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Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs

Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales

Siciliennes, ni les pompes aurorales,

Ni la solennité dolente des couchants.


Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants,

Des vers, des temples grecs et des tours en spirales

Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales,

Et je vois du même oeil les bons et les méchants.


Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie

Toute pensée, et quant à la vieille ironie,

L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus.


Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille

Au brick perdu jouet du flux et du reflux,

Mon âme pour d'affreux naufrages appareille.
Je suis l'Empire à la fin de la décadence,

Qui regarde passer les grands Barbares blancs

En composant des acrostiches indolents

D'un style d'or où la langueur du soleil danse.


L'âme seulette a mal au coeur d'un ennui dense.

Là-bas on dit qu'il est de longs combats sanglants.

O n'y pouvoir, étant si faible aux voeux si lents,

O n'y vouloir fleurir un peu cette existence !


O n'y vouloir, ô n'y pouvoir mourir un peu !

Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?

Ah ! tout est bu, tout est mangé ! Plus rien à dire !


Seul, un poème un peu niais qu'on jette au feu,

Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige,

Seul, un ennui d'on ne sait quoi qui vous afflige !
Un solide gaillard ! dix-huit ans : larges bras ;

Mains à vous arracher la tête de l'épaule ;

Sur un front bas et dur, cheveux roux, coupés ras.

Puis, à la danse, il a, ma foi, crâne air, le drôle !


Les enfants poussent drus aux filles qu'il enjôle,

Dans la puberté fière et fauve, le beau gas

Va, comme dans sa pourpre un roi qui sait son rôle

Et parle à voix hautaine, et marche à vastes pas.


Plus ****, soit que le sort l'épargne ou le désigne,

On le verra, bon vieux, barbe blanche, œil terni,

S'éteindre doucement, comme un jour qui finit,


Ou bien, humble héros, martyr de la consigne,

Au fond d'une tranchée obscure ou d'un talus

Rouler, le crâne ouvert par quelque éclat d'obus.
Sa tête fine dans sa main toute petite,

Elle écoute le chant des cascades lointaines,

Et, dans la plainte langoureuse des fontaines,

Perçoit comme un écho béni du nom de Tite.


Elle a fermé ses yeux divins de clématite

Pour bien leur peindre, au coeur des batailles hautaines

Son doux héros, le mieux aimant des capitaines,

Et, Juive, elle se sent au pouvoir d'Aphrodite.


Alors un grand souci la prend d'être amoureuse,

Car dans Rome une loi bannit, barbare, affreuse,

Du trône impérial toute femme étrangère.


Et sous le noir chagrin dont sanglote son âme,

Entre les bras de sa servante la plus chère,

La reine, hélas ! défaille et tendrement se pâme.
Quand déjà pétillait et flambait le bûcher,

Jeanne qu'assourdissait le chant brutal des prêtres,

Sous tous ces yeux dardés de toutes ces fenêtres

Sentit frémir sa chair et son âme broncher.


Et semblable aux agneaux que revend au boucher

Le pâtour qui s'en va sifflant des airs champêtres,

Elle considéra les choses et les êtres

Et trouva son seigneur bien ingrat et léger.


C'est mal, gentil Bâtard, doux Charles, bon Xaintrailles,

De laisser les Anglais faire ces funérailles

À qui leur fit lever le siège d'Orléans.


Et la Lorraine, au seul penser de cette injure,

Tandis que l'étreignait la mort des mécréants,

Las ! pleura comme eût fait une autre créature.
La sainte, ta patronne, est surtout vénérée

Dans nos pays du Nord et toute la contrée

Dont je suis à demi, la Lorraine et l'Ardenne.

Elle fut courageuse et douce et mourut vierge

Et martyre. Or il faut lui brûler un beau cierge

En ce jour de ta fête et de quelque fredaine

De plus, peut-être, en son honneur, ô ma païenne !


Tu n'es pas vierge, hélas ! mais encore martyre

Non pour Dieu, mais qui te plut. (Qu'ont-ils à rire ?)

A cause de ton cœur saignant resté sublime.

Courageuse, tu l'es, pauvre chère adorée,

Pour supporter tant de douleur démesurée

Avec cette fierté qui pare une victime,

Avec tout ce pardon joyeux et longanime.


Et douce ? Ah oui ! malgré ton allure si vive

Et si forte et rude parfois. Douce et naïve

Comme ta voix d'enfant aux notes paysannes.

Douce au pauvre et naïve envers tous et que bonne

Sous un dehors souvent brutal qui vous étonne,

Vous, les gens, mais dont j'ai vite su les arcanes !


Douce et bonne et naïve, âme exquise qui planes

Au-dessus de tout préjugé bête ou féroce,

Au-dessus de l'hypocrisie et du cant rosse

Et du jargon menteur et de l'argot fétide

Dans la région pure où la haine s'ignore,

Où la rancune expire, où l'amour pur arbore

Sur la blancheur des cieux sa bannière candide.

Ô résignation infiniment splendide.


En ce jour de ta fête et malgré nos frivoles

Préoccupations moins coupables que folles

De baisers redoublés pour le cas, et l'antienne

Plus gentille encor qu'excessive des mots lestes,

Recueillons-nous pourtant, pensons aux fins célestes

Afin qu'après ma mort ou, las ! après la tienne,

Le survivant pour l'absent prie, ô ma chrétienne !
La saison qui s'avance

Nous baille la défense

D'user des us d'été,

Le frisson de l'automne

Déjà nous pelotonne

Dans le lit mieux fêté.


Fi de l'été morose,

Toujours la même chose :

« J'ai chaud, t'as chaud, dormons ! »

Dormir au lieu de vivre

S'ennuyer comme un livre...

Voici l'automne, aimons !


L'un dans l'autre, à notre aise,

Soyons pires que braise

Puisque s'en vient l'hiver,

Tous les deux, corps et âme,

Soyons pires que flamme,

Soyons pires que chair !
À J.-K. Huysmans.


Il fait nuit dans la chambre étroite et froide où l'homme

Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme

Depuis trois jours il n'a pas prononcé deux mots,

La femme a peur et fait des signes aux marmots.


Un seul lit, un bahut disloqué, quatre chaises,

Des rideaux jadis blancs conchiés des punaises,

Une table qui va s'écroulant d'un côté, -

Le tout navrant avec un air de saleté.


L'homme, grand front, grands yeux pleins d'une sombre flamme

A vraiment des lueurs d'intelligence et d'âme

Et c'est ce qu'on appelle un solide garçon.

La femme, jeune encore, est belle à sa façon.


Mais la Misère a mis sur eux sa main funeste,

Et perdant par degrés rapides ce qui reste

En eux de tristement vénérable et d'humain,

Ce seront la femelle et le mâle, demain.


Tous se sont attablés pour manger de la soupe

Et du boeuf, et ce tas sordide forme un groupe

Dont l'ombre à l'infini s'allonge tout autour

De la chambre, la lampe étant sans abat-jour.


