Est de prouver ton existence,
Et de faire épeler ton nom.

De quelque façon qu'on t'appelle,
Brahma, Jupiter ou Jésus,
Vérité, Justice éternelle,
Vers toi tous les bras sont tendus.

Le dernier des fils de la terre
Te rend grâces du fond du coeur,
Dès qu'il se mêle à sa misère
Une apparence de bonheur.

Le monde entier te glorifie :
L'oiseau te chante sur son nid ;
Et pour une goutte de pluie
Des milliers d'êtres t'ont béni.

Tu n'as rien fait qu'on ne l'admire ;
Rien de toi n'est perdu pour nous ;
Tout prie, et tu ne peux sourire
Que nous ne tombions à genoux.

Pourquoi donc, ô Maître suprême,
As-tu créé le mal si grand,
Que la raison, la vertu même
S'épouvantent en le voyant ?

Lorsque tant de choses sur terre
Proclament la Divinité,
Et semblent attester d'un père
L'amour, la force et la bonté,

Comment, sous la sainte lumière,
Voit-on des actes si hideux,
Qu'ils font expirer la prière
Sur les lèvres du malheureux ?

Pourquoi, dans ton oeuvre céleste,
Tant d'éléments si peu d'accord ?
À quoi bon le crime et la peste ?
Ô Dieu juste ! pourquoi la mort ?

Ta pitié dut être profonde
Lorsqu'avec ses biens et ses maux,
Cet admirable et pauvre monde
Sortit en pleurant du chaos !

Puisque tu voulais le soumettre
Aux douleurs dont il est rempli,
Tu n'aurais pas dû lui permettre
De t'entrevoir dans l'infini.

Pourquoi laisser notre misère
Rêver et deviner un Dieu ?
Le doute a désolé la terre ;
Nous en voyons trop ou trop peu.

Si ta chétive créature
Est indigne de t'approcher,
Il fallait laisser la nature
T'envelopper et te cacher.

Il te resterait ta puissance,
Et nous en sentirions les coups ;
Mais le repos et l'ignorance
Auraient rendu nos maux plus doux.

Si la souffrance et la prière
N'atteignent pas ta majesté,
Garde ta grandeur solitaire,
Ferme à jamais l'immensité.

Mais si nos angoisses mortelles
Jusqu'à toi peuvent parvenir ;
Si, dans les plaines éternelles,
Parfois tu nous entends gémir,

Brise cette voûte profonde
Qui couvre la création ;
Soulève les voiles du monde,
Et montre-toi, Dieu juste et bon !

Tu n'apercevras sur la terre
Qu'un ardent amour de la foi,
Et l'humanité tout entière
Se prosternera devant toi.

Les larmes qui l'ont épuisée
Et qui ruissellent de ses yeux,
Comme une légère rosée
S'évanouiront dans les cieux.

Tu n'entendras que tes louanges,
Qu'un concert de joie et d'amour
Pareil à celui dont tes anges
Remplissent l'éternel séjour ;

Et dans cet hosanna suprême,
Tu verras, au bruit de nos chants,
S'enfuir le doute et le blasphème,
Tandis que la Mort elle-même
Y joindra ses derniers accents.
solenn fresnay May 2012
Je n’en peux plus.

…/…

Je ne sais même pas comment je vais faire pour payer mon loyer
Alors je rêve et puis je bois.

…/…

Croyez-vous que je puisse être expulsée de mon logement ?
Un matin, comme ça, l’air de rien
Ou bien peut-être même un soir
J’aurai dîné dehors
Je rentrerai chez moi et je n’aurai nulle part où aller dormir
Peut-être juste dans la cave en bas de chez moi
Comme avant
Comme lorsque je n’étais presque rien
Et au four les quenelles.

…/…

Mais où allons-nous ?
Nulle part
Justement
Nous n’allons nulle part.
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, devisant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain ;
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Belgrade et Semlin sont en guerre.
Dans son lit, paisible naguère,
Le vieillard Danube leur père
S'éveille au bruit de leur canon.
Il doute s'il rêve, il trésaille,
Puis entend gronder la bataille,
Et frappe dans ses mains d'écaille,
Et les appelle par leur nom.

« Allons, la turque et la chrétienne !
Semlin ! Belgrade ! qu'avez-vous ?
On ne peut, le ciel me soutienne !
Dormir un siècle, sans que vienne
Vous éveiller d'un bruit jaloux
Belgrade ou Semlin en courroux !

« Hiver, été, printemps, automne,
Toujours votre canon qui tonne !
Bercé du courant monotone,
Je sommeillais dans mes roseaux ;
Et, comme des louves marines
Jettent l'onde de leurs narines,
Voilà vos longues couleuvrines
Qui soufflent du feu sur mes eaux !

« Ce sont des sorcières oisives
Qui vous mirent, pour rire un jour,
Face à face sur mes deux rives,
Comme au même plat deux convives,
Comme au front de la même tour
Une aire d'aigle, un nid d'autour.

« Quoi ! ne pouvez-vous vivre ensemble,
Mes filles ? Faut-il que je tremble
Du destin qui ne vous rassemble
Que pour vous haïr de plus près,
Quand vous pourriez, sœurs pacifiques,
Mirer dans mes eaux magnifiques,
Semlin, tes noirs clochers gothiques,
Belgrade, tes blancs minarets ?

« Mon flot, qui dans l'océan tombe,
Vous sépare en vain, large et clair ;
Du haut du château qui surplombe
Vous vous unissez, et la bombe,
Entre vous courbant son éclair,
Vous trace un pont de feu dans l'air.

« Trêve ! taisez-vous, les deux villes !
Je m'ennuie aux guerres civiles.
Nous sommes vieux, soyons tranquilles.
Dormons à l'ombre des bouleaux.
Trêve à ces débats de familles !
Hé ! sans le bruit de vos bastilles,
N'ai-je donc point assez, mes filles,
De l'assourdissement des flots ?

« Une croix, un croissant fragile,
Changent en enfer ce beau lieu.
Vous échangez la bombe agile
Pour le Coran et l'évangile ?
C'est perdre le bruit et le feu :
Je le sais, moi qui fus un dieu !

« Vos dieux m'ont chassé de leur sphère
Et dégradé, c'est leur affaire :
L'ombre est le bien que je préfère,
Pourvu qu'ils gardent leurs palais,
Et ne viennent pas sur mes plages
Déraciner mes verts feuillages,
Et m'écraser mes coquillages
Sous leurs bombes et leurs boulets !

« De leurs abominables cultes
Ces interventions sont le fruit.
De mon temps point de ces tumultes.
Si la pierre des catapultes
Battait les cités jour et nuit,
C'était sans fumée et sans bruit.

« Voyez Ulm, votre sœur jumelle :
Tenez-vous en repos comme elle.
Que le fil des rois se démêle,
Tournez vos fuseaux, et riez.
Voyez Bude, votre voisine ;
Voyez Dristra la sarrasine !
Que dirait l'Etna, si Messine
Faisait tout ce bruit à ses pieds ?

« Semlin est la plus querelleuse :
Elle a toujours les premiers torts.
Croyez-vous que mon eau houleuse,
Suivant sa pente rocailleuse,
N'ait rien à faire entre ses bords
Qu'à porter à l'Euxin vos morts ?

« Vos mortiers ont tant de fumée
Qu'il fait nuit dans ma grotte aimée,
D'éclats d'obus toujours semée !
Du jour j'ai perdu le tableau ;
Le soir, la vapeur de leur bouche
Me couvre d'une ombre farouche,
Quand je cherche à voir de ma couche
Les étoiles à travers l'eau.

« Sœurs, à vous cribler de blessures
Espérez-vous un grand renom ?
Vos palais deviendront masures.
Ah ! qu'en vos noires embrasures
La guerre se taise, ou sinon
J'éteindrai, moi, votre canon.

« Car je suis le Danube immense.
Malheur à vous, si je commence !
Je vous souffre ici par clémence,
Si je voulais, de leur prison,
Mes flots lâchés dans les campagnes,
Emportant vous et vos compagnes,
Comme une chaîne de montagnes
Se lèveraient à l'horizon ! »

Certes, on peut parler de la sorte
Quand c'est au canon qu'on répond,
Quand des rois on baigne la porte,
Lorsqu'on est Danube, et qu'on porte,
Comme l'Euxin et l'Hellespont,
De grands vaisseaux au triple pont ;

Lorsqu'on ronge cent ponts de pierre,
Qu'on traverse les huit Bavières,
Qu'on reçoit soixante rivières
Et qu'on les dévore en fuyant ;
Qu'on a, comme une mer, sa houle ;
Quand sur le globe on se déroule
Comme un serpent, et quand on coule
De l'occident à l'orient !

Juin 1828.
asg Jan 2014
V:** C'est la vie.

A: Vous croyez? Pourquoi?

V: Ma vie n'est pas belle.

A: Ouais? Je ne pense pas que moi-même. Vous êtes très belle, intelligente, et génial! Je t'aime beaucoup.

V: Oui, je le suis. Mais ma vie n'est pas. Vous voyez?

A: Je ne sais pas. Vous pensez trop petit de vous-même. Vous devez sourire.

V: Je pense que vous pensez trop haute opinion de moi.

V: Je t'aime.

A: Je t'aime aussi.
I


Les prêtres avaient dit : « En ce temps-là, mes frères,

On a vu s'élever des docteurs téméraires,

Des dogmes de la foi censeurs audacieux :

Au fond du Saint des saints l'Arche s'est refermée,

Et le puits de l'abîme a vomi la fumée

Qui devait obscurcir la lumière des cieux.


L'Antéchrist est venu, qui parcourut la terre :

Tout à coup, soulevant un terrible mystère,

L'impie a remué de profanes débats ;

Il a dressé la tête : et des voix hérétiques

Ont outragé la Bible, et chanté les cantiques

Dans le langage impur qui se parle ici-bas.


Mais si le ciel permet que l'Église affligée

Gémisse pour un temps, et ne soit point vengée ;

S'il lui plaît de l'abattre et de l'humilier :

Si sa juste colère, un moment assoupie.

Dans sa gloire d'un jour laisse dormir l'impie,

Et livre ses élus au bras séculier ;


Quand les temps sont venus, le fort qui se relève

Soudain de la main droite a ressaisi le glaive :

Sur les débris épars qui gisaient sans honneur

Il rebâtit le Temple, et ses armes bénites

Abattent sous leurs coups les vils Madianites,

Comme fait les épis la faux du moissonneur.


Allez donc, secondant de pieuses vengeances,

Pour vous et vos parents gagner les indulgences ;

Fidèles, qui savez croire sans examen,

Noble race d'élus que le ciel a choisie,

Allez, et dans le sang étouffez l'hérésie !

Ou la messe, ou la mort !» - Le peuple dit : Amen.


II


A l'hôtel de Soissons, dans une tour mystique,

Catherine interroge avec des yeux émus

Des signes qu'imprima l'anneau cabalistique

Du grand Michel Nostradamus.

Elle a devant l'autel déposé sa couronne ;

A l'image de sa patronne,

En s'agenouillant pour prier.

Elle a dévotement promis une neuvaine,

Et tout haut, par trois fois, conjuré la verveine

Et la branche du coudrier.


« Les astres ont parlé : qui sait entendre, entende !

Ils ont nommé ce vieux Gaspard de Châtillon :

Ils veulent qu'en un jour ma vengeance s'étende

De l'Artois jusqu'au Roussillon.

Les pieux défenseurs de la foi chancelante

D'une guerre déjà trop lente

Ont assez couru les hasards :

A la cause du ciel unissons mon outrage.

Périssent, engloutis dans un même naufrage.

Les huguenots et les guisards ! »


III


C'était un samedi du mois d'août : c'était l'heure

Où l'on entend de ****, comme une voix qui pleure,

De l'angélus du soir les accents retentir :

Et le jour qui devait terminer la semaine

Était le jour voué, par l'Église romaine.

A saint Barthélémy, confesseur et martyr.


Quelle subite inquiétude

A cette heure ? quels nouveaux cris

Viennent troubler la solitude

Et le repos du vieux Paris ?

Pourquoi tous ces apprêts funèbres,

Pourquoi voit-on dans les ténèbres

Ces archers et ces lansquenets ?

Pourquoi ces pierres entassées,

Et ces chaînes de fer placées

Dans le quartier des Bourdonnais ?


On ne sait. Mais enfin, quelque chose d'étrange

Dans l'ombre de la nuit se prépare et s'arrange.

Les prévôts des marchands, Marcel et Jean Charron.

D'un projet ignoré mystérieux complices.

Ont à l'Hôtel-de-Ville assemblé les milices,

Qu'ils doivent haranguer debout sur le perron.


La ville, dit-on, est cernée

De soldats, les mousquets chargés ;

Et l'on a vu, l'après-dînée.

Arriver les chevau-légers :

Dans leurs mains le fer étincelle ;

Ils attendent le boute-selle.

Prêts au premier commandement ;

Et des cinq cantons catholiques,

Sur l'Évangile et les reliques,

Les Suisses ont prêté serment.


Auprès de chaque pont des troupes sont postées :

Sur la rive du nord les barques transportées ;

Par ordre de la cour, quittant leurs garnisons,

Des bandes de soldats dans Paris accourues

Passent, la hallebarde au bras, et dans les rues

Des gens ont été vus qui marquaient des maisons.


On vit, quand la nuit fut venue,

Des hommes portant sur le dos

Des choses de forme inconnue

Et de mystérieux fardeaux.

Et les passants se regardèrent :

Aucuns furent qui demandèrent :

- Où portes-tu, par l'ostensoir !

Ces fardeaux persans, je te prie ?

- Au Louvre, votre seigneurie.

Pour le bal qu'on donne ce soir.


IV


Il est temps ; tout est prêt : les gardes sont placés.

De l'hôtel Châtillon les portes sont forcées ;

Saint-Germain-l'Auxerrois a sonné le tocsin :

Maudit de Rome, effroi du parti royaliste,

C'est le grand-amiral Coligni que la liste

Désigne le premier au poignard assassin.


- « Est-ce Coligni qu'on te nomme ? »

- « Tu l'as dit. Mais, en vérité,

Tu devrais respecter, jeune homme.

Mon âge et mon infirmité.

Va, mérite ta récompense ;

Mais, tu pouvais bien, que je pense,

T'épargner un pareil forfait

Pour le peu de jours qui m'attendent ! »

Ils hésitaient, quand ils entendent

Guise leur criant : « Est-ce fait ? »


Ils l'ont tué ! la tête est pour Rome. On espère

Que ce sera présent agréable au saint père.

Son cadavre est jeté par-dessus le balcon :

Catherine aux corbeaux l'a promis pour curée.

Et rira voir demain, de ses fils entourée,

Au gibet qu'elle a fait dresser à Montfaucon.


Messieurs de Nevers et de Guise,

Messieurs de Tavanne et de Retz,

Que le fer des poignards s'aiguise,

Que vos gentilshommes soient prêts.

Monsieur le duc d'Anjou, d'Entrague,

Bâtard d'Angoulême, Birague,

Faites armer tous vos valets !

Courez où le ciel vous ordonne,

Car voici le signal que donne

La Tour-de-l'horloge au Palais.


Par l'espoir du butin ces hordes animées.

Agitant à la main des torches allumées,

Au lugubre signal se hâtent d'accourir :

Ils vont. Ceux qui voudraient, d'une main impuissante,

Écarter des poignards la pointe menaçante.

Tombent ; ceux qui dormaient s'éveillent pour mourir.


Troupes au massacre aguerries,

Bedeaux, sacristains et curés,

Moines de toutes confréries.

Capucins, Carmes, Prémontrés,

Excitant la fureur civile,

En tout sens parcourent la ville

Armés d'un glaive et d'un missel.

Et vont plaçant des sentinelles

Du Louvre au palais des Tournelles

De Saint-Lazare à Saint-Marcel.


Parmi les tourbillons d'une épaisse fumée

Que répand en flots noirs la résine enflammée,

A la rouge clarté du feu des pistolets,

On voit courir des gens à sinistre visage,

Et comme des oiseaux de funeste présage,

Les clercs du Parlement et des deux Châtelets.


Invoquant les saints et les saintes,

Animés par les quarteniers,

Ils jettent les femmes enceintes

Par-dessus le Pont-aux-Meuniers.

Dans les cours, devant les portiques.

Maîtres, écuyers, domestiques.

Tous sont égorgés sans merci :

Heureux qui peut dans ce carnage,

Traversant la Seine à la nage.

Trouver la porte de Bussi !


C'est par là que, trompant leur fureur meurtrière,

Avertis à propos, le vidame Perrière,

De Fontenay, Caumont, et de Montgomery,

Pressés qu'ils sont de fuir, sans casque, sans cuirasse.

Échappent aux soldats qui courent sur leur trace

Jusque sous les remparts de Montfort-l'Amaury.


Et toi, dont la crédule enfance,

Jeune Henri le Navarrois.

S'endormit, faible et sans défense,

Sur la foi que donnaient les rois ;

L'espérance te soit rendue :

Une clémence inattendue

A pour toi suspendu l'arrêt ;

Vis pour remplir ta destinée,

Car ton heure n'est pas sonnée,

Et ton assassin n'est pas prêt !


Partout des toits rompus et des portes brisées,

Des cadavres sanglants jetés par les croisées,

A des corps mutilés des femmes insultant ;

De bourgeois, d'écoliers, des troupes meurtrières.

Des blasphèmes, des pleurs, des cris et des prières.

Et des hommes hideux qui s'en allaient chantant :


« Valois et Lorraine

Et la double croix !

L'hérétique apprenne

Le pape et ses droits !

Tombant sous le glaive.

Que l'impie élève

Un bras impuissant ;

Archers de Lausanne,

Que la pertuisane

S'abreuve de sang !


Croyez-en l'oracle

Des corbeaux passants,

Et le grand miracle

Des Saints-Innocents.

A nos cris de guerre

On a vu naguère,

Malgré les chaleurs,

Surgir une branche

D'aubépine franche

Couverte de fleurs !


Honni qui pardonne !

Allez sans effroi,

C'est Dieu qui l'ordonne,

C'est Dieu, c'est le roi !

Le crime s'expie ;

Plongez à l'impie

Le fer au côté

Jusqu'à la poignée ;

Saignez ! la saignée

Est bonne en été ! »


V


Aux fenêtres du Louvre, on voyait le roi. « Tue,

Par la mort Dieu ! que l'hydre enfin soit abattue !

Qu'est-ce ? Ils veulent gagner le faubourg Saint-Germain ?

J'y mets empêchement : et, si je ne m'abuse,

Ce coup est bien au droit. - George, une autre arquebuse,

Et tenez toujours prête une mèche à la main.


