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À MADEMOISELLE LOUISE B.

I.

- Ainsi donc rien de grand, rien de saint, rien de pur,
Rien qui soit digne, ô ciel ! de ton regret d'azur !
Rien qui puisse anoblir le vil siècle où nous sommes,
Ne sortira du cœur de l'homme enfant des hommes !
Homme ! esprit enfoui sous les besoins du corps !
Ainsi, jouir ; descendre à tâtons chez les morts ;
Être à tout ce qui rampe, à tout ce qui s'envole,
A l'intérêt sordide, à la vanité folle ;
Ne rien savoir - qu'emplir, sans souci du devoir,
Une charte de mots ou d'écus un comptoir ;
Ne jamais regarder les voûtes étoilées ;
Rire du dévouement et des vertus voilées ;
Voilà ta vie, hélas ! et tu n'as, nuit et jour,
Pour espoir et pour but, pour culte et pour amour,
Qu'une immonde monnaie aux carrefours traînée
Et qui te laisse aux mains sa rouille empoissonnée !
Et tu ne comprends pas que ton destin, à toi,
C'est de penser ! c'est d'être un mage et d'être un roi ;
C'est d'être un alchimiste alimentant la flamme
Sous ce sombre alambic que tu nommes ton âme,
Et de faire passer par ce creuset de feu
La nature et le monde, et d'en extraire Dieu !

Quoi ! la brute a sa sphère et l'éléments sa règle !
L'onde est au cormoran et la neige est à l'aigle.
Tout a sa région, sa fonction, son but.
L'écume de la mer n'est pas un vain rebut ;
Le flot sait ce qu'il fait ; le vent sait qui le pousse ;
Comme un temple où toujours veille une clarté douce,
L'étoile obéissante éclaire le ciel bleu ;
Le lys s'épanouit pour la gloire de Dieu ;
Chaque matin, vibrant comme une sainte lyre,
L'oiseau chante ce nom que l'aube nous fait lire.
Quoi ! l'être est plein d'amour, le monde est plein de foi
Toute chose ici-bas suit gravement sa loi,
Et ne sait obéir, dans sa fierté divine,
L'oiseau qu'à son instinct, l'arbre qu'à sa racine !
Quoi ! l'énorme océan qui monte vers son bord,
Quoi ! l'hirondelle au sud et l'aimant vers le nord
La graine ailée allant au **** choisir sa place,
Le nuage entassé sur les îles de glace,
Qui, des cieux tout à coup traversant la hauteur,
Croule au souffle d'avril du pôle à l'équateur,
Le glacier qui descend du haut des cimes blanches,
La sève qui s'épand dans les fibres des branches,
Tous les objets créés, vers un but sérieux,
Les rayons dans les airs, les globes dans les cieux,
Les fleuves à travers les rochers et les herbes,
Vont sans se détourner de leurs chemins superbes !
L'homme a seul dévié ! - Quoi ! tout dans l'univers,
Tous les êtres, les monts, les forêts, les prés verts,
Le jour dorant le ciel, l'eau lavant les ravines,
Ont encore, comme au jour où de ses mains divines
Jéhova sur Adam imprima sa grandeur,
Toute leur innocence et toute leur candeur !
L'homme seul est tombé !- Fait dans l'auguste empire
Pour être le meilleur, il en devient le pire,
Lui qui devait fleurir comme l'arbre choisi,
Il n'est plus qu'un tronc vil au branchage noirci,
Que l'âge déracine et que le vice effeuille,
Dont les rameaux n'ont pas de fruit que Dieu recueille,
Où jamais sans péril nous ne nous appuyons,
Où la société greffe les passions !
Chute immense ! il ignore et nie, ô providence !
Tandis qu'autour de lui la création pense !

Ô honte ! en proie aux sens dont le joug l'asservit,
L'homme végète auprès de la chose qui vit !

II.

Comme je m'écriais ainsi, vous m'entendîtes ;
Et vous, dont l'âme brille en tout ce que vous dites,
Vous tournâtes alors vers moi paisiblement
Votre sourire triste, ineffable et calmant :

- L'humanité se lève, elle chancelle encore,
Et, le front baigné d'ombre, elle va vers l'aurore.
Tout l'homme sur la terre a deux faces, le bien
Et le mal. Blâmer tout, c'est ne comprendre rien.
Les âmes des humains d'or et de plomb sont faites.
L'esprit du sage est grave, et sur toutes les têtes
Ne jette pas sa foudre au hasard en éclats.
Pour le siècle où l'on vit - comme on y souffre, hélas ! -
On est toujours injuste, et tout y paraît crime.
Notre époque insultée a son côté sublime.
Vous l'avez dit vous-même, ô poète irrité ! -

Dans votre chambre, asile illustre et respecté,
C'est ainsi que, sereine et simple, vous parlâtes.
Votre front, au reflet des damas écarlates,
Rayonnait, et pour moi, dans cet instant profond,
Votre regard levé fit un ciel du plafond.

L'accent de la raison, auguste et pacifique,
L'équité, la pitié, la bonté séraphique,
L'oubli des torts d'autrui, cet oubli vertueux
Qui rend à leur insu les fronts majestueux,
Donnaient à vos discours, pleins de clartés si belles,
La tranquille grandeur des choses naturelles,
Et par moments semblaient mêler à votre voix
Ce chant doux et voilé qu'on entend dans les bois.

III.

Pourquoi devant mes yeux revenez-vous sans cesse,
Ô jours de mon enfance et de mon allégresse ?
Qui donc toujours vous rouvre en nos cœurs presque éteints
Ô lumineuse fleur des souvenirs lointains ?

Oh ! que j'étais heureux ! oh ! que j'étais candide !
En classe, un banc de chêne, usé, lustré, splendide,
Une table, un pupitre, un lourd encrier noir,
Une lampe, humble sœur de l'étoile du soir,
M'accueillaient gravement et doucement. Mon maître,
Comme je vous l'ai dit souvent, était un prêtre
A l'accent calme et bon, au regard réchauffant,
Naïf comme un savant, malin comme un enfant,
Qui m'embrassait, disant, car un éloge excite :
- Quoiqu'il n'ait que neuf ans, il explique Tacite. -
Puis près d'Eugène, esprit qu'hélas ! Dieu submergea,
Je travaillais dans l'ombre, - et je songeais déjà.

Tandis que j'écrivais, - sans peur, mais sans système,
Versant le barbarisme à grands flots sur le thème,
Inventant les auteurs de sens inattendus,
Le dos courbé, le front touchant presque au Gradus, -
Je croyais, car toujours l'esprit de l'enfant veille,
Ouïr confusément, tout près de mon oreille,
Les mots grecs et latins, bavards et familiers,
Barbouillés d'encre, et gais comme des écoliers,
Chuchoter, comme font les oiseaux dans une aire,
Entre les noirs feuillets du lourd dictionnaire.
Bruits plus doux que le bruit d'un essaim qui s'enfuit,
Souffles plus étouffés qu'un soupir de la nuit,
Qui faisaient par instants, sous les fermoirs de cuivre,
Frissonner vaguement les pages du vieux livre !

Le devoir fait, légers comme de jeunes daims,
Nous fuyions à travers les immenses jardins,
Éclatant à la fois en cent propos contraires.
Moi, d'un pas inégal je suivais mes grands frères ;
Et les astres sereins s'allumaient dans les cieux,
Et les mouches volaient dans l'air silencieux,
Et le doux rossignol, chantant dans l'ombre obscure,
Enseignait la musique à toute la nature,
Tandis qu'enfant jaseur aux gestes étourdis,
Jetant partout mes yeux ingénus et hardis
D'où jaillissait la joie en vives étincelles,
Je portais sous mon bras, noués par trois ficelles,
Horace et les festins, Virgile et les forêts,
Tout l'Olympe, Thésée, Hercule, et toi Cérès,
La cruelle Junon, Lerne et l'hydre enflammée,
Et le vaste lion de la roche Némée.

Mais, lorsque j'arrivais chez ma mère, souvent,
Grâce au hasard taquin qui joue avec l'enfant,
J'avais de grands chagrins et de grandes colères.
Je ne retrouvais plus, près des ifs séculaires,
Le beau petit jardin par moi-même arrangé.
Un gros chien en passant avait tout ravagé.
Ou quelqu'un dans ma chambre avait ouvert mes cages,
Et mes oiseaux étaient partis pour les bocages,
Et, joyeux, s'en étaient allés de fleur en fleur
Chercher la liberté bien ****, - ou l'oiseleur.
Ciel ! alors j'accourais, rouge, éperdu, rapide,
Maudissant le grand chien, le jardinier stupide,
Et l'infâme oiseleur et son hideux lacet,
Furieux ! - D'un regard ma mère m'apaisait.

IV.

Aujourd'hui, ce n'est pas pour une cage vide,
Pour des oiseaux jetés à l'oiseleur avide,
Pour un dogue aboyant lâché parmi les fleurs,
Que mon courroux s'émeut. Non, les petits malheurs
Exaspèrent l'enfant ; mais, comme en une église,
Dans les grandes douleurs l'homme se tranquillise.
Après l'ardent chagrin, au jour brûlant pareil,
Le repos vient au cœur comme aux yeux le sommeil.
De nos maux, chiffres noirs, la sagesse est la somme.
En l'éprouvant toujours, Dieu semble dire à l'homme :
- Fais passer ton esprit à travers le malheur ;
Comme le grain du crible, il sortira meilleur. -
J'ai vécu, j'ai souffert, je juge et je m'apaise.
Ou si parfois encor la colère mauvaise
Fait pencher dans mon âme avec son doigt vainqueur
La balance où je pèse et le monde et mon cœur ;
Si, n'ouvrant qu'un seul œil, je condamne et je blâme,
Avec quelques mots purs, vous, sainte et noble femme,
Vous ramenez ma voix qui s'irrite et s'aigrit
Au calme sur lequel j'ai posé mon esprit ;
Je sens sous vos rayons mes tempêtes se taire ;
Et vous faites pour l'homme incliné, triste, austère,
Ce que faisait jadis pour l'enfant doux et beau
Ma mère, ce grand cœur qui dort dans le tombeau !

V.

Écoutez à présent. - Dans ma raison qui tremble,
Parfois l'une après l'autre et quelquefois ensemble,
Trois voix, trois grandes voix murmurent.

L'une dit :
- « Courrouce-toi, poète. Oui, l'enfer applaudit
Tout ce que cette époque ébauche, crée ou tente.
Reste indigné. Ce siècle est une impure tente
Où l'homme appelle à lui, voyant le soir venu,
La volupté, la chair, le vice infâme et nu.
La vérité, qui fit jadis resplendir Rome,
Est toujours dans le ciel ; l'amour n'est plus dans l'homme.
« Tout rayon jaillissant trouve tout œil fermé.
Oh ! ne repousse pas la muse au bras armé
Qui visitait jadis comme une austère amie,
Ces deux sombres géants, Amos et Jérémie !
Les hommes sont ingrats, méchants, menteurs, jaloux.
Le crime est dans plusieurs, la vanité dans tous ;
Car, selon le rameau dont ils ont bu la sève,
Ils tiennent, quelques-uns de Caïn, et tous d'Ève.

« Seigneur ! ta croix chancelle et le respect s'en va.
La prière décroît. Jéhova ! Jéhova !
On va parlant tout haut de toi-même en ton temple.
Le livre était la loi, le prêtre était l'exemple ;
Livre et prêtre sont morts. Et la foi maintenant,
Cette braise allumée à ton foyer tonnant,
Qui, marquant pour ton Christ ceux qu'il préfère aux autres,
Jadis purifiait la lèvre des apôtres,
N'est qu'un charbon éteint dont les petits enfants
Souillent ton mur avec des rires triomphants ! » -

L'autre voix dit : - « Pardonne ! aime ! Dieu qu'on révère,
Dieu pour l'homme indulgent ne sera point sévère.
Respecte la fourmi non moins que le lion.
Rêveur ! rien n'est petit dans la création.
De l'être universel l'atome se compose ;
Dieu vit un peu dans tout, et rien n'est peu de chose.
Cultive en toi l'amour, la pitié, les regrets.
Si le sort te contraint d'examiner de près
L'homme souvent frivole, aveugle et téméraire,
Tempère l'œil du juge avec les pleurs du frère.
Et que tout ici-bas, l'air, la fleur, le gazon ;
Le groupe heureux qui joue au seuil de ta maison ;
Un mendiant assis à côté d'une gerbe ;
Un oiseau qui regarde une mouche dans l'herbe ;
Les vieux livres du quai, feuilletés par le vent,
D'où l'esprit des anciens, subtil, libre et vivant,
S'envole, et, souffle errant, se mêle à tes pensées ;
La contemplation de ces femmes froissées
Qui vivent dans les pleurs comme l'algue dans l'eau ;
L'homme, ce spectateur ; le monde, ce tableau ;
Que cet ensemble auguste où l'insensé se blase
Tourne de plus en plus ta vie et ton extase
Vers l'œil mystérieux qui nous regarde tous,
Invisible veilleur ! témoin intime et doux !
Principe ! but ! milieu ! clarté ! chaleur ! dictame !
Secret de toute chose entrevu par toute l'âme !
« N'allume aucun enfer au tison d'aucun feu.
N'aggrave aucun fardeau. Démontre l'âme et Dieu,
L'impérissable esprit, la tombe irrévocable ;
Et rends douce à nos fronts, que souvent elle accable,
La grande main qui grave en signes immortels
JAMAIS ! sur les tombeaux ; TOUJOURS ! sur les autels. »

La troisième voix dit : - « Aimer ? haïr ? qu'importe !
Qu'on chante ou qu'on maudisse, et qu'on entre ou qu'on sorte,
Le mal, le bien, la mort, les vices, les faux dieux,
Qu'est-ce que tout cela fait au ciel radieux ?
La végétation, vivante, aveugle et sombre,
En couvre-t-elle moins de feuillages sans nombre,
D'arbres et de lichens, d'herbe et de goëmons,
Les prés, les champs, les eaux, les rochers et les monts ?
L'onde est-elle moins bleue et le bois moins sonore ?
L'air promène-t-il moins, dans l'ombre et dans l'aurore,
Sur les clairs horizons, sur les flots décevants,
Ces nuages heureux qui vont aux quatre vents ?
Le soleil qui sourit aux fleurs dans les campagnes,
Aux rois dans les palais, aux forçats dans les bagnes,
Perd-il, dans la splendeur dont il est revêtu,
Un rayon quand la terre oublie une vertu ?
Non, Pan n'a pas besoin qu'on le prie et qu'on l'aime.
Ô sagesse ! esprit pur ! sérénité suprême !
Zeus ! Irmensul ! Wishnou ! Jupiter ! Jéhova !
Dieu que cherchait Socrate et que Jésus trouva !
Unique Dieu ! vrai Dieu ! seul mystère ! seule âme !
Toi qui, laissant tomber ce que la mort réclame,
Fis les cieux infinis pour les temps éternels !
Toi qui mis dans l'éther plein de bruits solennels,
Tente dont ton haleine émeut les sombres toiles,
Des millions d'oiseaux, des millions d'étoiles !
Que te font, ô Très-Haut ! les hommes insensés,
Vers la nuit au hasard l'un par l'autre poussés,
Fantômes dont jamais tes yeux ne se souviennent,
Devant ta face immense ombres qui vont et viennent ! »

VI.

Dans ma retraite obscure où, sous mon rideau vert,
Luit comme un œil ami maint vieux livre entrouvert,
Où ma bible sourit dans l'ombre à mon Virgile,
J'écoute ces trois voix. Si mon cerveau fragile
S'étonne, je persiste ; et, sans peur, sans effroi,
Je les laisse accomplir ce qu'elles font en moi.
Car les hommes, troublés de ces métamorphoses,
Composent leur sagesse avec trop peu de choses.
Tous ont la déraison de voir la Vérité
Chacun de sa fenêtre et rien que d'un côté,
Sans qu'aucun d'eux, tenté par ce rocher sublime,
Aille en faire le tour et monte sur sa cime.
Et de ce triple aspect des choses d'ici-bas,
De ce triple conseil que l'homme n'entend pas,
Pour mon cœur où Dieu vit, où la haine s'émousse,
Sort une bienveillance universelle et douce
Qui dore comme une aube et d'avance attendrit
Le vers qu'à moitié fait j'emporte en mon esprit
Pour l'achever aux champs avec l'odeur des plaines
Et l'ombre du nuage et le bruit des fontaines !

Avril 1840.
Je suis l'astre des nuits. Je brille, pâle et blanche,
Sur la feuille qui tremble au sommet d'une branche,
Sur le ruisseau qui dort, sur les lacs, bien plus beaux
Quand mes voiles d'argent s'étendent sur leurs eaux.
Mes rayons vont chercher les fleurs que je préfère,
Et font monter au ciel les parfums de la terre ;
Je donne la rosée au rameau desséché,
Que l'ardeur du soleil a, sur le sol, penché.
Sitôt que je parais, tout se tait et repose,
L'homme quitte les champs, et l'abeille la rose :
Plus de bruit dans les airs, plus de chant dans les bois ;
Devant mon doux regard nul n'élève sa voix,
De la terre ou du ciel aucun son ne s'élance,
J'arrive avec la nuit, et je règne en silence !
Je cache mes rayons quand le cri des hiboux
Vient troubler mon repos et mon calme si doux.

Je suis l'astre des nuits ; je brille, pâle et blanche,
Sur le cœur attristé, sur le front qui se penche,
Sur tout ce qui gémit, sur tout ce qui se plaint,
Sur tous les yeux en pleurs qu'aucun sommeil n'atteint.

Quelques heureux, parfois, me donnent un sourire,
S'aiment, et devant moi trouvent doux de le dire ;
J'écoute avec bonheur leurs longs serments d'amour,
Je leur promets tout bas de n'en rien dire au jour.
Mais les plus beaux rayons de mon blanc diadème
Sont pour vous qui souffrez !... C'est vous surtout que j'aime
Donnez-moi vos soupirs et donnez-moi vos pleurs ;
Laissez-moi deviner vos secrètes douleurs,
Le rêve inachevé qui n'a point de parole,
Que nul ne sut jamais et que nul ne console !
J'ai pour les cœurs brisés, ainsi que pour les fleurs,
Une fraîche rosée endormant les douleurs.
Écoutez-moi ce soir, vous saurez un mystère
Ignoré jusqu'ici du reste de la terre,
Secret que je révèle à ceux de mes élus,
Qui m'ont le plus aimée et qui rêvent le plus.

Je vous dirai pourquoi je brille, pâle et blanche,
Sur le cœur attristé, sur le front qui se penche,
Sur tout ce qui gémit, sur tout ce qui se plaint,
Sur tous les yeux en pleurs qu'aucun sommeil n'atteint.

