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Seigneur, vous m'avez laissé vivre

Pour m'éprouver jusqu'à la fin.

Vous châtiez cette chair ivre,

Par la douleur et par la faim !

Et Vous permîtes que le diable

Tentât mon âme misérable

Comme l'âme forte de Job,

Puis Vous m'avez envoyé l'ange

Qui gagea le combat étrange

Avec le grand aïeul Jacob


Mon enfance, elle fut joyeuse :

Or je naquis choyé, béni

Et je crûs, chair insoucieuse,

Jusqu'au temps du trouble infini

Qui nous prend comme une tempête,

Nous poussant comme par la tête

Vers l'abîme et prêts à tomber ;

Quant à moi, puisqu'il faut le dire.

Mes sens affreux et leur délire

Allaient me faire succomber,


Quand Vous parûtes, Dieu de grâce

Qui savez tout bien arranger,

Qui Vous mettez bien à la place,

L'auteur et l'ôteur du danger,

Vous me punîtes par moi-même

D'un supplice cru le suprême

(Oui, ma pauvre âme le croyait)

Mais qui n'était au fond rien qu'une

Perche tendue, ô qu'opportune !

A mon salut qui se noyait.


Comprises les dures délices,

J'ai marché dans le droit sentier,

Y cueillant sous des cieux propices

Pleine paix et bonheur entier,

Paix de remplir enfin ma tâche,

Bonheur de n'être plus un lâche

Épris des seules voluptés

De l'orgueil et de la luxure,

Et cette fleur, l'extase pure

Des bons projets exécutés,


C'est alors que la mort commence

Son œuvre inexpiable ? Non,

Mais qui me saisit de démence

Bien qu'encor criant Votre nom.

L'Ami me meurt, aussi la Mère,

Une rancune plus qu'amère

Me piétine en ce dur moment

Et me cantonne en la misère,

Dans la littérale misère,

Du froid, et du délaissement !


Tout s'en mêle : la maladie

Vient en aide à l'autre fléau.

Le guignon, comme un incendie

Dans un pays où manque l'eau,

Ravage et dévaste ma vie,

Traînant à sa suite l'envie,

L'ordre, l'obsèque trahison,

La sale pitié dérisoire,

Jusqu'à cette rumeur de gloire

Comme une insulte à la raison !


Ces mystères, je les pénètre ;

Tous les mystères, je les connais,

Oui, certes, Vous êtes le maître

Dont les rigueurs sont les bienfaits.

Mais, ô Vous, donnez-moi la force,

Donnez, comme à l'arbre l'écorce.

Comme l'instinct à l'animal,

Donnez à ce cœur votre ouvrage,

Seigneur, la force et le courage

Pour le bien et contre le mal.


Mais, hélas ! je ratiocine

Sur mes fautes et mes douleurs,

Espèce de mauvais Racine

Analysant jusqu'à mes pleurs.

Dans ma raison mal assagie,

Je fais de la psychologie

Au lieu d'être un cœur pénitent

Tout simple et tout aimable en somme.

Sans plus l'astuce du vieil homme

Et sans plus l'orgueil protestant...


Je crois en l'Église romaine,

Catholique, apostolique et

La seule humaine qui nous mène

Au but que Jésus indiquait,

La seule divine qui porte

Notre croix jusques à la porte

Des libres cieux enfin ouverts.

Qui la porte par vos bras même,

O grand Crucifié suprême

Donnant pour nous vos maux soufferts.


Je crois en la toute-présense,

A la messe de Jésus-Christ,

Je crois à la toute-puissance

Du Sang que pour nous il offrit

Et qu'il offre au seul Juge encore

Par ce mystère que j'adore

Qui fait qu'un homme vain, menteur,

Pourvu qu'il porte le vrai signe

Qui le consacre entre tous digne,

Puisse créer le Créateur.


Je confesse la Vierge unique,

Reine de la neuve Sion,

Portant aux plis de sa tunique

La grâce et l'intercession.

Elle protège l'innocence,

Accueille la résipiscence,

Et debout quand tous à genoux,

Impêtre le pardon du Père

Pour le pécheur qui désespère...

Mère du fils, priez pour nous !
Comme la voix d'un mort qui chanterait

Du fond de sa fosse,

Maîtresse, entends monter vers ton retrait

Ma voix aigre et fausse.


Ouvre ton âme et ton oreille au son

De ma mandoline :

Pour toi j'ai fait, pour toi, cette chanson

Cruelle et câline.


Je chanterai tes yeux d'or et d'onyx

Purs de toutes ombres,

Puis le Léthé de ton sein, puis le Styx

De tes cheveux sombres.


Comme la voix d'un mort qui chanterait

Du fond de sa fosse,

Maîtresse, entends monter vers ton retrait

Ma voix aigre et fausse.


Puis je louerai beaucoup, comme il convient,

Cette chair bénie

Dont le parfum opulent me revient

Les nuits d'insomnie.


Et pour finir, je dirai le baiser

De ta lèvre rouge,

Et ta douceur à me martyriser,

- Mon Ange ! - ma Gouge !


Ouvre ton âme et ton oreille au son

De ma mandoline :

Pour toi j'ai fait, pour toi, cette chanson

Cruelle et câline.
Si tu le veux bien, divine Ignorante,

Je ferai celui qui ne sait plus rien

Que te caresser d'une main errante.

En le geste expert du pire vaurien,


Si tu le veux bien, divine Ignorante.


Soyons scandaleux sans plus nous gêner

Qu'un cerf et sa biche ès bois authentiques.

La honte, envoyons-la se promener.

Même exagérons et, sinon cyniques,


Soyons scandaleux sans plus nous gêner.


Surtout ne parlons pas littérature.

Au diable lecteurs, auteurs, éditeurs

Surtout ! Livrons-nous à notre nature

Dans l'oubli charmant de toutes pudeurs,


Et, ô ! ne parlons pas littérature !


Jouir et dormir, ce sera, veux-tu ?

Notre fonction première et dernière,

Notre seule et notre double vertu,

Conscience unique, unique lumière.


Jouir et dormir, m'amante, veux-tu ?
Sois de bronze et de marbre et surtout sois de chair

Certes, prise l'orgueil nécessaire plus cher,

Pour ton combat avec les contingences vaines ;

Que les poils de ta barbe ou le sang de tes veines ;

Mais vis, vis pour souffrir, souffre pour expier,

Expie et va-t'en vivre et puis reviens prier,

Prier pour le courage et la persévérance

De vivre dans ce siècle, hélas ! et cette France,

Siècle et France ignorants et tristement railleurs.

(Mais le règne est plus haut et la patrie ailleurs

Et la solution est autre du problème.)

Sois de chair et même aime cette chair, la même

Que celle de Jésus sur terre et dans les cieux,

Et dans le Très Saint-Sacrement si précieux

Qu'il n'est de comparable à sa valeur que celle

De ta chair vénérable en sa moindre parcelle

Et dans le moindre grain de l'Hostie à l'autel ;

Car ce mystère, l'Incarnation, est tel,

Par l'exégèse autour comme par sa nature ;

Qu'il fait égale au Créateur la créature,

Cependant que, par un miracle encor plus grand,

L'Eucharistie, elle, les confond et les rend

Identiques. Or cette chair expiatoire.

