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Aux étoiles j'ai dit un soir :
« Vous ne paraissez pas heureuses ;
Vos lueurs, dans l'infini noir,
Ont des tendresses douloureuses ;

« Et je crois voir au firmament
Un deuil blanc mené par des vierges
Qui portent d'innombrables cierges
Et se suivent languissamment.

« Êtes-vous toujours en prière ?
Êtes-vous des astres blessés ?
Car ce sont des pleurs de lumière,
Non des rayons, que vous versez.

« Vous, les étoiles, les aïeules
Des créatures et des dieux,
Vous avez des pleurs dans les yeux... »
Elles m'ont dit : « Nous sommes seules...

« Chacune de nous est très ****
Des sœurs dont tu la crois voisine ;
Sa clarté caressante et fine
Dans sa patrie est sans témoin ;

« Et l'intime ardeur de ses flammes
Expire aux cieux indifférents. »
Je leur ai dit : « Je vous comprends !
Car vous ressemblez à des âmes :

« Ainsi que vous, chacune luit
**** des sœurs qui semblent près d'elle,
Et la solitaire immortelle
Brûle en silence dans la nuit. »
Sonnet.


Deux êtres asservis par le désir vainqueur
Le sont jusqu'à la mort : la volupté les lie.
Parfois, lasse un moment, la geôlière s'oublie,
Et leur chaîne les serre avec moins de rigueur.

Aussitôt, se dressant tout chargés de langueur,
Ces pâles malheureux sentent leur infamie ;
Chacun secoue alors cette chaîne ennemie,
Pour la briser lui-même ou s'arracher le cœur.

Ils vont rompre l'acier du nœud qui les torture,
Mais elle, au bruit d'anneaux qu'éveille la rupture,
Entr'ouvre ses longs yeux où nage un deuil puissant,

Elle a fait de ses bras leur tombe ardente et molle :
En silence attiré, le couple y redescend,
Et l'éphémère essaim des repentirs s'envole...
Sonnet.


Atlas porte le monde, et, les poings sur les reins,
Suant, le front plissé, le sang à la narine ;
Il pleure, et dans le creux de sa grande poitrine
Appuie en gémissant sa barbe aux rudes crins.

« Debout ! forgez des socs, des leviers et des freins !
Crie Atlas aux mortels que le travail chagrine ;
Les bêtes, les forêts, les champs et l'eau marine,
Subjugués, vous feront rivaux des dieux sereins ;

« C'est moi qu'ils ont chargé de la plus lourde tâche.
Aurez-vous à ce point l'âme inféconde et lâche
De rester fainéants quand je peine pour vous ?

« Dressez une montagne ou quelque énorme ville,
Pour égaler les dieux et rendre moins stérile
Le labeur éternel de mes fermes genoux. »
À la barrière de l'étoile,
Un saltimbanque malfaisant
Dressait dans sa baraque en toile
Un chien de six mois fort plaisant.

Ce caniche, qui faisait rire
Le public au seuil rassemblé,
Était en conscrit de l'empire
Misérablement affublé.

Coiffé d'un bonnet de police,
Il restait là, fusil au flanc,
Debout, les jambes au supplice
Dans un piteux pantalon blanc ;

Le dos sous sa guenille bleue,
Il tentait un regard vainqueur,
Mais l'anxiété de sa queue
Trahissait l'état de son cœur.

Quand, las de sa fausse posture,
Le pauvre petit chien savant
Retombait, selon la nature,
Sur ses deux pattes de devant,

Il recevait une âpre insulte
Avec un lâche coup de fouet.
Mais, digne sous son poil inculte,
Sans crier il se secouait ;

Tandis qu'il étreignait son arme
Sous les horions sans broncher,
S'il se sentait poindre une larme,
Il s'efforçait de la lécher.

Ce qu'on trouvait surtout risible,
Et ce que j'admirais beaucoup,
C'est qu'il avait l'air plus sensible
Au reproche qu'au mauvais coup.

Son maître, pour sa part de lucre,
Lui posait sur le bout du nez
De vacillants morceaux de sucre,
Plus souvent promis que donnés.

Touché de voir dans ce novice
Tant de vrai zèle à si bas prix,
Quand, à la fin de son service,
Il rompit les rangs, je le pris.

Or, comme je tenais la bête
Par les oreilles, des deux mains,
L'élevant à hauteur de tête
Pour lire en ses yeux presque humains,

L'expression m'en parut double,
J'y sentais deux soucis jumeaux,
Comme dans l'histrion que trouble
L'obsession de ses vrais maux.

Un génie excédant sa taille
Me semblait étouffer en lui,
Et, du vieil habit de bataille,
Forcer le dérisoire étui.

Et j'eus l'illusion fantasque
Que, par les yeux de ce roquet,
Comme à travers les trous d'un masque,
Un regard d'homme m'invoquait...

Cet étrange regard fut cause,
J'en fais aux esprits forts l'aveu,
Qu'ami de la métempsycose,
En ce moment j'y crus un peu.

Mais bientôt, raillant le prodige :
« Ce bonnet, ce frac suranné,
Serait-ce, pauvre chien, lui dis-je,
Une géhenne de damné ? »

Lors j'ouïs une voix pareille
À quelque soupir m'effleurant,
Qui semblait me dire à l'oreille :
« Oui, plains-moi, j'étais conquérant. »
Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
À des neiges d'avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un lent navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix,
Il serpente, et laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d'une tardive et languissante allure ;
La grotte où le poète écoute ce qu'il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule ;
Tantôt il pousse au large, et, **** du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l'azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.
Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus,
À l'heure où toute forme est un spectre confus,
Où l'horizon brunit, rayé d'un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit
Et que la luciole au clair de lune luit,
L'oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète
La splendeur d'une nuit lactée et violette,
Comme un vase d'argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.
Quand l'être cher vient d'expirer,
On sent obscurément la perte,
On ne peut pas encor pleurer :
La mort présente déconcerte ;

Et ni le lugubre drap noir,
Ni le Dies irae farouche,
Ne donnent forme au désespoir :
La stupeur clôt l'âme et la bouche.

Incrédule à son propre deuil,
On regarde au fond de la tombe,
Sans rien comprendre à ce cercueil
Sonnant sous la terre qui tombe.

C'est aux premiers regards portés,
En famille, autour de la table,
Sur les sièges plus écartés,
Que se fait l'adieu véritable.
Sonnet.


La blanche Vérité dort au fond d'un grand puits.
Plus d'un fuit cet abîme ou n'y prend jamais garde ;
Moi, par un sombre amour, tout seul je m'y hasarde,
J'y descends à travers la plus noire des nuits.

Et j'entraîne le câble aussi **** que je puis.
Or, je l'ai déroulé jusqu'au bout : je regarde,
Et, les bras étendus, la prunelle hagarde,
J'oscille sans rien voir ni rencontrer d'appuis.

