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Trois petits pâtés, ma chemise brûle.

Monsieur le Curé n'aime pas les os.

Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,

Que n'émigrons-nous vers les Palaiseaux !


Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,

On dirait d'un cher glaïeul sur les eaux.

Vivent le muguet et la campanule !

Dodo, l'enfant do, chantez, doux fuseaux.


Que n'émigrons-nous vers les Palaiseaux !

Trois petits pâtés, un point et virgule ;

On dirait d'un cher glaïeul sur les eaux.

Vivent le muguet et la campanule !


Trois petits pâtés, un point et virgule ;

Dodo, l'enfant do, chantez, doux fuseaux.

La libellule erre emmi les roseaux.

Monsieur le Curé, ma chemise brûle !
Alfred de Musset  Jun 2017
Venise
Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge ;
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.

Seul, assis à la grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.

Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons
Couchés en ronds,

Dorment sur l'eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons.

La lune qui s'efface
Couvre son front qui passe
D'un nuage étoilé
Demi-voilé.

Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.

Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers.
Des chevaliers,

Et les ponts, et les rues,
Et les mornes statues,
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,

Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.

- Ah ! maintenant plus d'une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.

Pour le bal qu'on prépare,
Plus d'une qui se pare,
Met devant son miroir
Le masque noir.

Sur sa couche embaumée,
La Vanina pâmée
Presse encor son amant,
En s'endormant ;

Et Narcisa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S'oublie en un festin
Jusqu'au matin.

Et qui, dans l'Italie,
N'a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?

Laissons la vieille horloge,
Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.

Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés...
Ou pardonnés.

Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes,
Qu'à nos yeux a coûté
La volupté !
Adieu, puisqu'il le faut ; adieu, belle nuit blanche,

Nuit d'argent, plus sereine et plus douce qu'un jour !

Ton page noir est là, qui, le poing sur la hanche,

Tient ton cheval en bride et t'attend dans la cour.


Aurora, dans le ciel que brunissaient tes voiles,

Entrouvre ses rideaux avec ses doigts rosés ;

O nuit, sous ton manteau tout parsemé d'étoiles,

Cache tes bras de nacre au vent froid exposés.


Le bal s'en va finir. Renouez, heures brunes,

Sur vos fronts parfumés vos longs cheveux de jais,

N'entendez-vous pas l'aube aux rumeurs importunes,

Qui halète à la porte et souffle son air frais.


Le bal est enterré. Cavaliers et danseuses,

Sur la tombe du bal, jetez à pleines mains

Vos colliers défilés, vos parures soyeuses,

Vos dahlias flétris et vos pâles jasmins.


Maintenant c'est le jour. La veille après le rêve ;

La prose après les vers : c'est le vide et l'ennui ;

C'est une bulle encore qui dans les mains nous crève,

C'est le plus triste jour de tous ; c'est aujourd'hui.


Ô Temps ! Que nous voulons tuer et qui nous tues,

Vieux porte-faux, pourquoi vas-tu traînant le pied,

D'un pas lourd et boiteux, comme vont les tortues,

Quand sur nos fronts blêmis le spleen anglais s'assied.


Et lorsque le bonheur nous chante sa fanfare,

Vieillard malicieux, dis-moi, pourquoi cours-tu

Comme devant les chiens court un cerf qui s'effare,

Comme un cheval que fouille un éperon pointu ?


Hier, j'étais heureux. J'étais. Mot doux et triste !

Le bonheur est l'éclair qui fuit sans revenir.

Hélas ! Et pour ne pas oublier qu'il existe,

Il le faut embaumer avec le souvenir.


J'étais. Je ne suis plus. Toute la vie humaine

Résumée en deux mots, de l'onde et puis du vent.

Mon Dieu ! N'est-il donc pas de chemin qui ramène

Au bonheur d'autrefois regretté si souvent.


Derrière nous le sol se crevasse et s'effondre.

Nul ne peut retourner. Comme un maigre troupeau

Que l'on mène au boucher, ne pouvant plus le tondre,

La vieille Mob nous pousse à grand train au tombeau.


