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Tant que mon pauvre cœur, encor plein de jeunesse,
A ses illusions n'aura pas dit adieu,
Je voudrais m'en tenir à l'antique sagesse,
Qui du sobre Épicure a fait un demi-dieu
Je voudrais vivre, aimer, m'accoutumer aux hommes
Chercher un peu de joie et n'y pas trop compter,
Faire ce qu'on a fait, être ce que nous sommes,
Et regarder le ciel sans m'en inquiéter.

Je ne puis ; - malgré moi l'infini me tourmente.
Je n'y saurais songer sans crainte et sans espoir ;
Et, quoi qu'on en ait dit, ma raison s'épouvante
De ne pas le comprendre et pourtant de le voir.
Qu'est-ce donc que ce monde, et qu'y venons-nous faire,
Si pour qu'on vive en paix, il faut voiler les cieux ?
Passer comme un troupeau les yeux fixés à terre,
Et renier le reste, est-ce donc être heureux ?
Non, c'est cesser d'être homme et dégrader son âme.
Dans la création le hasard m'a jeté ;
Heureux ou malheureux, je suis né d'une femme,
Et je ne puis m'enfuir hors de l'humanité.

Que faire donc ? « Jouis, dit la raison païenne ;
Jouis et meurs ; les dieux ne songent qu'à dormir.
- Espère seulement, répond la foi chrétienne ;
Le ciel veille sans cesse, et tu ne peux mourir. »
Entre ces deux chemins j'hésite et je m'arrête.
Je voudrais, à l'écart, suivre un plus doux sentier.
Il n'en existe pas, dit une voix secrète ;
En présence du ciel, il faut croire ou nier.
Je le pense en effet ; les âmes tourmentées
Dans l'un et l'autre excès se jettent tour à tour,
Mais les indifférents ne sont que des athées ;
Ils ne dormiraient plus s'ils doutaient un seul jour.
Je me résigne donc, et, puisque la matière
Me laisse dans le cœur un désir plein d'effroi,
Mes genoux fléchiront ; je veux croire et j'espère.
Que vais-je devenir, et que veut-on de moi ?
Me voilà dans les mains d'un Dieu plus redoutable
Que ne sont à la fois tous les maux d'ici-bas ;
Me voilà seul, errant, fragile et misérable,
Sous les yeux d'un témoin qui ne me quitte pas.
Il m'observer il me suit. Si mon cœur bat trop vite,
J'offense sa grandeur et sa divinité.
Un gouffre est sous mes pas si je m'y précipite,
Pour expier une heure il faut l'éternité.
Mon juge est un bourreau qui trompe sa victime.
Pour moi, tout devient piège et tout change de nom
L'amour est un péché, le bonheur est un crime,
Et l'œuvre des sept jours n'est que tentation
Je ne garde plus rien de la nature humaine ;
Il n'existe pour moi ni vertu ni remord .
J'attends la récompense et j'évite la peine ;
Mon seul guide est la peur, et mon seul but, la mort
On me dit cependant qu'une joie infinie
Attend quelques élus. - Où sont-ils, ces heureux ?
Si vous m'avez trompé, me rendrez-vous la vie ?
Si vous m'avez dit vrai, m'ouvrirez-vous les cieux ?
Hélas ! ce beau pays dont parlaient vos prophètes,
S'il existe là-haut, ce doit être un désert
Vous les voulez trop purs, les heureux que vous faites,
Et quand leur joie arrive, ils en ont trop souffert.
Je suis seulement homme, et ne veux pas moins être,
Ni tenter davantage. - À quoi donc m'arrêter ?
Puisque je ne puis croire aux promesses du prêtre,
Est-ce l'indifférent que je vais consulter ?

Si mon cœur, fatigué du rêve qui l'obsède,
À la réalité revient pour s'assouvir,
Au fond des vains plaisirs que j'appelle à mon aide
Je trouve un tel dégoût, que je me sens mourir
Aux jours même où parfois la pensée est impie,
Où l'on voudrait nier pour cesser de douter,
Quand je posséderais tout ce qu'en cette vie
Dans ses vastes désirs l'homme peut convoiter ;
Donnez-moi le pouvoir, la santé, la richesse,
L'amour même, l'amour, le seul bien d'ici-bas !
Que la blonde Astarté, qu'idolâtrait la Grèce,
De ses îles d'azur sorte en m'ouvrant les bras ;
Quand je pourrais saisir dans le sein de la terre
Les secrets éléments de sa fécondité,
Transformer à mon gré la vivace matière
Et créer pour moi seul une unique beauté ;
Quand Horace, Lucrèce et le vieil Épicure,
Assis à mes côtés m'appelleraient heureux
Et quand ces grands amants de l'antique nature
Me chanteraient la joie et le mépris des dieux,
Je leur dirais à tous : « Quoi que nous puissions faire,
Je souffre, il est trop **** ; le monde s'est fait vieux
Une immense espérance a traversé la terre ;
Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux ! »
Que me reste-t-il donc ? Ma raison révoltée
Essaye en vain de croire et mon cœur de douter
De chrétien m'épouvante, et ce que dit l'athée,
En dépit de mes sens, je ne puis l'écouter.
Les vrais religieux me trouveront impie,
Et les indifférents me croiront insensé.
À qui m'adresserai-je, et quelle voix amie
Consolera ce cœur que le doute a blessé ?

Il existe, dit-on, une philosophie
Qui nous explique tout sans révélation,
Et qui peut nous guider à travers cette vie
Entre l'indifférence et la religion.
J'y consens. - Où sont-ils, ces faiseurs de systèmes,
Qui savent, sans la foi, trouver la vérité,
Sophistes impuissants qui ne croient qu'en eux-mêmes ?
Quels sont leurs arguments et leur autorité ?
L'un me montre ici-bas deux principes en guerre,
Qui, vaincus tour à tour, sont tous deux immortels ;
L'autre découvre au ****, dans le ciel solitaire,
Un inutile Dieu qui ne veut pas d'autels.
Je vois rêver Platon et penser Aristote ;
J'écoute, j'applaudis, et poursuis mon chemin
Sous les rois absolus je trouve un Dieu despote ;
On nous parle aujourd'hui d'un Dieu républicains.
Pythagore et Leibniz transfigurent mon être.
Descartes m'abandonne au sein des tourbillons.
Montaigne s'examine, et ne peut se connaître.
Pascal fuit en tremblant ses propres visions.
Pyrrhon me rend aveugle, et Zénon insensible.
Voltaire jette à bas tout ce qu'il voit debout
Spinoza, fatigué de tenter l'impossible,
Cherchant en vain son Dieu, croit le trouver partout.
Pour le sophiste anglais l'homme est une machine.
Enfin sort des brouillards un rhéteur allemand
Qui, du philosophisme achevant la ruine,
Déclare le ciel vide, et conclut au néant.

Voilà donc les débris de l'humaine science !
Et, depuis cinq mille ans qu'on a toujours douté,
Après tant de fatigue et de persévérance,
C'est là le dernier mot qui nous en est rester
Ah ! pauvres insensés, misérables cervelles,
Qui de tant de façons avez tout expliqué,
Pour aller jusqu'aux cieux il vous fallait des ailes ;
Vous aviez le désir, la foi vous a manqué.
Je vous plains ; votre orgueil part d'une âme blesses,
Vous sentiez les tourments dont mon cœur est rempli
Et vous la connaissiez, cette amère pensée
Qui fait frissonner l'homme en voyant l'infini.
Eh bien, prions ensemble,-abjurons la misère
De vos calculs d'enfants, de tant de vains travaux !
Maintenant que vos corps sont réduits en poussière
J'irai m'agenouiller pour vous sur vos tombeaux.
Venez, rhéteurs païens, maîtres de la science,
Chrétiens des temps passés et rêveurs d'aujourd'hui ;
Croyez-moi' la prière est un cri d'espérance !
Pour que Dieu nous réponde, adressons-nous à lui,
Il est juste, il est bon ; sans doute il vous pardonne.
Tous vous avez souffert, le reste est oublié.
Si le ciel est désert, nous n'offensons personne ;
Si quelqu'un nous entend, qu'il nous prenne en pitié !

Ô toi que nul n'a pu connaître,
Et n'a renié sans mentir,
Réponds-moi, toi qui m'as fait naître,
Et demain me feras mourir !

Puisque tu te laisses comprendre,
Pourquoi fais-tu douter de toi ?
Quel triste plaisir peux-tu prendre
À tenter notre bonne foi ?

Dès que l'homme lève la tête,
Il croit t'entrevoir dans les cieux ;
La création, sa conquête,
N'est qu'un vaste temple à ses yeux.

Dès qu'il redescend en lui-même,
Il l'y trouve ; tu vis en lui.
S'il souffre, s'il pleure, s'il aime,
C'est son Dieu qui le veut ainsi.

De la plus noble intelligence
La plus sublime ambition
Est de prouver ton existence,
Et de faire épeler ton nom.

De quelque façon qu'on t'appelle,
Brahma, Jupiter ou Jésus,
Vérité, Justice éternelle,
Vers toi tous les bras sont tendus.

Le dernier des fils de la terre
Te rend grâces du fond du coeur,
Dès qu'il se mêle à sa misère
Une apparence de bonheur.

Le monde entier te glorifie :
L'oiseau te chante sur son nid ;
Et pour une goutte de pluie
Des milliers d'êtres t'ont béni.

Tu n'as rien fait qu'on ne l'admire ;
Rien de toi n'est perdu pour nous ;
Tout prie, et tu ne peux sourire
Que nous ne tombions à genoux.

Pourquoi donc, ô Maître suprême,
As-tu créé le mal si grand,
Que la raison, la vertu même
S'épouvantent en le voyant ?

Lorsque tant de choses sur terre
Proclament la Divinité,
Et semblent attester d'un père
L'amour, la force et la bonté,

Comment, sous la sainte lumière,
Voit-on des actes si hideux,
Qu'ils font expirer la prière
Sur les lèvres du malheureux ?

Pourquoi, dans ton oeuvre céleste,
Tant d'éléments si peu d'accord ?
À quoi bon le crime et la peste ?
Ô Dieu juste ! pourquoi la mort ?

Ta pitié dut être profonde
Lorsqu'avec ses biens et ses maux,
Cet admirable et pauvre monde
Sortit en pleurant du chaos !

Puisque tu voulais le soumettre
Aux douleurs dont il est rempli,
Tu n'aurais pas dû lui permettre
De t'entrevoir dans l'infini.

Pourquoi laisser notre misère
Rêver et deviner un Dieu ?
Le doute a désolé la terre ;
Nous en voyons trop ou trop peu.

Si ta chétive créature
Est indigne de t'approcher,
Il fallait laisser la nature
T'envelopper et te cacher.

Il te resterait ta puissance,
Et nous en sentirions les coups ;
Mais le repos et l'ignorance
Auraient rendu nos maux plus doux.

Si la souffrance et la prière
N'atteignent pas ta majesté,
Garde ta grandeur solitaire,
Ferme à jamais l'immensité.

Mais si nos angoisses mortelles
Jusqu'à toi peuvent parvenir ;
Si, dans les plaines éternelles,
Parfois tu nous entends gémir,

Brise cette voûte profonde
Qui couvre la création ;
Soulève les voiles du monde,
Et montre-toi, Dieu juste et bon !

Tu n'apercevras sur la terre
Qu'un ardent amour de la foi,
Et l'humanité tout entière
Se prosternera devant toi.

Les larmes qui l'ont épuisée
Et qui ruissellent de ses yeux,
Comme une légère rosée
S'évanouiront dans les cieux.

Tu n'entendras que tes louanges,
Qu'un concert de joie et d'amour
Pareil à celui dont tes anges
Remplissent l'éternel séjour ;

Et dans cet hosanna suprême,
Tu verras, au bruit de nos chants,
S'enfuir le doute et le blasphème,
Tandis que la Mort elle-même
Y joindra ses derniers accents.
Le poète

Le mal dont j'ai souffert s'est enfui comme un rêve.
Je n'en puis comparer le lointain souvenir
Qu'à ces brouillards légers que l'aurore soulève,
Et qu'avec la rosée on voit s'évanouir.

La muse

Qu'aviez-vous donc, ô mon poète !
Et quelle est la peine secrète
Qui de moi vous a séparé ?
Hélas ! je m'en ressens encore.
Quel est donc ce mal que j'ignore
Et dont j'ai si longtemps pleuré ?

Le poète

C'était un mal vulgaire et bien connu des hommes ;
Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le coeur,
Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,
Que personne avant nous n'a senti la douleur.

La muse

Il n'est de vulgaire chagrin
Que celui d'une âme vulgaire.
Ami, que ce triste mystère
S'échappe aujourd'hui de ton sein.
Crois-moi, parle avec confiance ;
Le sévère dieu du silence
Est un des frères de la Mort ;
En se plaignant on se console,
Et quelquefois une parole
Nous a délivrés d'un remord.

Le poète

S'il fallait maintenant parler de ma souffrance,
Je ne sais trop quel nom elle devrait porter,
Si c'est amour, folie, orgueil, expérience,
Ni si personne au monde en pourrait profiter.
Je veux bien toutefois t'en raconter l'histoire,
Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer.
Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoire
Au son de tes accords doucement s'éveiller.

La muse

Avant de me dire ta peine,
Ô poète ! en es-tu guéri ?
Songe qu'il t'en faut aujourd'hui
Parler sans amour et sans haine.
S'il te souvient que j'ai reçu
Le doux nom de consolatrice,
Ne fais pas de moi la complice
Des passions qui t'ont perdu,

Le poète

Je suis si bien guéri de cette maladie,
Que j'en doute parfois lorsque j'y veux songer ;
Et quand je pense aux lieux où j'ai risqué ma vie,
J'y crois voir à ma place un visage étranger.
Muse, sois donc sans crainte ; au souffle qui t'inspire
Nous pouvons sans péril tous deux nous confier.
Il est doux de pleurer, il est doux de sourire
Au souvenir des maux qu'on pourrait oublier.

La muse

Comme une mère vigilante
Au berceau d'un fils bien-aimé,
Ainsi je me penche tremblante
Sur ce coeur qui m'était fermé.
Parle, ami, - ma lyre attentive
D'une note faible et plaintive
Suit déjà l'accent de ta voix,
Et dans un rayon de lumière,
Comme une vision légère,
Passent les ombres d'autrefois.

Le poète

Jours de travail ! seuls jours où j'ai vécu !
Ô trois fois chère solitude !
Dieu soit loué, j'y suis donc revenu,
À ce vieux cabinet d'étude !
Pauvre réduit, murs tant de fois déserts,
Fauteuils poudreux, lampe fidèle,
Ô mon palais, mon petit univers,
Et toi, Muse, ô jeune immortelle,
Dieu soit loué, nous allons donc chanter !
Oui, je veux vous ouvrir mon âme,
Vous saurez tout, et je vais vous conter
Le mal que peut faire une femme ;
Car c'en est une, ô mes pauvres amis
(Hélas ! vous le saviez peut-être),
C'est une femme à qui je fus soumis,
Comme le serf l'est à son maître.
Joug détesté ! c'est par là que mon coeur
Perdit sa force et sa jeunesse ;
Et cependant, auprès de ma maîtresse,
J'avais entrevu le bonheur.
Près du ruisseau, quand nous marchions ensemble,
Le soir, sur le sable argentin,
Quand devant nous le blanc spectre du tremble
De **** nous montrait le chemin ;
Je vois encore, aux rayons de la lune,
Ce beau corps plier dans mes bras...
N'en parlons plus... - je ne prévoyais pas
Où me conduirait la Fortune.
Sans doute alors la colère des dieux
Avait besoin d'une victime ;
Car elle m'a puni comme d'un crime
D'avoir essayé d'être heureux.

La muse

L'image d'un doux souvenir
Vient de s'offrir à ta pensée.
Sur la trace qu'il a laissée
Pourquoi crains-tu de revenir ?
Est-ce faire un récit fidèle
Que de renier ses beaux jours ?
Si ta fortune fut cruelle,
Jeune homme, fais du moins comme elle,
Souris à tes premiers amours.