Les enfants sont petits et pâles, mais robustes

En dépit des maigreurs saillantes de leurs bustes

Qui disent les hivers passés sans feu souvent

Et les étés subis dans un air étouffant.


Non **** d'un vieux fusil rouillé qu'un clou supporte

Et que la lampe fait luire d'étrange sorte,

Quelqu'un qui chercherait longtemps dans ce retrait

Avec l'oeil d'un agent de police verrait


Empilés dans le fond de la boiteuse armoire,

Quelques livres poudreux de « science » et d'« histoire »,

N, Et sous le matelas, cachés avec grand soin,

Des romans capiteux cornés à chaque coin.


Ils mangent cependant. L'homme, morne et farouche,

Porte la nourriture écoeurante à sa bouche

D'un air qui n'est rien moins nonobstant que soumis,

Et son eustache semble à d'autres soins promis.


La femme pense à quelque ancienne compagne,

Laquelle a tout, voiture et maison de campagne,

Tandis que les enfants, leurs poings dans leurs yeux clos,

Ronflant sur leur assiette imitent des sanglots.
De la douceur, de la douceur, de la douceur !

Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.

Même au fort du déduit, parfois, vois-tu, l'amante

Doit avoir l'abandon paisible de la sœur.


Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,

Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.

Va, l'étreinte jalouse et le spasme obsesseur

Ne valent pas un long baiser, même qui mente !


Mais dans ton cher cœur d'or, me dis-tu, mon enfant,

La fauve passion va sonnant l'oliphant

Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse !


Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,

Et fais-moi des serments que tu rompras demain,

Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse !
La tristesse, langueur du corps humain

M'attendrissent, me fléchissent, m'apitoient,

Ah ! surtout quand des sommeils noirs le foudroient.

Quand les draps zèbrent la peau, foulent la main !


Et que mièvre dans la fièvre du demain,

Tiède encor du bain de sueur qui décroît,

Comme un oiseau qui grelotte sous un toit !

Et les pieds, toujours douloureux du chemin,


Et le sein, marqué d'un double coup de poing,

Et la bouche, une blessure rouge encor.

Et la chair frémissante, frêle décor,


Et les yeux, les pauvres yeux si beaux où point

La douleur de voir encore du fini !...

Triste corps ! Combien faible et combien puni !
Le Point-du-Jour avec Paris au large,

Des chants, des tirs, les femmes qu'on « rêvait »,

La Seine claire et la foule qui fait

Sur ce poème un vague essai de charge.


On danse aussi, car tout est dans la marge

Que fait le fleuve à ce livre parfait,

Et si parfois l'on tuait ou buvait,

Le fleuve est sourd et le vin est litharge.


Le Point-du-Jour, mais c'est l'Ouest de Paris !

Un calembour a béni son histoire

D'affreux baisers et d'immondes paris.


En attendant que sonne l'heure noire

Où les bateaux-omnibus et les trains

Ne partent plus, tirez, tirs, fringuez, reins !
Murs blancs, toit rouge, c'est l'Auberge fraîche au bord

Du grand chemin poudreux où le pied brûle et saigne,

L'Auberge gaie avec le Bonheur pour enseigne.

Vin bleu, pain tendre, et pas besoin de passe-port.


Ici l'on fume, ici l'on chante, ici l'on dort.

L'hôte est un vieux soldat, et l'hôtesse, qui peigne

Et lave dix marmots roses et pleins de teigne,

Parle d'amour, de joie et d'aise, et n'a pas tort !


La salle au noir plafond de poutres, aux images

Violentes, Maleck Adel et les Rois Mages,

Vous accueille d'un bon parfum de soupe aux choux.


Entendez-vous ? C'est la marmite qu'accompagne

L'horloge du tic-tac allègre de son pouls.

Et la fenêtre s'ouvre au **** sur la campagne.
L'autel bas s'orne de hautes mauves,

La chasuble blanche est toute en fleurs,

A travers les pâles vitraux jaunes

Le soleil se répand comme un fleuve ;


On chante au graduel : Fi-li-a !

D'une voix si lentement joyeuse

Qu'il faudrait croire que c'est l'extase

D'à-jamais voir la Reine des cieux ;


Le sermon du tremblotant vicaire

Est gentil plus que par un dimanche,

Qui dit que pour s'élever dans l'air

Faut être humble et de foi cordiale ;


Il ajoute, le cher vieux bonhomme,

Que la gloire ultime est réservée

Sur tous ceux qui vivent dans la pompe,

Aux pauvres d'esprit et de monnaie ;


On sort de l'église, après les vêpres,

Pour la procession si touchante

Qui a nom : du Vœu de Louis Treize

C'est le cas de prier pour la France.
La vie est bien sévère

A cet homme trop *** :

Plus le vin dans le verre

Pour le sang fatigué,


Plus l'huile dans la lampe

Pour les yeux et la main,

Plus l'envieux qui rampe

Pour l'orgueil surhumain,


Plus l'épouse choisie

Pour vivre et pour mourir,

En qui l'on s'extasie

Pour s'aider à souffrir,


Hélas ! et plus les femmes

Pour le cœur et la chair,

Plus la Foi, sel des âmes,

Pour la peur de l'Enfer,


Et ni plus l'Espérance

Pour le ciel mérité

Par combien de souffrance !

Rien. Si. La Charité.


Le pardon des offenses

Comme un déchirement,

L'abandon des vengeances.

Comme un délaissement,


Changer au mieux le pire,

A la méchanceté

Déployant son empire,

Opposer la bonté,


Peser, se rendre compte.

Faire la part de tous,

Boire la bonne honte,

Être toujours plus doux...


Quelque chaleur va luire

Pour le cœur fatigué,

La vie enfin sourire

A cet homme trop ***.


Et puisque je pardonne,

Mon Dieu, pardonnez-moi,

Ornant l'âme enfin bonne

D'espérance et de foi.
La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles

Est une œuvre de choix qui veut beaucoup d'amour :

Rester *** quand le jour triste succède au jour,

Être fort, et s'user en circonstances viles ;


N'entendre, n'écouter aux bruits des grandes villes

Que l'appel, ô mon Dieu, des cloches dans la tour,

Et faire un de ces bruits soi-même, cela pour

L'accomplissement vil de tâches puériles ;


Dormir chez les pécheurs étant un pénitent ;

N'aimer que le silence et converser pourtant

Le temps si grand dans la patience si grande,


Le scrupule naïf aux repentirs têtus,

Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus !

- Fi, dit l'Ange Gardien, de l'orgueil qui marchande !
Le bruit des cabarets, la fange du trottoir,

Les platanes déchus s'effeuillant dans l'air noir,

L'omnibus, ouragan de ferraille et de boues,

Qui grince, mal assis entre ses quatre roues,

Et roule ses yeux verts et rouges lentement,

Les ouvriers allant au club, tout en fumant

Leur brûle-gueule au nez des agents de police,

Toits qui dégouttent, murs suintants, pavé qui glisse,

Bitume défoncé, ruisseaux comblant l'égout,

Voilà ma route - avec le paradis au bout.
L'écartement des bras m'est cher, presque plus cher

Que l'écartement autre :

Mer puissante et que belle et que bonne de chair,

Quel appât est la vôtre !


Ô seins, mon grand orgueil, mon immense bonheur,

Purs, blancs, joie et caresse,

Volupté pour mes yeux et mes mains et mon cœur

Qui bat de votre ivresse,


Aisselles, fins cheveux courts qu'ondoie un parfum

Capiteux où je plonge,

Cou gras comme le miel, ambré comme lui, qu'un

Dieu fit bien mieux qu'en songe.


Fraîcheur enfin des bras endormis et rêveurs

Autour de mes épaules,

Palpitantes et si doux d'étreinte à mes ferveurs

Toutes à leurs grands rôles,


Que je ne sais quoi pleure en moi, peine et plaisir.

Plaisir fou, chaste peine,

Et que je ne puis mieux assouvir le désir

De quoi mon âme est pleine


Qu'en des baisers plus langoureux et plus ardents

Sur le glorieux buste

Non sans un sentiment comme un peu triste dans

L'extase comme auguste !


Et maintenant vers l'ombre blanche - et noire un peu,

L'amour il peut détendre

Plus par en bas et plus intime son fier jeu

Dès lors naïf et tendre !
L'échelonnement des haies

Moutonne à l'infini, mer

Claire dans le brouillard clair

Qui sent bon les jeunes baies.


Des arbres et des moulins

Sont légers sur le vert tendre

Où vient s'ébattre et s'étendre

L'agilité des poulains.


Dans ce vague d'un Dimanche

Voici se jouer aussi

De grandes brebis aussi

Douces que leur laine blanche.


Tout à l'heure déferlait

L'onde, roulée en volutes,

De cloches comme des flûtes

Dans le ciel comme du lait.
C'est le chien de Jean de Nivelle

Qui mord sous l'œil même du guet

Le chat de la mère Michel ;

François-les-bas-bleus s'en égaie.


La Lune à l'écrivain public

Dispense sa lumière obscure

Où Médor avec Angélique

Verdissent sur le pauvre mur.


Et voici venir La Ramée

Sacrant en bon soldat du Roy.

Sous son habit blanc mal famé,

Son cœur ne se tient pas de joie,


Car la boulangère... - Elle ? - Oui dam !

Bernant Lustucru, son vieil homme,

A tantôt couronné sa flamme...

Enfants, Dominus vobiscum !


Place ! en sa longue robe bleue

Toute en satin qui fait frou-frou,

C'est une impure, palsembleu !

Dans sa chaise qu'il faut qu'on loue


Fût-on philosophe ou grigou,

Car tant d'or s'y relève en bosse

Que ce luxe insolent bafoue

Tout le papier de monsieur Loss !


Arrière ! robin crotté ! place,

Petit courtaud, petit abbé,

Petit poète jamais las

De la rime non attrapée !


Voici que la nuit vraie arrive...

Cependant jamais fatigué

D'être inattentif et naïf

François-les-bas-bleus s'en égaie.
Le ciel est, par-dessus le toit,

Si bleu, si calme !

Un arbre, par-dessus le toit,

Berce sa palme.


La cloche, dans le ciel qu'on voit,

Doucement tinte.

Un oiseau sur l'arbre qu'on voit

Chante sa plainte.


Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là

Simple et tranquille.

Cette paisible rumeur-là

Vient de la ville.


Qu'as-tu fait, ô toi que voilà

Pleurant sans cesse,

Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,

De ta jeunesse ?
Bobèche, adieu ! bonsoir, Paillasse ! arrière, Gille !

Place, bouffons vieillis, au parfait plaisantin,

Place ! très grave, très discret et très hautain,

Voici venir le maître à tous, le clown agile.


Plus souple qu'Arlequin et plus brave qu'Achille,

C'est bien lui, dans sa blanche armure de satin ;

Vides et clairs ainsi que des miroirs sans tain,

Ses yeux ne vivent pas dans son masque d'argile.


Ils luisent bleus parmi le fard et les onguents,

Cependant que la tête et le buste, élégants,

Se balancent sur l'arc paradoxal des jambes.


Puis il sourit. Autour le peuple bête et laid,

La canaille puante et sainte des Iambes,

Acclame l'histrion sinistre qui la hait.
Ô Belgique qui m'as valu ce dur loisir,

Merci ! J'ai pu du moins réfléchir et saisir

Dans le silence doux et blanc de tes cellules

Les raisons qui fuyaient comme des libellules

À travers les roseaux bavards d'un monde vain,

Les raisons de mon être éternel et divin,

Et les étiqueter comme en un beau musée

Dans les cases en fin cristal de ma pensée.

Mais, ô Belgique, assez de ce huis-clos têtu !

Ouvre enfin, car c'est bon pour une fois, sais-tu !
Un vieux faune de terre cuite

Rit au centre des boulingrins,

Présageant sans doute une suite

Mauvaise à ces instants sereins


Qui m'ont conduit et t'ont conduite,

- Mélancoliques pèlerins, -

Jusqu'à cette heure dont la fuite

Tournoie au son des tambourins.
Le foyer, la lueur étroite de la lampe ;

La rêverie avec le doigt contre la tempe

Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés ;

L'heure du thé fumant et des livres fermés ;

La douceur de sentir la fin de la soirée ;

La fatigue charmante et l'attente adorée ;

De l'ombre nuptiale et de la douce nuit,

Oh ! tout cela, mon rêve attendri le poursuit

Sans relâche, à travers toutes remises vaines,

Impatient mes mois, furieux des semaines !
L'ennemi se déguise en l'Ennui

Et me dit : « A quoi bon, pauvre dupe ? »

Moi je passe et me moque de lui.

L'ennemi se déguise en la Chair

Et me dit : « Bah, bah, vive une jupe ! »

Moi j'écarte le conseil amer.


L'ennemi se transforme en un Ange

De lumière et dit : « Qu'est ton effort

A côté des tributs de louange

Et de Foi dus au Père céleste ?

Ton Amour va-t-il jusqu'à la mort ? »

Je réponds : « L'Espérance me reste. »


Comme c'est le vieux logicien,

Il a fait bientôt de me réduire

A ne plus vouloir répliquer rien.

Mais sachant qui c'est, épouvanté

De ne plus sentir les mondes luire,

Je prierai pour de l'humilité.
L'ennui de vivre avec les gens et dans les choses

Font souvent ma parole et mon regard moroses.


Mais d'avoir conscience et souci dans tel cas

Exhausse ma tristesse, ennoblit mon tracas.


Alors mon discours chante et mes yeux de sourire

Où la divine certitude s'en vient luire.