Elle est là cependant, je l'entends qui respire ;
Mais, pendule éternel que sa puissance attire,
Je passe et je repasse et tâte l'ombre en vain.

Ne pourrai-je allonger cette corde flottante,
Ni remonter au jour dont la gaîté me tente ?
Et dois-je dans l'horreur me balancer sans fin ?
Sonnet.


Nous avons oublié combien la terre est dure :
Au pas lent de nos bœufs le fer tranchant du soc
L'entame en retournant le chaume et la verdure,
La divise, et soulève un gros et large bloc.

Ce labeur dont les mains saignaient, le fer l'endure.
Plus souple que l'ormeau, plus ferme que le roc,
Il tient sans trahison tant que sa tâche dure.
Patient sous l'effort, inaltérable au choc.

Ô vous tous, bienfaiteurs par amour ou génie,
De tous les temps, de race ou maudite ou bénie,
Sans choix je vous salue, et, si j'osais trier,

J'admirerais surtout les nouveaux qu'on renomme,
Mais je proclamerais premier sauveur de l'homme
Tubalcaïn, l'enfant du premier meurtrier !
Sonnet.


Quand, pourpre de plaisir, Mars en tes bras faiblit,
Ô Vénus, et, laissant retomber son grand buste,
Livre au coussin sa tête olympienne et fruste,
Il s'endort, brute et dieu, ton égal en ton lit.

Mais, ni brute ni Dieu, l'homme y veille et pâlit.
À cet amant jamais ta couche ne s'ajuste :
Son front et le chevet, comme au lit de Procuste,
Y sont en éternel et meurtrier conflit.

Vénus, ne descends plus, si tu ne nous attires
Que pour faire de nous tes profanes satyres
Ou tes vains soupirants, mais tes époux non pas,

Si la compagne en toi, pour nos rêves placée
Ou déesse trop haut ou femelle trop bas,
Nous fuit, jamais atteinte ou toujours dépassée.
Le meilleur moment des amours
N'est pas quand on a dit : « Je t'aime. »
Il est dans le silence même
À demi rompu tous les jours ;

Il est dans les intelligences
Promptes et furtives des cœurs ;
Il est dans les feintes rigueurs
Et les secrètes indulgences ;

Il est dans le frisson du bras
Où se pose la main qui tremble,
Dans la page qu'on tourne ensemble
Et que pourtant on ne lit pas.

Heure unique où la bouche close
Par sa pudeur seule en dit tant ;
Où le cœur s'ouvre en éclatant
Tout bas, comme un bouton de rose ;

Où le parfum seul des cheveux
Parait une faveur conquise !
Heure de la tendresse exquise
Où les respects sont des aveux.
Dans un missel datant du roi François premier,
Dont la rouille des ans a jauni le papier
Et dont les doigts dévots ont usé l'armoirie,
Livre mignon, vêtu d'argent sur parchemin,
L'un de ces fins travaux d'ancienne orfèvrerie
Où se sentent l'audace et la peur de la main,
J'ai trouvé cette fleur flétrie.

On voit qu'elle est très vieille au vélin traversé
Par sa profonde empreinte où la sève a percé.
Il se pourrait qu'elle eût trois cents ans ; mais n'importe,
Elle n'a rien perdu qu'un peu de vermillon,
Fard qu'elle eût vu tomber même avant d'être morte,
Qui ne brille qu'un jour, et que le papillon,
En passant, d'un coup d'aile emporte ;

Elle n'a pas perdu de son cœur un pistil,
Ni du frêle tissu de sa corolle un fil ;
La page ondule encore où sécha la rosée
De son dernier matin, mêlée à d'autres pleurs ;
La mort en la cueillant l'a seulement baisée,
Et, soigneuse, n'a fait qu'éteindre ses couleurs,
Mais ne l'a pas décomposée.

Une mélancolique et subtile senteur,
Pareille au souvenir qui monte avec lenteur,
L'arome du secret dans les cassettes closes,
Révèle l'âge ancien de ce mystique herbier ;
Il semble que les jours se parfument des choses,
Et qu'un passé d'amour ait l'odeur d'un sentier
Où le vent balaya des roses.

Et peut-être, dans l'air sombre et léger du soir,
Un cœur, comme une flamme, autour du vieux fermoir,
S'efforce, en palpitant, de se frayer passage ;
Et chaque soir peut-être il attend l'angelus,
Dans l'espoir qu'une main viendra tourner la page
Et qu'il pourra savoir si rien ne reste plus
De la fleur qui fut son hommage.

Eh bien ! Rassure-toi, chevalier qui partais
Pour combattre à Pavie et ne revins jamais ;
Ou page qui, tout bas, aimant comme on adore,
Fis un aveu d'amour d'un Ave Maria :
Cette fleur qui mourut sous des yeux que j'ignore,
Depuis les trois cents ans qu'elle repose là,
Où tu l'as mise elle est encore.
Sonnet.


Entouré de flacons, d'étranges serpentins,
De fourneaux, de matras aux encolures torses,
Le chimiste, sondant les caprices des forces,
Leur impose avec art des rendez-vous certains.

Il règle leurs amours jusque-là clandestins,
Devine et fait agir leurs secrètes amorces,
Les unit, les provoque à de brusques divorces,
Et guide utilement-leurs aveugles destins.

Apprends-moi donc à lire au fond de tes cornues,
Ô sage qui sais voir les forces toutes nues,
L'intérieur du monde au delà des couleurs ;

De grâce, introduis-moi dans cet obscur empire :
C'est aux réalités sans voile que j'aspire ;
Trop belle, l'apparence est féconde en douleurs.
À R. Albaret.


Newton, voyant tomber la pomme,
Conçut la matière et ses lois :
Oh ! surgira-t-il une fois
Un Newton pour l'âme de l'homme ?

Comme il est dans l'infini bleu
Un centre où les poids se suspendent,
Ainsi toutes les âmes tendent
À leur centre unique, à leur Dieu.

Et comme les sphères de flammes
Tournent en s'appelant toujours,
Ainsi d'harmonieux amours
Font graviter toutes les âmes.

Mais le baiser n'est pas permis
Aux sphères à jamais lancées ;
Les lèvres, les regards amis
Joignent les âmes fiancées !

Qui sondera cet univers
Et l'attrait puissant qui le mène ?
Viens, ô Newton de l'âme humaine,
Et tous les cieux seront ouverts !
Chacun donne à celle qu'il aime
Les plus beaux noms et les plus doux ;
Pour moi, c'est ton nom de baptême
Que je préfère encore à tous.

Simple et tendre à dire, il me semble
Pour te désigner le seul bon,
Et toutes les douceurs ensemble,
Je te les murmure en ce nom.

La mélodie en est divine ;
Tu sais le contre-coup soudain
Qu'on sent au creux de la poitrine
Quand la main rencontre la main ;

Hé bien ! Je sens, quand il résonne
Au milieu d'un monde étranger,
Comme au toucher de ta personne,
Cet étouffement passager.

