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A ma belle patrie

Fais mes adieux, Amour ;

La reverrai-je un jour,

Cette France chérie ?

Toi qui m'as su charmer,

Parle pour moi, mon maître

Elle m'a donné l'être,

Tu me le fais aimer.



Dis-lui qu'à ta prière

Je retiens mes soupirs,

Mais que tes doux plaisirs

Ne m'ont pas tout entière :

Dis-lui que ton bandeau

N'a pas séché mes larmes,

Et qu'à travers tes charmes

Je rêve à mon berceau.



Vois-tu sur le rivage

Mes compagnes en pleurs ?

En leur jetant des fleurs,

Voile-moi cette image.

L'eau m'entraîne avec toi...

Mais demain, à l'aurore,

Te trouverai-je encore

Entre le ciel et moi ?



Quelle est cette voix tendre

Qui prédit mon retour ?

Tu parles bien, Amour,

Mais laisse-moi l'entendre :

Oh ! n'en sois point jaloux,

C'est la voix de mon père !

Tout nous sera prospère,

Il a prié pour nous.
Tristesse amère

Ne peut crier :

Pourtant, ma mère,

Je veux prier.


Là-haut peut-être

On m'entendra ;

Qui m'a fait naître

Me soutiendra.


James qui m'aime

Va me quitter ;

Cette nuit même

Doit l'emporter.


Le temps est sombre,

Et sur les flots

Voyez-vous l'ombre

Des matelots ?


Dans leur nacelle

Il s'engagea ;

C'est encor celle

Qui naufragea !


On tend la voile ;

Ô désespoir !

Pas une étoile

Pour l'entrevoir.


A la chapelle,

Avant le jour,

Un vœu m'appelle,

Un vœu d'amour.


Il doit m'attendre ;

J'y porte encor

Un baiser tendre,

Un anneau d'or.


Don de mon père,

C'est le dernier :

Qu'il soit prospère

Au marinier !


C'est le symbole

De mon lien ;

Pour mon idole

Je n'ai plus rien.
Adieu, douce pensée,
Image du plaisir !
Mon âme est trop blessée,
Tu ne peux la guérir.
L'espérance légère
De mon bonheur
Fut douce et passagère,
Comme ta fleur.

Rien ne me fait envie,
Je ne veux plus te voir.
Je n'aime plus la vie,
Qu'ai-je besoin d'espoir ?
En ce moment d'alarme
Pourquoi t'offrir ?
Il ne faut qu'une larme
Pour te flétrir.

Par toi, ce que j'adore
Avait surpris mon cœur ;
Par toi, veut-il encore
Égarer ma candeur ?
Son ivresse est passée ;
Mais, en retour,
Qu'est-ce qu'une pensée
Pour tant d'amour ?
Qu'as-tu fait d'un aveu doux à ton espérance ?

Mes pleurs, qu'en as-tu fait ? Ton bonheur d'un moment.

Les secrets de mon âme ont aigri ta souffrance,

Et, pour y croire enfin, tu voulus un serment.


Le serment est livré : tu ne crois pas encore,

Tu doutes des parfums en respirant les fleurs ;

Tu voudrais ajouter des rayons à l'aurore,

Au soleil des flambeaux, à l'iris des couleurs.


Incrédule, inquiète, ingrate jalousie !

Amour, aveugle amour qui méconnaît l'amour !

Qui regarde un ciel pur, et demande le jour ;

Oh ! que je... que je t'aime, aimable frénésie !
« Je vous défends, châtelaine,

De courir seule au grand bois. »

M'y voici, tout hors d'haleine,

Et pour la seconde fois.

J'aurais manqué de courage

Dans ce long sentier perdu ;

Mais que j'en aime l'ombrage !

Mon seigneur l'a défendu.


« Je vous défends, belle mie,

Ce rondeau vif et moqueur. »

Je n'étais pas endormie

Que je le savais par cœur.

Depuis ce jour je le chante ;

Pas un refrain n'est perdu :

Dieu ! que ce rondeau m'enchante !

Mon seigneur l'a défendu.


« Je vous défends sur mon page

De jamais lever les yeux. »

Et voilà que son image

Me suit, m'obsède en tous lieux.

Je l'entends qui, par mégarde,

Au bois s'est aussi perdu :

D'où vient que je le regarde ?

Mon seigneur l'a défendu.


Mon seigneur défend encore

Au pauvre enfant de parler ;

Et sa voix douce et sonore

Ne dit plus rien sans trembler.

Qu'il doit souffrir de se taire !

Pour causer quel temps perdu !

Mais, mon page, comment faire ?

Mon seigneur l'a défendu.
Les rumeurs du jardin disent qu'il va pleuvoir ;
Tout tressaille, averti de la prochaine ondée :
Et toi qui ne lis plus, sur ton livre accoudée,
Plaints-tu l'absent aimé qui ne pourra te voir ?

Là-bas, plaint son aile et mouillé sous l'ombrage,
Banni de l'horizon qu'il n'atteint que des yeux,
Appelant sa compagne et regardant les cieux,
Un ramier, comme toi, soupire de l'orage.

Laissez pleuvoir, ô cœurs solitaires et doux !
Sous l'orage qui passe il renaît tant de choses,
Le soleil sans la pluie ouvrirait-il les roses ?
Amants, vous attendez, de quoi vous plaignez-vous ?
Je suis la prière qui passe
Sur la terre où rien n'est à moi ;
Je suis le ramier dans l'espace,
Amour, où je cherche après toi.
Effleurant la route féconde,
Glanant la vie à chaque lieu,
J'ai touché les deux flancs du monde,
Suspendue au souffle de Dieu.

Ce souffle épura la tendresse
Qui coulait de mon chant plaintif
Et répandit sa sainte ivresse
Sur le pauvre et sur le captif
Et me voici louant encore
Mon seul avoir, le souvenir,
M'envolant d'aurore en aurore
Vers l'infinissable avenir.

Je vais au désert plein d'eaux vives
Laver les ailes de mon coeur,
Car je sais qu'il est d'autres rives
Pour ceux qui vous cherchent, Seigneur !
J'y verrai monter les phalanges
Des peuples tués par la faim,
Comme s'en retournent les anges,
Bannis, mais rappelés enfin...

Laissez-moi passer, je suis mère ;
Je vais redemander au sort
Les doux fruits d'une fleur amère,
Mes petits volés par la mort.
Créateur de leurs jeunes charmes,
Vous qui comptez les cris fervents,
Je vous donnerai tant de larmes
Que vous me rendrez mes enfants !
Un ami me parlait et me regardait vivre :
Alors, c'était mourir... mon jeune âge était ivre
De l'orage enfermé dont la foudre est au coeur ;
Et cet ami riait, car il était moqueur.

Il n'avait pas d'aimer la funeste science.
Son seul orage à lui, c'était l'impatience.
Léger comme l'oiseau qui siffle avant d'aimer,
Disant : « Tout feu s'éteint, puisqu'il peut s'allumer ; »
Plein de chants, plein d'audace et d'orgueil sans alarme,
Il eût mis tout un jour à comprendre une larme.
De nos printemps égaux lui seul portait les fleurs ;
J'étais déjà l'aînée, hélas ! Par bien des pleurs.

Décorant sa pitié d'une grâce insolente,
Il disputait, joyeux, avec ma voix tremblante.
À ses doutes railleurs, je répondais trop bas...
Prouve-t-on que l'on souffre à qui ne souffre pas ?

Soudain, presque en colère, il m'appela méchante
De tromper la saison où l'on joue, où l'on chante :
« Venez, sortez, courez où sonne le plaisir !
Pourquoi restez-vous là navrant votre loisir ?
Pourquoi défier vos immobiles peines ?
Venez, la vie est belle, et ses coupes sont pleines ! ...
Non ? Vous voulez pleurer ? Soit ! J'ai fait mon devoir :
Adieu ! - quand vous rirez, je reviendrai vous voir. »

Et je le vis s'enfuir comme l'oiseau s'envole ;
Et je pleurai longtemps au bruit de sa parole.
Mais quoi ? La fête en lui chantait si haut alors
Qu'il n'entendait que ceux qui dansent au dehors.

Tout change. Un an s'écoule, il revient... qu'il est pâle !
Sur son front quelle flamme a soufflé tant de hâle ?
Comme il accourt tremblant ! Comme il serre ma main !
Comme ses yeux sont noirs ! Quel démon en chemin
L'a saisi ? - c'est qu'il aime ! Il a trouvé son âme.
Il ne me dira plus : « Que c'est lâche ! Une femme. »
Triste, il m'a demandé : « C'est donc là votre enfer ?
Et je riais... grand dieu ! Vous avez bien souffert ! »
Vous demandez si l'amour rend heureuse ;
Il le promet, croyez-le, fût-ce un jour.
Ah ! pour un jour d'existence amoureuse,
Qui ne mourrait ? la vie est dans l'amour.

Quand je vivais tendre et craintive amante,
Avec ses feux je peignais ses douleurs :
Sur son portrait j'ai versé tant de pleurs,
Que cette image en paraît moins charmante.

Si le sourire, éclair inattendu,
Brille parfois au milieu de mes larmes,
C'était l'amour ; c'était lui, mais sans armes ;
C'était le ciel... qu'avec lui j'ai perdu.

Sans lui, le coeur est un foyer sans flamme ;
Il brûle tout, ce doux empoisonneur.
J'ai dit bien vrai comme il déchire une âme :
Demandez-donc s'il donne le bonheur !

Vous le saurez : oui, quoi qu'il en puisse être,
De gré, de force, amour sera le maître ;
Et, dans sa fièvre alors lente à guérir,
Vous souffrirez, ou vous ferez souffrir.

