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Ô Cloître Saint-Merry funèbre ! sombres rues !

Je ne foule jamais votre morne pavé

Sans frissonner devant les affres apparues.


Toujours ton mur en vain recrépit et lavé,

Ô maison Transnonain, coin maudit, angle infâme,

Saignera, monstrueux, dans mon coeur soulevé.


Quelques-uns d'entre ceux de Juillet, que le blâme

De leurs frères repus ne décourage point,

Trouvent bon de montrer la candeur de leur âme.


Alors dupes ? - Eh bien ! ils l'étaient à ce point

De mourir pour leur oeuvre incomplète et trahie.

Ils moururent contents, le drapeau rouge au poing.


Mort grotesque d'ailleurs, car la tourbe ébahie

Et pâle des bourgeois, leurs vainqueurs étonnés,

Ne comprit rien du tout à leur cause haïe.


C'était des jeunes gens francs qui riaient au nez

De tout intrigant comme au nez de tout despote,

Et de tout compromis désillusionnés.


Ils ne redoutaient pas pour la France la botte

Et l'éperon d'un Czar absolu, beaucoup plus

Que la molette d'un monarque en redingote.


Ils voulaient le devoir et le droit absolus,

Ils voulaient « la cavale indomptée et rebelle »,

Le soleil sans couchant, l'Océan sans reflux.


La République, ils la voulaient terrible et belle,

Rouge et non tricolore, et devenaient très froids

Quant à la liberté constitutionnelle...


Aussi, d'entre ceux de juillet, que le blâme

Ils étaient peu nombreux, tout au plus deux ou trois

Centaines d'écoliers, ayant maîtresse et mère,


Ils savaient qu'ils allaient mourir pour leur chimère,

Et n'avaient pas l'espoir de vaincre, c'est pourquoi

Un orgueil douloureux crispait leur lèvre amère ;


Et c'est pourquoi leurs yeux réverbéraient la foi

Calme ironiquement des martyres stériles,

Quand ils tombèrent sous les balles et la loi.


Et tous, comme à Pharsale et comme aux Thermopyles,

Vendirent cher leur vie et tinrent en échec

Par deux fois les courroux des généraux habiles.


Aussi, quand sous le nombre ils fléchirent, avec

Quelle rage les bons bourgeois de la milice

Tuèrent les blessés indomptés à l'oeil sec !


Et dans le sang sacré des morts où le pied glisse,

Barbotèrent, sauveurs tardifs et nasillards

Du nouveau Capitole et du Roi, leur complice.


- Jeunes morts, qui seriez aujourd'hui des vieillards,

Nous envions, hélas ! nous vos fils, nous la France,

Jusqu'au deuil qui suivit vos humbles corbillards.


Votre mort, en dépit des serments d'allégeance,

Fut-elle pas pleurée, admirée et plus ****

Vengée, et vos vengeurs sont-ils pas sans vengeance ?


Ils gisent, vos vengeurs, à Montmartre, à Clamart,

Ou sont devenus fous au soleil de Cayenne,

Ou vivent affamés et pauvres, à l'écart.


Oh ! oui, nous envions la fin stoïcienne

De ces calmes héros, et surtout jalousons

Leurs yeux clos, à propos, en une époque ancienne.


Car leurs yeux contemplant de lointains horizons

Se fermèrent parmi des visions sublimes,

Vierges de lâcheté comme de trahison,


Et ne virent jamais, jamais, ce que nous vîmes.
Désormais le Sage, puni

Pour avoir trop aimé les choses,

Rendu prudent à l'infini,

Mais franc de scrupules moroses,


Et d'ailleurs retournant au Dieu

Qui fît les yeux et la lumière,

L'honneur, la gloire, et tout le peu

Qu'a son âme de candeur fière,


Le Sage peut dorénavant

Assister aux scènes du monde,

Et suivre la chanson du vent.

Et contempler la mer profonde.


Il ira, calme, et passera

Dans la férocité des villes,

Comme un mondain à l'Opéra

Qui sort blasé des danses viles.


Même, - et pour tenir abaissé

L'orgueil, qui fit son âme veuve.

Il remontera le passé.

Ce passé, comme un mauvais fleuve,


Il reverra l'herbe des bords.

Il entendra le flot qui pleure

Sur le bonheur mort et les torts

De cette date et de cette heure !...


Il aimera les cieux, les champs,

La bonté, l'ordre et l'harmonie,

Et sera doux, même aux méchants,

Afin que leur mort soit bénie.


Délicat et non exclusif,

Il sera du jour où nous sommes :

Son cœur, plutôt contemplatif.

Pourtant saura l'œuvre des hommes.


Mais, revenu des passions.

Un peu méfiant des « usages »,

À vos civilisations

Préférera les paysages.
Sécheresse maligne et coupable langueur,

Il n'est remède encore à vos tristesses noires

Que telles dévotions surérogatoires,

Comme des mois de Marie et du Sacré-Cœur,


Éclat et parfum purs de fleurs rouges et bleues,

Par quoi l'âme qu'endeuille un ennui morfondu,

Tout soudain s'éveille à l'enthousiasme dû

Et sent ressusciter ses allégresses feues


Cantiques frais et blancs de vierges comme aux temps

Premiers, quand les chrétiens étaient toute innocence,

Hymnes brûlants d'une théologie intense

Dans la sanglante ardeur des cierges palpitants ;


Comme le chemin de la Croix, baisers et larmes,

Argent et neige et noir d'or des Vendredis Saints,

Lent cortège à genoux dans la paix des tocsins,

Stabats sévères indiciblement aux si doux charmes,


Et la dévotion, aussi, du chapelet,

Grains enflammés de chaste délire où s'embrase

L'ennui souvent, où parfois l'excès de l'extase

Se consumait au feu des Ave qui roulait ;


Et celle enfin des saints locaux, Martin de France,

Et Geneviève de Paris, saints du pays

Et des villes et des villages, obéis

Et vénérés avec chacun son espérance


Et son exemple et son précepte bien donné,

Ses miracles ! - mœurs plus intimes du culte,

Eh oui, c'est encor vous, en dépit de l'insulte,

Qui nous sauvez, peut-être, à tel moment donné.
Je suis né romantique et j'eusse été fatal

En un frac très étroit aux boutons de métal,

Avec ma barbe en pointe et mes cheveux en brosse.

Hablant español, très loyal et très féroce,

L'œil idoine à l'œillade et chargé de défis.

Beautés mises à mal et bourgeois déconfits

Eussent bondé ma vie et soûlé mon cœur d'homme.

Pâle et jaune, d'ailleurs, et taciturne comme

Un infant scrofuleux dans un Escurial...

Et puis j'eusse été si féroce et si loyal !
À François Coppée


Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde

Est aux enfers ainsi qu'un pauvre immonde

Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux,

Et si n'étaient la lueur de ses yeux

Et la beauté de sa maigre figure,

En le voyant ainsi quiconque jure

Qu'il est un gueux et non ce héros fier

Aux dames comme au poète si cher

Et dont l'auteur de ces humbles chroniques

Vous va parler sur des faits authentiques.


Il a son front dans ses mains et paraît

Penser beaucoup à quelque grand secret.


Il marche à pas douloureux sur la neige :

Car c'est son châtiment que rien n'allège

D'habiter seul et vêtu de léger

**** de tout lieu où fleurit l'oranger

Et de mener ses tristes promenades

Sous un ciel veuf de toutes sérénades

Et qu'une lune morte éclaire assez

Pour expier tous ses soleils passés.

Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable

S'est vu réduire à l'état pitoyable

De tourmenteur et de geôlier gagé

Pour être las trop tôt, et trop âgé.

Du Révolté de jadis il ne reste

Plus qu'un bourreau qu'on paie et qu'on moleste

Si bien qu'enfin la cause de l'Enfer

S'en va tombant comme un fleuve à la mer,

Au sein de l'alliance primitive.

Il ne faut pas que cette honte arrive.


Mais lui, don Juan, n'est pas mort, et se sent

Le coeur vif comme un coeur d'adolescent

Et dans sa tête une jeune pensée

Couve et nourrit une force amassée ;

S'il est damné c'est qu'il le voulut bien,

Il avait tout pour être un bon chrétien,

La foi, l'ardeur au ciel, et le baptême,

Et ce désir de volupté lui-même,

Mais s'étant découvert meilleur que Dieu,

Il résolut de se mettre en son lieu.

À cet effet, pour asservir les âmes

Il rendit siens d'abord les cœurs des femmes.