Votre vie, ici-bas, est un triste voyage,
Dont le ciel, où je suis, est le port, le rivage ;
Elle a bien des écueils, la route où vous passez...
Et vous n'arrivez pas sans vous être blessés !
Vous n'abordez pas tous sur la céleste plage,
Ceux qui se sont souillés demeurent à l'écart ;
Coupables et souffrants, dans une morne attente,
Ils s'arrêtent au seuil du séjour où l'on chante.
Un ange, dont les pleurs voilent le doux regard,
Leur barre le chemin et murmure : « Plus **** ! »
- Parmi ces exilés traînant au **** leur chaîne,
Parmi les longs sanglots de ces âmes en peine,
Errantes **** de Dieu, du soleil et du jour,
Moi, je prends en pitié les coupables d'amour.
J'appelle auprès de moi ces Âmes de la terre,
Qu'un Dieu juste éloigna du séjour de lumière,
Parce qu'en sa présence elles gardaient encor
Un souvenir d'amour, au delà de leur mort.
Je leur donne ma nuit, mes rayons, mes étoiles,
Je donne à leur exil l'abri de mes longs voiles,
Et les larmes, le soir, qui coulent de leurs yeux,
Semblent à vos regards des étoiles des cieux ;
Ce ne sont que des pleurs... des pleurs d'âmes souffrantes,
Qui, la nuit, dans l'espace avec moi sont errantes.

Vous, encor sur la terre où s'agitent vos cœurs,
Levez les yeux vers moi ! j'ai près de moi vos sœurs.
Oh ! veillez bien sur vous... et priez bien pour elles !
Entendez-vous leurs pleurs ? car si mes nuits sont belles,
Pourtant Dieu n'est pas là ! le seul repos, c'est Lui...
Il fait jour près de Dieu, - je ne suis que la nuit !

Je vous ai dit pourquoi je brille pâle et blanche
Sur le cœur attristé, sur le front qui se penche,
Sur tout ce qui gémit, sur tout ce qui se plaint,
Sur tous les yeux en pleurs qu'aucun sommeil n'atteint.
Souvenez-vous des humbles cimetières
Que voile aux villages voisins
Le pli d'un coteau pâle où pendent les raisins,
Qu'éveille, au point du jour, l'air du casseur de pierres.
Seuls, les vieux fossoyeurs ont d'eux quelque souci.
Et c'est à peine si -
Comme des brebis étonnées,
**** du troupeau fumant des douces cheminées,
**** du clocher, ce pâtre amoureux d'horizons -
Quelques maisons
Abandonnées,
Toutes fanées
Par les saisons,
Du vide de leurs yeux dans leur face hagarde,
Contemplent - par-dessus l'enclos au portail veuf
Parfois de l'auvent qui le garde -
La chapelle en ruine à la grande lézarde,
Les tertres anciens et les croix de bois neuf.

Mais l'été que l'ange envoie aux vallées,
Pour les églogues étoilées,
Aux grands blés roux buvant ses haleines de feu,
Et vers les rivières vermeilles,
L'été, sur un signe de Dieu,
Fait, avec ses rayons, de sauvages corbeilles
De ces asiles tout en fleurs où les abeilles,
Dans l'herbe haute et drue ainsi que des remords,
D'un long bourdonnement ensommeillent les morts.

À midi, le soleil silencieux qui tombe,
Grave, comme un chat d'or s'allonge sur la tombe
Dont la blancheur brûle, éclatant
Parmi l'argile rose ou les avoines folles,
Pendant que le lézard entend
Passer, dans les bruits vains et les vagues paroles,
La robe, ayant l'odeur de nos amours défunts,
De la Mort, mère et reine des parfums.

Tramée avec les fils du rêve,
Voici s'assombrir l'heure où la lune se lève,
Et le lourd laboureur qui rentre réfléchit
Sur la route où l'air pur fraîchit,
Le long des murs sacrés, et son coeur croit entendre
Une voix étouffée ou tendre,
Dans la nuit bleue et noire ainsi que le corbeau...
La nuit donne la vie aux choses du tombeau.

Cependant, là-bas, dans les nécropoles,
Sur qui la nue ardente ébauche des coupoles,
Et qu'endorment les cris confus et les oiseaux
Des villes, dont le vaste oubli pèse à ses os,
Une immobile multitude
Poursuit le même rêve en la même attitude ;
Et depuis tant d'hivers que les soleils lassés
Ne comptent plus les noms par les vents effacés,
Malgré leur solitude qui s'ennuie
Au cantique filtré sur leur front par la pluie,
Elles peuvent goûter encor des jours bénis,
Ces pauvres âmes désolées,
Vers la douce époque des nids,
Sous les funéraires feuillées,
Quand Mai, de sa main fine, aux grilles des caveaux
Attache des bouquets et des regrets nouveaux
Ou quand leur commune patronne,
Leur fête, fait éclore une triste couronne :
Ce jour-là, plus d'un deuil charmant qui vient errer
Dans les sombres jardins, tressaille à rencontrer,
Sous les branches d'automne à peine encore vertes,
L'impériale odeur des tombes entrouvertes.
Et tous, ceux du village et ceux de la cité,
Ceux qui sourient d'avoir été
De gais bouviers dans la campagne,
Et ceux dont la statue en marbre est la compagne,
Ces morts que Dieu sema comme on sème le blé,
Tous dorment d'un sommeil si peu troublé,
Qu'il semble que la vie,
À ces mornes reclus
Lugubrement ravie,
Ne doive jamais plus
Monter ni redescendre
Des yeux pleins de nuit noire au coeur tombant en cendre.

Aucun orchestre en floraison
Sous les bosquets royaux dans la chaude saison,
Aucune orfèvrerie amoncelant ses bagues,
Aucun océan soucieux
Des perles qu'il charrie aux plis lourds de ses vagues,
Aucun Messidor sous les cieux
Qui couvrent la splendeur des terres éventrées,
Ni le soleil de ces contrées
Où son regard luit si hautain,
Sur les monts que couronne une âpre odeur de thym,
Qu'il semble à la stupeur physique
Que le rayon fait la musique ;
Ni lune en fleur d'aucun été,
Ni comètes semant de diamants leur voie,
Ne roulent plus d'ivresse en versant plus de joie,
Que la solennelle clarté
Qui, tenant de la rose et de la primevère,
Jaillira par la fente en rumeur des cercueils,
Comme un vin parfumé des blessures du verre,
Quand, sonnant la fuite des deuils,
L'ange du Jugement, sur le tombeau du Juste,
Soulèvera la pierre avec un geste auguste !
Nigel Morgan Jan 2013
I’m thinking about you today. Hard not to, the specialness of it all. Today you’re putting up of an exhibition. Some artists call it a show, but you’re quite consistent in not calling it that. I admire that of you, being consistent.
 
I was thinking today about your kindness. You phoned me as soon as the children had gone to school, making time to call before you left. I know you were drinking your start-of-the-day coffee, but it was a kind thought all the same, phoning me. You knew I was upset. Upset with myself, as I often am. It’s this being alone. Not so much as a cat to keep me company. Just my work, the reading I do, my thoughts of you, those letters I write, and my attempts at poetry.
 
During the last few days I’ve tried to write directly of what I’ve observed, not felt, observed. Like those wonderful Chinese poets of old describing in just a few characters the wonder of the seen rather than the speculation of the felt, avoiding all emotion and fantasy. I try to write in a way that holds to the ambiguity and spread of meanings the poems those ancient Chinese composed.
 
It’s winter-time. Yesterday we were expecting the first snowfall of winter, and it arrived late in the night making the morning darkness mysteriously different, changing the indistinctness of distant trees to become a web of silver lines, in the no-wind snow resting on branches, clinging to boughs and trunks.  I stood in the pre-dawn park in wonder at it all, holding each moment to myself, in the cold breath-stopping air. I thought of one of the Chinese snow poems I know and some of those different ways it has been translated. Here are three:
 
A thousand mountains without a bird
Ten thousand miles with no trace of man.
A boat. An old man in a straw raincoat.
Alone in the snow, fishing in the freezing river.
 
A thousand peaks: no more birds in flight.
Ten thousand paths: all trace of people gone.
In a lone boat, rain cloak and a hat of reeds
An old man’s fishing the cold river snow.
 
Sur mille montagnes, aucun vol d’oiseau
Sure dix mille sentiers, nulle trace d’homme
Barque solitaire: sous son manteaux de paille
Un vielliard pêche, du figé, la neige.

 
So beautiful, arresting, different. It holds the title River Snow and the poet is the Tang Dynasty philosopher and essayist Lui Zongyuan.  My snow poem First Fall, written last night as the snow fell on the wet street outside, as you were falling through my thoughts, softly, but not onto a wet street, but a distant garden we know and love, but have yet to see in winter’s whiteness.
 
And now today you’re driving to a distant location to hang your work of paper, silk and linen, full of expectation, every contingency and plan in place to enable the work to make its mark in a location you know, where people may recognize your name and will come to say warm words of encouragement, maybe a little praise. And at the end of the week when the exhibition opens I’ll be there, trying to be invisible, taking photographs if I can of you and your admirers and supporters, and thinking (myself) how wonderful you are, your lovely smile lighting up the gallery, being welcoming, beautiful always.
 
Only today you’re further away from me than ever. Around coffee time I miss your quiet explorative ‘it’s me , like a mouse on the telephone. The inflections of those words questioning the appropriateness of the call, meaning ‘Are you busy? Am I interrupting?’ It may take me a little while to ‘come to’, but interruption? Never, just the sheer joy that it’s you colouring the moment.
 
I think of the landscape you’ll be driving through. I’m imagining the snow-sky clearing and becoming a faint blue with the sun’s brightness clarifying those wold lands, those gentle folds of fields between parallelograms of woodland standing stark under the large skies and promulgating the long views gradually, gradually stretching towards the sea coast.
 
I like to imagine you are singing your way through the choruses of Bach’s B Minor Mass, but in reality it’s probably the Be Good Tanyas or Billy Joel playing on the CD player. Such a relief probably after those silent journeys with me. I usually relent on the homeward leg, but I crave silence when I’m a passenger, and I’m now always a passenger, so I crave silence for my thoughts, such as they are.
 
While you are being the emerging artist – but probably on your way homeward - I have taken myself down to my city’s gallery and to an exhibition I’ve already seen. I have a task I’ve been promising myself to undertake: copying an exhibit. I arrive an hour before the gallery closes. I leave my bicycle behind the foyer desk. There are more staff about than visitors. It’s gloriously empty, but the young twenty-somethings invigilating the spaces group themselves strategically near adjoining rooms so they can talk (loudly) to each other. It’s Facebook chat, barely Twitter nonsense. I have to block it all out to focus on the four pages and a P.S of a sculptor’s letter to a critical friend. The sculptor is writing from springtime Cornwall on 6 March 1951. The critical friend will open the letter the next day (when there were 3 deliveries a day) and the Royal Mail invariably arrived on time. He’ll pick it up from his doormat before breakfast in grimy Leeds, though the leafy part near Roundhay Park. The sculptor begins by saying:
 
It is so difficult to find words to convey ideas!
 
In this so efficient Cambria typeface that introductory sentence loses so much of the muscle and flow of the human hand. Written boldly in black ink, and so full of purpose, I read it a month ago, a photocopy in a display case, and knew I had to capture it. And it’s here entire in my note book, on my desk, carefully copied, to share with you my darling, my kind friend, the young woman I hold dear, admire so much, become faint with longing for when, as she crosses that gallery where she has been hanging her work (in my imagination), I am caught as so often by her graceful steps and turn.
 
I don’t feel any difference of intent in or of mood when I paint (or carve) realistically, or when I make abstract carvings. It all feels the same – the same happiness and pain, the same joy in a line, a form, a colour – the same feeling at the end, The two ways of working flow into each other without effort  . . .
 
Outside my warm studio the snow has retreated east and I’ve opened the window to hear the Cathedral bells practising away, the city on a Tuesday night free of revellers, the clubs closed, the pubs quiet. In this building everyone has gone home except this obsessive musician who stays late to write to the woman he adores, who thinks a day is not a day lived without a letter to her at least, a poem if possible.
 
I’d quietly hoped to be with you tonight, but you must have something arranged as I suggested twice I might come, and you said it wasn’t necessary. But I have this letter, and something to write about. Alas, no poem. My muse is having the evening off and I am gently reconciled to the possibility of a few words on the telephone before bed.
Je voyageais. Le paysage au milieu duquel j'étais placé était d'une grandeur et d'une noblesse irrésistibles. Il en passa sans doute en ce moment quelque chose dans mon âme. Mes pensées voltigeaient avec une légèreté égale à celle de l'atmosphère ; les passions vulgaires, telles que la haine et l'amour profane, m'apparaissaient maintenant aussi éloignées que les nuées qui défilaient au fond des abîmes sous mes pieds ; mon âme me semblait aussi vaste et aussi pure que la coupole du ciel dont j'étais enveloppé ; le souvenir des choses terrestres n'arrivait à mon cœur qu'affaibli et diminué, comme le son de la clochette des bestiaux imperceptibles qui paissaient ****, bien ****, sur le versant d'une autre montagne. Sur le petit lac immobile, noir de son immense profondeur, passait quelquefois l'ombre d'un nuage, comme le reflet du manteau d'un géant aérien volant à travers le ciel. Et je me souviens que cette sensation solennelle et rare, causée par un grand mouvement parfaitement silencieux, me remplissait d'une joie mêlée de peur. Bref, je me sentais, grâce à l'enthousiasmante beauté dont j'étais environné, en parfaite paix avec moi-même et avec l'univers ; je crois même que, dans ma parfaite béatitude et dans mon total oubli de tout le mal terrestre, j'en étais venu à ne plus trouver si ridicules les journaux qui prétendent que l'homme est né bon ; - quand la matière incurable renouvelant ses exigences, je songeai à réparer la fatigue et à soulager l'appétit causés par une si longue ascension. Je tirai de ma poche un gros morceau de pain, une tasse de cuir et un flacon d'un certain élixir que les pharmaciens vendaient dans ce temps-là aux touristes pour le mêler dans l'occasion avec de l'eau de neige.

Je découpais tranquillement mon pain, quand un bruit très-léger me fit lever les yeux. Devant moi se tenait un petit être déguenillé, noir, ébouriffé, dont les yeux creux, farouches et comme suppliants, dévoraient le morceau de pain. Et je l'entendis soupirer, d'une voix basse et rauque, le mot : gâteau ! Je ne pus m'empêcher de rire en entendant l'appellation dont il voulait bien honorer mon pain presque blanc, et j'en coupai pour lui une belle tranche que je lui offris. Lentement il se rapprocha, ne quittant pas des yeux l'objet de sa convoitise ; puis, happant le morceau avec sa main, se recula vivement, comme s'il eût craint que mon offre ne fût pas sincère ou que je m'en repentisse déjà.

Mais au même instant il fut culbuté par un autre petit sauvage, sorti je ne sais d'où, et si parfaitement semblable au premier qu'on aurait pu le prendre pour son frère jumeau. Ensemble ils roulèrent sur le sol, se disputant la précieuse proie, aucun n'en voulant sans doute sacrifier la moitié pour son frère. Le premier, exaspéré, empoigna le second par les cheveux ; celui-ci lui saisit l'oreille avec les dents, et en cracha un petit morceau sanglant avec un superbe juron patois. Le légitime propriétaire du gâteau essaya d'enfoncer ses petites griffes dans les yeux de l'usurpateur ; à son tour celui-ci appliqua toutes ses forces à étrangler son adversaire d'une main, pendant que de l'autre il tâchait de glisser dans sa poche le prix du combat. Mais, ravivé par le désespoir, le vaincu se redressa et fit rouler le vainqueur par terre d'un coup de tête dans l'estomac. À quoi bon décrire une lutte hideuse qui dura en vérité plus longtemps que leurs forces enfantines ne semblaient le promettre ? Le gâteau voyageait de main en main et changeait de poche à chaque instant ; mais, hélas ! il changeait aussi de volume ; et lorsque enfin, exténués, haletants, sanglants, ils s'arrêtèrent par impossibilité de continuer, il n'y avait plus, à vrai dire, aucun sujet de bataille ; le morceau de pain avait disparu, et il était éparpillé en miettes semblables aux grains de sable auxquels il était mêlé.

Ce spectacle m'avait embrumé le paysage, et la joie calme où s'ébaudissait mon âme avant d'avoir vu ces petits hommes avait totalement disparu ; j'en restai triste assez longtemps, me répétant sans cesse : « Il y a donc un pays superbe où le pain s'appelle du gâteau, friandise si rare qu'elle suffit pour engendrer une guerre parfaitement fratricide ! »
Muse méduse, vierge et tremblante séductrice
Tu m'as demandé de te conter fleurette
Avec des mots fleuris
Avec des mots obscènes
Une fois qu'on serait intimes
Des mots cochons
Des mots sales, crus, cuits et recuits
Des mots tabous, interdits
Indécents et lubriques
Et je t'ai demandé de me fournir un échantillon
Et tu m'as dit que tu n'en possédais aucun.

J'ai cherché en vain un mot qui pourrait te plaire à entendre,
Ma chérie miel
Et aussi bien me plaire à te murmurer à l'oreille
En plein badinage et tripotage
Quelque chose qui véhicule l'idée de muse
Et dans allumeuse il y a muse
Mais allumeuse n 'est pas cochon
J 'ai pensé à fille de joie, fille de vie, traînée, souillon,
Ma cochonne, ma gueuse
Obscènes d'un tout autre âge
Et c'est alors que j'ai entrevu un instant
De te chuchoter catin à l'oreille.
Catin ça fait penser à câlin c'est un avantage
Mais ça fait aussi penser à salope et ça je n 'ai pas trouvé très élégant,
Même quitte à ajouter merveilleuse juste devant,
Ni putain ni **** d'ailleurs, même avec magnifique ou tendre,
Je suis donc revenu en catimini à catin.
Catin de katharina la parfaite, de katharos, pur en grec
Catin de Catherine le diminutif
Ma petite muse catin à moi, ma poupée dévote orthodoxe
Et perverse juste à point comme j'aime
Catin precieuse comme Manon Lescaut, soprano
Et j 'ai laissé le mot tabou macérer dans ma bouche vile quatre jours et quart.
Un jour peut-être j'aurai l 'envie et le courage de te le dire en plein déluge.
Peut-être dans une autre langue.
En anglais par exemple strumpet, trollop, bawd
En portugais meretriz
En roumain cocota
En allemand wanderhure
Tu m'appelleras alors fripon, chevalier des Grieux, ténor,
Tu me demanderas alors de te chanter des chansons cochonnes
Sur des airs de Massenet ou de Puccini
Des chansons à boire, polissonnes
Que je te chanterai à tue-tête pendant l'acte.
Tu voudras me cravacher avec une plume de paon
Pendant que tu me monteras
Ou joueras à l'infirmière
On fera l'amour sur les bancs publics
Discrètement et sûrement
Et tu ne porteras pas ta petite culotte bleue
Imprimée de rares papillons morpho
On échangera nos fantasmes
Comme quand petits on échangeait nos images ou nos billes
Tout ce que nous n'avons jamais fait
Tout ce que nous rêvons de faire ensemble
On parlera de se baîllonner, de s'entraver, de s'attacher
de se mettre un bandeau sur les yeux
On improvisera
Tu seras Poppy la cosmonaute
Et moi E.T. le martien.
Tu seras Apollo VIII
Et moi Cap Canaveral
Obscènes et heureux
Complices
Nus et sincères et amoureux
Dans un voyage intersidéral d'aller-retours
Entre la Terre et la Lune
Saturne et ses lunes
En apesanteur
Pour deux éternités.
C'était grande assemblée des Fées, pour procéder à la répartition des dons parmi tous les nouveau-nés, arrivés à la vie depuis vingt-quatre heures.