Dès qu'on l'a vu, son absence est affreuse ;
Dès qu'il revient, on tremble nuit et jour ;
Souvent enfin la mort est dans l'amour ;
Et cependant... oui, l'amour rend heureuse !
Que ce rameau béni protège ta demeure !

L'ange du souvenir me l'a donné pour toi :

Toi qui n'aimes pas que l'on pleure,

Sois heureux, plus heureux que moi !


Écoute : À ce rameau j'attache une espérance :

L'ange qui me conduit sait mon cœur comme toi ;

S'il a bien compris ma souffrance,

Sois heureux, plus heureux que moi !


J'ai respiré l'encens de ce vieux sanctuaire,

Et je m'y suis assise, et j'ai prié pour toi ;

Je n'ai dit que cette prière :

Sois heureux, plus heureux que moi !


Pour passer près de toi j'ai fait un long voyage ;

Mais l'ange me rappelle et veut m'ôter à toi.

Adieu... Donne-moi du courage :

Sois heureux, plus heureux que moi !
Oui, vous avez un ange ; un jeune ange qui pleure ;
Il pleure, car il aime... et vous ne pleurez pas ;
Il s'en plaint doucement dans le ciel, puis dans l'heure,
Quand elle sonne triste à ralentir vos pas.
Voyez comme il vous donne et couve sous son aile
Des mots harmonieux tièdes d'âme et d'encens :
Et, quand vous les prenez dans sa main fraternelle,
Comme ils forment aux yeux de célestes accents.

Nous avons tous notre ange, et je tiens de ma mère,
Qu'on ne marche pas seul dans une voie amère.
Le rayon de soleil qui passe et vient vous voir,
L'haleine de vos fleurs que vous buvez le soir ;
Un pauvre qui bénit votre obole furtive,
Dont la prière à Dieu s'achève moins plaintive ;
La fraîche voix d'enfant qui vous jette : Bonjour !
Comptez que c'est votre ange et votre ange d'amour !

D'autres fois, je croyais qu'on nous coupait les ailes,
Pour nous faire oublier le chemin des oiseaux.
Puis, qu'elles renaissaient plus vives et plus belles,
Quand nous avions marché longtemps, quand les roseaux
Ne se relevaient plus près des dormantes eaux :
Nous remontions alors raconter nos voyages
Aux frères parcourant leurs villes de nuages ;
Et las de cette terre où tombent toutes fleurs,
Nous chantions au soleil avec des voix sans pleurs !
Rêves d'enfant pensif et bercé de prières,
Dont quelque doux cantique assoupit les paupières ;
Indigent, mais comblé de biens mystérieux,
Au foyer calme et nu qu'ornait le buis pieux !

À présent je suis femme à la terre exilée,
Descendue à l'école où vous brûlez vos jours ;
Toujours en pénitence ou d'un livre accablée,
N'apprenant rien du monde et l'épelant toujours !

Ce livre, c'est ma vie et ses mobiles pages
Où le cyprès serpente à chaque ligne. Eh quoi !
N'avez-vous pas des pleurs à cacher comme moi,
Sous l'album périssable et lourd de trop d'images ?

Dans ces jours embaumés respirés par le cœur,
N'avez-vous pas aussi vu tomber bien des roses ?
N'aviez-vous pas choisi parmi ces frêles choses,  
Un intime trésor qui s'appela : Malheur !

Mais je crois ! mais quelque ange à l'aveugle écolière,
Ouvre parfois son aile et sa pitié de feu :
Il me laisse à genoux ; mais il desserre un peu
L'anneau qui **** de lui me retient prisonnière !
Une jeune et blanche novice,

À l'ombre des bosquets cloîtrés

Rêvant à son pur sacrifice,

Promenait ses vœux timorés ;

Et sur des agnus consacrés

Chantait des cantiques sacrés.


« Ici nous vivons, disait-elle,

Mortes aux terrestres douleurs,

Et les Anges sous leur tutelle

Nous gardent des tendres malheurs ;

Nos soupirs, sur l'encens des fleurs,

S'en vont aux cieux avec nos pleurs.


Amour ! laisse en paix ma cellule !

Sœur Isaure dit qu'autrefois

Une sainte jeune et crédule

Te prit pour un Ange, à ta voix ;

Et que l'ange, au pied de la croix,

Te ressemble, sans ton carquois. »


L'Amour alors prêta l'oreille ;

Il dormait sur l'aile du vent.

Un soupir l'offense et l'éveille ;

Hélas ! qu'il s'éveille souvent !

Comme un ange ami du couvent,

Il apparut tendre et fervent.


Ses yeux bleus, riants et perfides,

Amortis par la piété,

Lancèrent des flammes timides

Au cœur de la jeune beauté.

« Dieu ! dit-elle, à votre clarté,

Je vois un ange en vérité ! »


Cet ange aux mystiques paupières

Est un Dieu cruel et moqueur ;

Tes pleurs, ton encens, tes prières,

Ne guériront pas ta langueur :

Tu ne fuiras plus ton vainqueur,

Jeune sainte ; il est dans ton cœur.


Ses yeux illuminent ton âme,

Ses soupirs répondent aux tiens ;

Les autels brûlent de sa flamme,

Et tes feux ne sont plus chrétiens ;

Grand Dieu ! ses trompeurs entretiens,

Séduiraient les anges gardiens !
Qui m'appelle à cette heure, et par le temps qu'il fait ?
C'est une douce voix, c'est la voix d'une fille :
Ah ! je te reconnais ; c'est toi, Muse gentille !
Ton souvenir est un bienfait.
Inespéré retour ! aimable fantaisie !
Après un an d'exil, qui t'amène vers moi ?
Je ne t'attendais plus, aimable Poésie ;
Je ne t'attendais plus, mais je rêvais à toi.

**** du réduit obscur où tu viens de descendre,
L'amitié, le bonheur, la gaîté, tout a fui :
Ô ma Muse ! est-ce toi que j'y devais attendre ?
Il est fait pour les pleurs et voilé par l'ennui.
Ce triste balancier, dans son bruit monotone,
Marque d'un temps perdu l'inutile lenteur ;
Et j'ai cru vivre un siècle, hélas ! quand l'heure sonne
Vide d'espoir et de bonheur.

L'hiver est tout entier dans ma sombre retraite :
Quel temps as-tu daigné choisir ?
Que doucement par toi j'en suis distraite !
Oh ! quand il nous surprend, qu'il est beau, le plaisir !
D'un foyer presque éteint la flamme salutaire
Par intervalle encor trompe l'obscurité :
Si tu veux écouter ma plainte solitaire,
Nous causerons à sa clarté.

Écoute, Muse, autrefois vive et tendre,
Dont j'ai perdu la trace au temps de mes malheurs,
As-tu quelque secret pour charmer les douleurs ?
Viens, nul autre que toi n'a daigné me l'apprendre.
Écoute ! nous voilà seules dans l'univers.
Naïvement je vais tout dire :
J'ai rencontré l'Amour, il a brisé ma lyre ;
Jaloux d'un peu de bruit, il a brûlé mes vers.

« Je t'ai chanté, lui dis-je, et ma voix, faible encore,
Dans ses premiers accents parut juste et sonore :
Pourquoi briser ma lyre ? elle essayait ta loi.
Pourquoi brûler mes vers ? je les ai faits pour toi.
Si des jeunes amants tu troubles le délire,
Cruel, tu n'auras plus de fleurs dans ton empire ;
Il en faut à mon âge, et je voulais, un jour,
M'en parer pour te plaire, et te les rendre, Amour !

« Déjà, je te formais une simple couronne,
Fraîche, douce en parfums. Quand un cœur pur la donne,
Peux-tu la dédaigner ? Je te l'offre à genoux :
Souris à mon orgueil et n'en sois point jaloux.
Je n'ai jamais senti cet orgueil pour moi-même ;
Mais il dit mon secret, mais il prouve que j'aime.
Eh bien ! fais le partage en généreux vainqueur :
Amour, pour toi la gloire, et pour moi le bonheur !
C'est un bonheur d'aimer, c'en est un de le dire.
Amour, prends ma couronne, et laisse-moi ma lyre ;
Prends mes vœux, prends ma vie ; enfin, prends tout, cruel !
Mais laisse-moi chanter au pied de ton autel. »

Et lui : « Non, non ! ta prière me blesse.
Dans le silence obéis à ma loi :
Tes yeux en pleurs, plus éloquents que toi,
Revoleront assez ma force et ta faiblesse. »
Muse, voilà le ton de ce maître si doux.
Je n'osai lui répondre, et je versai des larmes ;
Je sentis ma blessure, et je connus ses armes.
Pauvre lyre ! je fus muette comme vous !

L'ingrat ! il a puni jusques à mon silence.
Lassée enfin de sa puissance,
Muse, je te redonne et mes vœux et mes chants
Viens leur prêter ta grâce, et rends-les plus touchants.

Mais tu pâlis, ma chère, et le froid t'a saisie !
C'est l'hiver qui t'opprime et ternit tes couleurs.
Je ne puis t'arrêter, charmante Poésie ;
Adieu ! tu reviendras dans la saison des fleurs.
« Pélerine, où vas-tu si **** ?

Le temps est à l'orage.

Peux-tu confier au hasard

Tes charmes et ton âge ? »

« - Ermite, n'ayez point de peur,

Du ciel je ne crains plus la foudre :

Que ne peut-il réduire en poudre

L'image qui brûle mon cœur ! »


« - Ô ma fille ! donne un moment

A l'ami qui t'appelle ;

Viens calmer ton égarement

A la sainte chapelle. »

« - Ermite, mon âme est à Dieu ;

Partout il me suit, il me guide ;

Il m'a dit de fuir un perfide :

Je fuis l'Amour, Ermite, adieu. »


« - Pélerine, en fuyant l'Amour,

Que la pitié t'enchaîne :

Un malheureux, depuis un jour,

Pleure ici sur sa chaîne. »

« - Un malheureux ! c'est un amant ;

Mon père, donnez-lui vos larmes !