Allons, tout va bien : Tue ! - Ah. Cadet de Lorraine,

Allez-vous-en quérir les filles de la reine.

Voici Dupont, que vient d'abattre un Écossais :

Vous savez son affaire ? Aussi bien, par la messe,

Le cas était douteux, et je vous fais promesse

Qu'elles auront plaisir à juger le procès.


Je sais comment la meute en plaine est gouvernée ;

Comment il faut chasser, en quel temps de l'année.

Aux perdrix, aux faisans, aux geais, aux étourneaux ;

Comment on doit forcer la fauve en son repaire ;

Mais je n'ai point songé, par l'âme de mon père,

A mettre en mon traité la chasse aux huguenots ! »
Ne vous croyez ni grand, ni petit ! Contemplez.
Asseyez-vous le soir sous les cieux étoilés,
Sur le penchant d'un mont, près de la mer profonde.
Voyez s'évanouir les écumes sur l'onde ;

Voyez sortir des flots les constellations ;
Regardez trembler l'algue et fuir les alcyons ;
Écoutez les bruits sourds qu'on entend dans cette ombre ;
De vos ans écoulés rappelez-vous le nombre ;

Laissez votre âme, en deuil de la fuite des jours,
Se fondre au souvenir de vos jeunes amours ;
Pleurez, tandis que l'eau murmure sur la grève ;
Et puis, songez à Dieu, qui regarde et qui rêve,

Toujours clément, toujours penché, toujours veillant,
À Dieu qui du même oeil égal et bienveillant
Voit la comète ouvrant sa flamboyante queue,
Et l'humble oiseau perdu dans l'immensité bleue.

Le 28 juillet 1846.
Parce que, jargonnant vêpres, jeûne et vigile,
Exploitant Dieu qui rêve au fond du firmament,
Vous avez, au milieu du divin évangile,
Ouvert boutique effrontément ;

Parce que vous feriez prendre à Jésus la verge,
Cyniques brocanteurs sortis on ne sait d'où ;
Parce que vous allez vendant la sainte vierge
Dix sous avec miracle, et sans miracle un sou ;

Parce que vous contez d'effroyables sornettes
Qui font des temples saints trembler les vieux piliers ;
Parce que votre style éblouit les lunettes
Des duègnes et des marguilliers ;

Parce que la soutane est sous vos redingotes,
Parce que vous sentez la crasse et non l'œillet,
Parce que vous bâclez un journal de bigotes
Pensé par Escobar, écrit par Patouillet ;

Parce qu'en balayant leurs portes, les concierges
Poussent dans le ruisseau ce pamphlet méprisé ;
Parce que vous mêlez à la cire des cierges
Votre affreux suif vert-de-grisé ;

Parce qu'à vous tout seuls vous faites une espèce
Parce qu'enfin, blanchis dehors et noirs dedans,
Criant mea culpa, battant la grosse caisse,
La boue au cœur, la larme à l'œil, le fifre aux dents,

Pour attirer les sots qui donnent tête-bêche
Dans tous les vils panneaux du mensonge immortel,
Vous avez adossé le tréteau de Bobèche
Aux saintes pierres de l'autel,

Vous vous croyez le droit, trempant dans l'eau bénite
Cette griffe qui sort de votre abject pourpoint,
De dire : Je suis saint, ange, vierge et jésuite,
J'insulte les passants et je ne me bats point !

Ô pieds plats ! votre plume au fond de vos masures
Griffonne, va, vient, court, boit l'encre, rend du fiel,
Bave, égratigne et crache, et ses éclaboussures
Font des taches jusques au ciel !

Votre immonde journal est une charretée
De masques déguisés en prédicants camus,
Qui passent en prêchant la cohue ameutée
Et qui parlent argot entre deux oremus.

Vous insultez l'esprit, l'écrivain dans ses veilles,
Et le penseur rêvant sur les libres sommets ;
Et quand on va chez vous pour chercher vos oreilles,
Vos oreilles n'y sont jamais.

Après avoir lancé l'affront et le mensonge,
Vous fuyez, vous courez, vous échappez aux yeux.
Chacun a ses instincts, et s'enfonce et se plonge,
Le hibou dans les trous et l'aigle dans les cieux !

Vous, où vous cachez-vous ? dans quel hideux repaire ?
Ô Dieu ! l'ombre où l'on sent tous les crimes passer
S'y fait autour de vous plus noire, et la vipère
S'y glisse et vient vous y baiser.

Là vous pouvez, dragons qui rampez sous les presses,
Vous vautrer dans la fange où vous jettent vos goûts.
Le sort qui dans vos cœurs mit toutes les bassesses
Doit faire en vos taudis passer tous les égouts.

Bateleurs de l'autel, voilà quels sont vos rôles.
Et quand un galant homme à de tels compagnons
Fait cet immense honneur de leur dire : Mes drôles,
Je suis votre homme ; dégaînons !

- Un duel ! nous ! des chrétiens ! jamais ! - Et ces crapules
Font des signes de croix et jurent par les saints.
Lâches gueux, leur terreur se déguise en scrupules,
Et ces empoisonneurs ont peur d'être assassins.

Bien, écoutez : la trique est là, fraîche coupée.
On vous fera cogner le pavé du menton ;
Car sachez-le, coquins, on n'esquive l'épée
Que pour rencontrer le bâton.

Vous conquîtes la Seine et le Rhin et le Tage.
L'esprit humain rogné subit votre compas.
Sur les publicains juifs vous avez l'avantage,
Maudits ! Judas est mort, Tartuffe ne meurt pas.

Iago n'est qu'un fat près de votre Basile.
La bible en vos greniers pourrit mangée aux vers.
Le jour où le mensonge aurait besoin d'asile,
Vos cœurs sont là, tout grands ouverts.

Vous insultez le juste abreuvé d'amertumes.
Tous les vices, quittant veste, cape et manteau,
Vont se masquer chez vous et trouvent des costumes.
On entre Lacenaire, on sort Contrafatto.

Les âmes sont pour vous des bourses et des banques.
Quiconque vous accueille a d'affreux repentirs.
Vous vous faites chasser, et par vos saltimbanques
Vous parodiez les martyrs.

L'église du bon Dieu n'est que votre buvette.
Vous offrez l'alliance à tous les inhumains.
On trouvera du sang au fond de la cuvette
Si jamais, par hasard, vous vous lavez les mains.

Vous seriez des bourreaux si vous n'étiez des cuistres.
Pour vous le glaive est saint et le supplice est beau.
Ô monstres ! vous chantez dans vos hymnes sinistres
Le bûcher, votre seul flambeau !

Depuis dix-huit cents ans Jésus, le doux pontife,
Veut sortir du tombeau qui lentement se rompt,
Mais vous faites effort, ô valets de Caïphe,
Pour faire retomber la pierre sur son front !

Ô cafards ! votre échine appelle l'étrivière.
Le sort juste et railleur fait chasser Loyola
De France par le fouet d'un pape, et de Bavière
Par la cravache de Lola.

Allez, continuez, tournez la manivelle
De votre impur journal, vils grimauds dépravés ;
Avec vos ongles noirs grattez votre cervelle
Calomniez, hurlez, mordez, mentez, vivez !

Dieu prédestine aux dents des chevreaux les brins d'herbes
La mer aux coups de vent, les donjons aux boulets,
Aux rayons du soleil les parthénons superbes,
Vos faces aux larges soufflets.

Sus donc ! cherchez les trous, les recoins, les cavernes !
Cachez-vous, plats vendeurs d'un fade orviétan,
Pitres dévots, marchands d'infâmes balivernes,
Vierges comme l'eunuque, anges comme Satan !

Ô saints du ciel ! est-il, sous l'œil de Dieu qui règne,
Charlatans plus hideux et d'un plus lâche esprit,
Que ceux qui, sans frémir, accrochent leur enseigne
Aux clous saignants de Jésus-Christ !

Septembre 1850.
Quand je rêve sur la falaise,
Ou dans les bois, les soirs d'été,
Sachant que la vie est mauvaise,
Je contemple l'éternité.

A travers mon sort mêlé d'ombres,
J'aperçois Dieu distinctement,
Comme à travers des branches sombres
On entrevoit le firmament !

Le firmament ! où les faux sages
Cherchent comme nous des conseils !
Le firmament plein de nuages,
Le firmament plein de soleils !

Un souffle épure notre fange.
Le monde est à Dieu, je le sens.
Toute fleur est une louange,
Et tout parfum est un encens.

La nuit on croit sentir Dieu même
Penché sur l'homme palpitant.
La terre prie et le ciel aime.
Quelqu'un parle et quelqu'un entend.

Pourtant, toujours à notre extase,
Ô Seigneur, tu te dérobas ;
Hélas ! tu mets là-haut le vase,
Et tu laisses la lèvre en bas !

Mais un jour ton œuvre profonde,
Nous la saurons, Dieu redouté !
Nous irons voir de monde en monde
S'épanouir ton unité ;

Cherchant dans ces cieux que tu règles
L'ombre de ceux que nous aimons,
Comme une troupe de grands aigles
Qui s'envole à travers les monts !

Car, lorsque la mort nous réclame,
L'esprit des sens brise le sceau.
Car la tombe est un nid où l'âme
Prend des ailes comme l'oiseau !

Ô songe ! ô vision sereine !
Nous saurons le secret de tout,
Et ce rayon qui sur nous traîne,
Nous en pourrons voir l'autre bout !

Ô Seigneur ! l'humble créature
Pourra voir enfin à son tour
L'autre côté de la nature
Sur lequel tombe votre jour !

Nous pourrons comparer, poètes,
Penseurs croyant en nos raisons,
A tous les mondes que vous faites
Tous les rêves que nous faisons !




En attendant, sur cette terre,
Nous errons, troupeau désuni,
Portant en nous ce grand mystère :
Œil borné, regard infini.

L'homme au hasard choisit sa route ;
Et toujours, quoi que nous fassions,
Comme un bouc sur l'herbe qu'il broute,
Vit courbé sur ses passions.

Nous errons, et dans les ténèbres,
Allant où d'autres sont venus,
Nous entendons des voix funèbres
Qui disent des mots inconnus.

Dans ces ombres où tout s'oublie,
Vertu, sagesse, espoir, honneur,
L'un va criant : Élie ! Élie !
L'autre appelant : Seigneur ! Seigneur !

Hélas ! tout penseur semble avide
D'épouvanter l'homme orphelin ;
Le savant dit : Le ciel est vide !
Le prêtre dit : L'enfer est plein !

Ô deuil ! médecins sans dictames,
Vains prophètes aux yeux déçus,
L'un donne Satan à nos âmes,
L'autre leur retire Jésus !

L'humanité, sans loi, sans arche,
Suivant son sentier desséché,
Est comme un voyageur qui marche
Après que le jour est couché.

Il va ! la brume est sur la plaine.
Le vent tord l'arbre convulsif.
Les choses qu'il distingue à peine
Ont un air sinistre et pensif.

Ainsi, parmi de noirs décombres,
Dans ce siècle le genre humain
Passe et voit des figures sombres
Qui se penchent sur son chemin.

Nous, rêveurs, sous un toit qui croule,
Fatigués, nous nous abritons,
Et nous regardons cette foule
Se plonger dans l'ombre à tâtons !


*

Et nous cherchons, souci morose !
Hélas ! à deviner pour tous
Le problème que nous propose
Toute cette ombre autour de nous !

Tandis que, la tête inclinée,
Nous nous perdons en tristes vœux,
Le souffle de la destinée
Frissonne à travers nos cheveux.

Nous entendons, race asservie,
Ce souffle passant dans la nuit
Du livre obscur de notre vie
Tourner les pages avec bruit !

Que faire ? - À ce vent de la tombe,
Joignez les mains, baissez les yeux,
Et tâchez qu'une lueur tombe
Sur le livre mystérieux !

- D'où viendra la lueur, ô père ?
Dieu dit : - De vous, en vérité.
Allumez, pour qu'il vous éclaire,
Votre cœur par quelque côté !

Quand le cœur brûle, on peut sans crainte
Lire ce qu'écrit le Seigneur.
Vertu, sous cette clarté sainte,
Est le même mot que Bonheur.

Il faut aimer ! l'ombre en vain couvre
L'œil de notre esprit, quel qu'il soit.
Croyez, et la paupière s'ouvre !
Aimez, et la prunelle voit !

Du haut des cieux qu'emplit leur flamme,
Les trop lointaines vérités
Ne peuvent au livre de l'âme
Jeter que de vagues clartés.

La nuit, nul regard ne sait lire
Aux seuls feux des astres vermeils ;
Mais l'amour près de nous vient luire,
Une lampe aide les soleils.

Pour que, dans l'ombre où Dieu nous mène,
Nous puissions lire à tous moments,
L'amour joint sa lumière humaine
Aux célestes rayonnements !

Aimez donc ! car tout le proclame,
Car l'esprit seul éclaire peu,
Et souvent le cœur d'une femme
Est l'explication de Dieu !


* *

Ainsi je rêve, ainsi je songe,
Tandis qu'aux yeux des matelots
La nuit sombre à chaque instant plonge
Des groupes d'astres dans les flots !

Moi, que Dieu tient sous son empire,
J'admire, humble et religieux,
Et par tous les pores j'aspire
Ce spectacle prodigieux !

Entre l'onde, des vents bercée,
Et le ciel, gouffre éblouissant,
Toujours, pour l'œil de la pensée,
Quelque chose monte ou descend.

Goutte d'eau pure ou jet de flamme,
Ce verbe intime et non écrit
Vient se condenser dans mon âme
Ou resplendir dans mon esprit ;

Et l'idée à mon cœur sans voile,
A travers la vague ou l'éther,
Du fond des cieux arrive étoile,
Ou perle du fond de la mer !

Le 25 août 1839.
Une jeune guenon cueillit
Une noix dans sa coque verte ;
Elle y porte la dent, fait la grimace... ah ! Certes,
Dit-elle, ma mère mentit
Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.
Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit !
Elle jette la noix. Un singe la ramasse,
Vite entre deux cailloux la casse,
L'épluche, la mange, et lui dit :
Votre mère eut raison, ma mie :
Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.
Souvenez-vous que, dans la vie,
Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.
Taisez-vous, ô mon cœur ! Taisez-vous, ô mon âme !

Et n'allez plus chercher de querelles au sort ;

Le néant vous appelle et l'oubli vous réclame.


Mon cœur, ne battez plus, puisque vous êtes mort ;

Mon âme, repliez le reste de vos ailes,

Car vous avez tenté votre suprême effort.


Vos deux linceuls sont prêts, et vos fosses jumelles

Ouvrent leur bouche sombre au flanc de mon passé,

Comme au flanc d'un guerrier deux blessures mortelles.


Couchez-vous tout du long dans votre lit glacé ;

Puisse avec vos tombeaux, que va recouvrir l'herbe,

Votre souvenir être à jamais effacé !


Vous n'aurez pas de croix ni de marbre superbe,

Ni d'épitaphe d'or, où quelque saule en pleurs

Laisse les doigts du vent éparpiller sa gerbe.


Vous n'aurez ni blasons, ni chants, ni vers, ni fleurs ;

On ne répandra pas les larmes argentées

Sur le funèbre drap, noir manteau des douleurs.


Votre convoi muet, comme ceux des athées,

Sur le triste chemin rampera dans la nuit ;

Vos cendres sans honneur seront au vent jetées.


La pierre qui s'abîme en tombant fait son bruit ;

Mais vous, vous tomberez sans que l'onde s'émeuve,

Dans ce gouffre sans fond où le remords nous suit.


Vous ne ferez pas même un seul rond sur le fleuve,

Nul ne s'apercevra que vous soyez absents,

Aucune âme ici-bas ne se sentira veuve.


Et le chaste secret du rêve de vos ans

Périra tout entier sous votre tombe obscure

Où rien n'attirera le regard des passants.


Que voulez-vous ? Hélas ! Notre mère Nature,

Comme toute autre mère, a ses enfants gâtés,

Et pour les malvenus elle est avare et dure.


Aux uns tous les bonheurs et toutes les beautés !

L'occasion leur est toujours bonne et fidèle :

Ils trouvent au désert des palais enchantés ;


Ils tètent librement la féconde mamelle ;

La chimère à leur voix s'empresse d'accourir,

Et tout l'or du Pactole entre leurs doigts ruisselle.


Les autres moins aimés, ont beau tordre et pétrir

Avec leurs maigres mains la mamelle tarie,

Leur frère a bu le lait qui les devait nourrir.


S'il éclot quelque chose au milieu de leur vie,

Une petite fleur sous leur pâle gazon,

Le sabot du vacher l'aura bientôt flétrie.


Un rayon de soleil brille à leur horizon,

Il fait beau dans leur âme ; à coup sûr, un nuage

Avec un flot de pluie éteindra le rayon.


L'espoir le mieux fondé, le projet le plus sage,

Rien ne leur réussit ; tout les trompe et leur ment.

Ils se perdent en mer sans quitter le rivage.


L'aigle, pour le briser, du haut du firmament,

Sur leur front découvert lâchera la tortue,

Car ils doivent périr inévitablement.


L'aigle manque son coup ; quelque vieille statue,

Sans tremblement de terre, on ne sait pas pourquoi,

Quitte son piédestal, les écrase et les tue.


Le cœur qu'ils ont choisi ne garde pas sa foi ;

Leur chien même les mord et leur donne la rage ;

Un ami jurera qu'ils ont trahi le roi.


Fils du Danube, ils vont se noyer dans le Tage ;

D'un bout du monde à l'autre ils courent à leur mort ;

Ils auraient pu du moins s'épargner le voyage !


Si dur qu'il soit, il faut qu'ils remplissent leur sort ;

Nul n'y peut résister, et le genou d'Hercule

Pour un pareil athlète est à peine assez fort.


Après la vie obscure une mort ridicule ;

Après le dur grabat, un cercueil sans repos

Au bord d'un carrefour où la foule circule.


Ils tombent inconnus de la mort des héros,

Et quelque ambitieux, pour se hausser la taille,

Se fait effrontément un socle de leurs os.


Sur son trône d'airain, le Destin qui s'en raille

Imbibe leur éponge avec du fiel amer,

Et la Nécessité les tord dans sa tenaille.


Tout buisson trouve un dard pour déchirer sa chair,

Tout beau chemin pour eux cache une chausse-trappe,

Et les chaînes de fleurs leur sont chaînes de fer.


Si le tonnerre tombe, entre mille il les frappe ;

Pour eux l'aveugle nuit semble prendre des yeux,

Tout plomb vole à leur cœur, et pas un seul n'échappe.


La tombe vomira leur fantôme odieux.

Vivants, ils ont servi de bouc expiatoire ;

Morts, ils seront bannis de la terre et des cieux.