Toute autre femme qui le signe
L'usurpe à mes yeux, et pourtant,
Si peu qu'elle m'en semble digne,
Elle m'attire en le portant ;

Pour moi ton image s'y lie
Et prête son reflet trompeur
À ton homonyme embellie ;
Je crois l'aimer, mais sois sans peur :

Je ne pourrais t'être infidèle
Avec des femmes de ce nom,
Car ta grâce en mon cœur s'y mêle,
Grâce inséparable d'un son ;

Et quel autre nom de maîtresse
Effacerait ce mot vivant
Dont la musique enchanteresse
Me fait redevenir enfant ?

Comme les passereaux accourent
À l'appel câlin du charmeur,
À ce nom bien-aimé m'entourent
Mes premiers rêves de bonheur ;

Et dans l'âge où l'amour se sèvre,
En deuil des printemps révolus,
J'aurai sa caresse à la lèvre
Quand les baisers n'y seront plus.
Sonnet.


Qu'est-ce tranchant de fer souple, affilé, pointu ?
Ce ne sont pas les flancs de la terre qu'il fouille,
Ni les pierres qu'il fend, ni les bois qu'il dépouille.
Quel art a-t-il servi, quel fléau combattu ?

Est-ce un outil ? Non pas ! car l'homme de vertu
L'abhorre : ce n'est pas la sueur qui le mouille,
Et ce qu'on aime en lui, c'est la plus longue rouille.
« Lame aux éclairs d'azur et de pourpre, qu'es-tu ?

- Je suis l'épée, outil des faiseurs d'ossuaires,
Et, comme l'ébauchoir aux mains des statuaires,
Je cours au poing des rois, taillant l'homme à leur gré.

« Or, je dois tous les ans couper la fleur des races,
Jusqu'à l'heure où la chair se fera des cuirasses,
Plus fortes que le fer, avec le droit sacré. »
Le poète naïf, qui pense avant d'écrire,
S'étonne, en ce temps-ci, des choses qui font rire.
Au théâtre parfois il se tourne, et, voyant
La gaîté des badauds qui va se déployant,

Pour un plat calembour, des loges au parterre,
Il se sent tout à coup tellement solitaire
Parmi ces gros rieurs au ventre épanoui,
Que, le front lourd et l'œil tristement ébloui,

Il s'esquive, s'il peut, sans attendre la toile.
Enfin libre il respire, et, d'étoile en étoile,
Dans l'azur sombre et vaste il laisse errer ses yeux.
Ah ! Quand on sort de là, comme la nuit plaît mieux !

Qu'il fait bon regarder la Seine lente et noire
En silence rouler sous les vieux ponts sa moire,
Et les reflets tremblants des feux traîner sur l'eau
Comme les pleurs d'argent sur le drap d'un tombeau !

Ce deuil fait oublier ces rires qu'on abhorre.
Hélas ! Où donc la joie est-elle saine encore ?
Quel vice a donc en nous gâté le sang gaulois ?
Quand rirons-nous le rire honnête d'autrefois ?

Ce ne sont aujourd'hui qu'absurdes bacchanales ;
Farces au masque impur sur des planches banales ;
Vil patois qui se fraye impudemment accès
Parmi le peuple illustre et cher des mots français ;

Couplets dont les refrains changent la bouche en gueule ;
Romans hideux, miroir de l'abjection seule,
Commérage où le fiel assaisonne des riens :
Feuilletons à voleurs, drames à galériens,

Funestes aux cœurs droits qui battent sous les blouses ;
Vaudevilles qui font, corrupteurs des épouses,
Un ridicule impie à l'affront des maris ;
Spectacles où la chair des femmes, mise à prix,

Comme aux crocs de l'étal exhibée en guirlande,
Allèche savamment la luxure gourmande ;
Parades à décors dont les fables sans art
N'esquivent le sifflet qu'en soûlant le regard ;

Coups d'archets polissons sur la lyre d'Homère,
Et tous les jeux maudits d'un amour éphémère
Qui va se dégradant du caprice au métier :
Voilà ce qui ravit un peuple tout entier !

Bêtise, éternel veau d'or des multitudes,
Toi dont le culte aisé les plie aux servitudes
Et complice du joug les y soumet sans bruit,
Monstre cher à la force et par la ruse instruit

À bafouer la libre et sévère pensée,
Règne ! Mais à ton tour, brute, qu'à la risée,
Au comique mépris tu serves de jouet !
Que sur toi le bon sens fasse claquer son fouet,

Qu'il se lève, implacable à son tour, et qu'il rie,
Et qu'il raille à son tour l'inepte raillerie,
Et qu'il fasse au soleil luire en leur nudité
Ta grotesque laideur et ta stupidité !

Molière, dresse-toi ! Debout, Aristophane !
Allons ! Faites entendre au vulgaire profane
L'hymne de l'idéal au fond du rire amer,
Du grand rire où, pareil au cliquetis du fer,

Sonne le choc rapide et franc des pensers justes,
Du beau rire qui sied aux poitrines robustes,
Vengeur de la sagesse, héroïque moqueur,
Où vibre la jeunesse immortelle du cœur !
Elle est fragile à caresser,
L'épousée au front diaphane,
Lis pur qu'un rien ternit et fane,
Lis tendre qu'un rien peut froisser,
Que nul homme ne peut presser,
Sans remords sur son cœur profane.

La main digne de l'approcher
N'est pas la main rude qui brise
L'innocence qu'elle a surprise
Et se fait jeu d'effaroucher,
Mais la main qui semble toucher
Au blanc voile comme une brise ;

La lèvre qui la doit baiser
N'est pas la lèvre véhémente,
Effroi d'une novice amante
Qui veut le respect pour oser,
Mais celle qui se vient poser
Comme une ombre d'abeille errante ;

Et les bras faits pour l'embrasser
Ne sont pas les bras dont l'étreinte
Laisse une impérieuse empreinte
Au corps qu'ils aiment à lasser,
Mais ceux qui savent l'enlacer
Comme une onde où l'on dort sans crainte.

L'***** doit la discipliner
Sans lire sur son front un blâme,
Et les prémices qu'il réclame
Les faire à son cœur deviner :
Elle est fleur, il doit l'incliner,
La chérir sans lui troubler l'âme.
En ce temps-là, je me rappelle
Que je ne pouvais concevoir
Pourquoi, se pouvant faire belle,
Ma mère était toujours en noir.

Quand s'ouvrait le bahut plein d'ombre,
J'éprouvais un vague souci
De voir près d'une robe sombre
Pendre un long voile sombre aussi.

Le linge, radieux naguère,
D'un feston noir était ourlé :
Tout ce qu'alors portait ma mère,
Sa tristesse l'avait scellé.