Et la divine patience met son sel

Dans mon long bon conseil d'usage universel.


Car non pas tout à fait par effet de l'âge

A mes heures je suis une façon de sage,


Presque un sage sans trop d'emphase ou d'embarras.

Répandant quelque bien et faisant des ingrats.


Or néanmoins la vie et son morne problème

Rendent parfois ma voix maussade et mon front blême.


De ces tentations je me sauve à nouveau

En des moralités juste à mon seul niveau ;


Et c'est d'un examen méthodique et sévère,

Dieu qui sondez les reins ! que je me considère.


Scrutant mes moindres torts et jusques aux derniers,

Tel un juge interroge à fond des prisonniers.


Je poursuis à ce point l'humeur de mon scrupule,

Que de gens ont parlé qui m'ont dit ridicule.


N'importe ! en ces moments est-ce d'humilité ?

Je me semble béni de quelque charité,


De quelque loyauté, pour parler en pauvre homme.

De quelque encore charité. - Folie en somme !


Nous ne sommes rien. Dieu c'est tout. Dieu nous créa,

Dieu nous sauve. Voilà ! Voici mon aléa :


Prier obstinément. Plonger dans la prière,

C'est se tremper aux flots d'une bonne rivière


C'est faire de son être un parfait instrument

Pour combattre le mal et courber l'élément.


Prier intensément. Rester dans la prière

C'est s'armer pour l'élan et s'assurer derrière.


C'est de paraître doux et ferme pour autrui

Conformément à ce qu'on se rend envers lui.


La prière nous sauve après nous faire vivre,

Elle est le gage sûr et le mot qui délivre


Elle est l'ange et la dame, elle est la grande sœur

Pleine d'amour sévère et de forte douceur.


La prière a des pieds légers comme des ailes ;

Et des ailes pour que ses pieds volent comme elles ;


La prière est sagace ; elle pense, elle voit,

Scrute, interroge, doute, examine, enfin croit.


Elle ne peut nier, étant par excellence

La crainte salutaire et l'effort en silence.


Elle est universelle et sanglante ou sourit,

Vole avec le génie et court avec l'esprit.


Elle est ésotérique ou bégaie, enfantine

Sa langue est indifféremment grecque ou latine,


Ou vulgaire, ou patoise, argotique s'il faut !

Car souvent plus elle est bas, mieux elle vaut.


Je me dis tout cela, je voudrais bien le faire,

Seigneur, donnez-moi de m'élever de terre


En l'humble vœu que seul peut former un enfant

Vers votre volonté d'après comme d'avant.


Telle action quelconque en tel temps de ma vie

Et que cette action quelconque soit suivie


D'un abandon complet en vous que formulât

Le plus simple et le plus ponctuel postulat,


Juste pour la nécessité quotidienne

En attendant, toujours sans fin, ma mort chrétienne.
Le paysage dans le cadre des portières

Court furieusement, et des plaines entières

Avec de l'eau, des blés, des arbres et du ciel

Vont s'engouffrant parmi le tourbillon cruel

Où tombent les poteaux minces du télégraphe

Dont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe.


Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout,

Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout

Desquelles hurleraient mille géants qu'on fouette ;

Et tout à coup des cris prolongés de chouette.

- Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux

La blanche vision qui fait mon coeur joyeux,

Puisque la douce voix pour moi murmure encore,

Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore

Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,

Au rythme du wagon brutal, suavement.
Le piano que baise une main frêle

Luit dans le soir rose et gris vaguement,

Tandis qu'un très léger bruit d'aile

Un air bien vieux, bien faible et bien charmant

Rôde discret, épeuré quasiment,

Par le boudoir longtemps parfumé d'Elle.


Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudain

Qui lentement dorlote mon pauvre être ?

Que voudrais-tu de moi, doux Chant badin ?

Qu'as-tu voulu, fin refrain incertain

Qui vas tantôt mourir vers la fenêtre

Ouverte un peu sur le petit jardin ?
Le tréteau qu'un orchestre emphatique secoue

Grince sous les grands pieds du maigre baladin

Qui harangue non sans finesse et sans dédain

Les badauds piétinant devant lui dans la boue.


Le plâtre de son front et le fard de sa joue

Font merveille. Il pérore et se tait tout soudain,

Reçoit des coups de pieds au derrière, badin,

Baise au cou sa commère énorme, et fait la roue.


Ses boniments, de coeur et d'âme approuvons-les.

Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets

Tournants jusqu'à l'abus valent que l'on s'arrête.


Mais ce qu'il sied à tous d'admirer, c'est surtout

Cette perruque d'où se dresse sur la tête,

Preste, une queue avec un papillon au bout.
La chambre, as-tu gardé leurs spectres ridicules,

Ô pleine de jour sale et de bruits d'araignées,

La chambre, as-tu gardé leurs formes désignées

Par ces crasses au mur et par quelles virgules !


Ah fi ! Pourtant, chambre en garni qui te recules

En ce sec jeu d'optique aux mines renfrognées

Du souvenir de trop de choses destinées,

Comme ils ont donc regret aux nuits, aux nuits d'Hercules ?


Qu'on l'entende comme on voudra, ce n'est pas ça.

Vous ne comprenez rien aux choses, bonnes gens

Je vous dis que ce n'est pas ce que l'on pensa.


Seule, ô chambre qui fuis en cônes affligeants

Seule, tu sais ! mais sans doute combien de nuits

De noce auront dévirginé leurs nuits depuis !
Comme un vol criard d'oiseaux en émoi,

Tous mes souvenirs s'abattent sur moi,

S'abattent parmi le feuillage jaune

De mon cœur mirant son tronc plié d'aune

Au tain violet de l'eau des Regrets,

Qui mélancoliquement coule auprès,

S'abattent, et puis la rumeur mauvaise

Qu'une brise moite en montant apaise,

S'éteint par degrés dans l'arbre, si bien

Qu'au bout d'un instant on n'entend plus rien,

Plus rien que la voix célébrant l'Absente,

Plus rien que la voix, - ô si languissante ! -

De l'oiseau qui fut mon Premier Amour,

Et qui chante encor comme au premier jour ;

Et, dans la splendeur triste d'une lune

Se levant blafarde et solennelle, une

Nuit mélancolique et lourde d'été,

Pleine de silence et d'obscurité,

Berce sur l'azur qu'un vent doux effleure

L'arbre qui frissonne et l'oiseau qui pleure.
Les chères mains qui furent miennes,

Toutes petites, toutes belles,

Après ces méprises mortelles

Et toutes ces choses païennes,


Après les rades et les grèves,

Et les pays et les provinces,

Royales mieux qu'au temps des princes,

Les chères mains m'ouvrent les rêves.


Mains en songe, mains sur mon âme,

Sais-je, moi, ce que vous daignâtes,

Parmi ces rumeurs scélérates,

Dire à cette âme qui se pâme ?