Fais-t'en une arme douloureuse de victoire

Sur l'orgueil que Satan peut d'elle t'inspirer

Pour l'orgueil qu'à jamais tu peux considérer

Comme le prix suprême et le but enviable.

Tout le reste n'est rien que malice du diable !

Alors, oui, sois de bronze impassible, revêts

L'armure inaccessible à braver le Mauvais,

Pudeur, Calme, Respect, Silence et Vigilance.

Puis sois de marbre, et pur, sous le heaume qui lance

Par ses trous le regard de tes yeux assurés,

Marche à pas révérents sur les parvis sacrés.
Une aube affaiblie

Verse par les champs

La mélancolie

Des soleils couchants.


La mélancolie

Berce de doux chants

Mon coeur qui s'oublie

Aux soleils couchants.


Et d'étranges rêves,

Comme des soleils

Couchants, sur les grèves,

Fantômes vermeils,


Défilent sans trêves,

Défilent, pareils

A de grands soleils

Couchants sur les grèves.
Son bras droit, dans un geste aimable de douceur,

Repose autour du cou de la petite soeur,

Et son bras gauche suit le rythme de la jupe.

A coup sûr une idée agréable l'occupe,

Car ses yeux si francs, car sa bouche qui sourit,

Témoignent d'une joie intime avec esprit.

Oh ! sa pensée exquise et fine, quelle est-elle ?

Toute mignonne, tout aimable, et toute belle,

Pour ce portrait, son goût infaillible a choisi

La pose la plus simple et la meilleure aussi :

Debout, le regard droit, en cheveux ; et sa robe

Est longue juste assez pour qu'elle ne dérobe

Qu'à moitié sous ses plis jaloux le bout charmant

D'un pied malicieux imperceptiblement.
Ah ! vraiment c'est triste, ah ! vraiment ça finit trop mal,

Il n'est pas permis d'être à ce point infortuné.

Ah ! vraiment c'est trop la mort du naïf animal

Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.


Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible !

Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.

Et les maisons dans leur ratatinement terrible

Epouvantent comme un sénat de petites vieilles.


Tout l'affreux passé saute, piaule, miaule et glapit

Dans le brouillard rose et jaune et sale des Sohos

Avec des « indeeds » et des « all rights » et des « haôs ».


Non vraiment c'est trop un martyre sans espérance,

Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c'est triste

O le feu du ciel sur cette ville de la Bible !
La Gueule parle : « L'or, et puis encore l'or,

Toujours l'or, et la viande, et les vins, et la viande,

Et l'or pour les vins fins et la viande, on demande

Un trou sans fond pour l'or toujours et l'or encor ! »


La Panse dit : « À moi la chute du trésor !

La viande, et les vins fins, et l'or, toute provende,

À moi ! Dégringolez dans l'outre toute grande

Ouverte du Seigneur Nabuchodonosor ! »


L'œil est de pur cristal dans les suifs de la face :

Il brille, net et franc, près du vrai, rouge et faux,

Seule perfection parmi tous les défauts.


L'Âme attend vainement un remords efficace,

Et dans l'impénitence agonise de faim

Et de soif, et sanglote en pensant à La Fin
Les roses étaient toutes rouges
Et les lierres étaient tout noirs.

Chère, pour peu que tu ne bouges,
Renaissent tous mes désespoirs.

Le ciel était trop bleu, trop tendre,
La mer trop verte et l'air trop doux.

Je crains toujours, - ce qu'est d'attendre !
Quelque fuite atroce de vous.

Du houx à la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,

Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hélas !
I


Dansons la gigue !


J'aimais surtout ses jolis yeux,

Plus clairs que l'étoile des cieux,

J'aimais ses yeux malicieux.


Dansons la gigue !


Elle avait des façons vraiment

De désoler un pauvre amant,

Que c'en était vraiment charmant !


Dansons la gigue !


Mais je trouve encore meilleur

Le baiser de sa bouche en fleur,

Depuis qu'elle est morte à mon cœur.


Dansons la gigue !


Je me souviens, je me souviens

Des heures et des entretiens,

Et c'est le meilleur de mes biens.


Dansons la gigue !


Soho.


II


Ô la rivière dans la rue !

Fantastiquement apparue

Derrière un mur haut de cinq pieds,

Elle roule sans un murmure

Son onde opaque et pourtant pure,

Par les faubourgs pacifiés.


La chaussée est très large, en sorte

Que l'eau jaune comme une morte

Dévale ample et sans nuls espoirs

De rien refléter que la brume,

Même alors que l'aurore allume

Les cottages jaunes et noirs.


Paddington
Les petits ifs du cimetière

Frémissent au vent hiémal,

Dans la glaciale lumière.


Avec des bruits sourds qui font mal,

Les croix de bois des tombes neuves

Vibrent sur un ton anormal.


Silencieux comme les fleuves,

Mais gros de pleurs comme eux de flots,

Les fils, les mères et les veuves,


Par les détours du triste enclos,

S'écoulent, - lente théorie,

Au rythme heurté des sanglots.


Le sol sous les pieds glisse et crie,

Là-haut de grands nuages tors

S'échevèlent avec furie.


Pénétrant comme le remords,

Tombe un froid lourd qui vous écœure,

Et qui doit filtrer chez les morts,


Chez les pauvres morts, à toute heure

Seuls, et sans cesse grelottants,

- Qu'on les oublie ou qu'on les pleure ! -


Ah ! vienne vite le Printemps,

Et son clair soleil qui caresse,

Et ses doux oiseaux caquetants !


Refleurisse l'enchanteresse

Gloire des jardins et des champs

Que l'âpre hiver tient en détresse !


Et que, - des levers aux couchants,

L'or dilaté d'un ciel sans bornes

Berce de parfums et de chants,


Chers endormis, vos sommeils mornes !
Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles :

L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde

Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde

Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles.


Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles,

Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde,

Savouraient à longs traits l'émotion profonde

Du soir et le bonheur triste des coeurs fidèles,


Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,

Couple étrange qui prend pitié des autres couples,

Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.


Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,

Emphatique comme un trône de mélodrames

Et plein d'odeurs, le Lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre.
Le Point du Jour, le point blanc de Paris,

Le seul point blanc, grâce à tant de bâtisse

Et neuve et laide et que je t'en ratisse,

Le Point du Jour aurore des paris !


Le bonneteau fleurit « dessur » la berge,

La bonne tôt s'y déprave, tant pis

Pour elle et tant mieux pour le birbe gris

Qui lui du moins la croit encore vierge.


Il a raison le vieux, car voyez donc

Comme est joli toujours le paysage :

Paris au ****, triste et ***, fol et sage,

Et le Trocadéro, ce cas, au fond,


Puis la verdure et le ciel et les types

Et la rivière obscène et molle, avec

Des gens trop beaux, leur cigare à leur bec,

Épatants ces metteurs-au-vent de tripes !
L'abbé divague. - Et toi, marquis,

Tu mets de travers ta perruque.

- Ce vieux vin de Chypre est exquis

Moins, Camargo, que votre nuque.


- Ma flamme ... - Do, mi, sol, la, si.

L'abbé, ta noirceur se dévoile !

- Que je meure, mesdames, si

Je ne vous décroche une étoile !


- Je voudrais être petit chien !

- Embrassons nos bergères, l'une

Après l'autre. - Messieurs, eh bien ?

- Do, mi, sol. - Hé ! bonsoir la Lune !
Eh quoi ! Dans cette ville d'eaux.

