À Manoel de Barros
PSAUME I
Tapi dans la mangrove, bondissant...sautant-matant
Le ciel aux trois-quarts nu
De giraumon, de pissat et de sang...
Assis sur le trottoir, le ciel tousse
Kein-hein kein-hein
Ivre de parfums rouges errants,
De brocarts et de confettis à ses trousses.
Assis à marée basse, électrique...
Insensible aux chevaux des dieux
Qui tournoient
Au-dessus des tambours
Qui chavirent
Insensibles
Aux orgues charnelles
Des moites guérisseuses...
Le ciel caracole,
Glisse, contorsionniste,
Mascarade immobile
Démêlant le cours des amours burlesques
Entre les atolls obscurs
De pistaches et de bonbons,
D’anges et de démons...
Cabriole, tiède et poisseux,
Cisaille à contre-jour
L’orpailleur en transe
Aboyant dans le sérail de mes âmes
Sevrées, esseulées...
L’aube culbute
Dans les lambeaux du gouffre
Dans les calypsos du soleil
D’où sourdent, dégénérées,
Les jambes et les larmes
Qui fraient encore, exotiques
Sur les pilotis
Du carnaval nocturne
D’où va saillir le jour.
PSAUME II
Il pleut sur le kiosque des songes
Des encres mornes
Comme des brindilles
Enfantées de l’œuf tiède
Où s’aimante
Délicieusement noire
La mygale
Fleuve des nuages
Qui emballe
De son ouate ludique
Le rayon nain
Dérobé
Au serpent arc-en-ciel
Enfin rassasié
PSAUME III
Tellurique, dame Terre esquive les amarres
Effervescentes. Le ciel, hameçon entre les îles,
Rayonne, entonne l’odyssée perpétuelle,
Pion libre dans l’espace
Sempiternellement baigné par les baumes
Incendiaires du soleil obèse, son jumeau
Complice des moissons violées, œcuménique,
Humble, jadis et toujours, Terre :
Oasis, océan, oxygène, oeil
Revêtu d’or, jardin où les ombres basses
Exultent, balbutiant des airs amnésiques..."
PSAUME IV
Rebelle lascive
Telle la lune blette
Suçant les corps subtils
Des mangues sauvages
Enroulées dans la pluie d’obsidienne...
Courtisane de toutes les brousses
Avaleuse de poisson vivant
Pour mieux apprendre à nager
Dans les moues du fleuve douillet...
Les lacets se cabrent, dans un baiser de peaux, de tôles et de croix
Les laves du dernier décan affleurent,
Saupoudrent l’écloserie de marbre humide
Et la pellicule humide de feu cru
Enfouit les dieux écartelés
Aux moues du fleuve endiablé..."
PSAUME V
Soudain pagayer dans le vent et découdre l’odeur légère de la forêt
Chasser les désirs cueillis dans la poudre des oiseaux rares
Et repriser dans les entrailles des pétales juteux...
Puis amarrer à la lumière verticale des matins
Un éclair avec le mot “boum”.
PSAUME VI
"Nomades, où sont les nuits ?"
Grince l’arc débandé du soleil
Embrassé à la portée de cristal
Des nuages en menstrues...
Peut-être que la nuit décante
Blottie dans le nid du large
Faite une enfant, se vautre
Sous les flottilles de jasmin
Dévastant les marées,
Traquant le ressac du temps...
Peut-être que la nuit accouche
Bien après les chaleurs
Faite une gueuse, brise
De son cœur de soprano
Les rames de glace de la lune qui s’épand
Dans un banc d’aquarelles...
Ou peut-être, la nuit, peut-être
La nuit, lisse et lasse,
Allaite les étoiles prises
Aux moustiquaires de cendre
Où le ciel foudroyé
Bat en retraite la chamade.
Peut-être qu’elle arraisonne
Les frêles écailles de l’orgasme total
Pour que nul ne sache
Qu’elle est née sans nombril,
Pour que nul ne sache
Qu’elle est grosse d’un jour
Au goût de sel...
PSAUME VII
"Abysses en vue !" vocifère l’huile en larmes
Faisant voler dans l’onguent vagabond
Les feux follets sortis de leur miroir,
Condors de phosphore, cyclones désemparés
Où se bousculent, palefrenières distraites,
Les couleurs qui rient en allant au supplice...