Cette histoire sinistre est votre propre histoire ;

Ô mon âme ! Ô mon cœur ! Peut-être même, hélas !

La vôtre est-elle encore plus sinistre et plus noire.


C'est une histoire simple où l'on ne trouve pas

De grands événements et des malheurs de drame,

Une douleur qui chante et fait un grand fracas ;


Quelques fils bien communs en composent la trame,

Et cependant elle est plus triste et sombre à voir

Que celle qu'un poignard dénoue avec sa lame.


Puisque rien ne vous veut, pourquoi donc tout vouloir ;

Quand il vous faut mourir, pourquoi donc vouloir vivre,

Vous qui ne croyez pas et n'avez pas d'espoir ?


Ô vous que nul amour et que nul vin n'enivre,

Frères désespérés, vous devez être prêts

Pour descendre au néant où mon corps vous doit suivre !


Le néant a des lits et des ombrages frais.

La mort fait mieux dormir que son frère Morphée,

Et les pavots devraient jalouser les cyprès.


Sous la cendre à jamais, dors, ô flamme étouffée !

Orgueil, courbe ton front jusque sur tes genoux,

Comme un Scythe captif qui supporte un trophée.


Cesse de te raidir contre le sort jaloux,

Dans l'eau du noir Léthé plonge de bonne grâce,

Et laisse à ton cercueil planter les derniers clous.


Le sable des chemins ne garde pas ta trace,

L'écho ne redit pas ta chanson, et le mur

Ne veut pas se charger de ton ombre qui passe.


Pour y graver un nom ton airain est bien dur,

Ô Corinthe ! Et souvent froide et blanche Carrare,

Le ciseau ne mord pas sur ton marbre si pur.


Il faut un grand génie avec un bonheur rare

Pour faire jusqu'au ciel monter son monument,

Et de ce double don le destin est avare.


Hélas ! Et le poète est pareil à l'amant,

Car ils ont tous les deux leur maîtresse idéale,

Quelque rêve chéri caressé chastement :


Eldorado lointain, pierre philosophale

Qu'ils poursuivent toujours sans l'atteindre jamais,

Un astre impérieux, une étoile fatale.


L'étoile fuit toujours, ils lui courent après ;

Et, le matin venu, la lueur poursuivie,

Quand ils la vont saisir, s'éteint dans un marais.


C'est une belle chose et digne qu'on l'envie

Que de trouver son rêve au milieu du chemin,

Et d'avoir devant soi le désir de sa vie.


Quel plaisir quand on voit briller le lendemain

Le baiser du soleil aux frêles colonnades

Du palais que la nuit éleva de sa main !


Il est beau qu'un plongeur, comme dans les ballades,

Descende au gouffre amer chercher la coupe d'or

Et perce, triomphant, les vitreuses arcades.


Il est beau d'arriver où tendait votre essor,

De trouver sa beauté, d'aborder à son monde,

Et, quand on a fouillé, d'exhumer un trésor ;


De faire, du plus creux de son âme profonde,

Rayonner son idée ou bien sa passion ;

D'être l'oiseau qui chante et la foudre qui gronde ;


D'unir heureusement le rêve à l'action,

D'aimer et d'être aimé, de gagner quand on joue,

Et de donner un trône à son ambition ;


D'arrêter, quand on veut, la Fortune et sa roue,

Et de sentir, la nuit, quelque baiser royal

Se suspendre en tremblant aux fleurs de votre joue.


Ceux-là sont peu nombreux dans notre âge fatal.

Polycrate aujourd'hui pourrait garder sa bague :

Nul bonheur insolent n'ose appeler le mal.


L'eau s'avance et nous gagne, et pas à pas la vague,

Montant les escaliers qui mènent à nos tours,

Mêle aux chants du festin son chant confus et vague.


Les phoques monstrueux, traînant leurs ventres lourds,

Viennent jusqu'à la table, et leurs larges mâchoires

S'ouvrent avec des cris et des grognements sourds.


Sur les autels déserts des basiliques noires,

Les saints, désespérés et reniant leur Dieu,

S'arrachent à pleins poings l'or chevelu des gloires.


Le soleil désolé, penchant son œil de feu,

Pleure sur l'univers une larme sanglante ;

L'ange dit à la terre un éternel adieu.


Rien ne sera sauvé, ni l'homme ni la plante ;

L'eau recouvrira tout : la montagne et la tour ;

Car la vengeance vient, quoique boiteuse et lente.


Les plumes s'useront aux ailes du vautour,

Sans qu'il trouve une place où rebâtir son aire,

Et du monde vingt fois il refera le tour ;


Puis il retombera dans cette eau solitaire

Où le rond de sa chute ira s'élargissant :

Alors tout sera dit pour cette pauvre terre.


Rien ne sera sauvé, pas même l'innocent.

Ce sera, cette fois, un déluge sans arche ;

Les eaux seront les pleurs des hommes et leur sang.


Plus de mont Ararat où se pose, en sa marche,

Le vaisseau d'avenir qui cache en ses flancs creux

Les trois nouveaux Adams et le grand patriarche !


Entendez-vous là-haut ces craquements affreux ?

Le vieil Atlas, lassé, retire son épaule

Au lourd entablement de ce ciel ténébreux.


L'essieu du monde ploie ainsi qu'un brin de saule ;

La terre ivre a perdu son chemin dans le ciel ;

L'aimant déconcerté ne trouve plus son pôle.


Le Christ, d'un ton railleur, tord l'éponge de fiel

Sur les lèvres en feu du monde à l'agonie,

Et Dieu, dans son Delta, rit d'un rire cruel.


Quand notre passion sera-t-elle finie ?

Le sang coule avec l'eau de notre flanc ouvert,

La sueur rouge teint notre face jaunie.


Assez comme cela ! Nous avons trop souffert ;

De nos lèvres, Seigneur, détournez ce calice,

Car pour nous racheter votre Fils s'est offert.


Christ n'y peut rien : il faut que le sort s'accomplisse ;

Pour sauver ce vieux monde il faut un Dieu nouveau,

Et le prêtre demande un autre sacrifice.


Voici bien deux mille ans que l'on saigne l'Agneau ;

Il est mort à la fin, et sa gorge épuisée

N'a plus assez de sang pour teindre le couteau.


Le Dieu ne viendra pas. L'Église est renversée.
Est-ce ma faute à moi si vous n'êtes pas grands ?
Vous aimez les hiboux, les fouines, les tyrans,
Le mistral, le simoun, l'écueil, la lune rousse ;
Vous êtes Myrmidon que son néant courrouce ;
Hélas ! l'envie en vous creuse son puits sans fond,
Et je vous plains. Le plomb de votre style fond
Et coule sur les noms que dore un peu de gloire,
Et, tout en répandant sa triste lave noire,
Tâche d'être cuisant et ne peut qu'être lourd.
Tortueux, vous rampez après tout ce qui court ;
Votre oeil furieux suit les grands aigles véloces.
Vous reprochez leur taille et leur ombre aux colosses ;
On dit de vous : - Pygmée essaya, mais ne put.
Qui haïra Chéops si ce n'est Lilliput ?
Le Parthénon vous blesse avec ses fiers pilastres ;
Vous êtes malheureux de la beauté des astres ;
Vous trouvez l'océan trop clair, trop noir, trop bleu ;
Vous détestez le ciel parce qu'il montre Dieu ;
Vous êtes mécontents que tout soit quelque chose ;
Hélas, vous n'êtes rien. Vous souffrez de la rose,
Du cygne, du printemps pas assez pluvieux.
Et ce qui rit vous mord. Vous êtes envieux
De voir voler la mouche et de voir le ver luire.
Dans votre jalousie acharnée à détruire
Vous comprenez quiconque aime, quiconque a foi,
Et même vous avez de la place pour moi !
Un brin d'herbe vous fait grincer s'il vous dépasse ;
Vous avez pour le monde auguste, pour l'espace,
Pour tout ce qu'on voit croître, éclairer, réchauffer,
L'infâme embrassement qui voudrait étouffer.
Vous avez juste autant de pitié que le glaive.
En regardant un champ vous maudissez la sève ;
L'arbre vous plaît à l'heure où la hache le fend ;
Vous avez quelque chose en vous qui vous défend
D'être bons, et la rage est votre rêverie.
Votre âme a froid par où la nôtre est attendrie ;
Vous avez la nausée où nous sentons l'aimant ;
Vous êtes monstrueux tout naturellement.
Vous grondez quand l'oiseau chante sous les grands ormes.
Quand la fleur, près de vous qui vous sentez difformes,
Est belle, vous croyez qu'elle le fait exprès.
Quel souffle vous auriez si l'étoile était près !
Vous croyez qu'en brillant la lumière vous blâme ;
Vous vous imaginez, en voyant une femme,
Que c'est pour vous narguer qu'elle prend un amant,
Et que le mois de mai vous verse méchamment
Son urne de rayons et d'encens sur la tête ;
Il vous semble qu'alors que les bois sont en fête,
Que l'herbe est embaumée et que les prés sont doux,
Heureux, frais, parfumés, charmants, c'est contre vous.
Vous criez : au secours ! quand le soleil se lève.
Vous exécrez sans but, sans choix, sans fin, sans trêve,
Sans effort, par instinct, pour mentir, pour trahir ;
Ce n'est pas un travail pour vous de tout haïr,
Fourmis, vous abhorrez l'immensité sans peine.
C'est votre joie impie, âcre, cynique, obscène.
Et vous souffrez. Car rien, hélas, n'est châtié
Autant que l'avorton, géant d'inimitié !
Si l'oeil pouvait plonger sous la voûte chétive
De votre crâne étroit qu'un instinct vil captive,
On y verrait l'énorme horizon de la nuit ;
Vous êtes ce qui bave, ignore, insulte et nuit ;
La montagne du mal est dans votre âme naine.

Plus le coeur est petit, plus il y tient de haine.
LDuler Mar 2013
Si vous croyez haha
Que c'est marrant, mignon
D'être jeune et vif, detrompez-vous detrompez-vous
Si vous pensez que la jeunesse c'est le printemps vert et joli
Fleurs et petales, cuicui et gouttes de pluie
Non non, détrompez vous
C'est l'orage et le tonnerre
Oui la jeunesse c'est chiant
Mais alors vraiment tres chiant!
Si vous trouvez ca marrant
D'etre sans cesse enfoui dans la brume
Sans savoir, sans comprendre
Sans direction, sans but, sans chemin
Si vous trouvez ca marrant
D'avoir un cerveau de foudre
La jeunesse, c'est pour vous!

Et puis etre adulte,
C'est pas mieux, non non!
L'automne, feuilles d'espoirs qui tombent
Et qui craquellent sous le poids de regrets
Le mensonge qu'on donne aux gamins
Qu'etre adulte, c'est trop bien
Des mensonges, des mensonges!
Detrompez-vous detrompez-vous
Les factures, les impots, le boulot, la famille
Le vin, les clopes, le stress et l'ennui

Et la vieillesse,
C'est pas mieux!
Le os recouverts de glace
Qui crépitent et craquellent a chaque mouvement
Qui grincent comme un plancher épuisé
Les bras pendant comme des branches mortes
Le scalp chauve, et lisse comme un étang glacé
Non la vieillesse,
C'est pas mieux
Les lèvres qui bavent, les mains qui tremblent
Les pensées qui se pâment, les souvenirs qui clinquent ensemble
Le cerveau qui chancelle et s'écroule
Tout comme le corps qui chancelle
Et s'écroule
À Madame *.

Il est donc vrai, vous vous plaignez aussi,
Vous dont l'oeil noir, *** comme un jour de fête,
Du monde entier pourrait chasser l'ennui.
Combien donc pesait le souci
Qui vous a fait baisser la tête ?
C'est, j'imagine, un aussi lourd fardeau
Que le roitelet de la fable ;
Ce grand chagrin qui vous accable
Me fait souvenir du roseau.
Je suis bien **** d'être le chêne,
Mais, dites-moi, vous qu'en un autre temps
(Quand nos aïeux vivaient en bons enfants)
J'aurais nommée Iris, ou Philis, ou Climène,
Vous qui, dans ce siècle bourgeois,
Osez encor me permettre parfois
De vous appeler ma marraine,
Est-ce bien vous qui m'écrivez ainsi,
Et songiez-vous qu'il faut qu'on vous réponde ?
Savez-vous que, dans votre ennui,
Sans y penser, madame et chère blonde,
Vous me grondez comme un ami ?
Paresse et manque de courage,
Dites-vous ; s'il en est ainsi,
Je vais me remettre à l'ouvrage.
Hélas ! l'oiseau revient au nid,
Et quelquefois même à la cage.
Sur mes lauriers on me croit endormi ;
C'est trop d'honneur pour un instant d'oubli,
Et dans mon lit les lauriers n'ont que faire ;
Ce ne serait pas mon affaire.
Je sommeillais seulement à demi,
À côté d'un brin de verveine
Dont le parfum vivait à peine,
Et qu'en rêvant j'avais cueilli.
Je l'avouerai, ce coupable silence,
Ce long repos, si maltraité de vous,
Paresse, amour, folie ou nonchalance,
Tout ce temps perdu me fut doux.
Je dirai plus, il me fut profitable ;
Et, si jamais mon inconstant esprit
Sait revêtir de quelque fable
Ce que la vérité m'apprit,
Je vous paraîtrai moins coupable.
Le silence est un conseiller
Qui dévoile plus d'un mystère ;
Et qui veut un jour bien parler
Doit d'abord apprendre à se taire.
Et, quand on se tairait toujours,
Du moment qu'on vit et qu'on aime,
Qu'importe le reste ? et vous-même,
Quand avez-vous compté les jours ?
Et puisqu'il faut que tout s'évanouisse,
N'est-ce donc pas une folle avarice,
De conserver comme un trésor
Ce qu'un coup de vent nous enlève ?
Le meilleur de ma vie a passé comme un rêve
Si léger, qu'il m'est cher encor.
Mais revenons à vous, ma charmante marraine.
Vous croyez donc vous ennuyer ?
Et l'hiver qui s'en vient, rallumant le foyer,
A fait rêver la châtelaine.
Un roman, dites-vous, pourrait vous égayer ;
Triste chose à vous envoyer !
Que ne demandez-vous un conte à La Fontaine ?
C'est avec celui-là qu'il est bon de veiller ;
Ouvrez-le sur votre oreiller,
Vous verrez se lever l'aurore.
Molière l'a prédit, et j'en suis convaincu,
Bien des choses auront vécu
Quand nos enfants liront encore
Ce que le bonhomme a conté,
Fleur de sagesse et de gaieté.
Mais quoi ! la mode vient, et tue un vieil usage.
On n'en veut plus, du sobre et franc langage
Dont il enseignait la douceur,
Le seul français, et qui vienne du cœur ;
Car, n'en déplaise à l'Italie,
La Fontaine, sachez-le bien,
En prenant tout n'imita rien ;
Il est sorti du sol de la patrie,
Le vert laurier qui couvre son tombeau ;
Comme l'antique, il est nouveau.
Ma protectrice bien-aimée,
Quand votre lettre parfumée
Est arrivée à votre. enfant gâté,
Je venais de causer en toute liberté
Avec le grand ami Shakespeare.
Du sujet cependant Boccace était l'auteur ;
Car il féconde tout, ce charmant inventeur ;
Même après l'autre, il fallait le relire.
J'étais donc seul, ses Nouvelles en main,
Et de la nuit la lueur azurée,
Se jouant avec le matin,
Etincelait sur la tranche dorée
Du petit livre florentin ;
Et je songeais, quoi qu'on dise ou qu'on fasse,
Combien c'est vrai que les Muses sont sœurs ;
Qu'il eut raison, ce pinceau plein de grâce,
Qui nous les montre au sommet du Parnasse,
Comme une guirlande de fleurs !
La Fontaine a ri dans Boccace,
Où Shakespeare fondait en pleurs.
Sera-ce trop que d'enhardir ma muse
Jusqu'à tenter de traduire à mon tour
Dans ce livre amoureux une histoire d'amour ?
Mais tout est bon qui vous amuse.
Je n'oserais, si ce n'était pour vous,
Car c'est beaucoup que d'essayer ce style
Tant oublié, qui fut jadis si doux,
Et qu'aujourd'hui l'on croit facile.