Toutes ces antiques et capricieuses Sœurs du Destin, toutes ces Mères bizarres de la joie et de la douleur, étaient fort diverses : les unes avaient l'air sombre et rechigné, les autres, un air folâtre et malin ; les unes, jeunes, qui avaient toujours été jeunes ; les autres, vieilles, qui avaient toujours été vieilles.

Tous les pères qui ont foi dans les Fées étaient venus, chacun apportant son nouveau-né dans ses bras.

Les Dons, les Facultés, les bons Hasards, les Circonstances invincibles, étaient accumulés à côté du tribunal, comme les prix sur l'estrade, dans une distribution de prix. Ce qu'il y avait ici de particulier, c'est que les Dons n'étaient pas la récompense d'un effort, mais tout au contraire une grâce accordée à celui qui n'avait pas encore vécu, une grâce pouvant déterminer sa destinée et devenir aussi bien la source de son malheur que de son bonheur.

Les pauvres Fées étaient très-affairées ; car la foule des solliciteurs était grande, et le monde intermédiaire, placé entre l'homme et Dieu, est soumis comme nous à la terrible loi du Temps et de son infinie postérité, les Jours, les Heures, les Minutes, les Secondes.

En vérité, elles étaient aussi ahuries que des ministres un jour d'audience, ou des employés du Mont-de-Piété quand une fête nationale autorise les dégagements gratuits. Je crois même qu'elles regardaient de temps à autre l'aiguille de l'horloge avec autant d'impatience que des juges humains qui, siégeant depuis le matin, ne peuvent s'empêcher de rêver au dîner, à la famille et à leurs chères pantoufles. Si, dans la justice surnaturelle, il y a un peu de précipitation et de hasard, ne nous étonnons pas qu'il en soit de même quelquefois dans la justice humaine. Nous serions nous-mêmes, en ce cas, des juges injustes.

Aussi furent commises ce jour-là quelques bourdes qu'on pourrait considérer comme bizarres, si la prudence, plutôt que le caprice, était le caractère distinctif, éternel des Fées.

Ainsi la puissance d'attirer magnétiquement la fortune fut adjugée à l'héritier unique d'une famille très-riche, qui, n'étant doué d'aucun sens de charité, non plus que d'aucune convoitise pour les biens les plus visibles de la vie, devait se trouver plus **** prodigieusement embarrassé de ses millions.

Ainsi furent donnés l'amour du Beau et la Puissance poétique au fils d'un sombre gueux, carrier de son état, qui ne pouvait, en aucune façon, aider les facultés, ni soulager les besoins de sa déplorable progéniture.

J'ai oublié de vous dire que la distribution, en ces cas solennels, est sans appel, et qu'aucun don ne peut être refusé.

Toutes les Fées se levaient, croyant leur corvée accomplie ; car il ne restait plus aucun cadeau, aucune largesse à jeter à tout ce fretin humain, quand un brave homme, un pauvre petit commerçant, je crois, se leva, et empoignant par sa robe de vapeurs multicolores la Fée qui était le plus à sa portée, s'écria :

« Eh ! madame ! vous nous oubliez ! Il y a encore mon petit ! Je ne veux pas être venu pour rien. »

La Fée pouvait être embarrassée ; car il ne restait plus rien. Cependant elle se souvint à temps d'une loi bien connue, quoique rarement appliquée, dans le monde surnaturel, habité par ces déités impalpables, amies de l'homme, et souvent contraintes de s'adapter à ses passions, telles que les Fées, les Gnomes, les Salamandres, les Sylphides, les Sylphes, les Nixes, les Ondins et les Ondines, - je veux parler de la loi qui concède aux Fées, dans un cas semblable à celui-ci, c'est-à-dire le cas d'épuisement des lots, la faculté d'en donner encore un, supplémentaire et exceptionnel, pourvu toutefois qu'elle ait l'imagination suffisante pour le créer immédiatement.

Donc la bonne Fée répondit, avec un aplomb digne de son rang : « Je donne à ton fils... je lui donne... le Don de plaire ! »

« Mais plaire comment ? plaire... ? plaire pourquoi ? » demanda opiniâtrément le petit boutiquier, qui était sans doute un de ces raisonneurs si communs, incapable de s'élever jusqu'à la logique de l'Absurde.

« Parce que ! parce que ! » répliqua la Fée courroucée, en lui tournant le dos ; et rejoignant le cortège de ses compagnes, elle leur disait : « Comment trouvez-vous ce petit Français vaniteux, qui veut tout comprendre, et qui ayant obtenu pour son fils le meilleur des lots, ose encore interroger et discuter l'indiscutable ? »
ALEXANDRE STARK Jan 2014
Il y a des personne qui pour un court instant, comme un petit papillon de Madagascar,
peuvent vous sourie et satisfaire avec une innocence bienveillante si naturelle qu’on ne
trouve dans aucun endroit ou presque :
hammam de luxe !

Il y a des temples enfouis si inouïe qui illumine ma galaxie et te demande, pour guide.…
Oh, steppes arides Mexicaines, mes séculaires puits désert, mes horizons abandonné prés d’
Himalaya qui cherche routard et vie avec.
Huile brulés et larmes séché, enfance volé, démon si prés ne te demande rien : que guide.

Il y à toujours pour nous, les doigts d’une main dans une caresse sublime, parce que tes
bras, courre devant moi, :

Ne t’arête pas, car ton sourire éclate le jade dans blanc si minérale, parfum dans vert
sapin, j’irrigue ainsi et je cultive.Je donne la vie pour que tout ça, anime esprit, Himalaya, donne confiance dans mon éveille,voyage sans fin et vagabonde, les haut plateaux du thé :
« Marquise du haut : regard tout bas ! »

Suis ce fou errant, pour avant ce sale gamin à qui personne dessine :
Ton danse présent pollen mon sens et dans ma voix, je cour couleur de pluie sur ciel pour toi,
libérer mes ailles, un jour pour soie si fine, que tu vêtis dans robe hammam ,
dans Innocence marré Mexique qui Guides ce vol -Vien dans le mien, illumines !

                                                                                                                           ALEXANDRE STARK
solenn fresnay May 2012
Alors pourquoi juste maintenant?
C’était une nuit sur Bagneux
Nous étions mercredi soir à la station Montparnasse-Bienvenüe
Je portais ces mêmes vêtements noirs et ma veste grise achetée en Italie
Il ne faisait pas trop froid
Je rentrais chez moi, vingt heures
Mon regard croisa celui d'une jeune femme d'à peu près mon âge
Jolie, mince et calme, le visage d'opale et les deux pieds bien posés au sol
Avec insistance je la regardais
Elle me faisait tellement penser à celle que je n’arrive pas à être
Fixant le quai d'en face
Le métro était censé arriver dans une minute
Quand soudain
La tête me tourna
Je ne contrôlais plus aucun de mes mouvements
Je me suis approchée du mur, m’y suis appuyée tant bien que mal juste pour ne pas tomber
Et là, je ne sais pas très bien pourquoi
Mais la jeune femme que je ne cessais de regarder sauta sous la rame.

L’insupportable bruit
L’électricité
Le corps en mille morceaux
Les gens qui hurlent
Le métro qui s'arrête juste devant cet embrasement
Pourtant moi
Moi
Je ne disais rien
Je m'accrochais tant que je pouvais au mur
J'avais si peur de glisser à mon tour

Pourquoi elle
Elle était si jolie, si fine et si calme
Aucune rature sur son visage d'opale
Rien
Tandis que moi...
Ce n’était qu’une autre nuit sur Bagneux.
Listen to this poem here:
http://soundcloud.com/solennfresnay/die-gosse-1
Samuel Lombardo Oct 2014
In my sleep, my mind is wondering
when I am awake my mind is wandering.
All I can see is confusion-
have no idea where the trouble started.
Simply, I bare the immeasurable pain-
the pain that makes tears.
The love for a friend is no way
the same as my girlfriend.
All because my speaking voice
confused that troubled mind,
I have to deal with the consequences.
or is it just the excuse to escape
the legacy of another world
where life is not the same?
Could it be that we both thought
different thoughts-
only one can only hope.
See, I was in no way "in love"
I was loved- or as I thought;
then suddenly, there were colors
on this painting that were hiding
the sunshine views of such happiness
when I suddenly realized
I was not the one with the troubled mind.


[Translation]

Troubled Mind

Dans mon sommeil, mon esprit se demande
quand je suis éveillé mon esprit est errant.
Tout ce que je peux voir est confusion-
avoir aucune idée d'où les problèmes ont commencé.
Simplement, je nu les dou- incommensurable
la douleur qui fait larmes.
L'amour pour un ami a aucun moyen
le même que ma petite amie.
Tout cela parce que ma voix parlée
confus que l'esprit troublé,
Je dois faire face aux conséquences.
ou est-ce juste une excuse pour échapper
l'héritage d'un autre monde
où la vie est pas le même?
Serait-ce que nous avons tous deux la pensée
thoughts- différent
seulement on ne peut qu'espérer.
Vous voyez, je suis en aucun cas «en amour»
Je suis loved- ou que je pensais;
puis tout à coup, il y avait des couleurs
sur ce tableau qui se cachaient
les vues de soleil de ce bonheur
quand je me suis soudain rendu compte
Je ne suis pas celui qui a l'esprit troublé.
#Never #Think #Wildly #Without #Clarification
I have a very weird, insurmountable, yet, exasperating writing style that not all will always understand without questions.
Que devant les coquins l'honnête homme soupire ;
Que l'histoire soit laide et plate ; que l'empire
Boîte avec Talleyrand ou louche avec Parieu ;
Qu'un tour d'escroc bien fait ait nom grâce de Dieu ;
Que le pape en massue ait changé sa houlette ;
Qu'on voie au Champ de Mars piaffer sous l'épaulette
Le Meurtre général, le Vol aide de camp ;
Que hors de l'Elysée un prince débusquant,
Qu'un flibustier quittant l'île de la Tortue,
Assassine, extermine, égorge, pille et tue ;
Que les bonzes chrétiens, cognant sur leur tam-tam
Hurlent devant Soufflard : Attollite portam !
Que pour claqueurs le crime ait cent journaux infâmes,
Ceux qu'à la maison d'or, sur les genoux des femmes,
Griffonnent les Romieux, le verre en main, et ceux
Que saint-Ignace inspire à des gredins crasseux ;
Qu'en ces vils tribunaux, où le regard se heurte
De Moreau de la Seine à Moreau de la Meurthe,
La justice ait reçu d'horribles horions ;
Que, sur un lit de camp, par des centurions
La loi soit violée et râle à l'agonie ;
Que cet être choisi, créé par Dieu génie,
L'homme, adore à genoux le loup fait empereur ;
Qu'en un éclat de rire abrégé par l'horreur,
Tout ce que nous voyons aujourd'hui se résume ;
Qu'Hautpoul vende son sabre et Cucheval sa plume ;
Que tous les grands bandits, en petit copiés,
Revivent ; qu'on emplisse un sénat de plats-pieds
Dont la servilité négresse et mamelouque
Eût révolté Mahmoud et lasserait Soulouque ;
Que l'or soit le seul culte, et qu'en ce temps vénal,
Coffre-fort étant Dieu, Gousset soit cardinal ;
Que la vieille Thémis ne soit plus qu'une gouine
Baisant Mandrin dans l'antre où Mongis baragouine ;
Que Montalembert bave accoudé sur l'autel ;
Que Veuillot sur Sibour crève sa poche au fiel ;
Qu'on voie aux bals de cour s'étaler des guenipes
Qui le long des trottoirs traînaient hier leurs nippes,
Beautés de lansquenet avec un profil grec ;
Que Haynau dans Brescia soit pire que Lautrec ;
Que partout, des Sept-Tours aux colonnes d'Hercule,
Napoléon, le poing sur la hanche, recule,
Car l'aigle est vieux, Essling grisonne, Marengo
À la goutte, Austerlitz est pris d'un lombago ;
Que le czar russe ait peur tout autant que le nôtre ;
Que l'ours noir et l'ours blanc tremblent l'un devant l'autre ;
Qu'avec son grand panache et sur son grand cheval
Rayonne Saint-Arnaud, ci-devant Florival,
Fort dans la pantomime et les combats à l'hache ;
Que Sodome se montre et que Paris se cache ;
Qu'Escobar et Houdin vendent le même onguent ;
Que grâce à tous ces gueux qu'on touche avec le gant,
Tout dorés au dehors, au dedans noirs de lèpres,
Courant les bals, courant les jeux, allant à vêpres,
Grâce à ces bateleurs mêlés aux scélérats,
La Saint-Barthélemy s'achève en mardi gras ;
Ô nature profonde et calme, que t'importe !
Nature, Isis voilée assise à notre porte,
Impénétrable aïeule aux regards attendris,
Vieille comme Cybèle et fraîche comme Iris,
Ce qu'on fait ici-bas s'en va devant ta face ;
À ton rayonnement toute laideur s'efface ;
Tu ne t'informes pas quel drôle ou quel tyran
Est fait premier chanoine à Saint-Jean-de-Latran ;
Décembre, les soldats ivres, les lois faussées,
Les cadavres mêlés aux bouteilles cassées,
Ne te font rien ; tu suis ton flux et ton reflux.
Quand l'homme des faubourgs s'endort et ne sait plus
Bourrer dans un fusil des balles de calibre ;
Quand le peuple français n'est plus le peuple libre ;
Quand mon esprit, fidèle au but qu'il se fixa,
Sur cette léthargie applique un vers moxa,
Toi, tu rêves ; souvent du fond des geôles sombres,
Sort, comme d'un enfer, le murmure des ombres
Que Baroche et Rouher gardent sous les barreaux,
Car ce tas de laquais est un tas de bourreaux ;
Etant les cœurs de boue, ils sont les cœurs de roche ;
Ma strophe alors se dresse, et, pour cingler Baroche,
Se taille un fouet sanglant dans Rouher écorché ;
Toi, tu ne t'émeus point ; flot sans cesse épanché,
La vie indifférente emplit toujours tes urnes ;
Tu laisses s'élever des attentats nocturnes,
Des crimes, des fureurs, de Rome mise en croix,
De Paris mis aux fers, des guets-apens des rois,
Des pièges, des serments, des toiles d'araignées,
L'orageuse clameur des âmes indignées ;
Dans ce calme où toujours tu te réfugias,
Tu laisses le fumier croupir chez Augias,
Et renaître un passé dont nous nous affranchîmes,
Et le sang rajeunir les abus cacochymes,
La France en deuil jeter son suprême soupir,
Les prostitutions chanter, et se tapir
Les lâches dans leurs trous, la taupe en ses cachettes,
Et gronder les lions, et rugir les poètes !
Ce n'est pas ton affaire à toi de t'irriter.
Tu verrais, sans frémir et sans te révolter,
Sur tes fleurs, sous tes pins, tes ifs et tes érables,
Errer le plus coquin de tous ces misérables.
Quand Troplong, le matin, ouvre un œil chassieux,
Vénus, splendeur sereine éblouissant les cieux,
Vénus, qui devrait fuir courroucée et hagarde,
N'a pas l'air de savoir que Troplong la regarde !
Tu laisserais cueillir une rose à Dupin !
Tandis que, de velours recouvrant le sapin,
L'escarpe couronné que l'Europe surveille,
Trône et guette, et qu'il a, lui parlant à l'oreille,
D'un côté Loyola, de l'autre Trestaillon,
Ton doigt au blé dans l'ombre entrouvre le sillon.
Pendant que l'horreur sort des sénats, des conclaves,
Que les États-Unis ont des marchés d'esclaves
Comme en eut Rome avant que Jésus-Christ passât,
Que l'américain libre à l'africain forçat
Met un bât, et qu'on vend des hommes pour des piastres,
Toi, tu gonfles la mer, tu fais lever les astres,
Tu courbes l'arc-en-ciel, tu remplis les buissons
D'essaims, l'air de parfums et les nids de chansons,
Tu fais dans le bois vert la toilette des roses,
Et tu fais concourir, **** des hommes moroses,
Pour des prix inconnus par les anges cueillis,
La candeur de la vierge et la blancheur du lys.
Et quand, tordant ses mains devant les turpitudes,
Le penseur douloureux fuit dans tes solitudes,
Tu lui dis : Viens ! c'est moi ! moi que rien ne corrompt !
Je t'aime ! et tu répands dans l'ombre, sur son front
Où de l'artère ardente il sent battre les ondes,
L'âcre fraîcheur de l'herbe et des feuilles profondes !
Par moments, à te voir, parmi les trahisons,
Mener paisiblement tes mois et tes saisons,
À te voir impassible et froide, quoi qu'on fasse,
Pour qui ne creuse point plus bas que la surface,
Tu sembles bien glacée, et l'on s'étonne un peu.
Quand les proscrits, martyrs du peuple, élus de Dieu,
Stoïques, dans la mort se couchent sans se plaindre,
Tu n'as l'air de songer qu'à dorer et qu'à peindre
L'aile du scarabée errant sur leurs tombeaux.
Les rois font les gibets, toi, tu fais les corbeaux.
Tu mets le même ciel sur le juste et l'injuste.
Occupée à la mouche, à la pierre, à l'arbuste,
Aux mouvements confus du vil monde animal,
Tu parais ignorer le bien comme le mal ;
Tu laisses l'homme en proie à sa misère aiguë.
Que t'importe Socrate ! et tu fais la ciguë.
Tu créas le besoin, l'instinct et l'appétit ;
Le fort mange le faible et le grand le petit,
L'ours déjeune du rat, l'autour de la colombe,
Qu'importe ! allez, naissez, fourmillez pour la tombe,
Multitudes ! vivez, tuez, faites l'amour,
Croissez ! le pré verdit, la nuit succède au jour,
L'âne brait, le cheval hennit, le taureau beugle.
Ô figure terrible, on te croirait aveugle !
Le bon et le mauvais se mêlent sous tes pas.
Dans cet immense oubli, tu ne vois même pas
Ces deux géants lointains penchés sur ton abîme,
Satan, père du mal, Caïn, père du crime !

Erreur ! erreur ! erreur ! ô géante aux cent yeux,
Tu fais un grand labeur, saint et mystérieux !
Oh ! qu'un autre que moi te blasphème, ô nature
Tandis que notre chaîne étreint notre ceinture,
Et que l'obscurité s'étend de toutes parts,
Les principes cachés, les éléments épars,
Le fleuve, le volcan à la bouche écarlate,
Le gaz qui se condense et l'air qui se dilate,
Les fluides, l'éther, le germe sourd et lent,
Sont autant d'ouvriers dans l'ombre travaillant ;
Ouvriers sans sommeil, sans fatigue, sans nombre.
Tu viens dans cette nuit, libératrice sombre !
Tout travaille, l'aimant, le bitume, le fer,
Le charbon ; pour changer en éden notre enfer,
Les forces à ta voix sortent du fond des gouffres.