Sourdement et sans qu'on y pense,
Le noir descend des yeux au cœur ;
Il me révélait quelque absence
D'une interminable longueur.

Quand je courais sur les pelouses
Où les enfants mêlaient leurs jeux,
J'admirais leurs joyeuses blouses,
Dont j'enviais les carreaux bleus ;

Car déjà la douleur sacrée
M'avait posé son crêpe noir,
Déjà je portais sa livrée :
J'étais en deuil sans le savoir.
Sonnet.


Il est **** ; l'astronome aux veilles obstinées,
Sur sa tour, dans le ciel où meurt le dernier bruit,
Cherche des îles d'or, et, le front dans la nuit,
Regarde à l'infini blanchir des matinées ;

Les mondes fuient pareils à des graines vannées ;
L'épais fourmillement des nébuleuses luit ;
Mais, attentif à l'astre échevelé qu'il suit,
Il le somme, et lui dit : « Reviens dans mille années. »

Et l'astre reviendra. D'un pas ni d'un instant
Il ne saurait frauder la science éternelle ;
Des hommes passeront, l'humanité l'attend ;

D'un œil changeant, mais sûr, elle fait sentinelle ;
Et, fût-elle abolie au temps de son retour,
Seule, la Vérité veillerait sur la tour.
Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange !),
Je voudrais avant toi m'éveiller le matin
Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange,
Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.

J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine,
Et, patient, rempli d'un silence joyeux,
J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,
Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.

Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre
Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur,
Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière,
Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton cœur.

Oh ! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime,
Celui qui poserait, au lever du soleil,
Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même,
Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil !
Les bêtes, qui n'ont point de sublimes soucis,
Marchent, dès leur naissance, en fronçant les sourcils,
Et ce rigide pli, jusqu'à la dernière heure,
Signe mystérieux de sagesse y demeure.
Les énormes lions qui rôdent à grands pas,
Libres et tout-puissants, ne se dérident pas ;
Les aigles, fils de l'air et de l'azur, sont graves ;
Et les hommes, qui vont saignant de mille entraves,
Enchaînés au plaisir, enchaînés au devoir,
Sous la loi de chercher et ne jamais savoir,
De ne rien posséder sans acheter et vendre,
De ne pouvoir se fuir ni ne pouvoir s'entendre,
D'appréhender la mort et de gratter leur champ,
Les hommes ont un rire imbécile et méchant !

Certes le rire est beau comme la joie est belle,
Quand il est innocent et radieux comme elle !
Vous, les petits enfants, pleins de naïf désir,
Qui des mains écartez vos langes pour saisir
Les brillantes couleurs, ces mensonges des choses,
Vous pouvez, au-devant des drapeaux et des roses,
Vous pour qui tout cela n'est que du rouge encor,
Pousser vos rires frais qui font un bruit d'essor !
Vous pouviez rire aussi, même en un siècle pire,
Vous, nos rudes aïeux qui ne saviez pas lire,
Et ne pouviez connaître, au bout de l'univers,
Tous les forfaits commis et tous les maux soufferts :
Quand avait fui la peste avec les hommes d'armes,
C'était pour vous la fin de l'horreur et des larmes,
Et peut-être, oublieux de ces fléaux lointains,
Vous aviez des soirs gais et d'allègres matins.
Mais nous, du monde entier la plainte nous harcèle :
Nous souffrons chaque jour la peine universelle,
Car sur toute la terre un messager subtil
Relie à tous les maux tous les cœurs par un fil.
Ah ! L'oubli maintenant ne nous est plus possible !
Se peut-on faire une âme à ce point insensible
D'apprendre, sans frémir, de partout à la fois,
Tous les coups du malheur et tous les viols des lois :

Les maîtres plus hardis, les âmes plus serviles,
L'atrocité sans nom des tourmentes civiles,
Et les pactes sans foi, la guerre, les blessés
Râlant cette nuit même au revers des fossés,
L'honneur, le droit trahis par la volonté molle,
Et Christ, épouvanté des fruits de sa parole,
Un diadème en tête et le glaive à la main,
Ne sachant plus s'il sauve ou perd le genre humain !
N'est-ce pas merveilleux qu'on puisse rire encore !
Mais nous sommes ainsi ; tel un vase sonore
Au moindre choc du doigt se réveille et frémit,
Tandis qu'il tremble à peine et vaguement gémit
Du tonnerre éloigné qui roule dans la nue,
Telle, au moindre soupir dont l'oreille est émue,
Nous sentons la pitié dans nos cœurs tressaillir,
Et pour les cris lointains lâchement défaillir ;
Trop pauvres pour donner des pleurs à tous les hommes,
Nous ne plaignons que ceux qui souffrent où nous sommes.
Quand nos foyers sont doux et sûrs, nous oublions
Malgré nous, près du feu, les grelottants haillons,
Et le bruit des canons, le fauve éclair des lames,
Dans les yeux des enfants et dans la voix des femmes ;
Ou, nous-mêmes sujets au sort des malheureux,
Nous tournons nos regards sur nous plus que sur eux.
Ah ! Si nos cœurs bornés que distrait ou resserre
Leur félicité même ou leur propre misère,
À tant de maux si grands ne se peuvent ouvrir,
Qu'ils aient honte du moins de n'en pas plus souffrir !
Sonnet.


Grand ciel, tu m'es témoin que j'étais tout enfant
Quand par témérité j'ai demandé des ailes ;
Convoitant de si bas les voûtes éternelles,
Mes vœux n'altéraient pas ton calme triomphant.

Je me sentais mourir dans un air étouffant,
Ciel pur ! et j'aspirais à des saisons nouvelles ;
Et c'est ta faute aussi, puisque tu nous appelles
Par ton sublime azur, par l'oiseau qui le fend !

Maintenant qu'épuisé, vaincu, je te proclame
Trop vaste pour tenir tout entier dans mon âme,
Pourquoi te venges-tu d'impuissantes amours ?

Et quel jaloux archange aux gaîtés malfaisantes
M'a planté dans le dos ses deux ailes géantes
Qui palpitent sans cesse en m'accablant toujours ?
Sonnet.


Nos yeux se sont croisés et nous nous sommes plu.
Née au siècle où je vis et passant où je passe,
Dans le double infini du temps et de l'espace
Tu ne me cherchais point, tu ne m'as point élu ;

Moi, pour te joindre ici le jour qu'il a fallu,
Dans le monde éternel je n'avais point ta trace,
J'ignorais ta naissance et le lieu de ta race :
Le sort a donc tout fait, nous n'avons rien voulu.

Les terrestres amours ne sont qu'une aventure :
Ton époux à venir et ma femme future
Soupirent vainement, et nous pleurons **** d'eux :

C'est lui que tu pressens en moi, qui lui ressemble,
Ce qui m'attire en toi, c'est elle, et tous les deux
Nous croyons nous aimer en les cherchant ensemble.
Sonnet.