Toutes pour lui laissèrent là Jésus,

Et son orgueil jaloux monta dessus

Comme un vainqueur foule un champ de bataille.

Seule la mort pouvait être à sa taille.

Il l'insulta, la défit. C'est alors

Qu'il vint à Dieu, lui parla face à face

Sans qu'un instant hésitât son audace.

Le défiant, Lui, son Fils et ses saints !

L'affreux combat ! Très calme et les reins ceints

D'impiété cynique et de blasphème,

Ayant volé son verbe à Jésus même,

Il voyagea, funeste pèlerin,

Prêchant en chaire et chantant au lutrin,

Et le torrent amer de sa doctrine,

Parallèle à la parole divine,

Troublait la paix des simples et noyait

Toute croyance et, grossi, s'enfuyait.


Il enseignait : « Juste, prends patience.

Ton heure est proche. Et mets ta confiance

En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant,

Et ton salut en sera sûr d'autant.

Femmes, aimez vos maris et les vôtres

Sans cependant abandonner les autres...

L'amour est un dans tous et tous dans un,

Afin qu'alors que tombe le soir brun

L'ange des nuits n'abrite sous ses ailes

Que cœurs mi-clos dans la paix fraternelle. »


Au mendiant errant dans la forêt

Il ne donnait un sol que s'il jurait.

Il ajoutait : « De ce que l'on invoque

Le nom de Dieu, celui-ci s'en choque,

Bien au contraire, et tout est pour le mieux.

Tiens, prends, et bois à ma santé, bon vieux. »

Puis il disait : « Celui-là prévarique

Qui de sa chair faisant une bourrique

La subordonne au soin de son salut

Et lui désigne un trop servile but.

La chair est sainte ! Il faut qu'on la vénère.

C'est notre fille, enfants, et notre mère,

Et c'est la fleur du jardin d'ici-bas !

Malheur à ceux qui ne l'adorent pas !

Car, non contents de renier leur être,

Ils s'en vont reniant le divin maître,

Jésus fait chair qui mourut sur la croix,

Jésus fait chair qui de sa douce voix

Ouvrait le coeur de la Samaritaine,

Jésus fait chair qu'aima la Madeleine ! »


À ce blasphème effroyable, voilà

Que le ciel de ténèbres se voila.

Et que la mer entrechoqua les îles.

On vit errer des formes dans les villes

Les mains des morts sortirent des cercueils,

Ce ne fut plus que terreurs et que deuils

Et Dieu voulant venger l'injure affreuse

Prit sa foudre en sa droite furieuse

Et maudissant don Juan, lui jeta bas

Son corps mortel, mais son âme, non pas !

Non pas son âme, on l'allait voir ! Et pâle

De male joie et d'audace infernale,

Le grand damné, royal sous ses haillons,

Promène autour son œil plein de rayons,

Et crie : « À moi l'Enfer ! ô vous qui fûtes

Par moi guidés en vos sublimes chutes,

Disciples de don Juan, reconnaissez

Ici la voix qui vous a redressés.-

Satan est mort, Dieu mourra dans la fête,

Aux armes pour la suprême conquête !


Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nés,

C'est le grand jour pour le tour des damnés. »

Il dit. L'écho frémit et va répandre

L'appel altier, et don Juan croit entendre

Un grand frémissement de tous côtés.

Ses ordres sont à coup sûr écoutés :

Le bruit s'accroît des clameurs de victoire,

Disant son nom et racontant sa gloire.

« À nous deux, Dieu stupide, maintenant ! »

Et don Juan a foulé d'un pied tonnant


Le sol qui tremble et la neige glacée

Qui semble fondre au feu de sa pensée...

Mais le voilà qui devient glace aussi

Et dans son coeur horriblement transi

Le sang s'arrête, et son geste se fige.

Il est statue, il est glace. Ô prodige

Vengeur du Commandeur assassiné !

Tout bruit s'éteint et l'Enfer réfréné

Rentre à jamais dans ses mornes cellules.

« Ô les rodomontades ridicules »,


Dit du dehors Quelqu'un qui ricanait,

« Contes prévus ! farces que l'on connaît !

Morgue espagnole et fougue italienne !

Don Juan, faut-il afin qu'il t'en souvienne,

Que ce vieux Diable, encore que radoteur,

Ainsi te prenne en délit de candeur ?

Il est écrit de ne tenter... personne

L'Enfer ni ne se prend ni ne se donne.

Mais avant tout, ami, retiens ce point :

On est le Diable, on ne le devient point. »
A Raymond de La Tailhède


Le soldat qui sait bien et veut bien son métier

Sera l'homme qu'il faut au Devoir inflexible :

Le Devoir, qu'il combatte ou qu'il tire à la cible,

Qu'il s'essore à la mort ou batte un plat sentier ;


Le Devoir, qu'il subisse (et l'aime !) un ordre altier

Ou repousse le bas conseil de tel horrible

Dégoût ; le Devoir bon, le Devoir dur, le crible

Où restent les défauts de l'homme tout entier ;


Le Devoir saint, la fière et douce Obéissance,

Rappel de la Famille en dépit de la France

Actuelle, au mépris de cette France-là !


Famille, foyer, France antique et l'immortelle,

Le Devoir seul devoir, le Soldat qu'appela

D'avance cette France : or l'Espérance est telle.
Du fond du grabat

As-tu vu l'étoile

Que l'hiver dévoile ?

Comme ton cœur bat,

Comme cette idée,

Regret ou désir,

Ravage à plaisir

Ta tête obsédée,

Pauvre tête en feu,

Pauvre cœur sans dieu


L'ortie et l'herbette

Au bas du rempart

D'où l'appel frais part

D'une aigre trompette,

Le vent du coteau,

La Meuse, la goutte

Qu'on boit sur la route

À chaque écriteau,

Les sèves qu'on hume,

Les pipes qu'on fume !


Un rêve de froid :

« Que c'est beau la neige

Et tout son cortège

Dans leur cadre étroit !

Oh ! tes blancs arcanes,

Nouvelle Archangel,

Mirage éternel

De mes caravanes !

Oh ! ton chaste ciel,

Nouvelle Archangel ? »


Cette ville sombre !

Tout est crainte ici...

Le ciel est transi

D'éclairer tant d'ombre.

Les pas que tu fais

Parmi ces bruyères

Lèvent des poussières

Au souffle mauvais...

Voyageur si triste,

Tu suis quelle piste ?


C'est l'ivresse à mort,

C'est la noire orgie,

C'est l'amer effort

De ton énergie

Vers l'oubli dolent

De la voix intime,

C'est le seuil du crime,

C'est l'essor sanglant.

- Oh ! fuis la chimère :

Ta mère, ta mère !


Quelle est cette voix

Qui ment et qui flatte !

« Ah ! la tête plate,

Vipère des bois ! »

Pardon et mystère.

Laisse ça dormir,

Qui peut, sans frémir.

Juger sur la terre ?

« Ah ! pourtant, pourtant,

Ce monstre impudent ! »


La mer ! Puisse-t-elle

Laver ta rancœur,

La mer au grand cœur.

Ton aïeule, celle

Qui chante en berçant

Ton angoisse atroce,

La mer, doux colosse

Au sein innocent,

Grondeuse infinie

De ton ironie !


Tu vis sans savoir !

Tu verses ton âme,

Ton lait et ta flamme

Dans quel désespoir ?

Ton sang qui s'amasse

En une fleur d'or

N'est pas prêt encor

À la dédicace.

Attends quelque peu,

Ceci n'est que jeu.


Cette frénésie

T'initie au but.

D'ailleurs, le salut

Viendra d'un Messie

Dont tu ne sens plus.

Depuis bien des lieues,

Les effluves bleues

Sous tes bras perclus.

Naufragé d'un rêve

Qui n'a pas de grève !


Vis en attendant

L'heure toute proche.

Ne sois pas prudent.

Trêve à tout reproche.

Fais ce que tu veux.

Une main te guide

À travers le vide

Affreux de tes vaux.

Un peu de courage,

C'est le bon orage.


Voici le Malheur

Dans sa plénitude.

Mais à sa main rude

Quelle belle fleur !

« La brûlante épine ! »

Un lis est moins blanc,

« Elle m'entre au flanc. »

Et l'odeur divine !

« Elle m'entre au cœur. »

Le parfum vainqueur !