En chapelets, la lumière débouche, foule, broute,
S’autodévore sous la caresse des truelles,
Moud les étincelles, les taches, les brèches
En route vers le seuil du sacrifice,
Et dans l’embellie de l’œil
Éclot le prétendant buriné
Dans l’apothéose du matin soigneusement peint...
PSAUME VIII
Noyée dans la saumure en flammes
Du soir délicieusement grand ouvert, l’indicible lueur
Cloîtrée dans son écrin liquide
Jalonné de boues, moustiques et palétuviers,
Harponne la braise moribonde de charbon rose
Innombrable qui serpente dans le cirque de sable
A force de nager, à force de nager
Éternellement à joncher les grèves de l’arc-en-ciel.
PSAUME IX
Dans la baie, un sein vert flambe
Campant dans un bain de coton...
L’écho, hypnotique, tourne, tourne, prolifique...
Ô îles, les îles
Notes en menottes, ailes balafrées,
Miels de sel, fiels de ciel...
Ô îles, les îles
Filaments de mangue, eaux assoiffées
Larmes chaudes de tambours incoagulables...
Ô îles, les îles
D’où venez-vous, miettes de sang ?
Comment vous êtes-vous posés, papillons,
Au milieu de la grande termitière d’or bleu ?
PSAUME X
Kaki, dans le jour rectiligne,
Le soleil, bibelot tiède et omniprésent,
Affalé dans les sortilèges
De la pluie ensorceleuse..
.
Incrustée dans son terrier maternel,
Luciole équilibriste,
A demi ivre souffre l’espérance,
Soufflant des goélettes de papier...
Les lunes se rétractent lestes et faibles,
La visibilité est bonne
De chenaux en détroits, vont, naufragées,
En débandade, les voluptés,
Roues flamboyantes
Dilacérant les haillons allumés
Des orbites sismiques..
PSAUME XI
Zéro heure, la chauve cascade
Où le délire se découd
Dans les courbes de l’ennui...
Zéro heure, l’édentée
Déchirant les échos
Des obsèques de minuit...
Zéro heure, poupée
Aptère, assoupie
A l’ombre des rêves...
Cartomancienne hérétique
Châtrant les éruptions chagrines,
Châtrant, multipliant les yeux
Vers les plages pourpres...
Zéro heure, nymphe sourde
Défunte à la canne bossue,
Hissant le grand pavois
De la couleur polyphonique,
L’accord,
La peau du poète,
Éclipse magique
De tous les déluges...
PSAUME XII
Songes dans l’extrême sud
Monochromatique
Ancres tapissées,
Couples éteints, inflorescences...
Chevaux cardiaques
Occultés dans un nid lunaire...
Passager de la nef du fou
Fouetté par le roi si bémol
Qui monte à l’échafaud...
Battements rupestres,
Sentiers crevant les lieues
Au rythme des ailes de nuages...
La pluie soudain s’est tue
La liesse s’est tue soudain
Dilapidée dans ce jour rongé...
PSAUME XIII
Éteint dans la lumière, le portraitiste
Brûle l’absence mate,
La suie insolite...
La haute mer se dilue..
L’arche hiberne aussi **** que porte la vie
Dans son sanctuaire de sève
Où la terre saigne ses eaux bouclées
Qui écument des épaves de pierre
Aussi **** que porte la vie.
PSAUME XIV
Les îles du matin m’embrassent
Après une nuit de lune rase
Le ronflement du rayon
Macule en naissant le chœur torride
De l’alcôve qui s’écaille émaillée.
Entre traits, tracés et rayures
Flottent des oranges polymorphes
A portée des mains...
Sous la ménagerie de ses eaux poissonneuses
La gomme méthylique du soleil
Frotte dans le bassin d’étincelles
L’orchestre infime de ce lointain carnaval renié
Qui crépite, savonné...
Entre gravillons et bulles
Flottent des oranges polymorphes
A portée des mains...
Devant l’horloge en rut
Se signent les orangers...
Le soleil consent à la lune
La mare de feu
Greffée dans le pouls vivace de l’ombre ivre...
Entre ruines et volutes
Flottent des oranges polymorphes
Scandaleusement
A portée des mains...
PSAUME XV
Le matin nage, innombrable
Salamandre aux cent venins de verre
Qui se distillent dans une encre de cendres
Offertes au soleil insatiable...