Certes, en mes jeunes ans, plus d'un bal doit éclore,

Plein d'or et de flambeaux, de parfums et de bruit,

Et mon cœur effeuillé peut refleurir encore ;

Mais ce ne sera pas mon bal de l'autre nuit.


Car j'étais avec toi. Tous deux seuls dans la foule,

Nous faisant dans notre âme une chaste Oasis,

Et, comme deux enfants au bord d'une eau qui coule,

Voyant onder le bal, l'un contre l'autre assis.


Je ne pouvais savoir, sous le satin du masque,

De quelle passion ta figure vivait,

Et ma pensée, au vol amoureux et fantasque,

Réalisait, en toi, tout ce qu'elle rêvait.


Je nuançais ton front des pâleurs de l'agate,

Je posais sur ta bouche un sourire charmant,

Et sur ta joue en fleur, la pourpre délicate

Qu'en s'envolant au ciel laisse un baiser d'amant.


Et peut-être qu'au fond de ta noire prunelle,

Une larme brillait au lieu d'éclair joyeux,

Et, comme sous la terre une onde qui ruisselle,

S'écoulait sous le masque invisible à mes yeux.


Peut-être que l'ennui tordait ta lèvre aride,

Et que chaque baiser avait mis sur ta peau,

Au lieu de marque rose, une tache livide

Comme on en voit aux corps qui sont dans le tombeau.


Car si la face humaine est difficile à lire,

Si déjà le front nu ment à la passion,

Qu'est-ce donc, quand le masque est double ? Comment dire

Si vraiment la pensée est sœur de l'action ?


Et cependant, malgré cette pensée amère,

Tu m'as laissé, cher bal, un souvenir charmant ;

Jamais rêve d'été, jamais blonde chimère,

Ne m'ont entre leurs bras bercé plus mollement.


Je crois entendre encore tes rumeurs étouffées,

Et voir devant mes yeux, sous ta blanche lueur,

Comme au sortir du bain, les péris et les fées,

Luire des seins d'argent et des cols en sueur.


Et je sens sur ma bouche une amoureuse haleine,

Passer et repasser comme une aile d'oiseau,

Plus suave en odeur que n'est la marjolaine

Ou le muguet des bois, au temps du renouveau.


Ô nuit ! Aimable nuit ! Sœur de Luna la blonde,

Je ne veux plus servir qu'une déesse au ciel,

Endormeuse des maux et des soucis du monde,

J'apporte à ta chapelle un pavot et du miel.


Nuit, mère des festins, mère de l'allégresse,

Toi qui prêtes le pan de ton voile à l'amour,

Fais-moi, sous ton manteau, voir encore ma maîtresse,

Et je brise l'autel d'Apollo, dieu du jour.
Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues !
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues !
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l'idéal, la grâce et la beauté !
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car, avec l'air profond, vous êtes imbéciles !
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout !
Car vous êtes mauvais et méchants ! - Mon sang bout
Rien qu'à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique !
Que d'ennuis ! de fureurs ! de bêtises ! - gredins ! -
Que de froids châtiments et que de chocs soudains !
« Dimanche en retenue et cinq cents vers d'Horace ! »
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,
Et je balbutiais : « Monsieur... - Pas de raisons !
- Vingt fois l'ode à Plancus et l'épître aux Pisons ! »
Or j'avais justement, ce jour là, - douce idée.
Qui me faisait rêver d'Armide et d'Haydée, -
Un rendez-vous avec la fille du portier.
Grand Dieu ! perdre un tel jour ! le perdre tout entier !
Je devais, en parlant d'amour, extase pure !
En l'enivrant avec le ciel et la nature,
La mener, si le temps n'était pas trop mauvais,
Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais !
Rêve heureux ! je voyais, dans ma colère bleue,
Tout cet Éden, congé, les lilas, la banlieue,
Et j'entendais, parmi le thym et le muguet,
Les vagues violons de la mère Saguet !
Ô douleur ! furieux, je montais à ma chambre,
Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre ;
Et, là, je m'écriais :