Ment-elle, ma vision chaste

D'affinité spirituelle,

De complicité maternelle,

D'affection étroite et vaste ?


Remords si cher, peine très bonne,

Rêves bénis, mains consacrées,

Ô ces mains, ces mains vénérées,

Faites le geste qui pardonne !
Chaque coquillage incrusté

Dans la grotte où nous nous aimâmes

A sa particularité.


L'un a la pourpre de nos âmes

Dérobée au sang de nos coeurs

Quand je brûle et que tu t'enflammes ;


Cet autre affecte tes langueurs

Et tes pâleurs alors que, lasse,

Tu m'en veux de mes yeux moqueurs ;


Celui-ci contrefait la grâce

De ton oreille, et celui-là

Ta nuque rose, courte et grasse ;


Mais un, entre autres, me troubla.
Vaincus, mais non domptés, exilés, mais vivants,

Et malgré les édits de l'Homme et ses menaces,

N'ont point abdiqué, crispant leurs mains tenaces

Sur des tronçons de sceptre, et rôdent dans les vents.


Les nuages coureurs aux caprices mouvants

Sont la poudre des pieds de ces spectres rapaces

Et la foudre hurlant à travers les espaces

N'est qu'un écho lointain de leurs durs olifants.


Ils sonnent la révolte à leur tour contre l'Homme,

Leur vainqueur stupéfait encore et mal remis

D'un tel combat avec de pareils ennemis.


Du Coran, des Védas et du Deutéronome,

De tous les dogmes, pleins de rage, tous les dieux

Sont sortis en campagne : Alerte ! et veillons mieux.
Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,

Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.

Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ :

Une tentation des pires. Fuis l'infâme.


Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme,

Battant toute vendange aux collines, couchant

Toute moisson de la vallée, et ravageant

Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame.


Ô pâlis, et va-t'en, lente et joignant les mains.

Si ces hiers allaient manger nos beaux demains ?

Si la vieille folie était encore en route ?


Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer ?

Un assaut furieux, le suprême sans doute !

Ô, va prier contre l'orage, va prier.
Bah ! malgré les destins jaloux,

Mourons ensemble, voulez-vous ?

- La proposition est rare.


- Le rare est bon. Donc mourons

Comme dans les Décamérons.

- Hi ! hi ! hi ! quel amant bizarre !


- Bizarre, je ne sais. Amant

Irréprochable, assurément.

Si vous voulez, mourons ensemble ?


- Monsieur, vous raillez mieux encor

Que vous n'aimez, et parlez d'or ;

Mais taisons-nous, si bon vous semble ?


Si bien que ce soir-là Tircis

Et Dorimène, à deux assis

Non **** de deux silvains hilares,


Eurent l'inexpiable tort

D'ajourner une exquise mort.

Hi ! hi ! hi ! les amants bizarres !
Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,

En sorte que, selon le terrain et le vent,

Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent

Interceptés ! - et nous aimions ce jeu de dupes.


Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux

Inquiétait le col des belles sous les branches,

Et c'était des éclairs soudains de nuques blanches,

Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.


Le soir tombait, un soir équivoque d'automne :

Les belles, se Pendant rêveuses à nos bras,

Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,

Que notre âme depuis ce temps tremble et s'étonne.
Parmi l'obscur champ de bataille

Rôdant sans bruit sous le ciel noir

Les loups obliques font ripaille

Et c'est plaisir que de les voir,


Agiles, les yeux verts, aux pattes

Souples sur les cadavres mous,

- Gueules vastes et têtes plates -

Joyeux, hérisser leurs poils roux.


Un rauquement rien moins que tendre

Accompagne les dents mâchant

Et c'est plaisir que de l'entendre,

Cet hosannah vil et méchant.


- « Chair entaillée et sang qui coule

Les héros ont du bon vraiment.

La faim repue et la soif soûle

Leur doivent bien ce compliment.

« Mais aussi, soit dit sans reproche,

Combien de peines et de pas

Nous a coûtés leur seule approche,

On ne l'imaginerait pas.


« Dès que, sans pitié ni relâches,

Sonnèrent leurs pas fanfarons

Nos cœurs de fauves et de lâches,

À la fois gourmands et poltrons,


« Pressentant la guerre et la proie

Pour maintes nuits et pour maints jours

Battirent de crainte et de joie

À l'unisson de leurs tambours.


« Quand ils apparurent ensuite

Tout étincelants de métal,

Oh, quelle peur et quelle fuite

Vers la femelle, au bois natal !


« Ils allaient fiers, les jeunes hommes,

Calmes sous leur drapeau flottant,

Et plus forts que nous ne le sommes

Ils avaient l'air très doux pourtant.


« Le fer terrible de leurs glaives

Luisait moins encor que leurs yeux

Où la candeur d'augustes rêves

Éclatait en regards joyeux.


« Leurs cheveux que le vent fouette

Sous leurs casques battaient, pareils

Aux ailes de quelque mouette,

Pâles avec des tons vermeils.


« Ils chantaient des choses hautaines !

Ça parlait de libres combats,

D'amour, de brisements de chaînes

Et de mauvais dieux mis à bas. -


« Ils passèrent. Quand leur cohorte

Ne fut plus là-bas qu'un point bleu,

Nous nous arrangeâmes en sorte

De les suivre en nous risquant peu.


« Longtemps, longtemps rasant la terre,

Discrets, **** derrière eux, tandis

Qu'ils allaient au pas militaire,

Nous marchâmes par rangs de dix,


« Passant les fleuves à la nage

Quand ils avaient rompu les ponts

Quelques herbes pour tout carnage,

N'avançant que par faibles bonds,


« Perdant à tout moment haleine...

Enfin une nuit ces démons

Campèrent au fond d'une plaine

Entre des forêts et des monts.


« Là nous les guettâmes à l'aise,

Car ils dormaient pour la plupart.

Nos yeux pareils à de la braise

Brillaient autour de leur rempart,


« Et le bruit sec de nos dents blanches

Qu'attendaient des festins si beaux

Faisaient cliqueter dans les branches

Le bec avide des corbeaux.


« L'aurore éclate. Une fanfare

Épouvantable met sur pied

La troupe entière qui s'effare.

Chacun s'équipe comme il sied.


« Derrière les hautes futaies

Nous nous sommes dissimulés

Tandis que les prochaines haies

Cachent les corbeaux affolés.


« Le soleil qui monte commence

À brûler. La terre a frémi.

Soudain une clameur immense

A retenti. C'est l'ennemi !


« C'est lui, c'est lui ! Le sol résonne

Sous les pas durs des conquérants.

Les polémarques en personne

Vont et viennent le long des rangs.


« Et les lances et les épées

Parmi les plis des étendards

Flambent entre les échappées

De lumières et de brouillards.


« Sur ce, dans ses courroux épiques

La jeune bande s'avança,

Gaie et sereine sous les piques,

Et la bataille commença.