« Pourtant je regrette,

Pourtant je me meurs,

Pourtant ces deux cœurs... »

Lève un peu la tête :

« Eh bien, c'est la Croix. »

Lève un peu ton âme

De ce monde infâme.

« Est-ce que je crois ? »

Qu'en sais-tu ? La Bête

Ignore sa tête,


La Chair et le Sang

Méconnaissent l'Acte.

« Mais j'ai fait un pacte

Qui va m'enlaçant

À la faute noire,

Je me dois à mon

Tenace démon :

Je ne veux point croire.

Je n'ai pas besoin

De rêver si **** !


« Aussi bien j'écoute

Des sons d'autrefois.

Vipère des bois,

Encor sur ma route ?

Cette fois tu mords. »

Laisse cette bête.

Que fait au poète ?

Que sont des cœurs morts ?

Ah ! plutôt oublie

Ta propre folie.


Ah ! plutôt, surtout,

Douceur, patience,

Mi-voix et nuance,

Et paix jusqu'au bout !

Aussi bon que sage,

Simple autant que bon,

Soumets ta raison

Au plus pauvre adage,

Naïf et discret,

Heureux en secret !


Ah ! surtout, terrasse

Ton orgueil cruel,

Implore la grâce

D'être un pur Abel,

Finis l'odyssée

Dans le repentir

D'un humble martyr,

D'une humble pensée.

Regarde au-dessus...

« Est-ce vous, Jésus ? »
Écoutez la chanson bien douce

Qui ne pleure que pour vous plaire,

Elle est discrète, elle est légère :

Un frisson d'eau sur de la mousse !


La voix vous fut connue (et chère !),

Mais à présent elle est voilée

Comme une veuve désolée,

Pourtant comme elle encore fière,


Et dans les longs plis de son voile

Qui palpite aux brises d'automne,

Cache et montre au cœur qui s'étonne

La vérité comme une étoile.


Elle dit, la voix reconnue.

Que la bonté c'est notre vie.

Que de la haine et de l'envie

Rien ne reste, la mort venue.


Elle parle aussi de la gloire

D'être simple sans plus attendre,

Et de noces d'or et du tendre

Bonheur d'une paix sans victoire.


Accueillez la voix qui persiste

Dans son naïf épithalame.

Allez, rien n'est meilleur à l'âme

Que de faire une âme moins triste !


Elle est en peine et de passage

L'âme qui souffre sans colère.

Et comme sa morale est claire !...

Écoutez la chanson bien sage.
J'ai naguère habité le meilleur des châteaux

Dans le plus fin pays d'eau vive et de coteaux :

Quatre tours s'élevaient sur le front d'autant d'ailes,

Et j'ai longtemps, longtemps habité l'une d'elles.

Le mur, étant de brique extérieurement,

Luisait rouge au soleil de ce site dormant,

Mais un lait de chaux, clair comme une aube qui pleure,

Tendait légèrement la voûte intérieure.

Ô diane des yeux qui vont parler au cœur,

Ô réveil pour les sens éperdus de langueur,

Gloire des fronts d'aïeuls, orgueil jeune des branches,

Innocence et fierté des choses, couleurs blanches !

Parmi des escaliers en vrille, tout aciers

Et cuivres, luxes brefs encore émaciés,

Cette blancheur bleuâtre et si douce, à m'en croire,

Que relevait un peu la longue plinthe noire,

S'emplissait tout le jour de silence et d'air pur

Pour que la nuit y vînt rêver de pâle azur.

Une chambre bien close, une table, une chaise,

Un lit strict où l'on pût dormir juste à son aise,

Du jour suffisamment et de l'espace assez,

Tel fut mon lot durant les longs mois là passés,

Et je n'ai jamais plaint ni les mois ni l'espace,

Ni le reste, et du point de vue où je me place,

Maintenant que voici le monde de retour,

Ah vraiment, j'ai regret aux deux ans dans la tour !

Car c'était bien la paix réelle et respectable,

Ce lit dur, cette chaise unique et cette table,

La paix où l'on aspire alors qu'on est bien soi,

Cette chambre aux murs blancs, ce rayon sobre et coi,

Qui glissait lentement en teintes apaisées,

Au lieu de ce grand jour diffus de vos croisées.

Car à quoi bon le vain appareil et l'ennui

Du plaisir, à la fin, quand le malheur a lui,

(Et le malheur est bien un trésor qu'on déterre)

Et pourquoi cet effroi de rester solitaire

Qui pique le troupeau des hommes d'à présent,

Comme si leur commerce était bien suffisant ?

Questions ! Donc j'étais heureux avec ma vie,

Reconnaissant de biens que nul, certes, n'envie.

(Ô fraîcheur de sentir qu'on n'a pas de jaloux !

Ô bonté d'être cru plus malheureux que tous !)

Je partageais les jours de cette solitude

Entre ces deux bienfaits, la prière et l'étude,

Que délassait un peu de travail manuel.

Ainsi les Saints ! J'avais aussi ma part de ciel,

Surtout quand, revenant au jour, si proche encore,

Où j'étais ce mauvais sans plus qui s'édulcore

En la luxure lâche aux farces sans pardon,

Je pouvais supputer tout le prix de ce don :

N'être plus là, parmi les choses de la foule,

S'y dépensant, plutôt dupe, pierre qui roule,

Mais de fait un complice à tous ces noirs péchés,

N'être plus là, compter au rang des cœurs cachés,

Des cœurs discrets que Dieu fait siens dans le silence,

Sentir qu'on grandit bon et sage, et qu'on s'élance

Du plus bas au plus haut en essors bien réglés,

Humble, prudent, béni, la croissance des blés !

D'ailleurs nuls soins gênants, nulle démarche à faire.

Deux fois le jour ou trois, un serviteur sévère

Apportait mes repas et repartait muet.

Nul bruit. Rien dans la tour jamais ne remuait

Qu'une horloge au cœur clair qui battait à coups larges.

C'était la liberté (la seule !) sans ses charges,

C'était la dignité dans la sécurité !

Ô lieu presque aussitôt regretté que quitté,

Château, château magique où mon âme s'est faite,

Frais séjour où se vint apaiser la tempête

De ma raison allant à vau-l'eau dans mon sang,

Château, château qui luis tout rouge et dors tout blanc,

Comme un bon fruit de qui le goût est sur mes lèvres

Et désaltère encor l'arrière-soif des fièvres,

Ô sois béni, château d'où me voilà sorti

Prêt à la vie, armé de douceur et nanti

De la Foi, pain et sel et manteau pour la route

Si déserte, si rude et si longue, sans doute,

Par laquelle il faut tendre aux innocents sommets.

Et soit aimé l'Auteur de la Grâce, à jamais !
Des yeux tout autour de la tête

Ainsi qu'il est dit dans Murger.

Point très bonne. Un esprit d'enfer

Avec des rires d'alouette.


Sculpteur, musicien, poète

Sont ses hôtes. Dieux, quel hiver

Nous passâmes ! Ce fut amer

Et doux. Un sabbat ! Une fête !


Ses cheveux, noir tas sauvage où

Scintille un barbare bijou,

La font reine et la font fantoche.


Ayant vu cet ange pervers,

« Oùsqu'est mon sonnet ? » dit Arvers,

Et Chilpéric dit : « Sapristoche ! »
La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette
De flèches et de tours à jour la silhouette
D'une ville gothique éteinte au lointain gris.
La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris
Secoués par le bec avide des corneilles
Et dansant dans l'air noir des gigues nonpareilles,
Tandis, que leurs pieds sont la pâture des loups.
Quelques buissons d'épine épars, et quelques houx
Dressant l'horreur de leur feuillage à droite, à gauche,
Sur le fuligineux fouillis d'un fond d'ébauche.
Et puis, autour de trois livides prisonniers
Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers
En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,
Luisent à contresens des lances de l'averse.
L'étoile du berger tremblote

Dans l'eau plus noire et le pilote

Cherche un briquet dans sa culotte.


C'est l'instant, Messieurs, ou jamais,

D'être audacieux, et je mets

Mes deux mains partout désormais !


Le chevalier Atys, qui gratte

Sa guitare, à Chloris l'ingrate

Lance une oeillade scélérate.


L'abbé confesse bas Eglé,

Et ce vicomte déréglé

Des champs donne à son coeur la clé.


Cependant la lune se lève

Et l'esquif en sa course brève

File gaîment sur l'eau qui rêve.
N'est-ce pas ? en dépit des sots et des méchants

Qui ne manqueront pas d'envier notre joie,

Nous serons fiers parfois et toujours indulgents.