Il fut donc, dans notre cité,
Selon ce qu'on nous a conté
(Boccace parle ainsi ; la cité, c'est Florence),
Un gros marchand, riche, homme d'importance,
Qui de sa femme eut un enfant ;
Après quoi, presque sur-le-champ,
Ayant mis ordre à ses affaires,
Il passa de ce monde ailleurs.
La mère survivait ; on nomma des tuteurs,
Gens loyaux, prudents et sévères ;
Capables de se faire honneur
En gardant les biens d'un mineur.
Le jouvenceau, courant le voisinage,
Sentit d'abord douceur de cœur
Pour une fille de son âge,
Qui pour père avait un tailleur ;
Et peu à peu l'enfant devenant homme,
Le temps changea l'habitude en amour,
De telle sorte que Jérôme
Sans voir Silvia ne pouvait vivre un jour.
À son voisin la fille accoutumée
Aima bientôt comme elle était aimée.
De ce danger la mère s'avisa,
Gronda son fils, longtemps moralisa,
Sans rien gagner par force ou par adresse.
Elle croyait que la richesse
En ce monde doit tout changer,
Et d'un buisson peut faire un oranger.
Ayant donc pris les tuteurs à partie,
La mère dit : « Cet enfant que voici,
Lequel n'a pas quatorze ans, Dieu merci !
Va désoler le reste de ma vie.
Il s'est si bien amouraché
De la fille d'un mercenaire,
Qu'un de ces jours, s'il n'en est empêché,
Je vais me réveiller grand'mère.
Soir ni matin, il ne la quitte pas.
C'est, je crois, Silvia qu'on l'appelle ;
Et, s'il doit voir quelque autre dans ses bras,
Il se consumera pour elle.
Il faudrait donc, avec votre agrément,
L'éloigner par quelque voyage ;
Il est jeune, la fille est sage,
Elle l'oubliera sûrement ;
Et nous le marierons à quelque honnête femme. »
Les tuteurs dirent que la dame
Avait parlé fort sagement.
« Te voilà grand, dirent-ils à Jérôme,
Il est bon de voir du pays.
Va-t'en passer quelques jours à Paris,
Voir ce que c'est qu'un gentilhomme,
Le bel usage, et comme on vit là-bas ;
Dans peu de temps tu reviendras. »
À ce conseil, le garçon, comme on pense,
Répondit qu'il n'en ferait rien,
Et qu'il pouvait voir aussi bien
Comment l'on vivait à Florence.
Là-dessus, la mère en fureur
Répond d'abord par une grosse injure ;
Puis elle prend l'enfant par la douceur ;
On le raisonne, on le conjure,
À ses tuteurs il lui faut obéir ;
On lui promet de ne le retenir
Qu'un an au plus. Tant et tant on le prie,
Qu'il cède enfin. Il quitte sa patrie ;
Il part, tout plein de ses amours,
Comptant les nuits, comptant les jours,
Laissant derrière lui la moitié de sa vie.
L'exil dura deux ans ; ce long terme passé,
Jérôme revint à Florence,
Du mal d'amour plus que jamais blessé,
Croyant sans doute être récompensé.
Mais. c'est un grand tort que l'absence.
Pendant qu'au **** courait le jouvenceau,
La fille s'était mariée.
En revoyant les rives de l'Arno,
Il n'y trouva que le tombeau
De son espérance oubliée.
D'abord il n'en murmura point,
Sachant que le monde, en ce point,
Agit rarement d'autre sorte.
De l'infidèle il connaissait la porte,
Et tous les jours il passait sur le seuil,
Espérant un signe, un coup d'oeil,
Un rien, comme on fait quand on aime.
Mais tous ses pas furent perdus
Silvia ne le connaissait plus,
Dont il sentit une douleur extrême.
Cependant, avant d'en mourir,
Il voulut de son souvenir
Essayer de parler lui-même.
Le mari n'était pas jaloux,
Ni la femme bien surveillée.
Un soir que les nouveaux époux
Chez un voisin étaient à la veillée,
Dans la maison, au tomber de la nuit,
Jérôme entra, se cacha près du lit,
Derrière une pièce de toile ;
Car l'époux était tisserand,
Et fabriquait cette espèce de voile
Qu'on met sur un balcon toscan.
Bientôt après les mariés rentrèrent,
Et presque aussitôt se couchèrent.
Dès qu'il entend dormir l'époux,
Dans l'ombre vers Silvia Jérôme s'achemine,
Et lui posant la main sur la poitrine,
Il lui dit doucement : « Mon âme, dormez-vous ?
La pauvre enfant, croyant voir un fantôme,
Voulut crier ; le jeune homme ajouta
« Ne criez pas, je suis votre Jérôme.
- Pour l'amour de Dieu, dit Silvia,
Allez-vous-en, je vous en prie.
Il est passé, ce temps de notre vie
Où notre enfance eut loisir de s'aimer,
Vous voyez, je suis mariée.
Dans les devoirs auxquels je suis liée,
Il ne me sied plus de penser
À vous revoir ni vous entendre.
Si mon mari venait à vous surprendre,
Songez que le moindre des maux
Serait pour moi d'en perdre le repos ;
Songez qu'il m'aime et que je suis sa femme. »
À ce discours, le malheureux amant
Fut navré jusqu'au fond de l'âme.
Ce fut en vain qu'il peignit son tourment,
Et sa constance et sa misère ;
Par promesse ni par prière,
Tout son chagrin ne put rien obtenir.
Alors, sentant la mort venir,
Il demanda que, pour grâce dernière,
Elle le laissât se coucher
Pendant un instant auprès d'elle,
Sans bouger et sans la toucher,
Seulement pour se réchauffer,
Ayant au cœur une glace mortelle,
Lui promettant de ne pas dire un mot,
Et qu'il partirait aussitôt,
Pour ne la revoir de sa vie.
La jeune femme, ayant quelque compassion,
Moyennant la condition,
Voulut contenter son envie.
Jérôme profita d'un moment de pitié ;
Il se coucha près de Silvie.
Considérant alors quelle longue amitié
Pour cette femme il avait eue,
Et quelle était sa cruauté,
Et l'espérance à tout jamais perdue,
Il résolut de cesser de souffrir,
Et rassemblant dans un dernier soupir
Toutes les forces de sa vie,
Il serra la main de sa mie,
Et rendit l'âme à son côté.
Silvia, non sans quelque surprise,
Admirant sa tranquillité,
Resta d'abord quelque temps indécise.
« Jérôme, il faut sortir d'ici,
Dit-elle enfin, l'heure s'avance. »
Et, comme il gardait le silence,
Elle pensa qu'il s'était endormi.
Se soulevant donc à demi,
Et doucement l'appelant à voix basse,
Elle étendit la main vers lui,
Et le trouva froid comme glace.
Elle s'en étonna d'abord ;
Bientôt, l'ayant touché plus fort,
Et voyant sa peine inutile,
Son ami restant immobile,
Elle comprit qu'il était mort.
Que faire ? il n'était pas facile
De le savoir en un moment pareil.
Elle avisa de demander conseil
À son mari, le tira de son somme,
Et lui conta l'histoire de Jérôme,
Comme un malheur advenu depuis peu,
Sans dire à qui ni dans quel lieu.
« En pareil cas, répondit le bonhomme,
Je crois que le meilleur serait
De porter le mort en secret
À son logis, l'y laisser sans rancune,
Car la femme n'a point failli,
Et le mal est à la fortune.
- C'est donc à nous de faire ainsi, »
Dit la femme ; et, prenant la main de son mari
Elle lui fit toucher près d'elle
Le corps sur son lit étendu.
Bien que troublé par ce coup imprévu,
L'époux se lève, allume sa chandelle ;
Et, sans entrer en plus de mots,
Sachant que sa femme est fidèle,
Il charge le corps sur son dos,
À sa maison secrètement l'emporte,
Le dépose devant la porte,
Et s'en revient sans avoir été vu.
Lorsqu'on trouva, le jour étant venu,
Le jeune homme couché par terre,
Ce fut une grande rumeur ;
Et le pire, dans ce malheur,
Fut le désespoir de la mère.
Le médecin aussitôt consulté,
Et le corps partout visité,
Comme on n'y vit point de blessure,
Chacun parlait à sa façon
De cette sinistre aventure.
La populaire opinion
Fut que l'amour de sa maîtresse
Avait jeté Jérôme en cette adversité,
Et qu'il était mort de tristesse,
Comme c'était la vérité.
Le corps fut donc à l'église porté,
Et là s'en vint la malheureuse mère,
Au milieu des amis en deuil,
Exhaler sa douleur amère.
Tandis qu'on menait le cercueil,
Le tisserand qui, dans le fond de l'âme,
Ne laissait pas d'être inquiet :
« Il est bon, dit-il à sa femme,
Que tu prennes ton mantelet,
Et t'en ailles à cette église
Où l'on enterre ce garçon
Qui mourut hier à la maison.
J'ai quelque peur qu'on ne médise
Sur cet inattendu trépas,
Et ce serait un mauvais pas,
Tout innocents que nous en sommes.
Je me tiendrai parmi les hommes,
Et prierai Dieu, tout en les écoutant.
De ton côté, prends soin d'en faire autant
À l'endroit qu'occupent les femmes.
Tu retiendras ce que ces bonnes âmes
Diront de nous, et nous ferons
Selon ce que nous entendrons. »
La pitié trop **** à Silvie
Etait venue, et ce discours lui plut.
Celui dont un baiser eût conservé la vie,
Le voulant voir encore, elle s'en fut.
Il est étrange, il est presque incroyable
Combien c'est chose inexplicable
Que la puissance de l'amour.
Ce cœur, si chaste et si sévère,
Qui semblait fermé sans retour
Quand la fortune était prospère,
Tout à coup s'ouvrit au malheur.
À peine dans l'église entrée,
De compassion et d'horreur
Silvia se sentit pénétrée ;
L'ancien amour s'éveilla tout entier.
Le front baissé, de son manteau voilée,
Traversant la triste assemblée,
Jusqu'à la bière il lui fallut aller ;
Et là, sous le drap mortuaire
Sitôt qu'elle vit son ami,
Défaillante et poussant un cri,
Comme une sœur embrasse un frère,
Sur le cercueil elle tomba ;
Et, comme la douleur avait tué Jérôme,
De sa douleur ainsi mourut Silvia.
Cette fois ce fut au jeune homme
A céder la moitié du lit :
L'un près de l'autre on les ensevelit.
Ainsi ces deux amants, séparés sur la terre,
Furent unis, et la mort fit
Ce que l'amour n'avait pu faire.
Vous demandez si l'amour rend heureuse ;
Il le promet, croyez-le, fût-ce un jour.
Ah ! pour un jour d'existence amoureuse,
Qui ne mourrait ? la vie est dans l'amour.

Quand je vivais tendre et craintive amante,
Avec ses feux je peignais ses douleurs :
Sur son portrait j'ai versé tant de pleurs,
Que cette image en paraît moins charmante.

Si le sourire, éclair inattendu,
Brille parfois au milieu de mes larmes,
C'était l'amour ; c'était lui, mais sans armes ;
C'était le ciel... qu'avec lui j'ai perdu.

Sans lui, le coeur est un foyer sans flamme ;
Il brûle tout, ce doux empoisonneur.
J'ai dit bien vrai comme il déchire une âme :
Demandez-donc s'il donne le bonheur !

Vous le saurez : oui, quoi qu'il en puisse être,
De gré, de force, amour sera le maître ;
Et, dans sa fièvre alors lente à guérir,
Vous souffrirez, ou vous ferez souffrir.

Dès qu'on l'a vu, son absence est affreuse ;
Dès qu'il revient, on tremble nuit et jour ;
Souvent enfin la mort est dans l'amour ;
Et cependant... oui, l'amour rend heureuse !
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
Ainsi les plus abjects, les plus vils, les plus minces
Vont régner ! ce n'était pas assez des vrais princes
Qui de leur sceptre d'or insultent le ciel bleu,
Et sont rois et méchants par la grâce de Dieu !
Quoi ! tel gueux qui, pourvu d'un titre en bonne forme,
À pour toute splendeur sa bâtardise énorme,
Tel enfant du hasard, rebut des échafauds,
Dont le nom fut un vol et la naissance un faux,
Tel bohème pétri de ruse et d'arrogance,
Tel intrus entrera dans le sang de Bragance,
Dans la maison d'Autriche ou dans la maison d'Est,
Grâce à la fiction légale is pater est,
Criera : je suis Bourbon, ou : je suis Bonaparte,
Mettra cyniquement ses deux poings sur la carte,
Et dira : c'est à moi ! je suis le grand vainqueur !
Sans que les braves gens, sans que les gens de coeur
Rendent à Curtius ce monarque de cire !
Et, quand je dis : faquin ! l'écho répondra : sire !
Quoi ! ce royal croquant, ce maraud couronné,
Qui, d'un boulet de quatre à la cheville orné,
Devrait dans un ponton pourrir à fond de cale,
Cette altesse en ruolz, ce prince en chrysocale,
Se fait devant la France, horrible, ensanglanté,
Donner de l'empereur et de la majesté,
Il trousse sa moustache en croc et la caresse,
Sans que sous les soufflets sa face disparaisse,
Sans que, d'un coup de pied l'arrachant à Saint-Cloud,
On le jette au ruisseau, dût-on salir l'égout !

- Paix ! disent cent crétins. C'est fini. Chose faite.
Le Trois pour cent est Dieu, Mandrin est son prophète.
Il règne. Nous avons voté ! Vox populi. -
Oui, je comprends, l'opprobre est un fait accompli.
Mais qui donc a voté ? Mais qui donc tenait l'urne ?
Mais qui donc a vu clair dans ce scrutin nocturne ?
Où donc était la loi dans ce tour effronté ?
Où donc la nation ? Où donc la liberté ?
Ils ont voté !

Troupeau que la peur mène paître
Entre le sacristain et le garde champêtre
Vous qui, pleins de terreur. voyez, pour vous manger,
Pour manger vos maisons, vos bois, votre verger,
Vos meules de luzerne et vos pommes à cidre,
S'ouvrir tous les matins les mâchoires d'une hydre
Braves gens, qui croyez en vos foins, et mettez
De la religion dans vos propriétés ;
Âmes que l'argent touche et que l'or fait dévotes
Maires narquois, traînant vos paysans aux votes ;
Marguilliers aux regards vitreux ; curés camus
Hurlant à vos lutrins : Dæmonem laudamus ;
Sots, qui vous courroucez comme flambe une bûche ;
Marchands dont la balance incorrecte trébuche ;
Vieux bonshommes crochus, hiboux hommes d'état,
Qui déclarez, devant la fraude et l'attentat,
La tribune fatale et la presse funeste ;
Fats, qui, tout effrayés de l'esprit, cette peste,
Criez, quoique à l'abri de la contagion ;
Voltairiens, viveurs, fervente légion,
Saints gaillards, qui jetez dans la même gamelle
Dieu, l'orgie et la messe, et prenez pêle-mêle
La défense du ciel et la taille à Goton ;
Bons dos, qui vous courbez, adorant le bâton ;
Contemplateurs béats des gibets de l'Autriche
Gens de bourse effarés, qui trichez et qu'on triche ;
Invalides, lions transformés en toutous ;
Niais, pour qui cet homme est un sauveur ; vous tous
Qui vous ébahissez, bestiaux de Panurge,
Aux miracles que fait Cartouche thaumaturge ;
Noircisseurs de papier timbré, planteurs de choux,
Est-ce que vous croyez que la France, c'est vous,
Que vous êtes le peuple, et que jamais vous eûtes
Le droit de nous donner un maître, ô tas de brutes ?

Ce droit, sachez-le bien, chiens du berger Maupas,
Et la France et le peuple eux-mêmes ne l'ont pas.
L'altière Vérité jamais ne tombe en cendre.
La Liberté n'est pas une guenille à vendre,
Jetée au tas, pendue au clou chez un fripier.
Quand un peuple se laisse au piège estropier,
Le droit sacré, toujours à soi-même fidèle,
Dans chaque citoyen trouve une citadelle ;
On s'illustre en bravant un lâche conquérant,
Et le moindre du peuple en devient le plus grand.
Donc, trouvez du bonheur, ô plates créatures,
À vivre dans la fange et dans les pourritures,
Adorez ce fumier sous ce dais de brocart,
L'honnête homme recule et s'accoude à l'écart.
Dans la chute d'autrui je ne veux pas descendre.
L'honneur n'abdique point. Nul n'a droit de me prendre
Ma liberté, mon bien, mon ciel bleu, mon amour.
Tout l'univers aveugle est sans droit sur le jour.
Fût-on cent millions d'esclaves, je suis libre.
Ainsi parle Caton. Sur la Seine ou le Tibre,
Personne n'est tombé tant qu'un seul est debout.
Le vieux sang des aïeux qui s'indigne et qui bout,
La vertu, la fierté, la justice, l'histoire,
Toute une nation avec toute sa gloire
Vit dans le dernier front qui ne veut pas plier.
Pour soutenir le temple il suffit d'un pilier ;
Un français, c'est la France ; un romain contient Rome,
Et ce qui brise un peuple avorte aux pieds d'un homme.

Jersey, le 4 mai 1853.
Amis, accueillez-moi, j'arrive dans la vie.

Dépensons l'existence au gré de notre envie :

Vivre, c'est être libre, et pouvoir à loisir

Abandonner son âme à l'attrait du plaisir ;

C'est chanter, s'enivrer des cieux, des bois, de l'onde,

Ou, parmi les tilleuls, suivre une vierge blonde !

- C'est bien là le discours d'un enfant. Écoutez :

Vous avez de l'esprit. - Trop bon. - Et méritez

Qu'un ami plus mûr vienne, en cette circonstance,

D'un utile conseil vous prêter l'assistance.

Il ne faut pas se faire illusion ici ;

Avant d'être poète, et de livrer ainsi

Votre âme à tout le feu de l'ardeur qui l'emporte.

Avez-vous de l'argent ? - Que sais-je ?et que m'importe ?

- Il importe beaucoup ; et c'est précisément

Ce qu'il faut, avant tout, considérer. - Vraiment ?

- S'il fut des jours heureux, où la voix des poètes

Enchaînait à son gré les nations muettes,

Ces jours-là ne sont plus, et depuis bien longtemps :

Est-ce un bien, est-ce un mal, je l'ignore, et n'entends

Que vous prouver un fait, et vous faire comprendre

Que si le monde est tel, tel il faut bien le prendre.

Le poète n'est plus l'enfant des immortels,

A qui l'homme à genoux élevait des autels ;

Ce culte d'un autre âge est perdu dans le nôtre,

Et c'est tout simplement un homme comme un autre.

Si donc vous n'avez rien, travaillez pour avoir ;

Embrassez un état : le tout est de savoir

Choisir, et sans jamais regarder en arrière,

D'un pas ferme et hardi poursuivre sa carrière.

- Et ce monde idéal que je me figurais !

Et ces accents lointains du cor dans les forêts !

Et ce bel avenir, et ces chants d'innocence !

Et ces rêves dorés de mon adolescence !

Et ces lacs, et ces mers, et ces champs émaillés,

Et ces grands peupliers, et ces fleurs ! - Travaillez.

Apprenez donc un peu, jeune homme, à vous connaître :

Vous croyez que l'on n'a que la peine de naître,

Et qu'on est ici-bas pour dormir, se lever,

Passer, les bras croisés, tout le jour à rêver ;

C'est ainsi qu'on se perd, c'est ainsi qu'on végète :

Pauvre, inutile à tous, le monde vous rejette :

Contre la faim, le froid, on lutte, on se débat

Quelque temps, et l'on va mourir sur un grabat.

Ce tableau n'est pas ***, ce discours n'est pas tendre.

C'est vrai ; mais j'ai voulu vous faire bien entendre,

Par amitié pour vous, et dans votre intérêt,

Où votre poésie un jour vous conduirait.


Cet homme avait raison, au fait : j'ai dû me taire.

Je me croyais poète, et me voici notaire.

J'ai suivi ses conseils, et j'ai, sans m'effrayer,

Subi le lourd fardeau d'une charge à payer.

Je dois être content : c'est un très bel office ;

C'est magnifique, à part même le bénéfice.

On a bonne maison, on reçoit les jeudis ;

On a des clercs, qu'on loge en haut, dans un taudis.

Il est vrai que l'état n'est pas fort poétique.

Et rien n'est positif comme l'acte authentique.

Mais il faut pourtant bien se faire une raison,

Et tous ces contes bleus ne sont plus de saison :

Il faut que le notaire, homme d'exactitude,

D'un travail assidu se fasse l'habitude ;

Va, malheureux ! et si quelquefois il advient

Qu'un riant souvenir d'enfance vous revient,

Si vous vous rappelez que la voix des génies

Vous berçait, tout petit, de vagues harmonies ;

Si, poursuivant encor un bonheur qu'il rêva.

L'esprit vers d'autres temps veut se retourner : Va !

Est-ce avec tout cela qu'on mène son affaire ?

N'as-tu pas ce matin un testament à faire ?

