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Éloigné de vos yeux, Madame, par des soins

Impérieux (j'en prends tous les dieux à témoins),

Je languis et je meurs, comme c'est ma coutume

En pareil cas, et vais, le cœur plein d'amertume,

À travers des soucis où votre ombre me suit,

Le jour dans mes pensers, dans mes rêves la nuit,

Et, la nuit et le jour, adorable, Madame !

Si bien qu'enfin, mon corps faisant place à mon âme,

Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi,

Et qu'alors, et parmi le lamentable émoi

Des enlacements vains et des désirs sans nombre,

Mon ombre se fondra en jamais en votre ombre.


En attendant, je suis, très chère, ton valet.


Tout se comporte-t-il là-bas comme il te plaît,

Ta perruche, ton chat, ton chien ? La compagnie

Est-elle toujours belle ? et cette Silvanie


Dont j'eusse aimé l'œil noir si le tien n'était bleu,

Et qui parfois me fit des signes, palsambleu !

Te sert-elle toujours de douce confidente ?


Or, Madame, un projet impatient me hante

De conquérir le monde et tous ses trésors pour

Mettre à vos pieds ce gage - indigne - d'un amour

Égal à toutes les flammes les plus célèbres

Qui des grands cœurs aient fait resplendir les ténèbres.

Cléopâtre fut moins aimée, oui, sur ma foi !

Par Marc-Antoine et par César que vous par moi,

N'en doutez pas, Madame, et je saurai combattre

Comme César pour un sourire, ô Cléopâtre,

Et comme Antoine fuir au seul prix d'un baiser.


Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer,

Et le temps que l'on perd à lire une missive

N'aura jamais valu la peine qu'on l'écrive.
La lune est rouge au brumeux horizon ;

Dans un brouillard qui danse, la prairie

S'endort fumeuse, et la grenouille crie

Par les joncs verts où circule un frisson ;


Les fleurs des eaux referment leurs corolles ;

Des peupliers profilent aux lointains,

Droits et serrés, leur spectres incertains ;

Vers les buissons errent les lucioles ;


Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit

Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes,

Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.

Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit.
L'hiver a cessé : la lumière est tiède

Et danse, du sol au firmament clair.

Il faut que le cœur le plus triste cède

À l'immense joie éparse dans l'air.


Même ce Paris maussade et malade

Semble faire accueil aux jeunes soleils

Et, comme pour une immense accolade,

Tend les mille bras de ses toits vermeils.


J'ai depuis un an le printemps dans l'âme

Et le vert retour du doux floréal,

Ainsi qu'une flamme entoure une flamme,

Met de l'idéal sur mon idéal.


Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne

L'immuable azur où rit mon amour.

La saison est belle et ma part est bonne

Et tous mes espoirs ont enfin leur tour.


Que vienne l'été ! que viennent encore

L'automne et l'hiver ! Et chaque saison

Me sera charmante, ô Toi que décore

Cette fantaisie et cette raison !
L'homme pauvre du cœur est-il si rare, en somme !

Non. Et je suis cet homme et vous êtes cet homme,

Et tous les hommes sont cet homme ou furent lui,

Ou le seront quand l'heure opportune aura lui.

Conçus dans l'agonie épuisée et plaintive

De deux désirs que, seul, un feu brutal avive,

Sans vestige autre nôtre, à travers cet émoi,

Qu'une larme de quoi! Que pleure quoi! dans quoi !

Nés parmi la douleur, le sang et la sanie

Nus, de corps sans instinct et d'âme sans génie

Pour grandir et souffrir par l'âme et par le corps,

Vivant au jour le jour, bernés de vœux discors,

Pour mourir dans l'horreur fatale et la détresse,

Quoi de nous, dès qu'en nous la question se dresse ?

Quoi ? qu'un être capable au plus de moins que peu

En dehors du besoin d'aimer et de voir Dieu

Et quelque chose, au front, du fond du cœur te monte

Qui ressemble à la crainte et qui tient de la honte,

Quelque chose, on dirait, d'encore incomplété,

Mais dont la Charité ferait l'Humilité.

Lors, à quelqu'un vraiment de nature ingénue

Sa conscience n'a qu'à dire : continue,

Si la chair n'arrivait à son tour, en disant :

Arrête, et c'est la guerre en ce juste à présent.

Mais tout n'est pas perdu malgré le coup si rude :

Car la chair avant tout est chose d'habitude,

Elle peut se plier et doit s'acclimater

C'est son droit, son devoir, la loi de la mater

Selon les strictes lois de la bonne nature.

Or la nature est simple, elle admet la culture ;

Elle procède avec douceur, calme et lenteur.

Ton corps est un lutteur, fais-le vivre en lutteur

Sobre et chaste, abhorrant l'excès de toute sorte,

Femme qui le détourne et vin qui le transporte

Et la paresse pire encore que l'excès.

Enfin pacifié, puis apaisé, - tu sais

Quels sacrements il faut pour cette tâche intense.

Et c'est l'Eucharistie après la Pénitence, -

Ce corps allégé, libre et presque glorieux,

Dûment redevenu, dûment laborieux

Va se rompre au plutôt, s'assouplir au service

De ton esprit d'amour, d'offre et de sacrifice

Subira les saisons et les privations,

Enfin sera le temple embaumé d'actions

De grâce, d'encens pur et de vertus chrétiennes,

Et tout retentissant de psaumes et d'antiennes

Qu'habite l'Esprit-Saint et que daigne Jésus

Visiter comparable aux bons rois bien reçus.

De ce moment, toi, pauvre avec pleine assurance,

Après avoir prié pour la persévérance,

Car, docte charité tout d'abord pense à soi,

Puise au gouffre infini de la Foi - plus de foi. -

Que jamais et présente à Dieu ton vœu bien tendre,

Bien ardent, bien formel et de voir et d'entendre

Les hommes t'imiter, même te dépasser

Dans la course au salut, et pour mieux les pousser

A ces fins que le ciel en extase contemple,

Dieu humble (souviens-toi !), prêcheur, prêche d'exemple !
L'horrible nuit d'insomnie !

- Sans la présence bénie

De ton cher corps près de moi,

Sans ta bouche tant baisée

Encore que trop rusée

En toute mauvaise foi,


Sans ta bouche tout mensonge,

Mais si franche quand j'y songe,

Et qui sait me consoler

Sous l'aspect et sous l'espèce

D'une fraise - et, bonne pièce ! -

D'un très plausible parler,


Et surtout sans le pentacle

De tes sens et le miracle

Multiple est un, fleur et fruit,

De tes durs yeux de sorcière,

Durs et doux à ta manière...

Vrai Dieu ! la terrible nuit !
L'imagination, reine,

Tient ses ailes étendues,

Mais la robe qu'elle traîne

A des lourdeurs éperdues.


Cependant que la Pensée,

Papillon, s'envole et vole,

Rose et noir clair, élancée

Hors de la tête frivole.


L'Imagination, sise

En son trône, ce fier siège !

Assiste, comme indécise,

À tout ce preste manège,


Et le papillon fait rage,

Monte et descend, plane et vire :

On dirait dans un naufrage

Des culbutes du navire.


La reine pleure de joie

Et de peine encore, à cause

De son cœur qu'un chaud pleur noie,

Et n'entend goutte à la chose.


Psyché Deux pourtant se lasse.

Son vol est la main plus lente

Que cent tours de passe-passe

Ont faite toute tremblante.


Hélas, voici l'agonie !

Qui s'en fût formé l'idée ?

Et tandis que, bon génie

Plein d'une douceur lactée,


La bestiole céleste

S'en vient palpiter à terre,

La Folle-du-Logis reste

Dans sa gloire solitaire !
L'immensité de l'humanité,

Le Temps passé vivace et bon père,

Une entreprise à jamais prospère :

Quelle puissante et calme cité !


Il semble ici qu'on vit dans l'histoire.

Tout est plus fort que l'homme d'un jour.

De lourds rideaux d'atmosphère noire

Font richement la nuit alentour.


Ô civilisés que civilise

L'Ordre obéi, le Respect sacré !

Ô, dans ce champ si bien préparé

Cette moisson de la seule Eglise !
À Catulle Mendès


La petite marquise Osine est toute belle,

Elle pourrait aller grossir la ribambelle

Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs

Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs

Parisienne en tout, spirituelle et bonne

Et mauvaise à ne rien redouter de personne,

Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit,

C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit,

Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes.


Vingt soupirants, brûlés du feu des meilleurs zèles

Avaient en vain quêté leur main à ses seize ans,

Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans

Comme il avait quitté son escadron, vint faire

Escale au Jockey ; vous connaissez son affaire

Avec la grosse Emma de qui - l'eussions-nous cru ?

Le bon garçon était absolument féru,

Son désespoir après le départ de la grue,

Le duel avec Gontran, c'est vieux comme la rue ;

Bref il vit la petite un jour dans un salon,

S'en éprit tout d'un coup comme un fou ; même l'on

Dit qu'il en oublia si bien son infidèle

Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle.