Tu murmures tout bas : - Race d'Adam qui souffres,
Hommes, forçats pensants au vieux monde attachés,
Chacune de mes lois vous délivre. Cherchez ! -
Et chaque jour surgit une clarté nouvelle,
Et le penseur épie et le hasard révèle ;
Toujours le vent sema, le calcul récolta.
Ici Fulton, ici Galvani, là Volta,
Sur tes secrets profonds que chaque instant nous livre,
Rêvent ; l'homme ébloui déchiffre enfin ton livre.

D'heure en heure on découvre un peu plus d'horizon
Comme un coup de bélier au mur d'une prison,
Du genre humain qui fouille et qui creuse et qui sonde,
Chaque tâtonnement fait tressaillir le monde.
L'***** des nations s'accomplit. Passions,
Intérêts, mœurs et lois, les révolutions
Par qui le cœur humain germe et change de formes,
Paris, Londres, New-York, les continents énormes,
Ont pour lien un fil qui tremble au fond des mers.
Une force inconnue, empruntée aux éclairs,
Mêle au courant des flots le courant des idées.
La science, gonflant ses ondes débordées,
Submerge trône et sceptre, idole et potentat.
Tout va, pense, se meut, s'accroît. L'aérostat
Passe, et du haut des cieux ensemence les hommes.
Chanaan apparaît ; le voilà, nous y sommes !
L'amour succède aux pleurs et l'eau vive à la mort,
Et la bouche qui chante à la bouche qui mord.
La science, pareille aux antiques pontifes,
Attelle aux chars tonnants d'effrayants hippogriffes
Le feu souffle aux naseaux de la bête d'airain.
Le globe esclave cède à l'esprit souverain.
Partout où la terreur régnait, où marchait l'homme,
Triste et plus accablé que la bête de somme,
Traînant ses fers sanglants que l'erreur a forgés,
Partout où les carcans sortaient des préjugés,
Partout où les césars, posant le pied sur l'âme,
Etouffaient la clarté, la pensée et la flamme,
Partout où le mal sombre, étendant son réseau,
Faisait ramper le ver, tu fais naître l'oiseau !
Par degrés, lentement, on voit sous ton haleine
La liberté sortir de l'herbe de la plaine,
Des pierres du chemin, des branches des forêts,
Rayonner, convertir la science en décrets,
Du vieil univers mort briser la carapace,
Emplir le feu qui luit, l'eau qui bout, l'air qui passe,
Gronder dans le tonnerre, errer dans les torrents,
Vivre ! et tu rends le monde impossible aux tyrans !
La matière, aujourd'hui vivante, jadis morte,
Hier écrasait l'homme et maintenant l'emporte.

Le bien germe à toute heure et la joie en tout lieu.
Oh ! sois fière en ton cœur, toi qui, sous l'œil de Dieu,
Nous prodigues les dons que ton mystère épanche,
Toi qui regardes, comme une mère se penche
Pour voir naître l'enfant que son ventre a porté,
De ton flanc éternel sortir l'humanité !

Vie ! idée ! avenir bouillonnant dans les têtes !
Le progrès, reliant entre elles ses conquêtes,
Gagne un point après l'autre, et court contagieux.
De cet obscur amas de faits prodigieux
Qu'aucun regard n'embrasse et qu'aucun mot ne nomme,
Tu nais plus frissonnant que l'aigle, esprit de l'homme,
Refaisant mœurs, cités, codes, religion.
Le passé n'est que l'oeuf d'où tu sors, Légion !

Ô nature ! c'est là ta genèse sublime.
Oh ! l'éblouissement nous prend sur cette cime !
Le monde, réclamant l'essor que Dieu lui doit,
Vibre, et dès à présent, grave, attentif, le doigt
Sur la bouche, incliné sur les choses futures,
Sur la création et sur les créatures,
Une vague lueur dans son œil éclatant,
Le voyant, le savant, le philosophe entend
Dans l'avenir, déjà vivant sous ses prunelles,
La palpitation de ces millions d'ailes !

Jersey, le 23 mai 1853.
Ma mère, quel beau jour ! tout brille, tout rayonne.
Dans les airs, l'oiseau chante et l'insecte bourdonne ;
Les ruisseaux argentés roulent sur les cailloux,
Les fleurs donnent au ciel leur parfum le plus doux.
Le lis s'est entr'ouvert ; la goutte de rosée,
Sur les feuilles des bois par la nuit déposée,
S'enfuyant à l'aspect du soleil et du jour,
Chancelle et tombe enfin comme des pleurs d'amour.
Les fils blancs et légers de la vierge Marie,
Comme un voile d'argent, volent sur la prairie :
Frêle tissu, pour qui mon souffle est l'aquilon,
Et que brise en passant l'aile d'un papillon.
Sous le poids de ses fruits le grenadier se penche,
Dans l'air, un chant d'oiseau nous vient de chaque branche ;
Jusqu'au soir, dans les cieux, le soleil brillera :
Ce jour est un beau jour !... Oh ! bien sûr, il viendra !

Il viendra... mais pourquoi ?... Sait-il donc que je l'aime ?
Sait-il que je l'attends, que chaque jour de même,
- Que ce jour soit celui d'hier ou d'aujourd'hui -
J'espère sa présence et ne songe qu'à lui ?
Oh ! non ! il ne sait rien. Qu'aurait-il pu comprendre !...
Les battements du cœur se laissent-ils entendre ?
Les yeux qu'on tient baissés, ont-ils donc un regard ?
Un sourire, dit-il qu'on doit pleurer plus **** ?

Que sait-on des pensers cachés au fond de l'âme !
La douleur qu'on chérit, le bonneur que l'on blâme ,
Au bal, qui les trahit ?... Des fleurs sont sur mon front,
À tout regard joyeux mon sourire répond ;
Je passe auprès de lui sans détourner la tête,
Sans ralentir mes pas.... et mon cœur seul s'arrête.
Mais qui peut voir le cœur ? qu'il soit amour ou fiel,
C'est un livre fermé, qui ne s'ouvre qu'au ciel !

Une fleur est perdue, au ****, dans la prairie,
Mais son parfum trahit sa présence et sa vie ;
L'herbe cache une source, et le chêne un roseau,
Mais la fraîcheur des bois révèle le ruisseau ;
Le long balancement d'un flexible feuillage
Nous dit bien s'il reçoit ou la brise ou l'orage ;
Le feu qu'ont étouffé des cendres sans couleur,
Se cachant à nos yeux, se sent par la chaleur ;
Pour revoir le soleil quand s'enfuit l'hirondelle,
Le pays qu'elle ignore est deviné par elle :
Tout se laisse trahir par l'odeur ou le son,
Tout se laisse entrevoir par l'ombre ou le rayon,
Et moi seule, ici-bas, dans la foule perdue,
J'ai passé près de lui sans qu'il m'ait entendue...
Mon amour est sans voix, sans parfum, sans couleur,
Et nul pressentiment n'a fait battre son cœur !

Ma mère, c'en est fait ! Le jour devient plus sombre ;
Aucun bruit, aucun pas, du soir ne trouble l'ombre.

Adieux à vous ! - à vous, ingrat sans le savoir !
Vous, coupable des pleurs que vous ne pouvez voir !
Pour la dernière fois, mon Ame déchirée
Rêva votre présence, hélas! tant désirée...  
Plus jamais je n'attends. L'amour et l'abandon,
Du cœur que vous brisez les pleurs et le pardon,
Vous ignorerez tout !... Ainsi pour nous, un ange.
Invisible gardien, dans ce monde où tout change.
S'attache à notre vie et vole à nos côtés ;
Sous son voile divin nous sommes abrités,
Et jamais, cependant, on ne voit l'aile blanche
Qui, sur nos fronts baissés, ou s'entrouvre ou se penche.

Dans les salons, au bal, sans cesse, chaque soir,
En dansant près de vous, il me faudra vous voir ;
Et cependant, adieu... comme à mon premier rêve !
Tous deux, à votre insu, dans ce jour qui s'achève,
Nous nous serons quittés ! - Adieu, soyez heureux !...
Ma prière, pour vous, montera vers les Cieux :
Je leur demanderai qu'éloignant les orages,
Ils dirigent vos pas vers de riants rivages,
Que la brise jamais, devenant aquilon,
D'un nuage pour vous ne voile l'horizon ;
Que l'heure à votre gré semble rapide ou lente ;
Lorsque vous écoutez, que toujours l'oiseau chante ;
Lorsque vous regardez, que tout charme vos yeux,
Que le buisson soit vert, le soleil radieux ;
Que celle qui sera de votre cœur aimée,
Pour vous, d'un saint amour soit toujours animée !...
- Si parfois, étonné d'un aussi long bonheur,
Vous demandez à Dieu : « Mais pourquoi donc, Seigneur ? »
Il répondra peut-être : « Un cœur pour toi me prie...
Et sa part de bonheur, il la donne à ta vie ! »
solenn fresnay Jul 2012
Je n’arrive pas à écrire ce soir
J’arrive juste à boire
Mais pas assez pour m’enivrer
A croire que l’on veut à tout prix me sauver. M’empêcher de crever toute verte.
Juste : triste
Comme d’habitude
Comme tous les jours
Juste : conne
Je ne veux pas de demain, d’aucun autre lendemain
Je m’en fous que tu ne m’aimes pas
Et arrête de me tutoyer foutu connard à la bite trop courte !
Je veux juste être publiée de mon vivant
Et
Un
Enfant
Aussi.



Je ne suis qu’un ange qui hurle
Un ange noir au cri purulent



J’espère que demain le ciel sera bleu
Bleu et plat.
Les champs n'étaient point noirs, les cieux n'étaient pas mornes.
Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes
Sur la terre étendu,
L'air était plein d'encens et les prés de verdures
Quand il revit ces lieux où par tant de blessures
Son cœur s'est répandu !

L'automne souriait ; les coteaux vers la plaine
Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine ;
Le ciel était doré ;
Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme,
Disant peut-être à Dieu quelque chose de l'homme,
Chantaient leur chant sacré !

Il voulut tout revoir, l'étang près de la source,
La masure où l'aumône avait vidé leur bourse,
Le vieux frêne plié,
Les retraites d'amour au fond des bois perdues,
L'arbre où dans les baisers leurs âmes confondues
Avaient tout oublié !

Il chercha le jardin, la maison isolée,
La grille d'où l'œil plonge en une oblique allée,
Les vergers en talus.
Pâle, il marchait. - Au bruit de son pas grave et sombre,
Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l'ombre
Des jours qui ne sont plus !

Il entendait frémir dans la forêt qu'il aime
Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même,
Y réveille l'amour,
Et, remuant le chêne ou balançant la rose,
Semble l'âme de tout qui va sur chaque chose
Se poser tour à tour !

Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire,
S'efforçant sous ses pas de s'élever de terre,
Couraient dans le jardin ;
Ainsi, parfois, quand l'âme est triste, nos pensées
S'envolent un moment sur leurs ailes blessées,
Puis retombent soudain.

Il contempla longtemps les formes magnifiques
Que la nature prend dans les champs pacifiques ;
Il rêva jusqu'au soir ;
Tout le jour il erra le long de la ravine,
Admirant tour à tour le ciel, face divine,
Le lac, divin miroir !

Hélas ! se rappelant ses douces aventures,
Regardant, sans entrer, par-dessus les clôtures,
Ainsi qu'un paria,
Il erra tout le jour. Vers l'heure où la nuit tombe,
Il se sentit le cœur triste comme une tombe,
Alors il s'écria :

« Ô douleur ! j'ai voulu, moi dont l'âme est troublée,
Savoir si l'urne encor conservait la liqueur,
Et voir ce qu'avait fait cette heureuse vallée
De tout ce que j'avais laissé là de mon cœur !

« Que peu de temps suffit pour changer toutes choses !
Nature au front serein, comme vous oubliez !
Et comme vous brisez dans vos métamorphoses
Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés !

« Nos chambres de feuillage en halliers sont changées !
L'arbre où fut notre chiffre est mort ou renversé ;
Nos roses dans l'enclos ont été ravagées
Par les petits enfants qui sautent le fossé !

« Un mur clôt la fontaine où, par l'heure échauffée,
Folâtre, elle buvait en descendant des bois ;
Elle prenait de l'eau dans sa main, douce fée,
Et laissait retomber des perles de ses doigts !

« On a pavé la route âpre et mal aplanie,
Où, dans le sable pur se dessinant si bien,
Et de sa petitesse étalant l'ironie,
Son pied charmant semblait rire à côté du mien !

« La borne du chemin, qui vit des jours sans nombre,
Où jadis pour m'attendre elle aimait à s'asseoir,
S'est usée en heurtant, lorsque la route est sombre,
Les grands chars gémissants qui reviennent le soir.

« La forêt ici manque et là s'est agrandie.
De tout ce qui fut nous presque rien n'est vivant ;
Et, comme un tas de cendre éteinte et refroidie,
L'amas des souvenirs se disperse à tout vent !

« N'existons-nous donc plus ? Avons-nous eu notre heure ?
Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus ?
L'air joue avec la branche au moment où je pleure ;
Ma maison me regarde et ne me connaît plus.

« D'autres vont maintenant passer où nous passâmes.
Nous y sommes venus, d'autres vont y venir ;
Et le songe qu'avaient ébauché nos deux âmes,
Ils le continueront sans pouvoir le finir !

« Car personne ici-bas ne termine et n'achève ;
Les pires des humains sont comme les meilleurs ;
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve.
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs.

« Oui, d'autres à leur tour viendront, couples sans tache,
Puiser dans cet asile heureux, calme, enchanté,
Tout ce que la nature à l'amour qui se cache
Mêle de rêverie et de solennité !

« D'autres auront nos champs, nos sentiers, nos retraites ;
Ton bois, ma bien-aimée, est à des inconnus.
D'autres femmes viendront, baigneuses indiscrètes,
Troubler le flot sacré qu'ont touché tes pieds nus !

« Quoi donc ! c'est vainement qu'ici nous nous aimâmes !
Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris
Où nous fondions notre être en y mêlant nos flammes !
L'impassible nature a déjà tout repris.

« Oh ! dites-moi, ravins, frais ruisseaux, treilles mûres,
Rameaux chargés de nids, grottes, forêts, buissons,
Est-ce que vous ferez pour d'autres vos murmures ?
Est-ce que vous direz à d'autres vos chansons ?

« Nous vous comprenions tant ! doux, attentifs, austères,
Tous nos échos s'ouvraient si bien à votre voix !
Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères,
L'oreille aux mots profonds que vous dites parfois !

« Répondez, vallon pur, répondez, solitude,
Ô nature abritée en ce désert si beau,
Lorsque nous dormirons tous deux dans l'attitude
Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau ;

« Est-ce que vous serez à ce point insensible
De nous savoir couchés, morts avec nos amours,
Et de continuer votre fête paisible,
Et de toujours sourire et de chanter toujours ?

« Est-ce que, nous sentant errer dans vos retraites,  
Fantômes reconnus par vos monts et vos bois,
Vous ne nous direz pas de ces choses secrètes
Qu'on dit en revoyant des amis d'autrefois ?

« Est-ce que vous pourriez, sans tristesse et sans plainte,
Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas,
Et la voir m'entraîner, dans une morne étreinte,
Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas ?

« Et s'il est quelque part, dans l'ombre où rien ne veille,
Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports,
Ne leur irez-vous pas murmurer à l'oreille :
- Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts !

« Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines,
Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds
Et les cieux azurés et les lacs et les plaines,
Pour y mettre nos cœurs, nos rêves, nos amours !

« Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme ;
Il plonge dans la nuit l'antre où nous rayonnons ;
Et dit à la vallée, où s'imprima notre âme,
D'effacer notre trace et d'oublier nos noms.

« Eh bien ! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages !
Herbe, use notre seuil ! ronce, cache nos pas !
Chantez, oiseaux ! ruisseaux, coulez ! croissez, feuillages !
Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.

« Car vous êtes pour nous l'ombre de l'amour même !
Vous êtes l'oasis qu'on rencontre en chemin !
Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême
Où nous avons pleuré nous tenant par la main !

« Toutes les passions s'éloignent avec l'âge,
L'une emportant son masque et l'autre son couteau,
Comme un essaim chantant d'histrions en voyage
Dont le groupe décroît derrière le coteau.

« Mais toi, rien ne t'efface, amour ! toi qui nous charmes,
Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard !
Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes ;
Jeune homme on te maudit, on t'adore vieillard.

« Dans ces jours où la tête au poids des ans s'incline,
Où l'homme, sans projets, sans but, sans visions,
Sent qu'il n'est déjà plus qu'une tombe en ruine
Où gisent ses vertus et ses illusions ;

« Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles,
Comptant dans notre cœur, qu'enfin la glace atteint,
Comme on compte les morts sur un champ de batailles,
Chaque douleur tombée et chaque songe éteint,

« Comme quelqu'un qui cherche en tenant une lampe,
**** des objets réels, **** du monde rieur,
Elle arrive à pas lents par une obscure rampe
Jusqu'au fond désolé du gouffre intérieur ;

« Et là, dans cette nuit qu'aucun rayon n'étoile,
L'âme, en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encor palpiter sous un voile...
C'est toi qui dors dans l'ombre, ô sacré souvenir ! »

Le 21 octobre 1837.
Enfants, beaux fronts naïfs penchés autour de moi,
Bouches aux dents d'émail disant toujours : Pourquoi ?
Vous qui, m'interrogeant sur plus d'un grand problème,
Voulez de chaque chose, obscure pour moi-même,
Connaître le vrai sens et le mot décisif,
Et qui touchez à tout dans mon esprit pensif ;
- Si bien que, vous partis, souvent je passe
Des heures, fort maussade, à remettre à leur place
Au fond de mon cerveau mes plans, mes visions,
Mes sujets éternels de méditations,
Dieu, l'homme, l'avenir, la raison, la démence,
Mes systèmes, tas sombre, échafaudage immense,
Dérangés tout à coup, sans tort de votre part,
Par une question d'enfant, faite au hasard ! -
Puisqu'enfin vous voilà sondant mes destinées,
Et que vous me parlez de mes jeunes années,
De mes premiers instincts, de mon premier espoir,
Écoutez, doux amis, qui voulez tout savoir !

J'eus dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère,
Trois maîtres : - un jardin, un vieux prêtre et ma mère.

Le jardin était grand, profond, mystérieux,
Fermé par de hauts murs aux regards curieux,
Semé de fleurs s'ouvrant ainsi que des paupières,
Et d'insectes vermeils qui couraient sur les pierres ;
Plein de bourdonnements et de confuses voix ;
Au milieu, presque un champ, dans le fond, presque un bois.
Le prêtre, tout nourri de Tacite et d'Homère,
Était un doux vieillard. Ma mère - était ma mère !

Ainsi je grandissais sous ce triple rayon.

Un jour... - Oh ! si Gautier me prêtait son crayon,
Je vous dessinerais d'un trait une figure
Qui chez ma mère un jour entra, fâcheux augure !
Un docteur au front pauvre, au maintien solennel,
Et je verrais éclore à vos bouches sans fiel,
Portes de votre cœur qu'aucun souci ne mine,
Ce rire éblouissant qui parfois m'illumine !

Lorsque cet homme entra, je jouais au jardin.
Et rien qu'en le voyant je m'arrêtai soudain.

C'était le principal d'un collège quelconque.