Le client est fort mal, et serait en état,

Si tu tardais encor, de mourir intestat.


Mais j'ai trente-deux ans accomplis ; à mon âge

Il faut songer pourtant à se mettre en ménage ;

Il faut faire une fin, tôt ou ****. Dans le temps.

J'y songeais bien aussi, quand j'avais dix-huit ans.

Je voyais chaque nuit, de la voûte étoilée,

Descendre sur ma couche une vierge voilée ;

Je la sentais, craintive, et cédant à mes vœux.

D'un souffle caressant effleurer mes cheveux ;

Et cette vision que j'avais tant rêvée.

Sur la terre, une fois, je l'avais retrouvée.

Oh ! qui me les rendra ces rapides instants,

Et ces illusions d'un amour de vingt ans !

L'automne à la campagne, et ses longues soirées,

Les mères, dans un coin du salon retirées,

Ces regards pleins de feu, ces gestes si connus,

Et ces airs si touchants que j'ai tous retenus ?

Tout à coup une voix d'en haut l'a rappelée :

Cette vie est si triste ! elle s'en est allée ;

Elle a fermé les yeux, sans crainte, sans remords ;

Mais pensent-ils encore à nous ceux qui sont morts ?


Il s'agit bien ici d'un amour platonique !

Me voici marié : ma femme est fille unique ;

Son père est épicier-droguiste retiré,

Et riche, qui plus est : je le trouve à mon gré.

Il n'est correspondant d'aucune académie.

C'est vrai ; mais il est rond, et plein de bonhomie :

Et puis j'aime ma femme, et je crois en effet,

En demandant sa main, avoir sagement fait.

Est-il un sort plus doux, et plus digne d'envie ?

On passe, au coin du feu, tranquillement sa vie :

On boit, on mange, on dort, et l'on voit arriver

Des enfants qu'il faut mettre en nourrice, élever,

Puis établir enfin : puis viennent les années,

Les rides au visage et les couleurs fanées,

Puis les maux, puis la goutte. On vit comme cela

Cinquante ou soixante ans, et puis on meurt. Voilà.
Hôtes de ce séjour d'angoisse et de souffrance,

Où Satan sur le seuil a mis : Plus d'espérance !

Qui vous brisez le front contre ses murs de fer,

Et vîntes échanger, dans cette fange immonde,

La perpétuité des peines de ce monde

Pour l'éternité de l'enfer !


Ô vous, bandits, larrons d'Italie ou d'Espagne,

Hôtes des grands chemins, qui courez la campagne

De Tarente à Venise, et de Rome au Simplon ;

Et vous, concitoyens, voleurs de ma patrie.

Qui, les cheveux rasés et l'épaule flétrie.

Ramiez dans Brest ou dans Toulon !


Et vous qui, franchissant les monts et les cascades,

Imploriez la madone, et braviez les alcades,

Castillans, Grenadins ! et vous qui, sourdement,

Sous le ciel de l'Écosse, alliez dans les ténèbres

Ressusciter les morts dans leurs linceuls funèbres

Avant le jour du jugement !


Filles de joie, ô vous qu'on voyait dans la rue.

Autour d'un mauvais lieu, faire le pied de grue.

Dont l'amour fut mortel, et le baiser fatal ;

Vous tous, morts dans le crime et dans l'impénitence,

Spectres, qu'ont ainsi faits la roue ou la potence,

La guillotine ou l'hôpital !


Vous tous, mes vieux damnés, races de Dieu maudites,

Approchez-vous ici, parlez-nous, et nous dites

Aux gouffres de Satan combien a rapporté

Chaque péché mortel qui damne l'autre vie ;

Combien l'Orgueil, combien l'Avarice ou l'Envie,

Combien surtout la Pauvreté ?


C'est Elle qui flétrit une âme encor novice,

L'enlace, et la conduit au crime par le vice.

Courbant les plus hauts fronts avec sa main de fer ;

Qui mêle le poison et qui tire l'épée :

Elle, la plus féconde et la mieux occupée

Des pourvoyeuses de l'enfer !


Pauvreté ! vaste mot. Puissances de la terre,

Qui portez de vos noms l'orgueil héréditaire,

Savez-vous ce que c'est qu'avoir soif, avoir faim :

L'hiver, dans un grabat juché sous la toiture,

Passer le jour sans feu, la nuit sans couverture ;

Ce que c'est que le pauvre, enfin ?


- C'est un homme qui va, sur les places publiques,

Colporter, tout perclus, une boîte à reliques ;

Un aveugle en haillons, qu'on voit par les chemins

Accompagné d'un chien qui porte une sébile,

Agenouillé par terre, et qui chante, immobile,

Un cantique, en joignant les mains :


C'est un homme qui veille au seuil la nuit entière,

Et vient, sortants du bal, vous ouvrir la portière,

Recommandant sa peine aux cœurs compatissants ;

C'est une femme en pleurs qui voile son visage

Et tient à ses côtés deux enfants en bas-âge

Dressés à suivre les passants.


C'est cela : rien de plus. D'ailleurs, c'est une classe,

Les pauvres : il faut bien que chacun ait sa place ;

Dieu seul sait comme tout ici doit s'ordonner :

Il a mis la santé près de la maladie,

Le riche près du pauvre : il faut que l'un mendie

Pour que l'autre puisse donner.


Et quand, lassés de voir qu'on vous suit à la trace,

Vous vous êtes saignés, à grand'peine, et par grâce,

Du denier qu'un laquais insolent a jeté :

Grands seigneurs, financiers, belles dames, duchesses.

Vous vous tenez contenus, et croyez vos richesses

Quittes envers la pauvreté !


Mais il en est une autre, une autre cent fois pire,

Qui n'a point de haillons, celle-là, qui n'inspire

Ni pitié, ni dégoût, qui se pare de fleurs :

Qui ne se montre point, mendiante et quêteuse,

Mais, sous de beaux habits, cache, toute honteuse.

Ses ulcères et ses douleurs.


Elle vient au concert, et chante : au bal, et danse :

Jamais, jamais un geste, un mot dont l'imprudence

Trahirait des tourments qui ne sont point compris ;

C'est un combat sans fin, une longue détresse,

Une fièvre qui mine, un cauchemar qui presse

Et tue en étouffant vos cris.


C'est ce mal qui travaille une âme bien placée,

Qui s'indigne du rang où le sort l'a laissée ;

Qui demeure toujours triste au sein des plaisirs,

Parce qu'elle en sait bien le terme, et s'importune

De n'égaler jamais ses vœux à sa fortune,

Ni son espoir à ses désirs.


C'est le fléau du siècle, et cette maladie

Gagne de proche en proche, ainsi qu'un incendie :

Le monde dans son sein porte un hôte inconnu :

C'est un ver dans le cœur, c'est le cheval de Troie,

D'où les Grecs tout armés tomberont sur leur proie

Quand le moment sera venu.


Or, quand cela se voit, c'est une marque sûre

Qu'il s'est fait au-dedans une grande blessure.

Enseignement certain, par où Dieu nous apprend

Qu'une société vieillie et décrépite

S'émeut au plus profond de sa base, et palpite

Du dernier râle d'un mourant.


Je vous en avertis, riches ; prenez-y garde !

L'édifice est usé : si quelqu'un par mégarde

Passe trop chargé d'or sur ses planchers pourris,

- Un grain de blé suffit pour combler la mesure :

Au choc le plus léger cette vieille masure

Vous étouffe sous ses débris.


Peu de jours sont passés depuis qu'en sa colère

Lyon a vu rugir le monstre populaire :

Vous aviez cru le voir arriver en trois bonds,

Le sang dans les regards, le feu dans les narines.

Et vous aviez serré votre or sur vos poitrines.

Pâles comme des moribonds.


S'il n'a pas cette fois encor, rompu sa chaîne,

Si la porte est de fer et la cage de chêne,

Pourtant n'approchez pas des barreaux trop souvent.

Car sa force s'accroît, et sa rage, en silence ;

Et gare qu'un beau jour il les brise, et s'élance

Libre enfin, et les crins au vent !
Jeune homme ! je te plains ; et cependant j'admire
Ton grand parc enchanté qui semble nous sourire,
Qui fait, vu de ton seuil, le tour de l'horizon,
Grave ou joyeux suivant le jour et la saison,  
Coupé d'herbe et d'eau vive, et remplissant huit lieues
De ses vagues massifs et de ses ombres bleues.
J'admire ton domaine, et pourtant je te plains !
Car dans ces bois touffus de tant de grandeur pleins,
Où le printemps épanche un faste sans mesure,
Quelle plus misérable et plus pauvre masure
Qu'un homme usé, flétri, mort pour l'illusion,
Riche et sans volupté, jeune et sans passion,  
Dont le coeur délabré, dans ses recoins livides,
N'a plus qu'un triste amas d'anciennes coupes vides,  
Vases brisés qui n'ont rien gardé que l'ennui,
Et d'où l'amour, la joie et la candeur ont fui !

Oui, tu me fais pitié, toi qui crois faire envie !
Ce splendide séjour sur ton coeur, sur ta vie,
Jette une ombre ironique, et rit en écrasant
Ton front terne et chétif d'un cadre éblouissant.

Dis-moi, crois-tu, vraiment posséder ce royaume
D'ombre et de fleurs, où l'arbre arrondi comme un dôme,
L'étang, lame d'argent que le couchant fait d'or,
L'allée entrant au bois comme un noir corridor,
Et là, sur la forêt, ce mont qu'une tour garde,
Font un groupe si beau pour l'âme qui regarde !
Lieu sacré pour qui sait dans l'immense univers,
Dans les prés, dans les eaux et dans les vallons verts,
Retrouver les profils de la face éternelle
Dont le visage humain n'est qu'une ombre charnelle !

Que fais-tu donc ici ? Jamais on ne te voit,
Quand le matin blanchit l'angle ardoisé du toit,
Sortir, songer, cueillir la fleur, coupe irisée
Que la plante à l'oiseau tend pleine de rosée,
Et parfois t'arrêter, laissant pendre à ta main
Un livre interrompu, debout sur le chemin,
Quand le bruit du vent coupe en strophes incertaines
Cette longue chanson qui coule des fontaines.

Jamais tu n'as suivi de sommets en sommets
La ligne des coteaux qui fait rêve ; jamais
Tu n'as joui de voir, sur l'eau qui reflète,
Quelque saule noueux tordu comme un athlète.
Jamais, sévère esprit au mystère attaché,
Tu n'as questionné le vieux orme penché
Qui regarde à ses pieds toute la pleine vivre
Comme un sage qui rêve attentif à son livre.

L'été, lorsque le jour est par midi frappé,
Lorsque la lassitude a tout enveloppé,
A l'heure où l'andalouse et l'oiseau font la sieste,
Jamais le faon peureux, tapi dans l'antre agreste,
Ne te vois, à pas lents, **** de l'homme importun,
Grave, et comme ayant peur de réveiller quelqu'un,
Errer dans les forêts ténébreuses et douces
Où le silence dort sur le velours des mousses.

Que te fais tout cela ? Les nuages des cieux,
La verdure et l'azur sont l'ennui de tes yeux.
Tu n'est pas de ces fous qui vont, et qui s'en vantent,
Tendant partout l'oreille aux voix qui partout chantent,
Rendant au Seigneur d'avoir fait le printemps,
Qui ramasse un nid, ou contemple longtemps
Quelque noir champignon, monstre étrange de l'herbe.
Toi, comme un sac d'argent, tu vois passer la gerbe.
Ta futaie, en avril, sous ses bras plus nombreux
A l'air de réclamer bien des pas amoureux,
Bien des coeurs soupirants, bien des têtes pensives ;

Toi qui jouis aussi sous ses branches massives,
Tu songes, calculant le taillis qui s'accroît,
Que Paris, ce vieillard qui, l'hiver, a si froid,
Attend, sous ses vieux quais percés de rampes neuves,
Ces longs serpents de bois qui descendent les fleuves !
Ton regard voit, tandis que ton oeil flotte au ****,
Les blés d'or en farine et la prairie en foin ;
Pour toi le laboureur est un rustre qu'on paie ;
Pour toi toute fumée ondulant, noire ou gaie,
Sur le clair paysage, est un foyer impur
Où l'on cuit quelque viande à l'angle d'un vieux mur.
Quand le soir tend le ciel de ses moires ardentes
Au dos d'un fort cheval assis, jambes pendantes,
Quand les bouviers hâlés, de leur bras vigoureux
Pique tes boeufs géants qui par le chemin creux
Se hâtent pêle-mêle et s'en vont à la crèche,
Toi, devant ce tableau tu rêves à la brèche
Qu'il faudra réparer, en vendant tes silos,
Dans ta rente qui tremble aux pas de don Carlos !

Au crépuscule, après un long jour monotone,
Tu t'enfermes chez toi. Les tièdes nuits d'automne
Versent leur chaste haleine aux coteaux veloutés.
Tu n'en sais rien. D'ailleurs, qu'importe ! A tes côtés,
Belles, leur bruns cheveux appliqués sur les tempes,
Fronts roses empourprés par le reflet des lampes,
Des femmes aux yeux purs sont assises, formant
Un cercle frais qui borde et cause doucement ;
Toutes, dans leurs discours où rien n'ose apparaître,
Cachant leurs voeux, leur âmes et leur coeur que peut-être
Embaume un vague amour, fleur qu'on ne cueille pas,
Parfum qu'on sentirait en se baissant tout bas.
Tu n'en sais rien. Tu fais, parmi ces élégies,
Tomber ton froid sourire, où, sous quatre bougies,
D'autres hommes et toi, dans un coin attablés
Autour d'un tapis vert, bruyants, vous querellez
Les caprices du whist, du brelan ou de l'hombre.
La fenêtre est pourtant pleine de lune et d'ombre !

Ô risible insensé ! vraiment, je te le dis,
Cette terre, ces prés, ces vallons arrondis,
Nids de feuilles et d'herbe où jasent les villages,
Ces blés où les moineaux ont leurs joyeux pillages,
Ces champs qui, l'hiver même, ont d'austères appas,
Ne t'appartiennent point : tu ne les comprends pas.

Vois-tu, tous les passants, les enfants, les poètes,
Sur qui ton bois répand ses ombres inquiètes,
Le pauvre jeune peintre épris de ciel et d'air,
L'amant plein d'un seul nom, le sage au coeur amer,
Qui viennent rafraîchir dans cette solitude,
Hélas ! l'un son amour et l'autre son étude,
Tous ceux qui, savourant la beauté de ce lieu,
Aiment, en quittant l'homme, à s'approcher de Dieu,
Et qui, laissant ici le bruit vague et morose
Des troubles de leur âme, y prennent quelque chose
De l'immense repos de la création,
Tous ces hommes, sans or et sans ambition,
Et dont le pied poudreux ou tout mouillé par l'herbe
Te fait rire emporté par ton landau superbe,
Sont dans ce parc touffu, que tu crois sous ta loi,
Plus riches, plus chez eux, plus les maîtres que toi,
Quoique de leur forêt que ta main grille et mure
Tu puisses couper l'ombre et vendre le murmure !

Pour eux rien n'est stérile en ces asiles frais.
Pour qui les sait cueillir tout a des dons secrets.
De partout sort un flot de sagesse abondante.
L'esprit qu'a déserté la passion grondante,
Médite à l'arbre mort, aux débris du vieux pont.
Tout objet dont le bois se compose répond
A quelque objet pareil dans la forêt de l'âme.
Un feu de pâtre éteint parle à l'amour en flamme.
Tout donne des conseils au penseur, jeune ou vieux.
On se pique aux chardons ainsi qu'aux envieux ;
La feuille invite à croître ; et l'onde, en coulant vite,
Avertit qu'on se hâte et que l'heure nous quitte.
Pour eux rien n'est muet, rien n'est froid, rien n'est mort.
Un peu de plume en sang leur éveille un remord ;
Les sources sont des pleurs ; la fleur qui boit aux fleuves,
Leur dit : Souvenez-vous, ô pauvres âmes veuves !

Pour eux l'antre profond cache un songe étoilé ;
Et la nuit, sous l'azur d'un beau ciel constellé,
L'arbre sur ses rameaux, comme à travers ses branches,
Leur montre l'astre d'or et les colombes blanches,
Choses douces aux coeurs par le malheur ployés,
Car l'oiseau dit : Aimez ! et l'étoile : Croyez !

Voilà ce que chez toi verse aux âmes souffrantes
La chaste obscurité des branches murmurantes !
Mais toi, qu'en fais tu ? dis. - Tous les ans, en flots d'or,
Ce murmure, cette ombre, ineffable trésor,
Ces bruits de vent qui joue et d'arbre qui tressaille,
Vont s'enfouir au fond de ton coffre qui bâille ;
Et tu changes ces bois où l'amour s'enivra,
Toute cette nature, en loge à l'opéra !

Encor si la musique arrivait à ton âme !
Mais entre l'art et toi l'or met son mur infâme.
L'esprit qui comprend l'art comprend le reste aussi.
Tu vas donc dormir là ! sans te douter qu'ainsi
Que tous ces verts trésors que dévore ta bourse,
Gluck est une forêt et Mozart une source.

Tu dors ; et quand parfois la mode, en souriant,
Te dit : Admire, riche ! alors, joyeux, criant,
Tu surgis, demandant comment l'auteur se nomme,
Pourvu que toutefois la muse soit un homme !
Car tu te roidiras dans ton étrange orgueil
Si l'on t'apporte, un soir, quelque musique en deuil,
Urne que la pensée a chauffée à sa flamme,
Beau vase où s'est versé tout le coeur d'une femme.

Ô seigneur malvenu de ce superbe lieu !
Caillou vil incrusté dans ces rubis en feu !
Maître pour qui ces champs sont pleins de sourdes haines !
Gui parasite enflé de la sève des chênes !
Pauvre riche ! - Vis donc, puisque cela pour toi
C'est vivre. Vis sans coeur, sans pensée et sans foi.
Vis pour l'or, chose vile, et l'orgueil, chose vaine.
Végète, toi qui n'as que du sang dans la veine,
Toi qui ne sens pas Dieu frémir dans le roseau,
Regarder dans l'aurore et chanter dans l'oiseau !

Car, - et bien que tu sois celui qui rit aux belles
Et, le soir, se récrie aux romances nouvelles, -
Dans les coteaux penchants où fument les hameaux,
Près des lacs, près des fleurs, sous les larges rameaux,
Dans tes propres jardins, tu vas aussi stupide,
Aussi peu clairvoyant dans ton instinct cupide,
Aussi sourd à la vie à l'harmonie, aux voix,
Qu'un loup sauvage errant au milieu des grands bois !