Temps et mœurs ! La petite (on sait tout aux Oiseaux)

Connaissait le roman du cher, et jusques aux

Moindres chapitres : elle en conçut de l'estime.

Aussi quand le marquis offrit sa légitime

Et sa main contre sa menotte, elle dit : Oui,

Avec un franc parler d'allégresse inouï.

Les parents, voyant sans horreur ce mariage

(Le marquis était riche et pouvait passer sage)

Signèrent au contrat avec laisser-aller.

Elle qui voyait là quelqu'un à consoler

Ouït la messe dans une ferveur profonde.


Elle le consola deux ans. Deux ans du monde !


Mais tout passe !

Si bien qu'un jour qu'elle attendait

Un autre et que cet autre atrocement tardait,

De dépit la voilà soudain qui s'agenouille

Devant l'image d'une Vierge à la quenouille

Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni,

Demandant à Marie, en un trouble infini,

Pardon de son péché si grand, - si cher encore

Bien qu'elle croie au fond du cœur qu'elle l'abhorre.


Comme elle relevait son front d'entre ses mains

Elle vit Jésus-Christ avec les traits humains

Et les habits qu'il a dans les tableaux d'église.

Sévère, il regardait tristement la marquise.

La vision flottait blanche dans un jour bleu

Dont les ondes voilant l'apparence du lieu,

Semblaient envelopper d'une atmosphère élue

Osine qui tremblait d'extase irrésolue

Et qui balbutiait des exclamations.

Des accords assoupis de harpes de Sions

Célestes descendaient et montaient par la chambre

Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre

Fluaient, et le parquet retentissait des pas

Mystérieux de pieds que l'on ne voyait pas,

Tandis qu'autour c'était, en cadences soyeuses,

Un grand frémissement d'ailes mystérieuses

La marquise restait à genoux, attendant,

Toute admiration peureuse, cependant.


Et le Sauveur parla :

« Ma fille, le temps passe,

Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce.

Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous. »


La vision cessa.

Oui certes, il est doux

Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie,

C'est un jeune coureur à la première haie.

C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal.

Quelque chose d'étonnamment matutinal.

On sort du mariage habitueux. C'est comme

Qui dirait la lueur aurorale de l'homme

Et les baisers parmi cette fraîche clarté

Sonnent comme des cris d'alouette en été,

Ô le premier amant ! Souvenez-vous, mesdames !

Vagissant et timide élancement des âmes

Vers le fruit défendu qu'un soupir révéla...

Mais le second amant d'une femme, voilà !

On a tout su. La faute est bien délibérée

Et c'est bien un nouvel état que l'on se crée,

Un autre mariage à soi-même avoué.

Plus de retour possible au foyer bafoué.

Le mari, débonnaire ou non, fait bonne garde

Et dissimule mal. Déjà rit et bavarde

Le monde hostile et qui sévirait au besoin.

Ah, que l'aise de l'autre intrigue se fait **** !

Mais aussi cette fois comme on vit ; comme on aime,

Tout le cœur est éclos en une fleur suprême.

Ah, c'est bon ! Et l'on jette à ce feu tout remords,

On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts.

On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie,

Ce sera pour après la vie, et l'on défie

Les lois humaines et divines, car on est

Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaît

Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime !


Or cet amant était justement le deuxième

De la marquise, ce qui fait qu'un jour après,

- Ô sans malice et presque avec quelques regrets -

Elle le revoyait pour le revoir encore.

Quant au miracle, comme une odeur s'évapore,

Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement.


Un matin, elle était dans son jardin charmant,

Un matin de printemps, un jardin de plaisance.

Les fleurs vraiment semblaient saluer sa présence,

Et frémissaient au vent léger, et s'inclinaient

Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient

L'aubade d'un timide et délicat ramage

Et les petits oiseaux, volant à son passage,

Pépiaient à plaisir dans l'air tout embaumé

Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai.

Elle pensait à lui ; sa vue errait, distraite,

À travers l'ombre jeune et la pompe discrète

D'un grand rosier bercé d'un mouvement câlin,

Quand elle vit Jésus en vêtements de lin

Qui marchait, écartant les branches de l'arbuste

Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste

Pleurait. Et tout en un instant s'évanouit.


Elle se recueillait.

Soudain un petit bruit

Se fit. On lui portait en secret une lettre,

Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être

Un rendez-vous.


Elle ne put la déchirer.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer

Au chevet de ce lit de blanche mousseline ?

Elle est malade, bien malade.

« Sœur Aline,

A-t-elle un peu dormi ? »

- « Mal, monsieur le marquis. »

Et le marquis pleurait.

« Elle est ainsi depuis

Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire

De la nuit ? Ah, monsieur le marquis, quel délire !

Elle vous appelait, vous demandait pardon

Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon

De sa sonnette. »

Et le marquis frappait sa tête

De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette

Marchait à grands pas sourds sur les tapis épais

(Dès qu'elle fut malade, elle n'eut pas de paix

Qu'elle n'eût avoué ses fautes au pauvre homme

Qui pardonna.) La sœur reprit pâle : « Elle eut comme

Un rêve, un rêve affreux. Elle voyait Jésus,

Terrible sur la nue et qui marchait dessus,

Un glaive dans la main droite, et de la main gauche

Qui ramait lentement comme une faux qui fauche,

Écartant sa prière, et passait furieux. »


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Un prêtre, saluant les assistants des yeux,

Entre.

Elle dort.

Ô ses paupières violettes !

Ô ses petites mains qui tremblent maigrelettes !

Ô tout son corps perdu dans les draps étouffants !


Regardez, elle meurt de la mort des enfants.

Et le prêtre anxieux, se penche à son oreille.

Elle s'agite un peu, la voilà qui s'éveille,

Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort

Plus pâle.

Et le marquis : « Est-ce déjà la mort ? »

Et le docteur lui prend les deux mains, et sort vite.


On l'enterrait hier matin. Pauvre petite !
Rôdeur vanné, ton œil fané

Tout plein d'un désir satané

Mais qui n'est pas l'œil d'un bélître,

Quand passe quelqu'un de gentil

Lance un éclair comme une vitre.


Ton blaire flaire, âpre et subtil,

Et l'étamine et le pistil,

Toute fleur, tout fruit, toute viande,

Et ta langue d'homme entendu

Pourlèche ta lèvre friande.


Vieux faune en l'air guettant ton dû,

As-tu vraiment bandé, tendu

L'arme assez de tes paillardises ?

L'as-tu, drôle, braquée assez ?

Ce n'est rien que tu nous le dises.


Quoi, malgré ces reins fricassés,

Ce cœur éreinté, tu ne sais

Que dévouer à la luxure

Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel,

Ta rate et toute ta fressure !


Sucrés et doux comme le miel,

Damnants comme le feu du ciel,

Bleus comme fleur, noirs comme poudre,

Tu raffoles beaucoup des yeux

De tout genre en dépit du Foudre.


Les nez te plaisent, gracieux

Ou simplement malicieux,

Étant la force des visages,

Étant aussi, suivant des gens,

Des indices et des présages.


Longs baisers plus clairs que des chants,

Tout petits baisers astringents

Qu'on dirait qui vous sucent l'âme,

Bons gros baisers d'enfant, légers

Baisers danseurs, telle une flamme,


Baisers mangeurs, baisers mangés,

Baisers buveurs, bus, enragés,

Baisers languides et farouches,

Ce que t'aimes bien, c'est surtout,

N'est-ce pas ? les belles boubouches.


Les corps enfin sont de ton goût,

Mieux pourtant couchés que debout,

Se mouvant sur place qu'en marche,

Mais de n'importe quel climat,

Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l'Arche.


Pour que ce goût les acclamât

Minces, grands, d'aspect plutôt mat,

Faudrait pourtant du jeune en somme :

Pieds fins et forts, tout légers bras

Musculeux et les cheveux comme


Ça tombe, longs, bouclés ou ras, -

Sinon pervers et scélérats

Tout à fait, un peu d'innocence

En moins, pour toi sauver, du moins,

Quelque ombre encore de décence ?


Nenni dà ! Vous, soyez témoins,

Dieux la connaissant dans les coins,

Que ces manières, de parts telles,

Sont pour s'amuser mieux au fond

Sans trop muser aux bagatelles.


C'est ainsi que les choses vont

Et que les raillards fieffés font.

Mais tu te ris de ces morales, -

Tel un quelqu'un plus que pressé

Passe outre aux défenses murales.


Et tu réponds, un peu lassé

De te voir ainsi relancé,

De ta voix que la soif dégrade

Mais qui n'est pas d'un marmiteux :

« Qu'y peux-tu faire, camarade,


Si nous sommes cet amiteux ? »
La misère et le mauvais œil,

Soit dit sans le calomnier,

Ont fait à ce monstre d'orgueil

Une âme de vieux prisonnier.


Oui, jettatore, oui, le dernier

Et le premier des gueux en deuil

De l'ombre même d'un denier

Qu'ils poursuivront jusqu'au cercueil.


Son regard mûrit les enfants.

Il a des refus triomphants.