Blessée au cœur des mêmes armes

Je mourrai du même tourment. »


« - Ma fille, lève au moins les yeux,

La pitié te l'ordonne :

Cet amant n'est plus malheureux,

Si ton cœur lui pardonne. »

Le coupable alors se montra ;

L'Amour pria pour le parjure ;

L'Ermite effaça son injure,

Et la Pélerine... pleura.
De ses fuseaux légèrement blessée,
D'où vient qu'Isaure a regardé vers toi ?
J'allais courir à ses cris empressée,
J'allais courir... Mais tu cours mieux que moi.

Pourquoi tes yeux, pleins d'une pitié tendre,
Sont-ils restés si longtemps sur les siens ?
D'où vient qu'Isaure a paru les entendre ?
Qu'ils me font mal sur d'autres que les miens !

Que je fus triste en la voyant sourire !
Que je tremblai quand tu soutins ses pas !
Tu la plaignais... Que n'ai-je osé te dire :
« C'est moi qui souffre, et tu ne le vois pas ! »

Tu pris sa main, tu cherchas sa blessure,
Pour la guérir, tu la couvris de fleurs ;
C'étaient mes fleurs ! Elle est mieux, j'en suis sûre.
Pourquoi faut-il qu'il m'en coûte des pleurs ?
xxMinuit ! l'année expire ; et l'année est éclose.
Une reine nouvelle entre dans l'univers :
Reine enfant, dans ses mains que de hochets divers !
Que son sceptre est léger sur l'enfant qui repose !
Je voudrais l'être encor pour te voir plus longtemps,
Pour sentir ton berceau près de ma frêle vie,
Pour enchaîner ma trame à tes premiers instants,
Pour être de toi seul et charmée et suivie !
Au doux frémissement dont l'air est agité,
Aux ardentes lueurs que la lampe a jeté,
On dirait que le ciel entr'ouvre ma demeure ;
La jeune Année y tinte ; et, d'un vœu tourmenté,
Tu reviens avec moi goûter sa première heure !
D'une aile palpitante elle étend les ressorts ;
Ses jours, déjà comptés, couvent sous sa ceinture.
Qu'ils soient riches de fleurs, nos faciles trésors,
Nos parfums, seul encens dont j'aime la culture !

Après tant de contrainte, ô toi qui m'es rendu,
Dans le désordre heureux de la foule écoulée,
Que ta ruse est charmante ! et que j'en suis troublée !
Minuit nous frappe ensemble, et je n'ai rien perdu !
J'enlace dans tes bras à la fois deux années ;
Une chaîne de plus serre nos destinées !
Quel bonheur ! je la vois naître dans ton regard :
En l'écoutant venir tes vœux m'ont embrasée ;
J'ai salué du cœur ta rêveuse pensée ;
Et la force me manque à te dire : Il est ****.

Il n'est pas **** : Minuit ! Le timbre vibre encore ;
Écoute : c'est l'adieu d'un si doux souvenir !
Écoute : c'est l'espoir d'un si doux avenir !
Du temps pour les cœurs purs que la voix est sonore !
Comme il est plein d'amour en passant près de toi !
Il compte nos soupirs... Entends-tu comme moi ?
Ce qu'il t'a révélé voudras-tu me l'apprendre ?
Oui, viens ! d'autres que toi ne me font rien comprendre.
On croit mes jours troublés d'un triste égarement,
Et tu les as comblés d'espérance et de joie ;
Mais, pour oser répandre un si cher sentiment,
Il faut que je te parle, il faut que je te voie.
Dans tes bras je sais tout ; et demain tu viendras ;
Laisse-moi donc ce soir me sauver de tes bras.
Quand je t'attends, demain, c'est le nom de la vie ;
C'est le ciel sans mourir ; et tu réponds : Demain !
Tes yeux parlent sur moi, ta main est dans ma main ;
Ne promets rien de plus à mon âme ravie.
Que demander ? J'existe et j'aime ! Ah ! sans remord,
Reprends... si tu le peux, ton âme trop charmée :
Que faire d'un serment quand on se sent aimée ?
Quand on cesse de l'être, empêche-t-il la mort ?

Du feu de tes baisers ne sèche pas mes larmes :
Je te la dois cette heure où nous vivons tout bas :
Je ne donnerais pas ses furtives alarmes
Pour l'éternité même où tu ne serais pas,
Ne promets rien de plus ; forte est la destinée !
Va chercher le repos, il n'est pas en ce lieu ;
Va ! nous n'arrêtons pas la diligente année,
Par nos semblants d'adieux qui prolongent l'adieu.
Aime-la ! que demain sa couronne éphémère
Touche tes yeux fermés sous son premier sommeil !
Qu'elle apporte à ton cœur, dans le plus frais réveil,
Un souvenir d'enfance, un baiser de ta mère !
Ta mère ! et puis ta gloire ; et puis pas un regret.
Moi, si je n'ai plus d'heure à cette heure pareille,
Que son doux souvenir, penché vers mon oreille,
Jusqu'à mon dernier jour m'en reparle en secret !

Me voilà seule : il marche au pied de ma croisée ;
Comme un flambeau, sur lui, la lune s'est posée ;
Elle éclaire ses pas qu'il poursuit lentement :
Les bras tendus vers moi j'ai vu glisser son ombre.
Quelle nuit ! l'amour même enchante l'hiver sombre ;
Et l'heure qui s'oublie escorte mon amant !

Jeune Année ! aujourd'hui ne lui dis rien d'austère ;
Flatte-le de ma vie : il craint la mort pour moi,
Dis que pas un roseau ne tombera sous toi ;
Promets-lui... tous les biens qu'il souhaite à la terre,
Dis qu'un timbre éclatant, sur notre âge arrêté,
Frappera dans ton cours son âme généreuse ;
Dis que ton sein, fécond pour sa jeunesse heureuse,
Enfantera la liberté !

Je suis seule... et c'est Dieu qui juge la prière !
L'ingrat ! il n'a pensé qu'à moi seule aujourd'hui !
Dieu ! je voudrais vers vous remonter la première,
Pour vous la demander, et l'envoyer vers lui !
Inexplicable cœur, énigme de toi-même,
Tyran de ma raison, de la vertu que j'aime,
Ennemi du repos, amant de la douleur,
Que tu me fais de mal, inexplicable cœur !

Si l'horizon plus clair me permet de sourire,
De mon sort désarmé tu trompes le dessein ;
Dans ma sécurité tu ne vois qu'un délire ;
D'une vague frayeur tu soulèves mon sein.
Si de tes noirs soupçons l'amertume m'oppresse,
Si je veux par la fuite apaiser ton effroi,
Tu demandes du temps, quelques jours, rien ne presse ;
J'hésite, tu gémis, je cède malgré moi.
Que je crains, ô mon cœur, ce tyrannique empire !
Que d'ennuis, que de pleurs il m'a déjà coûté !
Rappelle-toi ce temps de liberté,
Ce bien perdu dont ma fierté soupire.
Tu me trahis toujours, et tu me fais pitié.
Crois-moi, rends à l'amour un sentiment trop tendre ;
Pour ton repos, si tu voulais m'entendre,
Tu n'en aurais encor que trop de la moitié !
Non, dis-tu, non, jamais ! trop faible esclave, écoute,
Écoute ! Et ma raison te pardonne et t'absout :
Rends-lui du moins les pleurs ! Tu vas céder sans doute ?
Hélas ! non ! toujours non ! Ô mon cœur ! prends donc tout.
Te souvient-il, ô mon âme, ô ma vie,
D'un jour d'automne et pâle et languissant ?
Il semblait dire un adieu gémissant
Aux bois qu'il attristait de sa mélancolie.
Les oiseaux dans les airs ne chantaient plus l'espoir ;
Une froide rosée enveloppait leurs ailes,
Et, rappelant au nid leurs compagnes fidèles,
Sur des rameaux sans fleurs ils attendaient le soir.

Les troupeaux, à regret menés aux pâturages,
N'y trouvaient plus que des herbes sauvages ;
Et le pâtre, oubliant sa rustique chanson,
Partageait le silence et le deuil du vallon.
Rien ne charmait l'ennui de la nature.
La feuille qui perdait sa riante couleur,
Les coteaux dépouillés de leur verte parure,
Tout demandait au ciel un rayon de chaleur.

Seule, je m'éloignais d'une fête bruyante ;
Je fuyais tes regards, je cherchais ma raison :
Mais la langueur des champs, leur tristesse attrayante,
À ma langueur secrète ajoutaient leur poison.
Sans but et sans espoir suivant ma rêverie,
Je portais au hasard un pas timide et lent ;
L'Amour m'enveloppa de ton ombre chérie,
Et, malgré la saison, l'air me parut brûlant.

Je voulais, mais en vain, par un effort suprême,
En me sauvant de toi, me sauver de moi-même ;
Mon œil, voilé de pleurs, à la terre attaché,
Par un charme invincible en fut comme arraché.
À travers les brouillards, une image légère
Fit palpiter mon sein de tendresse et d'effroi ;
Le soleil reparaît, l'environne, l'éclaire,
Il entr'ouvre les cieux.... Tu parus devant moi.
Je n'osai te parler ; interdite, rêveuse,
Enchaînée et soumise à ce trouble enchanteur,
Je n'osai te parler : pourtant j'étais heureuse ;
Je devinai ton âme, et j'entendis mon cœur.