Le 22 mai 1837.
Si vous croyez que je vais dire
Qui j'ose aimer,
Je ne saurais, pour un empire,
Vous la nommer.

Nous allons chanter à la ronde,
Si vous voulez,
Que je l'adore et qu'elle est blonde
Comme les blés.

Je fais ce que sa fantaisie
Veut m'ordonner,
Et je puis, s'il lui faut ma vie,
La lui donner.

Du mal qu'une amour ignorée
Nous fait souffrir,
J'en porte l'âme déchirée
Jusqu'à mourir.

Mais j'aime trop pour que je die
Qui j'ose aimer,
Et je veux mourir pour ma mie
Sans la nommer.
Sinite parvulos venire ad me.
JESUS.


Laissez. - Tous ces enfants sont bien là. - Qui vous dit
Que la bulle d'azur que mon souffle agrandit
A leur souffle indiscret s'écroule ?
Qui vous dit que leurs voix, leurs pas, leurs jeux, leurs cris,
Effarouchent la muse et chassent les péris ?... -
Venez, enfants, venez en foule !

Venez autour de moi. Riez, chantez, courez !
Votre œil me jettera quelques rayons dorés,
Votre voix charmera mes heures.
C'est la seule en ce monde où rien ne nous sourit
Qui vienne du dehors sans troubler dans l'esprit
Le chœur des voix intérieures !

Fâcheux : qui les vouliez écarter ! - Croyez-vous
Que notre cœur n'est pas plus serein et plus doux
Au sortir de leurs jeunes rondes ?
Croyez-vous que j'ai peur quand je vois au milieu
De mes rêves rougis ou de sang ou de feu
Passer toutes ces têtes blondes ?

La vie est-elle donc si charmante à vos yeux
Qu'il faille préférer à tout ce bruit joyeux
Une maison vide et muette ?
N'ôtez pas, la pitié même vous le défend,
Un rayon de soleil, un sourire d'enfant,
Au ciel sombre, au cœur du poète !

- Mais ils s'effaceront à leurs bruyants ébats
Ces mots sacrés que dit une muse tout bas,
Ces chants purs d'où l'âme se noie ?... -
Eh ! que m'importe à moi, muse, chants, vanité,
Votre gloire perdue et l'immortalité,
Si j'y gagne une heure de joie !

La belle ambition et le rare destin !
Chanter ! toujours chanter pour un écho lointain,
Pour un vain bruit qui passe et tombe !
Vivre abreuvé de fiel, d'amertume et d'ennuis !
Expier dans ses jours les rêves de ses nuits !
Faire un avenir à sa tombe !

Oh ! que j'aime bien mieux ma joie et mon plaisir,
Et toute ma famille avec tout mon loisir,
Dût la gloire ingrate et frivole,
Dussent mes vers, troublés de ces ris familiers,
S'enfuir, comme devant un essaim d'écoliers
Une troupe d'oiseaux s'envole !

Mais non. Au milieu d'eux rien ne s'évanouit.
L'orientale d'or plus riche épanouit
Ses fleurs peintes et ciselées,
La ballade est plus fraîche, et dans le ciel grondant
L'ode ne pousse pas d'un souffle moins ardent
Le groupe des strophes ailées.

Je les vois reverdir dans leurs jeux éclatants,
Mes hymnes, parfumés comme un champ de printemps.
Ô vous, dont l'âme est épuisée,
Ô mes amis ! l'enfance aux riantes couleurs
Donne la poésie à nos vers, comme aux fleurs
L'aurore donne la rosée.

Venez, enfants ! - A vous jardins, cours, escaliers !
Ebranlez et planchers, et plafonds, et piliers !
Que le jour s'achève ou renaisse,
Courez et bourdonnez comme l'abeille aux champs !
Ma joie et mon bonheur et mon âme et mes chants
Iront ou vous irez, jeunesse !

Il est pour les cœurs sourds aux vulgaires clameurs
D'harmonieuses voix, des accords, des rumeurs,
Qu'on n'entend que dans les retraites,
Notes d'un grand concert interrompu souvent,
Vents, flots, feuilles des bois, bruits dont l'âme en rêvant
Se fait des musiques secrètes.

Moi, quel que soit le monde et l'homme et l'avenir,
Soit qu'il faille oublier ou se ressouvenir,
Que Dieu m'afflige ou me console,
Je ne veux habiter la cité des vivants
Que dans une maison qu'une rumeur d'enfants
Fasse toujours vivante et folle.

De même, si jamais enfin je vous revois,
Beau pays dont la langue est faite pour ma voix,
Dont mes yeux aimaient les campagnes,
Bords où mes pas enfants suivaient Napoléon,
Fortes villes du Cid ! ô Valence, ô Léon,
Castille, Aragon, mes Espagnes !

Je ne veux traverser vos plaines, vos cités,
Franchir vos ponts d'une arche entre deux monts jetés,
Vois vos palais romains ou maures,
Votre Guadalquivir qui serpente et s'enfuit,
Que dans ces chars dorés qu'emplissent de leur bruit
Les grelots des mules sonores.

Le 11 mai 1830.
Donc, c'est moi qui suis l'ogre et le bouc émissaire.
Dans ce chaos du siècle où votre coeur se serre,
J'ai foulé le bon goût et l'ancien vers françois
Sous mes pieds, et, hideux, j'ai dit à l'ombre : « Sois ! »
Et l'ombre fut. -- Voilà votre réquisitoire.
Langue, tragédie, art, dogmes, conservatoire,
Toute cette clarté s'est éteinte, et je suis
Le responsable, et j'ai vidé l'urne des nuits.
De la chute de tout je suis la pioche inepte ;
C'est votre point de vue. Eh bien, soit, je l'accepte ;
C'est moi que votre prose en colère a choisi ;
Vous me criez : « Racca » ; moi je vous dis : « Merci ! »
Cette marche du temps, qui ne sort d'une église
Que pour entrer dans l'autre, et qui se civilise ;
Ces grandes questions d'art et de liberté,
Voyons-les, j'y consens, par le moindre côté,
Et par le petit bout de la lorgnette. En somme,
J'en conviens, oui, je suis cet abominable homme ;
Et, quoique, en vérité, je pense avoir commis,
D'autres crimes encor que vous avez omis.
Avoir un peu touché les questions obscures,
Avoir sondé les maux, avoir cherché les cures,
De la vieille ânerie insulté les vieux bâts,
Secoué le passé du haut jusques en bas,
Et saccagé le fond tout autant que la forme.
Je me borne à ceci : je suis ce monstre énorme,
Je suis le démagogue horrible et débordé,
Et le dévastateur du vieil A B C D ;
Causons.

Quand je sortis du collège, du thème,
Des vers latins, farouche, espèce d'enfant blême
Et grave, au front penchant, aux membres appauvris ;
Quand, tâchant de comprendre et de juger, j'ouvris
Les yeux sur la nature et sur l'art, l'idiome,
Peuple et noblesse, était l'image du royaume ;
La poésie était la monarchie ; un mot
Était un duc et pair, ou n'était qu'un grimaud ;
Les syllabes, pas plus que Paris et que Londres,
Ne se mêlaient ; ainsi marchent sans se confondre
Piétons et cavaliers traversant le pont Neuf ;
La langue était l'état avant quatre-vingt-neuf ;
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes :
Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versailles aux carrosses du roi ;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitant les patois ; quelques-uns aux galères
Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas,
Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ;
Populace du style au fond de l'ombre éparse ;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqué d'une F ;
N'exprimant que la vie abjecte et familière,
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers ;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire : « Qu'il s'en aille ;  »
Et Voltaire criait :  « Corneille s'encanaille ! »
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins ; je m'écriai :  « Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ? »
Et sur l'Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d'alexandrins carrés,

Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !
Je fis une tempête au fond de l'encrier,
Et je mêlai, parmi les ombres débordées,
Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ;
Et je dis :  « Pas de mot où l'idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! »
Discours affreux ! -- Syllepse, hypallage, litote,
Frémirent ; je montai sur la borne Aristote,
Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.
Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,
Tous ces tigres, les Huns les Scythes et les Daces,
N'étaient que des toutous auprès de mes audaces ;
Je bondis hors du cercle et brisai le compas.
Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?
Guichardin a nommé le Borgia ! Tacite
Le Vitellius ! Fauve, implacable, explicite,
J'ôtai du cou du chien stupéfait son collier
D'épithètes ; dans l'herbe, à l'ombre du hallier,
Je fis fraterniser la vache et la génisse,
L'une étant Margoton et l'autre Bérénice.
Alors, l'ode, embrassant Rabelais, s'enivra ;
Sur le sommet du Pinde on dansait Ça ira ;
Les neuf muses, seins nus, chantaient la Carmagnole ;
L'emphase frissonna dans sa fraise espagnole ;
Jean, l'ânier, épousa la bergère Myrtil.
On entendit un roi dire : « Quelle heure est-il ? »
Je massacrais l'albâtre, et la neige, et l'ivoire,
Je retirai le jais de la prunelle noire,
Et j'osai dire au bras : « Sois blanc, tout simplement. »
Je violai du vers le cadavre fumant ;
J'y fis entrer le chiffre ; ô terreur! Mithridate
Du siège de Cyzique eût pu citer la date.
Jours d'effroi ! les Laïs devinrent des catins.
Force mots, par Restaut peignés tous les matins,

Et de Louis-Quatorze ayant gardé l'allure,
Portaient encor perruque ; à cette chevelure
La Révolution, du haut de son beffroi,
Cria : « Transforme-toi ! c'est l'heure. Remplis-toi
- De l'âme de ces mots que tu tiens prisonnière ! »
Et la perruque alors rugit, et fut crinière.
Liberté ! c'est ainsi qu'en nos rébellions,
Avec des épagneuls nous fîmes des lions,
Et que, sous l'ouragan maudit que nous soufflâmes,
Toutes sortes de mots se couvrirent de flammes.
J'affichai sur Lhomond des proclamations.
On y lisait : « Il faut que nous en finissions !
- Au panier les Bouhours, les Batteux, les Brossettes
- A la pensée humaine ils ont mis les poucettes.
- Aux armes, prose et vers ! formez vos bataillons !
- Voyez où l'on en est : la strophe a des bâillons !
- L'ode a des fers aux pieds, le drame est en cellule.
- Sur le Racine mort le Campistron pullule ! »
Boileau grinça des dents ; je lui dis :  « Ci-devant,
Silence ! » et je criai dans la foudre et le vent :
« Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! »
Et tout quatre-vingt-treize éclata. Sur leur axe,
On vit trembler l'athos, l'ithos et le pathos.
Les matassins, lâchant Pourceaugnac et Cathos,
Poursuivant Dumarsais dans leur hideux bastringue,
Des ondes du Permesse emplirent leur seringue.
La syllabe, enjambant la loi qui la tria,
Le substantif manant, le verbe paria,
Accoururent. On but l'horreur jusqu'à la lie.
On les vit déterrer le songe d'Athalie ;
Ils jetèrent au vent les cendres du récit
De Théramène ; et l'astre Institut s'obscurcit.
Oui, de l'ancien régime ils ont fait tables rases,
Et j'ai battu des mains, buveur du sang des phrases,
Quand j'ai vu par la strophe écumante et disant
Les choses dans un style énorme et rugissant,
L'Art poétique pris au collet dans la rue,
Et quand j'ai vu, parmi la foule qui se rue,
Pendre, par tous les mots que le bon goût proscrit,
La lettre aristocrate à la lanterne esprit.
Oui, je suis ce Danton ! je suis ce Robespierre !
J'ai, contre le mot noble à la longue rapière,
Insurgé le vocable ignoble, son valet,
Et j'ai, sur Dangeau mort, égorgé Richelet.
Oui, c'est vrai, ce sont là quelques-uns de mes crimes.
J'ai pris et démoli la bastille des rimes.
J'ai fait plus : j'ai brisé tous les carcans de fer
Qui liaient le mot peuple, et tiré de l'enfer
Tous les vieux mots damnés, légions sépulcrales ;
J'ai de la périphrase écrasé les spirales,
Et mêlé, confondu, nivelé sous le ciel
L'alphabet, sombre tour qui naquit de Babel ;
Et je n'ignorais pas que la main courroucée
Qui délivre le mot, délivre la pensée.

L'unité, des efforts de l'homme est l'attribut.
Tout est la même flèche et frappe au même but.

Donc, j'en conviens, voilà, déduits en style honnête,
Plusieurs de mes forfaits, et j'apporte ma tête.
Vous devez être vieux, par conséquent, papa,
Pour la dixième fois j'en fais meâ culpâ.
Oui, si Beauzée est dieu, c'est vrai, je suis athée.
La langue était en ordre, auguste, époussetée,
Fleur-de-lys d'or, Tristan et Boileau, plafond bleu,
Les quarante fauteuils et le trône au milieu ;
Je l'ai troublée, et j'ai, dans ce salon illustre,
Même un peu cassé tout ; le mot propre, ce rustre,
N'était que caporal : je l'ai fait colonel ;
J'ai fait un jacobin du pronom personnel ;
Dur participe, esclave à la tête blanchie,
Une hyène, et du verbe une hydre d'anarchie.

Vous tenez le reum confitentem. Tonnez !
J'ai dit à la narine : « Eh mais ! tu n'es qu'un nez !  »
J'ai dit au long fruit d'or : « Mais tu n'es qu'une poire !  »
J'ai dit à Vaugelas : « Tu n'es qu'une mâchoire ! »
J'ai dit aux mots : « Soyez république ! soyez
La fourmilière immense, et travaillez ! Croyez,
Aimez, vivez ! » -- J'ai mis tout en branle, et, morose,
J'ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose.

Et, ce que je faisais, d'autres l'ont fait aussi ;
Mieux que moi. Calliope, Euterpe au ton transi,
Polymnie, ont perdu leur gravité postiche.
Nous faisons basculer la balance hémistiche.
C'est vrai, maudissez-nous. Le vers, qui, sur son front
Jadis portait toujours douze plumes en rond,
Et sans cesse sautait sur la double raquette
Qu'on nomme prosodie et qu'on nomme étiquette,
Rompt désormais la règle et trompe le ciseau,
Et s'échappe, volant qui se change en oiseau,
De la cage césure, et fuit vers la ravine,
Et vole dans les cieux, alouette divine.

Tous les mots à présent planent dans la clarté.
Les écrivains ont mis la langue en liberté.
Et, grâce à ces bandits, grâce à ces terroristes,
Le vrai, chassant l'essaim des pédagogues tristes,
L'imagination, tapageuse aux cent voix,
Qui casse des carreaux dans l'esprit des bourgeois ;
La poésie au front triple, qui rit, soupire
Et chante, raille et croit ; que Plaute et Shakspeare
Semaient, l'un sur la plebs, et l'autre sur le mob ;
Qui verse aux nations la sagesse de Job
Et la raison d'Horace à travers sa démence ;
Qu'enivre de l'azur la frénésie immense,
Et qui, folle sacrée aux regards éclatants,
Monte à l'éternité par les degrés du temps,

La muse reparaît, nous reprend, nous ramène,
Se remet à pleurer sur la misère humaine,
Frappe et console, va du zénith au nadir,
Et fait sur tous les fronts reluire et resplendir
Son vol, tourbillon, lyre, ouragan d'étincelles,
Et ses millions d'yeux sur ses millions d'ailes.

Le mouvement complète ainsi son action.
Grâce à toi, progrès saint, la Révolution
Vibre aujourd'hui dans l'air, dans la voix, dans le livre ;
Dans le mot palpitant le lecteur la sent vivre ;
Elle crie, elle chante, elle enseigne, elle rit,
Sa langue est déliée ainsi que son esprit.
Elle est dans le roman, parlant tout bas aux femmes.
Elle ouvre maintenant deux yeux où sont deux flammes,
L'un sur le citoyen, l'autre sur le penseur.
Elle prend par la main la Liberté, sa soeur,
Et la fait dans tout homme entrer par tous les pores.
Les préjugés, formés, comme les madrépores,
Du sombre entassement des abus sous les temps,
Se dissolvent au choc de tous les mots flottants,
Pleins de sa volonté, de son but, de son âme.
Elle est la prose, elle est le vers, elle est le drame ;
Elle est l'expression, elle est le sentiment,
Lanterne dans la rue, étoile au firmament.
Elle entre aux profondeurs du langage insondable ;
Elle souffle dans l'art, porte-voix formidable ;
Et, c'est Dieu qui le veut, après avoir rempli
De ses fiertés le peuple, effacé le vieux pli
Des fronts, et relevé la foule dégradée,
Et s'être faite droit, elle se fait idée !

Paris, janvier 1834.
Madame, croyez-moi ; bien qu'une autre patrie

Vous ait ravie à ceux qui vous ont tant chérie,

Allez, consolez-vous, ne pleurez point ainsi ;

Votre corps est là-bas, mais votre âme est ici :

C'est la moindre moitié que l'exil nous a prise ;

La tige s'est rompue au souffle de la brise ;

Mais l'ouragan jaloux, qui ternit sa splendeur,

Jeta la fleur au vent et nous laissa l'odeur.

A moins, à moins pourtant que dans cette retraite

Vous n'ayez apporté quelque peine secrète.

Et que là, comme ici, quelque ennui voyageur

Se cramponne à votre âme, inflexible et rongeur :

Car bien souvent, un mot, un geste involontaire.

Des maux que vous souffrez a trahi le mystère,

Et j'ai vu sous ces pleurs et cet abattement

La blessure d'un cœur qui saigne longuement.

Vous avez épuisé tout ce que la nature

A permis de bonheur à l'humble créature,

Et votre pauvre cœur, lentement consumé,

S'est fait vieux en un jour, pour avoir trop aimé :

Vous seule, n'est-ce pas, vous êtes demeurée

Fidèle à cet amour que deux avaient juré.

Et seule, jusqu'au bout, avez pieusement

Accompli votre part de ce double serment.

Consolez-vous encor ; car vous avez. Madame,

Achevé saintement votre rôle de femme ;

Vous avez ici-bas rempli la mission

Faite à l'être créé par la création.

Aimer, et puis souffrir, voilà toute la vie :

Dieu vous donna longtemps des jours dignes d'envie

Aujourd'hui, c'est la loi. vous payez chèrement

Par des larmes sans fin ce bonheur d'un moment.

Certes, tant de chagrins, et tant de nuits passées

A couver tristement de lugubres pensées.

Tant et de si longs pleurs n'ont pas si bien éteint

Les éclairs de vos yeux et pâli votre teint.

Que mainte ambition ne se fût contentée,

Madame, de la part qui vous en est restée.

Et que plus d'un encor n'y laissât sa raison.

Ainsi qu'aux églantiers l'agneau fait sa toison.