Même il est bête à sa façon.


Beautés passant, au lieu de sous,

Faites à ce mauvais garçon

L'aumône seulement... de vous.
L'incroyable, l'unique horreur de pardonner,

Quand l'offense et le tort ont eu cette envergure,

Est un royal effort qui peut faire figure

Pour le souci de plaire et le soin d'étonner :


L'orgueil, qu'il faut, se doit prévaloir sans scrupule

Et s'endormir pur, fort des péchés expiés,

Doux, le front dans les cieux reconquis, et les pieds

Sur cette humanité toute honte et crapule


Ou plutôt et surtout, gloire à Dieu qui voulut

Au cœur qu'un rien émeut, tel sous des doigts un luth,

Faire un peu de repos dans l'entier sacrifice.


Paix à ce cœur enfin de bonne volonté

Qui ne veut battre plus que vers la Charité,

Et que votre plaisir, ô Jésus, s'assouvisse.
L'indulgence qui n'est pas de l'indifférence

Et qui n'est pas non plus de la faiblesse, ni

De la paresse, pour un devoir défini,

Monitoire au plaisir, bénin à la souffrance.


Non plus le scepticisme et ni préjugé rance

Mais grand'délicatesse et bel accord béni

Et ni la chair honnie et ni l'ennui banni

Toute mansuétude et comme vieille France.


Nous serions une mer en deux fleuves puissants

Où le Bonheur et le Malheur têtes de flottes

Nous passeraient sans heurts, montés par le Bon sens,


Ubiquiste équipage, ubiquiste pilote,

Ubiquiste amiral sous ton sûr pavillon.

Amitié, non plus sous le vôtre, Amour brouillon.
Quand même tu dirais

Que tu me trahirais

Si c'était ton caprice,

Qu'est-ce que me ferait

Ce terrible secret

Si c'était mon caprice ?


De quand même t'aimer,

- Dusses-tu le blâmer,

Ou plaindre mon caprice,

D'être si bien à toi

Qu'il ne m'est dieu ni roi

Ni rien que ton caprice ?


Quand tu me trahirais,

Eh bien donc, j'en mourrais

Adorant ton caprice ;

Alors que me ferait

Un malheur qui serait

Conforme à mon caprice ?
Deux femmes des mieux m'ont apparu cette nuit.

Mon rêve était au bal, je vous demande un peu !

L'une d'entre elles maigre assez, blonde, un œil bleu,

Un noir et ce regard mécréant qui poursuit.


L'autre, brune au regard sournois qui flatte et nuit,

Seins joyeux d'être vus, dignes d'un demi-dieu !

Et toutes deux avaient, pour rappeler le jeu

De la main chaude, sous la traîne qui bruit,


Des bas de dos très beaux et d'une gaîté folle

Auxquels il ne manquait vraiment que la parole,

Royale arrière-garde aux combats du plaisir.


Et ces Dames - scrutez l'armorial de France -

S'efforçaient d'entamer l'orgueil de mon désir,

Et n'en revenaient pas de mon indifférence.
L'ombre des arbres dans la rivière embrumée

Meurt comme de la fumée,

Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles,

Se plaignent les tourterelles.


Combien, ô voyageur, ce paysage blême

Te mira blême toi-même,

Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées

Tes espérances noyées !


Juin 1872.
Lorsque tu cherches tes puces,

C'est très rigolo.

Que de ruses, que d'astuces !

J'aime ce tableau.

C'est, alliciant en diable

Et mon cœur en bat

D'un battement préalable

À quelque autre ébat


Sous la chemise tendue

Au large, à deux mains

Tes yeux scrutent l'étendue

Entre tes durs seins.

Toujours tu reviens bredouille,

D'ailleurs, de ce jeu.

N'importe, il me trouble et brouille,

Ton sport, et pas peu !


Lasse-toi d'être défaite

Aussi sottement,

Viens payer une autre fête

À ton corps charmant

Qu'une chasse infructueuse

Par monts et par vaux.

Tu seras victorieuse...

Si je ne prévaux !
Chair ! ô seul fruit mordu des vergers d'ici-bas,

Fruit amer et sucré qui jutes aux dents seules

Des affamés du seul amour, bouches ou gueules,

Et bon dessert des forts, et leurs joyeux repas,


Amour ! le seul émoi de ceux que n'émeut pas

L'horreur de vivre, Amour qui presses sous tes meules

Les scrupules des libertins et des bégueules

Pour le pain des damnés qu'élisent les sabbats,


Amour, tu m'apparais aussi comme un beau pâtre

Dont rêve la fileuse assise auprès de l'âtre

Les soirs d'hiver dans la chaleur d'un sarment clair,


Et la fileuse c'est la Chair, et l'heure tinte

Où le rêve étreindra la rêveuse, - heure sainte

Ou non ! qu'importe à votre extase, Amour et Chair ?
Tu m'as, ces pâles jours d'automne blanc, fait mal

À cause de tes yeux où fleurit l'animal,

Et tu me rongerais, en princesse Souris,

Du bout fin de la quenotte de ton souris,

Fille auguste qui fis flamboyer ma douleur

Avec l'huile rancie encor de ton vieux pleur !


Oui, folle, je mourrais de ton regard damné.

Mais va (veux-tu ?) l'étang là dort insoupçonné

Dont du lys, nef qu'il eût fallu qu'on acclamât,

L'eau morte a bu le vent qui coule du grand mât.

T'y jeter, palme ! et d'avance mon repentir

Parle si bas qu'il faut être sourd pour l'ouïr.
Ce ne sont pas des mains d'altesse,

De beau prélat quelque peu saint,

Pourtant une délicatesse

Y laisse son galbe succinct.


Ce ne sont pas des mains d'artiste,

De poète proprement dit,

Mais quelque chose comme triste

En fait comme un groupe en petit ;


Car les mains ont leur caractère,

C'est tout un monde en mouvement

Où le pouce et l'auriculaire

Donnent les pôles de l'aimant.


Les météores de la tête

Comme les tempêtes du cœur,

Tout s'y répète et s'y reflète

Par un don logique et vainqueur.


Ce ne sont pas non plus les palmes

D'un rural ou d'un faubourien ;

Encor leurs grandes lignes calmes

Disent « Travail qui ne doit rien. »


Elles sont maigres, longues, grises,

Phalange large, ongle carré.

Tels en ont aux vitraux d'églises

Les saints sous le rinceau doré,


Ou tels quelques vieux militaires

Déshabitués des combats

Se rappellent leurs longues guerres

Qu'ils narrent entre haut et bas.


Ce soir elles ont, ces mains sèches,

Sous leurs rares poils hérissés,

Des airs spécialement rêches,

Comme en proie à d'âpres pensers.


Le noir souci qui les agace,

Leur quasi-songe aigre les font

Faire une sinistre grimace

À leur façon, mains qu'elles sont.


J'ai peur à les voir sur la table

Préméditer là, sous mes yeux,

Quelque chose de redoutable,

D'inflexible et de furieux.


La main droite est bien à ma droite,

L'autre à ma gauche, je suis seul.

Les linges dans la chambre étroite

Prennent des aspects de linceul,


Dehors le vent hurle sans trêve,

Le soir descend insidieux...

Ah ! si ce sont des mains de rêve,

Tant mieux, - ou tant pis, - ou tant mieux !
Maintenant, au gouffre du Bonheur !

Mais avant le glorieux naufrage

Il faut faire à cette mer en rage

Quelque sacrifice et quelque honneur.


Jettes-y, dans cette mer terrible,

Ouragan de calme, flot de paix,

Tes songes creux, tes rêves épais,

Et tous les défauts comme d'un crible.


(Car de gros vices tu n'en as plus.

Quant aux défauts, foule vénielle

Contaminante, ivraie et nielle,

Tu les as tous on ne peut pas plus.)


Jettes-y tes petites colères,

- Garde-les grandes pour les cas vrais, -

Les scrupules excessifs après,

- Les extrêmes, que tu les tolères !


Jette la moindre velléité

De concupiscence, quelle qu'elle

Soit, femmes ou vin ou gloire, ah ! quelle

Qu'elle soit, qu'importe en vérité !


Jette-moi tout ce luxe inutile

Sans soupir, au contraire, en chantant,

Jette sans peur, au contraire étant

Lors détesté d'un luxe inutile


Jette à l'eau ! Que légers nous dansions

En route pour l'entonnoir tragique

Que nul atlas ne cite ou n'indique,

Sur la mer des Résignations.
Mais après les merveilles

Qui n'ont pas de pareilles

De l'épaule et du sein,

Faut sur un autre mode

Dresser une belle ode

Au glorieux bassin.


Faut célébrer la blanche

Souplesse de la hanche

Et sa mate largeur,

Dire le ventre opime

Et sa courbe sublime

Vers le sexe mangeur


Que chastement, encore

Que joliment, décore

Et défend juste assez

L'ombre qui sied aux choses

Divines, peu moroses

Rideaux drûment tressés.