« Horace ! ô bon garçon !
Qui vivais dans le calme et selon la raison,
Et qui t'allais poser, dans ta sagesse franche,
Sur tout, comme l'oiseau se pose sur la branche,
Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux
Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux !
Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,
Les rires étouffés des folles jeunes filles,
Les doux chuchotements dans l'angle obscur du bois ;
Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,
Myrtale aux blonds cheveux, qui s'irrite et se cabre
Comme la mer creusant les golfes de Calabre,
Ou bien tu t'accoudais à table, buvant sec
Ton vin que tu mettais toi-même en un *** grec.
Pégase te soufflait des vers de sa narine ;
Tu songeais ; tu faisais des odes à Barine,
À Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur,
À Chloë, qui passait le long de ton vieux mur,
Portant sur son beau front l'amphore délicate.
La nuit, lorsque Phœbé devient la sombre Hécate,
Les halliers s'emplissaient pour toi de visions ;
Tu voyais des lueurs, des formes, des rayons,
Cerbère se frotter, la queue entre les jambes,
À Bacchus, dieu des vins et père des ïambes ;
Silène digérer dans sa grotte, pensif ;
Et se glisser dans l'ombre, et s'enivrer, lascif,
Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues,
La faune aux pieds de chèvre, aux oreilles pointues !
Horace, quand grisé d'un petit vin sabin,
Tu surprenais Glycère ou Lycoris au bain,
Qui t'eût dit, ô Flaccus ! quand tu peignais à Rome
Les jeunes chevaliers courant dans l'hippodrome,
Comme Molière a peint en France les marquis,
Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis,
Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes,
D'instruments de torture à d'horribles bonshommes,
Mal peignés, mal vêtus, qui mâchent, lourds pédants,
Comme un singe une fleur, ton nom entre leurs dents !
Grimauds hideux qui n'ont, tant leur tête est vidée,
Jamais eu de maîtresse et jamais eu d'idée ! »

Puis j'ajoutais, farouche :

« Ô cancres ! qui mettez
Une soutane aux dieux de l'éther irrités,
Un béguin à Diane, et qui de vos tricornes
Coiffez sinistrement les olympiens mornes,
Eunuques, tourmenteurs, crétins, soyez maudits !
Car vous êtes les vieux, les noirs, les engourdis,
Car vous êtes l'hiver ; car vous êtes, ô cruches !
L'ours qui va dans les bois cherchant un arbre à ruches,
L'ombre, le plomb, la mort, la tombe, le néant !
Nul ne vit près de vous dressé sur son séant ;
Et vous pétrifiez d'une haleine sordide
Le jeune homme naïf, étincelant, splendide ;
Et vous vous approchez de l'aurore, endormeurs !
À Pindare serein plein d'épiques rumeurs,
À Sophocle, à Térence, à Plaute, à l'ambroisie,
Ô traîtres, vous mêlez l'antique hypocrisie,
Vos ténèbres, vos mœurs, vos jougs, vos exeats,
Et l'assoupissement des noirs couvents béats ;
Vos coups d'ongle rayant tous les sublimes livres,
Vos préjugés qui font vos yeux de brouillards ivres,
L'horreur de l'avenir, la haine du progrès ;
Et vous faites, sans peur, sans pitié, sans regrets,
À la jeunesse, aux cœurs vierges, à l'espérance,
Boire dans votre nuit ce vieil ***** rance !
Ô fermoirs de la bible humaine ! sacristains
De l'art, de la science, et des maîtres lointains,
Et de la vérité que l'homme aux cieux épèle,
Vous changez ce grand temple en petite chapelle !
Guichetiers de l'esprit, faquins dont le goût sûr
Mène en laisse le beau ; porte-clefs de l'azur,
Vous prenez Théocrite, Eschyle aux sacrés voiles,
Tibulle plein d'amour, Virgile plein d'étoiles ;
Vous faites de l'enfer avec ces paradis ! »

Et ma rage croissant, je reprenais :