Le poète

Non, - c'est à mes malheurs que je prétends sourire.  
Muse, je te l'ai dit : je veux, sans passion,
Te conter mes ennuis, mes rêves, mon délire,
Et t'en dire le temps, l'heure et l'occasion.
C'était, il m'en souvient, par une nuit d'automne,
Triste et froide, à peu près semblable à celle-ci ;
Le murmure du vent, de son bruit monotone,
Dans mon cerveau lassé berçait mon noir souci.
J'étais à la fenêtre, attendant ma maîtresse ;
Et, tout en écoutant dans cette obscurité,
Je me sentais dans l'âme une telle détresse
Qu'il me vint le soupçon d'une infidélité.
La rue où je logeais était sombre et déserte ;
Quelques ombres passaient, un falot à la main ;
Quand la bise sifflait dans la porte entr'ouverte,
On entendait de **** comme un soupir humain.
Je ne sais, à vrai dire, à quel fâcheux présage
Mon esprit inquiet alors s'abandonna.
Je rappelais en vain un reste de courage,
Et me sentis frémir lorsque l'heure sonna.
Elle ne venait pas. Seul, la tête baissée,
Je regardai longtemps les murs et le chemin,
Et je ne t'ai pas dit quelle ardeur insensée
Cette inconstante femme allumait en mon sein ;
Je n'aimais qu'elle au monde, et vivre un jour sans elle
Me semblait un destin plus affreux que la mort.
Je me souviens pourtant qu'en cette nuit cruelle
Pour briser mon lien je fis un long effort.
Je la nommai cent fois perfide et déloyale,
Je comptai tous les maux qu'elle m'avait causés.
Hélas ! au souvenir de sa beauté fatale,
Quels maux et quels chagrins n'étaient pas apaisés !
Le jour parut enfin. - Las d'une vaine attente,
Sur le bord du balcon je m'étais assoupi ;
Je rouvris la paupière à l'aurore naissante,
Et je laissai flotter mon regard ébloui.
Tout à coup, au détour de l'étroite ruelle,
J'entends sur le gravier marcher à petit bruit...
Grand Dieu ! préservez-moi ! je l'aperçois, c'est elle ;
Elle entre. - D'où viens-tu ? Qu'as-tu fait cette nuit ?
Réponds, que me veux-tu ? qui t'amène à cette heure ?
Ce beau corps, jusqu'au jour, où s'est-il étendu ?
Tandis qu'à ce balcon, seul, je veille et je pleure,
En quel lieu, dans quel lit, à qui souriais-tu ?
Perfide ! audacieuse ! est-il encor possible
Que tu viennes offrir ta bouche à mes baisers ?
Que demandes-tu donc ? par quelle soif horrible
Oses-tu m'attirer dans tes bras épuisés ?
Va-t'en, retire-toi, spectre de ma maîtresse !
Rentre dans ton tombeau, si tu t'en es levé ;
Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse,
Et, quand je pense à toi, croire que j'ai rêvé !

La muse

Apaise-toi, je t'en conjure ;
Tes paroles m'ont fait frémir.
Ô mon bien-aimé ! ta blessure
Est encor prête à se rouvrir.
Hélas ! elle est donc bien profonde ?
Et les misères de ce monde
Sont si lentes à s'effacer !
Oublie, enfant, et de ton âme
Chasse le nom de cette femme,
Que je ne veux pas prononcer.

Le poète

Honte à toi qui la première
M'as appris la trahison,
Et d'horreur et de colère
M'as fait perdre la raison !
Honte à toi, femme à l'oeil sombre,
Dont les funestes amours
Ont enseveli dans l'ombre
Mon printemps et mes beaux jours !
C'est ta voix, c'est ton sourire,
C'est ton regard corrupteur,
Qui m'ont appris à maudire
Jusqu'au semblant du bonheur ;
C'est ta jeunesse et tes charmes
Qui m'ont fait désespérer,
Et si je doute des larmes,
C'est que je t'ai vu pleurer.
Honte à toi, j'étais encore
Aussi simple qu'un enfant ;
Comme une fleur à l'aurore,
Mon coeur s'ouvrait en t'aimant.
Certes, ce coeur sans défense
Put sans peine être abusé ;
Mais lui laisser l'innocence
Était encor plus aisé.
Honte à toi ! tu fus la mère
De mes premières douleurs,
Et tu fis de ma paupière
Jaillir la source des pleurs !
Elle coule, sois-en sûre,
Et rien ne la tarira ;
Elle sort d'une blessure
Qui jamais ne guérira ;
Mais dans cette source amère
Du moins je me laverai,
Et j'y laisserai, j'espère,
Ton souvenir abhorré !

La muse

Poète, c'est assez. Auprès d'une infidèle,
Quand ton illusion n'aurait duré qu'un jour,
N'outrage pas ce jour lorsque tu parles d'elle ;
Si tu veux être aimé, respecte ton amour.
Si l'effort est trop grand pour la faiblesse humaine
De pardonner les maux qui nous viennent d'autrui,
Épargne-toi du moins le tourment de la haine ;
À défaut du pardon, laisse venir l'oubli.
Les morts dorment en paix dans le sein de la terre :
Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints.
Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière ;
Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains.
Pourquoi, dans ce récit d'une vive souffrance,
Ne veux-tu voir qu'un rêve et qu'un amour trompé ?
Est-ce donc sans motif qu'agit la Providence
Et crois-tu donc distrait le Dieu qui t'a frappé ?
Le coup dont tu te plains t'a préservé peut-être,
Enfant ; car c'est par là que ton coeur s'est ouvert.
L'homme est un apprenti, la douleur est son maître,
Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert.
C'est une dure loi, mais une loi suprême,
Vieille comme le monde et la fatalité,
Qu'il nous faut du malheur recevoir le baptême,
Et qu'à ce triste prix tout doit être acheté.
Les moissons pour mûrir ont besoin de rosée ;
Pour vivre et pour sentir l'homme a besoin des pleurs ;
La joie a pour symbole une plante brisée,
Humide encor de pluie et couverte de fleurs.
Ne te disais-tu pas guéri de ta folie ?
N'es-tu pas jeune, heureux, partout le bienvenu ?
Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie,
Si tu n'avais pleuré, quel cas en ferais-tu ?
Lorsqu'au déclin du jour, assis sur la bruyère,
Avec un vieil ami tu bois en liberté,
Dis-moi, d'aussi bon coeur lèverais-tu ton verre,
Si tu n'avais senti le prix de la gaîté ?
Aimerais-tu les fleurs, les prés et la verdure,
Les sonnets de Pétrarque et le chant des oiseaux,
Michel-Ange et les arts, Shakspeare et la nature,
Si tu n'y retrouvais quelques anciens sanglots ?
Comprendrais-tu des cieux l'ineffable harmonie,
Le silence des nuits, le murmure des flots,
Si quelque part là-bas la fièvre et l'insomnie
Ne t'avaient fait songer à l'éternel repos ?
N'as-tu pas maintenant une belle maîtresse ?
Et, lorsqu'en t'endormant tu lui serres la main,
Le lointain souvenir des maux de ta jeunesse
Ne rend-il pas plus doux son sourire divin ?
N'allez-vous pas aussi vous promener ensemble
Au fond des bois fleuris, sur le sable argentin ?
Et, dans ce vert palais, le blanc spectre du tremble
Ne sait-il plus, le soir, vous montrer le chemin ?
Ne vois-tu pas alors, aux rayons de la lune,
Plier comme autrefois un beau corps dans tes bras,
Et si dans le sentier tu trouvais la Fortune,
Derrière elle, en chantant, ne marcherais-tu pas ?
De quoi te plains-tu donc ? L'immortelle espérance
S'est retrempée en toi sous la main du malheur.
Pourquoi veux-tu haïr ta jeune expérience,
Et détester un mal qui t'a rendu meilleur ?
Ô mon enfant ! plains-la, cette belle infidèle,
Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux ;
Plains-la ! c'est une femme, et Dieu t'a fait, près d'elle,
Deviner, en souffrant, le secret des heureux.
Sa tâche fut pénible ; elle t'aimait peut-être ;
Mais le destin voulait qu'elle brisât ton coeur.
Elle savait la vie, et te l'a fait connaître ;
Une autre a recueilli le fruit de ta douleur.
Plains-la ! son triste amour a passé comme un songe ;
Elle a vu ta blessure et n'a pu la fermer.
Dans ses larmes, crois-moi, tout n'était pas mensonge.
Quand tout l'aurait été, plains-la ! tu sais aimer.

Le poète

Tu dis vrai : la haine est impie,
Et c'est un frisson plein d'horreur
Quand cette vipère assoupie
Se déroule dans notre coeur.
Écoute-moi donc, ô déesse !
Et sois témoin de mon serment :
Par les yeux bleus de ma maîtresse,
Et par l'azur du firmament ;
Par cette étincelle brillante
Qui de Vénus porte le nom,
Et, comme une perle tremblante,
Scintille au **** sur l'horizon ;
Par la grandeur de la nature,
Par la bonté du Créateur,
Par la clarté tranquille et pure
De l'astre cher au voyageur.
Par les herbes de la prairie,
Par les forêts, par les prés verts,
Par la puissance de la vie,
Par la sève de l'univers,
Je te bannis de ma mémoire,
Reste d'un amour insensé,
Mystérieuse et sombre histoire
Qui dormiras dans le passé !
Et toi qui, jadis, d'une amie
Portas la forme et le doux nom,
L'instant suprême où je t'oublie
Doit être celui du pardon.
Pardonnons-nous ; - je romps le charme
Qui nous unissait devant Dieu.
Avec une dernière larme
Reçois un éternel adieu.
- Et maintenant, blonde rêveuse,
Maintenant, Muse, à nos amours !
Dis-moi quelque chanson joyeuse,
Comme au premier temps des beaux jours.
Déjà la pelouse embaumée
Sent les approches du matin ;
Viens éveiller ma bien-aimée,
Et cueillir les fleurs du jardin.
Viens voir la nature immortelle
Sortir des voiles du sommeil ;
Nous allons renaître avec elle
Au premier rayon du soleil !
Un baiser sur mon front ! un baiser, même en rêve !
Mais de mon front pensif le frais baiser s'enfuit ;
Mais de mes jours taris l'été n'a plus de sève ;
Mais l'Aurore jamais n'embrassera la Nuit.

Elle rêvait sans doute aussi que son haleine
Me rendait les climats de mes jeunes saisons,
Que la neige fondait sur une tête humaine,
Et que la fleur de l'âme avait deux floraisons.

Elle rêvait sans doute aussi que sur ma joue
Mes cheveux par le vent écartés de mes yeux,
Pareils aux jais flottants que sa tête secoue,
Noyaient ses doigts distraits dans leurs flocons soyeux.

Elle rêvait sans doute aussi que l'innocence
Gardait contre un désir ses roses et ses lis ;
Que j'étais Jocelyn et qu'elle était Laurence,  
Que la vallée en fleurs nous cachait dans ses plis.

Elle rêvait sans doute aussi que mon délire
En vers mélodieux pleurait comme autrefois ;
Que mon cœur sous sa main devenait une lyre
Qui dans un seul soupir accentuait deux voix.

Fatale vision ! Tout mon être frissonne ;
On dirait que mon sang veut remonter son cours.
Enfant, ne dites plus vos rêves à personne,
Et ne rêvez jamais, ou bien rêvez toujours !
The double 12 sorwe of Troilus to tellen,  
That was the king Priamus sone of Troye,
In lovinge, how his aventures fellen
Fro wo to wele, and after out of Ioye,
My purpos is, er that I parte fro ye.  
Thesiphone, thou help me for tendyte
Thise woful vers, that wepen as I wryte!

To thee clepe I, thou goddesse of torment,
Thou cruel Furie, sorwing ever in peyne;
Help me, that am the sorwful instrument  
That helpeth lovers, as I can, to pleyne!
For wel sit it, the sothe for to seyne,
A woful wight to han a drery fere,
And, to a sorwful tale, a sory chere.

For I, that god of Loves servaunts serve,  
Ne dar to Love, for myn unlyklinesse,
Preyen for speed, al sholde I therfor sterve,
So fer am I fro his help in derknesse;
But nathelees, if this may doon gladnesse
To any lover, and his cause avayle,  
Have he my thank, and myn be this travayle!

But ye loveres, that bathen in gladnesse,
If any drope of pitee in yow be,
Remembreth yow on passed hevinesse
That ye han felt, and on the adversitee  
Of othere folk, and thenketh how that ye
Han felt that Love dorste yow displese;
Or ye han wonne hym with to greet an ese.

And preyeth for hem that ben in the cas
Of Troilus, as ye may after here,  
That love hem bringe in hevene to solas,
And eek for me preyeth to god so dere,
That I have might to shewe, in som manere,
Swich peyne and wo as Loves folk endure,
In Troilus unsely aventure.  

And biddeth eek for hem that been despeyred
In love, that never nil recovered be,
And eek for hem that falsly been apeyred
Thorugh wikked tonges, be it he or she;
Thus biddeth god, for his benignitee,  
So graunte hem sone out of this world to pace,
That been despeyred out of Loves grace.

And biddeth eek for hem that been at ese,
That god hem graunte ay good perseveraunce,
And sende hem might hir ladies so to plese,  
That it to Love be worship and plesaunce.
For so hope I my soule best avaunce,
To preye for hem that Loves servaunts be,
And wryte hir wo, and live in charitee.

And for to have of hem compassioun  
As though I were hir owene brother dere.
Now herkeneth with a gode entencioun,
For now wol I gon streight to my matere,
In whiche ye may the double sorwes here
Of Troilus, in loving of Criseyde,  
And how that she forsook him er she deyde.

It is wel wist, how that the Grekes stronge
In armes with a thousand shippes wente
To Troyewardes, and the citee longe
Assegeden neigh ten yeer er they stente,  
And, in diverse wyse and oon entente,
The ravisshing to wreken of Eleyne,
By Paris doon, they wroughten al hir peyne.

Now fil it so, that in the toun ther was
Dwellinge a lord of greet auctoritee,  
A gret devyn that cleped was Calkas,
That in science so expert was, that he
Knew wel that Troye sholde destroyed be,
By answere of his god, that highte thus,
Daun Phebus or Apollo Delphicus.  

So whan this Calkas knew by calculinge,
And eek by answere of this Appollo,
That Grekes sholden swich a peple bringe,
Thorugh which that Troye moste been for-do,
He caste anoon out of the toun to go;  
For wel wiste he, by sort, that Troye sholde
Destroyed ben, ye, wolde who-so nolde.

For which, for to departen softely
Took purpos ful this forknowinge wyse,
And to the Grekes ost ful prively  
He stal anoon; and they, in curteys wyse,
Hym deden bothe worship and servyse,
In trust that he hath conning hem to rede
In every peril which that is to drede.

The noyse up roos, whan it was first aspyed,  
Thorugh al the toun, and generally was spoken,
That Calkas traytor fled was, and allyed
With hem of Grece; and casten to ben wroken
On him that falsly hadde his feith so broken;
And seyden, he and al his kin at ones  
Ben worthy for to brennen, fel and bones.

Now hadde Calkas left, in this meschaunce,
Al unwist of this false and wikked dede,
His doughter, which that was in gret penaunce,
For of hir lyf she was ful sore in drede,  
As she that niste what was best to rede;
For bothe a widowe was she, and allone
Of any freend to whom she dorste hir mone.

Criseyde was this lady name a-right;
As to my dome, in al Troyes citee  
Nas noon so fair, for passing every wight
So aungellyk was hir natyf beautee,
That lyk a thing immortal semed she,
As doth an hevenish parfit creature,
That doun were sent in scorning of nature.  

This lady, which that al-day herde at ere
Hir fadres shame, his falsnesse and tresoun,
Wel nigh out of hir wit for sorwe and fere,
In widewes habit large of samit broun,
On knees she fil biforn Ector a-doun;  
With pitous voys, and tendrely wepinge,
His mercy bad, hir-selven excusinge.

Now was this Ector pitous of nature,
And saw that she was sorwfully bigoon,
And that she was so fair a creature;  
Of his goodnesse he gladed hir anoon,
And seyde, 'Lat your fadres treson goon
Forth with mischaunce, and ye your-self, in Ioye,
Dwelleth with us, whyl you good list, in Troye.

'And al thonour that men may doon yow have,  
As ferforth as your fader dwelled here,
Ye shul han, and your body shal men save,
As fer as I may ought enquere or here.'
And she him thonked with ful humble chere,
And ofter wolde, and it hadde ben his wille,  
And took hir leve, and hoom, and held hir stille.

And in hir hous she abood with swich meynee
As to hir honour nede was to holde;
And whyl she was dwellinge in that citee,
Kepte hir estat, and bothe of yonge and olde  
Ful wel beloved, and wel men of hir tolde.
But whether that she children hadde or noon,
I rede it naught; therfore I late it goon.

The thinges fellen, as they doon of werre,
Bitwixen hem of Troye and Grekes ofte;  
For som day boughten they of Troye it derre,
And eft the Grekes founden no thing softe
The folk of Troye; and thus fortune on-lofte,
And under eft, gan hem to wheelen bothe
After hir cours, ay whyl they were wrothe.  

But how this toun com to destruccioun
Ne falleth nought to purpos me to telle;
For it were a long digressioun
Fro my matere, and yow to longe dwelle.
But the Troyane gestes, as they felle,  
In Omer, or in Dares, or in Dyte,
Who-so that can, may rede hem as they wryte.