N'est-ce pas ? nous irons, gais et lents, dans la voie

Modeste que nous montre en souriant l'Espoir,

Peu soucieux qu'on nous ignore ou qu'on nous voie.


Isolés dans l'amour ainsi qu'en un bois noir,

Nos deux coeurs, exhalant leur tendresse paisible,

Seront deux rossignols qui chantent dans le soir.


Quant au Monde, qu'il soit envers nous irascible

Ou doux, que nous feront ses gestes ? Il peut bien,

S'il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.


Unis par le plus fort et le plus cher lien,

Et d'ailleurs, possédant l'armure adamantine,

Nous sourirons à tous et n'aurons peur de rien.


Sans nous préoccuper de ce que nous destine

Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas,

Et la main dans la main, avec l'âme enfantine


De ceux qui s'aiment saris mélange, n'est-ce pas ?
Nous fûmes dupes, vous et moi,

De manigances mutuelles,

Madame, à cause de l'émoi

Dont l'Été férut nos cervelles.


Le Printemps avait bien un peu

Contribué, si ma mémoire

Est bonne, à brouiller notre jeu,

Mais que d'une façon moins noire !


Car au printemps l'air est si frais

Qu'en somme les roses naissantes,

Qu'Amour semble entr'ouvrir exprès,

Ont des senteurs presque innocentes ;


Et même les lilas ont beau

Pousser leur haleine poivrée,

Dans l'ardeur du soleil nouveau,

Cet excitant au plus récrée,


Tant le zéphyr souffle, moqueur,

Dispersant l'aphrodisiaque

Effluve, en sorte que le cœur

Chôme et que même l'esprit vaque,


Et qu'émoustillés, les cinq sens

Se mettent alors de la fête,

Mais seuls, tout seuls, bien seuls et sans

Que la crise monte à la tête.


Ce fut le temps, sous de clairs ciels

(Vous vous en souvenez-vous, Madame ?),

Des baisers superficiels

Et des sentiments à fleur d'âme,


Exempts de folles passions,

Pleins d'une bienveillance amène.

Comme tous deux nous jouissions

Sans enthousiasme - et sans peine !


Heureux instants ! - mais vint l'Été :

Adieu, rafraîchissantes brises ?

Un vent de lourde volupté

Investit nos âmes surprises.


Des fleurs aux calices vermeils

Nous lancèrent leurs odeurs mûres,

Et partout les mauvais conseils

Tombèrent sur nous des ramures


Nous cédâmes à tout cela,

Et ce fut un bien ridicule

Vertigo qui nous affola

Tant que dura la canicule.


Rires oiseux, pleurs sans raisons,

Mains indéfiniment pressées,

Tristesses moites, pâmoisons,

Et que vague dans les pensées !


L'automne heureusement, avec

Son jour froid et ses bises rudes,

Vint nous corriger, bref et sec,

De nos mauvaises habitudes,


Et nous induisit brusquement

En l'élégance réclamée

De tout irréprochable amant

Comme de toute digne aimée...


Or, cet Hiver, Madame, et nos

Parieurs tremblent pour leur bourse,

Et déjà les autres traîneaux

Osent nous disputer la course.


Les deux mains dans votre manchon,

Tenez-vous bien sur la banquette

Et filons ! - et bientôt Fanchon

Nous fleurira quoiqu'on caquette !
En robe grise et verte avec des ruches,

Un jour de juin que j'étais soucieux,

Elle apparut souriante à mes yeux

Qui l'admiraient sans redouter d'embûches ;


Elle alla, vint, revint, s'assit, parla,

Légère et grave, ironique, attendrie :

Et je sentais en mon âme assombrie

Comme un joyeux reflet de tout cela ;


Sa voix, étant de la musique fine,

Accompagnait délicieusement

L'esprit sans fiel de son babil charmant

Où la gaîté d'un bon coeur se devine.


Aussi soudain fus-je, après le semblant

D'une révolte aussitôt étouffée,

Au plein pouvoir de la petite Fée

Que depuis lors je supplie en tremblant.
Parmi la chaleur accablante
Dont nous torréfia l'été,
Voici se glisser, encor lente
Et timide, à la vérité,

Sur les eaux et parmi les feuilles,
Jusque dans ta rue, ô Paris,
La rue aride où tu t'endeuilles
De tels parfums jamais taris,

Pantin, Aubervilliers, prodige
De la Chimie et de ses jeux,
Voici venir la brise, dis-je,
La brise aux sursauts courageux...

La brise purificatrice
Des langueurs morbides d'antan,
La brise revendicatrice
Qui dit à la peste : va-t'en !

Et qui gourmande la paresse
Du poète et de l'ouvrier,
Qui les encourage et les presse...
" Vive la brise ! " il faut crier :

" Vive la brise, enfin, d'automne
Après tous ces simouns d'enfer,
La bonne brise qui nous donne
Ce sain premier frisson d'hiver ! "
Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pénétrons bien notre amour
De ce silence profond.

Fondons nos âmes, nos coeurs
Et nos sens extasiés,
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.

Ferme tes veux à demi,
Croise tes bras sur ton sein,
Et de ton coeur endormi
Chasse à jamais tout dessein.

Laissons-nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient à tes pieds rider
Les ondes de gazon roux.

Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,
Voix de notre désespoir,
Le rossignol chantera.
I


Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense.

Balancés par un vent automnal et berceur,

Les rosiers du jardin s'inclinent en cadence.

L'atmosphère ambiante a des baisers de sœur.


La Nature a quitté pour cette fois son trône

De splendeur, d'ironie et de sérénité :

Clémente, elle descend, par l'ampleur de l'air jaune,

Vers l'homme, son sujet pervers et révolté.


Du pan de son manteau que l'abîme constelle,

Elle daigne essuyer les moiteurs de nos fronts,

Et son âme éternelle et sa forme immortelle

Donnent calme et vigueur à nos cœurs mous et prompts.


Le frais balancement des ramures chenues,

L'horizon élargi plein de vagues chansons,

Tout, jusqu'au vol joyeux des oiseaux et des nues,

Tout, aujourd'hui, console et délivre. - Pensons.


II


Donc, c'en est fait. Ce livre est clos. Chères Idées

Qui rayiez mon ciel gris de vos ailes de feu

Dont le vent caressait mes tempes obsédées,

Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu !


Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore,

Et vous, Rythmes chanteurs, et vous, délicieux,

Ressouvenirs, et vous, Rêves, et vous encore,

Images qu'évoquaient mes désirs anxieux,


Il faut nous séparer. Jusqu'aux jours plus propices

Où nous réunira l'Art, notre maître, adieu,

Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices !

Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu.


Aussi bien, nous avons fourni notre carrière,

Et le jeune étalon de notre bon plaisir,

Tout affolé qu'il est de sa course première,

A besoin d'un peu d'ombre et de quelque loisir.


- Car toujours nous t'avons fixée, ô Poésie,

Notre astre unique et notre unique passion,

T'ayant seule pour guide et compagne choisie,

Mère, et nous méfiant de l'Inspiration.


III


Ah ! l'Inspiration superbe et souveraine,

L'Égérie aux regards lumineux et profonds,

Le Genium commode et l'Erato soudaine,

L'Ange des vieux tableaux avec des ors au fond,


La Muse, dont la voix est puissante sans doute,

Puisqu'elle fait d'un coup dans les premiers cerveaux,

Comme ces pissenlits dont s'émaille la route,

Pousser tout un jardin de poèmes nouveaux,


La Colombe, le Saint-Esprit, le saint Délire,

Les Troubles opportuns, les Transports complaisants,

Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre,

Ah ! l'Inspiration, on l'invoque à seize ans !


Ce qu'il nous faut à nous, les Suprêmes Poètes

Qui vénérons les Dieux et qui n'y croyons pas,

À nous dont nul rayon n'auréola les têtes,

Dont nulle Béatrix n'a dirigé les pas,


À nous qui ciselons les mots comme des coupes

Et qui faisons des vers émus très froidement,

À nous qu'on ne voit point les soirs aller par groupes

Harmonieux au bord des lacs et nous pâmant,


Ce qu'il nous faut à nous, c'est, aux lueurs des lampes,

La science conquise et le sommeil dompté,

C'est le front dans les mains du vieux Faust des estampes,

C'est l'Obstination et c'est la Volonté !