« Maudits,
Ces monastères sourds ! bouges ! prisons haïes !
Oh ! comme on fit jadis au pédant de Veïes,
Culotte bas, vieux tigre ! Écoliers ! écoliers !
Accourez par essaims, par bandes, par milliers,
Du gamin de Paris au groeculus de Rome,
Et coupez du bois vert, et fouaillez-moi cet homme !
Jeunes bouches, mordez le metteur de bâillons !
Le mannequin sur qui l'on drape des haillons
À tout autant d'esprit que ce cuistre en son antre,
Et tout autant de cœur ; et l'un a dans le ventre
Du latin et du grec comme l'autre à du foin.
Ah ! je prends Phyllodoce et Xantis à témoin
Que je suis amoureux de leurs claires tuniques ;
Mais je hais l'affreux tas des vils pédants iniques !
Confier un enfant, je vous demande un peu,
À tous ces êtres noirs ! autant mettre, morbleu !
La mouche en pension chez une tarentule !
Ces moines, expliquer Platon, lire Catulle,
Tacite racontant le grand Agricola,
Lucrèce ! eux, déchiffrer Homère, ces gens-là !
Ces diacres ! ces bedeaux dont le groin renifle !
Crânes d'où sort la nuit, pattes d'où sort la gifle,
Vieux dadais à l'air rogue, au sourcil triomphant,
Qui ne savent pas même épeler un enfant !
Ils ignorent comment l'âme naît et veut croître.
Cela vous a Laharpe et Nonotte pour cloître !
Ils en sont à l'A, B, C, D, du cœur humain ;  
Ils sont l'horrible Hier qui veut tuer Demain ;
Ils offrent à l'aiglon leurs règles d'écrevisses.
Et puis ces noirs tessons ont une odeur de vices.
Ô vieux pots égueulés des soifs qu'on ne dit pas !
Le pluriel met une S à leurs meâs culpâs,
Les boucs mystérieux, en les voyants s'indignent,
Et, quand on dit : « Amour !  » terre et cieux ! ils se signent.
Leur vieux viscère mort insulte au cœur naissant.
Ils le prennent de haut avec l'adolescent,
Et ne tolèrent pas le jour entrant dans l'âme
Sous la forme pensée ou sous la forme femme.
Quand la muse apparaît, ces hurleurs de holà
Disent : « Qu'est-ce que c'est que cette folle-là ? »
Et, devant ses beautés, de ses rayons accrues,
Ils reprennent : « Couleurs dures, nuances crues ;
Vapeurs, illusions, rêves ; et quel travers
Avez-vous de fourrer l'arc-en-ciel dans vos vers ? »
Ils raillent les enfants, ils raillent les poètes ;
Ils font aux rossignols leurs gros yeux de chouettes :
L'enfant est l'ignorant, ils sont l'ignorantin ;
Ils raturent l'esprit, la splendeur, le matin ;
Ils sarclent l'idéal ainsi qu'un barbarisme,
Et ces culs de bouteille ont le dédain du prisme. »

Ainsi l'on m'entendait dans ma geôle crier.

Le monologue avait le temps de varier.
Et je m'exaspérais, faisant la faute énorme,
Ayant raison au fond, d'avoir tort dans la forme.
Après l'abbé Tuet, je maudissais Bezout ;
Car, outre les pensums où l'esprit se dissout,
J'étais alors en proie à la mathématique.
Temps sombre ! Enfant ému du frisson poétique,
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux,
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux ;
On me faisait de force ingurgiter l'algèbre ;
On me liait au fond d'un Boisbertrand funèbre ;
On me tordait, depuis les ailes jusqu'au bec,
Sur l'affreux chevalet des X et des Y ;
Hélas ! on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires ;
Et je me débattais, lugubre patient
Du diviseur prêtant main-forte au quotient.
De là mes cris.