Mais votre âme est plus haute, et ne s'arrange guère

Des consolations d'un bonheur si vulgaire ;

Madame, ce n'est point un vase où, tour à tour,

Chacun puisse étancher la soif de son amour ;

Mais Dieu la fit semblable à la coupe choisie,

Dans les plus purs cristaux des rochers de l'Asie,

Où l'on verse au sultan le Chypre et le Xérès,

Qui ne sert qu'une fois, et qui se brise après.

Gardez-la donc toujours cette triste pensée

D'un amour méconnu et d'une âme froissée :

Que le prêtre debout, sur l'autel aboli,

Reste fidèle au Dieu dont il était rempli ;

Que le temple désert, aux vitraux de l'enceinte

Garde un dernier rayon de l'auréole sainte.

Et que l'encensoir d'or ne cesse d'exhaler

Le parfum d'un encens qui cessa de brûler !

Il n'est si triste nuit qu'au crêpe de son voile

Dieu ne fasse parfois luire une blanche étoile,

Et le ciel mit au fond des amours malheureux

Certains bonheurs cachés qu'il a gardés pour eux.

Supportez donc vos maux, car plus d'un les envie ;

Car, moi qui parle, au prix du repos de ma vie.

Au prix de tout mon sang. Madame, je voudrais

Les éprouver un jour, quitte à mourir après.
Depuis longtemps, je voudrais faire
Son portrait, en pied, suis-moi bien :
Quand elle prend son air sévère,
Elle ne bouge et ne dit rien.

Ne croyez pas qu'Elle ne rie
Assez souvent ; alors, je vois
Luire un peu de sorcellerie
Dans les arcanes de sa voix.

Impérieuse, à n'y pas croire !
Pour le moment, pour son portrait,
(Encadré d'or pur, sur ivoire)
Plus sérieuse... qu'un décret.

Suivez-moi bien : son Âme est belle
Autant que son visage est beau,
Un peu plus... si je me rappelle
Que Psyché se rit du Tombeau.

Tout le Ciel est dans ses prunelles
Dont l'éclat... efface le jour,
Et qu'emplissent les éternelles
Magnificences de l'Amour ;

Et ses paupières sont ouvertes
Sur le vague de leur azur,
Toutes grandes et bien mieux, certes,
Que le firmament le plus pur.

L'arc brun de ses grands sourcils, digne
De la flèche d'amours rieurs,
Est presque un demi-cercle, signe
De sentiments supérieurs.

Sans ride morose ou vulgaire,
Son front, couronné... de mes vœux,
En fait de nuages n'a guère
Que l'ombre douce des cheveux.

Quand elle a dénoué sa tresse
Où flottent de légers parfums,
Sa chevelure la caresse
Par cascades de baisers bruns,

Qui se terminent en fumée
À l'autre bout de la maison,
Et quand sa natte est refermée
C'est la plus étroite prison,

Le nez aquilin est la marque
D'une âme prompte à la fureur,
Le sien serait donc d'un monarque
Ou d'une fille d'empereur ;

Ses deux narines frémissantes
Disent tout un trésor voilé
De délicatesses puissantes
Au fond duquel nul est allé.

Ses lèvres ont toutes les grâces
Comme ses yeux ont tout l'Amour,
Elles sont roses, point trop grasses,
Et d'un spirituel contour.

**, çà ! Monsieur, prenez bien garde
À tous les mots que vous jetez,
Son oreille fine les garde
Longtemps, comme des vérités.

L'ensemble vit, pense, palpite ;
L'ovale est fait de doux raccords ;
Et la tête est plutôt petite,
Proportionnée à son corps.

Esquissons sous sa nuque brune
Son cou qui semble... oh ! yes, indeed !
La Tour d'ivoire, sous la lune
Qui baigne la Tour de David ;

Laquelle, **** que je badine,
Existe encor, nous la voyons
Sur l'album de la Palestine,
Chez les gros marchands de crayons.

Je voudrais faire... les épaules.
Ici, madame, permettez
Que j'écarte l'ombre des saules
Que sur ces belles vous jetez...

Non ? vous aimez mieux cette robe
Teinte de la pourpre que Tyr
À ses coquillages dérobe
Dont son art vient de vous vêtir ;

Vous préférez à la nature
D'avant la pomme ou le péché,
Cette lâche et noble ceinture
Où votre pouce s'est caché.

Mais votre peintre aime l'éloge,
Et... l'on est le premier venu
Fort indigne d'entrer en loge,
Si l'on ne sait rendre le nu ;

S'il ne peut fondre avec noblesse
Cette indifférence d'acier
Où sa réflexion vous laisse,
Comment fera-t-il votre pied ?

Vos mains mignonnes, encor passe ;
Mais votre pied d'enfant de rois
Dont la cambrure se prélasse
Ainsi qu'un pont sur les cinq doigts,

Qu'on ne peut toucher sans qu'il parte
Avec un vif frémissement
Des doigts dont le pouce s'écarte,
Comme pour un... commandement...

Vous persistez, c'est votre affaire,
Faites, faites, ça m'est égal !
Je barbouille tout, de colère...
Et tant pis pour mon madrigal !
Ashlyn Gallant May 2015
Aimee sits beneath the Cypress Tree,
A yellow carnation adorns her hair.
"Pardonnez-moi" she whispers to me
And then she hangs her head in despair.

In confidence I gave her the dagger
She used to pierce my heart,
"Je suis desole," she cries out,
Mourning for the bond she tore apart.

How am I to forgive her treachery
When Ophelia's madness stirs my soul?
"Croyez-moi a nouveau, " She pleads
As the mask of grief takes control.

I walk away with a heavy heart
And try not to see what I leave behind.
Farewell my friend, till we meet again
May your new life treat you kind.
Homme, qui que tu sois, regarde Eve et Marie,
Et comparant ta mère à celle du Sauveur,
Vois laquelle des deux en est le plus chérie,
Et du Père Eternel gagne mieux la faveur.

L'une à peine respire et la voilà rebelle,
L'autre en obéissance est sans compassion ;
L'une nous fait bannir, par l'autre on nous rappelle ;
L'une apporte le mal, l'autre la guérison.

L'une attire sur nous la nuit et la tempête,
Et l'autre rend le calme et le jour aux mortels ;
L'une cède au serpent, l'autre en brise la tête ;
Met à bas son empire et détruit ses autels.

L'une a toute sa race au démon asservie,
L'autre rompt l'esclavage où furent ses aïeux
Par l'une vient la mort et par l'autre la vie,
L'une ouvre les enfers et l'autre ouvre les cieux.

Cette Ève cependant qui nous engage aux flammes
Au point qu'elle est bornée est sans corruption
Et la Vierge " bénie entre toutes les femmes. "
Serait-elle moins pure en sa conception ?

Non, non, n'en croyez rien, et tous tant que nous sommes
Publions le contraire à toute heure, en tout lieu :
Ce que Dieu donne bien à la mère des hommes,
Ne le refusons pas à la Mère de Dieu.
Beau chevalier qui partez pour la guerre,
Qu'allez-vous faire
Si **** d'ici ?
Voyez-vous pas que la nuit est profonde,
Et que le monde
N'est que souci ?

Vous qui croyez qu'une amour délaissée
De la pensée
S'enfuit ainsi,
Hélas ! hélas ! chercheurs de renommée,
Votre fumée
S'envole aussi.

Beau chevalier qui partez pour la guerre,
Qu'allez-vous faire
Si **** de nous ?
J'en vais pleurer, moi qui me laissais dire
Que mon sourire
Etait si doux.
Ces hommes passeront comme un ver sur le sable.
Qu'est-ce que tu ferais de leur sang méprisable ?
Le dégoût rend clément.
Retenons la colère âpre, ardente, électrique.
Peuple, si tu m'en crois, tu prendras une trique
Au jour du châtiment.

Ô de Soulouque-deux burlesque cantonade !
Ô ducs de Trou-Bonbon, marquis de Cassonade,
Souteneurs du larron,
Vous dont la poésie, ou sublime ou mordante,
Ne sait que faire, gueux, trop grotesques pour Dante,
Trop sanglants pour Scarron,

Ô jongleurs, noirs par l'âme et par la servitude,
Vous vous imaginez un lendemain trop rude,
Vous êtes trop tremblants,
Vous croyez qu'on en veut, dans l'exil où nous sommes,
À cette peau qui fait qu'on vous prend pour des hommes ;
Calmez-vous, nègres blancs !

Cambyse, j'en conviens, eût eu ce cœur de roche
De faire asseoir Troplong sur la peau de Baroche
Au bout d'un temps peu long,
Il eût crié : Cet autre est pire. Qu'on l'étrangle !
Et, j'en conviens encore, eût fait asseoir Delangle
Sur la peau de Troplong.

Cambyse était stupide et digne d'être auguste ;
Comme s'il suffisait pour qu'un être soit juste,
Sans vices, sans orgueil,
Pour qu'il ne soit pas traître à la loi, ni transfuge,
Que d'une peau de tigre ou d'une peau de juge
On lui fasse un fauteuil !

Toi, peuple, tu diras : - Ces hommes se ressemblent.
Voyons les mains. - Et tous trembleront comme tremblent
Les loups pris aux filets.
Bon. Les uns ont du sang, qu'au bagne on les écroue,
À la chaîne ! Mais ceux qui n'ont que de la boue,
Tu leur diras : - Valets !

La loi râlait, ayant en vain crié : main-forte !
Vous avez partagé les habits de la morte.
Par César achetés,
De tous nos droits livrés vous avez fait des ventes ;
Toutes ses trahisons ont trouvé pour servantes
Toutes vos lâchetés !

Allez, fuyez, vivez ! pourvu que, mauvais prêtre,
Mauvais juge, on vous voie en vos trous disparaître,
Rampant sur vos genoux,
Et qu'il ne reste rien, sous les cieux que Dieu dore,
Sous le splendide azur où se lève l'aurore,
Rien de pareil à vous !

Vivez, si vous pouvez ! l'opprobre est votre asile.
Vous aurez à jamais, toi, cardinal Basile,
Toi, sénateur Crispin,
De quoi boire et manger dans vos fuites lointaines,
Si le mépris se boit comme l'eau des fontaines,
Si la honte est du pain ! -

Peuple, alors nous prendrons au collet tous ces drôles,
Et tu les jetteras dehors par les épaules
À grands coups de bâton ;
Et dans le Luxembourg, blancs sous les branches d'arbre,
Vous nous approuverez de vos têtes de marbre,
Ô Lycurgue, ô Caton !

Citoyens ! le néant pour ces laquais se rouvre
Qu'importe, ô citoyens ! l'abjection les couvre
De son manteau de plomb.
Qu'importe que, le soir, un passant solitaire,
Voyant un récureur d'égouts sortir de terre,
Dise : Tiens ! c'est Troplong !

Qu'importe que Rouher sur le Pont-Neuf se carre,
Que Baroche et Delangle, en quittant leur simarre,
Prennent des tabliers,
Qu'ils s'offrent pour trois sous, oubliés quoique infâmes,
Et qu'ils aillent, après avoir sali leurs âmes,
Nettoyer vos souliers !

Jersey, le 23 novembre 1853.
Aimez vos mains afin qu'un jour vos mains soient belles,
Il n'est pas de parfum trop précieux pour elles,
Soignez-les. Taillez bien les ongles douloureux,
Il n'est pas d'instruments trop délicats pour eux.

C'est Dieu qui fit les mains fécondes en merveilles ;
Elles ont pris leur neige au lys des Séraphins,
Au jardin de la chair ce sont deux fleurs pareilles,
Et le sang de la rose est sous leurs ongles fins.

Il circule un printemps mystique dans les veines
Où court la violette, où le bluet sourit ;
Aux lignes de la paume ont dormi les verveines ;
Les mains disent aux yeux les secrets de l'esprit.

Les peintres les plus grands furent amoureux d'elles,
Et les peintres des mains sont les peintres modèles.

Comme deux cygnes blancs l'un vers l'autre nageant,
Deux voiles sur la mer fondant leurs pâleurs mates,
Livrez vos mains à l'eau dans les bassins d'argent,
Préparez-leur le linge avec les aromates.

Les mains sont l'homme, ainsi que les ailes l'oiseau ;
Les mains chez les méchants sont des terres arides ;
Celles de l'humble vieille, où tourne un blond fuseau,
Font lire une sagesse écrite dans leurs rides.

Les mains des laboureurs, les mains des matelots
Montrent le hâle d'or des Cieux sous leur peau brune.
L'aile des goélands garde l'odeur des flots,
Et les mains de la Vierge un baiser de la lune.

Les plus belles parfois font le plus noir métier,
Les plus saintes étaient les mains d'un charpentier.

Les mains sont vos enfants et sont deux sœurs jumelles,
Les dix doigts sont leurs fils également bénis ;
Veillez bien sur leurs jeux, sur leurs moindres querelles,
Sur toute leur conduite aux détails infinis.

Les doigts font les filets et d'eux sortent les villes ;
Les doigts ont révélé la lyre aux temps anciens ;
Ils travaillent, pliés aux tâches les plus viles,
Ce sont des ouvriers et des musiciens.

Lâchés dans la forêt des orgues le dimanche,
Les doigts sont des oiseaux, et c'est au bout des doigts
Que, rappelant le vol des geais de branche en branche,
Rit l'essaim familier des Signes de la Croix.

Le pouce dur, avec sa taille courte et grasse,
A la force ; il a l'air d'Hercule triomphant ;
Le plus faible de tous, le plus doux a la grâce,
Et c'est le petit doigt qui sut rester enfant.

Servez vos mains, ce sont vos servantes fidèles ;
Donnez à leur repos un lit tout en dentelles.
Ce sont vos mains qui font la caresse ici-bas ;
Croyez qu'elles sont sœurs des lys et sœurs des ailes :
Ne les méprisez pas, ne les négligez pas,
Et laissez-les fleurir comme des asphodèles.

Portez à Dieu le doux trésor de vos parfums,
Le soir, à la prière éclose sur les lèvres,
Ô mains, et joignez-vous pour les pauvres défunts,
Pour que Dieu dans les mains rafraîchisse nos fièvres,

Pour que le mois des fruits vous charge de ses dons :
Mains, ouvrez-vous toujours sur un nid de pardons.

Et vous dites, - ô vous, qui, détestant les armes,
Mirez votre tristesse au fleuve de nos larmes,
Vieillard dont les cheveux vont tout blancs vers le jour,
Jeune homme aux yeux divins où se lève l'amour,
Douce femme mêlant ta rêverie aux anges,

Le cœur gonflé parfois au fond des soirs étranges,
Sans songer qu'en vos mains fleurit la volonté -
Tous, vous dites : « Où donc est-il, en vérité,
Le remède, ô Seigneur, car nos maux sont extrêmes ? »

- Mais il est dans vos mains, mais il est vos mains mêmes.
Puisque votre moulin tourne avec tous les vents,
Allez, braves humains, où le vent vous entraîne ;
Jouez, en bons bouffons, la comédie humaine ;
Je vous ai trop connus pour être de vos gens.

Ne croyez pourtant pas qu'en quittant votre scène,
Je garde contre vous ni colère ni haine,
Vous qui m'avez fait vieux peut-être avant le temps ;
Peu d'entre vous sont bons, moins encor sont méchants.

Et nous, vivons à l'ombre, ô ma belle maîtresse !
Faisons-nous des amours qui n'aient pas de vieillesse ;
Que l'on dise de nous, quand nous mourrons tous deux :

Ils n'ont jamais connu la crainte ni l'envie ;
Voilà le sentier vert où, durant cette vie,
En se parlant tout bas, ils souriaient entre eux.
Fable XVIII, Livre II.


Tandis que sa main droite achevait un tableau,
Certain professeur en peinture
Gourmandait sa main gauche, et disait : « La nature
T'a fait là, pauvre peintre ! un assez sot cadeau.
Jamais une esquisse, une ébauche,
Un simple trait peut-il sortir de ta main gauche ?
Sait-elle tenir un pinceau ?
Non, pas même un crayon ! Cependant, maladroite,
N'as-tu pas cinq doigts bien comptés ?
Pour faire en tout mes volontés,
Qu'as-tu de moins que ma main droite ?
- Beaucoup, monsieur, » répond pour le membre accusé
L'un des cinq doigts ; le petit doigt, sans doute ;
Doigt très instruit, doigt très rusé,
Doigt qui sait ce qu'il dit comme tel qui l'écoute.
« La main gauche à la droite est semblable en tous points,
Dans l'état de nature ou l'état d'ignorance,
Car c'est tout un ; mais quelle différence
Entre ces sœurs bientôt s'établit par vos soins,
Vers la droite en tout temps portés de préférence !
La main droite est toujours en opération ;
La main gauche en repos : voilà toute l'affaire.
On ne peut devenir habile, à ne rien faire.
Au seul défaut d'instruction
Attribuez, monsieur, l'impuissance où nous sommes.
Croyez-vous l'éducation
Moins nécessaire aux mains qu'aux hommes ? »
Pan
Tout entier esprit, tout entier lumière, tout entier oeil.
CLÉM. ALEX.


Si l'on vous dit que l'art et que la poésie
C'est un flux éternel de banale ambroisie ;
Que c'est le bruit, la foule, attachés à vos pas,
Ou d'un salon doré l'oisive fantaisie,
Ou la rime en fuyant par la rime saisie,
Oh ! ne le croyez pas !

O poètes sacrés, échevelés, sublimes,
Allez, et répandez vos âmes sur les cimes,
Sur les sommets de neige en butte aux aquilons,
Sur les déserts pieux où l'esprit se recueille,
Sur les bois que l'automne emporte feuille à feuille,
Sur les lacs endormis dans l'ombre des vallons !

Partout où la nature est gracieuse et belle,
Où l'herbe s'épaissit pour le troupeau qui bêle,
Où le chevreau lascif mord le cytise en fleurs,
Où chante un pâtre assis sous une antique arcade,
Où la brise du soir fouette avec la cascade
Le rocher tout en pleurs ;

Partout où va la plume et le flocon de laine ;
Que ce soit une mer, que ce soit une plaine,
Une vieille forêt aux branchages mouvants,
Iles au sol désert, lacs à l'eau solitaire,
Montagnes, océans, neige ou sable, onde ou terre,
Flots ou sillons, partout où vont les quatre vents ;

Partout où le couchant grandit l'ombre des chênes ;
Partout où les coteaux croisent leurs molles chaînes ;
Partout où sont des champs, des moissons, des cités ;
Partout ou pend un fruit à la branche épuisée ;
Partout où l'oiseau boit des gouttes de rosée,
Allez, voyez, chantez !

Allez dans les forêts, allez dans les vallées ;
Faites-vous un concert de notes isolées !
Cherchez dans la nature, étalée à vos yeux,
Soit que l'hiver l'attriste ou que l'été l'égaie,
Le mot mystérieux que chaque voix bégaie.
Écoutez ce que dit la foudre dans les cieux !