Trêve, repos, paix, intermède,

Encor toi de face et de dos,

Beau petit ami Ganymède,


L'aigle t'emporte, on dirait comme

Amoureux de parmi les fleurs.

Son aile, d'élans économe,

Semble le vouloir par ailleurs


Que chez ce Jupin tyrannique,

Comme qui dirait au Revard,

Et son œil qui nous fait la nique

Te coule un drôle de regard.


Bah ! reste avec nous, bon garçon,

Notre ennui, viens donc le distraire

Un peu de la bonne façon,

N'es-tu pas notre petit frère ?
(Sur un reliquaire qu'on lui avait dérobé)

Seul bijou de ma pauvreté.

Ton mince argent, ta perle fausse

(En tout quatre francs), ont tenté

Quelqu'un dont l'esprit ne se hausse,


Parmi ces paysans cafards

À vous dégoûter d'être au monde,

- Tas d'Onans et de Putiphars ! -

Que juste au niveau de l'immonde,


Et le Témoin, et le Gardien,

Le Grain d'une poussière illustre,

Un ami du mien et du tien

Crispe sur lui sa main de rustre !


Est-ce simplement un voleur,

Ou s'il se guinde au sacrilège ?

Bah ! ces rustiques-là ! Mais leur

Gros laid vice que rien n'allège,


Ne connaît rien que de brutal

Et ne s'est jamais douté d'une

Âme immortelle. Du métal,

C'est tout ce qu'il voit dans la lune ;


Tout ce qu'il voit dans le soleil,

C'est foin épais et fumier dense,

Et quand éclot le jour vermeil,

Il suppute timbre et quittance,


Hypothèque, gens mis dedans,

Placements, la dot de la fille,

Crédits ouverts à deux battants

Et l'usure au bout qui mordille !


Donc, vol, oui, sacrilège, non.

Mais le fait monstrueux existe

Et pour cet ouvrage sans nom,

Mon âme est immensément triste.


Ô pour lui ramener la paix.

Daignez, vous, grand saint Benoît Labre,

Écouter les vœux que je fais,

Peur que ma foi ne se délabre


En voyant ce crime impuni

Rester inutile. Ô la Grâce,

Implorez-la sur l'homme, et ni

L'homme ni moi n'oublierons. Grâce !


Grâce pour le pauvre larron

Inconscient du péché pire !

Intercédez, ô bon patron,

Et qu'enfin le bon Dieu l'inspire,


Que de ce débris de ce corps

Exalté par la pénitence

Sorte une vertu de remords,

Et que l'exquis conseil le tance


Et lui montre toute l'horreur

Du vol et de ce vol impie

Avec la torpeur et l'erreur

D'un passé qu'il faut qu'il expie.


Qu'il s'émeuve à ce double objet

Et tremblant au son du tonnerre

Respecte ce qu'il outrageait

En attendant qu'il le vénère.


Et que cette conversion

L'amène à la foi de ses pères

D'avant la Révolution.

Ma Foi, dis-le-moi, tu l'espères ?


Ma foi, celle du charbonnier !

Ainsi la veux-je, et la souhaite

Au possesseur, croyons dernier,

De la sainte petite boîte !
Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles :

L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde

Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde

Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles.


Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles,

Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde,

Savouraient à longs traits l'émotion profonde

Du soir et le bonheur triste des cœurs fidèles.


Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,

Couple étrange qui prend pitié des autres couples,

Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.


Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,

Emphatique comme un trône de mélodrame

Et plein d'odeurs, le Lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre.


L'aile où je suis donnant juste sur une gare,

J'entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre

Des machines qu'on chauffe et des trains ajustés,

Et vraiment c'est des bruits de nids répercutés

À des cieux de fonte et de verre et gras de houille.

Vous n'imaginez pas comme cela gazouille

Et comme l'on dirait des efforts d'oiselets

Vers des vols tout prochains à des cieux violets

Encore et que le point du jour éclaire à peine.

Ô ces wagons qui vont dévaler dans la plaine !
« Angels », seul coin luisant dans ce Londres du soir,

Où flambe un peu de gaz et jase quelque foule,

C'est drôle que, semblable à tel très dur espoir,

Ton souvenir m'obsède et puissamment enroule

Autour de mon esprit un regret rouge et noir :


Devantures, chansons, omnibus et les danses

Dans le demi-brouillard où flue un goût de rhum,

Décence, toutefois, le souci des cadences,

Et même dans l'ivresse un certain décorum,

Jusqu'à l'heure où la brume et la nuit se font denses.


« Angels » ! jours déjà ****, soleils morts, flots taris ;

Mes vieux péchés longtemps ont rôdé par tes voies,

Tout soudain rougissant, misère ! et tout surpris

De se plaire vraiment à tes honnêtes joies,

Eux pour tout le contraire arrivés de Paris !


Souvent l'incompressible Enfance ainsi se joue,

Fût-ce dans ce rapport infinitésimal,

Du monstre intérieur qui nous crispe la joue

Au froid ricanement de la haine et du mal,

Ou gonfle notre lèvre amère en lourde moue.


L'Enfance baptismale émerge du pécheur,

Inattendue, alerte, et nargue ce farouche

D'un sourire non sans franchise ou sans fraîcheur,

Qui vient, quoi qu'il en ait, se poser sur sa bouche

À lui, par un prodige exquisement vengeur.


C'est la Grâce qui passe aimable et nous fait signe.

Ô la simplicité primitive, elle encor !

Cher recommencement bien humble ! Fuite insigne

De l'heure vers l'azur mûrisseur de fruits d'or !

« Angels » ! ô nom revu, calme et frais comme un cygne !
Ton rire éclaire mon vieux cœur

Comme une lanterne une cave

Où mûrirait tel cru vainqueur :

Aï, Beaune, Sauterne, Grave.


Ton rire éclaire mon vieux cœur.


Ta voix claironne dans mon âme :

Tel un signal d'aller au feu...

... De tes yeux en effet tout flamme

On y va, sacré nom de Dieu !


Ta voix claironne dans mon âme.


Ta manière, ton meneo,

Ton chic, ton galbe, ton que sais-je,

Me disent : « Viens ça » Prodeo.

(Ô ces souvenirs de collège ! )


Ta manière ! ton meneo !


Ta gorge, tes hanches, ton geste,

Et le reste, odeur et fraîcheur

Et chaleur m'insinuent : reste !

Si j'y reste, en ton lit mangeur !


Ta gorge, tes hanches ! ton geste !
Le poète est un fou perdu dans l'aventure,

Qui rêve sans repos de combats anciens,

De fabuleux exploits sans nombre qu'il fait siens,

Puis chante pour soi-même et la race future.


Plus ****, indifférent aux soucis qu'il endure,

Pauvreté, gloire lente, ennuis élyséens,

Il se prend en les lacs d'amours patriciens,

Et son prénom est comme une arrhe de torture.


Mais son nom, c'est bonheur ! Ah ! qu'il souffre et jouit,

Extasié le jour, halluciné la nuit

Ou réciproquement, jusqu'à ce qu'il en meure !


Armide, Éléonore, ô songe, ô vérité !