C'est la Volonté sainte, absolue, éternelle,

Cramponnée au projet comme un noble condor

Aux flancs fumants de peur d'un buffle, et d'un coup d'aile

Emportant son trophée à travers les cieux d'or !


Ce qu'il nous faut à nous, c'est l'étude sans trêve,

C'est l'effort inouï, le combat nonpareil,

C'est la nuit, l'âpre nuit du travail, d'où se lève

Lentement, lentement, l'Œuvre, ainsi qu'un soleil !

Libre à nos Inspirés, cœurs qu'une œillade enflamme,

D'abandonner leur être aux vents comme un bouleau ;

Pauvres gens ! l'Art n'est pas d'éparpiller son âme :

Est-elle en marbre, ou non, la Vénus de Milo ?


Nous donc, sculptons avec le ciseau des Pensées

Le bloc vierge du Beau, Paros immaculé,

Et faisons-en surgir sous nos mains empressées

Quelque pure statue au péplos étoilé,


Afin qu'un jour, frappant de rayons gris et roses

Le chef-d'œuvre serein, comme un nouveau Memnon,

L'Aube-Postérité, fille des Temps moroses,

Fasse dans l'air futur retentir notre nom !
Es-tu brune ou blonde ?

Sont-ils noirs ou bleus,

Tes yeux ?

Je n'en sais rien, mais j'aime leur clarté profonde,

Mais j'adore le désordre de tes cheveux.


Es-tu douce ou dure ?

Est-il sensible ou moqueur,

Ton cœur ?

Je n'en sais rien, mais je rends grâce à la nature

D'avoir fait de ton cœur mon maître et mon vainqueur.


Fidèle, infidèle ?

Qu'est-ce que ça fait.

Au fait ?

Puisque, toujours disposé à couronner mon zèle

Ta beauté sert de gage à mon plus cher souhait.
Et l'enfant répondit, pâmée

Sous la fourmillante caresse

De sa pantelante maîtresse :

« Je me meurs, ô ma bien-aimée !


« Je me meurs : ta gorge enflammée

Et lourde me soûle et m'oppresse ;

Ta forte chair d'où sort l'ivresse

Est étrangement parfumée ;


« Elle a, ta chair, le charme sombre

Des maturités estivales, -

Elle en a l'ambre, elle en a l'ombre ;


« Ta voix tonne dans les rafales,

Et ta chevelure sanglante

Fuit brusquement dans la nuit lente. »
Et j'ai revu l'enfant unique : il m'a semblé

Que s'ouvrait dans mon coeur- la dernière blessure,

Celle dont la douleur plus exquise m'assure

D'une mort désirable en un jour consolé.


La bonne flèche aiguë et sa fraîcheur qui dure !

En ces instants choisis elles ont éveillé

Les rêves un peu lourds du scrupule ennuyé,

Et tout mon sang chrétien chanta la Chanson pure.


J'entends encor, je vois encor ! Loi du devoir

Si douce ! Enfin, je sais ce qu'est entendre et voir

J'entends, je vois toujours ! Voix des bonnes pensées


Innocence, avenir ! Sage et silencieux,

Que je vais vous aimer, vous un instant pressées,

Belles petites mains qui fermerez nos yeux !
Et maintenant, aux Fesses !

Je veux que tu confesses,

Muse, ces miens trésors

Pour quels - et tu t'y fies -

Je donnerais cent vies

Et, riche, tous mes ors

Avec un tas d'encors.


Mais avant la cantate

Que mes âme et prostate

Et mon sang en arrêt

Vont dire à la louange

De son cher Cul que l'ange,

O déchu ! saluerait,

Puis il l'adorerait,


Posons de lentes lèvres

Sur les délices mièvres

Du dessous des genoux,

Souple papier de Chine,

Fins tendons, ligne fine

Des veines sans nul pouls

Sensible, il est si doux !


Et maintenant, aux Fesses !

Déesses de déesses,

Chair de chair, beau de beau.

Seul beau qui nous pénètre

Avec les seins, peut-être.

D'émoi toujours nouveau,

Pulpe dive, alme peau !


Elles sont presques ovales,

Presque rondes. Opales,

Ambres, roses (très peu)

S'y fondent, s'y confondent

En blanc mat que répondent

Les noirs, roses par jeu,

De la raie au milieu.


Déesses de déesses !

Du repos en liesses,

De la calme gaîté,

De malines fossettes

Ainsi que des risettes,

Quelque perversité

Dans que de majesté... !


Et quand l'heure est sonnée

D'unir ma destinée

A Son Destin fêté,

Je puis aller sans crainte

Et bien tenter l'étreinte

Devers l'autre côté :

Leur concours m'est prêté.


Je me dresse et je presse

Et l'une et l'autre fesse

Dans mes heureuses mains.

Toute leur ardeur donne,

Leur vigueur est la bonne

Pour aider aux hymens

Des soirs aux lendemains...


Ce sont les reins ensuite,

Amples, nerveux qu'invite

L'amour aux seuls élans

Qu'il faille dans ce monde,

C'est le dos gras et monde,

Satin tiède, éclairs blancs.

Ondulements troublants.


Et c'est enfin la nuque

Qu'il faudrait être eunuque

Pour n'avoir de frissons,

La nuque damnatrice,

Folle dominatrice

Aux frisons polissons

Que nous reconnaissons.


Ô nuque proxénète,

Vaguement déshonnête

Et chaste vaguement,

Frisons, joli symbole

Des voiles de l'Idole

De ce temple charmant,

Frisons chers doublement !
Le bonheur de saigner sur le cœur d'un ami,

Le besoin de pleurer bien longtemps sur son sein,

Le désir de parler à lui, bas à demi,

Le rêve de rester ensemble sans dessein !


Le malheur d'avoir tant de belles ennemies,

La satiété d'être une machine obscène,

L'horreur des cris impurs de toutes ces lamies.

Le cauchemar d'une incessante mise en scène !


Mourir pour sa Patrie ou pour son Dieu, gaîment,

Ou pour l'autre, en ses bras, et baisant chastement

La main qui ne trahit, la bouche qui ne menti


Vivre **** des devoirs et des saintes tourmentes

Pour les seins clairs et pour les yeux luisant d'amantes,

Et pour le... reste ! vers telles morts infamantes !
Daignez souffrir qu'à vos genoux, Madame,

Mon pauvre cœur vous explique sa flamme.


Je vous adore autant et plus que Dieu,

Et rien jamais n'éteindra ce beau feu.


Votre regard, profond et rempli d'ombre,

Me fait joyeux, s'il brille, et sinon, sombre.


Quand vous passez, je baise le chemin,

Et vous tenez mon cœur dans votre main.


Seule, en son nid, pleure la tourterelle.

Las, je suis seul et je pleure comme elle.


L'aube, au matin ressuscite les fleurs,

Et votre vue apaise les douleurs.


Disparaissez, toute floraison cesse,

Et, **** de vous, s'établit la tristesse.


Apparaissez, la verdure et les fleurs

Aux prés, aux bois, diaprent leurs couleurs.


Si vous voulez, Madame et bien-aimée,

Si tu voulais, sous la verte ramée,


Nous en aller, bras dessus, bras dessous,

Dieu ! Quels baisers ! Et quels propos de fous !


Mais non ! Toujours vous vous montrez revêche,

Et cependant je brûle et me dessèche,


Et le désir me talonne et me mord,

Car je vous aime, ô Madame la Mort !
Scaramouche et Pulcinella,

Qu'un mauvais dessein rassembla,

Gesticulent, noirs sur la lune.


Cependant l'excellent docteur

Bolonais cueille avec lenteur

Des simples parmi l'herbe brune.


Lors sa fille, piquant minois,

Sous la charmille en tapinois

Se glisse demi-nue, en quête


De son beau pirate espagnol,

Dont un langoureux rossignol

Clame la détresse à tue-tête.
Elle jouait avec sa chatte,
Et c'était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'ébattre dans l'ombre du soir.

Elle cachait - la scélérate ! -
Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d'agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.

L'autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n'y perdait rien...
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien,
Brillaient quatre points de phosphore.
Fifi s'est réveillé. Dès l'aube tu m'as dit

Bonjour en deux baisers, et le pauvre petit

Pépia, puis remit sa tête sous son aile

Et tut pour le moment sa gente ritournelle.