But though that Grekes hem of Troye shetten,
And hir citee bisegede al a-boute,
Hir olde usage wolde they not letten,  
As for to honoure hir goddes ful devoute;
But aldermost in honour, out of doute,
They hadde a relik hight Palladion,
That was hir trist a-boven everichon.

And so bifel, whan comen was the tyme  
Of Aperil, whan clothed is the mede
With newe grene, of ***** Ver the pryme,
And swote smellen floures whyte and rede,
In sondry wyses shewed, as I rede,
The folk of Troye hir observaunces olde,  
Palladiones feste for to holde.

And to the temple, in al hir beste wyse,
In general, ther wente many a wight,
To herknen of Palladion servyse;
And namely, so many a ***** knight,  
So many a lady fresh and mayden bright,
Ful wel arayed, bothe moste and leste,
Ye, bothe for the seson and the feste.

Among thise othere folk was Criseyda,
In widewes habite blak; but nathelees,  
Right as our firste lettre is now an A,
In beautee first so stood she, makelees;
Hir godly looking gladede al the prees.
Nas never seyn thing to ben preysed derre,
Nor under cloude blak so bright a sterre  

As was Criseyde, as folk seyde everichoon
That hir behelden in hir blake wede;
And yet she stood ful lowe and stille alloon,
Bihinden othere folk, in litel brede,
And neigh the dore, ay under shames drede,  
Simple of a-tyr, and debonaire of chere,
With ful assured loking and manere.

This Troilus, as he was wont to gyde
His yonge knightes, ladde hem up and doun
In thilke large temple on every syde,  
Biholding ay the ladyes of the toun,
Now here, now there, for no devocioun
Hadde he to noon, to reven him his reste,
But gan to preyse and lakken whom him leste.

And in his walk ful fast he gan to wayten  
If knight or squyer of his companye
Gan for to syke, or lete his eyen bayten
On any woman that he coude aspye;
He wolde smyle, and holden it folye,
And seye him thus, 'god wot, she slepeth softe  
For love of thee, whan thou tornest ful ofte!

'I have herd told, pardieux, of your livinge,
Ye lovers, and your lewede observaunces,
And which a labour folk han in winninge
Of love, and, in the keping, which doutaunces;  
And whan your preye is lost, wo and penaunces;
O verrey foles! nyce and blinde be ye;
Ther nis not oon can war by other be.'

And with that word he gan cast up the browe,
Ascaunces, 'Lo! is this nought wysly spoken?'  
At which the god of love gan loken rowe
Right for despyt, and shoop for to ben wroken;
He kidde anoon his bowe nas not broken;
For sodeynly he hit him at the fulle;
And yet as proud a pekok can he pulle.  

O blinde world, O blinde entencioun!
How ofte falleth al theffect contraire
Of surquidrye and foul presumpcioun;
For caught is proud, and caught is debonaire.
This Troilus is clomben on the staire,  
And litel weneth that he moot descenden.
But al-day falleth thing that foles ne wenden.

As proude Bayard ginneth for to skippe
Out of the wey, so priketh him his corn,
Til he a lash have of the longe whippe,  
Than thenketh he, 'Though I praunce al biforn
First in the trays, ful fat and newe shorn,
Yet am I but an hors, and horses lawe
I moot endure, and with my feres drawe.'

So ferde it by this fers and proude knight;  
Though he a worthy kinges sone were,
And wende nothing hadde had swiche might
Ayens his wil that sholde his herte stere,
Yet with a look his herte wex a-fere,
That he, that now was most in pryde above,  
Wex sodeynly most subget un-to love.

For-thy ensample taketh of this man,
Ye wyse, proude, and worthy folkes alle,
To scornen Love, which that so sone can
The freedom of your hertes to him thralle;  
For ever it was, and ever it shal bifalle,
That Love is he that alle thing may binde;
For may no man for-do the lawe of kinde.

That this be sooth, hath preved and doth yet;
For this trowe I ye knowen, alle or some,  
Men reden not that folk han gretter wit
Than they that han be most with love y-nome;
And strengest folk ben therwith overcome,
The worthiest and grettest of degree:
This was, and is, and yet men shal it see.  

And trewelich it sit wel to be so;
For alderwysest han ther-with ben plesed;
And they that han ben aldermost in wo,
With love han ben conforted most and esed;
And ofte it hath the cruel herte apesed,  
And worthy folk maad worthier of name,
And causeth most to dreden vyce and shame.

Now sith it may not goodly be withstonde,
And is a thing so vertuous in kinde,
Refuseth not to Love for to be bonde,  
Sin, as him-selven list, he may yow binde.
The yerde is bet that bowen wole and winde
Than that that brest; and therfor I yow rede
To folwen him that so wel can yow lede.

But for to tellen forth in special  
As of this kinges sone of which I tolde,
And leten other thing collateral,
Of him thenke I my tale for to holde,
Both of his Ioye, and of his cares colde;
And al his werk, as touching this matere,  
For I it gan, I wol ther-to refere.

With-inne the temple he wente him forth pleyinge,
This Troilus, of every wight aboute,
On this lady and now on that lokinge,
Wher-so she were of toune, or of with-oute:  
And up-on cas bifel, that thorugh a route
His eye perced, and so depe it wente,
Til on Criseyde it smoot, and ther it stente.

And sodeynly he wax ther-with astoned,
And gan hire bet biholde in thrifty wyse:  
'O mercy, god!' thoughte he, 'wher hastow woned,
That art so fair and goodly to devyse?'
Ther-with his herte gan to sprede and ryse,
And softe sighed, lest men mighte him here,
And caughte a-yein his firste pleyinge chere.  

She nas nat with the leste of hir stature,
But alle hir limes so wel answeringe
Weren to womanhode, that creature
Was neuer lasse mannish in seminge.
And eek the pure wyse of here meninge  
Shewede wel, that men might in hir gesse
Honour, estat, and wommanly noblesse.

To Troilus right wonder wel with-alle
Gan for to lyke hir meninge and hir chere,
Which somdel deynous was, for she leet falle  
Hir look a lite a-side, in swich manere,
Ascaunces, 'What! May I not stonden here?'
And after that hir loking gan she lighte,
That never thoughte him seen so good a sighte.

And of hir look in him ther gan to quiken  
So greet desir, and swich affeccioun,
That in his herte botme gan to stiken
Of hir his fixe and depe impressioun:
And though he erst hadde poured up and doun,
He was tho glad his hornes in to shrinke;  
Unnethes wiste he how to loke or winke.

Lo, he that leet him-selven so konninge,
And scorned hem that loves peynes dryen,
Was ful unwar that love hadde his dwellinge
With-inne the subtile stremes of hir yen;  
That sodeynly him thoughte he felte dyen,
Right with hir look, the spirit in his herte;
Blissed be love, that thus can folk converte!

She, this in blak, likinge to Troylus,
Over alle thyng, he stood for to biholde;  
Ne his desir, ne wherfor he stood thus,
He neither chere made, ne worde tolde;
But from a-fer, his maner for to holde,
On other thing his look som-tyme he caste,
And eft on hir, whyl that servyse laste.  

And after this, not fulliche al awhaped,
Out of the temple al esiliche he wente,
Repentinge him that he hadde ever y-iaped
Of loves folk, lest fully the descente
Of scorn fille on him-self; but, what he mente,  
Lest it were wist on any maner syde,
His wo he gan dissimulen and hyde.

Whan he was fro the temple thus departed,
He streyght anoon un-to his paleys torneth,
Right with hir look thurgh-shoten and thurgh-darted,  
Al feyneth he in lust that he soiorneth;
And al his chere and speche also he borneth;
And ay, of loves servants every whyle,
Him-self to wrye, at hem he gan to smyle.

And seyde, 'Lord, so ye live al in lest,  
Ye loveres! For the conningest of yow,
That serveth most ententiflich and best,
Him *** as often harm ther-of as prow;
Your hyre is quit ayein, ye, god wot how!
Nought wel for wel, but scorn for good servyse;  
In feith, your ordre is ruled in good wyse!

'In noun-certeyn ben alle your observaunces,
But it a sely fewe poyntes be;
Ne no-thing asketh so grete attendaunces
As doth youre lay, and that knowe alle ye;  
But that is not the worste, as mote I thee;
But, tolde I yow the worste poynt, I leve,
Al seyde I sooth, ye wolden at me greve!

'But tak this, that ye loveres ofte eschuwe,
Or elles doon of good entencioun,  
Ful ofte thy lady wole it misconstrue,
And deme it harm in hir opinioun;
And yet if she, for other enchesoun,
Be wrooth, than shalt thou han a groyn anoon:
Lord! wel is him that may be of yow oon!'  

But for al this, whan that he say his tyme,
He held his pees, non other bote him gayned;
For love bigan his fetheres so to lyme,
That wel unnethe un-to his folk he fayned
That othere besye nedes him destrayned;  
For wo was him, that what to doon he niste,
But bad his folk to goon wher that hem liste.

And whan that he in chaumbre was allone,
He doun up-on his beddes feet him sette,
And first be gan to syke, and eft to grone,  
And thoughte ay on hir so, with-outen lette,
That, as he sat and wook, his spirit mette
That he hir saw a temple, and al the wyse
Right of hir loke, and gan it newe avyse.

Thus gan he make a mirour of his minde,  
In which he saugh al hoolly hir figure;
And that he wel coude in his herte finde,
It was to him a right good aventure
To love swich oon, and if he dide his cure
To serven hir, yet mighte he falle in grace,  
Or elles, for oon of hir servaunts pace.

Imagininge that travaille nor grame
Ne mighte, for so goodly oon, be lorn
As she, ne him for his desir ne shame,
Al were it wist, but in prys and up-born  
Of alle lovers wel more than biforn;
Thus argumented he in his ginninge,
Ful unavysed of his wo cominge.

Thus took he purpos loves craft to suwe,
And thou
À mademoiselle Louise B.

De nos jours, - plaignez-nous, vous, douce et noble femme ! -
L'intérieur de l'homme offre un sombre tableau.
Un serpent est visible en la source de l'eau,
Et l'incrédulité rampe au fond de notre âme.

Vous qui n'avez jamais de sourire moqueur
Pour les accablements dont une âme est troublée,
Vous qui vivez sereine, attentive et voilée,
Homme par la pensée et femme par le cœur,

Si vous me demandez, vous muse, à moi poète,
D'où vient qu'un rêve obscur semble agiter mes jours,
Que mon front est couvert d'ombres, et que toujours,
Comme un rameau dans l'air, ma vie est inquiète ;

Pourquoi je cherche un sens au murmure des vents ;
Pourquoi souvent, morose et pensif dès la veille,
Quand l'horizon blanchit à peine, je m'éveille
Même avant les oiseaux, même avant les enfants ;

Et pourquoi, quand la brume a déchiré ses voiles,
Comme dans un palais dont je ferais le tour,
Je vais dans le vallon, contemplant tour-à-tour
Et le tapis de fleurs et le plafond d'étoiles ?

Je vous dirai qu'en moi je porte un ennemi,
Le doute, qui m'emmène errer dans le bois sombre,
Spectre myope et sourd, qui, fait de jour et d'ombre,
Montre et cache à la fois toute chose à demi !

Je vous dirai qu'en moi j'interroge à toute heure
Un instinct qui bégaie, en mes sens prisonnier,
Près du besoin de croire un désir de nier,
Et l'esprit qui ricane auprès du cœur qui pleure !

Aussi vous me voyez souvent parlant tout bas ;
Et comme un mendiant, à la bouche affamée,
Qui rêve assis devant une porte fermée,
On dirait que j'attends quelqu'un qui n'ouvre pas.

Le doute ! mot funèbre et qu'en lettres de flammes,
Je vois écrit partout, dans l'aube, dans l'éclair,
Dans l'azur de ce ciel, mystérieux et clair,
Transparent pour les yeux, impénétrable aux âmes !

C'est notre mal à nous, enfants des passions
Dont l'esprit n'atteint pas votre calme sublime ;
A nous dont le berceau, risqué sur un abîme,
Vogua sur le flot noir des révolutions.

Les superstitions, ces hideuses vipères,
Fourmillent sous nos fronts où tout germe est flétri.
Nous portons dans nos cœurs le cadavre pourri
De la religion qui vivait dans nos pères.

Voilà pourquoi je vais, triste et réfléchissant,
Pourquoi souvent, la nuit, je regarde et j'écoute.
Solitaire, et marchant au hasard sur la route
A l'heure où le passant semble étrange au passant.

Heureux qui peut aimer, et qui dans la nuit noire,
Tout en cherchant la foi, peut rencontrer l'amour !
Il a du moins la lampe en attendant le jour.
Heureux ce cœur ! Aimer, c'est la moitié de croire.

Octobre 1834.
Incipit Prohemium Secundi Libri.

Out of these blake wawes for to sayle,
O wind, O wind, the weder ginneth clere;
For in this see the boot hath swich travayle,
Of my conning, that unnethe I it stere:
This see clepe I the tempestous matere  
Of desespeyr that Troilus was inne:
But now of hope the calendes biginne.
O lady myn, that called art Cleo,
Thou be my speed fro this forth, and my muse,
To ryme wel this book, til I have do;  
Me nedeth here noon other art to use.
For-why to every lovere I me excuse,
That of no sentement I this endyte,
But out of Latin in my tonge it wryte.

Wherfore I nil have neither thank ne blame  
Of al this werk, but prey yow mekely,
Disblameth me if any word be lame,
For as myn auctor seyde, so seye I.
Eek though I speke of love unfelingly,
No wondre is, for it no-thing of newe is;  
A blind man can nat Iuggen wel in hewis.

Ye knowe eek, that in forme of speche is chaunge
With-inne a thousand yeer, and wordes tho
That hadden prys, now wonder nyce and straunge
Us thinketh hem; and yet they spake hem so,  
And spedde as wel in love as men now do;
Eek for to winne love in sondry ages,
In sondry londes, sondry ben usages.

And for-thy if it happe in any wyse,
That here be any lovere in this place  
That herkneth, as the storie wol devyse,
How Troilus com to his lady grace,
And thenketh, so nolde I nat love purchace,
Or wondreth on his speche or his doinge,
I noot; but it is me no wonderinge;  

For every wight which that to Rome went,
Halt nat o path, or alwey o manere;
Eek in som lond were al the gamen shent,
If that they ferde in love as men don here,
As thus, in open doing or in chere,  
In visitinge, in forme, or seyde hire sawes;
For-thy men seyn, ech contree hath his lawes.

Eek scarsly been ther in this place three
That han in love seid lyk and doon in al;
For to thy purpos this may lyken thee,  
And thee right nought, yet al is seyd or shal;
Eek som men grave in tree, som in stoon wal,
As it bitit; but sin I have begonne,
Myn auctor shal I folwen, if I conne.

Exclipit prohemium Secundi Libri.

Incipit Liber Secundus.

In May, that moder is of monthes glade,  
That fresshe floures, blewe, and whyte, and rede,
Ben quike agayn, that winter dede made,
And ful of bawme is fleting every mede;
Whan Phebus doth his brighte bemes sprede
Right in the whyte Bole, it so bitidde  
As I shal singe, on Mayes day the thridde,

That Pandarus, for al his wyse speche,
Felt eek his part of loves shottes kene,
That, coude he never so wel of loving preche,
It made his hewe a-day ful ofte grene;  
So shoop it, that hym fil that day a tene
In love, for which in wo to bedde he wente,
And made, er it was day, ful many a wente.

The swalwe Proigne, with a sorwful lay,
Whan morwe com, gan make hir waymentinge,  
Why she forshapen was; and ever lay
Pandare a-bedde, half in a slomeringe,
Til she so neigh him made hir chiteringe
How Tereus gan forth hir suster take,
That with the noyse of hir he gan a-wake;  

And gan to calle, and dresse him up to ryse,
Remembringe him his erand was to done
From Troilus, and eek his greet empryse;
And caste and knew in good plyt was the mone
To doon viage, and took his wey ful sone  
Un-to his neces paleys ther bi-syde;
Now Ianus, god of entree, thou him gyde!

Whan he was come un-to his neces place,
'Wher is my lady?' to hir folk seyde he;
And they him tolde; and he forth in gan pace,  
And fond, two othere ladyes sete and she,
With-inne a paved parlour; and they three
Herden a mayden reden hem the geste
Of the Sege of Thebes, whyl hem leste.

Quod Pandarus, 'Ma dame, god yow see,  
With al your book and al the companye!'
'Ey, uncle myn, welcome y-wis,' quod she,
And up she roos, and by the hond in hye
She took him faste, and seyde, 'This night thrye,
To goode mote it turne, of yow I mette!'  
And with that word she doun on bench him sette.