Teutatès adorable,

Saturne plus aimable,

Anthropophage cher

Qui veut aux sacrifices

Non le sang des génisses

Mais le lait de ma chair.


Nous chanterons ensuite

L'aine blonde et sa fuite

Ambrée au sein du Saint...

Mais déposons la lyre.

Livrons-nous au délire

Raisonnable et succinct ?


Non ! fou, braque, orgiaque.

En apache, en canaque

Ivre de tafia :

Nous ne sommes pas l'homme

Pour la docte Sodome

Quand la Femme il y a.
Mais Sa tête, Sa tête !

Folle, unique tempôte

D'injustice indignée,

De mensonge en furie,

Visions de tuerie

Et de vengeance ignée.


Puis exquise bonace,

Du soleil plein l'espace.

Colombe sur l'abîme,

Toute bonne pensée

Caressée et bercée

Pour un réveil sublime.


Force de la nature

Magnifiquement dure

Et si douce, Sa tête.

Adoré phénomène

De ma Philomène

La tête, seule fête !


Et voyez quelle est belle

Cette tête rebelle

A la littérature

Comme à l'art de la brosse

Et du ciseau féroce,

Voyez, race future !


Car je veux dire aux Anges

Ce plus cher des visages,

Cheveux noirs comme l'ombre

Où passerait une onde

Pure, froide, profonde,

Sous un ciel bas et sombre,


Petit front d'Immortelle

Plissé dans la querelle,

Nez mignard qu'ironise

Un bout clair qui s'envole,

Bouche d'où Sa parole

Part, précise et consise


Mais sorcière sans cesse,

Qui blesse et qui caressa

Mon âme obéissante,

Soumise, adulatrice,

Voix dominatrice,

Voix toute-puissante...!


Et ô sur cette bouche

Plus âpre que farouche,

Plus farouche que tendre,

Plus tendre qu'ordinaire,

Prince au fond débonnaire,

Le Baiser semble attendre,


Et tout cela qu'éclaire

Le regard circulaire

De deux yeux de braise,

Bruns avec de la flamme,

Sournois avec de l'àme

Et du cœur, n'en déplaise


A nos jaloux, ma reine,

Ma noble souveraine

Qui me lient dans tes geôles,

Tête belle et bonne

Et mauvaise - et couronne

Du trône, tes Épaules.
Malheureux ! Tous les dons, la gloire du baptême,

Ton enfance chrétienne, une mère qui t'aime,

La force et la santé comme le pain et l'eau,

Cet avenir enfin, décrit dans le tableau

De ce passé plus clair que le jeu des marées,

Tu pilles tout, tu perds en viles simagrées

Jusqu'aux derniers pouvoirs de ton esprit, hélas !

La malédiction de n'être jamais las

Suit tes pas sur le monde où l'horizon t'attire,

L'enfant prodigue avec des gestes de satyre !

Nul avertissement, douloureux ou moqueur,

Ne prévaut sur l'élan funeste de ton cœur.

Tu flânes à travers péril et ridicule,

Avec l'irresponsable audace d'un Hercule

Dont les travaux seraient fous, nécessairement.

L'amitié - dame ! - a tu son reproche clément,

Et chaste, et sans aucun espoir que le suprême,

Vient prier, comme au lit d'un mourant qui blasphème.

La patrie oubliée est dure au fils affreux,

Et le monde alentour dresse ses buissons creux

Où ton désir mauvais s'épuise en flèches mortes.

Maintenant il te faut passer devant les portes,

Hâtant le pas de peur qu'on ne lâche le chien,

Et si tu n'entends pas rire, c'est encor bien.

Malheureux, toi Français, toi Chrétien, quel dommage !

Mais tu vas, la pensée obscure de l'image

D'un bonheur qu'il te faut immédiat, étant

Athée (avec la foule !) et jaloux de l'instant,

Tout appétit parmi ces appétits féroces,

Épris de la fadaise actuelle, mots, noces

Et festins, la « Science », et « l'esprit de Paris »,

Tu vas magnifiant ce par quoi tu péris,

Imbécile ! et niant le soleil qui t'aveugle !

Tout ce que les temps ont de bête paît et beugle

Dans ta cervelle, ainsi qu'un troupeau dans un pré,

Et les vices de tout le monde ont émigré

Pour ton sang dont le fer lâchement s'étiole.

Tu n'es plus bon à rien de propre, ta parole

Est morte de l'argot et du ricanement,

Et d'avoir rabâché les bourdes du moment.

Ta mémoire, de tant d'obscénités bondée,

Ne saurait accueillir la plus petite idée,

Et patauge parmi l'égoïsme ambiant,

En quête d'on ne peut dire quel vil néant !

Seul, entre les débris honnis de ton désastre,

L'Orgueil, qui met la flamme au front du poétastre

Et fait au criminel un prestige odieux,

Seul, l'Orgueil est vivant, il danse dans tes yeux,

Il regarde la Faute et rit de s'y complaire.


- Dieu des humbles, sauvez cet enfant de colère !
Paysages belges


Vers les prés le vent cherche noise

Aux girouettes, détail fin

Du château de quelque échevin,

Rouge de brique et bleu d'ardoise,

Vers les prés clairs, les prés sans fin...


Comme les arbres des féeries,

Des frênes, vagues frondaisons,

Échelonnent mille horizons

À ce Sahara de prairies,

Trèfle, luzerne et blancs gazons.


Les wagons filent en silence

Parmi ces sites apaisés.

Dormez, les vaches ! Reposez,

Doux taureaux de la plaine immense,

Sous vos cieux à peine irisés !


Le train glisse sans un murmure,

Chaque wagon est un salon

Où l'on cause bas et d'où l'on

Aime à loisir cette nature.

Faite à souhait pour Fénelon.
Les donneurs de sérénades

Et les belles écouteuses

Echangent des propos fades

Sous les ramures chanteuses.


C'est Tircis et c'est Aminte,

Et c'est l'éternel Clitandre,

Et c'est Damis qui pour mainte

Cruelle fait maint vers tendre.


Leurs courtes vestes de soie,

Leurs longues robes à queues,

Leur élégance, leur joie

Et leurs molles ombres bleues


Tourbillonnent dans l'extase

D'une lune rose et grise,

Et la mandoline jase

Parmi les frissons de brise.
Quand Marco passait, tous les jeunes hommes

Se penchaient pour voir ses yeux, des Sodomes

Où les feux d'Amour brûlaient sans pitié

Ta pauvre cahute, ô froide Amitié ;

Tout autour dansaient des parfums mystiques

Où l'âme, en pleurant, s'anéantissait.

Sur ses cheveux roux un charme glissait ;

Sa robe rendait d'étranges musiques

Quand Marco passait.


Quand Marco chantait, ses mains, sur l'ivoire

Évoquaient souvent la profondeur noire

Des airs primitifs que nul n'a redits,

Et sa voix montait dans les paradis

De la symphonie immense des rêves,

Et l'enthousiasme alors transportait

Vers des cieux connus quiconque écoutait

Ce timbre d'argent qui vibrait sans trêves,

Quand Marco chantait.


Quand Marco pleurait, ses terribles larmes

Défiaient l'éclat des plus belles armes ;

Ses lèvres de sang fonçaient leur carmin

Et son désespoir n'avait rien d'humain ;

Pareil au foyer que l'huile exaspère,

Son courroux croissait, rouge, et l'on aurait

Dit d'une lionne à l'âpre forêt

Communiquant sa terrible colère,

Quand Marco pleurait.


Quand Marco dansait, sa jupe moirée

Allait et venait comme une marée,

Et, tel qu'un bambou flexible, son flanc

Se tordait, faisant saillir son sein blanc ;

Un éclair partait. Sa jambe de marbre,

Emphatiquement cynique, haussait

Ses mates splendeurs, et cela faisait

Le bruit du vent de la nuit dans un arbre,

Quand Marco dansait.


Quand Marco dormait, oh ! quels parfums d'ambre

Et de chair mêlés opprimaient la chambre !

Sous les draps la ligne exquise du dos

Ondulait, et dans l'ombre des rideaux

L'haleine montait, rhythmique et légère ;

Un sommeil heureux et calme fermait

Ses yeux, et ce doux mystère charmait

Les vagues objets parmi l'étagère,

Quand Marco dormait.


Mais quand elle aimait, des flots de luxure

Débordaient, ainsi que d'une blessure

Sort un sang vermeil qui fume et qui bout,

De ce corps cruel que son crime absout :

Le torrent rompait les digues de l'âme,

Noyait la pensée, et bouleversait

Tout sur son passage, et rebondissait

Souple et dévorant comme de la flamme,

Et puis se glaçait.
L'Océan sonore

Palpite sous l'oeil

De la lune en deuil

Et palpite encore,


Tandis qu'un éclair

Brutal et sinistre

Fend le ciel de bistre

D'un long zigzag clair,


Et que chaque lame,

En bonds convulsifs,

Le long des récifs

Va, vient, luit et clame,


Et qu'au firmament,

Où l'ouragan erre,

Rugit le tonnerre

Formidablement.
Et je t'attends en ce café,

Comme je le fis en tant d'autres.