Et voici qu'il est fou pour en mourir sur l'heure

Et pour ressusciter dans l'immortalité !
Ces vrais vivants qui sont les saints,

Et les vrais morts qui seront nous,

C'est notre double fête à tous,

Comme la fleur de nos desseins,


Comme le drapeau symbolique

Que l'ouvrier plante gaîment

Au faite neuf du bâtiment,

Mais, au lieu de pierre et de brique,


C'est de notre chair qu'il s'agit,

Et de notre âme en ce nôtre œuvre

Qui, narguant la vieille couleuvre,

A force de travaux surgit.


Notre âme et notre chair domptées

Par la truelle et le ciment

Du patient renoncement

Et des heures dûment comptées.


Mais il est des âmes encor,

Il est des chairs encore comme

En chantier, qu'à tort on dénomme

Les morts, puisqu'ils vivent, trésor


Au repos, mais que nos prières

Seulement peuvent monnayer

Pour, l'architecte, l'employer

Aux grandes dépenses dernières.


Prions, entre les morts, pour maints

De la terre et du Purgatoire,

Prions de façon méritoire

Ceux de là-haut qui sont les saints.
Toute grâce et toutes nuances

Dans l'éclat doux de ses seize ans,

Elle a la candeur des enfances

Et les manèges innocents.


Ses yeux, qui sont les yeux d'un ange,

Savent pourtant, sans y penser,

Eveiller le désir étrange

D'un immatériel baiser.


Et sa main, à ce point petite

Qu'un oiseau-mouche n'y tiendrait,

Captive sans espoir de fuite,

Le coeur pris par elle en secret.


L'intelligence vient chez elle

En aide à l'âme noble ; elle est

Pure autant que spirituelle :

Ce qu'elle a dit, il le fallait


Et si la sottise l'amuse

Et la fait rire sans pitié,

Elle serait, étant la muse,

Clémente jusqu'à l'amitié,


Jusqu'à l'amour - qui sait ? peut-être,

A l'égard d'un poète épris

Qui mendierait sous sa fenêtre,

L'audacieux ! un digne prix


De sa chanson bonne ou mauvaise !

Mais témoignant sincèrement,

Sans fausse note et sans fadaise,

Du doux mal qu'on souffre en aimant.
Toutes les amours de la terre

Laissant au cœur du délétère

Et de l'affreusement amer,

Fraternelles et conjugales,

Paternelles et filiales,

Civiques et nationales.

Les charnelles, les idéales.

Toutes ont la guêpe et le ver.


La mort prend ton père et ta mère,

Ton frère trahira son frère,

Ta femme flaire un autre époux.

Ton enfant, on te l'aliène,

Ton peuple, il se pille ou s'enchaîne

Et l'étranger y pond sa haine.

Ta chair s'irrite et tourne obscène,

Ton âme flue en rêves fous.


Mais, dit Jésus, aime, n'importe !

Puis de toute illusion morte

Fais un cortège, forme un chœur,

Va devant, tel aux champs le pâtre,

Tel le coryphée au théâtre,

Tel le vrai prêtre ou l'idolâtre,

Tels les grands-parents près de l'âtre,

Oui, que devant aille ton cœur !


Et que toutes ces voix dolentes

S'élèvent rapides ou lentes,

Aigres ou douces, composant

À la gloire de Ma souffrance

Instrument de ta délivrance,

Condiment de ton espérance

Et mets de ta propre navrance.

L'hymne qui te sied à présent !
Tu bois, c'est hideux ! presque autant que moi.

Je bois, c'est honteux, presque plus que toi,

Ce n'est plus ce qu'on appelle une vie...

Ah ! la femme, fol, fol est qui s'y fie !


Les hommes, bravo ! c'est fier et soumis,

On peut s'y fier, voilà des amis !

Nous buvons, mais, vous mesdames, l'ivresse

Vous va moins qu'à nous, - te change en tigresse.


Moi tout au plus en un simple cochon ;

Quelque idéal sot dans mon cabochon,

Quelque bêtise en sus, quelque sottise

En outre, - mais toi, la fainéantise,


La méchanceté, l'obstination,

Un peu le vice et beaucoup l'option,

Pour être plus folle, sur ma parole !

Que ma folie à moi déjà si folle.


Ces réflexions me coûtent beaucoup,

Mais ce soir je suis d'une humeur de loup.

Excuse, si mon discours va si rogue,

Mais ce soir je suis d'une humeur de dogue.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Bah ! buvons pas trop (s'il nous est possible),

Ma bouche est un trou, la tienne est un crible.

Dieu saura bien reconnaître les siens.

Morale : surtout baisons-nous - et viens !
Tu crois au marc de café,

Aux présages, aux grands jeux :

Moi je ne crois qu'en tes grands yeux.


Tu crois aux contes de fées,

Aux jours néfastes, aux songes,

Moi je ne crois qu'en tes mensonges.


Tu crois en un vague Dieu

En quelque saint spécial,

En tel Ave contre tel mal.


Je ne crois qu'aux heures bleues

Et rose que tu m'épanches

Dans la volupté des nuits blanches !


Et si profonde est ma foi

Envers tout ce que je crois

Que je ne vis plus que pour toi.
Tu fus souvent cruelle,

Même injuste parfois,

Mais que fait, ô ma belle,

Puisqu'en toi seule crois


Et puisque suis ta chose.


Que tu me trompes avec Pierre,

Louis, et cœtera punctum,

Je sais, mais, là ! n'en ai que faire :

Ne suis que l'humble factotum


De ton humeur gaie ou morose.


S'il arrive que tu me battes,

Soufflettes, égratignes, tu

Es le maître dans nos pénates,

Et moi le cocu, le battu,


Suis content et vois tout en rose.


Et puis dame j'opine

Qu'à me voir ainsi si

Tien, finiras, divine

Par m'aimoter ainsi


Qu'on s'attache à sa chose.
Tu fus une grande amoureuse

À ta façon, la seule bonne

Puisqu'elle est tienne et que personne

Plus que toi ne fut malheureuse,

Après la crise de bonheur

Que tu portas avec honneur.


Oui, tu fus comme une héroïne,

Et maintenant tu vis, statue

Toujours belle sur la ruine

D'un espoir qui se perpétue

En dépit du Sort évident,

Mais tu persistes cependant !


Pour cela, je t'aime et t'admire

Encore mieux que je ne t'aime

Peut-être, et ce m'est un suprême

Orgueil d'être meilleur ou pire

Que celui qui fit tout le mal,

D'être à tes pieds tremblant, féal !


Use de moi, je suis ta chose ;

Mon amour va, ton humble esclave,

Prêt à tout ce que lui propose

Ta volonté dure et suave,

Prompt à jouir, prompt à souffrir,

Prompt vers tout, hormis pour mourir !


Mourir dans mon corps et mon âme,

Je le veux si c'est ton caprice.

Quand il faudra que je périsse

Tout entier, fais un signe, femme,

Mais que mon amour dût cesser ?

Il ne peut que s'éterniser.


Jette un regard de complaisance,

Ô femme forte, ô sainte, ô reine,

Sur ma fatale insuffisance

Sans doute à te faire sereine :

Toujours triste du temps fané,

Du moins, souris au vieux damné.
Tu m'as frappé, c'est ridicule,

Je l'ai battue et c'est affreux :

Je m'en repens et tu m'en veux.

C'est bien, c'est selon la formule.


Je n'avais qu'à me tenir coi

Sous l'aimable averse des gifles

De ta main experte en mornifles,

Sans même demander pourquoi.