'Ye, nece, ye shal fare wel the bet,
If god wole, al this yeer,' quod Pandarus;
'But I am sory that I have yow let
To herknen of your book ye preysen thus;  
For goddes love, what seith it? tel it us.
Is it of love? O, som good ye me lere!'
'Uncle,' quod she, 'your maistresse is not here!'

With that they gonnen laughe, and tho she seyde,
'This romaunce is of Thebes, that we rede;  
And we han herd how that king Laius deyde
Thurgh Edippus his sone, and al that dede;
And here we stenten at these lettres rede,
How the bisshop, as the book can telle,
Amphiorax, fil thurgh the ground to helle.'  

Quod Pandarus, 'Al this knowe I my-selve,
And al the assege of Thebes and the care;
For her-of been ther maked bokes twelve: --
But lat be this, and tel me how ye fare;
Do wey your barbe, and shew your face bare;  
Do wey your book, rys up, and lat us daunce,
And lat us don to May som observaunce.'

'A! God forbede!' quod she. 'Be ye mad?
Is that a widewes lyf, so god you save?
By god, ye maken me right sore a-drad,  
Ye ben so wilde, it semeth as ye rave!
It sete me wel bet ay in a cave
To bidde, and rede on holy seyntes lyves;
Lat maydens gon to daunce, and yonge wyves.'

'As ever thryve I,' quod this Pandarus,  
'Yet coude I telle a thing to doon you pleye.'
'Now, uncle dere,' quod she, 'tel it us
For goddes love; is than the assege aweye?
I am of Grekes so ferd that I deye.'
'Nay, nay,' quod he, 'as ever mote I thryve!  
It is a thing wel bet than swiche fyve.'

'Ye, holy god,' quod she, 'what thing is that?
What! Bet than swiche fyve? Ey, nay, y-wis!
For al this world ne can I reden what
It sholde been; som Iape, I trowe, is this;  
And but your-selven telle us what it is,
My wit is for to arede it al to lene;
As help me god, I noot nat what ye meene.'

'And I your borow, ne never shal, for me,
This thing be told to yow, as mote I thryve!'  
'And why so, uncle myn? Why so?' quod she.
'By god,' quod he, 'that wole I telle as blyve;
For prouder womman were ther noon on-lyve,
And ye it wiste, in al the toun of Troye;
I iape nought, as ever have I Ioye!'  

Tho gan she wondren more than biforn
A thousand fold, and doun hir eyen caste;
For never, sith the tyme that she was born,
To knowe thing desired she so faste;
And with a syk she seyde him at the laste,  
'Now, uncle myn, I nil yow nought displese,
Nor axen more, that may do yow disese.'

So after this, with many wordes glade,
And freendly tales, and with mery chere,
Of this and that they pleyde, and gunnen wade  
In many an unkouth glad and deep matere,
As freendes doon, whan they ben met y-fere;
Til she gan axen him how Ector ferde,
That was the tounes wal and Grekes yerde.

'Ful wel, I thanke it god,' quod Pandarus,  
'Save in his arm he hath a litel wounde;
And eek his fresshe brother Troilus,
The wyse worthy Ector the secounde,
In whom that ever vertu list abounde,
As alle trouthe and alle gentillesse,  
Wysdom, honour, fredom, and worthinesse.'

'In good feith, eem,' quod she, 'that lyketh me;
They faren wel, god save hem bothe two!
For trewely I holde it greet deyntee
A kinges sone in armes wel to do,  
And been of good condiciouns ther-to;
For greet power and moral vertu here
Is selde y-seye in o persone y-fere.'

'In good feith, that is sooth,' quod Pandarus;
'But, by my trouthe, the king hath sones tweye,  
That is to mene, Ector and Troilus,
That certainly, though that I sholde deye,
They been as voyde of vyces, dar I seye,
As any men that liveth under the sonne,
Hir might is wyde y-knowe, and what they conne.  

'Of Ector nedeth it nought for to telle:
In al this world ther nis a bettre knight
Than he, that is of worthinesse welle;
And he wel more vertu hath than might.
This knoweth many a wys and worthy wight.  
The same prys of Troilus I seye,
God help me so, I knowe not swiche tweye.'

'By god,' quod she, 'of Ector that is sooth;
Of Troilus the same thing trowe I;
For, dredelees, men tellen that he dooth  
In armes day by day so worthily,
And bereth him here at hoom so gentilly
To every wight, that al the prys hath he
Of hem that me were levest preysed be.'

'Ye sey right sooth, y-wis,' quod Pandarus;  
'For yesterday, who-so hadde with him been,
He might have wondred up-on Troilus;
For never yet so thikke a swarm of been
Ne fleigh, as Grekes fro him gonne fleen;
And thorugh the feld, in everi wightes ere,  
Ther nas no cry but "Troilus is there!"

'Now here, now there, he hunted hem so faste,
Ther nas but Grekes blood; and Troilus,
Now hem he hurte, and hem alle doun he caste;
Ay where he wente, it was arayed thus:  
He was hir deeth, and sheld and lyf for us;
That as that day ther dorste noon with-stonde,
Whyl that he held his blody swerd in honde.

'Therto he is the freendlieste man
Of grete estat, that ever I saw my lyve;  
And wher him list, best felawshipe can
To suche as him thinketh able for to thryve.'
And with that word tho Pandarus, as blyve,
He took his leve, and seyde, 'I wol go henne.'
'Nay, blame have I, myn uncle,' quod she thenne.  

'What eyleth yow to be thus wery sone,
And namelich of wommen? Wol ye so?
Nay, sitteth down; by god, I have to done
With yow, to speke of wisdom er ye go.'
And every wight that was a-boute hem tho,  
That herde that, gan fer a-wey to stonde,
Whyl they two hadde al that hem liste in honde.

Whan that hir tale al brought was to an ende,
Of hire estat and of hir governaunce,
Quod Pandarus, 'Now is it tyme I wende;  
But yet, I seye, aryseth, lat us daunce,
And cast your widwes habit to mischaunce:
What list yow thus your-self to disfigure,
Sith yow is tid thus fair an aventure?'

'A! Wel bithought! For love of god,' quod she,  
'Shal I not witen what ye mene of this?'
'No, this thing axeth layser,' tho quod he,
'And eek me wolde muche greve, y-wis,
If I it tolde, and ye it **** amis.
Yet were it bet my tonge for to stille  
Than seye a sooth that were ayeins your wille.

'For, nece, by the goddesse Minerve,
And Iuppiter, that maketh the thonder ringe,
And by the blisful Venus that I serve,
Ye been the womman in this world livinge,  
With-oute paramours, to my wittinge,
That I best love, and lothest am to greve,
And that ye witen wel your-self, I leve.'

'Y-wis, myn uncle,' quod she, 'grant mercy;
Your freendship have I founden ever yit;  
I am to no man holden trewely,
So muche as yow, and have so litel quit;
And, with the grace of god, emforth my wit,
As in my gilt I shal you never offende;
And if I have er this, I wol amende.  

'But, for the love of god, I yow beseche,
As ye ben he that I love most and triste,
Lat be to me your fremde manere speche,
And sey to me, your nece, what yow liste:'
And with that word hir uncle anoon hir kiste,  
And seyde, 'Gladly, leve nece dere,
Tak it for good that I shal seye yow here.'

With that she gan hir eiyen doun to caste,
And Pandarus to coghe gan a lyte,
And seyde, 'Nece, alwey, lo! To the laste,  
How-so it be that som men hem delyte
With subtil art hir tales for to endyte,
Yet for al that, in hir entencioun
Hir tale is al for som conclusioun.

'And sithen thende is every tales strengthe,  
And this matere is so bihovely,
What sholde I peynte or drawen it on lengthe
To yow, that been my freend so feithfully?'
And with that word he gan right inwardly
Biholden hir, and loken on hir face,  
And seyde, 'On suche a mirour goode grace!'

Than thoughte he thus: 'If I my tale endyte
Ought hard, or make a proces any whyle,
She shal no savour han ther-in but lyte,
And trowe I wolde hir in my wil bigyle.  
For tendre wittes wenen al be wyle
Ther-as they can nat pleynly understonde;
For-thy hir wit to serven wol I fonde --'

And loked on hir in a besy wyse,
And she was war that he byheld hir so,  
And seyde, 'Lord! So faste ye me avyse!
Sey ye me never er now? What sey ye, no?'
'Yes, yes,' quod he, 'and bet wole er I go;
But, by my trouthe, I thoughte now if ye
Be fortunat, for now men shal it see.  

'For to every wight som goodly aventure
Som tyme is shape, if he it can receyven;
And if that he wol take of it no cure,
Whan that it commeth, but wilfully it weyven,
Lo, neither cas nor fortune him deceyven,  
But right his verray slouthe and wrecchednesse;
And swich a wight is for to blame, I gesse.

'Good aventure, O bele nece, have ye
Ful lightly founden, and ye conne it take;
And, for the love of god, and eek of me,  
Cacche it anoon, lest aventure slake.
What sholde I lenger proces of it make?
Yif me your hond, for in this world is noon,
If that yow list, a wight so wel begoon.

'And sith I speke of good entencioun,  
As I to yow have told wel here-biforn,
And love as wel your honour and renoun
As creature in al this world y-born;
By alle the othes that I have yow sworn,
And ye be wrooth therfore, or wene I lye,  
Ne shal I never seen yow eft with ye.

'Beth nought agast, ne quaketh nat; wher-to?
Ne chaungeth nat for fere so your hewe;
For hardely the werste of this is do;
And though my tale as now be to yow newe,  
Yet trist alwey, ye shal me finde trewe;
And were it thing that me thoughte unsittinge,
To yow nolde I no swiche tales bringe.'

'Now, my good eem, for goddes love, I preye,'
Quod she, 'com of, and tel me what it is;  
For bothe I am agast what ye wol seye,
And eek me longeth it to wite, y-wis.
For whether it be wel or be amis,
Say on, lat me not in this fere dwelle:'
'So wol I doon; now herkneth, I shal telle:  

'Now, nece myn, the kinges dere sone,
The goode, wyse, worthy, fresshe, and free,
Which alwey for to do wel is his wone,
The noble Troilus, so loveth thee,
That, bot ye helpe, it wol his bane be.  
Lo, here is al, what sholde I more seye?
Doth what yow list, to make him live or deye.

'But if ye lete him deye, I wol sterve;
Have her my trouthe, nece, I nil not lyen;
Al sholde I with this knyf my throte kerve --'  
With that the teres braste out of his yen,
And seyde, 'If that ye doon us bothe dyen,
Thus giltelees, than have ye fisshed faire;
What mende ye, though that we bothe apeyre?

'Allas! He which that is my lord so dere,  
That trewe man, that noble gentil knight,
That nought desireth but your freendly chere,
I see him deye, ther he goth up-right,
And hasteth him, with al his fulle might,
For to be slayn, if fortune wol assente;  
Allas! That god yow swich a beautee sente!

'If it be so that ye so cruel be,
That of his deeth yow liste nought to recche,
That is so trewe and worthy, as ye see,
No more than of a Iapere or a wrecche,  
If ye be swich, your beautee may not strecche
To make amendes of so cruel a dede;
Avysement is good bifore the nede.

'Wo worth the faire gemme vertulees!
Wo worth that herbe also that dooth no bote!  
Wo worth that beautee that is routhelees!
Wo worth that wight that tret ech under fote!
And ye, that been of beautee crop and rote,
If therwith-al in you ther be no routhe,
Than is it harm ye liven, by my trouthe!  

'And also thenk wel that this is no gaude;
For me were lever, thou and I and he
Were hanged, than I sholde been his baude,
As heyghe, as men mighte on us alle y-see:
I am thyn eem, the shame were to me,  
As wel as thee, if that I sholde assente,
Thorugh myn abet, that he thyn honour shente.

'Now understond, for I yow nought requere,
To binde yow to him thorugh no beheste,
But only that ye make him bettre chere  
Than ye han doon er this, and more feste,
So that his lyf be saved, at the leste;
This al and som, and playnly our entente;
God help me so, I never other mente.

'Lo, this request is not but skile, y-wis,  
Ne doute of reson, pardee, is ther noon.
I sette the worste that ye dredden this,
Men wolden wondren seen him come or goon:
Ther-ayeins answere I thus a-noon,
That every wight, but he be fool of kinde,  
Wol deme it love of freendship in his minde.

'What? Who wol deme, though he see a man
To temple go, that he the images eteth?
Thenk eek how wel and wy
Incipit Liber Quintus.

Aprochen gan the fatal destinee
That Ioves hath in disposicioun,
And to yow, angry Parcas, sustren three,
Committeth, to don execucioun;
For which Criseyde moste out of the toun,  
And Troilus shal dwelle forth in pyne
Til Lachesis his threed no lenger twyne. --

The golden-tressed Phebus heighe on-lofte
Thryes hadde alle with his bemes shene
The snowes molte, and Zephirus as ofte  
Y-brought ayein the tendre leves grene,
Sin that the sone of Ecuba the quene
Bigan to love hir first, for whom his sorwe
Was al, that she departe sholde a-morwe.

Ful redy was at pryme Dyomede,  
Criseyde un-to the Grekes ost to lede,
For sorwe of which she felt hir herte blede,
As she that niste what was best to rede.
And trewely, as men in bokes rede,
Men wiste never womman han the care,  
Ne was so looth out of a toun to fare.

This Troilus, with-outen reed or lore,
As man that hath his Ioyes eek forlore,
Was waytinge on his lady ever-more
As she that was the soothfast crop and more  
Of al his lust, or Ioyes here-tofore.
But Troilus, now farewel al thy Ioye,
For shaltow never seen hir eft in Troye!

Soth is, that whyl he bood in this manere,
He gan his wo ful manly for to hyde.  
That wel unnethe it seen was in his chere;
But at the yate ther she sholde oute ryde
With certeyn folk, he hoved hir tabyde,
So wo bigoon, al wolde he nought him pleyne,
That on his hors unnethe he sat for peyne.  

For ire he quook, so gan his herte gnawe,
Whan Diomede on horse gan him dresse,
And seyde un-to him-self this ilke sawe,
'Allas,' quod he, 'thus foul a wrecchednesse
Why suffre ich it, why nil ich it redresse?  
Were it not bet at ones for to dye
Than ever-more in langour thus to drye?

'Why nil I make at ones riche and pore
To have y-nough to done, er that she go?
Why nil I bringe al Troye upon a rore?  
Why nil I sleen this Diomede also?
Why nil I rather with a man or two
Stele hir a-way? Why wol I this endure?
Why nil I helpen to myn owene cure?'

But why he nolde doon so fel a dede,  
That shal I seyn, and why him liste it spare;
He hadde in herte alweyes a maner drede,
Lest that Criseyde, in rumour of this fare,
Sholde han ben slayn; lo, this was al his care.
And ellis, certeyn, as I seyde yore,  
He hadde it doon, with-outen wordes more.

Criseyde, whan she redy was to ryde,
Ful sorwfully she sighte, and seyde 'Allas!'
But forth she moot, for ought that may bityde,
And forth she rit ful sorwfully a pas.  
Ther nis non other remedie in this cas.
What wonder is though that hir sore smerte,
Whan she forgoth hir owene swete herte?

This Troilus, in wyse of curteisye,
With hauke on hond, and with an huge route  
Of knightes, rood and dide hir companye,
Passinge al the valey fer with-oute,
And ferther wolde han riden, out of doute,
Ful fayn, and wo was him to goon so sone;
But torne he moste, and it was eek to done.  

And right with that was Antenor y-come
Out of the Grekes ost, and every wight
Was of it glad, and seyde he was wel-come.
And Troilus, al nere his herte light,
He peyned him with al his fulle might  
Him to with-holde of wepinge at the leste,
And Antenor he kiste, and made feste.

And ther-with-al he moste his leve take,
And caste his eye upon hir pitously,
And neer he rood, his cause for to make,  
To take hir by the honde al sobrely.
And lord! So she gan wepen tendrely!
And he ful softe and sleighly gan hir seye,
'Now hold your day, and dooth me not to deye.'

With that his courser torned he a-boute  
With face pale, and un-to Diomede
No word he spak, ne noon of al his route;
Of which the sone of Tydeus took hede,
As he that coude more than the crede
In swich a craft, and by the reyne hir hente;  
And Troilus to Troye homwarde he wente.

This Diomede, that ladde hir by the brydel,
Whan that he saw the folk of Troye aweye,
Thoughte, 'Al my labour shal not been on ydel,
If that I may, for somwhat shal I seye,  
For at the worste it may yet shorte our weye.
I have herd seyd, eek tymes twyes twelve,
"He is a fool that wol for-yete him-selve."'

But natheles this thoughte he wel ynough,
'That certaynly I am aboute nought,  
If that I speke of love, or make it tough;
For douteles, if she have in hir thought
Him that I gesse, he may not been y-brought
So sone awey; but I shal finde a mene,
That she not wite as yet shal what I mene.'  