Un jour, quand l'homme sera sage,
Lorsqu'on n'instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l'enfant mieux compris se redresser leur front,
Que, des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles,
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.
Alors, tout en laissant au sommet des études
Les grands livres latins et grecs, ces solitudes
Où l'éclair gronde, où luit la mer, où l'astre rit,
Et qu'emplissent les vents immenses de l'esprit,
C'est en les pénétrant d'explication tendre,
En les faisant aimer, qu'on les fera comprendre.
Homère emportera dans son vaste reflux
L'écolier ébloui ; l'enfant ne sera plus
Une bête de somme attelée à Virgile ;
Et l'on ne verra plus ce vif esprit agile
Devenir, sous le fouet d'un cuistre ou d'un abbé,
Le lourd cheval poussif du pensum embourbé.
Chaque village aura, dans un temple rustique,
Dans la lumière, au lieu du magister antique,
Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât,
L'instituteur lucide et grave, magistrat
Du progrès, médecin de l'ignorance, et prêtre
De l'idée ; et dans l'ombre on verra disparaître
L'éternel écolier et l'éternel pédant.
L'aube vient en chantant, et non pas en grondant.
Nos fils riront de nous dans cette blanche sphère ;
Ils se demanderont ce que nous pouvions faire
Enseigner au moineau par le hibou hagard.
Alors, le jeune esprit et le jeune regard
Se lèveront avec une clarté sereine
Vers la science auguste, aimable et souveraine ;
Alors, plus de grimoire obscur, fade, étouffant ;
Le maître, doux apôtre incliné sur l'enfant,
Fera, lui versant Dieu, l'azur et l'harmonie,
Boire la petite âme à la coupe infinie.
Alors, tout sera vrai, lois, dogmes, droits, devoirs.
Tu laisseras passer dans tes jambages noirs
Une pure lueur, de jour en jour moins sombre,
Ô nature, alphabet des grandes lettres d'ombre !

Paris, mai 1831.
Cygnes au blanc plumage, au port majestueux,
Est-il vrai, dites-moi, qu'un chant harmonieux,
De vos jours écoulés rompant le long silence,
Lorsque va se briser votre frêle existence,
Comme un cri de bonheur s'élève vers les cieux ?

Quand sous votre aile, un soir, votre long col se ploie
Pour le dernier sommeil... d'où vous vient cette joie ?
De vos jours rien ne rompt l'indolente douceur :
Lorsque tout va finir, cet hymne de bonheur,
Comme à des cœurs brisés, quel penser vous l'envoie ?

Ô cygnes de nos lacs ! votre destin est doux ;
De votre sort heureux chacun serait jaloux.
Vous voguez lentement de l'une à l'autre rive,
Vous suivez les détours de l'onde fugitive :
Que ne puis-je en ces flots m'élancer avec vous !

Moi, sous l'ardent soleil, je demeure au rivage...
Pour vous, l'onde s'entr'ouvre et vous livre passage ;
Votre col gracieux, dans les eaux se plongeant,
Fait jaillir sur le lac mille perles d'argent
Qui laissent leur rosée à votre blanc plumage ;

Et les saules pleureurs, ondoyants, agités,
- Alors que vous passez, par le flot emportés -
D'un rameau caressant, doucement vous effleurent
Sur votre aile qui fuit quelques feuilles demeurent,
Ainsi qu'un souvenir d'amis qu'on a quittés.

Puis le soir, abordant à la rive odorante
Où fleurit à l'écart le muguet ou la menthe,
Sur un lit de gazon vous reposez, bercés
Par la brise des nuits, par les bruits cadencés
Des saules, des roseaux , de l'onde murmurante.

Oh ! pourquoi donc chanter un chant mélodieux
Quand s'arrête le cours de vos jours trop heureux ?
Pleurez plutôt, pleurez vos nuits au doux silence,
Les étoiles, les fleurs, votre fraîche existence ;
Pourquoi fêter la mort ?... vous êtes toujours deux !

C'est à nous de chanter quand vient l'heure suprême,
Nous, tristes pèlerins, dont la jeunesse même
Ne sait pas découvrir un verdoyant sentier,
Dont le bonheur s'effeuille ainsi que l'églantier ;
Nous, si tôt oubliés de l'ami qui nous aime !

C'est à nous de garder pour un jour à venir,
Tristes comme un adieu, doux comme un souvenir,
Des trésors d'harmonie inconnus à la terre,
Qui ne s'exhaleront qu'à notre heure dernière.
Pour qui souffre ici-bas, il est doux de mourir !