Le soldat frappé tombe en poussant de grands cris ;
On l'emporte ; le baume assainit la blessure,
Elle se ferme un jour ; il marche, il se rassure,
Et, par un beau soleil, il croit ses maux guéris.

Mais, au premier retour d'un ciel humide et gris,
De l'ancienne douleur il ressent la morsure ;
Alors la guérison ne lui paraît pas sûre,
Le souvenir du fer gît dans ses flancs meurtris.

Ainsi, selon le temps qu'il fait dans ma pensée,
À la place où mon âme autrefois fut blessée
Il est un renouveau d'angoisses que je crains ;

Une larme, un chant triste, un seul mot dans un livre,
Nuage au ciel limpide où je me plais à vivre,
Me fait sentir au cœur la dent des vieux chagrins.
Les caresses ne sont que d'inquiets transports,
Infructueux essais du pauvre amour qui tente
L'impossible union des âmes par les corps.
Vous êtes séparés et seuls comme les morts,
Misérables vivants que le baiser tourmente !

Ô femme, vainement tu serres dans tes bras
Tes enfants, vrais lambeaux de ta plus pure essence :
Ils ne sont plus toi-même, ils sont eux, les ingrats !
Et jamais, plus jamais, tu ne les reprendras,
Tu leur as dit adieu le jour de leur naissance.

Et tu pleures ta mère, ô fils, en l'embrassant ;
Regrettant que ta vie aujourd'hui t'appartienne,
Tu fais pour la lui rendre un effort impuissant :
Va ! Ta chair ne peut plus redevenir son sang,
Sa force ta santé, ni sa vertu la tienne.

Amis, pour vous aussi l'embrassement est vain,
Vains les regards profonds, vaines les mains pressées :
Jusqu'à l'âme on ne peut s'ouvrir un droit chemin ;
On ne peut mettre, hélas ! Tout le cœur dans la main,
Ni dans le fond des yeux l'infini des pensées.

Et vous, plus malheureux en vos tendres langueurs
Par de plus grands désirs et des formes plus belles,
Amants que le baiser force à crier : « Je meurs ! »
Vos bras sont las avant d'avoir mêlé vos cœurs,
Et vos lèvres n'ont pu que se brûler entre elles.

Les caresses ne sont que d'inquiets transports,
Infructueux essais d'un pauvre amour qui tente
L'impossible union des âmes par les corps.
Vous êtes séparés et seuls comme les morts,
Misérables vivants que le baiser tourmente.
J'ai voulu tout aimer, et je suis malheureux,
Car j'ai de mes tourments multiplié les causes ;
D'innombrables liens frêles et douloureux
Dans l'univers entier vont de mon âme aux choses.

Tout m'attire à la fois et d'un attrait pareil :
Le vrai par ses lueurs, l'inconnu par ses voiles ;
Un trait d'or frémissant joint mon cœur au soleil,
Et de longs fils soyeux l'unissent aux étoiles.

La cadence m'enchaîne à l'air mélodieux,
La douceur du velours aux roses que je touche ;
D'un sourire j'ai fait la chaîne de mes yeux,
Et j'ai fait d'un baiser la chaîne de ma bouche.

Ma vie est suspendue à ces fragiles nœuds,
Et je suis le captif des mille êtres que j'aime :
Au moindre ébranlement qu'un souffle cause en eux
Je sens un peu de moi s'arracher de moi-même.
Sonnet.


Toutes, portant l'amphore, une main sur la hanche,
Théano, Callidie, Amymone, Agavé,
Esclaves d'un labeur sans cesse inachevé,
Courent du puits à l'urne où l'eau vaine s'épanche.

Hélas ! le grès rugueux meurtrit l'épaule blanche,
Et le bras faible est las du fardeau soulevé :
« Monstre, que nous avons nuit et jour abreuvé,
Ô gouffre, que nous veut ta soif que rien n'étanche ? »

Elles tombent, le vide épouvante leurs cœurs ;
Mais la plus jeune alors, moins triste que ses sœurs,
Chante, et leur rend la force et la persévérance.

Tels sont l'œuvre et le sort de nos illusions :
Elles tombent toujours, et la jeune Espérance
Leur dit toujours : « Mes sœurs, si nous recommencions ! »
Sonnet.


D'un seul mot, pénétrant comme un acier pointu,
Vous nous exaspérez pour nous dompter d'un signe,
Sachant que notre cœur s'emporte et se résigne,
Rebelle subjugué sitôt qu'il a battu.

Triomphez pleinement, ô femmes sans vertu,
De notre souple hommage à votre empire indigne !
Quand vous nous faites choir hors de la droite ligne,
Tombés autant que vous, nous avons plus perdu :

Que dans vos corps divins le remords veille ou dorme,
Il laisse intacte en vous la gloire de la forme,
Car, fût-elle sans âme, Aphrodite a son prix !

Vos yeux, beaux sans l'honneur, peuvent régner encore,
Mais le regard d'un homme, au souffle du mépris,
Perd toute la fierté qui l'arme et le décore.
Sonnet.


Le voyageur, debout sur la plus haute cime,
À travers le rideau d'une rose vapeur,
Mesure avec la sonde immense de la peur
Sous ses genoux tremblants la fuite de l'abîme.

De ce besoin de voir téméraire victime,
Du haut de la raison je sonde avec stupeur
Le dessous infini de ce monde trompeur,
Et je traîne avec moi partout mon gouffre intime.

L'abîme est différent, mais pareil notre émoi :
Le grand vide, attirant le voyageur, l'étonne ;
Sollicité par Dieu, j'ai des éclairs d'effroi !

Mais lui, par son vertige il ne surprend personne :
On trouve naturel qu'il pâlisse et frissonne ;
Et moi, j'ai l'air d'un fou ; je ne sais pas pourquoi.
Sonnet.


Le dieu du laboureur est comme un très vieux roi
De chair et d'os, seigneur du champ qu'il ensemence ;
Le dieu de son curé règne aussi, mais immense,
Trois fois unique, esprit, fils et père de soi ;

Le déiste contemple un pur je ne sais quoi
Lointain, par qui le monde, en s'ordonnant, commence ;
Et le savant qui rit de leur sainte démence
Nomme son dieu Nature et n'en fait qu'une loi ;

Kant ne sait même plus si quelque chose existe,
Et Fichte, usurpateur du temple vide et triste,
Se divinise afin qu'un dieu reste debout.

Ainsi roulent toujours, du néant aux idoles,
Du blasphème aux credo, les multitudes folles !
Dieu n'est pas rien, mais Dieu n'est personne : il est Tout.
Sonnet.


Toi que tes grands aïeux, du fond de leur sommeil,
Accablent sous le poids d'une illustre mémoire,
Tu n'auras pas senti ton nom dans la nuit noire
Éclore, et comme une aube y faire un point vermeil !