Et toi, ton droit, ton devoir même,

Au risque de t'exténuer,

Il serait de continuer

De façon extrême et suprême...


Seulement, ô ne m'en veux plus,

Encore que ce fût un crime

De t'avoir faite ma victime...

Dis, plus de refus absolus,


Bats-moi, petite, comme plâtre,

Mais ensuite viens me baiser,

Pas ? quel besoin d'éterniser

Une querelle trop folâtre.


Pour se brouiller plus d'un instant,

Le temps de nous faire une moue

Qu'éteint un bécot sur la joue,

Puis sur la bouche en attendant


Mieux encor, n'est-ce pas, gamine ?

Promets-le-moi sans biaiser.

C'est convenu ? Oui ? Puis-je oser ?

Allons, plus de ta grise mine !
« Tu m'ostines ! » - « Et je t'emmène

A la campagne. » Ainsi parlaient

Deux amoureux dont s'éperlaient

Plus d'un encor propos amène.


Je crains fort que ces amoureux

N'aient été nous l'autre semaine

Nous répondant, Tyrcis, Climène,

Hélas ! en mots trop savoureux.


Mais puisqu'il en est temps encore,

Puisqu'il en est encore temps,

Ne soyons donc plus mécontents,

Au contraire, et que s'édulcore


Notre courroux, pourtant grondant

Un petit peu, mais pour la forme,

En un orage horrible, énorme,

De gros baisers se répondant.


Ô ma dure et bonne compagne,

Assez, dis, de malentendus,

Et si tu veux - car je le dus -

Or, je t'emmène à la campagne.
Tu n'es pas du tout vertueuse,

Je ne suis pas du tout jaloux !

C'est de se la couler heureuse

Encor le moyen le plus doux.


Vive l'amour et vivent nous !


Tu possèdes et tu pratiques

Les tours les plus intelligents

Et les trucs les plus authentiques

A l'usage des braves gens,


Et tu m'as quels soins indulgents !


D'aucuns clabaudent sur ton âge

Qui n'est plus seize ans ni vingt ans,

Mais ô ton opulent corsage,

Tes yeux riants, comme chantants,


Et ô tes baisers épatants !


Sois-moi fidèle si possible

Et surtout si cela te plaît,

Mais reste souvent accessible

À mon désir, humble valet


Content d'un « viens ! » ou d'un soufflet.


« Hein ? passé le temps des prouesses ! »

Me disent les sots d'alentour.

Ça, non, car grâce à tes caresses

C'est encor, c'est toujours mon tour.


Vivent nous et vive l'amour !
Or, tu n'es pas vaincu, sinon par le Seigneur,


Oppose au siècle un front de courage et d'honneur

Bande ton coeur moins faible au fond que tu ne crois,

Ne cherche, en fait d'abri, que l'ombre de la croix.

Ceins, sinon l'innocence, hélas ! et la candeur,

Du moins la tempérance et du moins la pudeur,

Et dans le bon combat contre péchés et maux

S'il faut, eh bien, emprunte à certains animaux,

Béhémos et Léviathan, prudents qu'ils sont,

Les armures pour la défensive qu'ils ont,

Puisque ton cas, pour l'offensive est superflu.

Abdique les airs martiaux où tu t'es plu.

Laisse l'épée et te confie au bouclier.

Carapace-toi bien, comme d'un bon acier,

De discrétion fine et de fort quant-à-moi.


Puis, quand tu voudras r'attaquer, reprends la Foi !
Car tu vis en toutes les femmes

Et toutes les femmes c'est toi.

Et tout l'amour qui soit, c'est moi

Brûlant pour toi de mille flammes.


Ton sourire tendre ou moqueur,

Tes yeux, mon Styx ou mon Lignon,

Ton sein opulent ou mignon

Sont les seuls vainqueurs de mon cœur.


Et je mords à ta chevelure

Longue ou frisée, en haut, en bas,

Noire ou rouge et sur l'encolure

Et là ou là - et quels repas !


Et je bois à tes lèvres fines

Ou grosses, - à la Lèvre, toute !

Et quelles ivresses en route,

Diaboliques et divines !


Car toute la femme est en toi

Et ce moi que tu multiplies

T'aime en toute Elle et tu rallies

En toi seule tout l'amour : Moi !
Simplement, comme on verse un parfum sur une flamme

Et comme un soldat répand son sang pour la patrie,

Je voudrais pouvoir mettre mon cœur avec mon âme

Dans un beau cantique à la sainte Vierge Marie.


Mais je suis, hélas ! un pauvre pécheur trop indigne,

Ma voix hurlerait parmi le chœur des voix des justes :

Ivre encor du vin amer de la terrestre vigne,

Elle pourrait offenser des oreilles augustes.


Il faut un cœur pur comme l'eau qui jaillit des roches,

Il faut qu'un enfant vêtu de lin soit notre emblème,

Qu'un agneau bêlant n'éveille en nous aucuns reproches,

Que l'innocence nous ceigne un brûlant diadème,


Il faut tout cela pour oser dire vos louanges,

Ô vous Vierge Mère, ô vous Marie Immaculée,

Vous blanche à travers les battements d'ailes des anges,

Qui posez vos pieds sur notre terre consolée.


Du moins je ferai savoir à qui voudra l'entendre

Comment il advint qu'une âme des plus égarées,

Grâce à ces regards cléments de votre gloire tendre,

Revint au bercail des Innocences ignorées.


Innocence, ô belle après l'Ignorance inouïe,

Eau claire du cœur après le feu vierge de l'âme,

Paupière de grâce sur la prunelle éblouie,

Désaltèrement du cerf rompu d'amour qui brame !


Ce fut un amant dans toute la force du terme :

Il avait connu toute la chair, infâme ou vierge,

Et la profondeur monstrueuse d'un épiderme,

Et le sang d'un cœur, cire vermeille pour son cierge !


Ce fut un athée, et qui poussait **** sa logique

Tout en méprisant les fadaises qu'elle autorise,

Et comme un forçat qui remâche une vieille chique

Il aimait le jus flasque de la mécréantise.


Ce fut un brutal, ce fut un ivrogne des rues,

Ce fut un mari comme on en rencontre aux barrières ;

Bon que les amours premières fussent disparues,

Mais cela n'excuse en rien l'excès de ses manières.


Ce fut, et quel préjudice ! un Parisien fade,

Vous savez, de ces provinciaux cent fois plus pires

Qui prennent au sérieux la plus sotte cascade,

Sans s'apercevoir, ô leur âme, que tu respires ;


Race de théâtre et de boutique dont les vices

Eux-mêmes, avec leur odeur rance et renfermée,

Lèveraient le cœur à des sauvages leurs complices,

Race de trottoir, race d'égout et de fumée !


Enfin un sot, un infatué de ce temps bête

(Dont l'esprit au fond consiste à boire de la bière)

Et par-dessus tout une folle tête inquiète,

Un cœur à tous vents, vraiment mais vilement sincère.


Mais sans doute, et moi j'inclinerais fort à le croire,

Dans quelque coin bien discret et sûr de ce cœur même,

Il avait gardé comme qui dirait la mémoire

D'avoir été ces petits enfants que Jésus aime.


Avait-il, - et c'est vraiment plus vrai que vraisemblable,

Conservé dans le sanctuaire de sa cervelle

Votre nom, Marie, et votre titre vénérable,

Comme un mauvais prêtre ornerait encor sa chapelle ?


