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Paul Verlaine  Jun 2017
Des morts
Ô Cloître Saint-Merry funèbre ! sombres rues !

Je ne foule jamais votre morne pavé

Sans frissonner devant les affres apparues.


Toujours ton mur en vain recrépit et lavé,

Ô maison Transnonain, coin maudit, angle infâme,

Saignera, monstrueux, dans mon coeur soulevé.


Quelques-uns d'entre ceux de Juillet, que le blâme

De leurs frères repus ne décourage point,

Trouvent bon de montrer la candeur de leur âme.


Alors dupes ? - Eh bien ! ils l'étaient à ce point

De mourir pour leur oeuvre incomplète et trahie.

Ils moururent contents, le drapeau rouge au poing.


Mort grotesque d'ailleurs, car la tourbe ébahie

Et pâle des bourgeois, leurs vainqueurs étonnés,

Ne comprit rien du tout à leur cause haïe.


C'était des jeunes gens francs qui riaient au nez

De tout intrigant comme au nez de tout despote,

Et de tout compromis désillusionnés.


Ils ne redoutaient pas pour la France la botte

Et l'éperon d'un Czar absolu, beaucoup plus

Que la molette d'un monarque en redingote.


Ils voulaient le devoir et le droit absolus,

Ils voulaient « la cavale indomptée et rebelle »,

Le soleil sans couchant, l'Océan sans reflux.


La République, ils la voulaient terrible et belle,

Rouge et non tricolore, et devenaient très froids

Quant à la liberté constitutionnelle...


Aussi, d'entre ceux de juillet, que le blâme

Ils étaient peu nombreux, tout au plus deux ou trois

Centaines d'écoliers, ayant maîtresse et mère,


Ils savaient qu'ils allaient mourir pour leur chimère,

Et n'avaient pas l'espoir de vaincre, c'est pourquoi

Un orgueil douloureux crispait leur lèvre amère ;


Et c'est pourquoi leurs yeux réverbéraient la foi

Calme ironiquement des martyres stériles,

Quand ils tombèrent sous les balles et la loi.


Et tous, comme à Pharsale et comme aux Thermopyles,

Vendirent cher leur vie et tinrent en échec

Par deux fois les courroux des généraux habiles.


Aussi, quand sous le nombre ils fléchirent, avec

Quelle rage les bons bourgeois de la milice

Tuèrent les blessés indomptés à l'oeil sec !


Et dans le sang sacré des morts où le pied glisse,

Barbotèrent, sauveurs tardifs et nasillards

Du nouveau Capitole et du Roi, leur complice.


- Jeunes morts, qui seriez aujourd'hui des vieillards,

Nous envions, hélas ! nous vos fils, nous la France,

Jusqu'au deuil qui suivit vos humbles corbillards.


Votre mort, en dépit des serments d'allégeance,

Fut-elle pas pleurée, admirée et plus ****

Vengée, et vos vengeurs sont-ils pas sans vengeance ?


Ils gisent, vos vengeurs, à Montmartre, à Clamart,

Ou sont devenus fous au soleil de Cayenne,

Ou vivent affamés et pauvres, à l'écart.


Oh ! oui, nous envions la fin stoïcienne

De ces calmes héros, et surtout jalousons

Leurs yeux clos, à propos, en une époque ancienne.


Car leurs yeux contemplant de lointains horizons

Se fermèrent parmi des visions sublimes,

Vierges de lâcheté comme de trahison,


Et ne virent jamais, jamais, ce que nous vîmes.
Le prêtre portera l'étole blanche et noire
Lorsque les saints flambeaux pour vous s'allumeront.
Et de leurs longs cheveux voilant leurs fronts d'ivoire
Les jeunes filles pleureront.
A. Guiraud.

I.

Pourquoi m'apportez-vous ma lyre,
Spectres légers ? - que voulez-vous ?
Fantastiques beautés, ce lugubre sourire
M'annonce-t-il votre courroux ?
Sur vos écharpes éclatantes
Pourquoi flotte à longs plis ce crêpe menaçant ?
Pourquoi sur des festons ces chaînes insultantes,
Et ces roses, teintes de sang ?

Retirez-vous : rentrez dans les sombres abîmes...
Ah ! que me montrez-vous ?... quels sont ces trois tombeaux ?
Quel est ce char affreux, surchargé de victimes ?
Quels sont ces meurtriers, couverts d'impurs lambeaux ?
J'entends des chants de mort, j'entends des cris de fête.
Cachez-moi le char qui s'arrête !...
Un fer lentement tombe à mes regards troublés ; -
J'ai vu couler du sang... Est-il bien vrai, parlez,
Qu'il ait rejailli sur ma tête ?