Mais quand ta main pressa ma main tremblante,
Quand un frisson léger fit tressaillir mon corps,
Quand mon front se couvrit d'une rougeur brûlante,
Dieu ! qu'est-ce donc que je sentis alors ?
J'oubliai de te fuir, j'oubliai de te craindre ;
Pour la première fois ta bouche osa se plaindre,
Ma douleur à la tienne osa se révéler,
Et mon âme vers toi fut près de s'exhaler.
Il m'en souvient ! T'en souvient-il, ma vie,
De ce tourment délicieux,
De ces mots arrachés à ta mélancolie :
« Ah ! si je souffre, on souffre aux cieux ! »

Des bois nul autre aveu ne troubla le silence.
Ce jour fut de nos jours le plus beau, le plus doux ;
Prêt à s'éteindre, enfin il s'arrêta sur nous,
Et sa fuite à mon cœur présagea ton absence :
L'âme du monde éclaira notre amour ;
Je vis ses derniers feux mourir sous un nuage ;
Et dans nos cœurs brisés, désunis sans retour,
Il n'en reste plus que l'image !
La tristesse est rêveuse, et je rêve souvent ;
La nature m'y porte, on la trompe avec peine :
Je rêve au bruit de l'eau qui se promène,
Au murmure du saule agité par le vent.
J'écoute : un souvenir répond à ma tristesse ;
Un autre souvenir s'éveille dans mon cœur :
Chaque objet me pénètre, et répand sa couleur
Sur le sentiment qui m'oppresse.
Ainsi le nuage s'enfuit,
Pressé par un autre nuage :
Ainsi le flot fuit le rivage,
Cédant au flot qui le poursuit.

J'ai vu languir, au fond de la vallée,
Un arbrisseau qu'oubliait le bonheur ;
L'aurore se levait sans éclairer sa fleur,
Et pour lui la nature était sombre et voilée.
Ses printemps ignorés s'écoulaient dans la nuit ;
L'amour jamais d'une fraîche guirlande
À ses rameaux n'avait laissé l'offrande :
Il fait froid aux lieux qu'Amour fuit.
L'ombre humide éteignait sa force languissante ;
Son front pour s'élever faisait un vain effort ;
Un éternel hiver, une eau triste et dormante
Jusque dans sa racine allaient porter la mort.

« Hélas ! faut-il mourir sans connaître la vie !
Sans avoir vu des cieux briller les doux flambeaux !
Je n'atteindrai jamais de ces arbres si beaux
La couronne verte et fleurie !
Ils dominent au **** sur les champs d'alentour :
On dit que le soleil dore leur beau feuillage ;
Et moi, sous leur impénétrable ombrage,
Je devine à peine le jour !
Vallon où je me meurs, votre triste influence
A préparé ma chute auprès de ma naissance.
Bientôt, hélas ! je ne dois plus gémir !
Déjà ma feuille a cessé de frémir...
Je meurs, je meurs. » Ce douloureux murmure
Toucha le dieu protecteur du vallon.
C'était le temps où le noir Aquilon
Laisse, en fuyant, respirer la nature.
« Non, dit le dieu : qu'un souffle de chaleur
Pénètre au sein de ta tige glacée.
Ta vie heureuse est enfin commencée ;
Relève-toi, j'ai ranimé ta fleur.
Je te consacre aux nymphes des bocages ;
À mes lauriers tes rameaux vont s'unir,
Et j'irai quelque jour sous leurs jeunes ombrages
Chercher un souvenir. »

L'arbrisseau, faible encor, tressaillit d'espérance ;
Dans le pressentiment il goûta l'existence ;
Comme l'aveugle-né, saisi d'un doux transport,
Voit fuir sa longue nuit, image de la mort,
Quand une main divine entr'ouvre sa paupière,
Et conduit à son âme un rayon de lumière :
L'air qu'il respire alors est un bienfait nouveau ;
Il est plus pur : il vient d'un ciel si beau !
Hélas ! Que je dois à vos soins !
Vous m'apprenez qu'il est perfide,
Qu'il trompa mon amour timide :
C'est vous qui le jurez du moins...
Hélas ! Que je dois à vos soins !

Pressez votre main sur mon cœur
Et jouissez de votre ouvrage.
Le malheur me rend le courage ;
Mais pour juger de sa rigueur,
Pressez votre main sur mon cœur !

Adieu donc ma félicité !
Adieu sa présence et ma vie !
Oh ! Que vous m'avez bien servie
En me disant la vérité !
Adieu donc ma félicité !

Vous avez voulu me guérir,
Cruelle ! ... Ah ! Pardon ! Je m'égare.
Non, non, vous n'êtes point barbare ;
Je le crois, dussé-je mourir...
Vous avez voulu me guérir !
Il le faut, je renonce à toi ;

On le veut, je brise ta chaîne.

Je te rends tes serments, ta foi :

Sois heureux, quitte-moi sans peine.

Séparons-nous... attends, hélas !

Mon cœur encor ne se rend pas !


Toi qui fus mes seules amours,

Le charme unique de ma vie,

Une autre fera tes beaux jours,

Et je le verrai sans envie.

Séparons-nous... attends, hélas !

Mon cœur encor ne se rend pas.


Reprends-le ce portrait charmant

Où l'amour a caché ses armes ;

On n'y verra plus ton serment,

Il est effacé par mes larmes !

Séparons-nous... attends, hélas !

Mon cœur encor ne se rend pas.
Ah ! c'est vous que je vois
Enfin ! et cette voix qui parle est votre voix !
Pourquoi le sort mit-il mes jours si **** des vôtres ?
J'ai tant besoin de vous pour oublier les autres !
Victor Hugo .


Veux-tu l'acheter ?
Mon cœur est à vendre.
Veux-tu l'acheter,
Sans nous disputer ?

Dieu l'a fait d'aimant ;
Tu le feras tendre ;
Dieu l'a fait d'aimant
Pour un seul amant !

Moi, j'en fais le prix ;
Veux-tu le connaître ?
Moi, j'en fais le prix ;
N'en sois pas surpris :

As-tu tout le tien ?
Donne ! et sois mon maître.
As-tu tout le tien,
Pour payer le mien ?

S'il n'est plus à toi,
Je n'ai qu'une envie ;
S'il n'est plus à toi,
Tout est dit pour moi.

Le mien glissera,
Fermé dans la vie ;
Le mien glissera,
Et Dieu seul l'aura !

Car, pour nos amours,
La vie est rapide ;
Car, pour nos amours,
Elle a peu de jours.

L'âme doit courir
Comme une eau limpide ;
L'âme doit courir,
Aimer et mourir.
Quand je ne te vois pas, le temps m'accable, et l'heure
A je ne sais quel poids impossible à porter.
Je sens languir mon cœur, qui cherche à me quitter,
Et ma tête se penche, et je souffre et je pleure.

Quand ta voix saisissante atteint mon souvenir,
Je tressaille, j'écoute... et j'espère immobile ;
Et l'on dirait que Dieu touche un roseau débile ;
Et moi, tout moi répond : Dieu ! faites-le venir !

Quand sur tes traits charmants j'arrête ma pensée,
Tous mes traits sont empreints de crainte et de bonheur ;
J'ai froid dans mes cheveux ; ma vie est oppressée,
Et ton nom, tout à coup, s'échappe de mon cœur.

Quand c'est toi-même, enfin ! quand j'ai cessé d'attendre,
Tremblante, je me sauve en te tendant les bras :
Je n'ose te parler, et j'ai peur de t'entendre ;
Mais tu cherches mon âme, et toi seul l'obtiendras !

Suis-je une sœur tardive à tes vœux accordée ?
Es-tu l'ombre promise à mes timides pas ?
Mais je me sens frémir : moi, ta sœur ! quelle idée !
Toi, mon frère !... ô terreur ! Dis que tu ne l'es pas !
Olivier, je t'attends ! déjà l'heure est sonnée ;
Je viens de tressaillir comme au bruit de tes pas :
Le soleil qui s'éteint va clore la journée ;
Ici j'attends l'amour, et l'amour ne vient pas.

Le berger lentement regagne sa demeure ;
Tout est triste au vallon ; Olivier n'est pas là !
De notre rendez-vous lui-même a fixé l'heure.
Je n'avais rien promis, et pourtant me voilà.

Adieu, mon Olivier, je m'en vais au village ;
Pour toi je l'ai quitté ; j'y retourne sans toi.
Demain pour t'excuser tu viendras au bocage ;
J'y laisse mon bouquet, il parlera pour moi !
Non ! je ne verrai plus de si belle vallée,
Que celle où sur tes pas je descendis un jour ;
Où l'eau, parmi les fleurs lentement écoulée,
Trouve une eau qui la cherche et s'y joint sans retour.
J'étais bien ! tout parlait à mon âme ravie.
Ah ! les derniers rayons du jour et de la vie
Répandront sur mes yeux leur mourante langueur,
Avant que ce tableau s'efface de mon cœur.

Et, pourtant, ce n'est pas cette belle verdure,
Ces ruisseaux murmurants sous les jeunes roseaux,
Ni cette ombre des bois, cette ombre où la nature
Mêlait son harmonie au doux chant des oiseaux ;
Non, ce n'est pas du ciel la lumière enchantée,
Ni l'onde éblouissante, où ma vue arrêtée
Ne pouvait soutenir l'éclat d'un sable d'or,
Qui fait en y rêvant que je tressaille encor :
C'était toi, mon amour, mon avenir, mon âme !
C'était toi, qui m'aimais ; toi, qui semblais heureux !
C'était ton regard pur qui répandait sa flamme
Sur notre plus beau jour réfléchi dans tes yeux.
Le veux-tu ? retournons sous ces paisibles ombres,
**** d'un monde orageux, **** de nos cités sombres ;
Viens ! cachés dans les fleurs, nos destins, nos amours,
Comme les deux ruisseaux se confondront toujours !
Le soleil de la nuit éclaire la montagne ;
Sur le sable désert faut-il encore rester ?
Doucement dans mes bras laisse-moi t'emporter ;
Bon maître, éveille-toi ! marchons vers la campagne.
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?