Les tritons que Coypel groupe autour d'une conque,
Les faunes que Watteau dans les bois fourvoya,
Les sorciers de Rembrandt, les gnomes de Goya,
Les diables variés, vrais cauchemars de moine
Dont Callot en riant taquine saint Antoine,
Sont laids, mais sont charmants ; difformes, mais remplis
D'un feu qui de leur face anime tous les plis
Et parfois dans leurs yeux jette un éclair rapide.
- Notre homme était fort laid, mais il était stupide.

Pardon, j'en parle encor comme un franc écolier.
C'est mal. Ce que j'ai dit, tâchez de l'oublier ;
Car de votre âge heureux, qu'un pédant embarrasse,
J'ai gardé la colère et j'ai perdu la grâce.

Cet homme chauve et noir, très effrayant pour moi,
Et dont ma mère aussi d'abord eut quelque effroi,
Tout en multipliant les humbles attitudes,
Apportait des avis et des sollicitudes :
- Que l'enfant n'était pas dirigé ; - que parfois
Il emportait son livre en rêvant dans les bois ;
Qu'il croissait au hasard dans cette solitude ;
Qu'on devait y songer ; que la sévère étude
Était fille de l'ombre et des cloîtres profonds ;
Qu'une lampe pendue à de sombres plafonds,
Qui de cent écoliers guide la plume agile,
Éclairait mieux Horace et Catulle et Virgile,
Et versait à l'esprit des rayons bien meilleurs
Que le soleil qui joue à travers l'arbre en fleurs ;
Et qu'enfin il fallait aux enfants, - **** des mères, -
Le joug, le dur travail et les larmes amères.
Là-dessus, le collège, aimable et triomphant,
Avec un doux sourire offrait au jeune enfant
Ivre de liberté, d'air, de joie et de roses,
Ses bancs de chêne noirs, ses longs dortoirs moroses,
Ses salles qu'on verrouille et qu'à tous leurs piliers
Sculpte avec un vieux clou l'ennui des écoliers,
Ses magisters qui font, parmi les paperasses,
Manger l'heure du jeu par les pensums voraces,
Et, sans eux, sans gazon, sans arbres, sans fruits mûrs,
Sa grande cour pavée entre quatre murs.

L'homme congédié, de ses discours frappée,  
Ma mère demeura triste et préoccupée.
Que faire ? que vouloir ? qui donc avait raison,
Ou le morne collège, ou l'heureuse maison ?
Qui sait mieux de la vie accomplir l'œuvre austère,
L'écolier turbulent, ou l'enfant solitaire ?
Problèmes ! questions ! elle hésitait beaucoup.
L'affaire était bien grave. Humble femme après tout,
Âme par le destin, non par les livres faite,
De quel front repousser ce tragique prophète,
Au ton si magistral, aux gestes si certains,
Qui lui parlait au nom des Grecs et des Latins ?
Le prêtre était savant sans doute ; mais, que sais-je ?
Apprend-on par le maître ou bien par le collège ?
Et puis, enfin, - souvent ainsi nous triomphons ! -
L'homme le plus vulgaire a de grands mots profonds :
- « Il est indispensable ! - il convient ! - il importe ! »
Qui troublent quelquefois la femme la plus forte.
Pauvre mère ! lequel choisir des deux chemins ?
Tout le sort de son fils se pesait dans ses mains.
Tremblante, elle tenait cette lourde balance,
Et croyait bien la voir par moments en silence
Pencher vers le collège, hélas ! en opposant
Mon bonheur à venir à mon bonheur présent.

Elle songeait ainsi sans sommeil et sans trêve.

C'était l'été. Vers l'heure où la lune se lève,
Par un de ces beaux soirs qui ressemblent au jour
Avec moins de clarté, mais avec plus d'amour,
Dans son parc, où jouaient le rayon et la brise,
Elle errait, toujours triste et toujours indécise,
Questionnant tout bas l'eau, le ciel, la forêt,
Écoutant au hasard les voix qu'elle entendait.

C'est dans ces moments-là que le jardin paisible,
La broussaille où remue un insecte invisible,
Le scarabée ami des feuilles, le lézard
Courant au clair de lune au fond du vieux puisard,
La faïence à fleur bleue où vit la plante grasse,
Le dôme oriental du sombre Val-de-Grâce,
Le cloître du couvent, brisé, mais doux encor,
Les marronniers, la verte allée aux boutons-d'or,
La statue où sans bruit se meut l'ombre des branches,
Les pâles liserons, les pâquerettes blanches,
Les cent fleurs du buisson, de l'arbre, du roseau,
Qui rendent en parfums ses chansons à l'oiseau,
Se mirent dans la mare ou se cachent dans l'herbe,
Ou qui, de l'ébénier chargeant le front superbe,
Au bord des clairs étangs se mêlant au bouleau,
Tremblent en grappes d'or dans les moires de l'eau,
Et le ciel scintillant derrière les ramées,
Et les toits répandant de charmantes fumées,
C'est dans ces moments-là, comme je vous le dis,
Que tout ce beau jardin, radieux paradis,
Tous ces vieux murs croulants, toutes ces jeunes roses,
Tous ces objets pensifs, toutes ces douces choses,
Parlèrent à ma mère avec l'onde et le vent,
Et lui dirent tout bas : - « Laisse-nous cet enfant ! »

« Laisse-nous cet enfant, pauvre mère troublée !
Cette prunelle ardente, ingénue, étoilée,
Cette tête au front pur qu'aucun deuil ne voila,
Cette âme neuve encor, mère, laisse-nous-la !
Ne vas pas la jeter au hasard dans la foule.
La foule est un torrent qui brise ce qu'il roule.
Ainsi que les oiseaux les enfants ont leurs peurs.
Laisse à notre air limpide, à nos moites vapeurs,
À nos soupirs, légers comme l'aile d'un songe,
Cette bouche où jamais n'a passé le mensonge,
Ce sourire naïf que sa candeur défend !
Ô mère au cœur profond, laisse-nous cet enfant !
Nous ne lui donnerons que de bonnes pensées ;
Nous changerons en jour ses lueurs commencées ;
Dieu deviendra visible à ses yeux enchantés ;
Car nous sommes les fleurs, les rameaux, les clartés,
Nous sommes la nature et la source éternelle
Où toute soif s'épanche, où se lave toute aile ;
Et les bois et les champs, du sage seul compris,
Font l'éducation de tous les grands esprits !
Laisse croître l'enfant parmi nos bruits sublimes.
Nous le pénétrerons de ces parfums intimes,
Nés du souffle céleste épars dans tout beau lieu,
Qui font sortir de l'homme et monter jusqu'à Dieu,
Comme le chant d'un luth, comme l'encens d'un vase,
L'espérance, l'amour, la prière, et l'extase !
Nous pencherons ses yeux vers l'ombre d'ici-bas,
Vers le secret de tout entr'ouvert sous ses pas.
D'enfant nous le ferons homme, et d'homme poète.
Pour former de ses sens la corolle inquiète,
C'est nous qu'il faut choisir ; et nous lui montrerons
Comment, de l'aube au soir, du chêne aux moucherons,
Emplissant tout, reflets, couleurs, brumes, haleines,
La vie aux mille aspects rit dans les vertes plaines.
Nous te le rendrons simple et des cieux ébloui :
Et nous ferons germer de toutes parts en lui
Pour l'homme, triste effet perdu sous tant de causes,
Cette pitié qui naît du spectacle des choses !
Laissez-nous cet enfant ! nous lui ferons un cœur
Qui comprendra la femme ; un esprit non moqueur,
Où naîtront aisément le songe et la chimère,
Qui prendra Dieu pour livre et les champs pour grammaire,
Une âme, pur foyer de secrètes faveurs,
Qui luira doucement sur tous les fronts rêveurs,
Et, comme le soleil dans les fleurs fécondées,
Jettera des rayons sur toutes les idées ! »

Ainsi parlaient, à l'heure où la ville se tait,
L'astre, la plante et l'arbre, - et ma mère écoutait.

Enfants ! ont-ils tenu leur promesse sacrée ?
Je ne sais. Mais je sais que ma mère adorée
Les crut, et, m'épargnant d'ennuyeuses prisons,
Confia ma jeune âme à leurs douces leçons.

Dès lors, en attendant la nuit, heure où l'étude
Rappelait ma pensée à sa grave attitude,
Tout le jour, libre, heureux, seul sous le firmament,
Je pus errer à l'aise en ce jardin charmant,
Contemplant les fruits d'or, l'eau rapide ou stagnante,
L'étoile épanouie et la fleur rayonnante,
Et les prés et les bois, que mon esprit le soir,
Revoyait dans Virgile ainsi qu'en un miroir.

Enfants ! aimez les champs, les vallons, les fontaines,
Les chemins que le soir emplit de voix lointaines,
Et l'onde et le sillon, flanc jamais assoupi,
Où germe la pensée à côté de l'épi.
Prenez-vous par la main et marchez dans les herbes ;
Regardez ceux qui vont liant les blondes gerbes ;
Épelez dans le ciel plein de lettres de feu,
Et, quand un oiseau chante, écoutez parler Dieu.
La vie avec le choc des passions contraires
Vous attend ; soyez bons, soyez vrais, soyez frères ;
Unis contre le monde où l'esprit se corrompt,
Lisez au même livre en vous touchant du front,
Et n'oubliez jamais que l'âme humble et choisie
Faite pour la lumière et pour la poésie,
Que les cœurs où Dieu met des échos sérieux
Pour tous les bruits qu'anime un sens mystérieux,
Dans un cri, dans un son, dans un vague murmure,
Entendent les conseils de toute la nature !

Le 31 mai 1839.
I.

L'ÉGLISE est vaste et haute. À ses clochers superbes
L'ogive en fleur suspend ses trèfles et ses gerbes ;
Son portail resplendit, de sa rose pourvu ;
Le soir fait fourmiller sous la voussure énorme
Anges, vierges, le ciel, l'enfer sombre et difforme,
Tout un monde effrayant comme un rêve entrevu.

Mais ce n'est pas l'église, et ses voûtes, sublimes,
Ses porches, ses vitraux, ses lueurs, ses abîmes,
Sa façade et ses tours, qui fascinent mes yeux ;
Non ; c'est, tout près, dans l'ombre où l'âme aime à descendre
Cette chambre d'où sort un chant sonore et tendre,
Posée au bord d'un toit comme un oiseau joyeux.

Oui, l'édifice est beau, mais cette chambre est douce.
J'aime le chêne altier moins que le nid de mousse ;
J'aime le vent des prés plus que l'âpre ouragan ;
Mon cœur, quand il se perd vers les vagues béantes,
Préfère l'algue obscure aux falaises géantes.
Et l'heureuse hirondelle au splendide océan.

II.

Frais réduit ! à travers une claire feuillée
Sa fenêtre petite et comme émerveillée
S'épanouit auprès du gothique portail.
Sa verte jalousie à trois clous accrochée,
Par un bout s'échappant, par l'autre rattachée,
S'ouvre coquettement comme un grand éventail.

Au-dehors un beau lys, qu'un prestige environne,
Emplit de sa racine et de sa fleur couronne
- Tout près de la gouttière où dort un chat sournois -
Un vase à forme étrange en porcelaine bleue
Où brille, avec des paons ouvrant leur large queue,
Ce beau pays d'azur que rêvent les Chinois.

Et dans l'intérieur par moments luit et passe
Une ombre, une figure, une fée, une grâce,
Jeune fille du peuple au chant plein de bonheur,
Orpheline, dit-on, et seule en cet asile,
Mais qui parfois a l'air, tant son front est tranquille,
De voir distinctement la face du Seigneur.

On sent, rien qu'à la voir, sa dignité profonde.
De ce cœur sans limon nul vent n'a troublé l'onde.
Ce tendre oiseau qui jase ignore l'oiseleur.
L'aile du papillon a toute sa poussière.
L'âme de l'humble vierge a toute sa lumière.
La perle de l'aurore est encor dans la fleur.

À l'obscure mansarde il semble que l'œil voie
Aboutir doucement tout un monde de joie,
La place, les passants, les enfants, leurs ébats,
Les femmes sous l'église à pas lents disparues,
Des fronts épanouis par la chanson des rues,
Mille rayons d'en haut, mille reflets d'en bas.

Fille heureuse ! autour d'elle ainsi qu'autour d'un temple,
Tout est modeste et doux, tout donne un bon exemple.
L'abeille fait son miel, la fleur rit au ciel bleu,
La tour répand de l'ombre, et, devant la fenêtre,
Sans faute, chaque soir, pour obéir au maître,
L'astre allume humblement sa couronne de feu.

Sur son beau col, empreint de virginité pure,
Point d'altière dentelle ou de riche guipure ;
Mais un simple mouchoir noué pudiquement.
Pas de perle à son front, mais aussi pas de ride,
Mais un œil chaste et vif, mais un regard limpide.
Où brille le regard que sert le diamant ?

III.

L'angle de la cellule abrite un lit paisible.
Sur la table est ce livre où Dieu se fait visible,
La légende des saints, seul et vrai panthéon.
Et dans un coin obscur, près de la cheminée,
Entre la bonne Vierge et le buis de l'année,
Quatre épingles au mur fixent Napoléon.

Cet aigle en cette cage ! - et pourquoi non ? dans l'ombre
De cette chambre étroite et calme, où rien n'est sombre,
Où dort la belle enfant, douce comme son lys,
Où tant de paix, de grâce et de joie est versée,
Je ne hais pas d'entendre au fond de ma pensée
Le bruit des lourds canons roulant vers Austerlitz.

Et près de l'empereur devant qui tout s'incline,
- Ô légitime orgueil de la pauvre orpheline ! -
Brille une croix d'honneur, signe humble et triomphant,
Croix d'un soldat, tombé comme tout héros tombe,
Et qui, père endormi, fait du fond de sa tombe
Veiller un peu de gloire auprès de son enfant.

IV.

Croix de Napoléon ! joyau guerrier ! pensée !
Couronne de laurier de rayons traversée !
Quand il menait ses preux aux combats acharnés,
Il la laissait, afin de conquérir la terre,
Pendre sur tous les fronts durant toute la guerre ;
Puis, la grande œuvre faite, il leur disait : Venez !

Puis il donnait sa croix à ces hommes stoïques,
Et des larmes coulaient de leurs yeux héroïques ;
Muets, ils admiraient leur demi-dieu vainqueur ;
On eût dit qu'allumant leur âme avec son âme,
En touchant leur poitrine avec son doigt de flamme,
Il leur faisait jaillir cette étoile du cœur !

V.

Le matin elle chante et puis elle travaille,
Sérieuse, les pieds sur sa chaise de paille,
Cousant, taillant, brodant quelques dessins choisis ;
Et, tandis que, songeant à Dieu, simple et sans crainte,
Cette vierge accomplit sa tâche auguste et sainte,
Le silence rêveur à sa porte est assis.

Ainsi, Seigneur, vos mains couvrent cette demeure.
Dans cet asile obscur, qu'aucun souci n'effleure,
Rien qui ne soit sacré, rien qui ne soit charmant !
Cette âme, en vous priant pour ceux dont la nef sombre,
Peut monter chaque soir vers vous sans faire d'ombre
Dans la sérénité de votre firmament !

Nul danger ! nul écueil ! - Si ! l'aspic est dans l'herbe !
Hélas ! hélas ! le ver est dans le fruit superbe !
Pour troubler une vie il suffit d'un regard.
Le mal peut se montrer même aux clartés d'un cierge.
La curiosité qu'a l'esprit de la vierge
Fait une plaie au cœur de la femme plus ****.

Plein de ces chants honteux, dégoût de la mémoire,
Un vieux livre est là-haut sur une vieille armoire,
Par quelque vil passant dans cette ombre oublié ;
Roman du dernier siècle ! œuvre d'ignominie !
Voltaire alors régnait, ce singe de génie
Chez l'homme en mission par le diable envoyé.

VI.

Epoque qui gardas, de vin, de sang rougie,
Même en agonisant, l'allure de l'orgie !
Ô dix-huitième siècle, impie et châtié !
Société sans dieu, par qui Dieu fus frappée !
Qui, brisant sous la hache et le sceptre et l'épée,
Jeune offensas l'amour, et vieille la pitié !

Table d'un long festin qu'un échafaud termine !
Monde, aveugle pour Christ, que Satan illumine !
Honte à tes écrivains devant les nations !
L'ombre de tes forfaits est dans leur renommée
Comme d'une chaudière il sort une fumée,
Leur sombre gloire sort des révolutions !

VII.

Frêle barque assoupie à quelques pas d'un gouffre !
Prends garde, enfant ! cœur tendre où rien encor ne souffre !
Ô pauvre fille d'Ève ! ô pauvre jeune esprit !
Voltaire, le serpent, le doute, l'ironie,
Voltaire est dans un coin de ta chambre bénie !
Avec son œil de flamme il t'espionne, et rit.

Oh ! tremble ! ce sophiste a sondé bien des fanges !
Oh ! tremble ! ce faux sage a perdu bien des anges !
Ce démon, noir milan, fond sur les cœurs pieux,
Et les brise, et souvent, sous ses griffes cruelles,
Plume à plume j'ai vu tomber ces blanches ailles
Qui font qu'une âme vole et s'enfuit dans les cieux !

Il compte de ton sein les battements sans nombre.
Le moindre mouvement de ton esprit dans l'ombre,
S'il penche un peu vers lui, fait resplendir son œil.
Et, comme un loup rôdant, comme un tigre qui guette,
Par moments, de Satan, visible au seul poète,
La tête monstrueuse apparaît à ton seuil !

VIII.

Hélas ! si ta main chaste ouvrait ce livre infâme,
Tu sentirais soudain Dieu mourir dans ton âme.
Ce soir tu pencherais ton front triste et boudeur
Pour voir passer au **** dans quelque verte allée
Les chars étincelants à la roue étoilée,
Et demain tu rirais de la sainte pudeur !

Ton lit, troublé la nuit de visions étranges,
Ferait fuir le sommeil, le plus craintif des anges !
Tu ne dormirais plus, tu ne chanterais plus,
Et ton esprit, tombé dans l'océan des rêves,
Irait, déraciné comme l'herbe des grèves,
Du plaisir à l'opprobre et du flux au reflux !

IX.

Oh ! la croix de ton père est là qui te regarde !
La croix du vieux soldat mort dans la vieille garde !
Laisse-toi conseiller par elle, ange tenté !
Laisse-toi conseiller, guider, sauver peut-être
Par ce lys fraternel penché sur ta fenêtre,
Qui mêle son parfum à ta virginité !

Par toute ombre qui passe en baissant la paupière !
Par les vieux saints rangés sous le portail de pierre !
Par la blanche colombe aux rapides adieux !
Par l'orgue ardent dont l'hymne en longs sanglots se brise !
Laisse-toi conseiller par la pensive église !
Laisse-toi conseiller par le ciel radieux !

Laisse-toi conseiller par l'aiguille ouvrière,
Présente à ton labeur, présente à ta prière,
Qui dit tout bas : Travaille ! - Oh ! crois-la ! - Dieu, vois-tu,
Fit naître du travail, que l'insensé repousse,
Deux filles, la vertu, qui fait la gaîté douce,
Et la gaîté, qui rend charmante la vertu !