« Ah, ce fut une chaude affaire :

Cris confus, choc d'armes, le tout

Pendant une journée entière

Sous l'ardeur rouge d'un ciel d'août.


« Le soir. - Silence et calme. À peine

Un vague moribond tardif

Crachant sa douleur et sa haine

Dans un hoquet définitif ;


« À peine, au lointain gris, le triste

Appel d'un clairon égaré.

Le couchant d'or et d'améthyste

S'éteint et brunit par degré.


« La nuit tombe. Voici la lune !

Elle cache et montre à moitié

Sa face hypocrite comme une

Complice feignant la pitié.


« Nous autres qu'un tel souci laisse

Et laissera toujours très cois,

Nous n'avons pas cette faiblesse,

Car la faim nous chasse du bois,


« Et nous avons de quoi repaître

Cet impérial appétit,

Le champ de bataille sans maître

N'étant ni vide ni petit.


« Or, sans plus perdre en phrases vaines

Dont quelque sot serait jaloux

Cette heure de grasses aubaines,

Buvons et mangeons, nous, les Loups ! »
Sur mon front, mille fois solitaire,

Puisque je dois dormir **** de toi,

La lune déjà maligne en soi,

Ce soir jette un regard délétère.


Il dit ce regard - pût-il se taire !

Mais il ne prétend pas rester coi, -

Qu'il n'est pas sans toi de paix pour moi ;

Je le sais bien, pourquoi ce mystère,


Pourquoi ce regard, oui, lui, pourquoi ?

Qu'ont de commun la lune et la terre ?

Bah, vite reviens, assez de mystère ?

Toi, c'est le soleil, luis clair sur moi !
Les morts que l'on fait saigner dans leur tombe

Se vengent toujours.

Ils ont leur manière, et plaignez qui tombe

Sous leurs grands coups sourds.

Mieux vaut n'avoir jamais connu la vie,

Mieux vaut la mort lente d'autres suivie,

Tant le temps est long, tant les coups sont lourds.


Les vivants qu'on fait pleurer comme on saigne

Se vengent parfois.

Ceux-là qu'ils ont pris, qu'un chacun les plaigne,

Pris entre leurs doigts.

Mieux vaut un ours et les jeux de sa patte,

Mieux vaut cent fois le chanvre et sa cravate,

Mieux vaut l'édredon d'Othello cent fois.


Ô toi, persécuter, crains le vampire

Et crains l'étrangleur :

Leur jour de colère apparaîtra pire

Que toute douleur.

Tiens ton âme prête à ce jour ultime

Qui surprendra l'assassin comme un crime

Et fondra sur le vol comme un voleur.
Or ce vieillard était horrible : un de ses yeux,

Crevé, saignait, tandis que l'autre, chassieux,

Brutalement luisait sous son sourcil en brosse ;

Les cheveux se dressaient d'une façon féroce,

Blancs, et paraissaient moins des cheveux que des crins ;

Le vieux torse solide encore sur les reins,

Comme au ressouvenir des balles affrontées,

Cambré, contrariait les épaules voûtées ;

La main gauche avait l'air de chercher le pommeau

D'un sabre habituel et dont le long fourreau

Semblait, s'embarrassant avec la sabretache,

Gêner la marche et vers la tombante moustache

La main droite parfois montait, la retroussant.


Il était grand et maigre et jurait en toussant.


Fils d'un garçon de ferme et d'une lavandière,

Le service à seize ans le prit. Il fit entière,

La campagne d'Égypte. Austerlitz, Iéna,

Le virent. En Espagne un moine l'éborgna :

- Il tua le bon père, et lui vola sa bourse, -

Par trois fois traversa la Prusse au pas de course,

En Hesse eut une entaille épouvantable au cou,

Passa brigadier lors de l'entrée à Moscou,

Obtint la croix et fut de toutes les défaites

D'Allemagne et de France, et gagna dans ces fêtes

Trois blessures, plus un brevet de lieutenant

Qu'il résigna bientôt, les Bourbons revenant,

À Mont-Saint-Jean, bravant la mort qui l'environne,

Dit un mot analogue à celui de Cambronne,

Puis quand pour un second exil et le tombeau,

La Redingote grise et le petit Chapeau

Quittèrent à jamais leur France tant aimée

Et que l'on eut, hélas ! dissous la grande armée,

Il revint au village, étonné du clocher.


Presque forcé pendant un an de se cacher,

Il braconna pour vivre, et quand des temps moins rudes

L'eurent, sans le réduire à trop de platitudes,

Mis à même d'écrire en hauts lieux à l'effet

D'obtenir un secours d'argent qui lui fut fait,

Logea moyennant deux cents francs par an chez une

Parente qu'il avait, dont toute la fortune

Consistait en un champ cultivé par ses fieux,

L'un marié depuis longtemps et l'autre vieux

Garçon encore, et là notre foudre de guerre

Vivait et bien qu'il fût tout le jour sans rien faire

Et qu'il eût la charrue et la terre en horreur,

C'était ce qu'on appelle un soldat laboureur.

Toujours levé dès l'aube et la pipe à la bouche

Il allait et venait, engloutissait, farouche,

Des verres d'eau-de-vie et parfois s'enivrait,

Les dimanches tirait à l'arc au cabaret,

Après dîner faisait un quart d'heure sans faute

Sauter sur ses genoux les garçons de son hôte

Ou bien leur apprenait l'exercice et comment

Un bon soldat ne doit songer qu'au fourniment.

Le soir il voisinait, tantôt pinçant les filles,

Habitude un peu trop commune aux vieux soudrilles,

Tantôt, geste ample et voix forte qui dominait

Le grillon incessant derrière le chenet,

Assis auprès d'un feu de sarments qu'on entoure

Confusément disait l'Elster, l'Estramadoure,

Smolensk, Dresde, Lutzen et les ravins vosgeois

Devant quatre ou cinq gars attentifs et narquois

S'exclamant et riant très fort aux endroits farce.


Canonnade compacte et fusillade éparse,

Chevaux éventrés, coups de sabre, prisonniers

Mis à mal entre deux batailles, les derniers

Moments d'un officier ajusté par derrière,

Qui se souvient et qu'on insulte, la barrière

Clichy, les alliés jetés au fond des puits,

La fuite sur la Loire et la maraude, et puis

Les femmes que l'on force après les villes prises,

Sans choix souvent, si bien qu'on a des mèches grises

Aux mains et des dégoûts au cœur après l'ébat

Quand passe le marchef ou que le rappel bat,

Puis encore, les camps levés et les déroutes.


Toutes ces gaîtés, tous ces faits d'armes et toutes

Ces gloires défilaient en de longs entretiens,

Entremêlés de gros jurons très peu chrétiens

Et de grands coups de poing sur les cuisses voisines.


Les femmes cependant, sœurs, mères et cousines,

Pleuraient et frémissaient un peu, conformément

À l'usage, tout en se disant : « Le vieux ment. »


Et les hommes fumaient et crachaient dans la cendre.