Ici je te rendis pour les tiens un baiser

Multiforme, ubiquiste et qui fut se poser

De la plante des pieds au bout des cheveux sombres

Avec des stations aux lieux d'éclairs et d'ombres,

Un jeu (car tu riais) ridiculement doux,

Et, brusque, entre les tiens je poussai mes genoux,


Tôt redressé sur eux et, penché vers ta bouche,

Fus brutal sans que tu te montrasses farouche,

Car tu remerciais dans un regard mouillé

C'est alors que Fifi, tout à fait réveillé,


Le mignon compagnon ! comparable aux bons drilles

Que le bonheur d'autrui ne fait pas envieux,

Salua mon triomphe en des salves de trilles

Que tout son petit cœur semblait lancer aux cieux.


Il sautillait, fiérot, comme un gars qui se cambre,

Acclamant un vainqueur justement renommé,

Et l'aurore éclatant aux carreaux de la chambre

Attestait sans mentir que nous avions aimé.
J'ai fait ces vers qu'un bien indigne pécheur,

bien indigne, après tant de grâces données,

Lâchement, salement, froidement piétinées

Par mes pieds de pécheur, de vil et laid pécheur.


J'ai fait ces vers, Seigneur, à votre gloire encor,

A votre gloire douce encor qui me tente

Toujours, en attendant la formidable attente

Ou de votre courroux ou de ta gloire encore,


Jésus, qui pus absoudre et bénir mon péché.

Mon péché monstrueux, mon crime bien plutôt !

Je me rementerais de votre amour, plutôt,

Que de mon effrayant et vil et laid péché.


Jésus qui sus bénir ma folle indignité,

Bénir, souffrir, mourir pour moi, ta créature,

Et dès avant le temps, choisis dans la nature,

Créateur, moi, ceci, pourri d'indignité !


Aussi, Jésus ! avec un immense remords

Et plein de tels sanglots ! à cause de mes fautes

Je viens et je reviens à toi, crampes aux côtes,

Les pieds pleins de cloques et les usages morts,


Les usages ? Du cœur, de la tête, de tout

Mon être on dirait cloué de paralysie

Navrant en même temps ma pauvre poésie

Qui ne s'exhale plus, mais qui reste debout


Comme frappée, ainsi le troupeau par l'orage,

Berger en tête, et si fidèle nonobstant

Mon cœur est là, Seigneur, qui t'adore d'autant

Que tu m'aimes encore ainsi parmi l'orage.


Mon cœur est un troupeau dissipé par l'autan

Mais qui se réunit quand le vrai Berger siffle

Et que le bon vieux chien, Sergent ou Remords, gifle

D'une dent suffisante et dure assez l'engeance.


Affreuse que je suis, troupeau qui m'en allai

Vers une monstrueuse et solitaire voie.

O, me voici, Seigneur, ô votre sainte joie !

Votre pacage simple en les prés où, j'allai


Naguère, et le lin pur qu'il faut et qu'il fallut,

Et la contrition, hélas ! si nécessaire,

Et si vous voulez bien accepter ma misère,

La voici ! faites-la, telle, hélas ! qu'il fallut.
Ce brouillard de Paris est fade,

On dirait même qu'il est clair

Au prix de cette promenade

Que l'on appelle Leicester Square


Mais le brouillard de Londres est

Savoureux comme non pas d'autres ;

Je vous le dis et fermes et

Pires les opinions nôtres !


Pourtant dans ce brouillard hagard

Ce qu'il faut retenir quand même

C'est, en dépit de tout hasard,

Que je l'adore et qu'elle m'aime.
A Charles Vesseron


Une chanson folle et légère

Comme le drapeau tricolore

Court furieusement dans l'air,

Fifrant une France âpre encor.


Sa gaîté qui rit d'elle-même

Et du reste en passant se moque

Pourtant veut bien dire : Tandem !

Et vaticine le grand choc.


Écoutez ! le flonflon se pare

Des purs accents de la Patrie,

Espèce de chant du départ

Du gosse effrayant de Paris.


Il est le rythme, il est la joie,

Il est la Revanche essayée,

Il est l'entrain, il est tout, quoi !

Jusqu'au juron luron qui sied,


Jusqu'au cri de reconnaissance

Qu'on pousse quand il faut qu'on meure

De sang-froid, dans tout son bon sens,

Avec de l'honneur plein son cœur !
Gloire à Dieu dans les hauteurs,

Paix aux hommes sur la terre !


Aux hommes qui l'attendaient

Dans leur bonne volonté.


Le salut vient sur la terre...

Gloire à Dieu dans les hauteurs


Nous te louons, bénissons,

Adorons, glorifions,


Te rendons grâce et merci

De cette gloire infinie !


Seigneur, Dieu, roi du ciel,

Père, Puissance éternelle,


Fils unique de Dieu,

Agneau de Dieu, Fils du père,


Vous effacez les péchés :

Vous aurez pitié de nous.


Vous effacez les péchés :

Vous écouterez nos vœux.


Vous, à la droite du Père,

Vous aurez pitié de nous.


Car vous êtes le seul Saint,

Seul Seigneur et seul Très Haut,


Jésus, qui fûtes oint

De très **** et de très haut,


Dieu des cieux, avec l'Esprit,

Dans le Père, ainsi soit-il.
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.

J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encore de vos derniers baisers ;
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
Leurs jambes pour toutes montures,
Pour tous biens l'or de leurs regards,
Par le chemin des aventures
Ils vont haillonneux et hagards.

Le sage, indigné, les harangue ;
Le sot plaint ces fous hasardeux ;
Les enfants leur tirent la langue
Et les filles se moquent d'eux.

C'est qu'odieux et ridicules,
Et maléfiques en effet,
Ils ont l'air, sur les crépuscules,
D'un mauvais rêve que l'on fait ;

C'est que, sur leurs aigres guitares
Crispant la main des libertés,
Ils nasillent des chants bizarres,
Nostalgiques et révoltés ;

C'est enfin que dans leurs prunelles
Rit et pleure - fastidieux -
L'amour des choses éternelles,
Des vieux morts et des anciens dieux !

- Donc, allez, vagabonds sans trêves,
Errez, funestes et maudits,
Le long des gouffres et des grèves,
Sous l'oeil fermé des paradis !

La nature à l'homme s'allie
Pour châtier comme il le faut
L'orgueilleuse mélancolie
Qui vous fait marcher le front haut,

Et, vengeant sur vous le blasphème
Des vastes espoirs véhéments,
Meurtrit votre front anathème
Au choc rude des éléments.

Les juins brûlent et les décembres
Gèlent votre chair jusqu'aux os,
Et la fièvre envahit vos membres,
Qui se déchirent aux roseaux.

Tout vous repousse et tout vous navre,
Et quand la mort viendra pour vous,
Maigre et froide, votre cadavre
Sera dédaigné par les loups !
Guerrière, militaire et virile en tout point,

La sainte Chasteté que Dieu voit la première,

De toutes les vertus marchant dans sa lumière

Après la Charité distante presque point,


Va d'un pas assuré mieux qu'aucune amazone

A travers l'aventure et l'erreur du Devoir,

Ses yeux grands ouverts pleins du dessein de bien voir,

Son corps robuste et beau digne d'emplir un trône,


Son corps robuste et nu balancé noblement.

Entre une tête haute et des jambes sereines,

Du port majestueux qui sied aux seules reines,

Et sa candeur la vêt du plus beau vêtement.


Elle sait ce qu'il faut qu'elle sache des choses.

Entre autres que Jésus a fait l'homme de chair

Et mis dans notre sang un charme doux-amer

D'où doivent découler nos naissances moroses.


Et que l'amour charnel est bénit en des cas.

Elle préside alors et sourit à ces fêtes,

Dévêt la jeune épouse avec ses mains honnêtes

Et la mène à l'époux par des tours délicats.


Elle entre dans leur lit, lève le linge ultime,

Guide pour le baiser et l'acte et le repos

Leurs corps voluptueux aux fins de bons propos

Et désormais va vivre entre eux leur ange intime.


Puis au-dessus du couple ou plutôt à côté,

- Bien agir fait s'unir les vœux et les nivelle, -

Vers le Vierge et la Vierge isolés dans leur belle

Thébaïde à chacun la sainte Chasteté.


Sans quitter les Amants, par un charmant miracle,

Vole et vient rafraîchir l'Intacte et l'Impollu

De gais parfums de fleurs comme s'il avait plu

D'un bon orage sur l'un et sur l'autre habitacle,


Et vêt de chaleur douce au point et de jour clair

La cellule du Moine et celle de la Nonne,

Car s'il nous faut souffrir pour que Dieu nous pardonne.

