Submit your work, meet writers and drop the ads. Become a member
Le printemps est si beau ! Sa chaleur embaumée
Descend au fond des cœurs réveillés et surpris :
Une voix qui dormait, une ombre accoutumée,
Redemande l'amour à nos sens attendris.
La raison vainement à ce danger s'oppose,
L'image inattendue enivre la raison :
Tel un insecte ailé s'élance sur la rose,
Et la brûle d'un doux poison.
Des jeunes souvenirs la foule caressante
Accourt, brave la crainte, et l'espace et le temps :
Qui n'a cru respirer dans la fleur renaissante,
Les parfums regrettés de ses premiers printemps ?
Et moi, dans un accent qui trouble et qui captive,
Naguère un charme triste est venu m'attendrir.
L'écouterai-je encor, curieuse et craintive,
Ce doux accent qui fait mourir ?
Ce nom... j'allais le dire, il m'est donc cher encore ?
Ma frayeur n'a donc plus de force contre lui ?
Toi qui ne m'entends pas, d'où vient que je t'implore ?
N'es-tu pas **** ? N'ai-je pas fui ?
Reverrai-je tes yeux, dont l'ardente prière
Obtiendrait tout des cieux ?
Oui, pour ne les plus voir j'abaisse ma paupière,
Je m'enfuis dans mon âme, et j'ai revu tes yeux !

L'oiseau né sous nos toits, dans la saison brûlante,
Tourne autour des maisons qu'il reconnaît toujours,
Effleure dans son vol l'ardoise étincelante,
S'y pose, chante, fuit, et revient tous les jours :
Ton chant avec le sien se fond dans ma pensée ;
Trop de bonheur remplit ma poitrine oppressée ;
Je pâlis de plaisir à ces cris de retour ;
J'ai ressenti ta voix, j'ai reconnu l'amour !

Dans le demi-sommeil où je tombe rêveuse,
Je te crains, je t'espère et je te sens venir ;
Tu parles, mais si bas ! Une oreille amoureuse
Peut seule entendre et retenir :
« Veux-tu, mais ne dis pas que l'heure est trop rapide,
« Veux-tu voir la montagne et le courant limpide ?
« Veux-tu venir au pied du grand chêne abattu ? »
Moi, je ne réponds pas pour écouter : « Veux-tu ?
« Veux-tu, mais ne dis pas que la lune est cachée,
« Veux-tu voir notre image au bord des flots penchée ?
« Ne tremble pas, tout dort ; l'écho même s'est tu. »
Et mon refus se meurt en écoutant : « Veux-tu. »

D'un bouquet ma tristesse hier s'était parée ;
Dans l'ombre, tout à coup, qui l'ôta de mon sein ?
Ai-je senti le feu de ta main adorée ?
Est-ce toi, mon amour, qui cueillis ce larcin ?
Pourquoi troubler mon sort qui devenait paisible ?
Dans tout ce qui me plaît viens-tu tenter ma foi ?
Dis ! Pourquoi ta main invisible
Se pose-t-elle encor sur moi ?
Pourquoi ton haleine enflammée
Soulève-t-elle mes cheveux ?
Pourquoi ce faible écho, craintif comme nos vœux,
Dit-il contre mon cœur : « Bonsoir, ma bien-aimée ! »
Ah ! Je t'en prie, il ne faut plus venir
Redemander mon âme presque heureuse :
Je crains de toi jusqu'à ton souvenir :
**** du danger je suis encor peureuse...
Je ne t'accuse pas ! Qui sait si le tombeau
Sera froid sur mon corps, si ton souffle l'effleure ?
Je ne t'accuse pas ! je pleure,
Et j'aime le printemps ; le printemps est si beau !
Tu t'en vas ? Reste encore :

Je te perds pour longtemps !

Et tu vois que l'aurore

Luit depuis peu d'instants.

Tantôt sur le rivage

Je marcherai sans toi :

J'y reste en esclavage,

Pauvre de moi !


Nous avons vu la vie

Sous les mêmes couleurs ;

Elle a pu faire envie,

Car elle eut bien des fleurs.

La guerre était la gloire,

J'y courus avec toi :

J'ai payé la victoire,

Pauvre de moi !


Sur combien de blessures

A-t-on rivé nos fers !

Ils en font de plus sûres,

Dans leurs prisons d'enfers.

J'ai raillé ma souffrance,

Enchaîné près de toi ;

Mais tu pars pour la France,

Pauvre de moi !


Ma plaie envenimée

Arrête ici mes pas ;

Mortelle et renfermée,

Elle s'aigrit tout bas.

Sur un ponton de guerre

Faut-il languir sans toi ?

Je te suivais naguère,

Pauvre de moi !


Si ma blonde Angeline,

En te voyant passer,

Inquiète s'incline,

Timide à t'embrasser ;

A cet auge modeste,

Qui m'attend avec toi,

Ne dis pas où je reste,

Pauvre de moi !


Au foyer de ton père

Si le mien va s'asseoir,

Mon nom sera, j'espère,

Dans vos récits du soir,

Quand ses yeux pleins de larmes

S'attacheront sur toi,

Fais-lui bénir nos armes,

Pauvre de moi !
Cache-moi ton regard plein d'âme et de tristesse,

Dont la langueur brûlante affaiblit ma raison ;

De l'amour qu'il révèle il m'apprendrait l'ivresse ;

Pour les infortunés son charme est un poison.


Lèves-tu sur mes yeux ta paupière tremblante,

C'est le ciel qui s'entr'ouvre et sourit au malheur ;

C'est un rayon divin, une étoile brillante,

Qui perce la nuit sombre où gémissait mon cœur.


Oui, la douleur s'envole ; et mon âme ravie

Suit la douce clarté qui ne peut m'éblouir.

Éviter ton regard, c'est repousser la vie ;

Attache-le sur moi, je ne puis plus le fuir.
Il m'attend : je ne sais quelle mélancolie
Au trouble de l'amour se mêle en cet instant :
Mon cœur s'est arrêté sous ma main affaiblie ;
L'heure sonne au hameau ; je l'écoute... et pourtant,
Il m'attend.

Il m'attend : d'où vient donc que dans ma chevelure
Je ne puis enlacer les fleurs qu'il aime tant ?
J'ai commencé deux fois sans finir ma parure,
Je n'ai pas regardé le miroir... et pourtant,
Il m'attend.