Et lui qui quelquefois voulait bien condescendre

À parler discipline avec ces bons lourdauds

Se levait, à grands pas marchait, les mains au dos

Et racontait alors quelque fait politique

Dont il se proclamait le témoin authentique,

La distribution des Aigles, les Adieux,

Le Sacre et ce Dix-huit Brumaire radieux,

Beau jour où le soldat qu'un bavard importune

Brisa du même coup orateurs et tribune,

Où le dieu Mars mis par la Chambre hors la Loi

Mit la Loi hors la Chambre et, sans dire pourquoi,

Balaya du pouvoir tous ces ergoteurs glabres,

Tous ces législateurs qui n'avaient pas de sabres !


Tel parlait et faisait le grognard précité

Qui mourut centenaire à peu près l'autre été.

Le maire conduisit le deuil au cimetière.

Un feu de peloton fut tiré sur la bière

Par le garde champêtre et quatorze pompiers

Dont sept revinrent plus ou moins estropiés

À cause des mauvais fusils de la campagne.

Un tertre qu'une pierre assez grande accompagne

Et qu'orne un saule en pleurs est l'humble monument

Où notre héros dort perpétuellement.

De plus, suivant le vœu dernier du camarade,

On grava sur la pierre, après ses nom et grade,

Ces mots que tout Français doit lire en tressaillant :

« Amour à la plus belle et gloire au plus vaillant. »
Le soleil du matin doucement chauffe et dore

Les seigles et les blés tout humides encore,

Et l'azur a gardé sa fraîcheur de la nuit.

L'on sort sans autre but que de sortir ; on suit,

Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes,

Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.

L'air est vif. Par moment un oiseau vole avec

Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,

Et son reflet dans l'eau survit à son passage.

C'est tout.


Mais le songeur aime ce paysage

Dont la claire douceur a soudain caressé

Son rêve de bonheur adorable, et bercé

Le souvenir charmant de cette jeune fille,

Blanche apparition qui chante et qui scintille,


Dont rêve le poète et que l'homme chérit,

Evoquant en ses voeux dont peut-être on sourit

La Compagne qu'enfin il a trouvée, et l'âme

Que son âme depuis toujours pleure et réclame.
Le son du cor s'afflige vers les bois

D'une douleur on veut croire orpheline

Qui vient mourir au bas de la colline

Parmi la bise errant en courts abois.


L'âme du loup pleure dans cette voix

Qui monte avec le soleil qui décline

D'une agonie on veut croire câline

Et qui ravit et qui navre à la fois.


Pour faire mieux cette plaine assoupie

La neige tombe à longs traits de charpie

A travers le couchant sanguinolent,


Et l'air a l'air d'être un soupir d'automne,

Tant il fait doux par ce soir monotone

Où se dorlote un paysage lent.
Aussi, la créature était par trop toujours la même,

Qui donnait ses baisers comme un enfant donne des noix,

Indifférente à tout, hormis au prestige suprême

De la cire à moustache et de l'empois des faux-cols droits.


Et j'ai ri, car je tiens la solution du problème :

Ce pouf était dans l'air dès le principe, je le vois ;

Quand la chair et le sang, exaspérés d'un long carême,

Réclamèrent leur dû, - la créature était en bois.


C'est le conte d'Hoffmann avec de la bêtise en marge.

Amis qui m'écoutez, faites votre entendement large,

Car c'est la vérité que ma morale, et la voici :


Si, par malheur, - puisse d'ailleurs l'augure aller au diable ! -

Quelqu'un de vous devait s'emberlificoter aussi,

Qu'il réclame un conseil de révision préalable.
Le « sort » fantasque qui me gâte à sa manière -

M'a logé cette fois, peut-être la dernière

Et la dernière c'est la bonne - à l'hôpital !

De mon rêve à ceci le réveil est brutal

Mais explicable par le fait d'une voleuse

(Dont l'histoire posthume est, dit-on, graveleuse)

Du fait d'un rhumatisme aussi, moindre détail ;

Puis d'un gîte où l'on est qu'importe le portail ?

J'y suis, j'y vis. « Non, j'y végète », on rectifie ;

On se trompe. J'y vis dans le strict de la vie,

Le pain qu'il faut, pas trop de vin, et mieux couché !

Évidemment j'expie un très ancien péché

(Très ancien ?) dont mon sang a des fois la secousse,

Et la pénitence est relativement douce

Dans le martyrologe et sur l'armorial

Des poètes, peut-être un peu proverbial.

C'est un lieu comme un autre, on en prend l'habitude:

A prison bonne enfant longanime Latude.

Sans compter qu'au rimeur, pour en parler, alors !

Pauvre et fier, il ne reste qu'à mourir dehors

Ou tout comme, en ces temps vraiment trop peu propices.

Et mourir pour mourir. Muse qui me respices,

Autant le faire ici qu'ailleurs, et même mieux,

Sinon qu'ici l'on est tout « laïque », les vieux

Abus sont réformés et le « citoyen » libre !

Et fort ! doit, ou l'État perdrait son équilibre,

Avec ça qu'il n'est pas à cheval sur un pall !

Mourir dans les bras du Conseil Municipal,

Mal rassurante et pas assez édifiante

Conclusion pour tel, qu'un vœu mystique hante

Moi par exemple, j'en forme l'aveu sans fard,

Me dût-on traiter d'âne ou d'impudent cafard,

La conversation, dans ce modeste asile,

Ne m'est pas autrement pénible et difficile !

Ces braves gens, que le Journal rend un peu sots,

Du moins ont conservé, malgré tous les assauts

Que « l'Instruction » livre à leur tête obsédée ;

Quelque saveur encor de parole et d'idée ;

La Révolution, qu'il faut toujours citer

Et condamner, n'a pu complètement gâter

Leur trivialité non sans grâce et sincère.

Même je les préfère aux mufles de ma sphère

Certes ! et je subis leur choc sans trop d'émoi.

Leur vice et leur vertu sont juste à point pour moi

Les goûter et me plaire en ces lieux salutaires

(A comme moi) des espèces de solitaires,

Espèce de couvent moins cet espoir chrétien !

Le monde est tel qu'ici je n'ai besoin de rien

Et que j'y resterais, ma foi, toute ma vie,

Sans grands jaloux, j'espère, et pour sûr, sans envie !

Si, dès guéri, si je guéris, car tout se peut,

Je n'avais quelque chose à faire, que Dieu veut.
Les plus belles voix

De la Confrérie

Célèbrent le mois

Heureux de Marie.

Ô les douces voix !


Monsieur le curé

L'a dit à la Messe :

C'est le mois sacré.

Écoutons sans cesse

Monsieur le Curé.


Faut nous distinguer,

Faut, mesdemoiselles,

Bien dire et fuguer

Les hymnes nouvelles.