Je te plains, car peut-être à tes aïeux pareil,
Tu les vaux, mais le monde ébloui n'y peut croire :
Ton mérite rayonne indistinct dans leur gloire,
Satellite abîmé dans l'éclat d'un soleil.

Ah ! L'enfant dont la souche est dans l'ombre perdue,
Peut du moins arracher au séculaire oubli
Le nom qu'il y ramasse encore enseveli ;

Dans la durée immense et l'immense étendue
Son étoile, qui perce où d'autres ont pâli,
Peut luire par soi-même et n'est point confondue !
On dit que les désirs des mères
Pendant qu'elles portent l'enfant,
Fussent-ils d'étranges chimères,
Le marquent d'un signe vivant ;

Que ce stigmate est une image
De l'objet qu'elles ont rêvé,
Qu'il croît et s'incruste avec l'âge,
Qu'il ne peut pas être lavé !

Et le vœu, bizarre ou sublime,
Formé dès avant le berceau,
Comme dans la chair il s'imprime,
Peut marquer l'âme de son sceau.

Quel fut donc ton cruel caprice,
Le jour où tu conçus mon cœur,
Ô toi, pourtant ma bienfaitrice,
Toi qui m'as légué ta douleur ?

Quand tu m'aimais sans me connaître,
Pâle et déjà ma mère un peu,
Un nuage voguait peut-être
Comme une île blanche au ciel bleu ;

Et n'as-tu pas dit : « Qu'on m'y mène !
C'est là que je veux demeurer ! »
L'oasis était surhumaine,
Et l'infini t'a fait pleurer.

Tu crias : « Des ailes, des ailes ! »
Te soulevant pour défaillir...
Et ces heures-là furent celles
Où tu m'as senti tressaillir.

De là vient que toute ma vie,
Halluciné, faible, incertain,
Je traîne l'incurable envie
De quelque paradis lointain...
Sonnet.


Je t'aime, en attendant mon éternelle épouse,
Celle qui doit venir à ma rencontre un jour,
Dans l'immuable éden, **** de l'ingrat séjour
Où les prés n'ont de fleurs qu'à peine un mois sur douze.

Je verrai devant moi, sur l'immense pelouse
Où se cherchent les morts pour l'***** sans retour,
Tes sœurs de tous les temps défiler tour à tour,
Et je te trahirai sans te rendre jalouse ;

Car toi-même, élisant ton époux éternel,
Tu m'abandonneras dès son premier appel,
Quand passera son ombre avec la foule humaine ;

Et nous nous oublierons, comme les passagers
Que le même navire à leurs foyers ramène,
Ne s'y souviennent plus de leurs liens légers.
Dans les serres silencieuses
Où l'hiver invite à s'asseoir,
Sous un jour blême comme un soir
Fument les plantes précieuses.

L'une, raide, élançant tout droit
Sa tige aux longues feuilles sèches,
Darde au plafond, comme des flèches,
Les pointes d'un calice étroit.

Une autre, géante à chair grasse,
Que hérissent de durs piquants,
Ne sourit que tous les cinq ans
Dans une éclosion sans grâce.

Une autre, molle en ses efforts,
Grimpe au vitrail, et la captive
Regarde en pitié l'herbe active
Qui tient tête au vent du dehors.

Pas un souffle ici, rien ne bouge ;
Toutes versent avec lenteur,
À flots lourds, la fade senteur
De leur floraison fixe et rouge.

Celui qu'elles charment d'abord,
Dans cet air qui bientôt lui pèse,
Envahi par un grand malaise,
Descend de l'ivresse à la mort.

Ah ! Que mille fois plus aimée
La violette, fleur des bois !
Et que plus saine mille fois
La chambre qu'elle a parfumée !

Son baume, **** d'appesantir,
Allège et fait l'âme nouvelle ;
Mais fine, il faut s'approcher d'elle,
La baiser, pour la bien sentir.
J'aime les grottes où la torche
Ensanglante une épaisse nuit,
Où l'écho fait, de porche en porche,
Un grand soupir du moindre bruit.

Les stalactites à la voûte
Pendent en pleurs pétrifiés
Dont l'humidité, goutte à goutte,
Tombe lentement à mes pieds.

Il me semble qu'en ces ténèbres
Règne une douloureuse paix ;
Et devant ces longs pleurs funèbres
Suspendus sans sécher jamais,

Je pense aux âmes affligées
Où dorment d'anciennes amours :
Toutes les larmes sont figées,
Quelque chose y pleure toujours.
Sonnet.


Du pôle il va tenter les merveilleux hivers ;
Il part, le grand navire ! Une puissante enflure
Au souffle d'un bon vent lève et tend la voilure
Sur trois beaux mâts portant neuf vergues en travers.

Il est parti. Là-bas, au soleil, dans les airs
Traînant son pavillon comme une chevelure,
Il a pris sa superbe et gracieuse allure
Et du côté du Nord gagne les hautes mers.

D'un œil triste je suis au **** son blanc sillage :
Il va sombrer peut-être au but de son voyage,
Par des géants de glace étreint de toutes parts !

Et près de moi, debout, l'enfant du capitaine,
Dans la brise ravi vers la brume lointaine,
Agite dans son cœur d'aventureux départs.
Je n'aime pas les maisons neuves :
Leur visage est indifférent ;
Les anciennes ont l'air de veuves
Qui se souviennent en pleurant.

Les lézardes de leur vieux plâtre
Semblent les rides d'un vieillard ;
Leurs vitres au reflet verdâtre
Ont comme un triste et bon regard !

Leurs portes sont hospitalières,
Car ces barrières ont vieilli ;
Leurs murailles sont familières
À force d'avoir accueilli.

Les clés s'y rouillent aux serrures,
Car les cœurs n'ont plus de secrets ;
Le temps y ternit les dorures,
Mais fait ressembler les portraits.

Des voix chères dorment en elles,
Et dans les rideaux des grands lits
Un souffle d'âmes paternelles
Remue encor les anciens plis.

J'aime les âtres noirs de suie,
D'où l'on entend bruire en l'air
Les hirondelles ou la pluie
Avec le printemps ou l'hiver ;

Les escaliers que le pied monte
Par des degrés larges et bas
Dont il connaît si bien le compte,
Les ayant creusés de ses pas ;

Le toit dont fléchissent les pentes ;
Le grenier aux ais vermoulus,
Qui fait rêver sous ses charpentes
À des forêts qui ne sont plus.

J'aime surtout, dans la grand'salle
Où la famille a son foyer,
La poutre unique, transversale,
Portant le logis tout entier ;

Immobile et laborieuse,
Elle soutient comme autrefois
La race inquiète et rieuse
Qui se fie encore à son bois.

Elle ne rompt pas sous la charge,
Bien que déjà ses flancs ouverts
Sentent leur blessure plus large
Et soient tout criblés par les vers ;

Par une force qu'on ignore
Rassemblant ses derniers morceaux,
Le chêne au grand cœur tient encore
Sous la cadence des berceaux.