Il m'attend : le bonheur recèle-t-il des larmes ?
Que faut-il inventer pour le rendre content ?
Mes bouquets, mes aveux, ont-ils perdu leurs charmes ?
Il est triste, il soupire, il se tait... et pourtant,
Il m'attend.

Il m'attend : au retour serai-je plus heureuse ?
Quelle crainte s'élève en mon sein palpitant !
Ah ! dût-il me trouver moins tendre que peureuse,
Ah ! dussé-je en pleurer, viens, ma mère... et pourtant,
Il m'attend !
Sur ce lit de roseaux puis-je dormir encore ?
Je sens l'air embaumé courir autour de toi ;
Ta bouche est une fleur dont le parfum dévore :
Approche, ô mon trésor, et ne brûle que moi.
Éveille, éveille-toi !

Mais ce souffle d'amour, ce baiser que j'envie,
Sur tes lèvres encor je n'ose le ravir ;
Accordé par ton coeur, il doublera ma vie.
Ton sommeil se prolonge, et tu me fais mourir :
Je n'ose le ravir.

Viens, sous les bananiers nous trouverons l'ombrage.
Les oiseaux vont chanter en voyant notre amour.
Le soleil est jaloux, il est sous un nuage,
Et c'est dans tes yeux seuls que je cherche le jour :
Viens éclairer l'amour.

Non, non, tu ne dors plus, tu partages ma flamme ;
Tes baisers sont le miel que nous donnent les fleurs.
Ton coeur a soupiré, viens-tu chercher mon âme ?
Elle erre sur ma bouche et veut sécher tes pleurs.
Cache-moi sous des fleurs.
Ouvre ton aile au vent, mon beau ramier sauvage,
Laisse à mes doigts brisés ton anneau d'esclavage !
Tu n'as que trop pleuré ton élément, l'amour ;
Sois heureux comme lui : sauve-toi sans retour !

Que tu montes la nue, ou que tu rases l'onde,
Souviens-toi de l'esclave en traversant le monde :
L'esclave t'affranchit pour te rendre à l'amour ;
Quitte-moi comme lui : sauve-toi sans retour !

Va retrouver dans l'air la volupté de vivre !
Va boire les baisers de Dieu, qui te délivre !
Ruisselant de soleil et plongé dans l'amour,
Va-t-en ! Va-t-en ! Va-t-en ! Sauve-toi sans retour !

Moi, je garde l'anneau ; je suis l'oiseau sans ailes.
Les tiennes vont aux cieux ; mon âme est devant elles.
Va ! Je les sentirai frissonner dans l'amour !
Mon ramier, sois béni ! Sauve-toi sans retour !

Va demander pardon pour les faiseurs de chaînes ;
En fuyant les bourreaux, laisse tomber les haines.
Va plus haut que la mort, emporté dans l'amour ;
Sois clément comme lui... sauve-toi sans retour !
Quand les cloches du soir, dans leur lente volée,

Feront descendre l'heure au fond de la vallée ;

Quand tu n'auras d'amis, ni d'amours près de toi,

Pense à moi ! pense à moi !


Car les cloches du soir avec leur voix sonore

A ton cœur solitaire iront parler encore ;

Et l'air fera vibrer ces mots autour de toi :

Aime-moi ! aime-moi !


Si les cloches du soir éveillent tes alarmes,

Demande au temps ému qui passe entre nos larmes :

Le temps dira toujours qu'il n'a trouvé que toi,

Près de moi ! près de moi !


Quand les cloches du soir, si tristes dans l'absence,

Tinteront sur mon cœur ivre de ta présence :

Ah ! c'est le chant du ciel qui sonnera pour toi,

Et pour moi ! et pour moi !
Il est deux Amitiés comme il est deux Amours.
L'une ressemble à l'imprudence ;
Faite pour l'âge heureux dont elle a l'ignorance,
C'est une enfant qui rit toujours.
Bruyante, naïve, légère,
Elle éclate en transports joyeux.
Aux préjugés du monde indocile, étrangère,
Elle confond les rangs et folâtre avec eux.
L'instinct du cœur est sa science,
Et son guide est la confiance.
L'enfance ne sait point haïr ;
Elle ignore qu'on peut trahir.
Si l'ennui dans ses yeux (on l'éprouve à tout âge)
Fait rouler quelques pleurs,
L'Amitié les arrête, et couvre ce nuage
D'un nuage de fleurs.
On la voit s'élancer près de l'enfant qu'elle aime,
Caresser la douleur sans la comprendre encor,
Lui jeter des bouquets moins riants qu'elle-même,
L'obliger à la fuite et reprendre l'essor.

C'est elle, ô ma première amie !
Dont la chaîne s'étend pour nous unir toujours.
Elle embellit par toi l'aurore de ma vie,
Elle en doit embellir encor les derniers jours.
Oh ! que son empire est aimable !
Qu'il répand un charme ineffable
Sur la jeunesse et l'avenir,
Ce doux reflet du souvenir !
Ce rêve pur de notre enfance
En a prolongé l'innocence ;
L'Amour, le temps, l'absence, le malheur,
Semblent le respecter dans le fond de mon cœur.
Il traverse avec nous la saison des orages,
Comme un rayon du ciel qui nous guide et nous luit :
C'est, ma chère, un jour sans nuages
Qui prépare une douce nuit.

L'autre Amitié, plus grave, plus austère,
Se donne avec lenteur, choisit avec mystère ;
Elle observe en silence et craint de s'avancer ;
Elle écarte les fleurs, de peur de s'y blesser.
Choisissant la raison pour conseil et pour guide,
Elle voit par ses yeux et marche sur ses pas :
Son abord est craintif, son regard est timide ;
Elle attend, et ne prévient pas.
D'ou venez-vous, couple triste et charmant ?
Rien parmi nous ne vous appelle encore ;
Les jours d'avril n'ont qu'une pâle aurore,
Et nul abri pour l'amoureux tourment ;
Les blés frileux cachant leurs fronts timides,
Comme les fleurs, tremblent au veut du nord ;
Le lierre seul couvre les murs humides ;
Et l'hirondelle est toujours **** du port.

Vous deux, chassés par le malheur sans doute,
Et consolés du malheur par l'amour,
Pour échapper à quelque noir vautour,
De l'Orient vous avez fui la route.
Au toit prochain, je vous entends gémir ;
Ah ! vous souffrez je ne sais plus dormir !
Des vrais amans doux et discrets modèles,
J'ai vos douleurs; que n'ai-je aussi vos ailes !
Je volerais sur votre humble rempart ;
Tristes ramiers, j'irais, triste moi-même,
En souvenir d'un malheureux que j'aime,
Du peu que j'ai vous offrir une part.