Venez-vous dans mon âme éveiller le remord ?
Ce sang... je n'en suis point coupable !
Fuyez, vierges ; fuyez, famille déplorable :
Lorsque vous n'étiez plus, je n'étais pas encor.
Qu'exigez-vous de moi ? J'ai pleuré vos misères ;
Dois-je donc expier les crimes de mes pères ?
Pourquoi troublez-vous mon repos ?
Pourquoi m'apportez-vous ma lyre frémissante ?
Et des remords à vos bourreaux ?

II.

Sous les murs entourés de cohortes sanglantes,
Siège le sombre tribunal.
L'accusateur se lève, et ses lèvres tremblante
S'agitent d'un rire infernal.
C'est Tainville : on le voit, au nom de la patrie,
Convier aux forfaits cette horde flétrie
D'assassins, juges à leur tour ;
Le besoin du sang le tourmente ;
Et sa voix homicide à la hache fumante
Désigne les têtes du jour.

Il parle : ses licteurs vers l'enceinte fatale
Traînent les malheureux que sa fureur signale ;
Les portes devant eux s'ouvrent avec fracas ;
Et trois vierges, de grâce et de pudeur parées,
De leurs compagnes entourées,
Paraissent parmi les soldats.
Le peuple, qui se tait, frémit de son silence ;
Il plaint son esclavage en plaignant leurs malheurs,
Et repose sur l'innocence
Ses regards las du crime et troublés par ses pleurs.

Eh quoi ! quand ces beautés, lâchement accusées,
Vers ces juges de mort s'avançaient dans les fers,
Ces murs n'ont pas, croulant sous leurs voûtes brisées,
Rendu les monstres aux enfers !
Que faisaient nos guerriers ?... Leur vaillance trompée
Prêtait au vil couteau le secours de l'épée ;
Ils sauvaient ces bourreaux qui souillaient leurs combats.
Hélas ! un même jour, jour d'opprobre et de gloire,
Voyait Moreau monter au char de la victoire.
Et son père au char du trépas !

Quand nos chefs, entourés des armes étrangères,
Couvrant nos cyprès de lauriers,
Vers Paris lentement reportaient leurs bannières,
Frédéric sur Verdun dirigeait ses guerriers.
Verdun, premier rempart de la France opprimée,
D'un roi libérateur crut saluer l'armée.
En vain tonnaient d'horribles lois ;
Verdun se revêtit de sa robe de fête,
Et, libre de ses fers, vint offrir sa conquête
Au monarque vengeur des rois.

Alors, vierges, vos mains (ce fut là votre crime !)
Des festons de la joie ornèrent les vainqueurs.
Ah ! pareilles à la victime,
La hache à vos regards se cachait sous des fleurs.
Ce n'est pas tout ; hélas ! sans chercher la vengeance,
Quand nos bannis, bravant la mort et l'indigence,
Combattaient nos tyrans encor mal affermis,
Vos nobles cœurs ont plaint de si nobles misères ;
Votre or a secouru ceux qui furent nos frères
Et n'étaient pas nos ennemis.

Quoi ! ce trait glorieux, qui trahit leur belle âme,
Sera donc l'arrêt de leur mort !
Mais non, l'accusateur, que leur aspect enflamme,
Tressaille d'un honteux transport.
Il veut, vierges, au prix d'un affreux sacrifice,
En taisant vos bienfaits, vous ravir au supplice ;
Il croit vos chastes cœurs par la crainte abattus.
Du mépris qui le couvre acceptez le partage,
Souillez-vous d'un forfait, l'infâme aréopage
Vous absoudra de vos vertus.

Répondez-moi, vierges timides ;
Qui, d'un si noble orgueil arma ces yeux si doux ?
Dites, qui fit rouler dans vos regards humides
Les pleurs généreux du courroux ?
Je le vois à votre courage :
Quand l'oppresseur qui vous outrage
N'eût pas offert la honte en offrant son bienfait,
Coupables de pitié pour des français fidèles,
Vous n'auriez pas voulu, devant des lois cruelles,
Nier un si noble forfait !