Du moins Dieu veut punir, non torturer la chair.


Elle dit à ces chers enfants de l'Innocence :

Dormez, veillez, priez. Priez surtout, afin

Que vous n'ayez pas fait tous ces travaux en vain.

Humilité, douceur et céleste ignorance !


Enfin elle va chez la Veuve et chez le Veuf,

Chez le vieux Débauché, chez l'Amoureuse vieille,

Et leur tient des discours qui sont une merveille

Et leur refait, à force d'art, un corps tout neuf.


Et quand alors elle a fini son tour du monde,

Tour du monde ubiquiste, invisible et présent,

Elle court à son point de départ en faisant

Tel grand détour, espoir d'espérance profonde ;


Et ce point de départ est un lieu bien connu,

Eden même : là sous le chêne et vers la rose.

Puisqu'il paraît qu'il n'a pas faire autre chose,

Rit et gazouille un beau petit enfant tout nu.
Le pauvre du chemin creux chante et parle.

Il dit : « Mon nom est Pierre et non pas Charle,

Et je m'appelle aussi Duchatelet.

Une fois je vis, moi qu'on croit très laid,

Passer vraiment une femme très belle.

(Si je la voyais telle, elle était telle.)

Nous nous mariâmes au vieux curé.

On eut tout ce qu'on avait espéré,

Jusqu'à l'enfant qu'on m'a dit vivre encore.

Mais elle devint la pire pécore

Indigne même de cette chanson,

Et certain beau soir quitta la maison

En emportant tout l'argent du ménage

Dont les trois quarts étaient mon apanage.

C'était une voleuse, une sans-cœur,

Et puis, par des fois, je lui faisais peur.

Elle n'avait pas l'ombre d'une excuse,

Pas un amant ou par rage ou par ruse.

Il paraît qu'elle couche depuis peu

Avec un individu qui tient lieu

D'époux à cette femme de querelle.

Faut-il la tuer ou prier pour elle ? »


Et le pauvre sait très bien qu'il priera,

Mais le diable parierait qu'il tuera.
Hier, on parlait de choses et d'autres,
Et mes yeux allaient recherchant les vôtres ;

Et votre regard recherchait le mien
Tandis que courait toujours l'entretien.

Sous le banal des phrases pesées
Mon amour errait après vos pensées ;

Et quand vous parliez, à dessein distrait,
Je prêtait l'oreille à votre secret :

Car la voix, ainsi que les yeux de Celle
Qui vous fait joyeux et triste, décèle,

Malgré tout effort morose ou rieur,
Et met au plein jour l'être intérieur.

Or, hier je suis parti plein d'ivresse :
Est-ce un espoir vain que mon coeur caresse,

Un vain espoir, faux et doux compagnon ?
Oh ! non ! n'est-ce pas ? n'est-ce pas que non ?
Baiser ! rose trémière au jardin des caresses !

Vif accompagnement sur le clavier des dents

Des doux refrains qu'Amour chante en les cœurs ardents,

Avec sa voix d'archange aux langueurs charmeresses !


Sonore et gracieux Baiser, divin Baiser !

Volupté non pareille, ivresse inénarrable !

Salut ! L'homme, penché sur ta coupe adorable,

S'y grise d'un bonheur qu'il ne sait épuiser.


Comme le vin du Rhin et comme la musique,

Tu consoles et tu berces, et le chagrin

Expire avec la moue en ton pli purpurin...

Qu'un plus grand, Gœthe ou Will, te dresse un vers classique.


Moi, je ne puis, chétif trouvère de Paris,

T'offrir que ce bouquet de strophes enfantines :

Sois bénin et, pour prix, sur les lèvres mutines

D'Une que je connais, Baiser, descends, et ris.
Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses :

De cette façon nous serons bien heureuses

Et si notre vie a des instants moroses,

Du moins nous serons, n'est-ce pas, deux pleureuses,


Ô que nous mêlions, âmes soeurs que nous sommes,

A nos voeux confus la douceur puérile

De cheminer **** des femmes et des hommes,

Dans le frais oubli de ce qui nous exile !


Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles

Eprises de rien et de tout étonnées

Qui s'en vont pâlir sous les chastes charmilles

Sans même savoir qu'elles sont pardonnées.
Ni pardon ni répit, dit le monde,

Plus de place au sénat du loisir !

On rend grâce et justice au désir

Qui te prend d'une paix si profonde,

Et l'on eût fait trêve avec plaisir,

Mais la guerre est jalouse : il faut vivre

Ou mourir du combat qui t'enivre.


Aussi bien tes vœux sont absolus

Quand notre art est un mol équilibre.

Nous donnons un sens large au mot : libre,

Et ton sens va : Vite ou jamais plus.

Ta prière est un ordre qui vibre ;

Alors nous, indolents conseilleurs,

Que te dire, excepté : Cherche ailleurs ?


Et je vois l'Orgueil et la Luxure

Parmi la réponse : tel un cor

Dans l'éclat fané d'un vil décor,

Prêtant sa rage à la flûte impure.

Quel décor connu mais triste encor !

C'est la ville où se caille et se lie

Ce passé qu'on boit jusqu'à la lie,


C'est Paris banal, maussade et blanc,

Qui chantonne une ariette vieille

En cuvant sa « noce » de la veille

Comme un invalide sur un banc.

La Luxure me dit à l'oreille :

Bonhomme, on vous a déjà donné.

Et l'Orgueil se tait comme un damné.


Ô Jésus, vous voyez que la porte

Est fermée au Devoir qui frappait,

Et que l'on s'écarte à mon aspect.

Je n'ai plus qu'à prier pour la morte.

Mais l'agneau, bénissez qui le paît !

Que le thym soit doux à sa bouchette !

Que le loup respecte la houlette !


Et puis, bon pasteur, paissez mon cœur :

Il est seul désormais sur la terre,

Et l'horreur de rester solitaire

Le distrait en l'étrange langueur

D'un espoir qui ne veut pas se taire,

Et l'appelle aux prés qu'il ne faut pas.

Donnez-lui de n'aller qu'en vos pas.
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !
Ils me disent que tu me trompes.

D'abord, qu'est-ce que ça leur fait ?

Chère frivole, que tu rompes

Un serment que tu n'as pas fait ?


Ils me disent que t'es méchante

Envers moi, - moi, qui suis si bon !

Toi méchante ! Qu'un autre chante

Ce refrain très **** d'être bon


Méchante, toi qui toujours m'offres

Un sourire amusant toujours,

Toi, ma reine, qui de tes coffres

Me puise des trésors toujours.


Ils me disent et croient bien dire,

Ô toi que tu ne m'aimes pas ?

Que m'importe, j'ai ton sourire,

Et puis tu ne m'aimerais pas ?


Tu ne m'aimes ? Et la grâce

Et la force de ta beauté.

Tu me les donnes, grande et grasse

Et voluptueuse beauté.


Tu ne m'aimes pas? Et quand même

Ce serait vrai, qu'est-ce que fait ?

« Si tu ne m'aimes pas, je t'aime. »

- Mais tu m'aimes, dis, par le fait.
De toutes les douleurs douces
Je compose mes magies !
Paul, les paupières rougies,
Erre seul aux Pamplemousses.
La Folle-par-amour chante
Une ariette touchante.
C'est la mère qui s'alarme
De sa fille fiancée.
C'est l'épouse délaissée
Qui prend un sévère charme
A s'exagérer l'attente
Et demeure palpitante.
C'est l'amitié qu'on néglige
Et qui se croit méconnue.
C'est toute angoisse ingénue,
C'est tout bonheur qui s'afflige :
L'enfant qui s'éveille et pleure,
Le prisonnier qui voit l'heure,
Les sanglots des tourterelles,
La plainte des jeunes filles.
C'est l'appel des Inésilles
- Que gardent dans des tourelles
De bons vieux oncles avares -
A tous sonneurs de guitares.
Voici Damon qui soupire
Sa tendresse à Geneviève
De Brabant qui fait ce rêve
D'exercer un chaste empire
Dont elle-même se pâme
Sur la veuve de Pyrame
Tout exprès ressuscitée,
Et la forêt des Ardennes
Sent circuler dans ses veines
La flamme persécutée
De ces princesses errantes
Sous les branches murmurantes,
Et madame Malbrouck monte
A sa tour pour mieux entendre
La viole et la voix tendre
De ce cher trompeur de Comte
Ory qui revient d'Espagne
Sans qu'un doublon l'accompagne.
Mais il s'est couvert de gloire
Aux gorges des Pyrénées
Et combien d'infortunées
Au teint de lys et d'ivoire
Ne fit-il pas à tous risques
Là-bas, parmi les Morisques !...
Toute histoire qui se mouille
De délicieuses larmes,
Fût-ce à travers des chocs d'armes,
Aussitôt chez moi s'embrouille,
Se mêle à d'autres encore,
Finalement s'évapore
En capricieuses nues,
Laissant à travers des filtres
Subtils talismans et philtres
Au fin fond de mes cornues
Au feu de l'amour rougies.
Accourez à mes magies !
C'est très beau. Venez, d'aucunes
Et d'aucuns. Entrez, bagasse !
Cadet-Roussel est paillasse
Et vous dira vos fortunes.
C'est Crédit qui tient la caisse.
Allons vite qu'on se presse !
I


QUEL délicieux repas

Tu feras

(Si les dieux te prêtent vie)

Chez moi, pourvu toutefoi

Qu'avec toi

Tu portes, toute servie,


Une table, avec bons vins,

Mets divins,

Sainte couronne de roses,

Quel délicieux repas

Tu feras...

