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Or, malgré ta cruauté

Affectée, et l'air très faux

De sale méchanceté

Dont, bête, tu te prévaux


J'aime ta lasciveté !


Et quoiqu'en dépit de tout

Le trop factice dégoût

Que me dicte ton souris

Qui m'est, à mes dams et coût,


Rouge aux crocs blancs de souris ! -


Je t'aime comme l'on croit,

Et mon désir fou qui croît,

Tel un champignon des prés,

S'érige ainsi que le Doigt


D'un Terme là tout exprès.


Donc, malgré ma cruauté

Affectée, et l'air très faux

De pire méchanceté,

Dont, bête, je me prévaux.


Aime ma simplicité.
Or, vous voici promus, petits amis,

Depuis les temps de ma lettre première,

Promus, disais-je, aux fiers emplois promis

À votre thèse, en ces jours de lumière.


Vous voici rois de France ! À votre tour !

(Rois à plusieurs d'une France postiche,

Mais rois de fait et non sans quelque amour

D'un trône lourd avec un budget riche.)


À l'œuvre, amis petits ! Nous avons droit

De vous y voir, payant de notre poche,

Et d'être un peu réjouis à l'endroit

De votre état sans peur et sans reproche.


Sans peur ? Du maître ? Ô le maître, mais c'est

L'Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre,

Total, le peuple, « un âne » fort « qui s'est

Cabré », pour vous espoir clair, puis fait sombre.


Cabré comme une chèvre, c'est le mot.

Et votre bras, saignant jusqu'à l'aisselle,

S'efforce en vain : fort comme Béhémot,

Le monstre tire... et votre peur est telle


Quand l'âne brait, que le voilà parti

Qui par les dents vous boute cent ruades

En forme de reproche bien senti...

Courez après, frottant vos reins malades !


Ô Peuple, nous t'aimons immensément :

N'es-tu donc pas la pauvre âme ignorante

En proie à tout ce qui sait et qui ment ?

N'es-tu donc pas l'immensité souffrante ?


La charité nous fait chercher tes maux,

La foi nous guide à travers tes ténèbres.

On t'a rendu semblable aux animaux,

Moins leur candeur, et plein d'instincts funèbres.


L'orgueil t'a pris en ce quatre-vingt-neuf,

Nabuchodonosor, et te fait paître,

Âne obstiné, mouton buté, dur bœuf,

Broutant pouvoir, famille, soldat, prêtre !


Ô paysan cassé sur tes sillons,

Pâle ouvrier qu'esquinte la machine,

Membres sacrés de Jésus-Christ, allons,

Relevez-vous, honorez votre échine,


Portez l'amour qu'il faut à vos bras forts,

Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde,

Respectez-les, fuyez ces chemins tors,

Fermez l'oreille à ce conseil immonde,


Redevenez les Français d'autrefois,

Fils de l'Eglise, et dignes de vos pères !

Ô s'ils savaient ceux-ci sur vos pavois,

Leurs os sueraient de honte aux cimetières.


- Vous, nos tyrans minuscules d'un jour

(L'énormité des actes rend les princes

Surtout de souche impure, et malgré cour

Et splendeur et le faste, encor plus minces),


Laissez le règne et rentrez dans le rang.

Aussi bien l'heure est proche où la tourmente

Vous va donner des loisirs, et tout blanc

L'avenir flotte avec sa Fleur charmante


Sur la Bastille absurde où vous teniez

La France aux fers d'un blasphème et d'un schisme,

Et la chronique en de cléments Téniers

Déjà vous peint allant au catéchisme.
Ô toi triomphante sur deux

« Rivales » (pour dire en haut style).

Tu fus ironique, - elles... feues -

Et n'employas d'effort subtil

Que juste assez pour que tu fus -

Ses encor mieux, grâce à cet us


Qu'as de me plaire sans complaire

Plus qu'il ne faut à mes caprices.

Or je te viens jouer un air

Tout parfumé d'ambre et d'iris,

Bien qu'ayant en horreur triplice

Tout parfum hostile ou complice,


Sauf la seule odeur de toi, frais

Et chaud effluve, vent de mer

Et vent, sous le soleil, de prées

Non sans quelque saveur amère

Pour saler et poivrer ainsi

Qu'il est urgent, mon cœur transi.


Mon cœur, mais non pas ma bravoure

En fait d'amour ! Tu ressuscite-

Rais un défunt, le bandant pour

Le déduit dont Vénus dit : Sit !

Oui, mon cœur encore il pantèle

Du combat court, mais de peur telle !


Peur de te perdre si le sort

Des armes eût trahi tes coups.

Peur encor de toi, peur encore

De tant de boudes et de moues.

Quant aux deux autres, ô là là !

Guère n'y pensais, t'étais là.


Iris, ambre, ainsi j'annonçai

- Ma mémoire est bonne - ces vers

A ta victoire fière et gaie

Sur tes rivales somnifères.

Mais que n'ont-ils le don si cher,

Si pur ? Fleurer comme ta chair !
Ô triste, triste était mon âme

À cause, à cause d'une femme.


Je ne me suis pas consolé

Bien que mon cœur s'en soit allé.


Bien que mon cœur, bien que mon âme

Eussent fui **** de cette femme.


Je ne me suis pas consolé,

Bien que mon cœur s'en soit allé.


Et mon cœur, mon cœur trop sensible

Dit à mon âme : Est-il possible,


Est-il possible, - le fût-il, -

Ce fier exil, ce triste exil ?


Mon âme dit à mon cœur : Sais-je

Moi-même, que nous veut ce piège


D'être présents bien qu'exilés,

Encore que **** en allés ?
Ô vous, comme un qui boite au ****, Chagrins et Joies,

Toi, cœur saignant d'hier qui flambes aujourd'hui,

C'est vrai pourtant que c'est fini, que tout a fui

De nos sens, aussi bien les ombres que les proies.


Vieux bonheurs, vieux malheurs, comme une file d'oies

Sur la route en poussière où tous les pieds ont lui,

Bon voyage ! Et le Rire, et, plus vielle que lui,

Toi, Tristesse, noyée au vieux noir que tu broies !


Et le reste ! - Un doux vide, un grand renoncement,

Quelqu'un en nous qui sent la paix immensément,

Une candeur d'âme d'une fraîcheur délicieuse...


Et voyez ! notre cœur qui saignait sous l'orgueil,

Il flambe dans l'amour, et s'en va faire accueil

À la vie, en faveur d'une mort précieuse !
Pierrot, qui n'a rien d'un Clitandre,

Vide un flacon sans plus attendre,

Et, pratique, entame un pâté.


Cassandre, au fond de l'avenue,

Verse une larme méconnue

Sur son neveu déshérité.


Ce faquin d'Arlequin combine

L'enlèvement de Colombine

Et pirouette quatre fois.


Colombine rêve, surprise

De sentir un coeur dans la brise

Et d'entendre en son coeur des voix.
Trois petits pâtés, ma chemise brûle.

Monsieur le Curé n'aime pas les os.

Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,

Que n'émigrons-nous vers les Palaiseaux !


Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,

On dirait d'un cher glaïeul sur les eaux.

Vivent le muguet et la campanule !

Dodo, l'enfant do, chantez, doux fuseaux.


Que n'émigrons-nous vers les Palaiseaux !

Trois petits pâtés, un point et virgule ;

On dirait d'un cher glaïeul sur les eaux.

Vivent le muguet et la campanule !


Trois petits pâtés, un point et virgule ;

Dodo, l'enfant do, chantez, doux fuseaux.

La libellule erre emmi les roseaux.