Entends ces mille voix, d'amour accentuées,
Qui passent dans le vent, qui tombent des nuées,
Qui montent vaguement des seuils silencieux,
Que la rosée apporte avec ses chastes gouttes,
Que le chant des oiseaux te répète, et qui toutes
Te disent à la fois : Sois pure sous les cieux !

Sois pure sous les cieux ! comme l'onde et l'aurore,
Comme le joyeux nid, comme la tour sonore,
Comme la gerbe blonde, amour du moissonneur,
Comme l'astre incliné, comme la fleur penchante,
Comme tout ce qui rit, comme tout ce qui chante,
Comme tout ce qui dort dans la paix du Seigneur !

Sois calme. Le repos va du cœur au visage ;
La tranquillité fait la majesté du sage.
Sois joyeuse. La foi vit sans l'austérité ;
Un des reflets du ciel, c'est le rire des femmes ;
La joie est la chaleur que jette dans les âmes
Cette clarté d'en haut qu'on nomme Vérité.

La joie est pour l'esprit une riche ceinture.
La joie adoucit tout dans l'immense nature.
Dieu sur les vieilles tours pose le nid charmant
Et la broussaille en fleur qui luit dans l'herbe épaisse ;
Car la ruine même autour de sa tristesse
A besoin de jeunesse et de rayonnement !

Sois bonne. La bonté contient les autres choses.
Le Seigneur indulgent sur qui tu te reposes
Compose de bonté le penseur fraternel.
La bonté, c'est le fond des natures augustes.
D'une seule vertu Dieu fait le cœur des justes,
Comme d'un seul saphir la coupole du ciel.

Ainsi, tu resteras, comme un lys, comme un cygne,
Blanche entre les fronts purs marqués d'un divin signe
Et tu seras de ceux qui, sans peur, sans ennuis,
Des saintes actions amassant la richesse,
Rangent leur barque au port, leur vie à la sagesse
Et, priant tous les soirs, dorment toutes les nuits !

Le poète à lui-même.

Tandis que sur les bois, les prés et les charmilles,
S'épanchent la lumière et la splendeur des cieux,
Toi, poète serein, répands sur les familles,
Répands sur les enfants et sur les jeunes filles,
Répands sur les vieillards ton chant religieux !

Montre du doigt la rive à tous ceux qu'une voile
Traîne sur le flot noir par les vents agité ;
Aux vierges, l'innocence, heureuse et noble étoile ;
À la foule, l'autel que l'impiété voile ;
Aux jeunes, l'avenir ; aux vieux, l'éternité !

Fais filtrer ta raison dans l'homme et dans la femme.
Montre à chacun le vrai du côté saisissant.
Que tout penseur en toi trouve ce qu'il réclame.
Plonge Dieu dans les cœurs, et jette dans chaque âme
Un mot révélateur, propre à ce qu'elle sent.

Ainsi, sans bruit, dans l'ombre, ô songeur solitaire,
Ton esprit, d'où jaillit ton vers que Dieu bénit,
Du peuple sous tes pieds perce le crâne austère ; -
Comme un coin lent et sûr, dans les flancs de la terre
La racine du chêne entr'ouvre le granit.

Du 24 au 29 juin 1839.
bea Jun 2018
planets will melt
because of you
because of chalkboards filled
with triangles, closed windows,
fairy-lit stars
saccharine winters of slush
and bitter pink summers will wrap you in fur
plastic-like,
library-like
enough tired inertia to slow sleepy heartstrings
i wish she would text me lol
(wrote this during summer school 2day..... idk im just so watery)
Joe Butler Jul 2013
Fleeting memories
A crushing weight
Thoughts swirl
A chaotic dance
Morbid and morose
I shudder
Sigh
Lock the door
My heart is closed
I am empty streets
And howling winds
An onslaught
Of indelicate ideas
Leaves rushing
As water
I am bleak
I long to crumble
And return to dust
To spread out
Into the vast blackness
Vacuum of the infinite
I am all
I am nothing
Existence is illusion
Dreams are more real
Yet
I do not sleep
For I fear to wake
So I remain
Ever here
Ever there
Never here
Never there
Neither
Both
Ensconced between
Light and dark
Good and evil
Life and death
Alone
Forever
Thus
I despair.
Souvenirs fugaces
Un poids écrasant
Pensées tourbillon
Une danse chaotique
Morbide et morose
Je frémis
Soupir
Verrouillez la porte
Mon cœur est fermé
Je suis rues vides
Et vents hurlants
Une attaque
D'idées indélicats
Feuilles précipiter
Comme l'eau
Je suis triste
J'ai longtemps à s'effriter
Et retourner à la poussière
Pour étaler
Dans la grande noirceur
Vide de l'infini
Je suis tout
Je ne suis rien
L'existence est illusion
Les rêves sont plus réels
Pourtant,
Je ne dors pas
Car je crains de réveiller
Donc, je reste
Jamais ici
Jamais il
Jamais ici
Jamais il
Aucun
Tous les deux
Enclavée entre
Lumière et obscurité
Bien et le mal
La vie et la mort
Seul
Toujours
Ainsi,
Je désespère.
I wrote this and felt like translating it into French as well as an experiment. I've been watching a lot of French new wave cinema from the 1950s and 1960s so I wanted to see how it looked and sounded in French. Plus it just fit the existential tone of the piece.
Jake Espinoza Jul 2010
J'ai toujours menti pour dire la vérité.
Je joue aux jeux pour que les autres puissent gagner.
Tout est si important
     que ça m'est égal.
Si je pense assez
     j'oublierai tout.
Je suis le Roi des Ombres
     important seulement pour les êtres qui existent en silence et poussière.
Je me change en pierre si je me tiens tranquille
     à me trouver dans un jardin d'une telle beauté
     avec les couleurs qui ont une sonorité jamais vue.
Je sens les émotions à travers le temps
     celles qu'aucun humain ne peut sentir.
Je tombe à travers la sécurité confortable et rouge-noire
     dans la clarté des vastes profondeurs du bleu foncé.
Mon corps s'est fait parfait pendant que je succombe
     et mon esprit se réveille.
La musique du violon se condense en amour sous mes yeux
     l'accord profond et sonore déchire le poison de mon esprit.
Je ressens les montées bleues claires de la vie dans mes veines quand je suis seul.
Je m'assieds avec les montagnes jusqu'à ce que nous nous unissions.
Mes yeux ne pourront jamais devenir impurs
     mon âme est sans tache.
Il y a la curiosité silencieuse dans la Vie
     l'amour dans ses yeux est si manifeste
     son sourire si tendre
     si silencieuse.
Ici sera où je pose la tête
     c'est la réalité que je choisis.
See "The Sound of Sleep" for the English translation.
Paul d'Aubin May 2014
Liberté Egalité Fraternité,  
le vrai Triptyque Républicain

En hommage à nos ancêtres qui surent être ambitieux et fonder un triptyque toujours primordial, jamais accompli ni vraiment réalisé.

LIBERTE !

Frêle comme doigts d’enfants,
Plus précieuse qu’un diamant,
Ton seul parfum nous enivre
Et comme, un bon vin, nous grise.
Tu es hymne à la vie
Qui fait lever des envies.
Tu suscite des passions,
Libère des émotions.
Tu fus conquise de haute lutte
Par nos ancêtres en tumulte.
Ils nous donnèrent pour mission

D’en multiplier les brandons.
A trop de Peuples, elle fait défaut.
Elle ne supporte aucun bâillon
Car si l’être vit bien de pain,
Il veut aussi choisir son chemin.
Si tous les pouvoirs la craignent,
Ma, si belle, tu charmes et envoute,
Mets les tyrans en déroute,
Sœur de Marianne la belle.

*
EGALITE !

Elle fut la devise d’Athènes,
Et révérée par les Romains.
Elle naquit en 89, avec la liberté du Peuple,
Est fille de Révolution.
Elle abolit les distinctions
Séparant les êtres sans raison.
Ouvre la voie à tous talents
Sans s’encombrer de parchemins.
C’est un alcool enivrant
Que l’égalité des droits.
C’est aussi une promesse
De secourir celui qui choit.
Si l’égalité fait tant peur,
C’est que son regard de lynx

Perce les supercheries
Et voit les hommes tels qu’ils sont.

FRATERNITE !

Elle coule, coule comme le miel,
Nectar de la ruche humaine.
Elle sait embellir nos vies,
Et faire reculer la grisaille,
Du calcul, froid et égoïste.
Dans la devise Républicaine
Elle tient la baguette de l’orchestre.
Comme un peintre inspiré, elle met,
Sur la toile, vive et vermillon.
Elle nous incite à l’humanisme.
Elle est petite fille de 89, fille de quarante –huit
Mais sut renaître en 68.
Elle est crainte par les puissants,
Qui n’ont jamais connu qu’argent,
C’est pourtant une essence rare.
Dans les temps durs, elle se cache,
Mais vient ouvrir la porte
Au Résistant pourchassé. Elle n’hésite pas aujourd’hui
À secourir un «sans papier»
Sa sœur est générosité.
Elle est la valeur suprême,
Qui rend possible le «vivre ensemble»
Et permet même au solitaire
De faire battre un cœur solidaire.
La fraternité reste la vraie conquête de l’humain.

Paul d’Aubin (Paul Arrighi) à Toulouse; France.
Mon frère, sais-tu la nouvelle ?
Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflar vient, dit-on, de manger
Le petit agneau noir, puis la brebis sa mère,
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.
- Serait-il vrai ? - Très vrai, mon frère.
- À qui donc se fier, grands dieux !
C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine ;
Et la nouvelle était certaine.
Mouflar, sur le fait même pris,
N'attendait plus que le supplice ;
Et le fermier voulait qu'une prompte justice
Effrayât les chiens du pays.
La procédure en un jour est finie.
Mille témoins pour un déposent l'attentat :
Récolés, confrontés, aucun d'eux ne varie ;
Mouflar est convaincu du triple assassinat :
Mouflar recevra donc deux balles dans la tête
Sur le lieu même du délit.
À son supplice qui s'apprête
Toute la ferme se rendit.
Les agneaux de Mouflar demandèrent la grâce ;
Elle fut refusée. On leur fit prendre place :
Les chiens se rangèrent près d'eux,
Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse,
Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux.
Tout le monde attendait dans un profond silence.
Mouflar paraît bientôt, conduit par deux pasteurs :
Il arrive ; et, levant au ciel ses yeux en pleurs,
Il harangue ainsi l'assistance :
Ô vous, qu'en ce moment je n'ose et je ne puis
Nommer, comme autrefois, mes frères, mes amis,
Témoins de mon heure dernière,
Voyez où peut conduire un coupable désir !
De la vertu quinze ans j'ai suivi la carrière,
Un faux pas m'en a fait sortir.
Apprenez mes forfaits. Au lever de l'aurore,
Seul, auprès du grand bois, je gardais le troupeau ;
Un loup vient, emporte un agneau,
Et tout en fuyant le dévore.
Je cours, j'atteins le loup, qui, laissant son festin,
Vient m'attaquer : je le terrasse,
Et je l'étrangle sur la place.
C'était bien jusques là : mais, pressé par la faim,
De l'agneau dévoré je regarde le reste,
J'hésite, je balance... à la fin, cependant,
J'y porte une coupable dent :
Voilà de mes malheurs l'origine funeste.
La brebis vient dans cet instant,
Elle jette des cris de mère...
La tête m'a tourné, j'ai craint que la brebis
Ne m'accusât d'avoir assassiné son fils ;
Et, pour la forcer à se taire,
Je l'égorge dans ma colère.
Le berger accourait armé de son bâton.
N'espérant plus aucun pardon,
Je me jette sur lui : mais bientôt on m'enchaîne,
Et me voici prêt à subir
De mes crimes la juste peine.
Apprenez tous du moins, en me voyant mourir,
Que la plus légère injustice
Aux forfaits les plus grands peut conduire d'abord ;
Et que, dans le chemin du vice,
On est au fond du précipice,
Dès qu'on met un pied sur le bord.
Il est un nom caché dans l'ombre de mon âme,
Que j'y lis nuit et jour et qu'aucun oeil n'y voit,
Comme un anneau perdu que la main d'une femme
Dans l'abîme des mers laissa glisser du doigt.

Dans l'arche de mon coeur, qui pour lui seul s'entrouvre,
Il dort enseveli sous une clef d'airain ;
De mystère et de peur mon amour le recouvre,
Comme après une fête on referme un écrin.

Si vous le demandez, ma lèvre est sans réponse,
Mais, tel qu'un talisman formé d'un mot secret,
Quand seul avec l'écho ma bouche le prononce,
Ma nuit s'ouvre, et dans l'âme un être m'apparaît.

En jour éblouissant l'ombre se transfigure ;
Des rayons, échappés par les fentes des cieux,
Colorent de pudeur une blanche figure
Sur qui l'ange ébloui n'ose lever les yeux.

C'est une vierge enfant, et qui grandit encore ;
Il pleut sur ce matin des beautés et des jours ;
De pensée en pensée on voit son âme éclore,
Comme son corps charmant de contours en contours.

Un éblouissement de jeunesse et de grâce
Fascine le regard où son charme est resté.
Quand elle fait un pas, on dirait que l'espace
S'éclaire et s'agrandit pour tant de majesté.

Dans ses cheveux bronzés jamais le vent ne joue.
Dérobant un regard qu'une boucle interrompt,
Ils serpentent collés au marbre de sa joue,
Jetant l'ombre pensive aux secrets de son front.

Son teint calme, et veiné des taches de l'opale,
Comme s'il frissonnait avant la passion,
Nuance sa fraîcheur des moires d'un lis pâle,
Où la bouche a laissé sa moite impression.

Sérieuse en naissant jusque dans son sourire,
Elle aborde la vie avec recueillement ;
Son coeur, profond et lourd chaque fois qu'il respire,
Soulève avec son sein un poids de sentiment.

Soutenant sur sa main sa tête renversée,
Et fronçant les sourcils qui couvrent son oeil noir,
Elle semble lancer l'éclair de sa pensée
Jusqu'à des horizons qu'aucun oeil ne peut voir.

Comme au sein de ces nuits sans brumes et sans voiles,
Où dans leur profondeur l'oeil surprend les cieux nus,
Dans ses beaux yeux d'enfant, firmament plein d'étoiles,
Je vois poindre et nager des astres inconnus.

Des splendeurs de cette âme un reflet me traverse ;
Il transforme en Éden ce morne et froid séjour.
Le flot mort de mon sang s'accélère, et je berce
Des mondes de bonheur sur ces vagues d'amour.

- Oh ! dites-nous ce nom, ce nom qui fait qu'on aime ;
Qui laisse sur la lèvre une saveur de miel !
- Non, je ne le dis pas sur la terre à moi-même ;
Je l'emporte au tombeau pour m'embellir le ciel.
Soit lointaine, soit voisine,
Espagnole ou sarrazine,
Il n'est pas une cité
Qui dispute sans folie
A Grenade la jolie
La pomme de la beauté,
Et qui, gracieuse, étale
Plus de pompe orientale
Sous un ciel plus enchanté.

Cadix a les palmiers ; Murcie a les oranges ;
Jaën, son palais goth aux tourelles étranges ;
Agreda, son couvent bâti par saint-Edmond ;
Ségovie a l'autel dont on baise les marches,
Et l'aqueduc aux trois rangs d'arches
Qui lui porte un torrent pris au sommet d'un mont.

Llers a des tours ; Barcelone
Au faîte d'une colonne
Lève un phare sur la mer ;
Aux rois d'Aragon fidèle,
Dans leurs vieux tombeaux, Tudèle
Garde leur sceptre de fer ;
Tolose a des forges sombres
Qui semblent, au sein des ombres,
Des soupiraux de l'enfer.

Le poisson qui rouvrit l'œil mort du vieux Tobie
Se joue au fond du golfe où dort Fontarabie ;
Alicante aux clochers mêle les minarets ;
Compostelle a son saint ; Cordoue aux maisons vieilles
A sa mosquée où l'œil se perd dans les merveilles ;
Madrid a le Manzanarès.

Bilbao, des flots couverte,
Jette une pelouse verte
Sur ses murs noirs et caducs ;
Médina la chevalière,
Cachant sa pauvreté fière
Sous le manteau de ses ducs,
N'a rien que ses sycomores,
Car ses beaux pont sont aux maures,
Aux romains ses aqueducs.

Valence a les clochers de ses trois cents églises ;
L'austère Alcantara livre au souffle des brises
Les drapeaux turcs pendus en foule à ses piliers ;
Salamanque en riant s'assied sur trois collines,
S'endort au son des mandolines
Et s'éveille en sursaut aux cris des écoliers.

Tortose est chère à saint-Pierre ;
Le marbre est comme la pierre
Dans la riche puycerda ;
De sa bastille octogone
Tuy se vante, et Tarragone
De ses murs qu'un roi fonda ;
Le Douro coule à Zamore ;
Tolède a l'alcazar maure,
Séville a la giralda.

Burgos de son chapitre étale la richesse ;
Peñaflor est marquise, et Girone est duchesse ;
Bivar est une nonne aux sévères atours ;
Toujours prête au combat, la sombre Pampelune,
Avant de s'endormir aux rayons de la lune,
Ferme sa ceinture de tours.

Toutes ces villes d'Espagne
S'épandent dans la campagne
Ou hérissent la sierra ;
Toutes ont des citadelles
Dont sous des mains infidèles
Aucun beffroi ne vibra ;
Toutes sur leurs cathédrales
Ont des clochers en spirales ;
Mais Grenade a l'Alhambra.

L'Alhambra ! l'Alhambra ! palais que les Génies
Ont doré comme un rêve et rempli d'harmonies,
Forteresse aux créneaux festonnés et croulants,
Ou l'on entend la nuit de magiques syllabes,
Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes,
Sème les murs de trèfles flancs !

Grenade a plus de merveilles
Que n'a de graines vermeilles
Le beau fruit de ses vallons ;
Grenade, la bien nommée,
Lorsque la guerre enflammée
Déroule ses pavillons,
Cent fois plus terrible éclate
Que la grenade écarlate
Sur le front des bataillons.

Il n'est rien de plus beau ni de plus grand au monde ;
Soit qu'à Vivataubin Vivaconlud réponde,
Avec son clair tambour de clochettes orné ;
Soit que, se couronnant de feux comme un calife
L'éblouissant Généralife
Elève dans la nuit son faîte illuminé.

Les clairons des Tours-Vermeilles
Sonnent comme des abeilles
Dont le vent chasse l'essaim ;
Alcacava pour les fêtes
A des cloches toujours prêtes
A bourdonner dans son sein,
Qui dans leurs tours africaines
Vont éveiller les dulcaynes
Du sonore Albaycin.

Grenade efface en tout ses rivales ; Grenade
Chante plus mollement la molle sérénade ;
Elle peint ses maisons de plus riches couleurs ;
Et l'on dit que les vents suspendent leurs haleines
Quand par un soir d'été Grenade dans ses plaines
Répand ses femmes et ses fleurs.

L'Arabie est son aïeule.
Les maures, pour elle seule,
Aventuriers hasardeux,
Joueraient l'Asie et l'Afrique,
Mais Grenade est catholique,
Grenade se raille d'eux ;
Grenade, la belle ville,
Serait une autre Séville,
S'il en pouvait être deux.