Comme je le ferais, en outre.

Pour tout le bien que tu me fais.


Tu sais, parbleu ! que cela m'est

Égal aussi bien que possible :

Car mon cœur il n'est telles cibles...

Témoin les belles que j'aimais...


Et ce ne m'est plus un lapin

Que tu me poses, salle rosse,

C'est un civet que tu opposes

Vers midi à mes goûts sans freins.
Mon ami, ma plus belle amitié, ma meilleure,

- Les morts sont morts, douce leur soit l'éternité !

Laisse-moi te le dire en toute vérité,

Tu vins au temps marqué, tu parus à ton heure ;


Tu parus sur ma vie et tu vins dans mon cœur

Au jour climatérique où, noir vaisseau qui sombre,

J'allais noyer ma chair sous la débauche sombre.

Ma chair dolente, et mon esprit jadis vainqueur,


Et mon âme naguère et jadis toute blanche !

Mais tu vins, tu parus, tu vins comme un voleur,

- Tel Christ viendra - Voleur qui m'a pris mon malheur !

Tu parus sur ma mer non pas comme une planche


De salut, mais le Salut même ! Ta vertu

Première, la gaieté, c'est elle-même, franche

Comme l'or, comme un bel oiseau sur une brandie

Qui s'envole dans un brillant turlututu.


Emportant sur son aile électrique les ires

Et les affres et les tentations encor ;

Ton bon sens, - tel après du fifre c'est du cor, -

Vient paisiblement mettre fin aux délires,


N'étant point, ô que non ! le prud'homisme affreux,

Mais l'équilibre, mais la vision artiste,

Sûre et sincère et qui persiste et qui résiste

A l'argumentateur plat comme un songe creux ;


Et ta bonté, conforme à ta jeunesse, est verte,

Mais elle va mûrir délicieusement !

Elle met dans tout moi le renouveau charmant

D'une sève éveillée et d'une âme entr'ouverte.


Elle étend, sous mes pieds, un gazon souple et frais

Où ces marcheurs saignants reprennent du courage,

Caressés par des fleurs au *** parfum sauvage,

Lavés de la rosée et s'attardant exprès.


Elle met sur ma tête, aux tempêtes calmées.

Un ciel profond et clair où passe le vent pur

Et vif, éparpillant les notes dans l'azur

D'oiseaux volant et s'éveillant sous les ramées.


Elle verse à mes yeux, qui ne pleureront plus,

Un paisible sommeil dans la nuit transparente

Que de rêves légers bénissent, troupe errante

De souvenirs et d'espoirs révolus.


Avec des tours naïfs et des besoins d'enfance,

Elle veut être fière et rêve de pouvoir

Être rude un petit sans pouvoir que vouloir

Tant le bon mouvement sur l'autre prend d'avance.


J'use d'elle et parfois d'elle j'abuserais

Par égoïsme un peu bien surérogatoire,

Tort d'ailleurs pardonnable en toute humaine histoire

Mais non dans celle-ci, de crainte des regrets.


De mon côté, c'est vrai qu'à travers mes caprices,

Mes nerfs et tout le train de mon tempérament.

Je t'estime et je t'estime, ô si fidèlement,

Trouvant dans ces devoirs mes plus chères délices.


Déployant tout le peu que j'ai de paternel

Plus encor que de fraternel, malgré l'extrême

Fraternité, tu sais, qu'est notre amitié même,

Exultant sur ce presque amour presque charnel !


Presque charnel à force de sollicitude

Paternelle vraiment et maternelle aussi.

Presque un amour à cause, ô toi de l'insouci

De vivre sinon pour cette sollicitude.


Vaste, impétueux donc, et de prime-saut, mais

Non sans prudence en raison de l'expérience

Très douloureuse qui m'apprit toute nuance.

Du jour lointain, quand la première fois j'aimais :


Ce presque amour est saint ; il bénit d'innocence

Mon reste d'une vie en somme toute au mal,

Et c'est comme les eaux d'un torrent baptismal

Sur des péchés qu'en vain l'Enfer déçu recense.


Aussi, précieux toi plus cher que tous les moi

Que je fus et serai si doit durer ma vie,

Soyons tout l'un pour l'autre en dépit de l'envie,

Soyons tout l'un à l'autre en toute bonne foi.


Allons, d'un bel élan qui demeure exemplaire

Et fasse autour le monde étonné chastement,

Réjouissons les cieux d'un spectacle charmant

Et du siècle et du sort défions la colère.


Nous avons le bonheur ainsi qu'il est permis.

Toi de qui la pensée est toute dans la mienne,

Il n'est, dans la légende actuelle et l'ancienne

Rien de plus noble et de plus beau que deux amis,


Déployant à l'envi les splendeurs de leurs âmes,

Le Sacrifice et l'Indulgence jusqu'au sang,

La Charité qui porte un monde dans son flanc

Et toutes les pudeurs comme de douces flammes !


Soyons tout l'un à l'autre enfin ! et l'un pour l'autre

En dépit des jaloux, et de nos vains soupçons,

A nous, et cette foi pour de bon, renonçons

Au vil respect humain où la foule se vautre,


Afin qu'enfin ce Jésus-Christ qui nous créa

Nous fasse grâce et fasse grâce au monde immonde

D'autour de nous alors unis, - paix sans seconde ! -

Définitivement, et dicte: Alléluia.


« Qu'ils entrent dans ma joie et goûtent mes louanges ;

Car ils ont accompli leur tâche comme dû,

Et leur cri d'espérance, il me fut entendu,

Et voilà pourquoi les anges et les archanges


S'écarteront de devant Moi pour avoir admis,

Purifiés de tous péchés inévitables

Et des traverses quelquefois épouvantables,

Ce couple infiniment bénissable d'Amis. »
Car mon cœur, jamais fatigué

D'être ou du moins de le paraître,

Quoi qu'il en soit, s'efforce d'être

Ou de paraître fol et ***.


Mais, mieux que de chercher fortune

Il tend, ce cœur, dur comme l'arc

De l'Amour en plâtre du parc,

À se détendre en l'autre et l'une


Et les autres : des cibles qu'on

Perçoit aux ventres des nuages

Noirs et rosâtres et volages

Comme tels désirs en flocon.
I


Mon Dieu m'a dit : Mon fils, il faut m'aimer. Tu vois

Mon flanc percé, mon cœur qui rayonne et qui saigne,

Et mes pieds offensés que Madeleine baigne

De larmes, et mes bras douloureux sous le poids


De tes péchés, et mes mains ! Et tu vois la croix,

Tu vois les clous, le fiel, l'éponge et tout t'enseigne

À n'aimer, en ce monde où la chair règne.

Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.


Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même,

Mon frère en mon Père, ô mon fils en l'Esprit,

Et n'ai-je pas souffert, comme c'était écrit ?


N'ai-je pas sangloté ton angoisse suprême

Et n'ai-je pas sué la sueur de tes nuits,

Lamentable ami qui me cherches où je suis ? »


II


J'ai répondu : Seigneur, vous avez dit mon âme.

C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas.

Mais vous aimer ! Voyez comme je suis en bas,

Vous dont l'amour toujours monte comme la flamme.


Vous, la source de paix que toute soif réclame,

Hélas ! Voyez un peu mes tristes combats !

Oserai-je adorer la trace de vos pas,

Sur ces genoux saignants d'un rampement infâme ?


Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements,

Je voudrais que votre ombre au moins vêtît ma houle,

Mais vous n'avez pas d'ombre, ô vous dont l'amour monte,


Ô vous, fontaine calme, amère aux seuls amants

De leur damnation, ô vous toute lumière

Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupière !


III


- Il faut m'aimer ! Je suis l'universel Baiser,

Je suis cette paupière et je suis cette lèvre

Dont tu parles, ô cher malade, et cette fièvre

Qui t'agite, c'est moi toujours ! il faut oser


M'aimer ! Oui, mon amour monte sans biaiser

Jusqu'où ne grimpe pas ton pauvre amour de chèvre,

Et t'emportera, comme un aigle vole un lièvre,

Vers des serpolets qu'un ciel cher vient arroser.


Ô ma nuit claire ! Ô tes yeux dans mon clair de lune !

Ô ce lit de lumière et d'eau parmi la brune !

Toute celle innocence et tout ce reposoir !


Aime-moi ! Ces deux mots sont mes verbes suprêmes,

Car étant ton Dieu tout-puissant, Je peux vouloir,

Mais je ne veux d'abord que pouvoir que tu m'aimes.


IV


- Seigneur, c'est trop ? Vraiment je n'ose. Aimer qui ? Vous ?

Oh ! non ! Je tremble et n'ose. Oh ! vous aimer je n'ose,

Je ne veux pas ! Je suis indigne. Vous, la Rose

Immense des purs vents de l'Amour, ô Vous, tous


Les cœurs des saints, ô vous qui fûtes le Jaloux

D'Israël, Vous, la chaste abeille qui se pose

Sur la seule fleur d'une innocence mi-close.

Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer. Êtes-vous fous


Père, Fils, Esprit ? Moi, ce pécheur-ci, ce lâche,

Ce superbe, qui fait le mal comme sa tâche

Et n'a dans tous ses sens, odorat, toucher, goût.


Vue, ouïe, et dans tout son être - hélas ! dans tout

Son espoir et dans tout son remords que l'extase

D'une caresse où le seul vieil Adam s'embrase ?


V


- Il faut m'aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,

Je suis l'Adam nouveau qui mange le vieil homme,

Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome,

Comme un pauvre rué parmi d'horribles mets.


Mon amour est le feu qui dévore à jamais

Toute chair insensée, et l'évaporé comme

Un parfum, - et c'est le déluge qui consomme

En son Ilot tout mauvais germe que je semais.


Afin qu'un jour la Croix où je meurs fût dressée

Et que par un miracle effrayant de bonté

Je t'eusse un jour à moi, frémissant et dompté.


Aime. Sors de ta nuit. Aime. C'est ma pensée

De toute éternité, pauvre âme délaissée,

Que tu dusses m'aimer, moi seul qui suis resté !


VI


- Seigneur, j'ai peur. Mon âme en moi tressaille toute.

Je vois, je sens qu'il faut vous aimer. Mais comment

Moi, ceci, me ferais-je, ô mon Dieu, votre amant,

Ô Justice que la vertu des bons redoute ?


Oui, comment ? Car voici que s'ébranle la voûte

Où mon cœur creusait son ensevelissement

Et que je sens fluer à moi le firmament,

Et je vous dis : de vous à moi quelle est la route ?


Tendez-moi votre main, que je puisse lever

Cette chair accroupie et cet esprit malade.

Mais recevoir jamais la céleste accolade.


Est-ce possible ? Un jour, pouvoir la retrouver

Dans votre sein, sur votre cœur qui fut le nôtre,

La place où reposa la tête de l'apôtre ?


VII


- Certes, si tu le veux mériter, mon fils, oui,

Et voici. Laisse aller l'ignorance indécise

De ton cœur vers les bras ouverts de mon Église,

Comme la guêpe vole au lis épanoui.


Approche-toi de mon oreille. Épanches-y

L'humiliation d'une brave franchise.

Dis-moi tout sans un mot d'orgueil ou de reprise

Et m'offre le bouquet d'un repentir choisi.


Puis franchement et simplement viens à ma table.

Et je t'y bénirai d'un repas délectable

Auquel l'ange n'aura lui-même qu'assisté,


Et tu boiras le Vin de la vigne immuable,

Dont la force, dont la douceur, dont la bonté

Feront germer ton sang à l'immortalité.


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Puis, va ! Garde une foi modeste en ce mystère

D'amour par quoi je suis ta chair et ta raison,

Et surtout reviens très souvent dans ma maison,

Pour y participer au Vin qui désaltère.


Au Pain sans qui la vie est une trahison,

Pour y prier mon Père et supplier ma Mère

Qu'il te soit accordé, dans l'exil de la terre,

D'être l'agneau sans cris qui donne sa toison.


D'être l'enfant vêtu de lin et d'innocence,

D'oublier ton pauvre amour-propre et ton essence,

Enfin, de devenir un peu semblable à moi


Qui fus, durant les jours d'Hérode et de Pilate

Et de Judas et de Pierre, pareil à toi

Pour souffrir et mourir d'une mort scélérate !


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Et pour récompenser ton zèle en ces devoirs

Si doux qu'ils sont encore d'ineffables délices,

Je te ferai goûter sur terre mes prémices,

La paix du cœur, l'amour d'être pauvre, et mes soirs -


Mystiques, quand l'esprit s'ouvre aux calmes espoirs

Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice

Éternel, et qu'au ciel pieux la lune glisse,

Et que sonnent les angélus roses et noirs,


En attendant l'assomption dans ma lumière,

L'éveil sans fin dans ma charité coutumière,

La musique de mes louanges à jamais,


Et l'extase perpétuelle et la science.

Et d'être en moi parmi l'aimable irradiance

De tes souffrances, enfin miennes, que j'aimais !


VIII


- Ah ! Seigneur, qu'ai-je ? Hélas ! me voici tout en larmes

D'une joie extraordinaire : votre voix

Me fait comme du bien et du mal à la fois,

Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes.


Je ris, je pleure, et c'est comme un appel aux armes

D'un clairon pour des champs de bataille où je vois

Des anges bleus et blancs portés sur des pavois,

Et ce clairon m'enlève en de fières alarmes.


J'ai l'extase et j'ai la terreur d'être choisi.

Je suis indigne, mais je sais votre clémence.

Ah ! quel effort, mais quelle ardeur ! Et me voici


Plein d'une humble prière, encore qu'un trouble immense

Brouille l'espoir que votre voix me révéla,

Et j'aspire en tremblant.


IX


- Pauvre âme, c'est cela !
Ah oui, la question d'argent !

Celle de te voir pleine d'aise

Dans une robe qui te plaise,

Sans trop de ruse ou d'entregent :


Celle d'adorer ton caprice

Et d'aider s'il pleut des louis,

Aux jeux où tu t'épanouis,

Toute de vice et de malice.


D'être là, dans ce Waterloo,

La vie à Paris, de réserve,

Vieille garde que rien n'énerve

Et qui fait bien dans le tableau ;


De me priver de toute joie

En faveur de toi, dusses-tu

Tromper encore ce moi têtu

Qui m'obstine à rester ta proie !


Me l'ont-ils assez reprochée !

Ceux qui ne te comprennent pas,

Grande maîtresse que d'en bas

J'adore, sur mon cœur penchée,


Amis de Job aux conseils vils,

Ne s'étant jamais senti battre

Un cœur amoureux comme quatre

À travers misère et périls !


Ils n'auront jamais la fortune

Ni l'honneur de mourir d'amour

Et de verser tout leur sang pour

L'amour seul de toi, blonde ou brune !
Mon fils est mort. J'adore, ô mon Dieu, votre loi. -

Je vous offre les pleurs d'un cœur presque parjure ,

Vous châtiez bien fort et parferez la foi

Qu'alanguissait l'amour pour une créature.


Vous châtiez bien fort. Mon fils est mort, hélas !

Vous me l'aviez donné, voici que votre droite

Me le reprend à l'heure où mes pauvres pieds las

Réclamaient ce cher guide en cette route étroite.


Vous me l'aviez donné, vous me le reprenez :

Gloire à vous ! J'oubliais beaucoup trop votre gloire

Dans la langueur d'aimer mieux les trésors donnés

Que le Munificent de toute cette histoire.


Vous me l'aviez donné, je vous le rends très pur,

Tout pétri de vertu, d'amour et de simplesse.

C'est pourquoi, pardonnez, Terrible, à celui sur

Le cœur de qui, Dieu fort, sévit cette faiblesse.


Et laissez-moi pleurer et faites-moi bénir

L'élu dont vous voudrez certes que la prière

Rapproche un peu l'instant si bon de revenir

À lui dans Vous, Jésus, après ma mort, dernière.
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Il est grave : il est maire et père de famille.

Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux

Dans un rêve sans fin flottent insoucieux,

Et le printemps en fleur sur ses pantoufles brille.


Que lui fait l'astre d'or, que lui fait la charmille

Où l'oiseau chante à l'ombre, et que lui font les cieux,

Et les prés verts et les gazons silencieux ?

Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille.


Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu,

Il est juste-milieu, botaniste et pansu.

Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,


Ces fainéants barbus, mal peignés, il les a

Plus en horreur que son éternel coryza,

Et le printemps en fleur brille sur ses pantoufles.
Né l'enfant des grandes villes

Et des révoltes serviles,

J'ai là tout cherché, trouvé,

De tout appétit rêvé.

Mais, puisque rien n'en demeure,


J'ai dit un adieu léger

A tout ce qui peut changer,

Au plaisir, au bonheur même,

Et même à tout ce que j'aime

Hors de vous, mon doux Seigneur !


La Croix m'a pris sur ses ailes

Qui m'emporte aux meilleurs zèles,

Silence, expiation,

Et l'âpre vocation

Pour la vertu qui s'ignore.


Douce, chère Humilité,

Arrose ma charité,

Trempe-la de tes eaux vives.

O mon coeur, que tu ne vives

Qu'aux fins d'une bonne mort !
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne

Faisait voler la grive à travers l'air atone,

Et le soleil dardait un rayon monotone

Sur le bois jaunissant où la bise détone.


Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,

Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.

Soudain, tournant vers moi son regard émouvant

« Quel fut ton plus beau jour? » fit sa voix d'or vivant,


Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.

Un sourire discret lui donna la réplique,

Et je baisai sa main blanche, dévotement.


- Ah ! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées !

Et qu'il bruit avec un murmure charmant

Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !
Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice,

Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux ;

Brûle un encens ranci sur tes autels d'or faux ;

Sème de fleurs les bords béants du précipice ;

Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice !


Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni ;

Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides ;

Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides :

Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ;

Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.


Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !

Car mon rêve impossible a pris corps, et je l'ai

Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé

Voyageur qui de l'Homme évite les approches.

- Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !


Le Bonheur a marché côte à côte avec moi ;

Mais la FATALITÉ ne connaît point de trêve :

Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve,

Et le remords est dans l'amour : telle est la loi.

- Le Bonheur a marché côte à côte avec moi.
Roule, roule ton flot indolent, morne Seine. -

Sur tes ponts qu'environne une vapeur malsaine

Bien des corps ont passé, morts, horribles, pourris,

Dont les âmes avaient pour meurtrier Paris.

Mais tu n'en traînes pas, en tes ondes glacées,

Autant que ton aspect m'inspire de pensées !


Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font

Monter le voyageur vers un passé profond,

Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes,

Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.

Le *** Guadalquivir rit aux blonds orangers

Et reflète, les soirs, des boléros légers,

Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive

Où vient faire son kief l'odalisque lascive.

Le Rhin est un burgrave, et c'est un troubadour

Que le Lignon, et c'est un ruffian que l'Adour.

Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies,

Berce de rêves doux le sommeil des momies.

Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés,

Charrie augustement ses îlots mordorés,

Et soudain, beau d'éclairs, de fracas et de fastes,

Splendidement s'écroule en Niagaras vastes.

L'Eurotas, où l'essaim des cygnes familiers

Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers,

Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète,

Rhythmique et caressant, chante ainsi qu'un poète.

Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants

Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents

En appareil royal, tandis qu'au **** la foule

Le long des temples va, hurlant, vivante houle,

Au claquement massif des cymbales de bois,

Et qu'accroupi, filant ses notes de hautbois,

Du saut de l'antilope agile attendant l'heure,

Le tigre jaune au dos rayé s'étire et pleure.

- Toi, Seine, tu n'as rien. Deux quais, et voilà tout,

Deux quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout

D'affreux bouquins moisis et d'une foule insigne

Qui fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne.

Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin

Les passants alourdis de sommeil ou de faim,

Et que le couchant met au ciel des taches rouges,

Qu'il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges

Et, s'accoudant au pont de la Cité, devant

Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent !

Les nuages, chassés par la brise nocturne,

Courent, cuivreux et roux, dans l'azur taciturne.

Sur la tête d'un roi du portail, le soleil,

Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.

L'Hirondelle s'enfuit à l'approche de l'ombre.

Et l'on voit voleter la chauve-souris sombre.

Tout bruit s'apaise autour. À peine un vague son

Dit que la ville est là qui chante sa chanson,

Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes ;

Et c'est l'aube des vols, des amours et des crimes.

- Puis, tout à coup, ainsi qu'un ténor effaré

Lançant dans l'air bruni son cri désespéré,

Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie,

Éclate en quelque coin l'orgue de Barbarie :

Il brame un de ces airs, romances ou polkas,

Qu'enfants nous tapotions sur nos harmonicas

Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes,

Vibrer l'âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.

C'est écorché, c'est faux, c'est horrible, c'est dur,

Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr ;

Ces rires sont traînés, ces plaintes sont hachées ;

Sur une clef de sol impossible juchées,

Les notes ont un rhume et les do sont des la,

Mais qu'importe ! l'on pleure en entendant cela !

Mais l'esprit, transporté dans le pays des rêves,

Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves ;

La pitié monte au cœur et les larmes aux yeux,

Et l'on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux,

Et dans une harmonie étrange et fantastique

Qui tient de la musique et tient de la plastique,

L'âme, les inondant de lumière et de chant,

Mêle les sons de l'orgue aux rayons du couchant !


- Et puis l'orgue s'éloigne, et puis c'est le silence,

Et la nuit terne arrive et Vénus se balance

Sur une molle nue au fond des cieux obscurs :

On allume les becs de gaz le long des murs.

Et l'astre et les flambeaux font des zigzags fantasques

Dans le fleuve plus noir que le velours des masques ;

Et le contemplateur sur le haut garde-fou

Par l'air et par les ans rouillé comme un vieux sou

Se penche, en proie aux vents néfastes de l'abîme.

Pensée, espoir serein, ambition sublime,

Tout, jusqu'au souvenir, tout s'envole, tout fuit,

Et l'on est seul avec Paris, l'Onde et la Nuit !


- Sinistre trinité ! De l'ombre dures portes !

Mané-Thécel-Pharès des illusions mortes !

Vous êtes toutes trois, ô Goules de malheur,

Si terribles, que l'Homme, ivre de la douleur

Que lui font en perçant sa chair vos doigts de spectre,

L'Homme, espèce d'Oreste à qui manque une Électre,

Sous la fatalité de votre regard creux

Ne peut rien et va droit au précipice affreux ;

Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses

De tuer et d'offrir au grand Ver des épouses

Qu'on ne sait que choisir entre vos trois horreurs,

Et si l'on craindrait moins périr par les terreurs

Des Ténèbres que sous l'Eau sourde, l'Eau profonde,

Ou dans tes bras fardés, Paris, reine du monde !


- Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant,

Tu traînes dans Paris ton cours de vieux serpent,

De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres

Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres !
Petit Jésus qu'il nous faut être,

Si nous voulons voir Dieu le Père,

Accordez-nous d'alors renaître


En purs bébés, nus, sans repaire

Qu'une étable, et sans compagnie

Qu'une âne et qu'un bœuf, humble paire ;


D'avoir l'ignorance infinie

Et l'immense toute-faiblesse

Par quoi l'humble enfance est bénie ;


De n'agir sans qu'un rien ne blesse

Notre chair pourtant innocente

Encor même d'une caresse,


Sans que notre œil chétif ne sente

Douloureusement l'éclat même

De l'aube à peine pâlissante,


Du soir venant, lueur suprême,

Sans éprouver aucune envie

Que d'un long sommeil tiède et blême...


En purs bébés que l'âpre vie

Destine, - pour quel but sévère

Ou bienheureux ? - foule asservie


Ou troupe libre, à quel calvaire ?
Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste !

C'est vers le Moyen Age énorme et délicat

Qu'il faudrait que mon coeur en panne naviguât,

**** de nos jours d'esprit charnel et de chair triste.


Roi politicien, moine, artisan, chimiste,

Architecte, soldat, médecin, avocat,

Quel temps ! Oui, que mon coeur naufragé rembarquât

Pour toute cette force ardente, souple, artiste !


Et là que j'eusse part - quelconque, chez les rois

Ou bien ailleurs, n'importe, - à la chose vitale,

Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,


Haute théologie et solide morale,

Guidé par la folie unique de la Croix

Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathédrale !
Nos repas sont charmants encore que modestes,

Grâce à ton art profond d'accommoder les restes

Du rôti d'hier ou de ce récent ***-au-feu

En hachis et ragoûts comme on n'en trouve pas chez Dieu.


Le vin n'a pas ce nom, car à quoi sert la gloire ?

Et puisqu'il est tiré, ne faut-il pas le boire ?

Pour le pain, comme on n'en a pas toujours mangé,

Qu'il nous semble excellent me semble un fait archijugé.


Le légume est pour presque rien, et le fromage :

Nous en usons en rois dont ce serait l'usage.

Quant aux fruits, leur primeur ça nous est bien égal,

Pourvu qu'il y en ait dans ce festin vraiment frugal.


Mais le triomphe, au moins pour moi, c'est la salade :

Comme elle en prend ! sans jamais se sentir malade,

Plus forte en cela que défunt Tragaldabas,

Et j'en bâfre de cœur tant elle est belle en ces ébats,


Et le café, qui pour ma part fort m'indiffère,

Ce qu'elle l'aime, mes bons amis, quelle affaire !

Je m'en amuse et j'en jouis pour elle, vrai !

Et puis je sais si bien que la nuit j'en profiterai.


Je sais si bien que le sommeil fuira sa lèvre

Et ses yeux allumés encor d'un brin de fièvre

Par la goutte de rhum bue en trinquant gaîment

Avec moi, présage gentil d'un choc bien plus charmant.
Notre-Dame de Santa Fé de Bogota,

Qui vous apprêtez à faire le tour de ce monde,

Or, mon émotion serait trop profonde

Dans le chagrin réel dont mon cœur éclata,


À la nouvelle de ce départ déplorable,

Si je n'avais l'orgueil de vous avoir à ta-

Ble d'hôte vue ainsi que tel ou tel rasta.

Et de vous devoir ce sonnet point admirable


Hélas ! assez, mais que voici de tout mon cœur

Tel que je l'ai conçu dans un rêve vainqueur,

Dont, hélas ! je reviens avec le bruit qui grise.


D'un tambourin, bruyant sans doute mais gentil

D'être, grâce à votre talent de femme exquise-

Ment amusant, décoré d'un doigt subtil.
Nous sommes bien faits l'un pour l'autre ;

Pourtant quand tu me rencontreras

Menant mes derniers embarras

D'homme grave et de bon apôtre,

Ruine encore de chrétien,

Philosophe déjà païen,


Lourd de doctrine et de scrupule,

(Le tout un peu décomposé)

Mais au fond très bien disposé

Pour la popine et la crapule,

En un mot, sot entre les sots

De cette sorte de puceaux,


T'eus quelque mal à la conquête,

- Et par ce mot que j'ai voulu

J'entends ton triomphe absolu, -

Sinon de mon cœur, de ma tête ;

Je ne parle pas de mon corps

Vaincu dès les primes abords.