Dans le calice débordant
Des récoltes que la nuit
Ne grignote qu’à moitié,
Les sargasses du désir plongent,
Cinglant le silence des incohérences...
Hilare, la lune
Se réveille et butine
Le nectar indigo
Qui s’attarde
Comme une musique rétinienne
Aux confins du jour...
Ainsi emmurés vifs
Dans le flux impénétrable des reflets,
Vont à l’aveuglette
Dans le palais des singes volants
L’amour et ses tribus aborigènes
Veillant sur la toison rouge du ciel...
PSAUME XVI
Mon deuil échoue à l’aube
Les yeux ouverts sur les laves
De ce volcan éteint
Où s’apaisent les étoiles...
La flèche de l’archer s’évanouit, fauchée...
Le licol de mousseline de l’archipel précieux
Vacille, se dissout,
Orphelin mélancolique
Murmurant des baisers d’aniline
Aux marges du rêve...
Insomnuit d’été
Si seulement je pouvais rêver !
PSAUME XVII
Sur l’échiquier, la nuit chancelle, vénéneuse...
Un vaisseau de pierre au galop s’envole
Au chevet de la mer noyée
Suant la résine...
Sifflotant, le saltimbanque
Éconduit les horizons pétales
Pris du soleil gemme étanche
Dans les écumes du ciel d’étain...
Bientôt, les lunes oscillent
Ondulent, se dérobent frivoles,
L’étalon noir se dissipe
Décochant des flèches en forme de cœur...
Quelque chose se brise dans le noir :
Était-ce un masque ou un miroir ?
Quand luit la dernière tranche d’ombre
Déboussolées, dans la dune de verre, les étoiles
Bégaient...
Les coquilles se détellent de la terre réfractaire...
Le soleil dévastateur s’abreuve de ciel
Cachant les antres de brai...
Tâtant les décadences nacrées
Ointes de sueurs salines
L’amazone enfin répudiée
Chantonne aux aguets
Dans la baie couleur sépia...
PSAUME XVIII
Clic
Hennissement aveugle, l’île
Se déhanche
Toute soie et serpent
Contre l’épi de maïs vert...
Clac
“Marée basse”, dit la reine-mère...
Aucune abeille ne rame,
Ne laboure les pollens de la mer...
Clic
**** des brise-lames
Lisses et bouillonnants
Des crinières sans fin et du goémon,
L’iguane sous la villa jaune...
Le long des bougies
Coule le gouvernail du silence...
Clic
Sous les fleurs délabrées de l’éclair
Dans leur hamac vert
Les vagues veuves, les vagues nues
Courent après les lunes
Et lentement chantent les araignées...
Clic
Parfums de lumière
Qui jouent, jouent, jouent
Se décomposent
Dans une brise d’alcools...
Clic
Chimères de la mer, coup de sifflet final
Rongeant les sables glauques
Les tranchées dans le ciel ouvert
Tapis du soleil et son essaim de sujets...
Clic
La nuit, la mer fructifie
Au ralenti...
PSAUME XIX
"Au feu, au feu !
Feu à la dérive !"
Scandent deux coléoptères...
Le feu fuit !
Le magicien s’est brûlé
A faire sa magie.
Le pôle s’évapore,
Le puits fait l’aumône,
L’enfant aboie,
La moto boite,
La forêt détale,
Le lion se vêt de singe
Noir et doré
Et petit à petit
Va planer
Au-dessus de l’autel fugace
Où gît
Hululant, pullulant, virulent,
Le vol agile craché
Du saxophone ténor...
L’hiver fouette le ciel,
La terre meurt prématurée,
Liane après liane,
Sécrétant comme vestiges
Le tapis de talc
D’une aile de sirène
Et le vertige nuptial
De deux notes jaunes inachevées
Au sein des similitudes.
PSAUME **
Prunelle de gris jaune
Prunelle nuit et mer
Bleu coursier d’argile
Tigresse à la crinière couleur de brume.
Dans le rare verger qu’est l’amour
Audacieuse, elle va, incendiaire
Empaillée dans un paquebot hystérique
Vers le hasard des quais identiques
Les yeux pleins de chaux.
Dans ce chant veuf, dans cette capitale pyromane
La voilà, légère,
Aspirant les équinoxes dans cet air enchaîné
En selle pour un bain d’herbes monastique
Geôlière verte
D’émeraude pure...