Ou tout bonnement peut-être qu'il était encore,

Malgré tout son vice et tout son crime et tout le reste,

Cet homme très simple qu'au moins sa candeur décore

En comparaison d'un monde autour que Dieu déteste.


Toujours est-il que ce grand pécheur eut des conduites

Folles à ce point d'en devenir trop maladroites

Si bien que les tribunaux s'en mirent, - et les suites !

Et le voyez-vous dans la plus étroite des boîtes ?


Cellules ! Prisons humanitaires ! Il faut taire

Votre horreur fadasse et ce progrès d'hypocrisie...

Puis il s'attendrit, il réfléchit. Par quel mystère,

Ô Marie, ô vous, de toute éternité choisie ?


Puis il se tourna vers votre Fils et vers Sa Mère,

Ô qu'il fut heureux, mais, là, promptement, tout de suite !

Que de larmes, quelle joie, ô Mère ! et pour vous plaire,

Tout de suite aussi le voilà qui bien vite quitte


Tout cet appareil d'orgueil et de pauvres malices,

Ce qu'on nomme esprit et ce qu'on nomme la Science,

Et les rires et les sourires où tu te plisses,

Lèvre des petits exégètes de l'incroyance !


Et le voilà qui s'agenouille et, bien humble, égrène

Entre ses doigts fiers les grains enflammés du Rosaire,

Implorant de Vous, la Mère, et la Sainte, et la Reine,

L'affranchissement d'être ce charnel, ô misère !


Ô qu'il voudrait bien ne plus savoir plus rien du monde

Q'adorer obscurément la mystique sagesse,

Qu'aimer le cœur de Jésus dans l'extase profonde

De penser à vous en même temps pendant la Messe.


Ô faites cela, faites cette grâce à cette âme,

Ô vous, Vierge Mère, ô vous, Marie Immaculée,

Toute en argent parmi l'argent de l'épithalame,

Qui posez vos pieds sur notre terre consolée.
Au bout d'un bas-côté de l'église gothique,

Contre le mur que vient baiser le jour mystique

D'un long vitrail d'azur et d'or finement roux,

Le Crucifix se dresse, ineffablement doux,

Sur sa croix peinte en vert aux arêtes dorées,

Et la gloire d'or sombre en langues échancrées

Flue autour de la tête et des bras étendus,

Tels quatre vols de flamme en un seul confondus.

La statue est en bois, de grandeur naturelle,

Légèrement teintée, et l'on croirait sur elle

Voir s'arrêter la vie à l'instant qu'on la voit,

Merveille d'art pieux, celui qui la fit doit

N'avoir fait qu'elle et s'être éteint dans la victoire

L'être un bon ouvrier trois fois sûr de sa gloire.

« Voilà l'homme ! » Robuste et délicat pourtant.

C'est bien le corps qu'il faut pour avoir souffert tant,

Et c'est bien la poitrine où bat le Cœur immense :

Par les lèvres le souffle expirant dit : « Clémence »

Tant l'artiste les a disjointes saintement,

Et les bras grands ouverts prouvent le Dieu clément ;

La couronne d'épine est énorme et cruelle

Sur le front inclinant sa pâleur fraternelle

Vers l'ignorance humaine et l'erreur du pécheur,

Tandis que, pour noyer le scrupule empêcheur

D'aimer et d'espérer comme la Foi l'enseigne,

Les pieds saignent, les mains saignent, le côté saigne ;

On sent qu'il s'offre au Père en toute charité.

Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté,

Pour spécialement sauver vos âmes tristes,

Pharisiens naïfs, sincères jansénistes !

- Un ami qui passait, bon peintre et bon chrétien

Et bon poète aussi - les trois s'accordent bien -

Vit cette œuvre sublime, en fit une copie

Exquise, et, surprenant mon regard qui l'épie,

Très gracieusement chez moi vint l'oublier.

Et j'ai rimé ces vers pour le remercier. -
Courtisane au sein dur, à l'oeil opaque et brun

S'ouvrant avec lenteur comme celui d'un boeuf,

Ton grand torse reluit ainsi qu'un marbre neuf.


Fleur grasse et riche, autour de toi ne flotte aucun

Arôme, et la beauté sereine de ton corps

Déroule, mate, ses impeccables accords.


Tu ne sens même pas la chair, ce goût qu'au moins

Exhalent celles-là qui vont fanant les foins,

Et tu trônes, Idole insensible à l'encens.


- Ainsi le Dahlia, roi vêtu de splendeur,

Elève sans orgueil sa tête sans odeur,

Irritant au milieu des jasmins agaçants !
Belle « à damner les saints », à troubler sous l'aumusse

Un vieux juge ! Elle marche impérialement.

Elle parle - et ses dents font un miroitement -

Italien, avec un léger accent russe.


Ses yeux froids où l'émail sertit le bleu de Prusse

Ont l'éclat insolent et dur du diamant.

Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement

De la peau, nulle reine ou courtisane, fût-ce


Cléopâtre la lynce ou la chatte Ninon,

N'égale sa beauté patricienne, non !

Vois, ô bon Buridan : « C'est une grande dame ! »


Il faut - pas de milieu ! - l'adorer à genoux,

Plat, n'ayant d'astre aux cieux que ces lourds cheveux roux

Ou bien lui cravacher la face, à cette femme !
Une Sainte en son auréole,

Une Châtelaine en sa tour,

Tout ce que contient la parole

Humaine de grâce et d'amour ;


La note d'or que fait entendre

Un cor dans le lointain des bois,

Mariée à la fierté tendre

Des nobles Dames d'autrefois ;


Avec cela le charme insigne

D'un frais sourire triomphant

Eclos dans des candeurs de cygne

Et des rougeurs de femme-enfant ;


Des Aspects nacrés, blancs et roses,

Un doux accord patricien :

Je vois, j'entends toutes ces choses

Dans son nom Carlovingien.
Un grand sommeil noir

Tombe sur ma vie :

Dormez, tout espoir,

Dormez, toute envie !


Je ne vois plus rien,

Je perds la mémoire

Du mal et du bien...

Ô la triste histoire !


Je suis un berceau

Qu'une main balance

Au creux d'un caveau :

Silence, silence !
Avec les yeux d'une tête de mort
Que la lune encore décharne,
Tout mon passé, disons tout mon remords,
Ricane à travers ma lucarne.

Avec la voix d'un vieillard très cassé,
Comme l'on n'en voit qu'au théâtre,
Tout mon remords, disons tout mon passé,
Fredonne un tralala folâtre.

Avec les doigts d'un pendu déjà vert
Le drôle agace une guitare
Et danse sur l'avenir grand ouvert
D'un air d'élasticité rare.

" Vieux turlupin, je n'aime pas cela ;
Tais ces chants et cesse ces danses. "
Il me répond avec la voix qu'il a :
" C'est moins farce que tu ne penses,

" Et quant au soin frivole, ô doux morveux,
De te plaire ou de te déplaire,
Je m'en soucie au point que, si tu veux,
Tu peux t'aller faire lanlaire ! "
Un projet de mon âge mûr

Me tint six ans l'âme ravie,

C'était, d'après un plan bien sûr.

De réédifier ma vie.


Vie encor vivante après tout.

Insuffisamment ruinée.