Il erre seul et vous errez ensemble !
Dans vos baisers que votre exil est doux !
Le même sort vous frappe et vous rassemble ;
Oh ! que d'amants sont moins heureux que vous !
Venez tous deux, venez sur ma fenêtre
De votre soif étancher les ardeurs ;
Des cieux dorés, où l'amour vous fit naître,
Au toit du pauvre oubliez les splendeurs.
Que l'un de vous se hasarde à descendre ;
Le plus hardi doit guider le plus tendre ;
D'un cœur qui bat d'amour et de frayeur,
Pour un moment qu'il détache son cœur.
Voici du grain, voici de l'eau limpide,
Humble secours par mes mains répandu ;
Il soutiendra votre destin timide,
Si tout un jour vous l'avez attendu !

Ainsi, mon Dieu, sur la route lointaine,
Semez vos dons à mon cher voyageur !
Ne souffrez pas que quelque voix hautaine
Sur son front pur appelle la rougeur.
Que ma prière en tout lieu le devance ;
Dieu ! que pas un ne le nomme étranger !
Aidez son cœur à porter notre absence,
Et que parfois le temps lui soit léger !
Dans la foule, Olivier, ne viens plus me surprendre ;
Sois là, mais sans parler, tâche de me l'apprendre :
Ta voix a des accents qui me font tressaillir !
Ne montre pas l'amour que je ne puis te rendre,
D'autres yeux que les tiens me regardent rougir.

Se chercher, s'entrevoir, n'est-ce pas tout se dire ?
Ne me demande plus, par un triste sourire,
Le bouquet qu'en dansant je garde malgré moi :
Il pèse sur mon coeur quand mon coeur le désire,
Et l'on voit dans mes yeux qu'il fut cueilli pour toi.

Lorsque je m'enfuirai, tiens-toi sur mon passage ;
Notre heure pour demain, les fleurs de mon corsage,
Je te donnerai tout avant la fin du jour :
Mais puisqu'on n'aime pas lorsque l'on est bien sage,
Prends garde à mon secret, car j'ai beaucoup d'amour !
Idole de ma vie,
Mon tourment, mon plaisir,
Dis-moi si ton envie
S'accorde à mon désir ?
Comme je t'aime en mes beaux jours,
Je veux t'aimer toujours.

Donne-moi l'espérance ;
Je te l'offre en retour.
Apprends-moi la constance ;
Je t'apprendrai l'amour.
Comme je t'aime en mes beaux jours,
Je veux t'aimer toujours.

Sois d'un cœur qui t'adore
L'unique souvenir ;
Je te promets encore
Ce que j'ai d'avenir.
Comme je t'aime en mes beaux jours,
Je veux t'aimer toujours.

Vers ton âme attirée
Par le plus doux transport,
Sur ta bouche adorée
Laisse-moi dire encor :
Comme je t'aime en mes beaux jours,
Je veux t'aimer toujours.
Oh ! de l'air ! des parfums ! des fleurs pour me nourrir !
Il semble que les fleurs alimentent ma vie ;
Mais elles vont mourir.... Ah ! je leur porte envie :
Mourir jeune, au soleil, Dieu ! que c'est bien mourir !

Pour éteindre une fleur il faut moins qu'un orage :
Moi, je sais qu'une larme effeuille le bonheur.
À la fleur qu'on va fuir qu'importé un long courage ?
Heureuse, elle succombe à son premier malheur !

Roseaux moins fortunés, les vents, dans leur furie,
Vous outragent longtemps sans briser votre sort ;
Ainsi, roseau qui marche en sa gloire flétrie,
L'homme achète longtemps le bienfait de la mort !

Et moi, je veux des fleurs pour appuyer ma vie ;
A leurs frêles parfums j'ai de quoi me nourrir :
Mais elles vont mourir.... Ah ! je leur porte envie ;
Mourir jeune, au soleil, Dieu ! que c'est bien mourir !
Seule avec toi dans ce bocage sombre ?
Qu'y ferions-nous ? à peine on peut s'y voir.
Nous sommes bien ! Peux-tu désirer l'ombre ?
Pour se perdre des yeux c'est bien assez du soir !
Auprès de toi j'adore la lumière,
Et quand tes doux regards ne brillent plus sur moi,
Dès que la nuit a voilé ta chaumière,
Je me retrouve, en fermant ma paupière,
Seule avec toi.

Sûr d'être aimé, quel voeu te trouble encore ?
Si près du mien, que désire ton coeur ?
Sans me parler ta tristesse m'implore :
Ce qu'on voit dans tes yeux n'est donc pas le bonheur ?
Quel vague objet tourmente ton envie ?
N'as-tu pas mon serment dans ton sein renfermé ?
Qui te rendra ta douce paix ravie ?
Dis ! Quel bonheur peut manquer à ta vie,
Sûr d'être aimé ?

Ne parle pas ! Je ne veux pas entendre :
Je crains tes yeux, ton silence, ta voix.
N'augmente pas une frayeur si tendre ;
Hélas ! Je ne sais plus m'enfuir comme autrefois,
Je sens mon âme à la tienne attachée,
J'entends battre ton coeur qui m'appelle tout bas :
Heureuse, triste, et sur ton sein penchée,
Ah ! Si tu veux m'y retenir cachée,
Ne parle pas !
Sur la musique de Garni.


En vain l'aurore,
Qui se colore,
Annonce un jour
Fait pour l'amour ;
De ta pensée
Tout oppressée,
Pour te revoir,
J'attends le soir.

L'aurore en fuite,
Laisse à sa suite
Un soleil pur,
Un ciel d'azur :
L'amour s'éveille ;
Pour lui je veille ;
Et, pour te voir,
J'attends le soir.

Heure charmante,
Soyez moins lente !
Avancez-vous,
Moment si doux !
Une journée
Est une année,
Quand pour te voir,
J'attends le soir.