L'orage dans son vol a brisé les platanes ;
Le navire sans voile a disparu dans l'eau :
De ton front tout sanglant, j'ai lavé le bandeau ;
Marchons, les pauvres noirs t'ouvriront leurs cabanes.
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?

Je voudrais deviner ton rêve que j'ignore.
Oh ! que ce rêve est long ! finira-t-il demain ?
Demain, en t'éveillant, presseras-tu ma main ?
Oui, je t'appellerai quand j'aurai vu l'aurore.
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?

Mais la lueur du jour s'étend sur le rivage,
Le flot porte sans bruit la barque du pêcheur ;
Viens ! ... que ton front est froid ! quelle triste blancheur !
Oh ! maître ! que ta voix me rendrait de courage !
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?
Viens, mon cher Olivier, j'ai deux mots à te dire,
Ma mère l'a permis ; ils te rendront joyeux.
Eh bien ! je n'ose plus. Mais, dis-moi, sais-tu lire ?
Ma mère l'a permis, regarde dans mes yeux.

Voilà mes yeux baissés. Dieu ! que je suis confuse !
Mon visage a rougi ; vois-tu, c'est la pudeur.
Ma mère l'a permis, ce sera ton excuse ;
Pendant que je rougis, mets ta main sur mon cœur.

Que ton air inquiet me tourmente et me touche !
Ces deux mots sont si doux ! mon cœur les dit si bien !
Tu ne les entends pas, prends-les donc sur ma bouche ;
Je fermerai les yeux, prends, mais ne m'en dis rien.
L'heure du bal, enfin, se fait entendre,

Le plaisir sonne, et tu le fais attendre !

Depuis huit jours, il a pris pour signal

L'heure du bal.


Où sont les fleurs dont l'éclat étincelle ?

Elles mourront en te voyant si belle.

Mais, sous ta main, je vois rouler des pleurs...

Où sont les fleurs ?


Il est absent ! l'espérance est voilée,

Ou, pour le suivre, elle s'est envolée.

Je le devine à ton plaintif accent :

Il est absent !


Je n'irai pas ! la danse, mon amie,

Est, sans l'Amour, une Grâce endormie.

**** de la fête il enchaîne tes pas :

Je n'irai pas !
Qu'a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ?
Oh ! je le vois toujours ! j'y voudrais être encor !
Au milieu des parfums j'y dormais sans défense,
Et le soleil sur lui versait des rayons d'or.
Peut-être qu'à cette heure il colore les roses,
Et que son doux reflet tremble dans le ruisseau.
Viens couler à mes pieds, clair ruisseau qui l'arroses ;
Sous tes flots transparents, montre-moi le berceau ;
Viens, j'attends ta fraîcheur, j'appelle ton murmure ;
J'écoute, réponds-moi !
Sur tes bords, où les fleurs se fanent sans culture,
Les fleurs ont besoin d'eau, mon cœur sèche sans toi.
Viens, viens me rappeler, dans ta course limpide,
Mes jeux, mes premiers jeux, si chers, si décevants,
Des compagnes d'Hélène un souvenir rapide,
Et leurs rires lointains, faibles jouets des vents.
Si tu veux caresser mon oreille attentive,
N'as-tu pas quelquefois, en poursuivant ton cours,
Lorsqu'elles vont s'asseoir et causer sur ta rive,
N'as-tu pas entendu mon nom dans leurs discours ?

Sur les roses peut-être une abeille s'élance :
Je voudrais être abeille et mourir dans les fleurs,
Ou le petit oiseau dont le nid s'y balance :
Il chante, elle est heureuse, et j'ai connu les pleurs.
Je ne pleurais jamais sous sa voûte embaumée ;
Une jeune Espérance y dansait sur mes pas :
Elle venait du ciel, dont l'enfance est aimée ;
Je dansais avec elle ; oh ! je ne pleurais pas !
Elle m'avait donné son prisme, don fragile !
J'ai regardé la vie à travers ses couleurs.
Que la vie était belle ! et, dans son vol agile,
Que ma jeune Espérance y répandait de fleurs !
Qu'il était beau l'ombrage où j'entendais les muses
Me révéler tout bas leurs promesses confuses ;
Où j'osais leur répondre, et de ma faible voix,
Bégayer le serment de suivre un jour leurs lois !
D'un souvenir si doux l'erreur évanouie
Laisse au fond de mon âme un long étonnement.
C'est une belle aurore à peine épanouie
Qui meurt dans un nuage ; et je dis tristement :
Qu'a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ?
Oh ! j'en parle toujours ! j'y voudrais être encor !
Au milieu des parfums j'y dormais sans défense,
Et le soleil sur lui versait des rayons d'or.

Mais au fond du tableau, cherchant des yeux sa proie,
J'ai vu... je vois encor s'avancer le Malheur.
Il errait comme une ombre, il attristait ma joie
Sous les traits d'un vieux oiseleur ;
Et le vieux oiseleur, patiemment avide,
Aux pièges, avant l'aube, attendait les oiseaux ;
Et le soir il comptait, avec un ris perfide,
Ses petits prisonniers tremblants sous les réseaux.
Est-il toujours bien cruel, bien barbare,
Bien sourd à la prière ? et, dans sa main avare,
Plutôt que de l'ouvrir,
Presse-t-il sa victime à la faire mourir ?
Ah ! Du moins, comme alors, puisse une jeune fille
Courir, en frappant l'air d'une tendre clameur,
Renvoyer dans les cieux la chantante famille,
Et tromper le méchant qui faisait le dormeur !
Dieu ! quand on le trompait, quelle était sa colère !
Il fallait fuir : des pleurs ne lui suffisaient pas ;
Ou, d'une pitié feinte exigeant le salaire,
Il pardonnait tout haut, il maudissait tout bas.
Au pied d'un vieux rempart, une antique chaumière
Lui servait de réduit ;
Il allait s'y cacher tout seul et sans lumière,
Comme l'oiseau de nuit.
Un soir, en traversant l'église abandonnée,
Sa voix nomma la Mort. Que sa voix me fit peur !
Je m'envolai tremblante au seuil où j'étais née,
Et j'entendis l'écho rire avec le trompeur.
« Dis, qu'est-ce que la Mort ? » demandai-je à ma mère.
« - C'est un vieux oiseleur qui menace toujours.
Tout tombe dans ses rets, ma fille, et les beaux jours
S'éteignent sous ses doigts comme un souffle éphémère. »

Je demeurai pensive et triste sur son sein.
Depuis, j'allai m'asseoir aux tombes délaissées :
Leur tranquille silence éveillait mes pensées ;
Y cueillir une fleur me semblait un larcin.
L'aquilon m'effrayait de ses soupirs funèbres.
La voix, toujours la voix, m'annonçait le Malheur ;
Et quand je l'entendais passer dans les ténèbres,
Je disais : « C'est la Mort, ou le vieux oiseleur. »

Mais tout change : l'autan fait place aux vents propices,
La nuit fait place au jour ;
La verdure, au printemps, couvre les précipices,
Et l'hirondelle heureuse y chante son retour :
Je revis le berceau, le soleil et les roses ;
Ruisseau, tu m'appelais, je m'élançai vers toi :
Je t'appelle à mon tour, clair ruisseau qui l'arroses ;
J'écoute, réponds-moi !
Qu'a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ?
Oh ! je le vois toujours ! j'y voudrais être encor !
Au milieu des parfums j'y dormais sans défense,
Et le soleil sur lui versait des rayons d'or !
Message inattendu, cache-toi sur mon cœur ;
Cache-toi ! je n'ose te lire :
Tu m'apportes l'espoir ; ne fût-il qu'un délire,
Je te devrai du moins l'ombre de mon bonheur !
Prolonge dans mon sein ma tendre inquiétude ;
Je désire à la fois et crains la vérité :
On souffre de l'incertitude,
On meurt de la réalité !

Recevoir un billet du volage qu'on aime,
C'est presque le revoir lui-même.
En te pressant, déjà j'ai cru presser sa main ;
En te baignant de pleurs, j'ai pleuré sur son sein ;
Et, si le repentir y parle en traits de flamme,
En lisant cet écrit je lirai dans son âme ;
J'entendrai le serment qu'il a fait tant de fois,
Et j'y reconnaîtrai jusqu'au son de sa voix.

Sous cette enveloppe fragile
L'amour a renfermé mon sort...
Ah ! Le courage est difficile,
Quand on attend d'un mot ou la vie ou la mort.
Mystérieux cachet, qui m'offres sa devise,
En te brisant rassure-moi :
Non, le détour cruel d'une affreuse surprise
Ne peut être scellé par toi.
Au temps de nos amours je t'ai choisi moi-même ;
Tu servis les aveux d'une timide ardeur,
Et sous le plus touchant emblème
Je vais voir le bonheur.
Mais, si tu dois détruire un espoir que j'adore,
Amour, de ce billet détourne ton flambeau !
Par pitié ! Sur mes yeux attache ton bandeau,
Et laisse-moi douter quelques moments encore !
« Ermite, votre chapelle

S'ouvre-t-elle au malheureux ?

Hélas ! elle me rappelle

Un temps cher et douloureux !