Avec ses murs toujours debout

Que respecte la graminée,


Murs de vraie et franche vertu.

Fondations intactes certes.

Fronton battu, non abattu.

Sans noirs lichens ni mousses vertes,


L'orgueil qu'il faut et qu'il fallait,

Le repentir quand c'était brave,

Douceur parfois comme le lait,

Fierté souvent comme la lave.


Or, durant ces deux fois trois ans,

L'essai fut bon, grand le courage.

L'œuvre en aspects forts et plaisants

Montait, tenant tête à l'orage.


Un air de grâce et de respect

Magnifiait les calmes lignes

De l'édifice que drapait

L'éclat de la neige et des cygnes...


Furieux mais insidieux,

Voici l'essaim des mauvais anges.

Rayant le pur, le radieux

Paysage de vols étranges,


Salissant d'outrages sans nom,

Obscénités basses et fades,

De mon renaissant Parthénon

Les portiques et les façades.


Tandis que quelques-uns d'entre eux,

Minant le sol, sapant la base,

S'apprêtent, par un art affreux,

A faire de tout table rase.


Ce sont, véniels et mortels.

Tous les péchés des catéchismes

Et bien d'autres encore, tels

Qu'ils font les sophismes des schismes.


La Luxure aux tours sans merci,

L'affreuse Avarice morale,

La Paresse morale aussi,

L'envie à la dent sépulcrale,


La Colère hors des combats,

La Gourmandise, rage, ivresse,

L'Orgueil, alors qu'il ne faut pas,

Sans compter la sourde détresse


Des vices à peine entrevus.

Dans la conscience scrutée,

Hideur brouillée et tas confus.

Tourbe brouillante et ballottée.


Mais quoi! n'est-ce pas toujours vous,

Démon femelle, triple peste,

Pire flot de tout ce remous,

Pire ordure que tout le reste,


Vous toujours, vil cri de haro.

Qui me proclame et me diffame,

Gueuse inepte, lâche bourreau,

Horrible, horrible, horrible femme ?


Vous l'insultant mensonge noir,

La haine longue, l'affront rance,

Vous qui seriez le désespoir.

Si la foi n'était l'Espérance.


Et l'Espérance le pardon,

Et ce pardon une vengeance.

Mais quel voluptueux pardon,

Quelle savoureuse vengeance !


Et tous trois, espérance et foi

Et pardon, chassant la séquelle

Infernale de devant moi,

Protégeront de leur tutelle


Les nobles travaux qu'a repris

Ma bonne volonté calmée,

Pour grâce à des grâces sans prix,

Achever l'œuvre bien-aimée


Toute de marbre précieux

En ordonnance solennelle

Bien par-delà les derniers cieux,

Jusque dans la vie éternelle.
Un scrupule qui m'a l'air sot comme un péché

Argumente.


Dieu vit au sein d'un cœur caché,

Non d'un esprit épars, en milliers de pages,

En millions de mots hardis comme des pages,

A tous les vents du ciel ou plutôt de l'enfer,

Et d'un scandale tel, précisément tout fier.

Il faut, pour plaire à Dieu, pour apaiser sa droite,

Suivre le long sentier, gravir la pente étroite,

Sans un soupir de trop, fût-il mélodieux,

Sans un geste au surplus, même agréable aux yeux,

Laisser à d'autres l'art et la littérature

Et ne vivre que juste à même la nature

Tu pratiquais jadis et naguère ces us

Content de reposer à l'ombre de Jésus

Y pansant de vin, d'huile de lin tes blessures

Et maintenant, ingrat à la Croix, tu t'assures

En la gloire profane et le renom païen,

Comme si iout cela n'était pas trois fois rien,

Comme si tel beau vers, telle phrase sonore,

Chantait mieux qu'un grillon, brillait plus qu'un fulgore

Va, risque ton salut, ton salut racheté

Un temps, par une vie autre, c'est vérité,

Que celle de tes ans primes, enfance molle,

Age pubère fou, jeunesse molle et folle

Risque ton âme, objet de tes soins d'autrefois

Pour quels triomphes vains sur quels banals pavois ?

Malheureux !


Je réponds avec raison, je pense :

Je n'attends, je ne veux pas d'autre récompense

A ce mien grand effort d'écrire de mon mieux

Que l'amitié du jeune et l'estime du vieux

Lettrés qui sont au fond les seules belles âmes,

Car où prendre un public en ces foules infâmes

D'idioterie en haut et folles par en bas ?

Où, - le trouver ou pas, le mériter ou pas,

Le conserver ou pas ! - l'assentiment d'un être

Simple, naïf et bon, sans même le connaître

Que par ce seul lien comme immatériel,

C'est tout mon attentat au seul devoir réel,

Essentiel gagner le ciel par les mérites,

Et je doute, Jésus pieux, que tu t'irrites

Pour quelque doux rimeur chantant ta gloire ou bien

Étalant ses péchés au pilori chrétien ;

Tu ne suscites pas l'aspic et la couleuvre

Contre un poème ou contre un poète. Ton œuvre,

Consolant les ennuis de ce morne séjour

Par un concert de foi, d'espérance et d'amour ;

Puis ne me fis-tu pas, avec le don de vivre,

Le don aussi, sans quoi je meurs ! de faire un livre,

Une œuvre où s'attestât toute ma quantité,

Toute, bien mal, la force et l'orgueil révolta

Des sens et leur colère encore qui sont la même

Luxure au fond et bien la faiblesse suprême,

Et la mysticité, l'amour d'aller au ciel

Par le seul graduel du juste graduel,

Douceur et charité, seule toute-puissance.

Tu m'as donné ce don, et par reconnaissance

J'en use librement, qu'on me blâme, tant pis.

Quant à quêter les voix, quant à tâter les pis

De dame Renommée, à ses heures marâtre,

Fi !


Mais, pour en finir, leur foyer ou son âtre

Souffrent-ils de mon cas ? Quelle poutre en votre œil,

Quelle paille en votre œil de ce fait ? De quel deuil,

De quel scandale, vers ou proses, sont-ils cause

Dont cela vaille un peu la peine qu'on en cause ?
L'automne et le soleil couchant ! Je suis heureux !

Du sang sur de la pourriture !

L'incendie au zénith ! La mort dans la nature !

L'eau stagnante, l'homme fiévreux !


Oh ! c'est bien là ton heure et ta saison, poète

Au cœur vide d'illusions,

Et que rongent les dents de rats des passions,

Quel bon miroir, et quelle fête !


Que d'autres, des pédants, des niais ou des fous,

Admirent le printemps et l'aube,

Ces deux pucelles-là, plus roses que leur robe ;


Moi, je t'aime, âpre automne, et te préfère à tous

Les minois d'innocentes, d'anges,

Courtisane cruelle aux prunelles étranges.
Je vois un groupe sur la mer.

Quelle mer ? Celle de mes larmes.

Mes yeux mouillés du vent amer

Dans cette nuit d'ombre et d'alarmes

Sont deux étoiles sur la mer.


C'est une toute jeune femme

Et son enfant déjà tout grand.

Dans une barque où nul ne rame,

Sans mât ni voile, en plein courant...

Un jeune garçon, une femme !


En plein courant dans l'ouragan !

L'enfant se cramponne à sa mère

Qui ne sait plus où, non plus qu'en...,

Ni plus rien, et qui, folle, espère

En le courant, en l'ouragan.