Mais comme nous sympathisâmes

Dès nos esprits mis en rapport

Et dès lors quel parfait accord

Entre ces luronnes, nos deux âmes,

Ces luronnes et nos lurons

D'esprits tout carrés et tout ronds !


Toi simple encor, que compliquée,

Et moi naïf aux cents replis,

Notre expérience des lits

Et noire ignorance marquée

En fait de sentiment subtil,

Tout ce nous rendait que gentil


L'un à l'autre ! en dépit, par crises,

De colères bien vite au trot,

D'humeurs noires, roses bientôt,

Et, mon Dieu, d'un tas de sottises

Qu'on réparait, pour t'apaiser

Madame et Monsieur, d'un baiser !


C'est de persévérer, petite !

C'est, chère, de continuer,

Quittes à parfois nous tuer

Pour nous ressusciter ensuite,

C'est de rester à deux, vraiment,

Bon cœur et mauvais garnement.
Nous sommes en des temps infâmes

Où le mariage des âmes

Doit sceller l'union des cœurs ;

À cette heure d'affreux orages,

Ce n'est pas trop de deux courages

Pour vivre sous de tels vainqueurs.


En face de ce que l'on ose

Il nous siérait, sur toute chose,

De nous dresser, couple ravi

Dans l'extase austère du juste

Et proclamant, d'un geste auguste

Notre amour fier, comme un défi !


Mais quel besoin de te le dire ?

Toi la bonté, toi le sourire,

N'es-tu pas le conseil aussi,

Le bon conseil loyal et brave,

Enfant rieuse au penser grave,

À qui tout mon cœur dit : merci !
C'est plutôt le sabbat du second Faust que l'autre.

Un rhythmique sabbat, rhythmique, extrêmement

Rhythmique. - Imaginez un jardin de Lenôtre,

Correct, ridicule et charmant.


Des ronds-points ; au milieu, des jets d'eau ; des allées

Toutes droites ; sylvains de marbre ; dieux marins

De bronze ; çà et là, des Vénus étalées ;

Des quinconces, des boulingrins ;


Des châtaigniers ; des plants de fleurs formant la dune ;

Ici, des rosiers nains qu'un goût docte effila ;

Plus ****, des ifs taillés en triangles. La lune

D'un soir d'été sur tout cela.


Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique

Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air

De chasse : tel, doux, lent, sourd et mélancolique,

L'air de chasse de Tannhauser.


Des chants voilés de cors lointains où la tendresse

Des sens étreint l'effroi de l'âme en des accords

Harmonieusement dissonnants dans l'ivresse ;

Et voici qu'à l'appel des cors


S'entrelacent soudain des formes toutes blanches,

Diaphanes, et que le clair de lune fait

Opalines parmi l'ombre verte des branches,

- Un Watteau rêvé par Raffet ! -


S'entrelacent parmi l'ombre verte des arbres

D'un geste alangui, plein d'un désespoir profond ;

Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres

Très lentement dansent en rond.


- Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée

Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,

Ces spectres agités en tourbe cadencée,

Ou bien tout simplement des morts ?


Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur qu'invite

L'horreur, ou ton regret, ou ta pensée, - hein ? - tous

Ces spectres qu'un vertige irrésistible agite,

Ou bien des morts qui seraient fous ? -


N'importe ! ils vont toujours, les fébriles fantômes,

Menant leur ronde vaste et morne et tressautant

Comme dans un rayon de soleil des atomes,

Et s'évaporent à l'instant


Humide et blême où l'aube éteint l'un après l'autre

Les cors, en sorte qu'il ne reste absolument

Plus rien - absolument - qu'un jardin de Lenôtre,

Correct, ridicule et charmant.
Ô ! j'ai froid d'un froid de glace

Ô ! je brûle à toute place !


Mes os vont se cariant,

Des blessures vont criant ;


Mes ennemis pleins de joie

Ont fait de moi quelle proie !


Mon cœur, ma tête et mes reins

Souffrent de maux souverains.


Tout me fuit, adieu ma gloire !

Est-ce donc le Purgatoire ?


Ou si c'est l'enfer ce lieu

Ne me parlant plus de Dieu ?


- L'indignité de ton sort

Est le plaisir d'un plus Fort,


Dieu plus juste, et plus Habile

Que ce toi-même débile.


Tu souffres de tel mal profond

Que des volontés te font,


Plus bénignes que la tienne

Si mal et si peu chrétienne,


Tes humiliations

Sont des bénédictions


Et ces mornes sécheresses

Où tu te désintéresses


De purs avertissements

Descendus de cieux aimants.


Tes ennemis sont les anges,

Moins cruels et moins étranges


Que bons inconsciemment,

D'un Seigneur rude et clément


Aime tes croix et tes plaies,

Il est sain que tu les aies.


Face aux terribles courroux,

Bénis et tombe à genoux.


Fer qui coupe et voix qui tance,

C'est la bonne Pénitence.


Sous la glace et dans le feu

Tu retrouveras ton Dieu.
Ô mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour

Et la blessure est encore vibrante,

Ô mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour.


Ô mon Dieu, votre crainte m'a frappé

Et la brûlure est encor là qui tonne,

Ô mon Dieu, votre crainte m'a frappé.


Ô mon Dieu, j'ai connu que tout est vil

Et votre gloire en moi s'est installée,

Ô mon Dieu, j'ai connu que tout est vil.


Noyez mon âme aux flots de votre Vin,

Fondez ma vie au Pain de votre table,

Noyez mon âme aux flots de votre Vin.


Voici mon sang que je n'ai pas versé,

Voici ma chair indigne de souffrance,

Voici mon sang que je n'ai pas versé.


Voici mon front qui n'a pu que rougir,

Pour l'escabeau de vos pieds adorables,

Voici mon front qui n'a pu que rougir.


Voici mes mains qui n'ont pas travaillé,

Pour les charbons ardents et l'encens rare,

Voici mes mains qui n'ont pas travaillé.


Voici mon coeur qui n'a battu qu'en vain,

Pour palpiter aux ronces du Calvaire,

Voici mon coeur qui n'a battu qu'en vain.


Voici mes pieds, frivoles voyageurs,

Pour accourir au cri de votre grâce,

Voici mes pieds, frivoles voyageurs.


Voici ma voix, bruit maussade et menteur,

Pour les reproches de la Pénitence,

Voici ma voix, bruit maussade et menteur.


Voici mes yeux, luminaires d'erreur,

Pour être éteints aux pleurs de la prière,

Voici mes yeux, luminaires d'erreur.


Hélas ! Vous, Dieu d'offrande et de pardon,

Quel est le puits de mon ingratitude,

Hélas ! Vous, Dieu d'offrande et de pardon,


Dieu de terreur et Dieu de sainteté,

Hélas ! ce noir abîme de mon crime,

Dieu de terreur et Dieu de sainteté,


Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,

Toutes mes peurs, toutes mes ignorances,

Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,


Vous connaissez tout cela, tout cela,

Et que je suis plus pauvre que personne,

Vous connaissez tout cela, tout cela,


Mais ce que j'ai, mon Dieu, je vous le donne.
On n'offense que Dieu qui seul pardonne. Mais

On centriste son frère, on l'afflige, on le blesse.

On fait gronder sa haine ou pleurer sa faiblesse,

Et c'est un crime affreux qui va troubler la paix

Des simples, et donner au monde sa pâture,

Scandale, cœurs perdus, gros mots et rire épais.


Le plus souvent par un effet de la nature

Des choses, ce péché trouve son châtiment

Même ici-bas, féroce et long communément.

Mais l'Amour tout-puissant donne à la créature

Le sens de son malheur qui mène au repentir

Par une route lente et haute, mais très sûre.


Alors un grand désir, un seul, vient investir -

Le pénitent, après les premières alarmes.

Et c'est d'humilier son front devant les larmes


De naguère, sans rien qui pourrait amollir

Le coup droit pour l'orgueil, et de rendre les armes

Comme un soldat vaincu, - triste de bonne fol.


Ô ma sœur, qui m'avez puni, pardonnez-moi !
Opportet hæreses esse.

Car il faut, en effet, encore,

Que notre foi, donc, s'édulcore

Opportet hæreses esse.


Il fallait quelque humilité,

Ma Foi qui poses et grimaces,

Afin que tu t'édulcorasses ;

Et l'hérésiarque entêté


T'a tenté, ne nous dis pas non,

Jusque vers les pires péchés,

T'entraînant du doute impur chez

Le Diable t'ouvrant son fanon.


Or maintenant, courage ! assez

De larmes sur l'erreur d'un jour,

Songe au pardon du Dieu d'amour.

Opportet hæreses esse.
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