Monsieur le Curé, ma chemise brûle !
Soyez béni, Seigneur, qui m'avez fait chrétien

Dans ces temps de féroce ignorance et de haine ;

Mais donnez-moi la force et l'audace sereine

De vous être à toujours fidèle comme un chien,


De vous être l'agneau destiné qui suit bien

Sa mère et ne sait faire au pâtre aucune peine,

Sentant qu'il doit sa vie encore, après sa laine,

Au maître, quand il veut utiliser ce bien,


Le poisson, pour servir au Fils de monogramme,

L'ânon obscur qu'un jour en triomphe il monta,

Et, dans ma chair, les porcs qu'à l'abîme il jeta.


Car l'animal, meilleur que l'homme et que la femme,

En ces temps de révolte et de duplicité

Fait son humble devoir avec simplicité.
Parfums, couleurs, systèmes, lois !

Les mots ont peur comme des poules.

La chair sanglote sur la croix.


Pied, c'est du rêve que tu foules,

Et partout ricane la voix,

La voix tentatrice des foules.


Cieux bruns où nagent nos desseins,

Fleurs qui n'êtes pas le calice,

Vin et ton geste qui se glisse,

Femme et l'oeillade de tes seins,


Nuit câline aux frais traversins,

Qu'est-ce que c'est que ce délice,

Qu'est-ce que c'est que ce supplice,

Nous les damnés et vous les Saints ?
Parisien, mon frère à jamais étonné,

Montons sur la colline où le soleil est né

Si glorieux qu'il fait comprendre l'idolâtre,

Sous cette perspective inconnue au théâtre.

D'arbres au vent et de poussière d'ombre et d'or.

Montons. Il est si frais encor, montons encor.

Là ! nous voilà placés comme dans une « loge

De face », et le décor vraiment tire un éloge,

La cathédrale énorme et le beffroi sans fin.

Ces toits de tuile sous ces verdures, le vain

Appareil des remparts pompeux et grands quand même,

Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l'or blême

Des nuages à l'ouest réverbérant l'or dur

De derrière chez nous, tous ces lourds joyaux sur

Ces ouates, n'est-ce pas, l'écrin vaut le voyage,

Et c'est ce qu'on peut dire un brin de paysage ?

- Mais descendons, si ce n'est pas trop abuser

De vos pieds las, à fin seule de reposer

Vos yeux qui n'ont jamais rien vu que Montmartre,

- « Campagne » vert de plaie et ville blanc de dartre

(Et les sombres parfums qui grimpent de Pantin !) -

Donc, par ce lent sentier de rosée et de thym,

Cheminons vers la ville au long de la rivière,

Sous les frais peupliers, dans la fine lumière.

L'une des portes ouvre une rue, entrons-y.

Aussi bien, c'est le point qu'il faut, l'endroit choisi :

Si blanches, les maisons anciennes, si bien faites.

Point hautes, çà et là des bronches sur leurs faîtes,

Si doux et sinueux le cours de ces maisons,

Comme un ruisseau parmi de vagues frondaisons,

Profilant la lumière et l'ombre en broderies

Au lieu du long ennui de vos haussmanneries,

Et si gentil l'accent qui confine au patois

De ces passants naïfs avec leurs yeux matois !...

Des places ivres d'air et de cris d'hirondelles

Où l'histoire proteste en formules fidèles

À la crête des toits comme au fer des balcons,

Des portes ne tournant qu'à regret sur leurs gonds,

Jalouses de garder l'honneur et la famille...

Ici tout vit et meurt calme, rien ne fourmille,

Le « Théâtre » fait four, et ce dieu des brouillons.

Le « Journal » n'en est plus à compter ses bouillons,

L'amour même prétend conserver ses noblesses

Et le vice se gobe en de rares drôlesses.

Enfin rien de Paris, mon frère « dans nos murs ».

Que les modes... d'hier, et que les fruits bien mûrs

De ce fameux progrès que vous mangez en herbe.

Du reste on vit à l'aise. Une chère superbe,

La raison raisonnable et l'esprit des aïeux,

Beaucoup de sain travail, quelques loisirs joyeux,

Et ce besoin d'avoir peur de la grande route !

Avouez, la province est bonne, somme toute.

Et vous regrettez moins que tantôt la « splendeur »

Du vieux monstre, et son pouls fébrile, et cette odeur !
A Jules Tellier.

Parsifal a vaincu les Filles, leur gentil

Babil et la luxure amusante - et sa pente

Vers la Chair de garçon vierge que cela tente

D'aimer les seins légers et ce gentil babil ;


Il a vaincu la Femme belle, au cœur subtil,

Étalant ses bras frais et sa gorge excitante ;

Il a vaincu l'Enfer et rentre sous la tente

Avec un lourd trophée à son bras puéril,


Avec la lance qui perça le Flanc suprême !

Il a guéri le roi, le voici roi lui-même,

Et prêtre du très saint Trésor essentiel.


En robe d'or il adore, gloire et symbole,

Le vase pur où resplendit le Sang réel.

- Et, ô ces voix d'enfants chantant dans la coupole !
Vers Saint-Denis c'est bête et sale la campagne.

C'est pourtant là qu'un jour j'emmenai ma compagne.

Nous étions de mauvaise humeur et querellions.

Un plat soleil d'été tartinait ses rayons

Sur la plaine séchée ainsi qu'une rôtie.


C'était pas trop après le Siège : une partie

Des « maisons de campagne » était à terre encore,

D'autres se relevaient comme on hisse un décor,

Et des obus tout neufs encastrés aux pilastres

Portaient écrit autour : Souvenir des désastres.
Au pays de mon père on voit des bois sans nombre,

Là des loups font parfois luire leurs yeux dans l'ombre

Et la myrtile est noire au pied du chêne vert.

Noire de profondeur, sur l'étang découvert,

Sous la bise soufflant balsamiquement dure

L'eau saute à petits flots, minéralement pure.

Les villages de pierre ardoisière aux toits bleus

Ont leur pacage et leur labourage autour d'eux.

Du bétail non pareil s'y fait des chairs friandes,

Sauvagement un peu parmi les hautes viandes ;

Et l'habitant, grâce à la Foi sauve, est heureux.

Au pays de ma mère est un sol plantureux

Où l'homme, doux et fort, vit prince de la plaine

De patients travaux pour quelles moissons pleine,

Avec, rares, des bouquets d'arbres et de l'eau.

L'industrie a sali par places ce tableau

De paix patriarcale et de campagne dense

Et compromis jusqu'à des points cette abondance,

Mais l'ensemble est resté, somme toute, très bien.

Le peuple est froid et chaud, non sans un fond chrétien.

Belle, très au dessus de toute la contrée,

Se dresse éperdument la tour démesurée

D'un gothique beffroi sur le ciel balancé

Attestant les devoirs et les droits du passé,

Et tout en haut de lui le grand lion de Flandre

Hurle en cris d'or dans l'air moderne : « Osez les prendre ! »


Le pays de mon rêve est un site charmant

Qui tient des deux aspects décrits précédemment :

Quelque âpreté se mêle aux saveurs géorgiques.

L'amour et le loisir même sont énergiques,

Calmes, équilibrés sur l'ordre et le devoir.

La vierge en général s'abstient du nonchaloir

Dangereux aux vertus, et l'amant qui la presse

A coutume avant tout d'éviter la paresse

Où le vice puisa ses larmes en tout temps,

Si bien qu'en mon pays tous les cœurs sont contents,

Sont, ou plutôt étaient.

Au cœur ou dans la tête,

La tempête est venue. Est-ce bien la tempête ?

Et tous cas, il y eut de la grêle et du feu,

Et la misère, et comme un abandon de Dieu.

La mortalité fut sur les mères taries

Des troupeaux rebutés par l'herbe des prairies

Et les jeunes sont morts après avoir langui

D'un sort qu'on croyait parti d'où, jeté par qui ?

Dans les champs ravagés la terre diluée

Comme une pire mer flotte en une buée.

Des arbres détrempés les oiseaux sont partis,

Laissant leurs nids et des squelettes de petits.