Mais les enfants croissent en âge,
Déjà la poutre plie un peu ;
Elle cédera davantage ;
Les ingrats la mettront au feu...

Et, quand ils l'auront consumée,
Le souvenir de son bienfait
S'envolera dans sa fumée.
Elle aura péri tout à fait,

Dans ses restes de toutes sortes
Éparses sous mille autres noms ;
Bien morte, car les choses mortes
Ne laissent pas de rejetons.

Comme les servantes usées
S'éteignent dans l'isolement,
Les choses tombent méprisées,
Et finissent entièrement.

C'est pourquoi, lorsqu'on livre aux flammes
Les débris des vieilles maisons,
Le rêveur sent brûler des âmes
Dans les bleus éclairs des tisons.
À Francisque Gerbault.


Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l'aurore ;
Ils dorment au fond des tombeaux,
Et le soleil se lève encore.

Les nuits, plus douces que les jours,
Ont enchanté des yeux sans nombre ;
Les étoiles brillent toujours,
Et les yeux se sont remplis d'ombre.

Oh ! qu'ils aient perdu leur regard,
Non, non, cela n'est pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu'on nomme l'invisible ;

Et comme les astres penchants
Nous quittent, mais au ciel demeurent,
Les prunelles ont leurs couchants,
Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent.

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l'autre côté des tombeaux
Les yeux qu'on ferme voient encore.
Sonnet.


Si peu d'œuvres pour tant de fatigue et d'ennui !
De stériles soucis notre journée est pleine :
Leur meute sans pitié nous chasse à perdre haleine,
Nous pousse, nous dévore, et l'heure utile a fui...

« Demain ! J'irai demain voir ce pauvre chez lui,
Demain je reprendrai ce livre ouvert à peine,
Demain je te dirai, mon âme, où je te mène,
Demain je serai juste et fort... pas aujourd'hui. »

Aujourd'hui, que de soins, de pas et de visites !
Oh ! L'implacable essaim des devoirs parasites
Qui pullulent autour de nos tasses de thé !

Ainsi chôment le cœur, la pensée et le livre,
Et, pendant qu'on se tue à différer de vivre,
Le vrai devoir dans l'ombre attend la volonté.
Par les nuits sublimes d'été,
Sous leur dôme d'or et d'opale,
Je demande à l'immensité
Où sourit la forme idéale.

Plein d'une angoisse de banni,
À travers la flore innombrable
Des campagnes de l'infini,
Je poursuis ce lis adorable...

S'il brille au firmament profond,
Ce n'est pas pour moi qu'il y brille :
J'ai beau chercher, tout se confond
Dans l'océan clair qui fourmille.

Ma vue implore de trop bas
Sa splendeur en chemin perdue,
Et j'abaisse enfin mes yeux las,
Découragés par l'étendue.

Appauvri de l'espoir ôté,
Je m'en reviens plus solitaire,
Et cependant cette beauté
Que je crois si **** de la terre,

Un laboureur insoucieux,
Chaque soir à son foyer même,
Pour l'admirer, l'a sous les yeux
Dans la paysanne qu'il aime.

Heureux qui, sans vaine langueur,
Voyant les étoiles renaître,
Ferme sur elles sa fenêtre :
La plus belle luit dans son cœur.
Sonnet.


Je me dis bien souvent : de quelle race es-tu ?
Ton cœur ne trouve rien qui l'enchaîne ou ravisse,
Ta pensée et tes sens, rien qui les assouvisse :
Il semble qu'un bonheur infini te soit dû.

Pourtant, quel paradis as-tu jamais perdu ?
À quelle auguste cause as-tu rendu service ?
Pour ne voir ici-bas que laideur et que vice,
Quelle est ta beauté propre et ta propre vertu ?

À mes vagues regrets d'un ciel que j'imagine,
À mes dégoûts divins, il faut une origine :
Vainement je la cherche en mon cœur de limon ;

Et, moi-même étonné des douleurs que j'exprime,
J'écoute en moi pleurer un étranger sublime
Qui m'a toujours caché sa patrie et son nom.
À Albert Decrais.


Le vase où meurt cette verveine
D'un coup d'éventail fut fêlé ;
Le coup dut effleurer à peine :
Aucun bruit ne l'a révélé.

Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D'une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour.

Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s'est épuisé ;
Personne encore ne s'en doute ;
N'y touchez pas, il est brisé.

Souvent aussi la main qu'on aime,
Effleurant le cœur, le meurtrit ;
Puis le cœur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt ;

Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde ;
Il est brisé, n'y touchez pas.
Tout seul au plus profond d'un bois,
Dans un fouillis de ronce et d'herbe,
Se dresse, oublié, mais superbe,
Un grand vase du temps des rois.

Beau de matière et pur de ligne,
Il a pour anses deux béliers
Qu'un troupeau d'amours familiers
Enlace d'une souple vigne.

À ses bords, autrefois tout blancs,
La mousse noire append son givre ;
Une lèpre aux couleurs de cuivre
Étoile et dévore ses flancs.

Son poids a fait pencher sa base
Où gît un amas de débris,
Car il a ses angles meurtris,
Mais il tient bon, l'orgueilleux vase.

Il songe : « Autour de moi tout dort,
Que fait le monde ? Je m'ennuie,
Mon cratère est plein d'eau de pluie,
D'ombre, de rouille et de bois mort.

« Où donc aujourd'hui se promène
Le flot soyeux des courtisans ?
Je n'ai pas vu figure humaine
À mon pied depuis bien des ans. »

Pendant qu'il regrette sa gloire,
Perdu dans cet exil obscur,
Un oiseau par un trou d'azur
S'abat sur ses lèvres pour boire.

« Holà ! Manant du ciel, dis-moi,
Toi devant qui l'horizon s'ouvre,
Sais-tu ce qui se passe au Louvre ?
Je n'entends plus parler du roi.

- Ah ! Tu prends, à l'heure où nous sommes,
Dit l'autre, un bien tardif souci !
Rien n'est donc venu jusqu'ici
Des branle-bas qu'on faits les hommes ?

- Parfois un soubresaut brutal,
Des rumeurs extraordinaires,
Comme de souterrains tonnerres
Font tressaillir mon piédestal.

- C'est l'écho de leurs grands vacarmes :
Plus une tour, plus un clocher
Où l'oiseau puisse en paix nicher ;
Partout l'incendie et les armes !

« J'ai naguère, à Paris, en vain
Heurté du bec les vitres closes,
Nulle part, même aux lèvres roses,
La moindre miette de vrai pain.

« Aux mansardes des tuileries
Je logeais, le printemps passé,
Mais les flammes m'en ont chassé,
Ce n'était que feux et tueries.

« Sur le front du génie ailé
Qui plane où sombra la bastille,
J'ai voulu poser ma famille,
Mais cet asile a chancelé.