This Diomede, as he that coude his good,
Whan this was doon, gan fallen forth in speche
Of this and that, and asked why she stood
In swich disese, and gan hir eek biseche,
That if that he encrese mighte or eche  
With any thing hir ese, that she sholde
Comaunde it him, and seyde he doon it wolde.

For trewely he swoor hir, as a knight,
That ther nas thing with whiche he mighte hir plese,
That he nolde doon his peyne and al his might  
To doon it, for to doon hir herte an ese.
And preyede hir, she wolde hir sorwe apese,
And seyde, 'Y-wis, we Grekes con have Ioye
To honouren yow, as wel as folk of Troye.'

He seyde eek thus, 'I woot, yow thinketh straunge,  
No wonder is, for it is to yow newe,
Thaqueintaunce of these Troianis to chaunge,
For folk of Grece, that ye never knewe.
But wolde never god but-if as trewe
A Greek ye shulde among us alle finde  
As any Troian is, and eek as kinde.

'And by the cause I swoor yow right, lo, now,
To been your freend, and helply, to my might,
And for that more aqueintaunce eek of yow
Have ich had than another straunger wight,  
So fro this forth, I pray yow, day and night,
Comaundeth me, how sore that me smerte,
To doon al that may lyke un-to your herte;

'And that ye me wolde as your brother trete,
And taketh not my frendship in despyt;  
And though your sorwes be for thinges grete,
Noot I not why, but out of more respyt,
Myn herte hath for to amende it greet delyt.
And if I may your harmes not redresse,
I am right sory for your hevinesse,  

'And though ye Troians with us Grekes wrothe
Han many a day be, alwey yet, pardee,
O god of love in sooth we serven bothe.
And, for the love of god, my lady free,
Whom so ye hate, as beth not wroth with me.  
For trewely, ther can no wight yow serve,
That half so looth your wraththe wolde deserve.

'And nere it that we been so neigh the tente
Of Calkas, which that seen us bothe may,
I wolde of this yow telle al myn entente;  
But this enseled til another day.
Yeve me your hond, I am, and shal ben ay,
God help me so, whyl that my lyf may dure,
Your owene aboven every creature.

'Thus seyde I never er now to womman born;  
For god myn herte as wisly glade so,
I lovede never womman here-biforn
As paramours, ne never shal no mo.
And, for the love of god, beth not my fo;
Al can I not to yow, my lady dere,  
Compleyne aright, for I am yet to lere.

'And wondreth not, myn owene lady bright,
Though that I speke of love to you thus blyve;
For I have herd or this of many a wight,
Hath loved thing he never saugh his lyve.  
Eek I am not of power for to stryve
Ayens the god of love, but him obeye
I wol alwey, and mercy I yow preye.

'Ther been so worthy knightes in this place,
And ye so fair, that everich of hem alle  
Wol peynen him to stonden in your grace.
But mighte me so fair a grace falle,
That ye me for your servaunt wolde calle,
So lowly ne so trewely you serve
Nil noon of hem, as I shal, til I sterve.'  

Criseide un-to that purpos lyte answerde,
As she that was with sorwe oppressed so
That, in effect, she nought his tales herde,
But here and there, now here a word or two.
Hir thoughte hir sorwful herte brast a-two.  
For whan she gan hir fader fer aspye,
Wel neigh doun of hir hors she gan to sye.

But natheles she thonked Diomede
Of al his travaile, and his goode chere,
And that him liste his friendship hir to bede;  
And she accepteth it in good manere,
And wolde do fayn that is him leef and dere;
And trusten him she wolde, and wel she mighte,
As seyde she, and from hir hors she alighte.

Hir fader hath hir in his armes nome,  
And tweynty tyme he kiste his doughter swete,
And seyde, 'O dere doughter myn, wel-come!'
She seyde eek, she was fayn with him to mete,
And stood forth mewet, milde, and mansuete.
But here I leve hir with hir fader dwelle,  
And forth I wol of Troilus yow telle.

To Troye is come this woful Troilus,
In sorwe aboven alle sorwes smerte,
With felon look, and face dispitous.
Tho sodeinly doun from his hors he sterte,  
And thorugh his paleys, with a swollen herte,
To chambre he wente; of no-thing took he hede,
Ne noon to him dar speke a word for drede.

And there his sorwes that he spared hadde
He yaf an issue large, and 'Deeth!' he cryde;  
And in his throwes frenetyk and madde
He cursed Iove, Appollo, and eek Cupyde,
He cursed Ceres, Bacus, and Cipryde,
His burthe, him-self, his fate, and eek nature,
And, save his lady, every creature.  

To bedde he goth, and weyleth there and torneth
In furie, as dooth he, Ixion in helle;
And in this wyse he neigh til day soiorneth.
But tho bigan his herte a lyte unswelle
Thorugh teres which that gonnen up to welle;  
And pitously he cryde up-on Criseyde,
And to him-self right thus he spak, and seyde: --

'Wher is myn owene lady lief and dere,
Wher is hir whyte brest, wher is it, where?
Wher ben hir armes and hir eyen clere,  
That yesternight this tyme with me were?
Now may I wepe allone many a tere,
And graspe aboute I may, but in this place,
Save a pilowe, I finde nought tenbrace.

'How shal I do? Whan shal she com ayeyn?  
I noot, allas! Why leet ich hir to go?
As wolde god, ich hadde as tho be sleyn!
O herte myn, Criseyde, O swete fo!
O lady myn, that I love and no mo!
To whom for ever-mo myn herte I dowe;  
See how I deye, ye nil me not rescowe!

'Who seeth yow now, my righte lode-sterre?
Who sit right now or stant in your presence?
Who can conforten now your hertes werre?
Now I am gon, whom yeve ye audience?  
Who speketh for me right now in myn absence?
Allas, no wight; and that is al my care;
For wel wot I, as yvel as I ye fare.

'How sholde I thus ten dayes ful endure,
Whan I the firste night have al this tene?  
How shal she doon eek, sorwful creature?
For tendernesse, how shal she this sustene,
Swich wo for me? O pitous, pale, and grene
Shal been your fresshe wommanliche face
For langour, er ye torne un-to this place.'  

And whan he fil in any slomeringes,
Anoon biginne he sholde for to grone,
And dremen of the dredfulleste thinges
That mighte been; as, mete he were allone
In place horrible, makinge ay his mone,  
Or meten that he was amonges alle
His enemys, and in hir hondes falle.

And ther-with-al his body sholde sterte,
And with the stert al sodeinliche awake,
And swich a tremour fele aboute his herte,  
That of the feer his body sholde quake;
And there-with-al he sholde a noyse make,
And seme as though he sholde falle depe
From heighe a-lofte; and than he wolde wepe,

And rewen on him-self so pitously,  
That wonder was to here his fantasye.
Another tyme he sholde mightily
Conforte him-self, and seyn it was folye,
So causeles swich drede for to drye,
And eft biginne his aspre sorwes newe,  
That every man mighte on his sorwes rewe.

Who coude telle aright or ful discryve
His wo, his pleynt, his langour, and his pyne?
Nought al the men that han or been on-lyve.
Thou, redere, mayst thy-self ful wel devyne  
That swich a wo my wit can not defyne.
On ydel for to wryte it sholde I swinke,
Whan that my wit is wery it to thinke.

On hevene yet the sterres were sene,
Al-though ful pale y-waxen was the mone;  
And whyten gan the orisonte shene
Al estward, as it woned is for to done.
And Phebus with his rosy carte sone
Gan after that to dresse him up to fare,
Whan Troilus hath sent after Pandare.  

This Pandare, that of al the day biforn
Ne mighte han comen Troilus to see,
Al-though he on his heed it hadde y-sworn,
For with the king Pryam alday was he,
So that it lay not in his libertee  
No-wher to gon, but on the morwe he wente
To Troilus, whan that he for him sente.

For in his herte he coude wel devyne,
That Troilus al night for sorwe wook;
And that he wolde telle him of his pyne,  
This knew he wel y-nough, with-oute book.
For which to chaumbre streight the wey he took,
And Troilus tho sobreliche he grette,
And on the bed ful sone he gan him sette.

'My Pandarus,' quod Troilus, 'the sorwe  
Which that I drye, I may not longe endure.
I trowe I shal not liven til to-morwe;
For whiche I wolde alwey, on aventure,
To thee devysen of my sepulture
The forme, and of my moeble thou dispone  
Right as thee semeth best is for to done.

'But of the fyr and flaumbe funeral
In whiche my body brenne shal to glede,
And of the feste and pleyes palestral
At my vigile, I prey thee tak good hede  
That be wel; and offre Mars my stede,
My swerd, myn helm, and, leve brother dere,
My sheld to Pallas yef, that shyneth clere.

'The poudre in which myn herte y-brend shal torne,
That preye I thee thou take and it conserve  
In a vessel, that men clepeth an urne,
Of gold, and to my lady that I serve,
For love of whom thus pitously I sterve,
So yeve it hir, and do me this plesaunce,
To preye hir kepe it for a remembraunce.  

'For wel I fele, by my maladye,
And by my dremes now and yore ago,
Al certeinly, that I mot nedes dye.
The owle eek, which that hight Ascaphilo,
Hath after me shright alle thise nightes two.  
And, god Mercurie! Of me now, woful wrecche,
The soule gyde, and, whan thee list, it fecche!'

Pandare answerde, and seyde, 'Troilus,
My dere freend, as I have told thee yore,
That it is folye for to sorwen thus,  
And causeles, for whiche I can no-more.
But who-so wol not trowen reed ne lore,
I can not seen in him no remedye,
But lete him worthen with his fantasye.

'But Troilus, I pray thee tel me now,  
If that thou trowe, er this, that any wight
Hath loved paramours as wel as thou?
Ye, god wot, and fro many a worthy knight
Hath his lady goon a fourtenight,
And he not yet made halvendel the fare.  
What nede is thee to maken al this care?

'Sin day by day thou mayst thy-selven see
That from his love, or elles from his wyf,
A man mot twinnen of necessitee,
Ye, though he love hir as his owene lyf;  
Yet nil he with him-self thus maken stryf.
For wel thow wost, my leve brother dere,
That alwey freendes may nought been y-fere.

'How doon this folk that seen hir loves wedded
By freendes might, as it bi-*** ful ofte,  
And seen hem in hir spouses bed y-bedded?
God woot, they take it wysly, faire and softe.
For-why good hope halt up hir herte on-lofte,
And for they can a tyme of sorwe endure;
As tyme hem hurt, a tyme doth hem cure.  

'So sholdestow endure, and late slyde
The tyme, and fonde to ben glad and light.
Ten dayes nis so longe not tabyde.
And sin she thee to comen hath bihight,
She nil hir hestes breken for no wight.  
For dred thee not that she nil finden weye
To come ayein, my lyf that dorste I leye.

'Thy swevenes eek and al swich fantasye
Dryf out, and lat hem faren to mischaunce;
For they procede of thy malencolye,  
That doth thee fele in sleep al this penaunce.
A straw for alle swevenes signifiaunce!
God helpe me so, I counte hem not a bene,
Ther woot no man aright what dremes mene.

'For prestes of the temple tellen this,  
That dremes been the revelaciouns
Of goddes, and as wel they telle, y-wis,
That they ben infernals illusiouns;
And leches seyn, that of complexiouns
Proceden they, or fast, or glotonye.  
Who woot in sooth thus what they signifye?

'Eek othere seyn that thorugh impressiouns,
As if a wight hath faste a thing in minde,
That ther-of cometh swiche avisiouns;
And othere seyn, as they in bokes finde,  
That, after tymes of the yeer by kinde,
Men dreme, and that theffect goth by the mone;
But leve no dreem, for it is nought to done.

'Wel worth o
THE PROLOGUE.

The Sompnour in his stirrups high he stood,
Upon this Friar his hearte was so wood,                        furious
That like an aspen leaf he quoke* for ire:             quaked, trembled
"Lordings," quoth he, "but one thing I desire;
I you beseech, that of your courtesy,
Since ye have heard this false Friar lie,
As suffer me I may my tale tell
This Friar boasteth that he knoweth hell,
And, God it wot, that is but little wonder,
Friars and fiends be but little asunder.
For, pardie, ye have often time heard tell,
How that a friar ravish'd was to hell
In spirit ones by a visioun,
And, as an angel led him up and down,
To shew him all the paines that there were,
In all the place saw he not a frere;
Of other folk he saw enough in woe.
Unto the angel spake the friar tho;
                               then
'Now, Sir,' quoth he, 'have friars such a grace,
That none of them shall come into this place?'
'Yes' quoth the angel; 'many a millioun:'
And unto Satanas he led him down.
'And now hath Satanas,' said he, 'a tail
Broader than of a carrack is the sail.
Hold up thy tail, thou Satanas,' quoth he,
'Shew forth thine erse, and let the friar see
Where is the nest of friars in this place.'
And *less than half a furlong way of space
            immediately
Right so as bees swarmen out of a hive,
Out of the devil's erse there gan to drive
A twenty thousand friars on a rout.                       in a crowd
And throughout hell they swarmed all about,
And came again, as fast as they may gon,
And in his erse they creeped every one:
He clapt his tail again, and lay full still.
This friar, when he looked had his fill
Upon the torments of that sorry place,
His spirit God restored of his grace
Into his body again, and he awoke;
But natheless for feare yet he quoke,
So was the devil's erse aye in his mind;
That is his heritage, of very kind                by his very nature
God save you alle, save this cursed Frere;
My prologue will I end in this mannere.

Notes to the Prologue to the Sompnour's Tale

1. Carrack: A great ship of burden used by the Portuguese; the
name is from the Italian, "cargare," to load

2. In less than half a furlong way of space: immediately;
literally, in less time than it takes to walk half a furlong (110
yards).

THE TALE.

Lordings, there is in Yorkshire, as I guess,
A marshy country called Holderness,
In which there went a limitour about
To preach, and eke to beg, it is no doubt.
And so befell that on a day this frere
Had preached at a church in his mannere,
And specially, above every thing,
Excited he the people in his preaching
To trentals,  and to give, for Godde's sake,
Wherewith men mighte holy houses make,
There as divine service is honour'd,
Not there as it is wasted and devour'd,
Nor where it needeth not for to be given,
As to possessioners,  that may liven,
Thanked be God, in wealth and abundance.
"Trentals," said he, "deliver from penance
Their friendes' soules, as well old as young,
Yea, when that they be hastily y-sung, --
Not for to hold a priest jolly and gay,
He singeth not but one mass in a day.
"Deliver out," quoth he, "anon the souls.
Full hard it is, with flesh-hook or with owls                     *awls
To be y-clawed, or to burn or bake:
Now speed you hastily, for Christe's sake."
And when this friar had said all his intent,
With qui *** patre forth his way he went,
When folk in church had giv'n him what them lest;
              pleased
He went his way, no longer would he rest,
With scrip and tipped staff, *y-tucked high:
      with his robe tucked
In every house he gan to pore
and pry,                   up high* peer
And begged meal and cheese, or elles corn.
His fellow had a staff tipped with horn,
A pair of tables
all of ivory,                         writing tablets
And a pointel
y-polish'd fetisly,                  pencil *daintily
And wrote alway the names, as he stood;
Of all the folk that gave them any good,
Askaunce* that he woulde for them pray.                    see note
"Give us a bushel wheat, or malt, or rey,
                          rye
A Godde's kichel,
or a trip
of cheese,        little cake scrap
Or elles what you list, we may not chese;
                       choose
A Godde's halfpenny,  or a mass penny;
Or give us of your brawn, if ye have any;
A dagon
of your blanket, leve dame,                            remnant
Our sister dear, -- lo, here I write your name,--
Bacon or beef, or such thing as ye find."
A sturdy harlot
went them aye behind,                   manservant
That was their hoste's man, and bare a sack,
And what men gave them, laid it on his back
And when that he was out at door, anon
He *planed away
the names every one,                       rubbed out
That he before had written in his tables:
He served them with nifles* and with fables. --             silly tales

"Nay, there thou liest, thou Sompnour," quoth the Frere.
"Peace," quoth our Host, "for Christe's mother dear;
Tell forth thy tale, and spare it not at all."
"So thrive I," quoth this Sompnour, "so I shall." --

So long he went from house to house, till he
Came to a house, where he was wont to be
Refreshed more than in a hundred places
Sick lay the husband man, whose that the place is,
Bed-rid upon a couche low he lay:
"Deus hic,"* quoth he; "O Thomas friend, good day,"       God be here
Said this friar, all courteously and soft.
"Thomas," quoth he, "God yield it you, full oft       reward you for
Have I upon this bench fared full well,
Here have I eaten many a merry meal."
And from the bench he drove away the cat,
And laid adown his potent* and his hat,                       staff
And eke his scrip, and sat himself adown:
His fellow was y-walked into town
Forth with his knave,
into that hostelry                       servant
Where as he shope
him that night to lie.              shaped, purposed

"O deare master," quoth this sicke man,
"How have ye fared since that March began?
I saw you not this fortenight and more."
"God wot," quoth he, "labour'd have I full sore;
And specially for thy salvation
Have I said many a precious orison,
And for mine other friendes, God them bless.
I have this day been at your church at mess,
                      mass
And said sermon after my simple wit,
Not all after the text of Holy Writ;
For it is hard to you, as I suppose,
And therefore will I teach you aye the glose.
           gloss, comment
Glosing is a full glorious thing certain,
For letter slayeth, as we clerkes
sayn.                       scholars
There have I taught them to be charitable,
And spend their good where it is reasonable.
And there I saw our dame; where is she?"
"Yonder I trow that in the yard she be,"
Saide this man; "and she will come anon."
"Hey master, welcome be ye by Saint John,"
Saide this wife; "how fare ye heartily?"