D'amours de fiancés, d'union des ménages

Il n'est plus question dans mes tristes parages.

Mais la croix des clochers doucement toujours luit,

Dans les cages plus d'une cloche encor bruit,

Et, béni signal d'espérance et de refuge,

L'arc-en-ciel apparaît comme après le déluge.
La luxure, ce moins terrible des péchés ;

Ces deux pires de tous, l'Avarice et l'Envie ;

La Gourmandise, abus risible de la vie ;

Toi, Paresse, leur mère à tous, à ces péchés,


Et la Colère, presque belle en sa hideur,

Avec de faux reflets d'héroïsme, on veut croire,

Et l'Orgueil son grand frère à la gloire illusoire

Et tous dans leur révolte horrible et leur hideur,


Pénitence, presque innocence tu les vaincs,

Tu les poursuis, tu les arrêtes et les captes

Sauvant les âmes, par l'excellence des actes,

De l'Enfer et de ses milices que tu vaincs.


Oui, tu nous dictes et fait faire d'excellents

Actes à cause de l'excellence des causes,

Épanouissant, sur les épines de roses

Que la Prière après vient cueillir à pas lents,


Pénitence, du fond de mes crimes affreux,

Luxure, orgueil, colère et toute la filière,

J'invoque ton secours, Vertu particulière,

Seule agréable à Dieu qui voit mon cœur affreux.
A Ernest Raynaud


Couché dans l'herbe pâle et froide de l'exil,

Sous les ifs et les pins qu'argente le grésil,

Ou bien errant, semblable aux formes que suscite

Le rêve, par l'horreur du paysage scythe,

Tandis qu'autour, pasteurs de troupeaux fabuleux,

S'effarouchent les blancs Barbares aux yeux bleus,

Le poète de l'art d'Aimer, le tendre Ovide

Embrasse l'horizon d'un long regard avide

Et contemple la mer immense tristement.


Le cheveu poussé rare et gris que le tourment

Des bises va mêlant sur le front qui se plisse,

L'habit troué livrant la chair au froid, complice,

Sous l'aigreur du sourcil tordu l'œil terne et las,

La barbe épaisse, inculte et presque blanche, hélas

Tous ces témoins qu'il faut d'un deuil expiatoire

Disent une sinistre et lamentable histoire

D'amour excessif, d'âpre envie et de fureur

Et quelque responsabilité d'Empereur.

Ovide morne pense à Rome et puis encore

À Rome que sa gloire illusoire décore.


Or, Jésus ! vous m'avez justement obscurci :

Mais n'étant pas Ovide, au moins je suis ceci.
L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize ;

Toutes deux dormaient dans la même chambre.

C'était par un soir très lourd de septembre

Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise.


Chacune a quitté, pour se mettre à l'aise,

La fine chemise au frais parfum d'ambre.

La plus jeune étend les bras, et se cambre,

Et sa soeur, les mains sur ses seins, la baise,


Puis tombe à genoux, puis devient farouche

Et tumultueuse et folle, et sa bouche

Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises ;


Et l'enfant, pendant ce temps-là, recense

Sur ses doigts mignons des valses promises,

Et, rose, sourit avec innocence.
Les longs rideaux de blanche mousseline

Que la lueur pâle de la veilleuse

Fait fluer comme une vague opaline

Dans l'ombre mollement mystérieuse,


Les grands rideaux du grand lit d'Adeline

Ont entendu, Claire, ta voix rieuse,

Ta douce voix argentine et câline

Qu'une autre voix enlace, furieuse.


« Aimons, aimons ! » disaient vos voix mêlées,

Claire, Adeline, adorables victimes

Du noble vœu de vos âmes sublimes.


Aimez, aimez ! ô chères Esseulées,

Puisqu'en ces jours de malheur, vous encore,

Le glorieux Stigmate vous décore.
Petits amis qui sûtes nous prouver

Par A plus B que deux et deux font quatre,

Mais qui depuis voulez parachever

Une victoire où l'on se laissait battre,


Et couronner vos conquêtes d'un coup

Par ce soufflet à la mémoire humaine ;

« Dieu ne vous a révélé rien du tout,

Car nous disions qu'il n'est que l'ombre vaine,


Que le profil et que l'allongement,

Sur tous les murs que la peur édifie

De votre pur et simple mouvement,

Et nous dictons cette philosophie. »


- Frères trop chers, laissez-nous rire un peu,

Nous les fervents d'une logique rance,

Qui justement n'avons de foi qu'en Dieu

Et mettons notre espoir dans l'Espérance,


Laissez-nous rire un peu, pleurer aussi,

Pleurer sur vous, rire du vieux blasphème,

Rire du vieux Satan stupide ainsi,

Pleurer sur cet Adam dupe quand même !


Frère de nous qui payons vos orgueils,

Tous fils du même Amour, ah ! la science,

Allons donc, allez donc, c'est nos cercueils

Naïfs ou non, c'est notre méfiance


Ou notre confiance aux seuls Récits,

C'est notre oreille ouverte toute grande

Ou tristement fermée au Mot précis !

Frères, lâchez la science gourmande


Qui veut voler sur les ceps défendus

Le fruit sanglant qu'il ne faut pas connaître.

Lâchez son bras qui vous tient attendus

Pour des enfers que Dieu n'a pas fait naître,


Mais qui sont l'œuvre affreuse du péché,

Car nous, les fils attentifs de l'Histoire,

Nous tenons pour l'honneur jamais taché

De la Tradition, supplice et gloire !


Nous sommes sûrs des Aïeux nous disant

Qu'ils ont vu Dieu sous telle ou telle forme,

Et prédisant aux crimes d'à présent

La peine immense ou le pardon énorme.


Puisqu'ils avaient vu Dieu présent toujours,

Puisqu'ils ne mentaient pas, puisque nos crimes

Vont effrayants, puisque vos yeux sont courts,

Et puisqu'il est des repentirs sublimes,


Ils ont dit tout. Savoir le reste est bien :

Que deux et deux fassent quatre, à merveille !

Riens innocents, mais des riens moins que rien,

La dernière heure étant là qui surveille


Tout autre soin dans l'homme en vérité !

Gardez que trop chercher ne vous séduise

**** d'une sage et forte humilité...

Le seul savant, c'est encore Moïse.
Ce n'est plus le rêveur lunaire du vieil air

Qui riait aux aïeux dans les dessus de porte ;

Sa gaîté, comme sa chandelle, hélas! est morte,

Et son spectre aujourd'hui nous hante, mince et clair.


Et voici que parmi l'effroi d'un long éclair

Sa pâle blouse a l'air, au vent froid qui l'emporte,

D'un linceul, et sa bouche est béante, de sorte

Qu'il semble hurler sous les morsures du ver.


Avec le bruit d'un vol d'oiseaux de nuit qui passe,

Ses manches blanches font vaguement par l'espace

Des signes fous auxquels personne ne répond.


Ses yeux sont deux grands trous où rampe du phosphore

Et la farine rend plus effroyable encore

Sa face exsangue au nez pointu de moribond.
Ce n'est pas Pierrot en herbe

Non plus que Pierrot en gerbe,

C'est Pierrot, Pierrot, Pierrot.

Pierrot gamin, Pierrot gosse,

Le cerneau hors de la cosse,

C'est Pierrot, Pierrot, Pierrot !


Bien qu'un rien plus haut qu'un mètre,

Le mignon drôle sait mettre

Dans ses yeux l'éclair d'acier

Qui sied au subtil génie

De sa malice infinie

De poète-grimacier.


Lèvres rouge-de-blessure

Où sommeille la luxure,

Face pâle aux rictus fins,

Longue, très accentuée,

Qu'on dirait habituée

À contempler toutes fins,


Corps fluet et non pas maigre,

Voix de fille et non pas aigre,

Corps d'éphèbe en tout petit,

Voix de tête, corps en fête,

Créature toujours prête

À soûler chaque appétit.