« Des murs de granit qu'on restaure
Nous sommes l'un et l'autre exclus,
Là le temps des palais n'est plus,
Et celui des nids, pas encore. »
Sonnet.


Il fait grand vent, le ciel roule de grosses voix,
Des géants de vapeur y semblent se poursuivre,
Les feuilles mortes fuient avec un bruit de cuivre,
On ne sait quel troupeau hurle à travers les bois

Et je ferme les yeux et j'écoute. Or je crois
Ouïr l'âpre combat qui nuit et jour, se livre :
Cris de ceux qu'on enchaîne et de ceux qu'on délivre,
Rumeur de liberté, son du bronze des rois...

Mais je laisse aujourd'hui le grand vent de l'histoire
Secouer l'écheveau confus de ma mémoire
Sans qu'il éveille en moi des regrets ni des vœux,

Comme je laisse errer cette vaine tempête
Qui passe furieuse en flagellant ma tête
Et ne peut, rien sur moi qu'agiter mes cheveux.
Toi qui m'entends sans peur te parler de la mort,
Parce que ton espoir te promet qu'elle endort
Et que le court sommeil commencé dans son ombre
S'achève au clair pays des étoiles sans nombre,
Reçois mon dernier vœu pour le jour où j'irai
Tenter seul, avant toi, si ton espoir dit vrai.

Ne cultive au-dessus de mes paupières closes
Ni de grands dahlias, ni d'orgueilleuses roses,
Ni de rigides lis : ces fleurs montent trop haut.
Ce ne sont pas des fleurs si fières qu'il me faut,
Car je ne sentirais de ces raides voisines
Que le tâtonnement funèbre des racines.

Au lieu des dahlias, des roses et des lis,
Transplante près de moi le *** volubilis
Qui, familier, grimpant le long du vert treillage
Pour denteler l'azur où ton âme voyage,
Forme de ta beauté le cadre habituel
Et fait de ta fenêtre un jardin dans le ciel.

Voilà le compagnon que je veux à ma cendre :
Flexible, il saura bien jusque vers moi descendre.
Quand tu l'auras baisé, chérie, en me nommant,
Par quelque étroite fente il viendra doucement,
Messager de ton cœur, dans ma suprême couche,
Fleurir de ton espoir le néant de ma bouche.
L'habitude est une étrangère
Qui supplante en nous la raison :
C'est une ancienne ménagère
Qui s'installe dans la maison.

Elle est discrète, humble, fidèle,
Familière avec tous les coins ;
On ne s'occupe jamais d'elle,
Car elle a d'invisibles soins :

Elle conduit les pieds de l'homme,
Sait le chemin qu'il eût choisi,
Connaît son but sans qu'il le nomme,
Et lui dit tout bas : « Par ici. »

Travaillant pour nous en silence,
D'un geste sûr, toujours pareil,
Elle a l'œil de la vigilance,
Les lèvres douces du sommeil.

Mais imprudent qui s'abandonne
À son joug une fois porté !
Cette vieille au pas monotone
Endort la jeune liberté ;

Et tous ceux que sa force obscure
A gagnés insensiblement
Sont des hommes par la figure,
Des choses par le mouvement.
À Paul Sédille.


La lune est grande, le ciel clair
Et plein d'astres, la terre est blême,
Et l'âme du monde est dans l'air.
Je rêve à l'étoile suprême,

À celle qu'on n'aperçoit pas,
Mais dont la lumière voyage
Et doit venir jusqu'ici-bas
Enchanter les yeux d'un autre âge.

Quand luira cette étoile, un jour,
La plus belle et la plus lointaine,
Dites-lui qu'elle eut mon amour,
Ô derniers de la race humaine !
Sonnet.


Que n'ai-je à te soumettre ou bien à t'obéir ?
Je te vouerais ma force ou te la ferais craindre ;
Esclave ou maître, au moins je te pourrais contraindre
À me sentir ta chose ou bien à me haïr.

J'aurais un jour connu l'insolite plaisir
D'allumer dans ton cœur des soifs, ou d'en éteindre,
De t'être nécessaire ou terrible, et d'atteindre,
Bon gré, mal gré, ce coeur jusque-là sans désir.

Esclave ou maître, au moins j'entrerais dans ta vie ;
Par mes soins captivée, à mon joug asservie,
Tu ne pourrais me fuir ni me laisser partir ;

Mais je meurs sous tes yeux, **** de ton être intime,
Sans même oser crier, car ce droit du martyr,
Ta douceur impeccable en frustre ta victime.
Sonnet.


Un oiseau solitaire aux bizarres couleurs
Est venu se poser sur une enfant ; mais elle,
Arrachant son plumage où le prisme étincelle,
De toute sa parure elle fait des douleurs ;

Et le duvet moelleux, plein d'intimes chaleurs,
Épars, flotte au doux vent d'une bouche cruelle.
Or l'oiseau, c'est mon cœur ; l'enfant coupable est celle,
Celle dont je ne puis dire le nom sans pleurs.

Ce jeu l'amuse, et moi j'en meurs, et j'ai la peine
De voir dans le ciel vide errer sous son haleine
La beauté de mon cœur pour le plaisir du sien !

Elle aime à balancer mes rêves sur sa tête
Par un souffle et je suis ce qu'on nomme un poète.
Que ce souffle leur manque et je ne suis plus rien.
Les lèvres qui veulent s'unir,
À force d'art et de constance,
Malgré le temps et la distance,
Y peuvent toujours parvenir.

On se fraye toujours des routes ;
Flots, monts, déserts n'arrêtent point,
De proche en proche on se rejoint,
Et les heures arrivent toutes.

Mais ce qui fait durer l'exil
Mieux que l'eau, le roc ou le sable,
C'est un obstacle infranchissable,
Qui n'a pas l'épaisseur d'un fil.

C'est l'honneur ; aucun stratagème,
Nul âpre effort n'en est vainqueur,
Car tout ce qu'il oppose au cœur,
Il le puise dans le cœur même.

Vous savez s'il est rigoureux,
Pauvres couples à l'âme haute
Qu'une noble horreur de la faute
Empêche seule d'être heureux.

Penchés sur le bord de l'abîme,
Vous respectez au fond de vous,
Comme de cruels garde-fous,
Les arrêts de ce juge intime ;

Purs amants sur terre égarés,
Quel martyre étrange est le vôtre !
Plus vos cœurs sont près l'un de l'autre,
Plus ils se sentent séparés.

Oh ! Que de fois fermente et gronde,
Sous un air de froid nonchaloir,
Votre souriant désespoir
Dans la mascarade du monde !

Que de cris toujours contenus !
Que de sanglots sans délivrance !
Sous l'apparente indifférence,
Que d'héroïsmes méconnus !

Aux ivresses, même impunies,
Vous préférez un deuil plus beau,
Et vos lèvres, même au tombeau,
Attendent le droit d'être unies.
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