Du 3 au 5 avril 1828.
Paul d'Aubin Dec 2016
Ce Matin-là !

(Il est encore Minuit dans notre nouveau siècle)

Ce Matin-là, six heures,
Le ciel est couleur plomb fondu
Et **** de nos lits chauds de France,
Là-bas, dans ce croissant qui fut autrefois fertile,
La loi de l'humiliation maximale
Et de l’épuisement de nos réflexes
Vitaux de dignité et d'honneur
Vient encore d'abaisser le niveau d’où l'être devra
encore plus plier l'échine et user de la reptation
pour faire admettre et tolérer
Ses petites et grandes lâchetés.
Et ces nouveaux « grands cimetières sous la lune »
Ou sont enfouis leur monceaux de victimes
données en sacrifice à ce nouveau Dieux Moloch
de l'indifférence et de la mort, des guerres de religion.
des ingérences internationales, des haines et rivalités régionales.
Nous n'avons plus, pour fonder ce grand vide,
Que certains flamboiements du passe,
Qui ont perdu leur valeur d'exemple et leur force propulsive.
Et ce nouveau Tsar, aussi prodige en Oukases et en menaces
qu'il l'est de myriades de « Guernica renouvelés ».
Il est aujourd'hui, de nouveau, « Minuit dans notre nouveau siècle »
Sans que l'on sache discerner quels sont les acteurs réels et les responsables majeurs
De ce désastre humain,
Dans son entre lac de rivalité et de tumultes
Pressant la gorge d'une nation agonisante dépecée aux quatre horizons de ses points cardinaux.
Les simplificateurs de nos raisons de mourir et leurs distributeurs d'indulgences plénières
et de permis de tuer,
Ont du mal à convaincre leurs habituels condottiere de l'idéal.
Et jamais l'odeur de mort ne fut moins masquée que dans ce combat de désespérés et de furieux,
Nos présentes guerres ont bien du mal à se la jouer chevaleresques et « justes causes »
Ce qui n'empêche pas les enfants de souffrir et de mourir,
dans cette « Terre de Cham » de tous les cauchemars et de toutes les souffrances,
pas si **** des hauteurs béantes où la citadelle d'Alamut reste fidèle à son sombre et meurtrier prestige.
Tu n'as vu jusqu'ici naître aucun message de vie, neuf, pour les êtres,
Et ton chaudron de haine et de vengeances engendre sa part nouvelle de serpents et de dragons,
Qui viennent répandre l'épouvante dans les endroits et les lieux de notre douce France
et mêmes dans ce Molenbeeck Belge.
Méfions-nous de la haute nuit ou se déroulent ces sabbat de tueurs.
Car il est de ces nuits noires qui glacent le sang et exportent de sombres guerriers.
Il est aussi de nouveaux « vieux de la Montagne » qui nous envoient leurs nouveaux « haschischins » et leurs messagers porteurs de meurtres cruels.
Là où il faudrait des paroles d'amour et des impositions de mains.
La guerre ne sait nourrir que la guerre !
Et toute diplomatie n' est que trop souvent l'antichambre de l'art de tuer et de terroriser
en brouillant les cartes.
Il est comme aujourd'hui des périodes,
Ou dans le creux des lits et du val de France surgissent des tueurs blêmes,
Et des menaces à prendre au sérieux.
Mais hélas, l'on ne peut impunément demander à vivre en Paix
si près des brasiers rallumés et des guerres de cent années rouvertes.

Paul Arrighi

(Ce texte crépusculaire a été écrit à Toulouse le 22 décembre 2016, date ultime de la « chute » d ' Alep)
(Ce texte crépusculaire a été écrit à Toulouse le 22 décembre 2016, date ultime de la « chute » d ' Alep)
« Amis et frères ! en présence de ce gouvernement infâme, négation de toute morale, obstacle à tout progrès social, en présence de ce gouvernement meurtrier du peuple, assassin de la République et violateur des lois, de ce gouvernement né de la force et qui doit périr par la force, de ce gouvernement élevé par le crime et qui doit être terrassé par le droit, le français digne du nom de citoyen ne sait pas, ne veut pas savoir s'il y a quelque part des semblants de scrutin, des comédies de suffrage universel et des parodies d'appel à la nation ; il ne s'informe pas s'il y a des hommes qui votent et des hommes qui font voter, s'il y a un troupeau qu'on appelle le sénat et qui délibère et un autre troupeau qu'on appelle le peuple et qui obéit ; il ne s'informe pas si le pape va sacrer au maître-autel de Notre-Dame l'homme qui - n'en doutez pas, ceci est l'avenir inévitable - sera ferré au poteau par le bourreau ; - en présence de M. Bonaparte et de son gouvernement, le citoyen digne de ce nom ne fait qu'une chose et n'a qu'une chose à faire : charger son fusil, et attendre l'heure.

Jersey, le 31 octobre 1852.


Déclaration des proscrits républicains de Jersey, à propos de l'empire, publiée par le Moniteur, signée pour copie conforme :

VICTOR HUGO, FAURE, FOMBERTAUX.


« Nous flétrissons de l'énergie la plus vigoureuse de notre âme les ignobles et coupables manifestes du Parti du Crime. »

(RIANCEY, JOURNAL L'UNION, 22 NOVEMBRE.)

« Le Parti du Crime relève la tête. »

(TOUS LES JOURNAUX ÉLYSÉENS EN CHOEUR.)



Ainsi ce gouvernant dont l'ongle est une griffe,
Ce masque impérial, Bonaparte apocryphe,
À coup sûr Beauharnais, peut-être Verhueil,
Qui, pour la mettre en croix, livra, sbire cruel,
Rome républicaine à Rome catholique,
Cet homme, l'assassin de la chose publique,
Ce parvenu, choisi par le destin sans yeux,
Ainsi, lui, ce glouton singeant l'ambitieux,
Cette altesse quelconque habile aux catastrophes,
Ce loup sur qui je lâche une meute de strophes,
Ainsi ce boucanier, ainsi ce chourineur
À fait d'un jour d'orgueil un jour de déshonneur,
Mis sur la gloire un crime et souillé la victoire
Il a volé, l'infâme, Austerlitz à l'histoire ;
Brigand, dans ce trophée il a pris un poignard ;
Il a broyé bourgeois, ouvrier, campagnard ;
Il a fait de corps morts une horrible étagère
Derrière les barreaux de la cité Bergère ;
Il s'est, le sabre en main, rué sur son serment ;
Il a tué les lois et le gouvernement,
La justice, l'honneur, tout, jusqu'à l'espérance
Il a rougi de sang, de ton sang pur, ô France,
Tous nos fleuves, depuis la Seine jusqu'au Var ;
Il a conquis le Louvre en méritant Clamar ;
Et maintenant il règne, appuyant, ô patrie,
Son vil talon fangeux sur ta bouche meurtrie
Voilà ce qu'il a fait ; je n'exagère rien ;
Et quand, nous indignant de ce galérien,
Et de tous les escrocs de cette dictature,
Croyant rêver devant cette affreuse aventure,
Nous disons, de dégoût et d'horreur soulevés :
- Citoyens, marchons ! Peuple, aux armes, aux pavés !
À bas ce sabre abject qui n'est pas même un glaive !
Que le jour reparaisse et que le droit se lève ! -
C'est nous, proscrits frappés par ces coquins hardis,
Nous, les assassinés, qui sommes les bandits !
Nous qui voulons le meurtre et les guerres civiles !
Nous qui mettons la torche aux quatre coins des villes !

Donc, trôner par la mort, fouler aux pieds le droit
Etre fourbe, impudent, cynique, atroce, adroit ;
Dire : je suis César, et n'être qu'un maroufle
Etouffer la pensée et la vie et le souffle ;
Forcer quatre-vingt-neuf qui marche à reculer ;
Supprimer lois, tribune et presse ; museler
La grande nation comme une bête fauve ;
Régner par la caserne et du fond d'une alcôve ;
Restaurer les abus au profit des félons
Livrer ce pauvre peuple aux voraces Troplongs,
Sous prétexte qu'il fut, **** des temps où nous sommes,
Dévoré par les rois et par les gentilshommes
Faire manger aux chiens ce reste des lions ;
Prendre gaîment pour soi palais et millions ;
S'afficher tout crûment satrape, et, sans sourdines,
Mener joyeuse vie avec des gourgandines
Torturer des héros dans le bagne exécré ;
Bannir quiconque est ferme et fier ; vivre entouré
De grecs, comme à Byzance autrefois le despote
Etre le bras qui tue et la main qui tripote
Ceci, c'est la justice, ô peuple, et la vertu !
Et confesser le droit par le meurtre abattu
Dans l'exil, à travers l'encens et les fumées,
Dire en face aux tyrans, dire en face aux armées
- Violence, injustice et force sont vos noms
Vous êtes les soldats, vous êtes les canons ;
La terre est sous vos pieds comme votre royaume
Vous êtes le colosse et nous sommes l'atome ;
Eh bien ! guerre ! et luttons, c'est notre volonté,
Vous, pour l'oppression, nous, pour la liberté ! -
Montrer les noirs pontons, montrer les catacombes,
Et s'écrier, debout sur la pierre des tombes.
- Français ! craignez d'avoir un jour pour repentirs
Les pleurs des innocents et les os des martyrs !
Brise l'homme sépulcre, ô France ! ressuscite !
Arrache de ton flanc ce Néron parasite !
Sors de terre sanglante et belle, et dresse-toi,
Dans une main le glaive et dans l'autre la loi ! -
Jeter ce cri du fond de son âme proscrite,
Attaquer le forban, démasquer l'hypocrite
Parce que l'honneur parle et parce qu'il le faut,
C'est le crime, cela ! - Tu l'entends, toi, là-haut !
Oui, voilà ce qu'on dit, mon Dieu, devant ta face !
Témoin toujours présent qu'aucune ombre n'efface,
Voilà ce qu'on étale à tes yeux éternels !

Quoi ! le sang fume aux mains de tous ces criminels !
Quoi ! les morts, vierge, enfant, vieillards et femmes grosses
Ont à peine eu le temps de pourrir dans leurs fosses !
Quoi ! Paris saigne encor ! quoi ! devant tous les yeux,
Son faux serment est là qui plane dans les cieux !
Et voilà comme parle un tas d'êtres immondes
Ô noir bouillonnement des colères profondes !

Et maint vivant, gavé, triomphant et vermeil,
Reprend : « Ce bruit qu'on fait dérange mon sommeil.
Tout va bien. Les marchands triplent leurs clientèles,
Et nos femmes ne sont que fleurs et que dentelles !
- De quoi donc se plaint-on ? crie un autre quidam ;
En flânant sur l'asphalte et sur le macadam,
Je gagne tous les jours trois cents francs à la Bourse.
L'argent coule aujourd'hui comme l'eau d'une source ;
Les ouvriers maçons ont trois livres dix sous,
C'est superbe ; Paris est sens dessus dessous.
Il paraît qu'on a mis dehors les démagogues.
Tant mieux. Moi j'applaudis les bals et les églogues
Du prince qu'autrefois à tort je reniais.
Que m'importe qu'on ait chassé quelques niais ?
Quant aux morts, ils sont morts. Paix à ces imbéciles !
Vivent les gens d'esprit ! vivent ces temps faciles
Où l'on peut à son choix prendre pour nourricier
Le crédit mobilier ou le crédit foncier !
La république rouge aboie en ses cavernes,
C'est affreux ! Liberté, droit, progrès, balivernes
Hier encor j'empochais une prime d'un franc ;
Et moi, je sens fort peu, j'en conviens, je suis franc,
Les déclamations m'étant indifférentes,
La baisse de l'honneur dans la hausse des rentes. »

Ô langage hideux ! on le tient, on l'entend !
Eh bien, sachez-le donc ; repus au cœur content,
Que nous vous le disions bien une fois pour toutes,
Oui, nous, les vagabonds dispersés sur les routes,
Errant sans passe-port, sans nom et sans foyer,
Nous autres, les proscrits qu'on ne fait pas ployer,
Nous qui n'acceptons point qu'un peuple s'abrutisse,
Qui d'ailleurs ne voulons, tout en voulant justice,
D'aucune représaille et d'aucun échafaud,
Nous, dis-je, les vaincus sur qui Mandrin prévaut,
Pour que la liberté revive, et que la honte
Meure, et qu'à tous les fronts l'honneur serein remonte,
Pour affranchir romains, lombards, germains, hongrois,
Pour faire rayonner, soleil de tous les droits,
La république mère au centre de l'Europe,
Pour réconcilier le palais et l'échoppe,
Pour faire refleurir la fleur Fraternité,
Pour fonder du travail le droit incontesté,
Pour tirer les martyrs de ces bagnes infâmes,
Pour rendre aux fils le père et les maris aux femmes,
Pour qu'enfin ce grand siècle et cette nation
Sortent du Bonaparte et de l'abjection,
Pour atteindre à ce but où notre âme s'élance,
Nous nous ceignons les reins dans l'ombre et le silence
Nous nous déclarons prêts, prêts, entendez-vous bien ?
- Le sacrifice est tout, la souffrance n'est rien, -
Prêts, quand Dieu fera signe, à donner notre vie
Car, à voir ce qui vit, la mort nous fait envie,
Car nous sommes tous mal sous ce drôle effronté,
Vivant, nous sans patrie, et vous sans liberté !

Oui, sachez-le, vous tous que l'air libre importune
Et qui dans ce fumier plantez votre fortune,
Nous ne laisserons pas le peuple s'assoupir ;
Oui, nous appellerons, jusqu'au dernier soupir,
Au secours de la France aux fers et presque éteinte,
Comme nos grands -aïeux, l'insurrection sainte
Nous convierons Dieu même à foudroyer ceci
Et c'est notre pensée et nous sommes ainsi,
Aimant mieux, dût le sort nous broyer sous sa roue,
Voir couler notre sang que croupir votre boue.

Jersey, le 28 janvier 1853.
Paul d'Aubin May 2014
Le Joaillier des Mots

Il était joaillier des mots,
sans que l’on ne sût pourquoi
peut être cherchait il le soleil
qui trop souvent nous est masqué,
et nous cache le sens profond
de la beauté de notre vie.
Il était homme du commun,
pas très brillant dans les affaires,
car souvent son Esprit volait,
**** des chiffres et de l’âpre lutte
que l’Homme se mène à lui-même.
C’était un luthier sans harpe.
Il voyait du rêve partout,
et voulait les fermer dans les mots.
qui, s’égrenaient comme des perles
et s’écoulaient comme des notes,
la musique était Poésie
la poésie se faisait musique.
Il était joaillier des mots,
à l’heure ou tous sont morts de peur
et courent comme gibier traqué
plutôt que de goûter la vie.
Il n’avait pas peur de manquer,
moins encore de posséder,
son seul souci était de vivre.
Il n’aimait guère la violence,
qui endeuille la vie des êtres
n’avait aucun impératif
qui rend esclave des idées,
mais son sourire était de miel,
et son rire était cristallin.
L’amitié était sa boussole,
et l’humain son diamant secret.
Jamais il n’injuriait la vie
et il jouait avec les mots
comme un peintre avec son pinceau
s’efforce d’embellir la vie.

Paul d’Aubin (Paul Arrighi)
à Toulouse en France.
Bouazizi, conduisant l’avion simple roue,
S’aperçoit de ces flics et entend leur sifflet.
Il songe à s’en voler, ce garçon maigrelet,
Craignant se retrouver bientôt sous les verrous.

Hélas ! il ne peut pas. Il pense sur le coup
Qu’ils seraient plus rapides ou bien que ses bons fruits,
Légumes et L'avion seraient vite détruits
Après son escapade, alors que d’aucun coup

Ou vol quoique ce soit il ne serait chargé.
Où est ce qu’il trouverait de quoi faire et manger ?
Le sang froid garde-t-il, sachant que nulle part

Il n’y aurait de refuge : chez eux il y a la faim,
Des tortures, et chez lui il serait sans rempart.
Il attend ou le fouet ou aux douleurs la fin.
À Maurice Raynal.


S'étendant sur les côtes du cimetière
La maison des morts l'encadrait comme un cloître
À l'intérieur de ses vitrines
Pareilles à celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimaçaient pour l'éternité

Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
J'étais entré pour la première fois et par hasard
Dans ce cimetière presque désert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposée et vêtue le mieux possible
En attendant la sépulture

Soudain
Rapide comme ma mémoire
Les yeux se rallumèrent
De cellule vitrée en cellule vitrée
Le ciel se peupla d'une apocalypse
Vivace
Et la terre plate à l'infini
Comme avant Galilée
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m'accostèrent
Avec des mines de l'autre monde

Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientôt moins funèbres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique

Les morts se réjouissaient
De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière
Ils riaient de leur ombre et l'observaient
Comme si véritablement
C'eût été leur vie passée

Alors je les dénombrai
Ils étaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient à vue d'œil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialité
Tant de tendresse même
Que les prenant en amitié
Tout à coup
Je les invitai à une promenade
**** des arcades de leur maison

Et tous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos péchés sont absous
Nous quittâmes le cimetière

Nous traversâmes la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
À la petite troupe des morts récents
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants

Puis dans la campagne
On s'éparpilla
Deux chevau-légers nous joignirent
On leur fit fête
Ils coupèrent du bois de viorne
Et de sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu'ils distribuèrent aux enfants

Plus **** dans un bal champêtre
Les couples mains sur les épaules
Dansèrent au son aigre des cithares

Ils n'avaient pas oublié la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps à autre une cloche
Annonçait qu'un nouveau tonneau
Allait être mis en perce

Une morte assise sur un banc
Près d'un buisson d'épine-vinette
Laissait un étudiant
Agenouillé à ses pieds
Lui parler de fiançailles

Je vous attendrai
Dix ans ans vingt ans s'il le faut
Votre volonté sera la mienne

Je vous attendrai
Toute votre vie
Répondait la morte

Des enfants
De ce monde ou bien de l'autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poétiques
De l'humanité

L'étudiant passa une bague
À l'annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l'absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous aurons une belle noce
Des touffes de myrte
À nos vêtements et dans vos cheveux
Un beau sermon à l'église
De longs discours après le banquet
Et de la musique

De la musique
Nos enfants
Dit la fiancée
Seront plus beaux plus beaux encore
Hélas ! la bague était brisée
Que s'ils étaient d'argent ou d'or
D'émeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumière de l'aurore
Que vos regards mon fiancé
Auront meilleure odeur encore
Hélas ! la bague était brisée
Que le lilas qui vient d'éclore
Que le thym la rose ou qu'un brin
De lavande ou de romarin

Les musiciens s'en étant allés
Nous continuâmes la promenade

Au bord d'un lac
On s'amusa à faire des ricochets
Avec des cailloux plats
Sur l'eau qui dansait à peine

Des barques étaient amarrées
Dans un havre
On les détacha
Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants

À l'avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d'une robe jaune
D'un corsage noir
Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris
Orné d'une seule petite plume défrisée

Je vous aime
Disait-il
Comme le pigeon aime la colombe
Comme l'insecte nocturne
Aime la lumière

Trop ****
Répondait la vivante
Repoussez repoussez cet amour défendu
Je suis mariée
Voyez l'anneau qui brille
Mes mains tremblent
Je pleure et je voudrais mourir

Les barques étaient arrivées
À un endroit où les chevau-légers
Savaient qu'un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l'interroger
Il y eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleines d'à-propos
Que c'était à mourir de rire
Et le mort disait à la vivante

Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l'eau se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra
On reprit terre et ce fut le retour
Les amoureux s'entr'aimaient
Et par couples aux belles bouches
Marchaient à distances inégales
Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes
Un genévrier parfois
Faisait l'effet d'un fantôme

Les enfants déchiraient l'air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne

Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
À demain
À bientôt
Beaucoup entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour y acheter leur repas du soir

Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s'en allaient tout droit
Au cimetière

Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés
Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines

Ils ne se doutaient pas
De ce qui s'était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir
C'était un bonheur inespéré
Et si certain
Qu'ils ne craignaient point de le perdre

Ils vivaient si noblement
Que ceux qui la veille encore
Les regardaient comme leurs égaux
Ou même quelque chose de moins
Admiraient maintenant
Leur puissance leur richesse et leur génie
Car y a-t-il rien qui vous élève
Comme d'avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu'on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
À se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l'on n'a plus besoin de personne.
La Jongleuse Apr 2013
lâche, lâche mes poignets
qui sont terriblement lourds
je l'ai laissé découvrir ce champ
& il a mis son cœur dans son cul
il s'est endormi sur la plage &
les vagues grises approchent
comme un enfant au berceau
ou plutôt, un vieil homme
crevé dans son tombeau?

laisse, laisse les heures fondent
enchaînées, l'une après l'autre
les temps que son corps
ne laisse aucun empreint,
qu'il soit pris par la mer,
j'aurais bu l'ensemble des océanes,
volontairement, les mains attachées
mais l'eau salée brûle mes lèvres
autant que ma parole morde

recule, recule, c'est le moment
je l'abandonne sur les rochiers
pour aller coucher avec le soleil
l'aube, je reviendrai manger,
engloutir ses côtes pétrifiés,
enterrer ses os sous les châteaux
de sable qui peignent et tapissent
l'horizon de ce festin cannibale
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle ()
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
À le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda.