Va, frère, va, camarade,

Fais le diable, bats l'estrade

Dans ton rêve et sur Paris

Et par le monde, et sois l'âme

Vile, haute, noble, infâme

De nos innocents esprits !


Grandis, car c'est la coutume,

Cube ta riche amertume,

Exagère ta gaieté,

Caricature, auréole,

La grimace et le symbole

De notre simplicité !
Ce fut bizarre et Satan dut rire.

Ce jour d'été m'avait tout soûlé.

Quelle chanteuse impossible à dire

Et tout ce qu'elle a débagoulé !


Ce piano dans trop de fumée

Sous des suspensions à pétroles !

Je crois, j'avais la bile enflammée,

J'entendais de travers mes paroles.


Je crois, mes sens étaient à l'envers,

Ma bile avait des bouillons fantasques.

Ô les refrains de cafés-concerts,

Faussés par le plus plâtré des masques !


Dans des troquets comme en ces bourgades,

J'avais rôdé, suçant peu de glace.

Trois galopins aux yeux de tribades

Dévisageaient sans fin ma grimace.


Je fus hué manifestement

Par ces voyous, non **** de la gare,

Et les engueulai si goulûment

Que j'en faillis gober mon cigare.


Je rentre : une voix à mon oreille,

Un pas fantôme. Aucun ou personne ?

On m'a frôlé. - La nuit sans pareille !

Ah ! l'heure d'un réveil drôle sonne.
Pourquoi triste, ô mon âme
Triste jusqu'à la mort,
Quand l'effort te réclame,
Quand le suprême effort
Est là qui te réclame ?

Ah, tes mains que tu tords
Au lieu d'être à la tâche,
Tes lèvres que tu mords
Et leur silence lâche,
Et tes yeux qui sont morts !

N'as-tu pas l'espérance
De la fidélité,
Et, pour plus d'assurance
Dans la sécurité,
N'as-tu pas la souffrance ?

Mais chasse le sommeil
Et ce rêve qui pleure.
Grand jour et plein soleil !
Vois, il est plus que l'heure :
Le ciel bruit vermeil,

Et la lumière crue
Découpant d'un trait noir
Toute chose apparue
Te montre le Devoir
Et sa forme bourrue.

Marche à lui vivement,
Tu verras disparaître
Tout aspect inclément
De sa manière d'être,
Avec l'éloignement.

C'est le dépositaire
Qui te garde un trésor
D'amour et de mystère,
Plus précieux que l'or,
Plus sûr que rien sur terre,

Les biens qu'on ne voit pas,
Toute joie inouïe,
Votre paix, saints combats,
L'extase épanouie
Et l'oubli d'ici-bas,

Et l'oubli d'ici-bas !
Prêtres de Jésus-Christ, la vérité vous garde.


Ah ! soyez ce que pense une foule bavarde

Ou ce que le penseur lui-même dit de vous.

Bassement orgueilleux, haineusement jaloux,

Avares, impurs, durs, la vérité vous garde.

Et, de fait, nul de vous ne risque, ne hasarde

Un seul pan du prestige, un seul pli du drapeau,

Tant la doctrine exacte du Bien et du Beau

Est là, qui vous maintient entre ses hauts dilemmes.

Plats comme les bourgeois, vautrés dans des Thélèmes

Ou guindés vers l'honneur pharisaïque alors,

Qu'importe, si, Jésus, plus fort que des cœurs morts,

Règne par vos dehors du reste incontestables ?

Cultes respectueux, formules respectables,

Un emploi libéral et franc des Sacrements

(Car les temps ont du moins, dans leurs relâchements,

Parmi plus d'une bonne et délicate chose.

Laissé tomber l'affreux jansénisme morose),

Et ce seul mot sur votre enseigne : Charité !

Mal gracieux, sans goût aucun, même affecté,

Pour si peu que ce soit d'art et de poésie,

Incapables d'un bout de lecture choisie,

D'un regard attentif, d'une oreille en arrêt

Pis qu'inconsciemment hostiles, on dirait,

A tout ce qui, dans l'homme et fleurit et s'allume.

Plus lourds que les marteaux et plus lourds qu'une enclume.

Sans même l'étincelle et le bruit triomphant,

Que fait ? si Jésus a, pour séduire l'enfant

Et le sage qu'est l'homme en sa double énergie,

Votre théologie et votre liturgie ?

D'ailleurs maints d'entre vous, troupeau trié déjà,

Valent mieux que le monde autour qui vous jugea,

Lisent clair, visent droit, entendent net en somme,

Vivent et pensent, plus que non pas un autre homme,

Que tels, mes chers lecteurs, que moi cet écrivain,

Tant leur science est courte et tant mon art est vain !

C'est vrai qu'il sort de vous, comme de votre Maître,

Quand même une vertu qui vous fait reconnaître.

Elle offusque les sots, ameute les méchants.

Remplis les bons d'émois révérents et touchants.

Force indéfinissable ayant de tout en elle,

Comme surnaturelle et comme naturelle,

Mystérieuse et dont vous allez investis,

Grands par comparaison chez les peuples petits.

Vous avez tous les airs de toutes, sinon toutes

Les choses qu'il faut être en l'affre de vos routes,

Si vous ne l'êtes pas, du moins vous paraissez

Tels qu'il faut et semblez dans ce zèle empressés,

Poussant votre industrie et votre économie,

Depuis la sainteté jusqu'à la bonhomie.


Hypocrisie, émet un tiers, ou nullité !

Bonhomie, on doit dire en chœur, et sainteté !

Puisque, ô croyons toujours le bien de préférence,

Mais c'est surtout ce siècle et surtout cette France,

Que charme et que bénit, à quelques fins de Dieu ?

Votre ombre lumineuse et réchauffante un peu.

Seul bienfait apparent de la grâce invisible

Sur la France insensée et le siècle insensible

Siècle de fer et France, hélas ! toute de nerfs,

France d'où détalant partout comme des cerfs,

Les principes, respect, l'honneur de sa parole.

Famille, probité, filent en bande folle,

Siècle d'âpreté juive et d'ennuis protestants,

Noyant tout, le superbe et l'exquis des instants,

Au remous gris de mers de chiffres et de phrases.

Vous, phares doux parmi ces brumes et ces gazes,

Ah! luisez-nous encore et toujours jusqu'au jour,

Jusqu'à l'heure du cœur expirant vers l'amour

Divin, pour refleurir éternel dans la même

Charité **** de cette épreuve froide et blême.

Et puis, en la minute obscure des adieux.

Flambez, torches d'encens, et rallumez nos yeux

A l'unique Beauté, toute bonne et puissante,

Brûlez ce qui n'est plus la prière innocente,

L'aspiration sainte et le repentir vrai !


Puisse un prêtre être là, Jésus, quand je mourrai !
Me voici devant Vous, contrit comme il le faut.
Je sais tout le malheur d'avoir perdu la voie
Et je n'ai plus d'espoir, et je n'ai plus de joie
Qu'en une en qui je crois chastement, et qui vaut
A mes yeux mieux que tout, et l'espoir et la joie.

Elle est bonne, elle me connaît depuis des ans.
Nous eûmes des jours noirs, amers, jaloux, coupables,
Mais nous allions sans trêve aux fins inéluctables,
Balancés, ballottés, en proie à tous jusants
Sur la mer où luisaient les astres favorables :

Franchise, lassitude affreuse du péché
Sans esprit de retour, et pardons l'un à l'autre...
Or, ce commencement de paix n'est-il point vôtre,
Jésus, qui vous plaisez au repentir caché ?
Exaucez notre voeu qui n'est plus que le vôtre.
Ô Seigneur, exaucez et dictez ma prière,

Vous la pleine Sagesse et la toute Bonté,

Vous sans cesse anxieux de mon heure dernière,

Et qui m'avez aimé de toute éternité.