This friar riseth up full courteously,
And her embraceth *in his armes narrow,
                        closely
And kiss'th her sweet, and chirketh as a sparrow
With his lippes: "Dame," quoth he, "right well,
As he that is your servant every deal.
                            whit
Thanked be God, that gave you soul and life,
Yet saw I not this day so fair a wife
In all the churche, God so save me,"
"Yea, God amend defaultes, Sir," quoth she;
"Algates
welcome be ye, by my fay."                             always
"Grand mercy, Dame; that have I found alway.
But of your greate goodness, by your leave,
I woulde pray you that ye not you grieve,
I will with Thomas speak *a little throw:
              a little while
These curates be so negligent and slow
To ***** tenderly a conscience.
In shrift* and preaching is my diligence                     confession
And study in Peter's wordes and in Paul's;
I walk and fishe Christian menne's souls,
To yield our Lord Jesus his proper rent;
To spread his word is alle mine intent."
"Now by your faith, O deare Sir," quoth she,
"Chide him right well, for sainte charity.
He is aye angry as is a pismire,
                                   ant
Though that he have all that he can desire,
Though I him wrie
at night, and make him warm,                   cover
And ov'r him lay my leg and eke mine arm,
He groaneth as our boar that lies in sty:
Other disport of him right none have I,
I may not please him in no manner case."
"O Thomas, *je vous dis,
Thomas, Thomas,                   I tell you
This maketh the fiend, this must be amended.     is the devil's work
Ire is a thing that high God hath defended,                  forbidden
And thereof will I speak a word or two."
"Now, master," quoth the wife, "ere that I go,
What will ye dine? I will go thereabout."
"Now, Dame," quoth he, "je vous dis sans doute,
Had I not of a capon but the liver,
And of your white bread not but a shiver,                   *thin slice
And after that a roasted pigge's head,
(But I would that for me no beast were dead,)
Then had I with you homely suffisance.
I am a man of little sustenance.
My spirit hath its fost'ring in the Bible.
My body is aye so ready and penible
                        painstaking
To wake,
that my stomach is destroy'd.                           watch
I pray you, Dame, that ye be not annoy'd,
Though I so friendly you my counsel shew;
By God, I would have told it but to few."
"Now, Sir," quoth she, "but one word ere I go;
My child is dead within these weeke's two,
Soon after that ye went out of this town."

"His death saw I by revelatioun,"
Said this friar, "at home in our dortour.
               dormitory
I dare well say, that less than half an hour
Mter his death, I saw him borne to bliss
In mine vision, so God me wiss.
                                 direct
So did our sexton, and our fermerere,
                 infirmary-keeper
That have been true friars fifty year, --
They may now, God be thanked of his love,
Make their jubilee, and walk above.
And up I rose, and all our convent eke,
With many a teare trilling on my cheek,
Withoute noise or clattering of bells,
Te Deum was our song, and nothing else,
Save that to Christ I bade an orison,
Thanking him of my revelation.
For, Sir and Dame, truste me right well,
Our orisons be more effectuel,
And more we see of Christe's secret things,
Than *borel folk,
although that they be kings.             laymen
We live in povert', and in abstinence,
And borel folk in riches and dispence
Of meat and drink, and in their foul delight.
We have this worlde's lust* all in despight
      * pleasure *contempt
Lazar and Dives lived diversely,
And diverse guerdon
hadde they thereby.                         reward
Whoso will pray, he must fast and be clean,
And fat his soul, and keep his body lean
We fare as saith th' apostle; cloth
and food                  clothing
Suffice us, although they be not full good.
The cleanness and the fasting of us freres
Maketh that Christ accepteth our prayeres.
Lo, Moses forty days and forty night
Fasted, ere that the high God full of might
Spake with him in the mountain of Sinai:
With empty womb
of fasting many a day                          stomach
Received he the lawe, that was writ
With Godde's finger; and Eli, well ye wit,
                    know
In Mount Horeb, ere he had any speech
With highe God, that is our live's leech,
            *physician, healer
He fasted long, and was in contemplance.
Aaron, that had the temple in governance,
And eke the other priestes every one,
Into the temple when they shoulde gon
To praye for the people, and do service,
They woulde drinken in no manner wise
No drinke, which that might them drunken make,
But t
L'aurore se levait, la mer battait la plage ;
Ainsi parla Sapho debout sur le rivage,
Et près d'elle, à genoux, les filles de ******
Se penchaient sur l'abîme et contemplaient les flots :

Fatal rocher, profond abîme !
Je vous aborde sans effroi !
Vous allez à Vénus dérober sa victime :
J'ai méconnu l'amour, l'amour punit mon crime.
Ô Neptune ! tes flots seront plus doux pour moi !
Vois-tu de quelles fleurs j'ai couronné ma tête ?
Vois : ce front, si longtemps chargé de mon ennui,
Orné pour mon trépas comme pour une fête,
Du bandeau solennel étincelle aujourd'hui !

On dit que dans ton sein... mais je ne puis le croire !
On échappe au courroux de l'implacable Amour ;
On dit que, par tes soins, si l'on renaît au jour,
D'une flamme insensée on y perd la mémoire !
Mais de l'abîme, ô dieu ! quel que soit le secours,
Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours !
Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices
Un oubli passager, vain remède à mes maux !
J'y viens, j'y viens trouver le calme des tombeaux !
Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices !
Et vous, pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces vains sanglots ?
Chantez, chantez un hymne, ô vierges de ****** !

Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse ?
C'était sous les bosquets du temple de Vénus ;
Moi-même, de Vénus insensible prêtresse,
Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse :
Aux pieds de ses autels, soudain je t'aperçus !
Dieux ! quels transports nouveaux ! ô dieux ! comment décrire
Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois ?
Ma langue se glaça, je demeurais sans voix,
Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre !
Non : jamais aux regards de l'ingrate Daphné
Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone ;
Jamais le thyrse en main, de pampres couronné,
Le jeune dieu de l'Inde, en triomphe traîné,
N'apparut plus brillant aux regards d'Erigone.
Tout sortit... de lui seul je me souvins, hélas !
Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure,
J'errais seule et pensive autour de sa demeure.
Un pouvoir plus qu'humain m'enchaînait sur ses pas !
Que j'aimais à le voir, de la foule enivrée,
Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux,
Lancer le disque au ****, d'une main assurée,
Et sur tous ses rivaux l'emporter dans nos jeux !
Que j'aimais à le voir, penché sur la crinière
D'un coursier de I'EIide aussi prompt que les vents,
S'élancer le premier au bout de la carrière,
Et, le front couronné, revenir à pas lents !
Ah ! de tous ses succès, que mon âme était fière !
Et si de ce beau front de sueur humecté
J'avais pu seulement essuyer la poussière...
Ô dieux ! j'aurais donné tout, jusqu'à ma beauté,
Pour être un seul instant ou sa soeur ou sa mère !
Vous, qui n'avez jamais rien pu pour mon bonheur !
Vaines divinités des rives du Permesse,
Moi-même, dans vos arts, j'instruisis sa jeunesse ;
Je composai pour lui ces chants pleins de douceur,
Ces chants qui m'ont valu les transports de la Grèce :
Ces chants, qui des Enfers fléchiraient la rigueur,
Malheureuse Sapho ! n'ont pu fléchir son coeur,
Et son ingratitude a payé ta tendresse !

Redoublez vos soupirs ! redoublez vos sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Si l'ingrat cependant s'était laissé toucher !
Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes
A son indifférence avaient pu l'arracher !
S'il eût été du moins attendri par mes larmes !
Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux
N'aurait filé des jours plus doux, plus glorieux !
Que d'éclat cet amour eût jeté sur sa vie !
Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie !
Et l'amant de Sapho, fameux dans l'univers,
Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers !
C'est pour lui que j'aurais, sur tes autels propices,
Fait fumer en tout temps l'encens des sacrifices,
Ô Vénus ! c'est pour lui que j'aurais nuit et jour
Suspendu quelque offrande aux autels de l'Amour !
C'est pour lui que j'aurais, durant les nuits entières
Aux trois fatales soeurs adressé mes prières !
Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux,
J'aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux !
Pour lui j'aurais voulu dans les jeux d'Ionie
Disputer aux vainqueurs les palmes du génie !
Que ces lauriers brillants à mon orgueil offerts
En les cueillant pour lui m'auraient été plus chers !
J'aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire,
Et couronné son front des rayons de ma gloire.

Souvent à la prière abaissant mon orgueil,
De ta porte, ô Phaon ! j'allais baiser le seuil.
Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse
Me refuse à jamais ce doux titre d'épouse,
Souffre, ô trop cher enfant, que Sapho, près de toi,
Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi !
Que m'importe ce nom et cette ignominie !
Pourvu qu'à tes côtés je consume ma vie !
Pourvu que je te voie, et qu'à mon dernier jour
D'un regard de pitié tu plaignes tant d'amour !
Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse ;
Vénus égalera ma force à ma tendresse.
Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas,
Tu me verras te suivre au milieu des combats ;
Tu me verras, de Mars affrontant la furie,
Détourner tous les traits qui menacent ta vie,
Entre la mort et toi toujours prompte à courir...
Trop heureuse pour lui si j'avais pu mourir !

Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone,
Sous la tente au sommeil ton âme s'abandonne,
Ce sommeil, ô Phaon ! qui n'est plus fait pour moi,
Seule me laissera veillant autour de toi !
Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière,
Assise à tes côtés durant la nuit entière,
Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour,
Je charmerai ta peine en attendant le jour !

Je disais; et les vents emportaient ma prière !
L'écho répétait seul ma plainte solitaire ;
Et l'écho seul encor répond à mes sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !
Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire !
Ô lyre ! que ma main fit résonner pour lui,
Ton aspect que j'aimais m'importune aujourd'hui,
Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire
Et mes feux, et ma honte, et l'ingrat qui m'a fui !
Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste !
Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis
Je ne te suspends pas ! que le courroux céleste
Sur ces flots orageux disperse tes débris !
Et que de mes tourments nul vestige ne reste !
Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers
Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers !
Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre !
Que ne puis-je aux Enfers descendre tout entière !
Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon,
Emporter avec moi l'opprobre de mon nom !

Cependant si les dieux que sa rigueur outrage
Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage ?
Si de ce lieu suprême il pouvait s'approcher ?
S'il venait contempler sur le fatal rocher
Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée,
Frappant de vains sanglots la rive désolée,
Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort,
Et dressant lentement les apprêts de sa mort ?
Sans doute, à cet aspect, touché de mon supplice,
Il se repentirait de sa longue injustice ?
Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer
Il dirait à Sapho : Vis encor pour aimer !
Qu'ai-je dit ? **** de moi quelque remords peut-être,
A défaut de l'amour, dans son coeur a pu naître :
Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux,
Il frissonne, il s'arrête, il revient vers ces lieux ?
Il revient m'arrêter sur les bords de l'abîme ;
Il revient !... il m'appelle... il sauve sa victime !...
Oh ! qu'entends-je ?... écoutez... du côté de ******
Une clameur lointaine a frappé les échos !
J'ai reconnu l'accent de cette voix si chère,
J'ai vu sur le chemin s'élever la poussière !
Ô vierges ! regardez ! ne le voyez-vous pas
Descendre la colline et me tendre les bras ?...
Mais non ! tout est muet dans la nature entière,
Un silence de mort règne au **** sur la terre :
Le chemin est désert !... je n'entends que les flots...
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de ****** !

Mais déjà s'élançant vers les cieux qu'il colore
Le soleil de son char précipite le cours.
Toi qui viens commencer le dernier de mes jours,
Adieu dernier soleil ! adieu suprême aurore !
Demain du sein des flots vous jaillirez encore,
Et moi je meurs ! et moi je m'éteins pour toujours !
Adieu champs paternels ! adieu douce contrée !
Adieu chère ****** à Vénus consacrée !
Rivage où j'ai reçu la lumière des cieux !
Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance
D'une tremblante main me consacrant aux dieux,
Au culte de Vénus dévoua mon enfance !
Et toi, forêt sacrée, où les filles du Ciel,
Entourant mon berceau, m'ont nourri de leur miel,
Adieu ! Leurs vains présents que le vulgaire envie,
Ni des traits de l'Amour, ni des coups du destin,
Misérable Sapho ! n'ont pu sauver ta vie !
Tu vécus dans les Pleurs, et tu meurs au matin !
Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée !
Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel.
Une jeune victime à ton temple amenée,
Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée,
Vient tomber avant l'âge au pied de ton autel !

Et vous qui reverrez le cruel que j'adore
Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux,
Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux !
Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore !

Elle dit, et le soir, quittant le bord des flots,
Vous revîntes sans elle, ô vierges de ****** !
Tandis qu'au **** des nuées,
Qui semblent des paradis,
Dans le bleu sont remuées,
Je t'écoute, et tu me dis :

« Quelle idée as-tu de l'homme,
« De croire qu'il aide Dieu ?
« L'homme est-il donc l'économe
« De l'eau, de l'air et du feu ?

« Est-ce que, dans son armoire,
« Tu l'aurais vu de tes yeux
« Serrer les rouleaux de moire
« Que l'aube déploie aux cieux ?

« Est-ce lui qui gonfle et ride
« La vague, et lui dit : Assez !
« Est-ce lui qui tient la bride
« Des éléments hérissés ?

« Sait-il le secret de l'herbe ?
« Parle-t-il au nid vivant ?
« Met-il sa note superbe
« Dans le noir clairon du vent ?

« La marée âpre et sonore
« Craint-elle son éperon ?
« Connaît-il le météore ?
« Comprend-il le moucheron ?

« L'homme aider Dieu ! lui, ce songe,
« Ce spectre en fuite et tremblant !
« Est-ce grâce à son éponge
« Que le cygne reste blanc ?

« Le fait veut, l'homme acquiesce.
« Je ne vois pas que sa main
« Découpe à l'emporte-pièce
« Les pétales du jasmin.

« Donne-t-il l'odeur aux sauges,
« Parce qu'il sait faire un trou
« Pour mêler le grès des Vosges
« Au salpêtre du Pérou ?

« Règle-t-il l'onde et la brise,
« Parce qu'il disséquera
« De l'argile qu'il a prise
« Près de Rio-Madera ?

« Ôte Dieu ; puis imagine,
« Essaie, invente ; épaissis
« L'idéal subtil d'Égine
« Par les dogmes d'Éleusis ;

« Soude Orphée à Lamettrie ;
« Joins, pour ne pas être à court,
« L'école d'Alexandrie
« À l'école d'Edimbourg ;

« Va du conclave au concile,
« D'Anaximandre à Destutt ;
« Dans quelque cuve fossile
« Exprime tout l'institut ;

« Démaillote la momie ;
« Presse Œdipe et Montyon ;
« Mets en pleine académie
« Le sphinx à la question ;

« Fouille le doute et la grâce ;
« Amalgame en ton guano
« À la Sybaris d'Horace
« Les Chartreux de saint Bruno ;

« Combine Genève et Rome ;
« Fais mettre par ton fermier
« Toutes les vertus de l'homme
« Dans une fosse à fumier ;

« Travaille avec patience
« En puisant au monde entier ;
« Prends pour pilon la science
« Et l'abîme pour mortier ;

« Va, forge ! je te défie
« De faire de ton savoir
« Et de ta philosophie
« Sortir un grain de blé noir !

« Dieu, de sa droite, étreint, fauche,
« Sème, et tout est rajeuni ;
« L'homme n'est qu'une main gauche
« Tâtonnant dans l'infini.

« Aux heures mystérieuses,
« Quand l'eau se change en miroir,
« Rôdes-tu sous les yeuses,
« L'esprit plongé dans le soir ?

« Te dis-tu : - Qu'est-ce que l'homme ? -
« Sonde, ami, sa nullité ;
« Cherche, de quel chiffre, en somme,
« Il accroît l'éternité !