Un voile sombre
Ramène l'ombre ;
Un doux repos
Suit les travaux :
Mon sein palpite,
Mon cœur me quitte...
Je vais te voir ;
Voilà le soir.
Lune ! Blanche figure assise à l'horizon,
Que viens-tu regarder au fond de ma maison ? ...
Dans nos chambres, vois-tu ! La fiévreuse insomnie
Sur beaucoup d'oreillers se penche en ennemie ;
Elle entre, et bien des yeux qui paraissent fermés
Sont par des pleurs sans bruit ouverts et consumés.

Oh ! Si tu n'étais, toi, qu'un beau front de madone,
Saintement inondé de l'amour qui pardonne !
Oh ! Si Dieu le voulait que tes tendres clartés
Soient des pardons promis aux pauvres visités !
N'as-tu pas pour cortège un flot de jeunes âmes
Mêlant à tes lueurs leurs vacillantes flammes ?

Dis donc à ces enfants envolés **** de nous
De venir embrasser leurs mères à genoux,
Lune ! Il en est plus d'un qui doit me reconnaître
S'il me regarde ainsi penchée à ma fenêtre,
Qui m'apparut à moi, beau, sans ailes encor,
Et qui m'a brisé l'âme en reprenant l'essor.

Nous avons mis leurs noms sous des touffes de roses.
De tes pâles fraîcheurs, ô toi qui les arroses,
Qui plus forte que nous visites leur sommeil,
Lune, merci ! Je t'aime autant que le soleil !
Merci ! Toi qui descends des divines montagnes
Pour éclairer nos morts épars dans les campagnes.

Dans leur étroit jardin tu viens les regarder,
Et contre l'oubli froid tu sembles les garder.
Je me souviens aussi, devant ton front qui brille,
Douce lampe des morts qui luis sur ma famille !
Au bout de tes rayons promenés sur nos fleurs,
Comme un encens amer prends un peu de mes pleurs :

Nul soleil n'a séché ce sanglot de mon âme,
Et tu peux le mêlant à ton humide flamme,
L'épancher sur le coeur de mon père endormi,
Lui, qui fut mon premier et mon plus tendre ami !
Quel charme de penser, en te voyant si pure
Et cheminant sans bruit à travers la nature,
Que chaque doux sépulcre où je ne peux errer,
En m'éclairant aussi tu vas les éclairer !

À ma bouche confuse enlève une parole
Pour la sanctifier dans ta chaste auréole ;
Et de ta haute église, alors, fais-la tomber
****, par delà les mers, où j'ai vu se courber
Ma tige maternelle enlacée à ma vie,
Puis, mourir sur le sable où je l'avais suivie.

Son sommeil tourmenté par les flots et le vent
Ne tressaille jamais au pas de son enfant.
Jamais je n'ai plié mes genoux sur ma mère ;
Ce doux poids balancé dans une vague amère,
Lune ! Il m'est refusé de l'embrasser encor :
Porte-lui donc mon âme avec ton baiser d'or !
C'était l'hiver, et la nature entière
Portait son deuil et redoublait le mien ;
Je regagnais à pas lents ma chaumière,
Les yeux fixés sur celle de Julien.

Un voile noir s'étendit sur la plaine ;
Un triste écho fit aboyer mon chien ;
Le vent souillait, et sa plaintive haleine
Disait aux bois : Julien ! pauvre Julien !

Sur mon chemin je vis la lune errante :
Qu'elle était sombre en parcourant le sien !
Je contemplai cette clarté mourante,
Moins triste, hélas ! que les yeux de Julien.

Je m'endormis, de tant d'objets lassée ;
Le ciel s'ouvrit,... et je n'entendis rien
Mais tout à coup la cloche balancée
Me réveilla, sans réveiller Julien.

Quand j'abordai sa sœur silencieuse,
Sa main me dit : « Il repose, il est bien
Je voulus voir ... Une larme pieuse
M'apprit le nom du sommeil de Julien.
Ô délire d'une heure auprès de lui passée,
Reste dans ma pensée !
Par toi tout le bonheur que m'offre l'avenir
Est dans mon souvenir.

Je ne m'expose plus à le voir, à l'entendre,
Je n'ose plus l'attendre,
Et si je puis encor supporter l'avenir,
C'est par le souvenir.

Le temps ne viendra pas pour guérir ma souffrance,
Je n'ai plus d'espérance ;
Mais je ne voudrais pas, pour tout mon avenir,
Perdre le souvenir !
Comme une vaine erreur,

Comme un riant mensonge,

S'évanouit le songe

Qui faisait mon bonheur.

Ô douce chimère !

Si tu fuis sans retour,

Dans ta course légère

Emporte mon amour !


Ce tendre sentiment,

Cette aimable folie,

Ce charme de ma vie,

Sans toi n'est qu'un tourment.

Ô douce chimère !

Si tu fuis sans retour,

Dans ta course légère

Emporte mon amour.


Déjà, pour me punir

D'avoir été trop tendre,

Je consens à te rendre

Un si cher souvenir.

Ô douce chimère !

Si tu fuis sans retour,

Dans ta course légère

Emporte mon amour.


Que voulez-vous de moi,

Raison trop inflexible ?

Tourment d'un cœur sensible,

Je cède à votre loi.

Ô douce chimère !

Si tu fuis sans retour,

Dans ta course légère

Emporte mon amour.
Je voudrais aimer autrement,
Hélas ! Je voudrais être heureuse !
Pour moi l'amour est un tourment,
La tendresse m'est douloureuse.
Ah ! Que je voudrais être heureuse !
Que je voudrais être autrement !

Vous dites que je changerai :
Comme vous je le crois possible,
Mon cœur ne sera plus sensible ;
Je l'espère, car je mourrai.
Oui ! Si la mort peut l'impossible,
Vous dites vrai, je changerai !
J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n'ont pu les contenir.

Les nœuds ont éclaté. Les roses, envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.
Hélas ! que les vieillards savent de tristes choses !

Hier, après la fête, ils riaient des amants ;

Ils riaient ! Leurs serments, disaient-ils, sont des roses.

En voilà sous nos pieds d'aujourd'hui même écloses :

Pourquoi, mon Olivier, m'as-tu fait des serments ?


J'ai couru vers mes fleurs avec un trouble extrême ;

Je n'en veux plus cueillir, même pour me parer :

Mai si de tes amours leur durée est l'emblème,

Tu ne m'aimeras pas longtemps comme je t'aime :

La dernière s'entr'ouvre... elle m'a fait pleurer.


En vain le grand ruisseau coule au pied du bocage,

Il n'a pu les sauver des mortelles chaleurs.