Car - ce bonheur terrible est tel, tel ce mystère

Miséricordieux, que, cent fois médité,

Toujours il confondit ma raison qu'il atterre, -

Oui, vous m'avez aimé de toute éternité,


Oui, votre grand souci, c'est mon heure dernière,

Vous la voulez heureuse et pour la faire ainsi,

Dès avant l'univers, dès avant la lumière,

Vous préparâtes tout, ayant ce grand souci.


Exaucez ma prière après l'avoir formée

De gratitude immense et des plus humbles vœux,

Comme un poète scande une ode bien-aimée,

Comme une mère baise un fils sur les cheveux.


Donnez-moi de vous plaire, et puisque pour vous plaire

Il me faut être heureux, d'abord dans la douleur

Parmi les hommes durs sous une loi sévère,

Puis dans le ciel tout près de vous sans plus de pleur,


Tout près de vous, le Père éternel, dans la joie

Éternelle, ravi dans les splendeurs des saints,

Ô donnez-moi la foi très forte, que je croie.

Devoir souffrir cent morts s'il plaît à vos desseins ;


Et donnez-moi la foi très douce, que j'estime

N'avoir de haine juste et sainte que pour moi,

Que j'aime le pécheur en détestant mon crime,

Que surtout j'aime ceux de nous encor sans foi ;


Et donnez-moi la foi très humble, que je pleure

Sur l'impropriété de tant de maux soufferts,

Sur l'inutilité des grâces et sur l'heure

Lâchement gaspillée aux efforts que je perds ;


Et que votre Esprit-Saint qui sait toute nuance

Rende prudent mon zèle et sage mon ardeur ;

Donnez, juste Seigneur, avec la confiance,

Donnez la méfiance à votre serviteur.


Que je ne sois jamais un objet de censure

Dans l'action pieuse et le juste discours ;

Enseignez-moi l'accent, montrez-moi la mesure ;

D'un scandale, d'un seul, préservez mes entours ;


Faites que mon exemple amène à vous connaître

Tous ceux que vous voudrez de tant de pauvres fous,

Vos enfants sans leur Père, un état sans le Maître,

Et que, si je suis bon, toute gloire aille à vous ;


Et puis, et puis, quand tout des choses nécessaires,

L'homme, la patience et ce devoir dicté,

Aura fructifié de mon mieux dans vos serres,

Laissez-moi vous aimer en toute charité,


Laissez-moi, faites-moi de toutes mes faiblesses

Aimer jusqu'à la mort votre perfection,

Jusqu'à la mort des sens et de leurs mille ivresses,

Jusqu'à la mort du cœur, orgueil et passion,


Jusqu'à la mort du pauvre esprit lâche et rebelle

Que votre volonté dès longtemps appelait

Vers l'humilité sainte éternellement belle,

Mais lui, gardait son rêve infernalement laid,


Son gros rêve éveillé de lourdes rhétoriques,

Spéculation creuse et calculs impuissants

Ronflant et s'étirant en phrases pléthoriques.

Ah ! tuez mon esprit et mon cœur et mes sens !


Place à l'âme qui croie, et qui sente et qui voie

Que tout est vanité fors elle-même en Dieu ;

Place à l'âme, Seigneur ; marchant dans votre voie

Et ne tendant qu'au ciel, seul espoir et seul lieu !


Et que cette âme soit la servante très douce

Avant d'être l'épouse au trône non-pareil.

Donnez-lui l'Oraison comme le lit de mousse

Où ce petit oiseau se baigne de soleil,


La paisible oraison comme la fraîche étable

Où cet agneau s'ébatte et broute dans les coins

D'ombre et d'or quand sévit le midi redoutable.

Et que juin fait crier l'insecte dans les foins,


L'oraison bien en vous, fût-ce parmi la foule.

Fût-ce dans le tumulte et l'erreur des cités.

Donnez-lui l'oraison qui sourde et d'où découle

Un ruisseau toujours clair d'austères vérités :


La mort, le noir péché, la pénitence blanche,

L'occasion à fuir et la grâce à guetter ;

Donnez-lui l'oraison d'en haut et d'où s'épanche

Le fleuve amer et fort qu'il lui faut remonter :


Mortification spirituelle, épreuve

Du feu par le désir et de l'eau par le pleur

Sans fin d'être imparfaite et de se sentir veuve

D'un amour que doit seule aviver la douleur,


Sécheresses ainsi que des trombes de sable

En travers du torrent où luttent ses bras lourds,

Un ciel de plomb fondu, la soif inapaisable

Au milieu de cette eau qui l'assoiffe toujours,


Mais cette eau-là jaillit à la vie éternelle,

Et la vague bientôt porterait doucement

L'âme persévérante et son amour fidèle

Aux pieds de votre Amour fidèle, ô Dieu clément !


La bonne mort pour quoi Vous-Même vous mourûtes

Me ressusciterait à votre éternité.

Pitié pour ma faiblesse, assistez à mes luttes

Et bénissez l'effort de ma débilité !


Pitié, Dieu pitoyable ! et m'aidez à parfaire

L'œuvre de votre Cœur adorable en sauvant

L'âme que rachetaient les affres du Calvaire ;

Père, considérez le prix de votre enfant.
Prince mort en soldat à cause de la France,

Âme certes élue,

Fier jeune homme si pur tombé plein d'espérance,

Je t'aime et te salue !


Ce monde est si mauvais, notre pauvre patrie

Va sous tant de ténèbres,

Vaisseau désemparé dont l'équipage crie

Avec des voix funèbres,


Ce siècle est un tel ciel tragique où les naufrages

Semblent écrits d'avance...

Ma jeunesse, élevée aux doctrines sauvages,

Détesta ton enfance,


Et plus ****, cœur pirate épris des seuls côtes

Où la révolte naisse,

Mon âge d'homme, noir d'orages et de fautes,

Abhorrait ta jeunesse.


Maintenant j'aime Dieu dont l'amour et la foudre

M'ont fait une âme neuve,

Et maintenant que mon orgueil réduit en poudre,

Humble, accepte l'épreuve,


J'admire ton destin, j'adore, tout en larmes

Pour les pleurs de ta mère,

Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes,

Comme un héros d'Homère.


Et je dis, réservant d'ailleurs mon vœu suprême

Au lys de Louis Seize :

Napoléon qui fus digne du diadème,

Gloire à ta mort française !


Et priez bien pour nous, pour cette France ancienne,

Aujourd'hui vraiment « Sire »,

Dieu qui vous couronna, sur la terre païenne,

Bon chrétien, du martyre !
Tendre, la jeune femme rousse,

Que tant d'innocence émoustille,

Dit à la blonde jeune fille

Ces mots, tout bas, d'une voix douce :


« Sève qui monte et fleur qui pousse,

Ton enfance est une charmille :

Laisse errer mes doigts dans la mousse

Où le bouton de rose brille,


Laisse-moi, parmi l'herbe claire,

Boire les gouttes de rosée

Dont la fleur tendre est arrosée, -


« Afin que le plaisir, ma chère,

Illumine ton front candide

Comme l'aube l'azur timide. »
En route, mauvaise troupe !
Partez, mes enfants perdus !
Ces loisirs vous étaient dus :
La Chimère tend sa croupe.

Partez, grimpés sur son dos,
Comme essaime un vol de rêves
D'un malade dans les brèves
Fleurs vagues de ses rideaux.

Ma main tiède qui s'agite
Faible encore, mais enfin
Sans fièvre, et qui ne palpite
Plus que d'un effort divin,

Ma main vous bénit, petites
Mouches de mes soleils noirs
Et de mes nuits blanches. Vites,
Partez, petits désespoirs,

Petits espoirs, douleurs, joies,
Que dès hier renia
Mon coeur quêtant d'autres proies.
Allez, 'aegri somnia'.
PROLOGUE D'UN LIVRE DONT IL NE PARAITRA

QUE LES EXTRAITS CI-APRÈS.