C'est moi... de votre colère

Les éclats sont superflus ;

Un autre que vous m'éclaire :

Mon père, il ne m'aime plus !


Cette jeune infortunée

Que voua maudites un jour,

Qui, devant vous prosternée,

Osa défendre l'amour,

C'est moi, faible pénitente

Dans tous mes vœux confondus.

Que votre âme soit contente :

Mon père, il ne m'aime plus !


Ne dites plus, ô mon père,

Que le ciel va me punir ;

L'amour, comme vous sévère,

A daigné le prévenir :

Ce guide ingrat que j'adore

Fuit mes pas qu'il a perdus.

Qui peut me punir encore ?

Mon père, il ne m'aime plus !


Le monde n'a point d'asile

Qui soit doux au repentir :

Hé bien ! rendez-moi facile

Un chemin pour en sortir.

Me faudra-t-il, dans l'orage,

Traîner mes jours abattus ?

Je n'en ai pas le courage :

Mon père, il ne m'aime plus !


De cette croix où je pleure

N'exilez pas mes aveux,

Et vous saurez tout à l'heure,

Ermite, ce que je veux :

Quelques pleurs, un peu de cendre,

Sur ma tombe répandus...

Ah ! qu'il m'est doux d'y descendre :

Mon père, il ne m'aime plus ! »


A peine une faible aurore

Passait sur les jeunes fleurs,

Que le bon ermite encore

Versait la cendre et les pleurs.

Longtemps cet objet trop tendre

Troubla ses songes confus ;

Et, triste, il croyait entendre :

« Mon père, il ne m'aime plus ! »
Non, tu n'auras pas mon bouquet
Traite-moi de capricieuse,
De volage, d'ambitieuse,
D'esprit léger, vain ou coquet ;
Non, tu n'auras pas mon bouquet.

Comme l'incarnat du plaisir,
On dit qu'il sied à ma figure :
Veux-tu de ma simple parure
Ôter ce qui peut l'embellir,
Comme l'incarnat du plaisir ?

Je veux le garder sur mon cœur ;
Il est aussi pur que mon âme ;
Un soupir, un souffle de flamme
En pourrait ternir la fraîcheur :
Je veux le garder sur mon cœur.

Non, non, point de bouquet pour toi :
L'éclat de la rose est trop tendre ;
Demain tu pourrais me le rendre ;
Demain... qu'en ferais-je ? dis-moi.
Non, non, point de bouquet pour toi.
D'où vient-il ce bouquet oublié sur la pierre ?

Dans l'ombre, humide encor de rosée, ou de pleurs,

Ce soir, est-il tombé des mains de la prière ?

Un enfant du village a-t-il perdu ces fleurs ?


Ce soir, fut-il laissé par quelque âme pensive

Sous la croix où s'arrête un pauvre voyageur ?

Est-ce d'un fils errant la mémoire naïve

Qui d'une pâle rose y cacha la blancheur ?


De nos mères partout nous suit l'ombre légère ;

Partout l'amitié prie et rêve à l'amitié ;

Le pèlerin souffrant sur la route étrangère

Offre à Dieu ce symbole, et croit en sa pitié !


Solitaire bouquet, ta tristesse charmante

Semble avec tes parfums exhaler un regret.

Peut-être es-tu promis au songe d'une amante :

Souvent dans une fleur l'amour a son secret !


Et moi j'ai rafraîchi les pieds de la madone

De lilas blancs, si chers à mon destin rêveur ;

Et la Vierge sait bien pour qui je les lui donne :

Elle entend la pensée au fond de notre cœur !
Puisque tu vas, Angélique,

Au calvaire des Roseaux,

Rapporte-moi, pour relique,

Une froide fleur des eaux.

On ne dort pas sous la haire ;

La nuit on m'entend gémir ;

Et les fleurs du vieux Calvaire,

On me l'a dit, font dormir.


Pauvre Angélique, à ton âge,

Quand on part seule, et nu-pied,

Pour un long pèlerinage,

N'y va-t-on que par pitié ?...

Sur la sauvage bruyère,

Colombe, qui va gémir,

Offre à Dieu quelque prière

Pour que je puisse dormir.


Mais quel philtre, quel breuvage

Endort, au feu des éclairs,

Le ramier dans l'esclavage,

Quand l'été brûle les airs ?

Daigne la foudre descendre

Sur l'oiseau né pour gémir ;

Car peut-être sous la cendre

On le laissera dormir !


Ah ! si j'osais, ma compagne,

Me dérober sur tes pas,

Dans l'air vif de la montagne,

J'oublierais... parlons plus bas !

Ici, l'on meurt de ses peines,

Mais il n'en faut pas gémir.

Enfant, tu n'as pas de chaînes ;

Tu fuis... mais tu peux dormir !


Crois-tu qu'un grand sacrifice

Puisse être agréable à Dieu ?

Eh bien ! qu'il me soit propice,

Je le joins à notre adieu.

Porte au Calvaire une image

Dont chaque trait fait gémir ;

Car c'est elle, quel dommage !

Qui m'empêche de dormir !


Tu jetteras dans l'eau sainte

Ce nœud défait, cette fleur,

Et cet anneau d'hyacinthe

Que je cachais sur mon cœur.

Va-t'en ! je n'ai plus à rendre

Qu'une âme ardente à souffrir ;

Béni soit qui doit t'apprendre

Que Dieu daigna l'endormir !
Un tout petit enfant s'en allait à l'école.
On avait dit : Allez !... il tâchait d'obéir ;
Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir.
Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.

« Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler ?
Moi, je vais à l'école : il faut apprendre à lire ;
Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire :
Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre à voler ? »

« Non, dit-elle ; j'arrive et je suis très pressée.
J'avais froid ; l'aquilon m'a longtemps oppressée :
Enfin, j'ai vu les fleurs, je redescends du ciel,
Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
Voyez ! j'en ai déjà puisé dans quatre roses ;
Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.
Vite, vite à la ruche ! on ne rit pas toujours :
C'est pour faire le miel qu'on nous rends les beaux jours. »

Elle fuit et se perd sur la route embaumée.
Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert ;
Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée
Se montrait sans nuage et riait de l'hiver.

Une hirondelle passe : elle effleure la joue
Du petit nonchalant qui s'attriste et qui joue.
Et dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.

« Oh ! bonjour ! dit l'enfant, qui se souvenait d'elle ;
Je t'ai vue à l'automne ; oh ! bonjour, hirondelle.
Viens ! tu portais bonheur à ma maison, et moi
Je voudrais du bonheur. Veux-tu m'en donner, toi ?
Jouons. » - « Je le voudrais, répond la voyageuse,
Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.
Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps ;
Ils rêveraient ma mort si je tardais longtemps.
Non, je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,
J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance.
Nous allons relever nos palais dégarnis :
L'herbe croît, c'est l'instant des amours et des nids.
J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,
Je vais chercher mes soeurs, là-bas, sur le chemin.
Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,
Il faut en profiler. Je me sauve... À demain ! »

L'enfant reste muet ; et, la tête baissée,
Rêve et compte ses pas, pour tromper son ennui,
Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
Rompt ses fragiles noeuds, et tombe auprès de lui.

Un dogue l'observait du seuil de sa demeure.
Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.
Hélas ! peut-on crier contre un enfant qui pleure ?
« Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu,
Dit l'écolier plaintif ? Je n'aime pas mon livre ;
Voyez ! ma main est rouge, il en est cause. Au jeu
Rien ne fatigue, on rit ; et moi je voudrais vivre
Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours ;
Je m'en plains tous les soirs, et j'y vais tous les jours ;
J'en suis très mécontent. Je n'aime aucune affaire.
Le sort des chiens me plaît, car ils n'ont rien à faire. »

« Écolier ! voyez-vous ce laboureur aux champs ?
Eh bien ! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître.
Il est très vigilant ; je le suis plus, peut-être.
Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants.
J'éveille aussi ce boeuf qui, d'un pied lent, mais ferme,
Va creuser les sillons quand je garde la ferme.
Pour vous même on travaille ; et, grâce à vos brebis,
Votre mère, en chantant, vous file des habits.
Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange. »

« Allez donc à l'école ; allez, mon petit ange !
Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux :
L'ignorance toujours mène à la servitude.
L'homme est fin, l'homme est sage, il nous défend l'étude,
« Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux ;
Les chiens vous serviront. » L'enfant l'écouta dire,
Et même il le baisa.
Son livre était moins lourd.
En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court.
L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.
À l'école, un peu ****, il arrive gaîment,
Et dans le mois des fruits il lisait couramment.
Quelle soirée ! ô dieu ! que j'ai souffert !
Dans un trouble charmant je suivais l'Espérance ;
Elle enchantait pour moi les apprêts du concert,
Et je devais y pleurer ton absence.

Dans la foule cent fois j'ai cru t'apercevoir ;
Mes vœux toujours trahis n'embrassaient que ton ombre ;
L'amour me la laissait tout à coup entrevoir,
Pour l'entraîner bientôt vers le coin le plus sombre.
Séduite par mon cœur toujours plus agité,
Je voyais dans le vague errer ta douce image,
Comme un astre chéri, qu'enveloppe un nuage,
Par des rayons douteux perce l'obscurité.

Pour la première fois insensible à les charmes,
Art d'Orphée, art du cœur, j'ai méconnu ta loi :
J'étais toute à l'Amour, lui seul régnait sur moi,
Et le cruel faisait couler mes larmes !
D'un chant divin goûte-t-on la douceur
Lorsqu'on attend la voix de celui que l'on aime ?
Je craignais ton charme suprême,
II nourrissait trop ma langueur.
Les sons d'une harpe plaintive
En frappant sur mon sein le faisaient tressaillir ;
Ils fatiguaient mon oreille attentive,
Et je me sentais défaillir.