« L'homme est vain. Pourquoi, poète,
« Ne pas le voir tel qu'il est,
« Dans le sépulcre squelette,
« Et sur la terre valet !

« L'homme est nu, stérile, blême,
« Plus frêle qu'un passereau ;
« C'est le puits du néant même
« Qui s'ouvre dans ce zéro.

« Va, Dieu crée et développe
« Un lion très réussi,
« Un bélier, une antilope,
« Sans le concours de Poissy.

« Il fait l'aile de la mouche
« Du doigt dont il façonna
« L'immense taureau farouche
« De la Sierra Morena ;

« Et dans l'herbe et la rosée
« Sa génisse au fier sabot
« Règne, et n'est point éclipsée
« Par la vache Sarlabot.

« Oui, la graine dans l'espace
« Vole à travers le brouillard,
« Et de toi le vent se passe,
« Semoir Jacquet-Robillard !

« Ce laboureur, la tempête,
« N'a pas, dans les gouffres noirs,
« Besoin que Grignon lui prête
« Sa charrue à trois versoirs.

« Germinal, dans l'atmosphère,  
« Soufflant sur les prés fleuris,  
« Sait encor mieux son affaire  
« Qu'un maraîcher de Paris.

« Quand Dieu veut teindre de flamme
« Le scarabée ou la fleur,
« Je ne vois point qu'il réclame
« La lampe de l'émailleur.

« L'homme peut se croire prêtre,
« L'homme peut se dire roi,
« Je lui laisse son peut-être,
« Mais je doute, quant à moi,

« Que Dieu, qui met mon image
« Au lac où je prends mon bain,
« Fasse faire l'étamage
« Des étangs, à Saint-Gobain.

« Quand Dieu pose sur l'eau sombre
« L'arc-en-ciel comme un siphon,
« Quand au tourbillon plein d'ombre
« Il attelle le typhon,

« Quand il maintient d'âge en âge
« L'hiver, l'été, mai vermeil,
« Janvier triste, et l'engrenage
« De l'astre autour du soleil,

« Quand les zodiaques roulent,
« Amarrés solidement,
« Sans que jamais elles croulent,
« Aux poutres du firmament,

« Quand tournent, rentrent et sortent
« Ces effrayants cabestans
« Dont les extrémités portent
« Le ciel, les saisons, le temps ;

« Pour combiner ces rouages
« Précis comme l'absolu,
« Pour que l'urne des nuages
« Bascule au moment voulu,

« Pour que la planète passe,
« Tel jour, au point indiqué,
« Pour que la mer ne s'amasse
« Que jusqu'à l'ourlet du quai,

« Pour que jamais la comète
« Ne rencontre un univers,
« Pour que l'essaim sur l'Hymète
« Trouve en juin les lys ouverts,

« Pour que jamais, quand approche
« L'heure obscure où l'azur luit,
« Une étoile ne s'accroche
« À quelque angle de la nuit,

« Pour que jamais les effluves
« Les forces, le gaz, l'aimant,
« Ne manquent aux vastes cuves
« De l'éternel mouvement,

« Pour régler ce jeu sublime,
« Cet équilibre béni,
« Ces balancements d'abîme,
« Ces écluses d'infini,

« Pour que, courbée ou grandie,
« L'oeuvre marche sans un pli,
« Je crois peu qu'il étudie
« La machine de Marly ! »

Ton ironie est amère,
Mais elle se trompe, ami.
Dieu compte avec l'éphémère,
Et s'appuie à la fourmi.

Dieu n'a rien fait d'inutile.
La terre, hymne où rien n'est vain,
Chante, et l'homme est le dactyle
De l'hexamètre divin.

L'homme et Dieu sont parallèles :
Dieu créant, l'homme inventant.
Dieu donne à l'homme ses ailes.
L'éternité fait l'instant.

L'homme est son auxiliaire
Pour le bien et la vertu.
L'arbre est Dieu, l'homme est le lierre ;
Dieu de l'homme s'est vêtu.

Dieu s'en sert, donc il s'en aide.
L'astre apparaît dans l'éclair ;
Zeus est dans Archimède,
Et Jéhovah dans Képler.

Jusqu'à ce que l'homme meure,
Il va toujours en avant.
Sa pensée a pour demeure
L'immense idéal vivant.

Dans tout génie il s'incarne ;
Le monde est sous son orteil ;
Et s'il n'a qu'une lucarne,
Il y pose le soleil.

Aux terreurs inabordable,
Coupant tous les fatals noeuds,
L'homme marche formidable,
Tranquille et vertigineux.

De limon il se fait lave,
Et colosse d'embryon ;
Epictète était esclave,
Molière était histrion,

Ésope était saltimbanque,
Qu'importe ! - il n'est arrêté
Que lorsque le pied lui manque
Au bord de l'éternité.

L'homme n'est pas autre chose
Que le prête-nom de Dieu.
Quoi qu'il fasse, il sent la cause
Impénétrable, au milieu.

Phidias cisèle Athènes ;
Michel-Ange est surhumain ;
Cyrus, Rhamsès, capitaines,
Ont une flamme à la main ;

Euclide trouve le mètre,
Le rythme sort d'Amphion ;
Jésus-Christ vient tout soumettre,
Même le glaive, au rayon ;

Brutus fait la délivrance ;
Platon fait la liberté ;
Jeanne d'Arc sacre la France
Avec sa virginité ;

Dans le bloc des erreurs noires
Voltaire ses coins ;
Luther brise les mâchoires
De Rome entre ses deux poings ;

Dante ouvre l'ombre et l'anime ;
Colomb fend l'océan bleu... -
C'est Dieu sous un pseudonyme,
C'est Dieu masqué, mais c'est Dieu.

L'homme est le fanal du monde.
Ce puissant esprit banni
Jette une lueur profonde
Jusqu'au seuil de l'infini.

Cent carrefours se partagent
Ce chercheur sans point d'appui ;
Tous les problèmes étagent
Leurs sombres voûtes sur lui.

Il dissipe les ténèbres ;
Il montre dans le lointain
Les promontoires funèbres
De l'abîme et du destin.

Il fait voir les vagues marches
Du sépulcre, et sa clarté
Blanchit les premières arches
Du pont de l'éternité.

Sous l'effrayante caverne
Il rayonne, et l'horreur fuit.
Quelqu'un tient cette lanterne ;
Mais elle t'éclaire, ô nuit !

Le progrès est en litige
Entre l'homme et Jéhovah ;
La greffe ajoute à la tige ;
Dieu cacha, l'homme trouva.

De quelque nom qu'on la nomme,
La science au vaste voeu
Occupe le pied de l'homme
À faire les pas de Dieu.

La mer tient l'homme et l'isole,
Et l'égare **** du port ;
Par le doigt de la boussole
Il se fait montrer le nord.

Dans sa morne casemate,
Penn rend ce damné meilleur ;
Jenner dit : Va-t-en, stigmate !
Jackson dit : Va-t-en, douleur !

Dieu fait l'épi, nous la gerbe ;
Il est grand, l'homme est fécond ;
Dieu créa le premier verbe
Et Gutenberg le second.

La pesanteur, la distance,
Contre l'homme aux luttes prêt,
Prononcent une sentence ;
Montgolfier casse l'arrêt.

Tous les anciens maux tenaces,
Hurlant sous le ciel profond,
Ne sont plus que des menaces
De fantômes qui s'en vont.

Le tonnerre au bruit difforme
Gronde... - on raille sans péril
La marionnette énorme
Que Franklin tient par un fil.

Nemrod était une bête
Chassant aux hommes, parmi
La démence et la tempête
De l'ancien monde ennemi.

Dracon était un cerbère
Qui grince encor sous le ciel
Avec trois têtes : Tibère,
Caïphe et Machiavel.

Nemrod s'appelait la Force,
Dracon s'appelait la Loi ;
On les sentait sous l'écorce
Du vieux prêtre et du vieux roi.

Tous deux sont morts. Plus de haines !
Oh ! ce fut un puissant bruit
Quand se rompirent les chaînes
Qui liaient l'homme à la nuit !

L'homme est l'appareil austère
Du progrès mystérieux ;
Dieu fait par l'homme sur terre
Ce qu'il fait par l'ange aux cieux.

Dieu sur tous les êtres pose
Son reflet prodigieux,
Créant le bien par la chose,
Créant par l'homme le mieux.

La nature était terrible,
Sans pitié, presque sans jour ;
L'homme la vanne en son crible,
Et n'y laisse que l'amour.

Toutes sortes de lois sombres
Semblaient sortir du destin ;
Le mal heurtait aux décombres
Le pied de l'homme incertain.

Pendant qu'à travers l'espace
Elle roule en hésitant ;
Un flot de ténèbres passe
Sur la terre à chaque instant ;

Mais des foyers y flamboient,
Tout s'éclaircit, on le sent,
Et déjà les anges voient
Ce noir globe blanchissant.

Sous l'urne des jours sans nombre
Depuis qu'il suit son chemin,
La décroissance de l'ombre
Vient des yeux du genre humain.

L'autel n'ose plus proscrire ;
La misère est morte enfin ;
Pain à tous ! on voit sourire
Les sombres dents de la faim.

L'erreur tombe ; on l'évacue ;
Les dogmes sont muselés ;
La guerre est une vaincue ;
Joie aux fleurs et paix aux blés !

L'ignorance est terrassée ;
Ce monstre, à demi dormant,
Avait la nuit pour pensée
Et pour voix le bégaiement.

Oui, voici qu'enfin recule
L'affreux groupe des fléaux !
L'homme est l'invincible hercule,
Le balayeur du chaos.

Sa massue est la justice,
Sa colère est la bonté.
Le ciel s'appuie au solstice
Et l'homme à sa volonté.

Il veut. Tout cède et tout plie.
Il construit quand il détruit ;
Et sa science est remplie
Des lumières de la nuit.

Il enchaîne les désastres,
Il tord la rébellion,
Il est sublime ; et les astres
Sont sur sa peau de lion.
I


J'ai toujours voulu voir du pays, et la vie

Que mène un voyageur m'a toujours fait envie.

Je me suis dit cent fois qu'un demi-siècle entier

Dans le même logis, dans le même quartier ;

Que dix ans de travail, dix ans de patience

A lire les docteurs et creuser leur science,

Ne valent pas six mois par voie et par chemin,

Six mois de vie errante, un bâton à la main.

- Eh bien ! me voici prêt, ma valise est remplie ;

Où vais-je ! - En Italie. - Ah, fi donc ! l'Italie !

Voyage de badauds, de beaux fils à gants blancs.

Qui vont là par ennui, par ton, comme à Coblentz,

En poste, au grand galop, traversant Rome entière,

Et regardent ton ciel, Naples, par la portière.

- Mais ce que je veux, moi, voir avant de mourir,

Où je veux à souhait rêver, chanter, courir.

C'est l'Espagne, ô mon cœur ! c'est l'hôtesse des Maures,

Avec ses orangers et ses frais sycomores,

Ses fleuves, ses rochers à pic, et ses sentiers

Où s'entendent, la nuit, les chants des muletiers ;

L'Espagne d'autrefois, seul débris qui surnage

Du colosse englouti qui fut le moyen âge ;

L'Espagne et ses couvents, et ses vieilles cités

Toutes ceintes de murs que l'âge a respectés ;

Madrid. Léon, Burgos, Grenade et cette ville

Si belle, qu'il n'en est qu'une au monde. Séville !

La ville des amants, la ville des jaloux,

Fière du beau printemps de son ciel andalou,

Qui, sous ses longs arceaux de blanches colonnades,

S'endort comme une vierge, au bruit des sérénades.

Jusqu'à tant que pour moi le jour se soit levé

Où je pourrai te voir et baiser ton pavé,

Séville ! c'est au sein de cette autre patrie

Que je veux, mes amis, mettre, ma rêverie ;

C'est là que j'enverrai mon âme et chercherai

De doux récits d'amour que je vous redirai.


II


A Séville autrefois (pour la date il n'importe),

Près du Guadalquivir, la chronique rapporte

Qu'une dame vivait, qui passait saintement

Ses jours dans la prière et le recueillement :

Ses charmes avaient su captiver la tendresse

De l'alcade, et c'était, comme on dit, sa maîtresse ;

Ce qui n'empêchait pas que son nom fût cité

Comme un exemple à tous d'austère piété.

Car elle méditait souvent les évangiles,

Jeûnait exactement quatre-temps et vigiles.

Communiait à Pâque, et croyait fermement

Que c'est péché mortel d'avoir plus d'un amant

A la fois. Ainsi donc, en personne discrète.

Elle vivait au fond d'une obscure retraite,

Toute seule et n'ayant de gens dans sa maison

Qu'une duègne au-delà de l'arrière-saison,

Qu'on disait avoir eu, quand elle était jolie.

Ses erreurs de jeunesse, et ses jours de folie.

Voyant venir les ans, et les amans partir,

En femme raisonnable elle avait cru sentir

Qu'en son âme, un beau jour, était soudain venue

Une vocation jusqu'alors inconnue ;

Au monde, qui fuyait, elle avait dit adieu,

Et pour ses vieux péchés s'était vouée à Dieu.


Une fois, au milieu d'une de ces soirées

Que prodigue le ciel à ces douces contrées,

Le bras nonchalamment jeté sur son chevet,

Paquita (c'est le nom de la dame) rêvait :

Son œil s'était voilé, silencieux et triste ;

Et tout près d'elle, au pied du lit, sa camariste

Disait dévotement, un rosaire à la main,

Ses prières du soir dans le rite romain.

Voici que dans la rue, au pied de la fenêtre,

Un bruit se fit entendre ; elle crut reconnaître

Un pas d'homme, prêta l'oreille ; en ce moment

Une voix s'éleva qui chantait doucement :


« Merveille de l'Andalousie.

Étoile qu'un ange a choisie

Entre celles du firmament,

Ne me fuis pas ainsi ; demeure,

Si tu ne veux pas que je meure

De désespoir, en te nommant !


J'ai visité les Asturies,

Aguilar aux plaines fleuries,

Tordesillas aux vieux manoirs :

J'ai parcouru les deux Castilles.

Et j'ai bien vu sous les mantilles

De grands yeux et des sourcils noirs :


Mais, ô lumière de ma vie,

Dans Barcelone ou Ségovie,

Dans Girone au ciel embaumé,

Dans la Navarre ou la Galice,

Je n'ai rien vu qui ne pâlisse

Devant les yeux qui m'ont charmé ! »


Quand la nuit est bien noire, et que toute la terre,

Comme de son manteau, se voile de mystère,

Vous est-il arrivé parfois, tout en rêvant,

D'ouïr des sons lointains apportés par le vent ?

Comme alors la musique est plus douce ! Il vous semble

Que le ciel a des voix qui se parlent ensemble,

Et que ce sont les saints qui commencent en chœur

Des chants qu'une autre voix achève dans le cœur.

- A ces sons imprévus, tout émue et saisie,

La dame osa lever un coin de jalousie

Avec précaution, et juste pour pouvoir

Découvrir qui c'était, mais sans se laisser voir.

En ce moment la lune éclatante et sereine

Parut au front des cieux comme une souveraine ;

A ses pâles rayons un regard avait lui,

Elle le reconnut, et dit : « C'est encor lui ! »

C'était don Gabriel, que par toute la ville

On disait le plus beau cavalier de Séville ;

Bien fait, de belle taille et de bonne façon ;

Intrépide écuyer et ferme sur l'arçon,

Guidant son andalou avec grâce et souplesse,

Et de plus gentilhomme et de haute noblesse ;

Ce que sachant très bien, et comme, en s'en allant,

Son bonhomme de père avait eu le talent

De lui laisser comptant ce qu'il faut de richesses

Pour payer la vertu de plus de cent duchesses,

Il allait tête haute, en homme intelligent

Du prix de la noblesse unie avec l'argent.

Mais quand le temps d'aimer, car enfin, quoi qu'on dit,

Il faut tous en passer par cette maladie,

Qui plus tôt, qui plus **** ; quand ce temps fut venu,

Et qu'un trouble arriva jusqu'alors inconnu,

Soudain il devint sombre : au fond de sa pensée

Une image de femme un jour était passée ;

Il la cherchait partout. Seul, il venait s'asseoir

Sous les arbres touffus d'Alaméda, le soir.

A cette heure d'amour où la terre embrasée

Voit son sein rafraîchir sous des pleurs de rosée.

Un jour qu'il était là, triste, allant sans savoir

Où se portaient ses pas, et regardant sans voir,

Une femme passa : vision imprévue.

Qu'il reconnut soudain sans l'avoir jamais vue !

C'était la Paquita : c'était elle ! elle avait

Ces yeux qu'il lui voyait, la nuit, quand il rêvait.