La France.
I

La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève...
- Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...

II

Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure...
Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain métallique en son globe de verre...
- Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre,
Épars autour des lits, des vêtements de deuil
L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...
- Il n'est donc point de mère à ces petits enfants,
De mère au frais sourire, aux regards triomphants ?
Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,
D'exciter une flamme à la cendre arrachée,
D'amonceler sur eux la laine et l'édredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n'a point prévu la froideur matinale,
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?...
- Le rêve maternel, c'est le tiède tapis,
C'est le nid cotonneux où les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !...
- Et là, - c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;
Un nid que doit avoir glacé la bise amère...

III

Votre coeur l'a compris : - ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis ! - et le père est bien **** !...
- Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée
S'éveille, par degrés, un souvenir riant...
C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant :
- Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux,
Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s'éveillait matin, on se levait joyeux,
La lèvre affriandée, en se frottant les yeux...
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait !... Puis alors les souhaits... en chemise,
Les baisers répétés, et la gaîté permise !

IV

Ah ! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois !
- Mais comme il est changé, le logis d'autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer...
- L'armoire était sans clefs !... sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs !... c'était étrange !... on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure
Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure...
- La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui ;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises :
Partant, point de baisers, point de douces surprises !
Oh ! que le jour de l'an sera triste pour eux !
- Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amère,
Ils murmurent : "Quand donc reviendra notre mère ?"

V

Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible !
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible !
- Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose...
- Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux se pose...
Ils se croient endormis dans un paradis rose...
Au foyer plein d'éclairs chante gaîment le feu...
Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ;
La nature s'éveille et de rayons s'enivre...
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil...
Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil
Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire ...
On dirait qu'une fée a passé dans cela ! ...
- Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là,
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose...
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : "À NOTRE MÈRE !"
Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.

Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d'un fantassin romain.

Mais la monstrueuse bête n'était pas un poids inerte ; au contraire, elle enveloppait et opprimait l'homme de ses muscles élastiques et puissants ; elle s'agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture ; et sa tête fabuleuse surmontait le front de l'homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l'ennemi.

Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres ; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.

Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos ; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir ; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.

Et le cortège passa à côté de moi et s'enfonça dans l'atmosphère de l'horizon, à l'endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.

Et pendant quelques instants je m'obstinai à vouloir comprendre ce mystère ; mais bientôt l'irrésistible Indifférence s'abattit sur moi, et j'en fus plus lourdement accablé qu'ils ne l'étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.
Fable III, Livre I.


D'Actéon, mes amis, vous savez l'aventure ;
Vous savez qu'un peu cher il paya des transports
Où la seule Diane a pu voir une injure.
Aux mots qu'en son courroux cette ***** murmure,
Sans trop cacher pourtant ses pudiques trésors,
Notre indiscret, d'un cerf dix cors
À tout à coup pris l'encolure.
Un pied fourchu s'ajuste à sa jambe, à son bras ;
Ses cheveux en rameaux se dressent sur sa tête ;
Jusqu'au bout de son nez qui s'allonge, un poil rat
Court habiller notre homme en bête.
Peu content de voir sur son front
Ce qui paraît moins sur le nôtre,
Le nouveau quadrupède à décamper fut prompt.
Mais, hélas ! un malheur vient-il jamais sans l'autre ?
Ses bassets, un peu trop ardents,
Et, comme nous, enclins à juger sur la mine,
Le suivent en jappant dans la forêt voisine,
Où, tout en pleurs, bientôt il périt sous leurs dents.
Aucun d'eux cependant n'était ingrat ou traître,
Aucun du moins ne croyait l'être,
Lorsque dans son sang même ils se désaltéraient ;
Ce n'était pas leur pauvre maître,
C'était un cerf qu'ils déchiraient.
Vous qui d'écrire avez l'audace ou la faiblesse,
Si haut que soit le rang où vous plaça le sort,
Au destin d'Actéon résignez-vous d'abord,
Et surtout oubliez vos titres de noblesse.
Bien qu'au pied du Parnasse il soit plus d'un flatteur
La critique et sa meute y fixent leur retraite :
Quand vous vous donnez pour auteur,
En auteur souffrez qu'on vous traite.
evocatory Sep 2015
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer **** de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au **** descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Ainsi, mon cher, tu t'en reviens
Du pays dont je me souviens
Comme d'un rêve,
De ces beaux lieux où l'oranger
Naquit pour nous dédommager
Du péché d'Ève.

Tu l'as vu, ce ciel enchanté
Qui montre avec tant de clarté
Le grand mystère ;
Si pur, qu'un soupir monte à Dieu
Plus librement qu'en aucun lieu
Qui soit sur terre.

Tu les as vus, les vieux manoirs
De cette ville aux palais noirs
Qui fut Florence,
Plus ennuyeuse que Milan
Où, du moins, quatre ou cinq fois l'an,
Cerrito danse.

Tu l'as vue, assise dans l'eau,
Portant gaiement son mezzaro,
La belle Gênes,
Le visage peint, l'oeil brillant,
Qui babille et joue en riant
Avec ses chaînes.

Tu l'as vu, cet antique port,
Où, dans son grand langage mort,
Le flot murmure,
Où Stendhal, cet esprit charmant,
Remplissait si dévotement
Sa sinécure.

Tu l'as vu, ce fantôme altier
Qui jadis eut le monde entier
Sous son empire.
César dans sa pourpre est tombé :
Dans un petit manteau d'abbé
Sa veuve expire.

Tu t'es bercé sur ce flot pur
Où Naples enchâsse dans l'azur
Sa mosaique,
Oreiller des lazzaroni
Où sont nés le macaroni
Et la musique.

Qu'il soit rusé, simple ou moqueur,
N'est-ce pas qu'il nous laisse au coeur
Un charme étrange,
Ce peuple ami de la gaieté
Qui donnerait gloire et beauté
Pour une orange ?

Catane et Palerme t'ont plu.
Je n'en dis rien ; nous t'avons lu ;
Mais on t'accuse
D'avoir parlé bien tendrement,
Moins en voyageur qu'en amant,
De Syracuse.

Ils sont beaux, quand il fait beau temps,
Ces yeux presque mahométans
De la Sicile ;
Leur regard tranquille est ardent,
Et bien dire en y répondant
N'est pas facile.

Ils sont doux surtout quand, le soir,
Passe dans son domino noir
La toppatelle.
On peut l'aborder sans danger,
Et dire : « Je suis étranger,
Vous êtes belle. »

Ischia ! C'est là, qu'on a des yeux,
C'est là qu'un corsage amoureux
Serre la hanche.
Sur un bas rouge bien tiré
Brille, sous le jupon doré,
La mule blanche.

Pauvre Ischia ! bien des gens n'ont vu
Tes jeunes filles que pied nu
Dans la poussière.
On les endimanche à prix d'or ;
Mais ton pur soleil brille encor
Sur leur misère.

Quoi qu'il en soit, il est certain
Que l'on ne parle pas latin
Dans les Abruzzes,
Et que jamais un postillon
N'y sera l'enfant d'Apollon
Ni des neuf Muses.

Il est bizarre, assurément,
Que Minturnes soit justement
Près de Capoue.
Là tombèrent deux demi-dieux,
Tout barbouillés, l'un de vin vieux,
L'autre de boue.

Les brigands t'ont-ils arrêté
Sur le chemin tant redouté
De Terracine ?
Les as-tu vus dans les roseaux
Où le buffle aux larges naseaux
Dort et rumine ?

Hélas ! hélas ! tu n'as rien vu.
Ô (comme on dit) temps dépourvu
De poésie !
Ces grands chemins, sûrs nuit et jour,
Sont ennuyeux comme un amour
Sans jalousie.

Si tu t'es un peu détourné,
Tu t'es à coup sûr promené
Près de Ravenne,
Dans ce triste et charmant séjour
Où Byron noya dans l'amour
Toute sa haine.

C'est un pauvre petit cocher
Qui m'a mené sans accrocher
Jusqu'à Ferrare.
Je désire qu'il t'ait conduit.
Il n'eut pas peur, bien qu'il fît nuit ;
Le cas est rare.

Padoue est un fort bel endroit,
Où de très grands docteurs en droit
Ont fait merveille ;
Mais j'aime mieux la polenta
Qu'on mange aux bords de la Brenta
Sous une treille.

Sans doute tu l'as vue aussi,
Vivante encore, Dieu merci !
Malgré nos armes,
La pauvre vieille du Lido,
Nageant dans une goutte d'eau
Pleine de larmes.

Toits superbes ! froids monuments !
Linceul d'or sur des ossements !
Ci-gît Venise.
Là mon pauvre coeur est resté.
S'il doit m'en être rapporté,
Dieu le conduise !

Mon pauvre coeur, l'as-tu trouvé
Sur le chemin, sous un pavé,
Au fond d'un verre ?
Ou dans ce grand palais Nani ;
Dont tant de soleils ont jauni
La noble pierre ?

L'as-tu vu sur les fleurs des prés,
Ou sur les raisins empourprés
D'une tonnelle ?
Ou dans quelque frêle bateau.
Glissant à l'ombre et fendant l'eau
À tire-d'aile ?

L'as-tu trouvé tout en lambeaux
Sur la rive où sont les tombeaux ?
Il y doit être.
Je ne sais qui l'y cherchera,
Mais je crois bien qu'on ne pourra
L'y reconnaître.

Il était ***, jeune et hardi ;
Il se jetait en étourdi
À l'aventure.
Librement il respirait l'air,
Et parfois il se montrait fier
D'une blessure.

Il fut crédule, étant loyal,
Se défendant de croire au mal
Comme d'un crime.
Puis tout à coup il s'est fondu
Ainsi qu'un glacier suspendu
Sur un abîme...

Mais de quoi vais-je ici parler ?
Que ferais-je à me désoler,
Quand toi, cher frère,
Ces lieux où j'ai failli mourir,
Tu t'en viens de les parcourir
Pour te distraire ?

Tu rentres tranquille et content ;
Tu tailles ta plume en chantant
Une romance.
Tu rapportes dans notre nid
Cet espoir qui toujours finit
Et recommence.

Le retour fait aimer l'adieu ;
Nous nous asseyons près du feu,
Et tu nous contes
Tout ce que ton esprit a vu,
Plaisirs, dangers, et l'imprévu,
Et les mécomptes.

Et tout cela sans te fâcher,
Sans te plaindre, sans y toucher
Que pour en rire ;
Tu sais rendre grâce au bonheur,
Et tu te railles du malheur
Sans en médire.

Ami, ne t'en va plus si ****.
D'un peu d'aide j'ai grand besoin,
Quoi qu'il m'advienne.
Je ne sais où va mon chemin,
Mais je marche mieux quand ma main
Serre la tienne.
Il m'en souvient, c'était aux plages
Où m'attire un ciel du Midi,
Ciel sans souillure et sans orages,
Où j'aspirais sous les feuillages
Les parfums d'un air attiédi.

Une mer qu'aucun bord n'arrête
S'étendait bleue à l'horizon ;
L'oranger, cet arbre de fête,
Neigeait par moments sur ma tête ;
Des odeurs montaient du gazon.

Tu croissais près d'une colonne
D'un temple écrasé par le temps ;
Tu lui faisais une couronne,
Tu parais son tronc monotone
Avec tes chapiteaux flottants ;

Fleur qui décores la ruine
Sans un regard pour t'admirer !
Je cueillis ta blanche étamine,
Et j'emportai sur ma poitrine
Tes parfums pour les respirer.

Aujourd'hui, ciel, temple, rivage,
Tout a disparu sans retour :
Ton parfum est dans le nuage,
Et je trouve, en tournant la page,
La trace morte d'un beau jour !
Stance.


Que vous sert-il de me charmer ?
Aminte, je ne puis aimer
Où je ne vois rien à prétendre ;
Je sens naître et mourir ma flamme à votre aspect,
Et si pour la beauté j'ai toujours l'âme tendre,
Jamais pour la vertu je n'ai que du respect.

Vous me recevez sans mépris,
Je vous parle, je vous écris,
Je vous vois quand j'en ai l'envie ;
Ces bonheurs sont pour moi des bonheurs superflus ;
Et si quelque autre y trouve une assez douce vie,
Il me faut pour aimer quelque chose de plus.

Le plus grand amour sans faveur,
Pour un homme de mon humeur,
Est un assez triste partage ;
Je cède à mes rivaux cet inutile bien,
Et qui me donne un cœur, sans donner davantage,
M'obligerait bien plus de ne me donner rien.

Je suis de ces amants grossiers
Qui n'aiment pas fort volontiers
Sans aucun prix de leurs services,
Et veux, pour m'en payer, un peu mieux qu'un regard ;
Et l'union d'esprit est pour moi sans délices
Si les charmes des sens n'y prennent quelque part.
Ce texte est une traduction de Pierre Corneille d'une œuvre
anonyme de piété chrétienne de la fin du XIVe ou début du XVe s.

(Que la vérité parle au dedans du coeur sans aucun bruit de paroles.)

Parle, parle, Seigneur, ton serviteur écoute :
Je dis ton serviteur, car enfin je le suis ;
Je le suis, je veux l'être, et marcher dans ta route
Et les jours et les nuits.

Remplis-moi d'un esprit qui me fasse comprendre
Ce qu'ordonnent de moi tes saintes volontés,
Et réduis mes désirs au seul désir d'entendre
Tes hautes vérités.

Mais désarme d'éclairs ta divine éloquence ;
Fais-la couler sans bruit au milieu de mon coeur
Qu'elle ait de la rosée et la vive abondance
Et l'aimable douceur.

Vous la craigniez, Hébreux, vous croyiez que la foudre,
Que la mort la suivît et dût tout désoler,
Vous qui dans le désert ne pouviez vous résoudre
A l'entendre parler.

" Parle-nous, parle-nous, disiez-vous à Moïse,
Mais obtiens du Seigneur qu'il ne nous parle pas ;
Des éclats de sa voix la tonnante surprise
Serait notre trépas. "

Je n'ai point ces frayeurs alors que je te prie ;
Je te fais d'autres voeux que ces fils d'Israël,  
Et plein de confiance, humblement je m'écrie
Avec ton Samuel :

" Quoi que tu sois le seul qu'ici-bas je redoute,
C'est toi seul qu'ici-bas je souhaite d'ouïr :
Parle donc, ô mon Dieu ! ton serviteur écoute,
Et te veut obéir. "

Je ne veux ni Moïse à m'enseigner tes voies,
Ni quelque autre prophète à m'expliquer tes lois ;
C'est toi qui les instruis, c'est toi qui les envois,
Dont je cherche la voix.

Comme c'est de toi seul qu'ils ont tous ces lumières
Dont la grâce par eux éclaire notre foi,
Tu peux bien sans eux tous me les donner entières,
Mais eux tous rien sans toi.

Ils peuvent répéter le son de tes paroles,
Mais il n'est pas en eux d'en conférer l'esprit,
Et leurs discours sans toi passent pour si frivoles
Que souvent on en rit.

Qu'ils parlent hautement, qu'ils disent des merveilles,
Qu'ils déclarent ton ordre avec pleine vigueur :
Si tu ne parles point, ils frappent les oreilles
Sans émouvoir le coeur.

Ils sèment la parole obscure, simple et nue ;
Mais dans l'obscurité tu rends l'oeil clairvoyant,
Et joins du haut du ciel à la lettre qui tue
L'esprit vivifiant.

Leur bouche sous l'énigme annonce le mystère,
Mais tu nous en fais voir le sens le plus caché ;
Ils nous prêchent tes lois, mais ton secours fait faire
Tout ce qu'ils ont prêché,

Ils montrent le chemin, mais tu donnes la force
D'y porter tous nos pas, d'y marcher jusqu'au bout ;
Et tout ce qui vient d'eux ne passe point l'écorce,
Mais tu pénètres tout.

Ils n'arrosent sans toi que les dehors de l'âme,
Mais sa fécondité veut ton bras souverain ;
Et tout ce qui l'éclaire, et tout ce qui l'enflamme
Ne part que de ta main.

Ces prophètes en fin ont beau crier et dire,
Ce ne sont que des voix, ce ne sont que des cris,
Si pour en profiter l'esprit qui les inspire
Ne touche nos esprits.

Silence donc, Moïse ! et toi, parle en sa place,
Eternelle, immuable, immense vérité :
Parle, que je ne meure enfoncé dans la glace
De ma stérilité.

C'est mourir en effet, qu'à ta faveur céleste
Ne rendre point pour fruit des désirs plus ardents ;
Et l'avis du dehors n'a rien que de funeste
S'il n'échauffe au dedans.

Cet avis écouté seulement par caprice,
Connu sans être aimé, cru sans être observé,
C'est ce qui vraiment tue, et sur quoi ta justice
Condamne un réprouvé.

Parle donc, ô mon Dieu ! ton serviteur fidèle
Pour écouter ta voix réunit tous ses sens,
Et trouve les douceurs de la vie éternelle
En ses divins accents.

Parle pour consoler mon âme inquiétée ;
Parle pour la conduire à quelque amendement ;
Parle, afin que ta gloire ainsi plus exaltée
Croisse éternellement.

— The End —