C'en est donc fait ; déjà sous la lugubre enceinte
A retenti l'arrêt dicté par la fureur.
Dans un muet murmure, étouffé par la crainte,
Le peuple, qui l'écoute, exhale son horreur.
Regagnez des cachots les sinistres demeures,
O vierges ! encor quelques heures...
Ah ! priez sans effroi, votre âme est sans remord.
Coupez ces longues chevelures,
Où la main d'une mère enlaçait des fleurs pures,
Sans voir qu'elle y mêlait les pavots de la mort !

Bientôt ces fleurs encor pareront votre tête ;
Les anges vous rendront ces symboles touchants ;
Votre hymne de trépas sera l'hymne de fête
Que les vierges du ciel rediront dans leurs chants.
Vous verrez près de vous, dans ces chœurs d'innocence,
Charlotte, autre Judith, qui vous vengea d'avance ;
Cazotte ; Elisabeth, si malheureuse en vain ;
Et Sombreuil, qui trahit par ses pâleurs soudaines
Le sang glacé des morts circulant dans ses veines ;
Martyres, dont l'encens plaît au Martyr divin !

III.

Ici, devant mes yeux erraient des lueurs sombres ;
Des visions troublaient mes sens épouvantés ;
Les spectres sur mon front balançaient dans les ombres
De longs linceuls ensanglantés.
Les trois tombeaux, le char, les échafauds funèbres,
M'apparurent dans les ténèbres ;
Tout rentra dans la nuit des siècles révolus ;
Les vierges avaient fui vers la naissante aurore ;
Je me retrouvai seul, et je pleurais encor
Quand ma lyre ne chantait plus !

Octobre 1818.
Ces femmes, qu'on envoie aux lointaines bastilles,
Peuple, ce sont tes soeurs, tes mères et tes filles !
Ô peuple, leur forfait, c'est de t'avoir aimé !
Paris sanglant, courbé, sinistre, inanimé,
Voit ces horreurs et garde un silence farouche.

Celle-ci, qu'on amène un bâillon dans la bouche,
Cria - c'est là son crime - : à bas la trahison !
Ces femmes sont la foi, la vertu, la raison,
L'équité, la pudeur, la fierté, la justice.
Saint-Lazare - il faudra broyer cette bâtisse !
Il n'en restera pas pierre sur pierre un jour ! -
Les reçoit, les dévore, et, quand revient leur tour,
S'ouvre, et les revomit par son horrible porte,
Et les jette au fourgon hideux qui les emporte.
Où vont-elles ? L'oubli le sait, et le tombeau
Le raconte au cyprès et le dit au corbeau.

Une d'elles était une mère sacrée.
Le jour qu'on l'entraîna vers l'Afrique abhorrée,
Ses enfants étaient là qui voulaient l'embrasser ;
On les chassa. La mère en deuil les vit chasser
Et dit : partons ! Le peuple en larmes criait grâce.
La porte du fourgon étant étroite et basse,
Un argousin joyeux, raillant son embonpoint,
La fit entrer de force en la poussant du poing.

Elles s'en vont ainsi, malades, verrouillées,
Dans le noir chariot aux cellules souillées
Où le captif, sans air, sans jour, sans pleurs dans l'œil,
N'est plus qu'un mort vivant assis dans son cercueil.
Dans la route on entend leurs voix désespérées.
Le peuple hébété voit passer ces torturées.
À Toulon, le fourgon les quitte, le ponton
Les prend ; sans vêtements, sans pain, sous le bâton,
Elles passent la mer, veuves, seules au monde,
Mangeant avec les doigts dans la gamelle immonde.

Bruxelles, le 8 juillet 1852.
Comme un bétail pensif sur le sable couchées,
Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers,
Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées
Ont de douces langueurs et des frissons amers.

Les unes, coeurs épris des longues confidences,
Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,
Vont épelant l'amour des craintives enfances
Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ;

D'autres, comme des soeurs, marchent lentes et graves
A travers les rochers pleins d'apparitions,
Où saint Antoine a vu surgir comme des laves
Les seins nus et pourprés de ses tentations ;

Il en est, aux lueurs des résines croulantes,
Qui dans le creux muet des vieux antres païens
T'appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,
Ô Bacchus, endormeur des remords anciens !

Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires,
Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements,
Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,
L'écume du plaisir aux larmes des tourments.

Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,
De la réalité grands esprits contempteurs,
Chercheuses d'infini, dévotes et satyres,
Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,

Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,
Pauvres soeurs, je vous aime autant que je vous plains,
Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,
Et les urnes d'amour dont vos grands coeurs sont pleins !

— The End —