Le souris, la démarche et la taille inclinée

De l'apparition qu'il avait devinée.

Il est de ces moments qui décident des jours

D'un homme ! Depuis lors il la suivait toujours,

Partout, et c'était lui dont la voix douce et tendre

Avait trouvé les chants qu'elle venait d'entendre.


III


Comment don Gabriel se fit aimer, comment

Il entra dans ce cœur tout plein d'un autre amant,

Je n'en parlerai pas, lecteur, ne sachant guère,

Depuis qu'on fait l'amour, de chose plus vulgaire ;

Donc, je vous en fais grâce, et dirai seulement,

Pour vous faire arriver plus vite au dénouement.

Que la dame à son tour. - car il n'est pas possible

Que femme à tant d'amour garde une âme insensible,

- Après avoir en vain rappelé sa vertu.

Avoir prié longtemps, et longtemps combattu.

N'y pouvant plus tenir, sans doute, et dominée

Par ce pouvoir secret qu'on nomme destinée,

Ne se contraignit plus, et cessa d'écouter

Un reste de remords qui voulait l'arrêter :

Si bien qu'un beau matin, au détour d'une allée,

Gabriel vit venir une duègne voilée,

D'un air mystérieux l'aborder en chemin,

Regarder autour d'elle, et lui prendre la main

En disant : « Une sage et discrète personne,

Que l'on ne peut nommer ici, mais qu'on soupçonne

Vous être bien connue et vous toucher de près,

Mon noble cavalier, me charge tout exprès

De vous faire savoir que toute la soirée

Elle reste au logis, et serait honorée

De pouvoir vous apprendre, elle-même, combien

A votre seigneurie elle voudrait de bien. »


Banquiers, agents de change, épiciers et notaires,

Percepteurs, contrôleurs, sous-chefs de ministères

Boutiquiers, électeurs, vous tous, grands et petits.

Dans les soins d'ici-bas lourdement abrutis,

N'est-il pas vrai pourtant que, dans cette matière,

Où s'agite en tous sens votre existence entière.

Vous n'avez pu flétrir votre âme, et la fermer

Si bien, qu'il n'y demeure un souvenir d'aimer ?

Oh ! qui ne s'est, au moins une fois dans sa vie,

D'une extase d'amour senti l'âme ravie !

Quel cœur, si desséché qu'il soit, et si glacé,

Vers un monde nouveau ne s'est point élancé ?

Quel homme n'a pas vu s'élever dans les nues

Des chœurs mystérieux de vierges demi-nues ;

Et lorsqu'il a senti tressaillir une main,

Et qu'une voix aimée a dit tout bas : « Demain »,

Oh ! qui n'a pas connu cette fièvre brûlante,

Ces imprécations à l'aiguille trop lente,

Et cette impatience à ne pouvoir tenir

En place, et comme un jour a de mal à finir !

- Hélas ! pourquoi faut-il que le ciel nous envie

Ces instants de bonheur, si rares dans la vie,

Et qu'une heure d'amour, trop prompte à s'effacer,

Soit si longue à venir, et si courte à passer !


Après un jour, après un siècle entier d'attente,

Gabriel, l'œil en feu, la gorge haletante,

Arrive ; on l'attendait. Il la vit, - et pensa

Mourir dans le baiser dont elle l'embrassa.


IV


La nature parfois a d'étranges mystères !


V


Derrière le satin des rideaux solitaires

Que s'est-il donc passé d'inouï ? Je ne sais :

On entend des soupirs péniblement poussés.

Et soudain Paquita s'écriant : « Honte et rage !

Sainte mère de Dieu ! c'est ainsi qu'on m'outrage !

Quoi ! ces yeux, cette bouche et cette gorge-là,

N'ont de ce beau seigneur obtenu que cela !

Il vient dire qu'il m'aime ! et quand je m'abandonne

Aux serments qu'il me fait, grand Dieu ! que je me donne,

Que je risque pour lui mon âme, et je la mets

En passe d'être un jour damnée à tout jamais,

'Voilà ma récompense ! Ah ! pour que tu réveilles

Ce corps tout épuisé de luxure et de veilles,

Ma pauvre Paquita, tu n'es pas belle assez !

Car, ne m'abusez pas, maintenant je le sais.

Sorti d'un autre lit, vous venez dans le nôtre

Porter des bras meurtris sous les baisers d'une autre :

Elle doit s'estimer heureuse, Dieu merci.

De vous avoir pu mettre en l'état que voici.

Celle-là ! car sans doute elle est belle, et je pense

Qu'elle est femme à valoir qu'on se mette en dépense !

Je voudrais la connaître, et lui demanderais

De m'enseigner un peu ses merveilleux secrets.

Au moins, vous n'avez pas si peu d'intelligence

De croire que ceci restera sans vengeance.

Mon illustre seigneur ! Ah ! l'aimable roué !

Vous apprendrez à qui vous vous êtes joué !

Çà, vite en bas du lit, qu'on s'habille, et qu'on sorte !

Certes, j'espère bien vous traiter de la sorte

Que vous me connaissiez, et de quel châtiment

La Paquita punit l'outrage d'un amant ! »


Elle parlait ainsi lorsque, tout effarée,

La suivante accourut : « A la porte d'entrée,

L'alcade et trois amis, qu'il amenait souper,

Dit-elle, sont en bas qui viennent de frapper !

- Bien ! dit la Paquita ; c'est le ciel qui l'envoie !

- Ah ! señora ! pour vous, gardez que l'on me voie !

- Au contraire, dit l'autre. Allez ouvrir ! merci.

Mon Dieu ; je t'appelais, Vengeance ; te voici ! »

Et sitôt que la duègne en bas fut descendue,

La dame de crier : « A moi ! je suis perdue !

Au viol ! je me meurs ! au secours ! au secours !

Au meurtre ! à l'assassin ! Ah ! mon seigneur, accours ! »

Tout en disant cela, furieuse, éperdue,

Au cou de Gabriel elle s'était pendue.

Le serrait avec rage, et semblait repousser

Ses deux bras qu'elle avait contraints à l'embrasser ;

Et lui, troublé, la tête encor tout étourdie,

Se prêtait à ce jeu d'horrible comédie,

Sans deviner, hélas ! que, pour son châtiment,

C'était faire un prétexte et servir d'instrument !


L'alcade cependant, à ces cris de détresse,

Accourt en toute hâte auprès de sa maîtresse :

« Seigneur ! c'est le bon Dieu qui vous amène ici ;

Vengez-vous, vengez-moi ! Cet homme que voici,

Pour me déshonorer, ce soir, dans ma demeure...

- Femme, n'achevez pas, dit l'alcade ; qu'il meure !

- Qu'il meure ; reprit-elle. - Oui ; mais je ne veux pas

Lui taire de ma main un si noble trépas ;

Çà, messieurs, qu'on l'emmène, et que chacun pâlisse

En sachant à la fois le crime et le supplice ! »

Gabriel, cependant, s'étant un peu remis.

Tenta de résister ; mais pour quatre ennemis,

Hélas ! il était seul, et sa valeur trompée

Demanda vainement secours à son épée ;

Elle s'était brisée en sa main : il fallut

Se rendre, et se soumettre à tout ce qu'on voulut.


Devant la haute cour on instruisit l'affaire ;

Le procès alla vite, et quoi que pussent faire

Ses amis, ses parents et leur vaste crédit.

Qu'au promoteur fiscal don Gabriel eût dit :

« C'est un horrible piège où l'on veut me surprendre.

Un crime ! je suis noble, et je dois vous apprendre,

Seigneur, qu'on n'a jamais trouvé dans ma maison

De rouille sur l'épée ou de tache au blason !

Seigneur, c'est cette femme elle-même, j'en jure

Par ce Christ qui m'entend et punit le parjure.

Qui m'avait introduit dans son appartement ;

Et comment voulez-vous qu'à pareille heure ?... - Il ment !

Disait la Paquita ; d'ailleurs la chose est claire.

J'ai mes témoins : il faut une peine exemplaire.

Car je vous l'ai promis, et qu'un juste trépas

Me venge d'un affront que vous n'ignorez pas ! »


VI


Or, s'il faut maintenant, lecteur, qu'on vous apprenne -

La fin de tout ceci, par la cour souveraine

Il fut jugé coupable à l'unanimité ;

Et comme il était noble, il fut décapité.
Je voyageais. Le paysage au milieu duquel j'étais placé était d'une grandeur et d'une noblesse irrésistibles. Il en passa sans doute en ce moment quelque chose dans mon âme. Mes pensées voltigeaient avec une légèreté égale à celle de l'atmosphère ; les passions vulgaires, telles que la haine et l'amour profane, m'apparaissaient maintenant aussi éloignées que les nuées qui défilaient au fond des abîmes sous mes pieds ; mon âme me semblait aussi vaste et aussi pure que la coupole du ciel dont j'étais enveloppé ; le souvenir des choses terrestres n'arrivait à mon cœur qu'affaibli et diminué, comme le son de la clochette des bestiaux imperceptibles qui paissaient ****, bien ****, sur le versant d'une autre montagne. Sur le petit lac immobile, noir de son immense profondeur, passait quelquefois l'ombre d'un nuage, comme le reflet du manteau d'un géant aérien volant à travers le ciel. Et je me souviens que cette sensation solennelle et rare, causée par un grand mouvement parfaitement silencieux, me remplissait d'une joie mêlée de peur. Bref, je me sentais, grâce à l'enthousiasmante beauté dont j'étais environné, en parfaite paix avec moi-même et avec l'univers ; je crois même que, dans ma parfaite béatitude et dans mon total oubli de tout le mal terrestre, j'en étais venu à ne plus trouver si ridicules les journaux qui prétendent que l'homme est né bon ; - quand la matière incurable renouvelant ses exigences, je songeai à réparer la fatigue et à soulager l'appétit causés par une si longue ascension. Je tirai de ma poche un gros morceau de pain, une tasse de cuir et un flacon d'un certain élixir que les pharmaciens vendaient dans ce temps-là aux touristes pour le mêler dans l'occasion avec de l'eau de neige.

Je découpais tranquillement mon pain, quand un bruit très-léger me fit lever les yeux. Devant moi se tenait un petit être déguenillé, noir, ébouriffé, dont les yeux creux, farouches et comme suppliants, dévoraient le morceau de pain. Et je l'entendis soupirer, d'une voix basse et rauque, le mot : gâteau ! Je ne pus m'empêcher de rire en entendant l'appellation dont il voulait bien honorer mon pain presque blanc, et j'en coupai pour lui une belle tranche que je lui offris. Lentement il se rapprocha, ne quittant pas des yeux l'objet de sa convoitise ; puis, happant le morceau avec sa main, se recula vivement, comme s'il eût craint que mon offre ne fût pas sincère ou que je m'en repentisse déjà.

Mais au même instant il fut culbuté par un autre petit sauvage, sorti je ne sais d'où, et si parfaitement semblable au premier qu'on aurait pu le prendre pour son frère jumeau. Ensemble ils roulèrent sur le sol, se disputant la précieuse proie, aucun n'en voulant sans doute sacrifier la moitié pour son frère. Le premier, exaspéré, empoigna le second par les cheveux ; celui-ci lui saisit l'oreille avec les dents, et en cracha un petit morceau sanglant avec un superbe juron patois. Le légitime propriétaire du gâteau essaya d'enfoncer ses petites griffes dans les yeux de l'usurpateur ; à son tour celui-ci appliqua toutes ses forces à étrangler son adversaire d'une main, pendant que de l'autre il tâchait de glisser dans sa poche le prix du combat. Mais, ravivé par le désespoir, le vaincu se redressa et fit rouler le vainqueur par terre d'un coup de tête dans l'estomac. À quoi bon décrire une lutte hideuse qui dura en vérité plus longtemps que leurs forces enfantines ne semblaient le promettre ? Le gâteau voyageait de main en main et changeait de poche à chaque instant ; mais, hélas ! il changeait aussi de volume ; et lorsque enfin, exténués, haletants, sanglants, ils s'arrêtèrent par impossibilité de continuer, il n'y avait plus, à vrai dire, aucun sujet de bataille ; le morceau de pain avait disparu, et il était éparpillé en miettes semblables aux grains de sable auxquels il était mêlé.

Ce spectacle m'avait embrumé le paysage, et la joie calme où s'ébaudissait mon âme avant d'avoir vu ces petits hommes avait totalement disparu ; j'en restai triste assez longtemps, me répétant sans cesse : « Il y a donc un pays superbe où le pain s'appelle du gâteau, friandise si rare qu'elle suffit pour engendrer une guerre parfaitement fratricide ! »
Germain Nouveau  Jun 2017
Juif
Quelqu'un qui jamais ne se trompe,
M'appelle juif... Moi, juif ? Pourquoi ?
Je suis chrétien, sans que je rompe
Le pain bénit à son de trompe,
Bien qu'en mon trou... je reste coi.

Je sais juif, ah ! c'est bien possible !
Je n'ai le nez spirituel
Ni l'air résigné d'une cible ;
Je ne montre un cœur insensible.
Tout juif est-il en Israël ?

Mais si juif signifie avare
Économisant sur le suif,
Sur l'eau qui pourtant n'est pas rare
Sur une corde de guitare,
Je me fais honneur d'être juif.

Je prends pour moi seul cette injure,
Quoique je ne possède rien ;
Je me l'écris sur la figure
En trois mots, sans une rature ;
Voyez : je suis juif. Lisez bien.

Regardez-moi : ma barbe est sale
Comme en chaire un prédicateur
Qui vide une fosse nasale,
Et j'ai l'aspect froid d'une stalle,
Dans le temple où prêche un pasteur.

Moi, juif, je mens, je calomnie,
Comme un misérable chrétien,
Lorsqu'à tort il affirme ou nie,
Ou qu'il dispute, ô vilenie !
En parlant du mien et du tien ;

J'adore un veau d'or... dans ma bague,
Le veau qu'on débite en bijoux ;
Au seul mot d'argent, je divague,
Comme le catholique vague
Qui ne se passe de joujoux ;

Moi, fils de ceux qui portaient l'Arche,
Je ris, et je laisse périr,
Je perds la foi du patriarche,
Comme tout un peuple qui marche
Vers l'ombre où le corps doit pourrir.

Moi, juif, je doute de mon âme,
Moi, juif, je doute de l'Amour,
Je ne suis sûr que de ma femme,
(N'est-ce pas étrange, Madame ?)
Comme bien des... maris du jour.

Car elle se fout de la vogue
Qu'a tout argument inventé
Par notre science un peu rogne ;
Elle aime mieux la synagogue
Si fraîche, dès l'aube, en été.

Elle est blanche, elle a sur les tempes
Une perruque où rit sa fleur ;
Faite à souhait pour les estampes ;
Quand elle adore sous les lampes
Dans ses voiles d'une couleur ;

Elle se consume en prières,
Conservant, sans en rien verser,
L'eau de ses croyances entières,
Car... une douzaine de pierres
Ça suffit pour recommencer.

Jérusalem les garde encore,
Salomon les reçut du Ciel
Qu'avec des larmes elle implore ;
Comme une juive que j'adore,
L'épouse de Nathaniel.

Ce qu'on admire fort sur elle,
C'est l'honneur de faire de l'art
Par une pente naturelle,
Pas pour vendre son aquarelle,
Ni pour manger un peu de lard.

J'ai pu contempler sa peinture,
Dans une salle au Luxembourg :
C'est très bien peint d'après nature ;
C'est avec l'eau, sous la toiture,
Ça me semble, un coin de faubourg.

Sur la cimaise elle est sous verre,
Je puis donc y mettre un baiser
**** des yeux du gardien sévère ;
Bref, l'art charmant qu'elle sait faire,
C'est, comme il sied, pour s'amuser.

Cela ne fait l'ombre d'un doute
Pour tous, dans la société ;
Oui, ma belle Mignonne, écoute,
Elle pourrait épater toute
La pâle catholicité.

Tiens ! En veux-tu rien qu'un exemple ?
Que le sultan soit décavé,
Et trouve sa poche bien ample :
« Vends-les-nous, ces pierres du Temple »,
Et Notre-Seigneur a rêvé !

Je suis juif ! ah ! ce nom m'inonde
De sa plus sainte émotion !
Souffre que pour eux je réponde :
La plus noble race du monde,
Ce sont les juifs de nation.

Eux, au moins, ont du caractère ;
Ils sont, oui, par les traits de feu
Du Décalogue salutaire,
Le plus grand peuple de la Terre !
N'est-ce pas vrai, ça, nom de Dieu !

Sotte habitude, oui, sur mon âme,
Bonne au plus pour les ateliers ;
Excusez moi, si je m'en blâme.
Et si vous m'entendez, Madame,
Que je me prosterne à vos pieds.

— The End —