Ô cygnes ! laissez donc ce cri de délivrance
À nos cœurs oppressés de muette souffrance ;
La vie est un chemin où l'on cache ses pleurs...
Celui qui les comprend est plus ****, est ailleurs.
À nous les chants !... la mort, n'est-ce pas l'espérance ?
Les pitons des sierras, les dunes du désert,
Où ne pousse jamais un seul brin d'herbe vert ;
Les monts aux flancs zébrés de tuf, d'ocre et de marne,
Et que l'éboulement de jour en jour décharne,
Le grès plein de micas papillotant aux yeux,
Le sable sans profit buvant les pleurs des cieux,
Le rocher renfrogné dans sa barbe de ronce ;
L'ardente solfatare avec la pierre-ponce,
Sont moins secs et moins morts aux végétations
Que le roc de mon coeur ne l'est aux passions.
Le soleil de midi, sur le sommet aride,
Répand à flots plombés sa lumière livide,
Et rien n'est plus lugubre et désolant à voir
Que ce grand jour frappant sur ce grand désespoir.
Le lézard pâmé bâille, et parmi l'herbe cuite
On entend résonner les vipères en fuite.
Là, point de marguerite au coeur étoilé d'or,
Point de muguet prodigue égrenant son trésor ;
Là point de violette ignorée et charmante,
Dans l'ombre se cachant comme une pâle amante ;
Mais la broussaille rousse et le tronc d'arbre mort,
Que le genou du vent comme un arc plie et tord :
Là, pas d'oiseau chanteur, ni d'abeille en voyage,
Pas de ramier plaintif déplorant son veuvage ;
Mais bien quelque vautour, quelque aigle montagnard,
Sur le disque enflammé fixant son oeil hagard,
Et qui, du haut du pic où son pied prend racine,
Dans l'or fauve du soir durement se dessine.
Tel était le rocher que Moïse, au désert,
Toucha de sa baguette, et dont le flanc ouvert,
Tressaillant tout à coup, fit jaillir en arcade
Sur les lèvres du peuple une fraîche cascade.
Ah ! s'il venait à moi, dans mon aridité,
Quelque reine des coeurs, quelque divinité,
Une magicienne, un Moïse femelle,
Traînant dam le désert les peuples après elle,
Qui frappât le rocher de mon coeur endurci,
Comme de l'autre roche, on en verrait aussi
Sortir en jets d'argent des eaux étincelantes,
Où viendraient s'abreuver les racines des plantes ;
Où les pâtres errants conduiraient leurs troupeaux,
Pour se coucher à l'ombre et prendre le repos,
Où, comme en un vivier les cigognes fidèles
Plongeraient leurs grands becs et laveraient leurs ailes.
À un ami.

Jeanne a laissé de son jarret
Tomber un joli ruban rose
Qu'en vers on diviniserait,
Qu'on baise simplement en prose.

Comme femme elle met des bas,
Comme ange elle a droit à des ailes ;
Résultat : demain je me bats.
Les jours sont longs, les nuits sont belles,

On fait les foins, et ce barbon,
L'usage, roi de l'équipée,
Veut qu'on prenne un pré qui sent bon
Pour se donner des coups d'épée.

Pendant qu'aux lueurs du matin
La lame à la lame est croisée,
Dans l'herbe humide et dans le thym,
Les grives boivent la rosée.

Tu sais ce marquis insolent ?
Il ordonne, il rit. Jamais ivre
Et toujours gris ; c'est son talent.
Il faut ou le fuir, ou le suivre.

Qui le fuit a l'air d'un poltron,
Qui le suit est un imbécile.
Il est jeune, ***, fanfaron,
Leste, vif, pétulant, fossile.

Il hait Voltaire ; il se croit né
Pas tout à fait comme les autres ;
Il sert la messe, il sert Phryné ;
Il mêle Gnide aux patenôtres.

Le ruban perdu, ce muguet
L'a trouvé ; quelle bonne fête !
Il s'en est vanté chez Saguet ;
Moi, je passais par là, tout bête ;

J'analysais, précisément
Dans cet instant-là, les bastilles,
Les trônes, Dieu, le firmament,
Et les rubans des jeunes filles ;

Et j'entendis un quolibet ;
Comme il s'en donnait, le coq d'Inde !
Car on insulte dans Babet
Ce qu'on adore dans Florinde.