Les roses, les serments s'envolaient du rivage ;

Tout fuyait comme l'onde où tremblait mon image :

Et tu n'es pas venu pour essuyer mes pleurs !


Du discours des vieillards je demeure oppressée :

Adieu... Non, je ne veux t'écouter ni m'asseoir ;

Chaque feuille qui tombe afflige ma pensée.

Eh quoi ! comme un parfum ma joie est donc passée ?

Plus d'espoir... plus de fleurs... apporte m'en ce soir !
Viens, si tu veux rêver d'amour,

Viens tresser ta couronne au fond de la campagne :

Voici l'heure, hâtons-nous, ô ma jeune compagne !

Les songes dans les fleurs se cachent tout le jour.


De leurs frêles prisons vont sortir les mensonges ;

Le rêve d'une vierge est dans le frais jasmin :

Hâtons-nous de cueillir et les fleurs et les songes,

Les songes et les fleurs ne seront plus demain.


Viens chercher le fragile espoir,

L'amandier le balance en sa fleur argentée :

Viens ! nous le saisirons sur la tige agitée ;

Dans un rêve d'amour il est doux de le voir.


De leurs frêles prisons vont sortir les mensonges ;

Le rêve d'une vierge est dans le frais jasmin.

Hâtons-nous de cueillir et les fleurs et les songes,

Les songes et les fleurs ne seront plus demain.


Ne pose jamais sur ton sein

L'effroi du meurtrier, la sombre mandragore ;

De sa tige brisée un cri s'échappe encore,

Avec le rêve affreux qui poursuit l'assassin.


De leurs frêles prisons vont sortir les mensonges ;

Le rêve d'une vierge est dans le frais jasmin :

Hâtons-nous de cueillir et les fleurs et les songes,

Les songes et les fleurs ne seront plus demain.


Cherchons celui qui vient des cieux ;

Il console en dormant la douleur méprisée :

Des larmes de la nuit la vanille arrosée

Parfume son sourire et son vol gracieux.


De leurs frêles prisons vont sortir les mensonges ;

Le rêve d'une vierge est dans le frais jasmin :

Hâtons-nous de cueillir et les fleurs et les songes,

Les songes et les fleurs ne seront plus demain.
Comme un bouton, près d'éclore,
D'un seul regard de l'Aurore
Attend le bienfait du jour ;
Dans l'âge de l'innocence,
Séduite par l'espérance,
J'attendais tout de l'Amour.

Comme la fleur imprudente
Se plaît à suivre la pente
Qui l'expose aux feux du jour,
Je m'abandonnai, sans guide,
Au penchant non moins rapide
Qui m'entraînait vers l'Amour.

Comme la fleur desséchée,
Pâle et tristement penchée,
S'effeuille au déclin du jour,
Mon soir touche à ma naissance,
Et je pleure l'Espérance
Qui s'envole avec l'Amour.
Ah ! que le monde est difficile !

Hélas ! il n'est pas fait pour moi.

Ma sœur, en ton obscur asile,

J'étais plus heureuse avec toi.

On m'appelle ici l'étrangère ;

C'est le nom de qui n'a point d'or.

Si je ris, je suis trop légère ;

Si je rêve... on en parle encor.


Si je mêle à ma chevelure

La fleur que j'aimais dans nos bois,

Je suis, dit-on, dans ma parure,

Timide et coquette à la fois ;

Puis-je ne pas la trouver belle ?

Le printemps en a fait mon bien :

Pour me parer je n'avais qu'elle ;

On l'effeuille, et je n'ai plus rien.


Je sors de cet âge paisible,

Où l'on joue avec le malheur :

Je m'éveille, je suis sensible,

Et je l'apprends par la douleur.

Un seul être à moi s'intéresse ;

Il n'a rien dit, mais je le vois ;

Et je vois même, à sa tristesse,

Qu'il est étranger comme moi.


Ah ! si son regard plein de charmes

Recèle un doux rayon d'espoir,

Quelle main essuiera les larmes

Qui m'empêchent de l'entrevoir ?

Soumise au monde qui m'observe,

Je dois mourir, jamais pleurer ;

Et je n'use qu'avec réserve

Du triste espoir de soupirer !
Ils vont sans trêve ; ils vont sous le ciel bas et sombre,
Les Fugitifs, chassés des anciens paradis ;
Et toute la tribu, depuis des jours sans nombre,
Dans leur sillon fatal traîne ses pieds roidis.

Ils vont, les derniers-nés des races primitives,
Les derniers dont les yeux, sur les divins sommets,
Dans les herbes en fleur ont vu fuir les Eaux vives
Et grandir un Soleil, oublié désormais.

Tout est mort et flétri sur les plateaux sublimes
Où l'aurore du monde a lui pour leurs aïeux ;
Et voici que les fils, à l'étroit sur les cimes,
Vers l'Occident nocturne ont cherché d'autres cieux.

Ils ont fui. Le vent souffle et pousse dans l'espace
La neige inépuisable en tourbillons gonflés ;
Un hiver éternel suspend, en blocs de glace,
De rigides torrents aux flancs des monts gelés.

Des amas de rochers, blancs d'une lourde écume,
Témoins rugueux d'un monde informe et surhumain.
Visqueux, lavés de pluie et noyés dans la brume,
De leurs blocs convulsés ferment l'âpre chemin.

Des forêts d'arbres morts, tordus par les tempêtes,
S'étendent ; et le cri des voraces oiseaux,
Près de grands lacs boueux, répond au cri des bêtes
Qui râlent en glissant sur l'épaisseur des eaux.

Mais l'immense tribu, par les sentiers plus rudes,
Par les ravins fangeux où s'engouffre le vent,
Comme un troupeau perdu, s'enfonce aux solitudes,
Sans hâte, sans relâche et toujours plus avant.

En tête, interrogeant l'ombre de leurs yeux ternes,
Marchent les durs chasseurs, les géants et les forts,
Plus monstrueux que l'ours qu'au seuil de leurs cavernes
Ils étouffaient naguère en luttant corps à corps.

Leurs longs cheveux, pareils aux lianes farouches,
En lanières tombaient de leurs crânes étroits,
Tandis qu'en se figeant l'haleine de leurs bouchés
Hérissait de glaçons leurs barbes aux poils droits.

Les uns, ceints de roseaux tressés ou d'herbes sèches,
Aux rafales de grêle offraient leurs larges flancs ;
D'autres, autour du col attachant des peaux fraîches,
D'un manteau ******* couvraient leurs reins sanglants.