Et toi ! que faisais-tu, mon idole chérie,
Quand ton absence éternisait le jour ?
Quand je donnais tout mon être à l'amour,
M'as-tu donné ta rêverie ?
As-tu gémi de la longueur du temps ?
D'un soir... d'un siècle écoulé pour attendre ?
Non ! son poids douloureux accable le plus tendre ;
Seule, j'en ai compté les heures, les instants :
J'ai langui sans bonheur, de moi-même arrachée ;
Et toi, tu ne m'as point cherchée !

Mais quoi ! L'impatience a soulevé mon sein,
Et, lasse de rougir de ma tendre infortune,
Je me dérobe à ce bruyant essaim
Des papillons du soir, dont l'hommage importune.
L'heure, aujourd'hui si lente à s'écouler pour moi,
Ne marche pas encore avec plus de vitesse ;
Mais je suis seule au moins, seule avec ma tristesse,
Et je trace, en rêvant, cette lettre pour toi,
Pour toi, que j'espérais, que j'accuse, que j'aime !
Pour toi, mon seul désir, mon tourment, mon bonheur !
Mais je ne veux la livrer qu'à toi-même,
Et tu la liras sur mon cœur.
Regarde : plus de feux, plus de bruit. Tout se tait.
La lune tout à l'heure à l'horizon montait,
Tandis que tu parlais.
Victor Hugo.


Couchez-vous, petit Paul ! il pleut. C'est nuit, c'est l'heure.
Les loups sont au rempart, le chien vient d'aboyer.
La cloche a dit : « Dormez ! » et l'ange gardien pleure
Quand les enfants si **** font du bruit au foyer.

« Je ne veux pas toujours aller dormir, et j'aime
À faire étinceler mon sabre au feu du soir.
Et je tuerai les loups ! je les tuerai moi-même ! »
Et le petit méchant, tout nu ! vint se rasseoir.

Où sommes-nous, mon Dieu ! donnez-nous patience ;
Et surtout soyez Dieu ! soyez lent à punir !
L'âme qui vient d'éclore a si peu de science !
Attendez sa raison, mon Dieu ! dans l'avenir.

L'oiseau qui brise l'œuf est moins près de la terre ;
Il vous obéit mieux : au coucher du soleil,
Un par un descendus dans l'arbre solitaire,
Sous le rideau qui tremble ils plongent leur sommeil.

Au colombier fermé nul pigeon ne roucoule ;
Sous le cygne endormi l'eau du lac bleu s'écoule ;
Paul ! trois fois la couveuse a compté ses enfants ;
Son aile les enferme ; et moi, je vous défends !

La lune qui s'enfuit, toute pâle et fâchée,
Dit : « Quel est cet enfant qui ne dort pas encor ? »
Sous son lit de nuage elle est déjà couchée ;
Au fond d'un cercle noir la voilà qui s'endort.

Le petit mendiant, perdu seul à cette heure,
Rôdant avec ses pieds las et froids, doux martyr !
Dans la rue isolée où sa misère pleure,
Mon Dieu ! qu'il aimerait un lit pour s'y blottir !

Et Paul, qui regardait encor sa belle épée,
Se coucha doucement en pliant ses habits ;
Et sa mère bientôt ne fut plus occupée
Qu'à baiser ses yeux clos par un ange assoupis !
Mon seul amour ! embrasse-moi.
Si la mort me veut avant toi,
Je bénis Dieu ; tu m'as aimée !
Ce doux ***** eut peu d'instants :
Tu vois ; les fleurs n'ont qu'un printemps,
Et la rose meurt embaumée.
Mais quand, sous tes pieds renfermée,
Tu viendras me parler tout bas,
Crains-tu que je n'entende pas ?

Je t'entendrai, mon seul amour !
Triste dans mon dernier séjour,
Si le courage t'abandonne ;
Et la nuit, sans te commander,
J'irai doucement te gronder,
Puis te dire : « Dieu nous pardonne ! »
Et, d'une voix que le ciel donne,
Je te peindrai les cieux tout bas :
Crains-tu de ne m'entendre pas ?

J'irai seule, en quittant tes yeux,
T'attendre à la porte des Cieux,
Et prier pour ta délivrance.
Oh ! dussé-je y rester longtemps,
Je veux y couler mes instants
A t'adoucir quelque souffrance ;
Puis un jour, avec l'Espérance,
Je viendrai délier tes pas ;
Crains-tu que je ne vienne pas ?

Je viendrai, car tu dois mourir,
Sans être las de me chérir ;
Et comme deux ramiers fidèles,
Séparés par de sombres jours,
Pour monter où l'on vit toujours,
Nous entrelacerons nos ailes !
Là, nos heures sont éternelles :
Quand Dieu nous l'a promis tout bas,
Crois-tu que je n'écoutais pas ?
Églantine ! Humble fleur, comme moi solitaire,
Ne crains pas que sur toi j'ose étendre ma main.
Sans en être arrachée orne un moment la terre,
Et comme un doux rayon console mon chemin.
Quand les tièdes zéphirs s'endorment sous l'ombrage,
Quand le jour fatigué ferme ses yeux brûlants,
Quand l'ombre se répand et brunit le feuillage,
Par ton souffle, vers toi, guide mes pas tremblants.

Mais ton front, humecté par le froid crépuscule,
Se penche tristement pour éviter ses pleurs ;
Tes parfums sont enclos dans leur blanche cellule,
Et le soir a changé ta forme et tes couleurs.
Rose, console-toi ! Le jour qui va paraître,
Rouvrira ton calice à ses feux ranimé ;
Ta mourante auréole, il la fera renaître,
Et ton front reprendra son éclat embaumé.

Fleur au monde étrangère, ainsi que toi, dans l'ombre
Je me cache et je cède à l'abandon du jour ;
Mais un rayon d'espoir enchante ma nuit sombre :
Il vient de l'autre rive... et j'attends son retour.
On est moins seul au fond d'une église déserte :
De son père inquiet c'est la porte entr'ouverte ;
Lui qui bénit l'enfant, même après son départ,
Lui, qui ne dit jamais : « N'entrez plus, c'est trop **** ! »

Moi, j'ai tardé, seigneur, j'ai fui votre colère,
Comme l'enfant qui tremble à la voix de son père,
Se dérobe au jardin tout pâle, tout en pleurs,
Retient son souffle et met sa tête dans les fleurs ;
J'ai tardé ! Retenant le souffle de ma plainte,
J'ai levé mes deux mains entre vous et ma crainte ;
J'ai fait la morte ; et puis, en fermant bien les yeux,
Me croyant invisible aux lumières des cieux,
Triste comme à ténèbre au milieu de mon âme,
Je fuyais. Mais, Seigneur ! votre incessante flamme,
Perçait de mes détours les fragiles remparts,
Et dans mon cœur fermé rentrait de toutes parts !

C'est là que j'ai senti, de sa fuite lassée,
Se retourner vers vous mon âme délaissée ;
Et me voilà pareille à ce volage enfant,
Dépouillé par la ville, et qui n'a bien souvent
Que ses débiles mais pour voiler son visage,
Quand il dit à son père : Oh ! que n'ai-je été sage !
Que n'as-tu comme moi pris naissance au village !
Que n'as-tu pour tout bien un modeste troupeau !
Olivier ! les trésors d'un brillant héritage
Valent-ils le bonheur que t'offrit le hameau ?

Tu vas donc sans regret quitter ce simple asile !
Le calme pour le bruit, et les champs pour la cour !
Tes beaux jours, Olivier, couleront à la ville,
Et moi dans un hameau je vais mourir d'amour.

Si jamais au village un regret te ramène,
Si tes pas incertains s'égarent au vallon,
Tu verras nos deux noms gravés sur le vieux chêne,
Et le cœur qui t'aima couvert d'un froid gazon.

Comme la fleur des bois qui se dessèche et tombe,
Le soir d'un jour brûlant verra finir mon sort ;
Et notre bon pasteur écrira sur ma tombe :
« Olivier ! ne plains pas la douleur qui s'endort. »
N'entend-elle jamais une voix me défendre,
Un conseil attendri rappeler son devoir,  
Une larme furtive, un feu sous cette cendre,  
Un reproche d'en haut lui crier : « va la voir ! »

Moi, je n'y peux courir : sa clameur m'a noircie,  
Mon nom percé d'outrage a rempli sa maison.  
Contre elle-même, hélas ! Qui l'a donc endurcie ?  
Injuste, à qui m'accuse elle n'a pas dit : « non ! »

Que s'est-il donc passé ? Quelle bise inconnue  
A glacé cette fleur attachée à mes jours ?  
Elle était la moins pauvre et n'est pas revenue :  
Qui dit aimer le plus n'aime donc pas toujours ?

Elle a mis bien des pleurs dans ma reconnaissance.  
Ne lui direz-vous pas la vérité, Seigneur ?  
N'entendra-t-elle plus mon passé d'innocence  
Comme un oiseau sans fiel plaider avec son coeur ?

Seigneur ! J'ai des enfants ; seigneur ! J'ose être mère ;  
Seigneur ! Qui n'a cherché votre amour dans l'amour ?  
Sauvez à mes enfants cette blessure amère,  
Ce long étonnement, ce poids d'un mauvais jour !
À Mlle Emilie Bascans.

Si j'étais assez grande,
Je voudrais voir
L'effet de ma guirlande
Dans le miroir.
En montant sur la chaise,
Je l'atteindrais ;
Mais sans aide et sans aise,
Je tomberais.

La dame plus heureuse,
Sans faire un pas,
Sans quitter sa causeuse,
De haut en bas,
Dans une glace claire,
Comme au hasard,
Pour apprendre à se plaire
Jette un regard.