Ce n'est pas de ces dieux foudroyés.

Ce n'est pas encore une infortune

Poétique autant qu'inopportune,

Lecteur de bon sens, ne fuyez !


On sait trop tout le prix du malheur

Pour le perdre en disert gaspillage.

Vous n'aurez ni mes traits ni mon âge,

Ni le vrai mal secret de mon cœur.


Et de ce que ces vers maladifs

Furent faits en prison, pour tout dire,

On ne va pas crier au martyre.

Que Dieu vous garde des expansifs !


On vous donne un livre fait ainsi.

Prenez-le pour ce qu'il vaut en somme.

C'est l'ægri somnium d'un brave homme

Étonné de se trouver ici.


On y met, avec la « bonne foy »,

L'orthographe à peu près qu'on possède

Regrettant de n'avoir à son aide

Que ce prestige d'être bien soi.


Vous lirez ce libelle tel quel,

Tout ainsi que vous feriez d'un autre.

Ce vœu bien modeste est le seul nôtre.

N'étant guère après tout criminel.


Un mot encor, car je vous dois

Quelque lueur en définitive

Concernant la chose qui m'arrive :

Je compte parmi les maladroits.


J'ai perdu ma vie, et je sais bien

Que tout blâme sur moi s'en va fondre ;

A cela je ne puis que répondre

Que je suis vraiment né Saturnien.
Le couchant dardait ses rayons suprêmes

Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;

Les grands nénuphars entre les roseaux

Tristement luisaient sur les calmes eaux.

Moi j'errais tout seul, promenant ma plaie

Au long de l'étang, parmi la saulaie

Où la brume vague évoquait un grand

Fantôme laiteux se désespérant

Et pleurant avec la voix des sarcelles

Qui se rappelaient en battant des ailes

Parmi la saulaie où j'errais tout seul

Promenant ma plaie ; et l'épais linceul

Des ténèbres vint noyer les suprêmes

Rayons du couchant dans ses ondes blêmes

Et les nénuphars, parmi les roseaux,

Les grands nénuphars sur les calmes eaux.
Contrition parfaite,

Les anges sont en fêtes

Mieux d'un pêcheur contrit que d'un juste qui meurt.


Bon propos, la victoire

Préparée et la gloire

Presque déjà dans l'au-delà sans choc ni heurt.


Absolution sainte

Savourée avec crainte

D'en être indigne encor, d'en peut-être abuser.


Rentrée emmi le monde

Et son horreur profonde

Avec un cœur d'amour qui ne sait biaiser,


Car c'est l'amour divine

Qui prévoit et devine

Les pièges, le manège et les tours du Péché.


Garde à toi tout de même,

Gare au trompeur suprême,

Chrétien certes fidèle encore qu'empêché


Par l'extase première

D'avoir vu la Lumière,

Et les yeux éblouis et tous les sens tremblants.


Ô chrétien nouveau, prie

A la Vierge Marie,

Et marche vers la bonne mort à pas bien lents.
Puis, déjà très anciens,

Des songes de souvenirs,

Si doux nécromanciens

D'encor pires avenirs :


Une fille, presque enfant,

Quasi zézayante un peu,

Dont on s'éprit en rêvant,

Et qu'on aima dans le bleu.


Mains qu'on baisa que souvent

Bouche aussi, cheveux aussi !

C'était l'âge triomphant

Sans feintise et sans souci.


Puis on eut tous les deux tort,

Mais l'autre n'en convient pas.

Et si c'est pour l'un la mort,

Pour l'autre c'est le trépas.


Montrez-vous, Dieu de douceur,

Fût-ce au suprême moment,

Pour qu'aussi l'âme, ma sœur,

Revive éternellement.
Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore,

Puisque, après m'avoir fui longtemps, l'espoir veut bien

Revoler devers moi qui l'appelle et l'implore,

Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,


C'en est fait à présent des funestes pensées,

C'en est fait des mauvais rêves, ah ! c'en est fait

Surtout de l'ironie et des lèvres pincées

Et des mots où l'esprit sans l'âme triomphait.


Arrière aussi les poings crispés et la colère

A propos des méchants et des sots rencontrés ;

Arrière la rancune abominable ! arrière

L'oubli qu'on cherche en des breuvages exécrés !


Car je veux, maintenant qu'un Être de lumière

A dans ma nuit profonde émis cette clarté

D'une amour à la fois immortelle et première,

De par la grâce, le sourire et la bonté,


Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces,

Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,

Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses

Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ;


Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,

Vers le but où le sort dirigera mes pas,

Sans violence, sans remords et sans envie :

Ce sera le devoir heureux aux gais combats.


Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,

Je chanterai des airs ingénus, je me dis

Qu'elle m'écoutera sans déplaisir sans doute ;

Et vraiment je ne veux pas d'autre Paradis.
« Quand je cause avec toi paisiblement,

Ce m'est vraiment charmant, tu causes si paisiblement !


Quand je dispute et te fais des reproches,

Tu disputes, c'est drôle, et me fais aussi des reproches.


S'il m'arrive, hélas ! d'un peu te tromper,

misère ! tu cours la ville afin de me tromper.


Et si je suis depuis des temps fidèle,

Tu me restes, durant juste tous ces temps-là, fidèle.


Suis-je heureux, tu te montres plus heureuse

Encore, et je suis plus heureux, d'enfin ! te voir heureuse.


Pleuré-je, tu pleures à mon côté.

Suis-je pressant, tu viens bien gentiment de mon côté.


Quand je me pâme, lors tu te pâmes.

Et je me pâme plus de sentir qu'aussi tu te pâmes.


Ah ! dis quand je mourrai, mourras-tu, toi ? »

Elle : « Comme je t'aimais mieux, je mourrai plus que toi. »


... Et je me réveillai de ce colloque

Hélas ! C'était un rêve (un rêve ou bien quoi ?) ce colloque.
Quand tu me racontes les frasques

De ta chienne de vie aussi,

Mes pleurs tombent gros, lourds, ainsi

Que des fontaines dans des vasques,

Et mes longs soupirs condolents

Se mêlent à tes récits lents.


Tu me dis tes amours premières :

Fille des champs avec des gars,

Puis fille en ville aux fols écarts

Et les trahisons coutumières

Et mutuelles sans remord

Des deux parts et comme d'accord.


Tout d'un coup un caprice vite

Mûri, par l'us, en passion

Sauvage, tel l'humble scion

Grandissant en palme subite

Qu'agiterait dans quelque vert

Paysage un vent du désert.


Fidèle, toi, l'autre, infidèle.

Toi douloureuse, lâche, enfin

Furieuse, soûle du vin

Du vice, essorant d'un coup d'aile

Ton cœur comme un aigle blessé,

Mais sans pouvoir fuir le passé...


Je t'écoute, et ma pitié toute.

Toute mon admiration,

Une indicible affection,

Sinon celle d'un pur amour

Te vont de moi par quelle route

Qui souffrirait, chère, à son tour,


Qui souffrira, j'en ai la crainte.

Qui souffre déjà, tu le sais,

Toi parfois mauvaise à l'excès.

Charmante aussi comme une sainte

Envers ce moi, bon vieil amant,

Le dernier, hein, probablement ?
Qu'en dis-tu, voyageur, des pays et des gares ?

Du moins as-tu cueilli l'ennui, puisqu'il est mûr,

Toi que voilà fumant de maussades cigares,

Noir, projetant une ombre absurde sur le mur ?


Tes yeux sont aussi morts depuis les aventures,

Ta grimace est la même et ton deuil est pareil :

Telle la lune vue à travers des mâtures,

Telle la vieille mer sous le jeune soleil,


Tel l'ancien cimetière aux tombes toujours neuves !