Et les femmes marchaient, lentes, mornes, livides,
Haletant et pliant sous les doubles fardeaux
Des blêmes nourrissons pendus à leurs seins vides
Et des petits enfants attachés sur leur dos.

En arrière, portés sur des branches unies,
De grands vieillards muets songeaient aux jours lointains
Et, soulevant parfois leurs paupières ternies,
Vers l'horizon perdu tournaient des yeux éteints.

Ils allaient. Mais soudain, quand la nuit dans, l'espace
Roulait, avec la peur, l'obscurité sans fin,
La tribu tout entière, épuisée et trop lasse,
Multipliait le cri terrible de sa faim.

Les chasseurs ont hier suivi des pistes fausses ;
Le renne prisonnier a rompu ses liens ;
L'ours défiant n'a pas trébuché dans les fosses ;
Le cerf n'est pas tombé sous les crocs blancs des chiens.

Le sol ne livre plus ni germes ni racines,
Le poisson se dérobe aux marais submergés ;
Rien, ni les acres fruits ni le flux des résines,
Ni la moelle épaisse au creux des os rongés.

Et voici qu'appuyés sur des haches de pierre,
Les mâles, dans l'horreur d'un songe inassouvi,
Ont compté tous les morts dont la chair nourricière
Fut le festin des loups, sur le chemin suivi.

Voici la proie humaine, offerte à leur délire,
Vieillards, femmes, enfants, les faibles, autour d'eux
Vautrés dans leur sommeil stupide, sans voir luire
Les yeux des carnassiers en un cercle hideux.

Les haches ont volé. Devant les corps inertes,
Dans la pourpre qui bout et coule en noirs ruisseaux,
Les meurtriers, fouillant les poitrines ouvertes,
Mangent les cœurs tout vifs, arrachés par morceaux.

Et tous, repus, souillés d'un sang qui fume encore,
Parmi les os blanchis épars sur le sol nu,
Aux blafardes lueurs de la nouvelle aurore,
Marchent, silencieux, vers le but inconnu.

Telle, de siècle en siècle incessamment errante,
Sur la neige durcie et le désert glacé
Ne laissant même pas sa trace indifférente,
La tribu, sans espoir et sans rêve, a passé.

Tels, les Fils de l'Exil, suivant le bord des fleuves
Dont les vallons emplis traçaient le large cours,
Sauvages conquérants des solitudes neuves,
Ont avancé, souffert et pullulé toujours ;

Jusqu'à l'heure où, du sein des vapeurs méphitiques,
Dont le rideau flottant se déchira soudain,
Une terre, pareille aux demeures antiques,
A leurs yeux éblouis fleurit comme un jardin.

Devant eux s'étalait calme, immense et superbe,
Comme un tapis changeant au pied des monts jeté,
Un pays, vierge encore, où, mugissant dans l'herbe,
Des vaches au poil blanc paissaient en liberté.

Et sous les palmiers verts, parmi les fleurs nouvelles,
Les étalons puissants, les cerfs aux pieds légers
Et les troupeaux épars des fuyantes gazelles
Écoutaient sans effroi les pas des étrangers.

C'était là. Le Destin, dans l'aube qui se lève,
Au terme de l'Exil ressuscitait pour eux,
Comme un réveil tardif après un sombre rêve,
Le vivant souvenir des siècles bienheureux.

La Vie a rejailli de la source féconde,
Et toute soif s'abreuve à son flot fortuné,
Et le désert se peuple et toute chair abonde,
Et l'homme pacifique est comme un nouveau-né.

Il revoit le Soleil, l'immortelle Lumière,
Et le ciel où, témoins des clémentes saisons,
Des astres reconnus, à l'heure coutumière,
Montent, comme autrefois, sur les vieux horizons.

Et plus ****, par delà le sable monotone,
Il voit irradier, comme un profond miroir,
L'étincelante mer dont l'infini frissonne
Quand le Soleil descend dans la rougeur du soir.

Et le Ciel sans limite et la Nature immense,
Les eaux, les bois, les monts, tout s'anime à ses yeux.
Moins aveugle et moins sourd, un univers commence
Où son cœur inquiet sent palpiter des Dieux.

Ils naissent du chaos où s'ébauchaient leurs formes,
Multiples et sans noms, l'un par l'autre engendrés ;
Et le reflet sanglant de leurs ombres énormes
D'une terreur barbare emplit les temps sacrés.

Ils parlent dans l'orage ; ils pleurent dans l'averse.
Leur bras libérateur darde et brandit l'éclair,
Comme un glaive strident qui poursuit et transperce
Les monstres nuageux accumulés dans l'air.

Sur l'abîme éternel des eaux primordiales
Nagent des Dieux prudents, tels que de grands poissons ;
D'infaillibles Esprits peuplent les nuits astrales ;
Des serpents inspirés sifflent dans les buissons.

Puis, lorsque surgissant comme un roi, dans l'aurore,
Le Soleil triomphal brille au firmament bleu,
L'homme, les bras tendus, chante, contemple, adore
La Majesté suprême et le plus ancien Dieu ;

Celui qui féconda la Vie universelle,
L'ancêtre vénéré du jour propice et pur,
Le guerrier lumineux dont le disque étincelle
Comme un bouclier d'or suspendu dans l'azur ;

Et celui qui parfois, formidable et néfaste,
Immobile au ciel fauve et morne de l'Été,
Flétrit, dévore, embrase, et du désert plus vaste
Fait, jusqu'aux profondeurs, flamber l'immensité.

Mais quand l'homme, éveillant l'éternelle Nature,
Ses formes, ses couleurs, ses clartés et ses voix,
Fut seul devant les Dieux, fils de son âme obscure,
Il tressaillit d'angoisse et supplia ses Rois.

Alors, ô Souverains ! les taureaux et les chèvres
D'un sang expiatoire ont inondé le sol ;
Et l'hymne évocateur, en s'échappant des lèvres,
Comme un aiglon divin tenta son premier vol.

Idoles de granit, simulacres de pierre,
Bétyles, Pieux sacrés, Astres du ciel serein,
Vers vous, avec l'offrande, a monté la prière,
Et la graisse a fumé sur les autels d'airain.

Les siècles ont passé ; les races successives
Ont bâti des palais, des tours et des cités
Et des temples jaloux, dont les parois massives
Aux profanes regards cachaient les Dieux sculptés.