Le marquis agitait en l'air
Un fil, un chiffon, quelque chose
Qui parfois semblait un éclair
Et parfois semblait une rose.

Tout de suite je reconnus
Ce diminutif admirable
De la ceinture de Vénus.
J'aime, donc je suis misérable ;

Mon pouls dans mes tempes battait ;
Et le marquis riait de Jeanne !
Le soir la campagne se tait,
Le vent dort, le nuage flâne ;

Mais le poète a le frisson,
Il se sent extraordinaire,
Il va, couvant une chanson
Dans laquelle roule un tonnerre.

Je me dis : Cyrus dégaina
Pour reprendre une bandelette
De la reine Abaïdorna
Que ronge aujourd'hui la belette.

Serais-je moins brave et moins beau
Que Cyrus, roi d'Ur et de Sarde ?
Cette reine dans son tombeau
Vaut-elle Jeanne en sa mansarde ?

Faire le siège d'un ruban !
Quelle oeuvre ! il faut un art farouche ;
Et ce n'est pas trop d'un Vauban
Complété par un Scaramouche.

Le marquis barrait le chemin.
Prompt comme Joubert sur l'Adige,
J'arrachai l'objet de sa main.
- Monsieur ! cria-t-il. - Soit, lui dis-je.

Il se dressa tout en courroux,
Et moi, je pris ma mine altière.
- Je suis marquis, dit-il, et vous ?
- Chevalier de la Jarretière.

- Soyez deux. - J'aurai mon témoin.
- Je vous tue, et je vous tiens quitte.
- Où ça ? - Là, dans ces tas de foin.
- Vous en déjeunerez ensuite.

C'est pourquoi demain, réveillés,
Les faunes, au bruit des rapières,
Derrière les buissons mouillés,
Ouvriront leurs vagues paupières.
Quand viendra la saison nouvelle,

Quand auront disparu les froids,

Tous les deux, nous irons, ma belle,

Pour cueillir le muguet au bois ;

Sous nos pieds égrenant les perles

Que l'on voit au matin trembler,

Nous irons écouter les merles

Siffler.


Le printemps est venu, ma belle,

C'est le mois des amants béni,

Et l'oiseau, satinant son aile,

Dit des vers au rebord du nid.

Oh ! Viens donc sur le banc de mousse

Pour parler de nos beaux amours,

Et dis-moi de ta voix si douce :

« Toujours ! »


****, bien ****, égarant nos courses,

Faisons fuir le lapin caché

Et le daim au miroir des sources

Admirant son grand bois penché ;

Puis chez nous tout joyeux, tout aises,

En panier enlaçant nos doigts,

Revenons rapportant des fraises

Des bois.
Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.

Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.

La nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.

Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.

Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.

Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.

Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "
Il est un sentier creux dans la vallée étroite,
Qui ne sait trop s'il marche à gauche ou bien à droite.
- C'est plaisir d'y passer, lorsque Mai sur ses bords,
Comme un jeune prodigue, égrène ses trésors ;
L'aubépine fleurit ; les frêles pâquerettes,
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes.
La pâle violette, en son réduit obscur,
Timide, essaie au jour son doux regard d'azur,
Et le *** bouton d'or, lumineuse parcelle,
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle.
Le muguet, tout joyeux, agite ses grelots,
Et les sureaux sont blancs de bouquets frais éclos ;
Les fossés ont des fleurs à remplir vingt corbeilles,
À rendre riche en miel tout un peuple d'abeilles.
Sous la haie embaumée un mince filet d'eau
Jase et fait frissonner le verdoyant rideau
Du cresson. - Ce sentier, tel qu'il est, moi je l'aime
Plus que tous les sentiers où se trouvent de même
Une source, une haie et des fleurs ; car c'est lui,
Qui, lorsque au ciel laiteux la lune pâle a lui,
À la brèche du mur, rendez-vous solitaire
Où l'amour s'embellit des charmes du mystère,
Sous les grands châtaigniers aux bercements plaintifs,
Sans les tromper jamais, conduit mes pas furtifs.

— The End —