Faut nous distinguer,


Bien dire et filer

Les motets antiques,

Bien dire et couler

Les anciens cantiques,

Filer et couler.


Dieu nous bénira,

Nous et nos familles.

Marie ouïra

Les vœux de ses filles,

Dieu nous bénira.


Elle est la bonté,

C'est comme la Mère

Dans la Trinité,

La Fille et la Mère.

Elle est la bonté,


La compassion,

Sans fin et sans trêve,

L'intercession

Qu'appuie et soulève

La compassion.


Avant le salut,

Chantons ses louanges ;

Pendant le salut,

Chantons ses louanges

Après le salut


Chantons ses louanges.
L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable.

Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?

Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.

Que ne t'endormais-tu, le coude sur la table ?


Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,

Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,

Et je dorloterai les rêves de ta sieste,

Et tu chantonneras comme un enfant bercé.


Midi sonne. De grâce, éloignez-vous, madame.

Il dort. C'est étonnant comme les pas de femme

Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.


Midi sonne. J'ai fait arroser dans la chambre.

Va, dors ! L'espoir luit comme un caillou dans un creux.

Ah ! quand refleuriront les roses de septembre !
Deux reîtres saouls, courant les champs, virent parmi

La fange d'un fossé profond, une carcasse

Humaine dont la faim torve d'un loup fugace

Venait de disloquer l'ossature à demi.


La tète, intacte, avait un rictus ennemi

Qui nous attriste, nous énerve et nous agace.

Or, peu mystiques, nos capitaines Fracasse

Songèrent (John Falstaff lui-même en eût frémi)


Qu'ils avaient bu, que tout vin bu filtre et s'égoutte,

Et qu'en outre ce mort avec son chef béant

Ne serait pas fâché de boire aussi, sans doute.


Mais comme il ne faut pas insulter au Néant,

Le squelette s'étant dressé sur son séant

Fit signe qu'ils pouvaient continuer leur route.
À Louis-Xavier de Ricard.


I


La Vie est triomphante et l'Idéal est mort,

Et voilà que, criant sa joie au vent qui passe,

Le cheval enivré du vainqueur broie et mord

Nos frères, qui du moins tombèrent avec grâce.


Et nous que la déroute a fait survivre, hélas !

Les pieds meurtris, les yeux troubles, la tête lourde,

Saignants, veules, fangeux, déshonorés et las,

Nous allons, étouffant mal une plainte sourde,


Nous allons, au hasard du soir et du chemin,

Comme les meurtriers et comme les infâmes,

Veufs, orphelins, sans toit, ni fils, ni lendemain,

Aux lueurs des forêts familières en flammes !


Ah ! puisque notre sort est bien complet, qu'enfin

L'espoir est aboli, la défaite certaine,

Et que l'effort le plus énorme serait vain,

Et puisque c'en est fait, même de notre haine,


Nous n'avons plus, à l'heure où tombera la nuit,

Abjurant tout risible espoir de funérailles,

Qu'à nous laisser mourir obscurément, sans bruit,

Comme il sied aux vaincus des suprêmes batailles.


II


Une faible lueur palpite à l'horizon

Et le vent glacial qui s'élève redresse

Le feuillage des bois et les fleurs du gazon ;

C'est l'aube ! tout renaît sous sa froide caresse.


De fauve l'Orient devient rose, et l'argent

Des astres va bleuir dans l'azur qui se dore ;

Le coq chante, veilleur exact et diligent ;

L'alouette a volé, stridente : c'est l'aurore !


Éclatant, le soleil surgit : c'est le matin !

Amis, c'est le matin splendide dont la joie

Heurte ainsi notre lourd sommeil, et le festin

Horrible des oiseaux et des bêtes de proie.


Ô prodige ! en nos coeurs le frisson radieux

Met à travers l'éclat subit de nos cuirasses,

Avec un violent désir de mourir mieux,

La colère et l'orgueil anciens des bonnes races.


Allons, debout ! allons, allons ! debout, debout !

Assez comme cela de hontes et de trêves !

Au combat, au combat ! car notre sang qui bout

A besoin de fumer sur la pointe des glaives !


III


Les vaincus se sont dit dans la nuit de leurs geôles :

Ils nous ont enchaînés, mais nous vivons encor.

Tandis que les carcans font ployer nos épaules,

Dans nos veines le sang circule, bon trésor.


Dans nos têtes nos yeux rapides avec ordre

Veillent, fins espions, et derrière nos fronts

Notre cervelle pense, et s'il faut tordre ou mordre,

Nos mâchoires seront dures et nos bras prompts.


Légers, ils n'ont pas vu d'abord la faute immense

Qu'ils faisaient, et ces fous qui s'en repentiront

Nous ont jeté le lâche affront de la clémence.

Bon ! la clémence nous vengera de l'affront.


Ils nous ont enchaînés ! mais les chaînes sont faites

Pour tomber sous la lime obscure et pour frapper

Les gardes qu'on désarme, et les vainqueurs en fêtes

Laissent aux évadés le temps de s'échapper.


Et de nouveau bataille ! Et victoire peut-être,

Mais bataille terrible et triomphe inclément,

Et comme cette fois le Droit sera le maître,

Cette fois-là sera la dernière, vraiment !


IV


Car les morts, en dépit des vieux rêves mystiques,

Sont bien morts, quand le fer a bien fait son devoir

Et les temps ne sont plus des fantômes épiques

Chevauchant des chevaux spectres sous le ciel noir.


La jument de Roland et Roland sont des mythes

Dont le sens nous échappe et réclame un effort

Qui perdrait notre temps, et si vous vous promîtes

D'être épargnés par nous vous vous trompâtes fort.


Vous mourrez de nos mains, sachez-le, si la chance

Est pour nous. Vous mourrez, suppliants, de nos mains.

La justice le veut d'abord, puis la vengeance,

Puis le besoin pressant d'opportuns lendemains.


Et la terre, depuis longtemps aride et maigre,

Pendant longtemps boira joyeuse votre sang

Dont la lourde vapeur savoureusement aigre

Montera vers la nue et rougira son flanc,


Et les chiens et les loups et les oiseaux de proie

Feront vos membres nets et fouilleront vos troncs,

Et nous rirons, sans rien qui trouble notre joie,

Car les morts sont bien morts et nous vous l'apprendrons.
L'été ne fut pas adorable

Après cet hiver infernal,

Et quel printemps défavorable !

Et l'automne commence mal,

Bah ! nous nous réchauffâmes

En mêlant nos deux âmes.


La pauvreté, notre compagne

Dont nous nous serions bien passés,

Vainement menait la campagne

Durant tous ces longs mois glacés...

Nous incaguions l'intruse,

Son astuce et sa ruse.


Et riches, de baisers sans nombre,

- La seule opulence, crois-moi, -

Que nous fait que le temps soit sombre

S'il fait soleil en moi, chez toi.

Et que le plaisir rie

À notre gueuserie ?
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