Triomphants tour à tour ou livrés aux insultes,
Voluptueux, cruels, terribles ou savants,
Tels, vous avez versé pour jamais, ô vieux cultes !
L'ivresse du Mystère aux âmes des vivants.

Tels vous traînez encore, au fond de l'ombre ingrate,
Vos cortèges sacrés, lamentables et vains,
Du vieux Nil à la mer et du Gange à l'Euphrate,
Ô spectres innommés des ancêtres divins !

Et dans le vague abîme où gît le monde antique,
Luit, comme un astre mort, au ciel religieux,
La sombre majesté de l'Orient mystique,
Berceau des nations et sépulcre des Dieux.
« Oui, je le sais, voilà des fleurs,

Des vallons, des ruisseaux, des prés et des feuillages ;

Mais une onde plus pure et de plus verts ombrages

Enchantent ma pensée, et me coûtent des pleurs !


Oui, je le vois, ces frais zéphyrs

Caresssent en jouant les naïves bergères ;

Mais d'un zéphyr plus doux les haleines légères

Attirent **** de moi mon âme et mes soupirs !


Ah ! je le sens ! c'est que mon cœur

Las d'envier ces bois, ces fleurs, cette prairie,

Demande, en gémissant, des fleurs à ma patrie !

Ici rien n'est à moi, si ce n'est ma douleur. »


Triste exilé, voilà ton sort !

La plainte de l'écho m'a révélé ta peine.

Comme un oiseau captif, tu chantes dans ta chaîne ;

Comme un oiseau blessé, j'y joins un cri de mort !


Goûte l'espoir silencieux !

Tu reverras un jour le sol qui te rappelle ;

Mais rien ne doit changer ma douleur éternelle :

Mon exil est le monde... et mon espoir aux cieux.
Horloge d'où s'élançait l'heure
Vibrante en passant dans l'or pur,
Comme l'oiseau qui chante ou pleure
Dans un arbre où son nid est sûr,
Ton haleine égale et sonore
Dans le froid cadran ne bat plus :
Tout s'éteint-il comme l'aurore
Des beaux jours qu'à ton front j'ai lus ?
Qui me rendra ces jours où la vie a des ailes,
Et vole, vole ainsi que l'alouette aux cieux,
Lorsque tant de clarté passe devant ses yeux,
Qu'elle tombe éblouie au fond des fleurs, de celles
Qui parfument son nid, son âme, son sommeil,
Et lustrent son plumage au lever du soleil !

Ciel ! un de ces fils d'or pour ourdir ma journée,
Un débris de ce prisme aux brillantes couleurs !
Au fond de ces beaux jours et de ces belles fleurs,
Un rêve où je sois libre, enfant, à peine née,

Quand l'amour de ma mère était mon avenir ;
Quand on ne mourait pas encor dans ma famille ;
Quand tout vivait pour moi, vaine petite fille !
Quand vivre était le ciel, ou s'en ressouvenir !

Quand j'aimais sans savoir ce que j'aimais, quand l'âme
Me palpitait heureuse, et de quoi ? je ne sais ;
Quand toute la nature était parfum et flamme ;
Quand mes deux bras s'ouvraient devant ces jours... passés !
Comme une fleur à plaisir effeuillée
Pâlit, tombe et s'efface une brillante erreur.
Ivre de toi, je rêvais le bonheur :
Je rêvais, tu m'as éveillée.

Que ce réveil va me coûter de pleurs !
Dans le sein de l'amour pourrai-je les répandre ?
Il m'enchaînait à toi par des liens de fleurs ;
Tu me forces à les lui rendre.

Un seul mot à nos yeux découvre l'avenir ;
Un reproche souvent attriste l'espérance.
Hélas ! S'il faut rougir d'une tendre imprudence,
Toi qui la partageas, devais-tu m'en punir ?

**** de moi va chercher un plus doux esclavage,
Va ! De tout mon bonheur j'ai payé ton bonheur.
Eh bien ! Pour t'en venger, tu m'as rendu mon coeur,
Et tu me l'as rendu brûlant de ton image.

Je le reprends ce coeur blessé par toi !
Pardonne à mon imprévoyance :
Je lui dois ton indifférence ;
Que te faut-il encor pour te venger de moi ?
Inconstance, affreux sentiment,
Je t'implorais, je te déteste.
Si d'un nouvel amour tu me fais un tourment,
N'est-ce pas ajouter au tourment qui me reste ?
Pour me venger d'un cruel abandon,
Offre un autre secours à ma fierté confuse ;
Tu flattes mon orgueil, tu séduis ma raison ;
Mais mon cœur est plus tendre, il échappe à ta ruse.
Oui, prête à m'engager en de nouveaux liens,
Je tremble d'être heureuse, et je verse des larmes ;
Oui, je sens que mes pleurs avaient pour moi des charmes,
Et que mes maux étaient mes biens.

Si tu veux m'égarer dans l'amour que j'inspire,
Si tu ne veux changer ton ivresse en remords,
Arrache donc mon âme à ses premiers transports,
À ce tourment aimé que rien ne peut décrire.
Me sera-t-il payé, même par le bonheur ?
Pour le goûter jamais mon âme est trop sensible ;
Je la donne au plaisir; une pente invincible
La ramène vers la douleur.
Comme un rêve mélancolique,
Le souvenir de mes amours
Trouble mes nuits, voile mes jours.
II est éteint ce feu, ce charme unique,
Éteint par toi, cruelle. En vain à mes genoux
Tu promets d'enchaîner un amant plus aimable,
Ce cœur blessé, dont l'amour est jaloux,
Donne encore un regret, un soupir au coupable.

Qu'il m'était cher ! que je l'aimais !
Que par un doux empire il m'avait asservie !
Ah ! Je devais l'aimer toute ma vie,
Ou ne le voir jamais !
Que méchamment il m'a trompée !
Se peut-il que son âme en fût préoccupée,
Quand je donnais à son bonheur
Tous les battements de mon cœur !
Dieu ! comment se peut-il qu'une bouche si tendre
Par un charme imposteur égare la vertu ?
Si ce n'est dans l'amour, où pouvait-il le prendre,
Quand il disait : « Je t'aime ; m'aimes-tu ? »
Ô fatale inconstance ! ô tourment de mon âme !
Qu'as-tu fait de la sienne, et qu'as-tu fait de moi ?
Non, ce n'est pas l'Amour, ce n'est pas lui, c'est toi
Qui de nos jours heureux as désuni la flamme.
Je ne pouvais le croire : un triste étonnement
Au cœur le plus sensible ôtait le sentiment.
Mes pleurs se desséchaient à leur source brûlante,
Mon sang ne coulait plus ; j'étais pâle, mourante ;
Mes yeux désenchantés repoussaient l'avenir :
Tout semblait m'échapper, tout, jusqu'au souvenir.