Espérez en Dieu, pauvre folle,

Crois en notre Père, petit.

La tempête qui vous désole,

Mon cœur de là-haut vous prédit

Qu'elle va cesser, petit, folle !


Et paix au groupe sur la mer,

Sur cette mer de bonnes larmes !

Mes yeux joyeux dans le ciel clair,

Par cette nuit sans plus d'alarmes,

Sont deux bons anges sur la mer.
Va, chanson, à tire-d'aile

Au-devant d'elle, et dis-lui

Bien que dans mon cœur fidèle

Un rayon joyeux a lui,


Dissipant, lumière sainte,

Ces ténèbres de l'amour :

Méfiance, doute, crainte,

Et que voici le grand jour !


Longtemps craintive et muette,

Entendez-vous ? la gaîté,

Comme une vive alouette

Dans le ciel clair a chanté.


Va donc, chanson ingénue,

Et que, sans nul regret vain,

Elle soit la bienvenue

Celle qui revient enfin.
Va ton chemin sans plus t'inquiéter !

La route est droite et tu n'as qu'à monter,

Portant d'ailleurs le seul trésor qui vaille,

Et l'arme unique au cas d'une bataille,

La pauvreté d'esprit et Dieu pour toi.


Surtout il faut garder toute espérance.

Qu'importe un peu de nuit et de souffrance ?

La route est bonne et la mort est au bout.

Oui, garde toute espérance surtout.

La mort là-bas te dresse un lit de joie.


Et fais-toi doux de toute la douceur.

La vie est laide, encore c'est ta soeur.

Simple, gravis la côte et même chante,

Pour écarter la prudence méchante

Dont la voix basse est pour tenter ta foi.


Simple comme un enfant, gravis la côte,

Humble comme un pécheur qui hait la faute,

Chante, et même sois ***, pour défier

L'ennui que l'ennemi peut t'envoyer

Afin que tu t'endormes sur la voie.


Ris du vieux piège et du vieux séducteur,

Puisque la Paix est là, sur la hauteur,

Qui luit parmi des fanfares de gloire.

Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire.

Déjà l'Ange Gardien étend sur toi


Joyeusement des ailes de victoire.
Les choses qui chantent dans la tête

Alors que la mémoire est absente,

Écoutez ! c'est notre sang qui chante...

Ô musique lointaine et discrète !


Écoutez ! c'est notre sang qui pleure

Alors que notre âme s'est enfuie,

D'une voix jusqu'alors inouïe

Et qui va se taire tout à l'heure.


Frère du sang de la vigne rose,

Frère du vin de la veine noire,

Ô vin, ô sang, c'est l'apothéose !


Chantez, pleurez ! Chassez la mémoire

Et chassez l'âme, et jusqu'aux ténèbres

Magnétisez nos pauvres vertèbres.
« Esprit-Saint, descendez en » ceux

Qui raillent l'antique cantique

Où les simples mettent leurs vœux

Sur la plus naïve musique.


Versez les sept dons de la foi,

Versez, « esprit d'intelligence »,

Dans les âmes toutes au moi

Surtout l'amour et l'indulgence


Et le goût de la pauvreté

Tant des autres que de soi-même

Qu'ils comprennent la charité

Puisqu'ils sont l'élite et la crème.


Qu'ils estiment leur rire sot,

Visant, non le dogme immuable,

Mais l'humble et le faible (un assaut

Dont le capitaine est le Diable).


Au lieu d'ainsi le profaner,

Ce cantique de nos ancêtres,

Qu'ils le méditent, pour donner

Le bon exemple, eux, les grands maîtres,


Et, tandis qu'ils seront en train

D'édifier le paupérisme

D'esprit et d'argent, qu'ils réin-

Tègrent un peu le Catéchisme.
Le dernier coup de vêpres a sonné : l'on tinte.

Entrons donc dans l'Église et couvrons-nous d'eau sainte.


Il y a peu de monde encore. Qu'il fait frais !

C'est bon par ces temps lourds, ça semble fait exprès.


On allume les six grands cierges, l'on apporte

Le ciboire pour le salut. Voici la porte


De la sacristie entr'ouverte, et l'on voit bien

S'habiller les enfants de chœur et le doyen.


Voici venir le court cortège, et les deux chantres

Tiennent de gros antiphonaires sur leurs ventres.


Une clochette retentit et le clergé

S'agenouille devant l'autel, dûment rangé.


Une prière est murmurée à voix si basse

Qu'on entend comme un vol de bons anges qui passe.


Le prêtre, se signant, adjure le Seigneur,

Et les clers, se signant, appellent le Seigneur.


Et chacun exaltant la Trinité, commence,

Prophète-roi, David, ta psalmodie immense :


Le Seigneur dit... » « Je vous louerai... » « Qu'heureux les saints.

« Fils, louez le Seigneur... » et, vibrant par essaims,


Les versets de ce chant militaire et mystique :

« Quand Israël sortit d'Égypte... » Et la musique


Du grêle harmonium et du vaste plain-chant !

L'Église s'est remplie. Il fait tiède. L'argent


Pour le culte et celui du denier de Saint-Pierre

Et des pauvres tombe à bruit doux dans l'aumônière.


L'hymme propre et Magnificat aux flots d'encens !

Une langueur céleste envahit tous les sens.


Au court sermon qui suit sur un thème un peu rance,

On somnole sans trop pourtant d'irrévérence.


Le soleil lui faisant un nimbe mordoré,

Le vieux saint du village est tout transfiguré.


Ça sent bon. On dirait des fleurs très anciennes.

S'exhalant, lentes, dans le latin des antiennes.


Et le Salut ayant béni l'humble troupeau

Des fidèles, on rejoint meilleurs le hameau.


Le soir on soupe mieux, et quand la nuit invite

Au sommeil, on s'endort bien à l'aise et plus vite.
L'art ne veut point de pleurs et ne transige pas,
Voilà ma poétique en deux mots : elle est faite
De beaucoup de mépris pour l'homme et de combats
Contre l'amour criard et contre l'ennui bête.

Je sais qu'il faut souffrir pour monter à ce faîte
Et que la côte est rude à regarder d'en bas.
Je le sais, et je sais aussi que maint poète
A trop étroits les reins ou les poumons trop gras.

Aussi ceux-là sont grands, en dépit de l'envie,
Qui, dans l'âpre bataille ayant vaincu la vie  
Et s'étant affranchis du joug des passions,

Tandis que le rêveur végète comme un arbre
Et que s'agitent, - tas plaintif, - les nations,
Se recueillent dans un égoïsme de marbre.
Les variations normales

De l'esprit autant que du cœur,

En somme, témoignent peu mal

En dépit de tel qui s'épeure,


Parlent par contre, contre tel

Qui s'effraierait au nom du monde

Et déposent pour tel ou telle

Qui virent ou dansent en rond...


Que vient faire l'hypocrisie

Avec tout son dépit amer

Pour nuire au cœur vraiment choisi,

À l'Âme exquisément sincère


Qui se donne et puis se reprend

En toute bonne foi divine,

Que d'elle, se vendre et se rendre

Plus odieuse avec son spleen.


Que la faute qu'elle dénonce,

Et qu'au fait, glorifier,

Plutôt, en outre, hic et nunc,

L'esprit altier et l'âme fière !
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