Ah ! c'est bien incommode
D'avoir huit ans !
Il faut suivre la mode
Et perdre un temps !...
Peut-on aimer la ville
Et les salons !
On s'en va si tranquille
Dans les vallons !

Quand ma mère qui m'aime
Et me défend,
Et qui veille elle-même
Sur son enfant,
M'emporte où l'on respire
Les fleurs et l'air,
Si son enfant soupire,
C'est un éclair !

Les ruisseaux des prairies
Font des psychés
Où, libres et fleuries,
Les fronts penchés
Dans l'eau qui se balance,
Sans nous hausser,
Nous allons en silence
Nous voir passer.

C'est frais dans le bois sombre,
Et puis c'est beau
De danser comme une ombre
Au bord de l'eau !
Les enfants de mon âge,
Courant toujours,
Devraient tous au village
Passer leurs jours !
Pauvre enfant, dans un jour d'effroi,
L'amour a-t-il semé ta vie ?
Tonnait-il fort ? faisait-il froid ?
N'entendait-on pas le beffroi ?
Ta jeune mère eut-elle envie
De mourir, dans ce jour d'effroi ?
Pauvre enfant !

Chargés d'un vague souvenir,
Tes yeux tristes, mais sans colère,
Se détournent de l'avenir.
Est-ce l'enfant qu'il doit punir ?
Y vois-tu luire une lumière
Qui réponde à ton souvenir ?
Pauvre enfant !

Augure du jaloux amour,
Ta poupée en tes bras cachée,
Objet d'un culte sans retour,
Sous tes soins ardents chaque jour
Est-elle à ton cœur attachée,
L'augure du jaloux amour ?
Pauvre enfant !
Un étranger vint un jour au bocage ;

On célébrait la noce de Julien ;

Je crus qu'Amour arrivait au village,

Et mon regard s'arrêta sur le sien.


On l'entoura : moi, je restai muette.

Il fit danser l'épouse de Julien.

Le bouquet blanc tomba du sein d'Annette.

Et je tremblai qu'il ne donnât le sien.


Qu'elle est heureuse, Annette, mon amie !

Pour son époux elle a nommé Julien.

Quel nom, me dis-je, embellira ma vie,

Si l'étranger ne m'apprend pas le sien ?


Il m'aborda : Dieu ! que j'étais craintive !

Il me parla du bonheur de Julien.

En rougissant, je m'éloignai pensive ;

En m'éloignant, mon cœur chercha le sien.


Il me suivit : je ne pus m'en défendre.

Il était tendre et plus beau que Julien.

Sa voix tremblait ; mais, si j'ai su l'entendre,

Notre hameau sera bientôt le sien !
L'eau nous sépare, écoute bien :
Si tu fais un pas, tu n'as rien.

Voici ma plus belle ceinture,
Elle embaume encor de mes fleurs.
Prends les parfums et les couleurs,
Prends tout... je m'en vais sans parure.

L'eau nous sépare, écoute bien :
Si tu fais un pas, tu n'as rien.

Sais-tu pourquoi je viens moi-même
Jeter mon ruban sur ton sein ?
C'est que tu parlais d'un larcin,
Et l'on veut donner quand on aime.

L'eau nous sépare, écoute bien ;
Si tu fais un pas, tu n'as rien.

Adieu ! ta réponse est à craindre,
Je n'ai pas le temps d'écouter ;  
Mais quand je n'ose m'arrêter,
N'est-ce donc que toi qu'il faut plaindre ?

Ce que j'ai dit, retiens-le bien :
Pour aujourd'hui, je n'ai plus rien !
Je me meurs, je succombe au destin qui m'accable.
De ce dernier moment veux-tu charmer l'horreur ?
Viens encore une fois presser ta main coupable
Sur mon cœur.

Quand il aura cessé de brûler et d'attendre,
Tu ne sentiras pas de remords superflus ;
Mais tu diras : « Ce cœur, qui pour moi fut si tendre,
N'aime plus. »

Vois l'amour qui s'enfuit de mon âme blessée,
Contemple ton ouvrage et ne sens nul effroi :
La mort est dans mon sein, pourtant je suis glacée
Moins que toi.

Prends ce cœur, prends ton bien ! L'amante qui t'adore
N'eut jamais à t'offrir, hélas ! Un autre don ;
Mais en le déchirant, tu peux y lire encore
Ton pardon.
Venez bien près, plus près, qu'on ne puisse m'entendre.
Un bruit vole sur vous, mais qu'il est peu flatteur !
Votre mère en est triste ; elle vous est si tendre !
On dit, mon cher amour, que vous êtes menteur.

Au lieu d'apprendre en paix la leçon qu'on vous donne,
Vous faites le plaintif, vous traînez votre voix,
Et vous criez très haut : Hé ! ma bonne ! ma bonne !
L'écho, qui me dit tout, m'en a parlé deux fois.

Vous avez effrayé cette bonne attentive.
Et, pour vous secourir,
Près de vous, toute pâle, on l'a vue accourir :
Hélas ! vous avez ri de sa bonté craintive,
Enfant ! vous avez ri ! quelle douleur pour nous !
On ne croira donc plus à vos jeunes alarmes ?
Si j'avais eu ce tort, j'irais à deux genoux
Lui demander pardon d'avoir ri de ses larmes ;
J'irais... Ne pleurez pas ; causons avant d'agir ;
Écoutez une histoire, et jugez-la vous-même :
Cachez-vous cependant sur ce coeur qui vous aime ;
Je rougis de vous voir rougir.

« Au loup ! au loup ! à moi ! » criait un jeune pâtre ;
Et les bergers entr'eux suspendaient leurs discours.
Trompé par les clameurs du rustique folâtre,
Tout venait, jusqu'aux chiens, tout volait au secours.
Ayant de tant de cours éveillé le courage,
Tirant l'un du sommeil, et l'autre de l'ouvrage,
Il se mettait à rire, il se croyait bien fin :
« Je suis loup, » disait-il. Mais attendez la fin.
Un jour que les bergers, au fond d'une vallée,
Appelant la gaîté sur leurs aigres pipeaux,
Confondaient leurs repas, leurs chansons, leurs troupeaux,
Et de leurs pieds joyeux pressaient l'herbe foulée
« Au loup ! au loup ! à moi ! » dit le jeune garçon ;
« Au loup ! » répéta-t-il d'une voix lamentable.
Pas un n'abandonna la danse ni la table :
« Il est loup, dirent-ils ; à d'autres la leçon. »

Et toutefois le loup dévorait la plus belle
De ses belles brebis ;
Et pour punir l'enfant qu'il traitait de rebelle,
Il lui montrait les dents, et rompait ses habits :
Et le pauvre menteur, élevant ses prières,
N'attristait que l'écho ; ses cris n'amenaient rien.
Tout riait, tout dansait au **** dans les bruyères :
« Eh quoi ! pas un ami, dit-il, pas même un chien ! »
On ajoute, et vraiment, c'est pitié de le croire !
Qu'il serrait la brebis dans ses deux bras tremblants ;
Et, quand il vint en pleurs raconter son histoire,
On vit que ses deux bras étaient nus et sanglants.
« Il ne ment pas, dit-on, il tremble ! il saigne ! il pleure !
Quoi ! c'est donc vrai, Colas ? » Il s'appelait Colas.

« Nous avons bien ri tout à l'heure ;
Et la brebis est morte ! elle est mangée...hélas ! »
On le plaignit. Un rustre, insensible à ses larmes.
Lui dit : « Tu fus menteur, tu trompas notre effroi :
Or, s'il m'avait trompé, le menteur fût-il roi,
Me crierait vainement aux armes. »

Et vous n'êtes pas roi, mon ange, et vous mentez !
Ici, pas un flatteur dont la voix vous abuse ;
Vous n'avez point d'excuse.
Quand vous aurez perdu tous les cours révoltés,
Vous ne direz qu'à moi votre souffrance amère,
Car on ne ment pas à sa mère.
Tout s'enfuira de vous, j'en pleurerai tout bas ;
Vous n'aurez plus d'amis, je n'aurai plus de joie :
Que ferons-nous alors ? Oh ! ne vous cachez pas !
Prenez un peu courage, enfant ; que je vous voie ;
Vous me touchez le coeur, j'y sens votre pardon ;
Allez, petit chéri, ne trompez plus personne ;
Soyez sage, aimez Dieu, priez qu'il vous pardonne ;
Il est père, il est bon !
Riant portrait, tourment de mon désir,
Muet amour, si **** de ton modèle !
Ombre imparfaite du plaisir,
Tu seras pourtant plus fidèle.
De ta gaîté je me plains aujourd'hui ;
Mais si jamais il cesse de m'entendre,
À toi je me plaindrai de lui,
Et tu me paraîtras plus tendre.

Si tu n'as pas, pour aller à mon coeur,
Son oeil brûlant et son parler de flamme,
Par un accent doux et trompeur
Tu n'égareras pas mon âme.
Sans trouble, à toi je livre mon secret.
S'il était là, je fuirais vite, vite.
Je suis seule... ah ! Riant portrait,
Que n'es-tu celui que j'évite !
Vous souvient-il de cette jeune amie,
Au regard tendre, au maintien sage et doux ?
À peine, hélas ! au printemps de sa vie,
Son cœur sentit qu'il était fait pour vous.

Point de serment, point de vaine promesse :
Si jeune encore, on ne les connaît pas ;
Son âme pure aimait avec ivresse,
Et se livrait sans honte et sans combats.

Elle a perdu son idole chérie ;
Bonheur si doux a duré moins qu'un jour !
Elle n'est plus au printemps de sa vie :
Elle est encore à son premier amour.
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