Mais voyons, et dis-nous les récits devinés,

Ces désillusions pleurant le long des fleuves,

Ces dégoûts comme autant de fades nouveau-nés,


Ces femmes ! Dis les gaz, et l'horreur identique

Du mal toujours, du laid partout sur tes chemins,

Et dis l'Amour et dis encor la Politique

Avec du sang déshonoré d'encre à leurs mains.


Et puis surtout ne va pas t'oublier toi-même

Traînassant ta faiblesse et ta simplicité

Partout où l'on bataille et partout où l'on aime,

D'une façon si triste et folle, en vérité !


A-t-on assez puni cette lourde innocence ?

Qu'en dis-tu ? L'homme est dur, mais la femme ? Et tes pleurs,

Qui les a bus ? Et quelle âme qui les recense

Console ce qu'on peut appeler tes malheurs ?


Ah les autres, ah toi ! Crédule à qui te flatte,

Toi qui rêvais (c'était trop excessif, aussi)

Je ne sais quelle mort légère et délicate ?

Ah toi, l'espèce d'ange avec ce vœu transi !


Mais maintenant les plans, les buts ? Es-tu de force,

Ou si d'avoir pleuré t'a détrempé le cœur ?

L'arbre est tendre s'il faut juger d'après l'écorce,

Et tes aspects ne sont pas ceux d'un grand vainqueur.


Si gauche encore ! avec l'aggravation d'être

Une sorte à présent d'idyllique engourdi

Qui surveille le ciel bête par la fenêtre

Ouverte aux yeux matois du démon de midi.


Si le même dans cette extrême décadence !

Enfin ! - Mais à ta place un être avec du sens,

Payant les violons voudrait mener la danse,

Au risque d'alarmer quelque peu les passants.


N'as-tu pas, en fouillant les recoins de ton âme,

Un beau vice à tirer comme un sabre au soleil,

Quelque vice joyeux, effronté, qui s'enflamme

Et vibre, et darde rouge au front du ciel vermeil ?


Un ou plusieurs ? Si oui, tant mieux ! Et pars bien vite

En guerre, et bats d'estoc et de taille, sans choix

Surtout, et mets ce masque indolent où s'abrite

La haine inassouvie et repue à la fois...


Il faut n'être pas dupe en ce farceur de monde

Où le bonheur n'a rien d'exquis et d'alléchant

S'il n'y frétille un peu de pervers et d'immonde,

Et pour n'être pas dupe il faut être méchant.


- Sagesse humaine, ah ! j'ai les yeux sur d'autres choses,

Et parmi ce passé dont ta voix décrivait

L'ennui, pour des conseils encore plus moroses,

Je ne me souviens plus que du mal que j'ai fait.


Dans tous les mouvements bizarres de ma vie,

De mes « malheurs », selon le moment et le lieu,

Des autres et de moi, de la route suivie,

Je n'ai rien retenu que la grâce de Dieu.


Si je me sens puni, c'est que je le dois être.

Ni l'homme ni la femme ici ne sont pour rien.

Mais j'ai le ferme espoir d'un jour pouvoir connaître

Le pardon et la paix promis à tout Chrétien.


Bien de n'être pas dupe en ce monde d'une heure,

Mais pour ne l'être pas durant l'éternité,

Ce qu'il faut à tout prix qui règne et qui demeure,

Ce n'est pas la méchanceté, c'est la bonté.
Que ton âme soit blanche ou noire,

Que fait ? Ta peau de jeune ivoire

Est rose et blanche et jaune un peu.

Elle sent bon, ta chair, perverse

Ou non, que fait ? puisqu'elle berce

La mienne de chair, nom de Dieu !


Elle la berce, ma chair folle,

Ta folle de chair, ma parole

La plus sacrée ! - et que donc bien !

Et la mienne, grâce à la tienne,

Quelque réserve qui la tienne,

Elle s'en donne, nom d'un chien !


Quant à nos âmes, dis, Madame,

Tu sais, mon âme et puis ton âme,

Nous en moquons-nous ? Que non pas !

Seulement nous sommes au monde.

Ici-bas, sur la terre ronde,

Et non au ciel, mais ici-bas.


Or, ici-bas, faut qu'on profite

Du plaisir qui passe si vite

Et du bonheur de se pâmer,

Aimons, ma petite méchante,

Telle l'eau va, tel l'oiseau chante,

Et tels, nous ne devons qu'aimer.
Quinze longs jours encore et plus de six semaines

Déjà ! Certes, parmi les angoisses humaines

La plus dolente angoisse est celle d'être ****.


On s'écrit, on se dit que l'on s'aime ; on a soin

D'évoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste

De l'être en qui l'on mit son bonheur, et l'on reste

Des heures à causer tout seul avec l'absent.

Mais tout ce que l'on pense et tout ce que l'on sent

Et tout ce dont on parle avec l'absent, persiste

À demeurer blafard et fidèlement triste.


Oh ! l'absence ! le moins clément de tous les maux !

Se consoler avec des phrases et des mots,

Puiser dans l'infini morose des pensées

De quoi vous rafraîchir, espérances lassées,

Et n'en rien remonter que de fade et d'amer !

Puis voici, pénétrant et froid comme le fer,

Plus rapide que les oiseaux et que les balles

Et que le vent du sud en mer et ses rafales

Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison,

Voici venir, pareil aux flèches, le soupçon

Décoché par le Doute impur et lamentable.


Est-ce bien vrai ? tandis qu'accoudé sur ma table

Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,

Sa lettre, où s'étale un aveu délicieux,

N'est-elle pas alors distraite en d'autres choses ?

Qui sait ? Pendant qu'ici pour moi lents et moroses

Coulent les jours, ainsi qu'un fleuve au bord flétri,

Peut-être que sa lèvre innocente a souri ?

Peut-être qu'elle est très joyeuse et qu'elle oublie ?


Et je relis sa lettre avec mélancolie.
Tout enfant, j'allais rêvant Ko-Hinnor,

Somptuosité persane et papale

Héliogabale et Sardanapale !


Mon désir créait sous des toits en or,

Parmi les parfums, au son des musiques,

Des harems sans fin, paradis physiques !


Aujourd'hui, plus calme et non moins ardent,

Mais sachant la vie et qu'il faut qu'on plie,

J'ai dû refréner ma belle folie,

Sans me résigner par trop cependant.


Soit ! le grandiose échappe à ma dent,

Mais, fi de l'aimable et fi de la lie !

Et je hais toujours la femme jolie,

La rime assonante et l'ami prudent.
Entends les pompes qui font

Le cri des chats.

Des sifflets viennent et vont

Comme en pourchas.

Ah, dans ces tristes décors

Les Déjàs sont les Encors !


Ô les vagues Angélus !

(Qui viennent d'où ?)

Vois s'allumer les Saluts

Du fond d'un trou.

Ah, dans ces mornes séjours

Les Jamais sont les Toujours !


Quels rêves épouvantés,

Vous grands murs blancs !

Que de sanglots répétés,

Fous ou dolents !

Ah, dans ces piteux retraits

Les Toujours sont les Jamais !


Tu meurs doucereusement,

Obscurément,

Sans qu'on veille, ô cœur aimant.

Sans testament !

Ah, dans ces deuils sans rachats

Les Encors sont les Déjàs !
Riche ventre qui n'a jamais porté,

Seins opulents qui n'ont pas allaité,

Bras frais et gras, purs de tout soin servile,


Beau cou qui n'a plié que sous le poids

De lents baisers à tous les chers endroits,

Menton où la paresse se profile,


Bouche éclatante et rouge d'où jamais

Rien n'est sorti que propos que j'aimais,

Oiseux et gais - et quel nid de délices !