PSAUME XXI
L’accordéoniste des abysses
Peint dans l’œil de l’obscur :
Un nuage en zigzaguant
Ancre aux eaux du vide.
Et le gong sue...timide.
Et comme en un tango antique
S’écoule le cri acide
Des teintes atteintes par les balles,
Hoquet du temps incarné
A l’aube d’une pluie sèche de chaleurs vertes.
Et le gong sue...tumide.
Et comme en un tango marin
Caracole la pirogue étoilée du tigre intime
Renversant de son parapluie
Les certitudes les plus ensevelies de la peur.
Et le gong sue...tumide.
Et les papillons enfantent
Des flammes dans les sables mouvants,
Des harpes éoliennes
Comme des gymnastes hués par le soleil en ruines
A la recherche des marées sèches.
Et le gong sue... tumide.
Et comme en un tango de funambules
Les œillères des brebis galeuses
Traversent la toile, vieillissent, exhument le salpêtre
D’un bandonéon dont la sueur incendie les cernes
De la nuit qui jazze...
PSAUME XXII
Tendrement
Le messager lit
Les lignes du vent,
Prend le pouls
Du ventre jaspé
De la basilique d’encre de chine :
-Là-bas, sous les monts de Vénus
Rode le messager,
Troubadour englouti
Par une lave obscure,
Passager invisible
Des failles muettes
Qu’il restaure encore...
Tendrement
Le messager
Harponne
Les coquilles du temps...
A la pointe de l’hameçon,
Un morceau de vitrail
Où à peine filtre
La lueur des entrailles,
On devine soudain
La forme d’un cheval marron
Qui hennit.
PSAUME XXIII
Bleu roi
De ces couleurs pièges.
Bleu de ces teintes imprévisibles.
Issu du venin tribal
Des roses du désert
Le bleu tombe,
Comme un nuage de coton doux,
Sur la brousse atlantique des lèvres
Enflées de secrets,
Où, hystérique, il donne le jour
Sous le kiosque sympathique des pluies cyanes
A une larme de sang,
Daltonienne.
Bleu roi
De ces couleurs mutantes :
Seul le baiser de cobalt réchauffe
Les escales mélancoliques
De ces ailes closes,
Révèle les jeux d’artifice,
Et murmurant des flammes,
Fait évanouir
Le deuil magnétique
Des rênes d’ivoire...
La flèche de l’archer pénètre,
Débridée,
Le voile de mousseline de l’archipel précieux
Qui vacille, se dissout,
Orphelin en suspens, spectre d’aniline
Aux gants d’émeraude
Et aux chaussons d’améthyste...
PSAUME XXIV
Dormir, virgule,
Souffler doucement
Des cases jumelles,
Ramper à nouveau, gigoter,
Jusqu’à ce que tout ne soit plus
Qu’une seule immensité...
Au lieu de l’abîme
La clairière dans la caféière.
Dormir, virgule,
Ça et là,
Lune bleue
Embuée
Sous la baguette du silence...
Le rêve entre et sort
Et jusqu’aux nuages
Craignent la chute
Vers le sommeil...
PSAUME XXV
Les îles et une nuits
Me font chavirer,
Je fuis,
Naufragée inlassable,
Hors du clan tentaculaire
Vers la clarté volatile
Des voiles incendiaires...
Mes nerfs à la fleur du large
Bifurquent,
S’évaporent en filigranes
Plus **** encore...
Bleu nuit devient la mer
Aux portes de son repaire
Ancré à la rive gauche du cœur.
La crique n’est plus ce qu’elle était :
La neige reptile teint les dauphins de rose...
Éden ?
De temps à autre
Passe un trapèze
Balayant le silence.
PSAUME XXVI
Ô Reine, Notre Duc
Sous tes ongles laqués
J’imagine un ciel rouge
Aux parfums de lait de cobra...
Le soleil fait pleuvoir des sceptres sur le fleuve
Et des piranhas aux dents d’eau
Larguent des cerfs-volants sans fin...
“Chantez les très riches heures de l’En-Dehors !”
Crie à la face du levant
Un caméléon qui lisse les ailes du hasard
Planté dans le dédale de ta langue baccarat.
PSAUME XXVII
Près de la passerelle d’ivoire :
“Odyssées,
Métamorphoses,
Mues,
Je vous aime !” "