Moyennant toutes ces choses.


C'est, vois-tu, mon doux ami,

Qu'à demi

Ma bourse n'est ruinée

Et qu'au fond du sac de ton

Apollon

Fait sa toile l'araignée.


Moi, je dirai les atours

Des Amours

Et des Grâces sadinettes

Et ferai naître en ton coeur

Le bonheur

En te sonnant mes sornettes.


Dame, je n'ai point de nard

Mais mon art

À ta narine altérée,

Ami, fera monter un

Doux parfum

Que m'a donné Cythérée.


Ce festin sera, gourmand,

Si charmant

Et cette odeur si divine

Que, toute pudeur en bas,

Tu voudras

N'être plus qu'une narine.


II


O Sirnium, cap au gazon fleuri,

Enfin, c'est toi, je te revois encore

Et les rayons consolants de l'aurore

M'ont révélé ton visage chéri.


J'ai peine encore à croire l'évidence

Que j'ai quitté les bords Bithyniens,

Ces flots, ô cap Sirnium, sont les tiens,

Je puis enfin te voir en assurance.


Ah ! qu'il est bon au retour, le foyer,

Et qu'il est doux, le vieux lit de noyer,

Quand on s'y couche après un long voyage.


Aussi, salut, cap Sirnium et toi, son

Bleu miroir, lac qu'une forêt ombrage.

*** ! que la joie emplisse la maison.
Un serpent, s'élançant du tronc creux d'un vieux chêne

Darde son noir venin sur l'aigle ami des dieux.

Le noble oiseau s'abaisse et sa serre hautaine

A bientôt châtié le reptile odieux.


La bête, qui tordait ses anneaux avec gloire,

A son tour est blessée au flanc et le bec d'or

Du roi des airs, tout rouge encor de sa victoire,

Déchire en vingt tronçons son adversaire mort.


Ayant bien satisfait ses vengeances sublimes

Et bien rassasié son ail de sang vermeil,

L'aigle alors jette au **** ses dépouilles opimes

Et, l'aile ouverte au vent, vole vers le soleil.
Vous fûtes conçue immaculée,

Ainsi l'Église l'a constaté

Pour faire notre âme consolée

Et notre fois plus fort conseillée,

Et notre esprit plus ferme et bandé.


La raison veut ce dogme et l'assume.

La charité l'embrasse et s'y tient,

Et Satan grince et l'enfer écume

Et hurle : « L'Ève prédite vient

Dont le Serpent saura l'amertume » :


Sous la tutelle et dans l'onction

De votre chaste et sainte mère Anne,

Vous grandissez en perfection

Jusqu'à votre présentation

Au temple saint, **** du bruit profane,


Du monde vain que fuira Jésus

Et, comme lui, toute au pauvre monde.

Vous atteignez dans de pieux us

L'époque où, dans sa pitié profonde.

Dieu veut que de vous sorte Jésus !


L'ange qui vous salua la mère

Du Rédempteur que Dieu nous donnait

Ne troubla pas votre candeur fière

Qui dit comme Dieu de la lumière :

« Ce que vous m'annoncez me soit fait. »


Et tout le temps que vivra le Maître,

Vous le passerez obscurément,

Sans rien vouloir savoir ou connaître

Que de l'aimer comme il daigne l'être,

Jusqu'à sa mort, prise saintement.


Aussi, quand vous-même rendez l'âme,

Pendant à votre conception

Immaculée, un décret proclame

Pour vous la tombe un séjour infâme,

Vous soustrait à la corruption,


Et vous enlève au séjour de la gloire

D'où vous régnez sur l'Ange et sur nous.

Participant à toute l'histoire

De notre vie intime et de tous

Les hauts débats de la grande histoire.
Immédiatement après le salut somptueux,

Le luminaire éteint moins les seuls cierges liturgiques,

Les psaumes pour les morts sont dits sur un mode mineur

Par les clercs et le peuple saisi de mélancolie.


Un glas lent se répand des clochers de la cathédrale

Répandu par tous les campaniles du diocèse,

Et plane et pleure sur les villes et sur la campagne

Dans la nuit tôt venue en la saison arriérée.


Chacun s'en fut coucher reconduit par la voix dolente

Et douce à l'infini de l'airain commémoratoire

Qui va bercer le sommeil un peu triste des vivants

Du souvenir des décédés de toutes les paroisses.
Il est des jours - avez-vous remarqué ? -
Où l'on se sent plus léger qu'un oiseau,
Plus jeune qu'un enfant, et, vrai ! plus ***
Que la même gaieté d'un damoiseau.

L'on se souvient sans bien se rappeler...
Évidemment l'on rêve, et non, pourtant.
L'on semble nager et l'on croirait voler.
L'on aime ardemment sans amour cependant

Tant est léger le coeur sous le ciel clair
Et tant l'on va, sûr de soi, plein de foi
Dans les autres, que l'on trompe avec l'air
D'être plutôt trompé gentiment, soi.

La vie est bonne et l'on voudrait mourir,
Bien que n'ayant pas peur du lendemain,
Un désir indécis s'en vient fleurir,
Dirait-on, au coeur plus et moins qu'humain.

Hélas ! faut-il que meure ce bonheur ?
Meurent plutôt la vie et son tourment !
Ô dieux cléments, gardez-moi du malheur
D'à jamais perdre un moment si charmant.
Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.

On sonne la cloche,
Dormez, les bons prisonniers !
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.

Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu'à vos amours
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !

Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !

Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un nuage passe.
Tiens, le petit jour !

Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !
Chez mes pays, qui sont rustiques

Dans tel cas simplement pieux,

Voire un peu superstitieux,

Entre autres pratiques antiques,


Sur la tête du paysan,

Rite profond, vaste symbole,

Le prêtre, étendant son étole,

Dit l'évangile de saint Jean :


« Au commencement était le Verbe

Et le Verbe était en Dieu.

Et le verbe était Dieu. »

Ainsi va le texte superbe,


S'épanchant en ondes de claire

Vérité sur l'humaine erreur,

Lavant l'immondice et l'horreur,

Et la luxure et la colère,


Et les sept péchés, et d'un flux

Tout parfumé d'odeurs divines,

Rafraîchissant jusqu'aux racines

L'arbre du bien, sec et perclus,


Et déracinant sous sa force

L'arbre du mal et du malheur

Naguère tout en sève, en fleur,

En fruit, du feuillage à l'écorce.


Jean, le plus grand, après l'autre

Jean, le Baptiste, des grands saints,

Priez pour moi le Sein des seins

Où vous dormiez, étant apôtre !


Ô, comme pour le paysan,

Sur ma tête frivole et folle,

Bon prêtre étendant ton étole,

Dis l'évangile de saint Jean.
Les violons mêlaient leur rire au chant des flûtes,

Et le bal tournoyait quand je la vis passer

Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes

De son oreille où mon Désir comme un baiser

S'élançait et voulait lui parler sans oser.


Cependant elle allait, et la mazurque lente

La portait dans son rythme indolent comme un vers,

- Rime mélodieuse, image étincelante, -

Et son âme d'enfant rayonnait à travers

La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts.


Et depuis, ma Pensée - immobile - contemple

Sa Splendeur évoquée, en adoration,

Et, dans son Souvenir, ainsi que dans un temple,

Mon Amour entre, plein de superstition.


Et je crois que voici venir la Passion.
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