Nez retroussé quêtant les seuls parfums

De la santé robuste, yeux plus que bruns

Et moins que noirs, indulgemment complices,


Front peu penseur mais pour cela bien mieux,

Longs cheveux noirs dont le grand flot soyeux,

Jusques aux reins lourdement se hasarde,


Croupe superbe éprise de loisir

Sauf aux travaux du suprême plaisir,

Aux gais combats dont c'est l'arrière-garde,


Jambes enfin, vaillantes seulement

Dans le plaisant déduit au bon moment

Serrant mon buste et ballant vers la nue,


Puis, au repos, - cuisses, genoux, mollet, -

Fleurant comme ambre et blanches comme lait

- Tel le pastel d'après ma femme nue.
La myrrhe, l'or et l'encens

Sont des présents moins aimables

Que de plus humbles présents

Offerts aux Yeux adorables

Qui souriront plutôt mieux

A de simples vœux pieux.


Le voyage des Rois Mages

Certes agrée au Seigneur.

Il accepte ces hommages

Et les tient en haut honneur ;

Mais d'un pécheur qui s'amende

Pour lui la gloire est plus grande.


Dans ce sublime concours

D'adorations premières,

Jésus goûtera toujours

Davantage les prières

Des misérables et leur

Garde un royaume meilleur.


Les anges et les archanges

Qui réveillent les bergers,

Voix d'espoir et de louanges

Aux hommes encouragés,

Priment dans l'azur sans voile

La miraculeuse étoile...

Riches, pauvres, faisons-nous

Néant devant toi, le Maître,

De Ton saint nom seuls jaloux :

Tu sauras bien reconnaître

Et magnifier les tiens,

Riches, pauvres, tous chrétiens.
Sagesse d'un Louis Racine, je t'envie !

Ô n'avoir pas suivi les leçons de Rollin,

N'être pas né dans le grand siècle à son déclin,

Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie,


Quand Maintenon jetait sur la France ravie

L'ombre douce et la paix de ses coiffes de lin,

Et royale abritait la veuve et l'orphelin,

Quand l'étude de la prière était suivie,


Quand poète et docteur, simplement, bonnement,

Communiaient avec des ferveurs de novices,

Humbles servaient la Messe et chantaient aux offices


Et, le printemps venu, prenaient un soin charmant

D'aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses

En louant Dieu, comme Garo, de toutes choses !
Jour de la canonisation


Comme l'Église est bonne en ce siècle de haine,

D'orgueil et d'avarice et de tous les péchés,

D'exalter aujourd'hui le caché des cachés,

Le doux entre les doux à l'ignorance humaine


Et le mortifié sans pair que la Foi mène,

Saignant de pénitence et blanc d'extase, chez

Les peuples et les saints, qui, tous sens détachés,

Fit de la Pauvreté son épouse et sa reine,


Comme un autre Alexis, comme un autre François,

Et fut le Pauvre affreux, angélique, à la fois

Pratiquant la douceur, l'horreur de l'Évangile !


Et pour ainsi montrer au monde qu'il a tort

Et que les pieds crus d'or et d'argent sont d'argile,

Comme l'Église est tendre et que Jésus est fort !
Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit

La reine d'ici-bas, et littéralement !

Elle dit peu de mots de ce gouvernement

Et ne s'arrête point aux détails de surcroît ;


Mais le Point, à son sens, celui qu'il faut qu'on voie

Et croie, est ceci dont elle la complimente :

Le libre arbitre pèse, arguë et parlemente.

Puis le pauvre-de-cœur décide et suit sa voie.


Qui l'en empêchera ? De vœux il n'en a plus

Que celui d'être un jour au nombre des élus,

Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain,


Prodigue et dédaigneux, sur tous, des choses eues,

Mais accumulateur des seules choses sues.

De quel si fier sujet, et libre, quelle reine !
A Léon Bloy


Parfois je sens, mourant des temps où nous vivons,

Mon immense douleur s'enivrer d'espérance.

En vain l'heure honteuse ouvre des trous profonds,

En vain bâillent sous nous les désastres sans fonds

Pour engloutir l'abus de notre âpre souffrance,

Le sang de Jésus-Christ ruisselle sur France.


Le précieux Sang coule à flots de ses autels

Non encor renversés, et coulerait encore

Le fussent-ils, et quand nos malheurs seraient tels

Que les plus forts, cédant à ces effrois mortels,

Eux-mêmes subiraient la loi qui déshonore,

De l'ombre des cachots il jaillirait encore.


Il coulerait encor des pierres des cachots,

Descellerait l'horreur des ciments, doux et rouge

Suintement, torrent patient d'oraisons,

D'expiation forte et de bonnes raisons

Contre les lâchetés et les « feux sur qui bouge ! »

Et toute guillotine et cette Gueuse rouge !...


Torrent d'amour du Dieu d'amour et de douceur,

Fût-ce parmi l'horreur de ce monde moqueur,

Fleuve rafraîchissant de feu qui désaltère,

Source vive où s'en vient ressusciter le cœur

Même de l'assassin, même de l'adultère,

Salut de la patrie, ô sang qui désaltère !
Cruel Hérode, noir Péché,

De tes sept glaives tu poursuis

Les innocents, lesquels je suis

Dans mes cinq sens, - et, qu'empêché

Me voici pour, las ! me défendre !


L'argile dont Dieu les forma,

Leur faiblesse à ces tristes sens

Par quoi je suis les innocents

Que l'on immole dans Rama,

Trahissent leur âge trop tendre.


Nulle fuite. Mais mon Sauveur,

Assumant mon sort et ma mort,

Vit en Égypte dont il sort

À temps pour l'insigne faveur

Qu'il me fait de donner sa vie


Et sa pensée à mon bonheur

Éternel, et, par l'action

Sûre de l'absolution

De son prêtre à lui, le Seigneur,

Ressuscite ma chair ravie.
Saint est l'homme au sortir du baptême,

Petit enfant humble et ne tétant pas même,

Et si pur alors qu'il est la pureté suprême.


Saint est l'homme après l'Eucharistie.

La chair de Jésus a sa chair investie

De force sage et de divine modestie.


Saint l'homme quand clos ses jours débiles,

Dans l'heur et dans le pardon des Saintes Huiles,

Et l'essor soudain vers des séjours enfin tranquilles.


Les cieux sont pleins, Juste, de ta gloire.

La terre en bas vénérera ta mémoire,

Béni soit celui qui vient au Nom qu'il nous faut croire !


Hosanna sur terre et dans les cieux.

Deux fois hosanna pour l'homme glorieux !

Trois fois hosanna pour Dieu miséricordieux.
Furieuse, les yeux caves et les seins roides,

Sappho, que la langueur de son désir irrite,

Comme une louve court le long des grèves froides,


Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,

Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,

Arrache ses cheveux immenses par poignées ;


Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,

Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire

De ses amours chantés en vers que la mémoire

De l'âme va redire aux vierges endormies :


Et voilà qu'elle abat ses paupières blêmies

Et saute dans la mer où l'appelle la Moire, -

Tandis qu'au ciel éclate, incendiant l'eau noire,

La pâle Séléné qui venge les Amies.
Brune encore non eue,

Je te veux presque nue

Sur un canapé noir

Dans un jaune boudoir,

Comme en mil huit cent trente.


Presque nue et non nue

À travers une nue

De dentelles montrant

Ta chair où va courant

Ma bouche délirante.


Je te veux trop rieuse

Et très impérieuse,

Méchante et mauvaise et

Pire s'il te plaisait,

Mais si luxurieuse !


Ah ! ton corps noir et rose

Et clair de lune ! Ah ! pose

Ton coude sur mon cœur,

Et tout ton corps vainqueur,

Tout ton corps que j'adore !


Ah ! ton corps, qu'il repose

Sur mon âme morose

Et l'étouffe s'il peut,

Si ton caprice veut !

Encore, encore, encore !


Splendides, glorieuses,

Bellement furieuses

Dans leurs jeunes ébats,

Fous mon orgueil en bas

Sous tes fesses joyeuses !
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