C'est Dieu qui remplit tout. Le monde, c'est son temple ;
Oeuvre vivante, où tout l'écoute et le contemple.
Tout lui parle et le chante. Il est seul, il est un.
Dans sa création tout est joie et sourire.
L'étoile qui regarde et la fleur qui respire,
Tout est flamme ou parfum !

Enivrez vous de tout ! enivrez-vous, poètes,
Des gazons, des ruisseaux, des feuilles inquiètes,
Du voyageur de nuit dont on entend la voix ;
De ces premières fleurs dont février s'étonne ;
Des eaux, de l'air, des prés, et du bruit monotone
Que font les chariots qui passent dans les bois.

Frères de l'aigle ! aimez la montagne sauvage !
Surtout à ces moments où vient un vent d'orage,
Un vent sonore et lourd qui grossit par degrés,
Emplit l'espace au **** de nuages et d'ombres,
Et penche sur le bord des précipices sombres,
Les arbres effarés.

Contemplez du matin la pureté divine,
Quand la brume en flocons inonde la ravine ;
Quand le soleil, que cache à demi la forêt,
Montrant sur l'horizon sa rondeur échancrée,
Grandit comme ferait la coupole dorée
D'un palais d'orient dont on approcherait !

Enivrez-vous du soir ! à cette heure où, dans l'ombre,
Le paysage obscur, plein de formes sans nombre,
S'efface, des chemins et des fleuves rayé ;
Quand le mont, dont la tête à l'horizon s'élève,
Semble un géant couché qui regarde et qui rêve,
Sur son coude appuyé !

Si vous avez en vous, vivantes et pressées,
Un monde intérieur d'images, de pensées,
De sentiments, d'amour, d'ardente passion,
Pour féconder ce monde, échangez-le sans cesse
Avec l'autre univers visible qui vous presse !
Mêlez toute votre âme à la création !

Car, ô poètes saints, l'art est le son sublime,
Simple, divers, profond, mystérieux, intime,
Fugitif comme l'eau qu'un rien fait dévier,
Redit par un écho dans toute créature,
Que sous vos doigts puissants exhale la nature,
Cet immense clavier !

Novembre 1831.
Et les voilà mentant, inventant, misérables !
Les voilà, fronts sans honte et bouches incurables,
Calomniant l'honneur du pays, flétrissant
Tous les lutteurs, ceux-ci qui versèrent leur sang,
Ceux-ci, plus grands encor, qui, voyant que la flamme
Et l'espoir s'éteignaient, répandirent leur âme.
Ces maroufles hideux outragent les héros !
Ils lancent au captif, à travers ses barreaux,
Au proscrit, à travers son deuil, leur pierre infâme.
Ils offensent la mère, ils insultent la femme ;
Ils raillent l'exilé que l'ombre accable et suit ;
Ils tâchent d'ajouter leur noirceur à sa nuit ;
Ils entassent sur lui d'affreux réquisitoires ;
Et si, voyant passer et flotter ces histoires,
Vous demandez au cuistre, au conteur, au grimaud :
- Croyez-vous tout cela ? - Moi, dit-il, pas un mot.
- Bien. Mais alors pourquoi le dites-vous ? - Pour rire.
Ah ! Les bêtes des bois ne savent pas écrire,
Le tigre ne pourrait griffonner un journal,
Le renard ne sort pas du confessionnal
Et ne saurait narrer la Salette en bon style ;
Mais au moins l'aspic siffle en honnête reptile ;
Si, dans son hurlement candide, affreux, complet,
L'ours se montre affamé de meurtre, c'est qu'il l'est ;
Le jaguar ne ment pas et pense ce qu'il gronde ;
Il n'est pas un lion dans la forêt profonde
Qui ne soit, dans l'horreur de son antre fumant,
Sincère, et qui ne croie à son rugissement.
Mais, honte et deuil ! Ciel noir ! Comment faut-il qu'on nomme
Ces scribes qui demain diront d'un honnête homme :
- Je suis son assassin, mais non son ennemi ! -
Ah ! Ces gueux devant qui ma jeunesse eût frémi,
Pires que Mérimée et Planche, nains horribles,
Ces drôles, que je n'eusse enfin pas crus possibles
Jadis, quand d'espérance, hélas ! Je m'enivrais,
N'ont pas la probité d'être des monstres vrais.
Dans certains pays de l'Asie
On révère les éléphants,
Surtout les blancs.
Un palais est leur écurie,
On les sert dans des vases d'or,
Tout homme à leur aspect s'incline vers la terre,
Et les peuples se font la guerre
Pour s'enlever ce beau trésor.
Un de ces éléphants, grand penseur, bonne tête,
Voulut savoir un jour d'un de ses conducteurs
Ce qui lui valait tant d'honneurs,
Puisqu'au fond, comme un autre, il n'était qu'une bête.
Ah ! Répond le cornac, c'est trop d'humilité ;
L'on connaît votre dignité,
Et toute l'Inde sait qu'au sortir de la vie
Les âmes des héros qu'a chéris la patrie
S'en vont habiter quelque temps
Dans les corps des éléphants blancs.
Nos talapoins l'ont dit, ainsi la chose est sûre.
- Quoi ! Vous nous croyez des héros ?
- Sans doute. - Et sans cela nous serions en repos,
Jouissant dans les bois des biens de la nature ?
- Oui, seigneur. - Mon ami, laisse-moi donc partir,
Car on t'a trompé, je t'assure ;
Et, si tu veux y réfléchir,
Tu verras bientôt l'imposture :
Nous sommes fiers et caressants ;
Modérés, quoique tout puissants ;
On ne nous voit point faire injure
À plus faible que nous ; l'amour dans notre coeur
Reçoit des lois de la pudeur ;
Malgré la faveur où nous sommes,
Les honneurs n'ont jamais altéré nos vertus :
Quelles preuves faut-il de plus ?
Prenez garde, mes fils, côtoyez moins le bord,
Suivez le fond de la rivière ;
Craignez la ligne meurtrière,
Ou l'épervier plus dangereux encor.
C'est ainsi que parlait une carpe de Seine
A de jeunes poissons qui l'écoutaient à peine.
C'était au mois d'avril : les neiges, les glaçons,
Fondus par les zéphyrs, descendaient des montagnes.
Le fleuve, enflé par eux, s'élève à gros bouillons,
Et déborde dans les campagnes.
Ah ! ah ! criaient les carpillons,
Qu'en dis-tu, carpe radoteuse ?
Crains-tu pour nous les hameçons ?
Nous voilà citoyens de la mer orageuse ;
Regarde : on ne voit plus que les eaux et le ciel,
Les arbres sont cachés sous l'onde,
Nous sommes les maîtres du monde,
C'est le déluge universel.
Ne croyez pas cela, répond la vieille mère ;
Pour que l'eau se retire il ne faut qu'un instant :
Ne vous éloignez point, et, de peur d'accident,
Suivez, suivez toujours le fond de la rivière.
Bah ! disent les poissons, tu répètes toujours
Mêmes discours.
Adieu, nous allons voir notre nouveau domaine.
Parlant ainsi, nos étourdis
Sortent tous du lit de la Seine,
Et s'en vont dans les eaux qui couvrent le pays.
Qu'arriva-t-il ? Les eaux se retirèrent,
Et les carpillons demeurèrent ;
Bientôt ils furent pris,
Et frits.
Pourquoi quittaient-ils la rivière ?
Pourquoi ? je le sais trop, hélas !
C'est qu'on se croit toujours plus sage que sa mère
C'est qu'on veut sortir de sa sphère,
C'est, que... c'est que... je ne finirai pas.
Madame, on m'a dit l'autre jour
Que j'imitais... qui donc ? devine ;
Que j'imitais Musset : le tour
N'en est pas nouveau, j'imagine.

Musset a répondu pour nous :
« C'est imiter quelqu'un, que diantre !
Écrit-il, que planter des choux
En terre... ou des enfants... en ventre. »

Et craquez, corsets de satin !
Quant à moi, s'il me faut tout dire,
J'imite quelqu'un, c'est certain,
Quelqu'un du poétique empire.

Je m'élance sur son chemin
Avec la foi bénédictine ;
Cherchez dans tout le genre humain.
Eh ! bien... c'est elle, Valentine.

On ne peut copier son air,
Ses propos et son moindre geste,
Mais son cœur ! mais son esprit fier !
Je peux attendre pour le reste.

Ça me conduira qui sait où ?
Je crois être elle, ma parole !
Au lieu de dire : je suis fou,
L'autre jour j'ai dit : je suis folle !

Ma personnalité, ma foi !
S'est envolée ; et ceci même,
Mes vers sont d'elle et non de moi,
Si toutefois elle les aime ;

Ce serait par trop hasardeux
Que de mettre tout un volume
Sur son dos ; si nous sommes deux,
Je suis seul à tenir la plume !

Oh ! bien seul ! ne confondons pas,
Je suis parfaitement le maître ;
Car des fautes ou de faux pas
Elle ne saurait en commettre.

Vous voyez, c'est bien différent
De ce que racontait l'histoire.
Ah ! Si son verre était moins grand,
J'aurais voulu peut-être y boire...

Il est bien grand, en vérité !
Ne croyez pas que je badine ;
Je boirai donc à sa santé,
Dans le Verre de Valentine.
Oui, je suis le rêveur; je suis le camarade
Des petites fleurs d'or du mur qui se dégrade,
Et l'interlocuteur des arbres et du vent.
Tout cela me connaît, voyez-vous. J'ai souvent,
En mai, quand de parfums les branches sont gonflées,
Des conversations avec les giroflées ;
Je reçois des conseils du lierre et du bleuet.
L'être mystérieux, que vous croyez muet,
Sur moi se penche, et vient avec ma plume écrire.
J'entends ce qu'entendit Rabelais ; je vois rire
Et pleurer ; et j'entends ce qu'Orphée entendit.
Ne vous étonnez pas de tout ce que me dit
La nature aux soupirs ineffables. Je cause
Avec toutes les voix de la métempsycose.
Avant de commencer le grand concert sacré,
Le moineau, le buisson, l'eau vive dans le pré,
La forêt, basse énorme, et l'aile et la corolle,
Tous ces doux instruments, m'adressent la parole ;
Je suis l'habitué de l'orchestre divin ;
Si je n'étais songeur, j'aurais été sylvain.
J'ai fini, grâce au calme en qui je me recueille,
A force de parler doucement à la feuille,
A la goutte de pluie, à la plume au rayon,
Par descendre à ce point dans la création,
Cet abîme où frissonne un tremblement farouche,
Que je ne fais plus même envoler une mouche !
Le brin d'herbe, vibrant d'un éternel émoi,
S'apprivoise et devient familier avec moi,
Et, sans s'apercevoir que je suis là, les roses
Font avec les bourdons toutes sortes de choses ;
Quelquefois, à travers les doux rameaux bénis,
J'avance largement ma face sur les nids,
Et le petit oiseau, mère inquiète et sainte,
N'a pas plus peur de moi que nous n'aurions de crainte,
Nous, si l'oeil du bon Dieu regardait dans nos trous ;
Le lys ***** me voit approcher sans courroux,
Quand il s'ouvre aux baisers du jour ; la violette
La plus pudique fait devant moi sa toilette ;
Je suis pour ces beautés l'ami discret et sûr
Et le frais papillon, libertin de l'azur,
Qui chiffonne gaîment une fleur demi-nue,
Si je viens à passer dans l'ombre, continue,
Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon,
Il lui dit : « Es-tu bête ! Il est de la maison. »

Les Roches, août 1835.
Vous n'avez pas eu toute patience,

Cela se comprend par malheur, de reste ;

Vous êtes si jeune ! Et l'insouciance,

C'est le lot amer de l'âge céleste !


Vous n'avez pas eu toute la douceur,

Cela par malheur d'ailleurs se comprend ;

Vous êtes si jeune, ô ma froide sœur,

Que votre cœur doit être indifférent !


Aussi, me voici plein de pardons chastes,

Non, certes ! joyeux, mais très calme en somme

Bien que je déplore, en ces mois néfastes,

D'être, grâce à vous, le moins heureux homme.


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Et vous voyez bien que j'avais raison

Quand je vous disais, dans mes moments noirs,

Que vos yeux, foyers de mes vieux espoirs,

Ne couvaient plus rien que la trahison.


Vous juriez alors que c'était mensonge

Et votre regard qui mentait lui-même

Flambait comme un feu mourant qu'on prolonge,

Et de votre voix vous disiez : « Je t'aime ! »


Hélas ! on se prend toujours au désir

Qu'on a d'être heureux malgré la saison...

Mais ce fut un jour plein d'amer plaisir,

Quand je m'aperçus que j'avais raison !


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Aussi bien pourquoi me mettrais-je à geindre ?

Vous ne m'aimiez pas, l'affaire est conclue,

Et, ne voulant pas qu'on ose me plaindre,

Je souffrirai d'une âme résolue.


Oui ! je souffrirai, car je vous aimais !

Mais je souffrirai comme un bon soldat

Blessé qui s'en va dormir à jamais,

Plein d'amour pour quelque pays ingrat.


Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie,

Encor que de vous vienne ma souffrance,

N'êtes-vous donc pas toujours ma Patrie,

Aussi jeune, aussi folle que la France ?


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Or, je ne veux pas - le puis-je d'abord ?

Plonger dans ceci mes regards mouillés.

Pourtant mon amour que vous croyez mort

A peut-être enfin les yeux dessillés.


Mon amour qui n'est que ressouvenance,

Quoique sous vos coups il saigne et qu'il pleure

Encore et qu'il doive, à ce que je pense,

Souffrir longtemps jusqu'à ce qu'il en meure,


Peut-être a raison de croire entrevoir

En vous un remords qui n'est pas banal,

Et d'entendre dire, en son désespoir,

À votre mémoire : ah ! fi ! que c'est mal !


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Je vous vois encor. J'entr'ouvris la porte.

Vous étiez au lit comme fatiguée.

Mais, ô corps léger que l'amour emporte,

Vous bondîtes nue, éplorée et gaie.


Ô quels baisers, quels enlacements fous !

J'en riais moi-même à travers mes pleurs.

Certes, ces instants seront, entre tous

Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs.


Je ne veux revoir de votre sourire

Et de vos bons yeux en cette occurrence

Et de vous enfin, qu'il faudrait maudire,

Et du piège exquis, rien que l'apparence.


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Je vous vois encore ! En robe d'été

Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux.

Mais vous n'aviez plus l'humide gaîté

Du plus délirant de tous nos tantôts.


La petite épouse et la fille aînée

Était reparue avec la toilette

Et c'était déjà notre destinée

Qui me regardait sous votre voilette.


Soyez pardonnée ! Et c'est pour cela

Que je garde, hélas ! avec quelque orgueil,

En mon souvenir qui vous cajola

L'éclair de côté que coulait votre œil.


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Par instants je suis le pauvre navire

Qui court démâté parmi la tempête

Et, ne voyant pas Notre-Dame luire,

Pour l'engouffrement en priant s'apprête.


Par instants je meurs la mort du pécheur

Qui se sait damné s'il n'est confessé,

Et, perdant l'espoir de nul confesseur,

Se tord dans l'Enfer, qu'il a devancé.


Ô mais ! par instants, j'ai l'extase rouge

Du premier chrétien, sous la dent rapace,

Qui rit à Jésus témoin, sans que bouge

Un poil de sa chair, un nerf de sa face !


Bruxelles-Londres. - Septembre-octobre 1872.
On vénère à Tolède une image de Vierge,

Devant qui toujours tremble une lueur de cierge ;

Poupée étincelante en robe de brocart,

Comme si l'or était plus précieux que l'art !

Et sur cette statue on raconte une histoire

Qu'un enfant de six mois refuserait de croire,

Mais que doit accepter comme une vérité

Tout poète amoureux de la sainte beauté.


Quand la Reine des cieux au grand saint Ildefonse,

Pour le récompenser de la grande réponse,

Quittant sa tour d'ivoire au paradis vermeil,

Apporta la chasuble en toile de soleil,

Par curiosité, par caprice de femme,

Elle alla regarder la belle Notre-Dame,

Ouvrage merveilleux dans l'Espagne cité,

Rêve d'ange amoureux, à deux genoux sculpté,

Et devant ce portrait resta toute pensive

Dans un ravissement de surprise naïve.

Elle examina tout : - le marbre précieux ;

Le travail patient, chaste et minutieux ;

La jupe raide d'or comme une dalmatique ;

Le corps mince et fluet dans sa grâce gothique ;

Le regard virginal tout baigné de langueur,

Et le petit Jésus endormi sur son cœur.

Elle se reconnut et se trouva si belle,

Qu'entourant de ses bras la sculpture fidèle,

Elle mit, au moment de remonter aux cieux,

Au front de son image un baiser radieux.


Ah ! que de tels récits, dont la raison s'étonne

Dans ce siècle trop clair pour que rien y rayonne,

Au temps de poésie où chacun y croyait,

Devaient calmer le cœur de l'artiste inquiet !

Faire admirer au ciel l'ouvrage de la terre,

Cet espoir étoilait l'atelier solitaire,

Et le ciseau pieux longtemps avec amour

Pour le baiser divin caressait le contour.

Si la Vierge, à Paris, avec son auréole,

Sur les autels païens de notre âge frivole

Descendait et venait visiter son portrait,

Croyez-vous, ô sculpteurs, qu'elle s'embrasserait ?
Fable XI, Livre II.


Un jour, tout en philosophant,
Tout en promenant ses pensées,
Une bête des plus sensées...
Un homme ?... non, un éléphant,
D'un mulot sous ses pieds rencontra la retraite.
La voûte ici n'était pas faite
Pour porter un tel poids : comme on l'a deviné,
Maître et maison, d'un pas, tout fut exterminé.
Et puis après que l'on prétende
Que pour notre bien seul les grands penseurs sont nés.
Bref, la petite bête échappait, si la grande
Eût pu voir une fois jusqu'au bout de son nez.
« Barbare, s'écriait, en sa douleur amère,
Du malheureux défunt l'inconsolable mère,
Que le ciel punisse ton forfait !
Hélas ! quel mal t'avait-il fait,
Mon pauvre enfant ? - Aucun, sans doute ;
Mais faut-il vous en prendre à moi ?
Dit le rêve-creux, et pourquoi
S'est-il rencontré sur ma route ? »

Monseigneur passe ; amis, rangeons-nous de côté.
Sous ses pas, croyez-moi, bien fou qui se hasarde :
S'il ne vous fait du mal par volonté,
II vous en fera par mégarde.

— The End —