Mais il revient, rien ne l'efface ;
La douleur en fuyant laisse encore une trace.
Si tu m'as vue un jour me troubler à ta voix,
C'est que tu l'imitais, cet accent que j'adore.
Oui, cet accent me trouble encore,
Et mon cœur fut créé pour n'aimer qu'une fois.
Dans la paix triste et profonde
Où me plongeait ce séjour,
J'ignorais qu'au bruit du monde
On peut oublier l'amour :
Quelle est donc cette voix importune et cruelle
Qui déjà me détrompe avec un ris moqueur ?
Comme une flèche aiguë elle siffle autour d'elle,
Et le trait qu'elle porte a déchiré mon cœur.

Au bord de ma tombe ignorée,
Ciel ! par cette langue acérée,
Faut-il qu'un nom trop cher puisse m'atteindre encor,
Pour m'apprendre ( nouvelle affreuse ! )
Que j'étais seule malheureuse,
Et qu'on m'oublie avant ma mort !

Du plus sincère amour quel châtiment terrible !
Je n'étais pas aimée ! ... ô confidence horrible !
Il a parlé longtemps. Mes yeux, gonflés de pleurs,
Se détournaient en vain de ses lèvres légères,
Dont le souffle éteignait mes erreurs les plus chères,
Et dont le rire affreux outrageait mes malheurs.
Lui n'a vu mon effroi ni ma pâleur extrême ;
L'indiscret n'a point d'âme, il ne devine rien ;
Du bruit de sa parole il s'étourdit lui-même,
Il s'écoute, il s'admire, il se répond : c'est bien !
**** de moi... Mais sa voix ! elle me frappe encore ;
Son timbre me poursuit, et partout il m'attend :
Sait-il que je me meurs ? Sait-il que je l'abhorre ?
Il révèle un secret, il parle, il est content.

Ah ! j'aurais dû crier : c'est moi... je l'aime... arrête !
Par ton Dieu, par ta mère et tes premiers amours,
Dis qu'il n'est point parjure ; oh ! dis-le ! je suis prête
À t'entendre, à tout croire, à t'écouter toujours.
Mais non, il n'a pas vu ma main, faible et glacée,
Rassembler mes cheveux pour voiler mon affront ;
Il n'a pas vu la mort, par lui-même tracée,
Sous le bandeau de fleurs qui tremblaient sur mon front.
Aveugle ! il n'a pas vu se fermer et s'éteindre
Mon œil longtemps fermé !
Quand j'ai dit : Se peut-il ! ... ma voix n'a pu l'atteindre ;
Il n'a donc pas aimé ?

Peut-être qu'en naissant il a perdu sa mère,
Qu'il n'a jamais connu le baiser d'une sœur,
Et qu'à ses premiers cris, une dure étrangère
N'a jamais d'une sourire accordé la douceur.

Fuis, dépositaire infidèle
Des secrets imprudents confiés à ta foi !
Va ! qui trompe une amante au moins a pitié d'elle :
Tu trahis un méchant, mais il l'est moins que toi.
Sa pudeur, ses remords prenaient soin de ma vie ;
Lui-même il frémira du mal que tu me fais :
Il laissait l'espérance à mon âme asservie,
Il se taisait enfin ; et moi... que je le hais !

Pour tromper tant d'amour qu'il s'imposa de peine !
Quelle humiliante pitié !
Mais toi, toi qui pour lui m'inspires tant de haine,
Ah ! prends-en la moitié !
Qu'elle attache à mes pleurs une longue puissance ;
Qu'elle effraie à ton nom l'imprudente innocence ;
Que ton cœur s'intimide à mes cris douloureux ;
Qu'il devienne sensible, et qu'il soit malheureux !
Oui, puisses-tu brûler, et languir, et déplaire
Au jeune et froid objet qui sauva t'enflammer ;
Ou plutôt... tremble au vœu qu'inventé ma colère ,
Puisses-tu longtemps vivre, et ne jamais aimer !
Beau fantôme de l'innocence,
Vêtu de fleurs,
Toi qui gardes sous ta puissance
Une âme en pleurs !

Ô toi qui devanças nos hontes
Et nos revers,
Es-tu si grand que tu surmontes
Tout l'univers !

Le reste, comme la poussière,
S'est envolé,
Devant le feu de ma paupière
Tout s'est voilé,

Tout s'est enfui, flamme et fumée,
Tout est au vent ;
Toi seul sur mon âme enfermée
Planes souvent.

Pour courir à ta voix qui crie :
« Éternité ! »
Pour monter à Dieu que je prie,
J'ai tout jeté.

La nuit, pour chasser un mensonge
Qui me fait peur,
Ta main, plus forte que le songe,
Étreint mon coeur.

Quelle absence est assez profonde
Pour te braver,
Quand ton regard perce le monde
Pour nous trouver ?

De mon âme ont jailli des âmes
Dignes de toi :
Au milieu de ces pures flammes,
Ressaisis-moi !

Beau fantôme de l'innocence
Vêtu de fleurs,
Oh ! Garde bien en ta puissance
Notre âme en pleurs.
Qu'est-ce donc qui me trouble, et qu'est-ce que j'attends ?
Je suis triste à la ville, et m'ennuie au village ;
Les plaisirs de mon âge
Ne peuvent me sauver de la longueur du temps.

Autrefois l'amitié, les charmes de l'étude
Remplissaient sans effort mes paisibles loisirs.
Oh ! quel est donc l'objet de mes vagues désirs ?
Je l'ignore, et le cherche avec inquiétude.
Si pour moi le bonheur n'était pas la gaîté,
Je ne le trouve plus dans ma mélancolie ;
Mais, si je crains les pleurs autant que la folie,
Où trouver la félicité ?

Et vous qui me rendiez heureuse,
Avez-vous résolu de me fuir sans retour ?
Répondez, ma raison ; incertaine et trompeuse,
M'abandonnerez-vous au pouvoir de l'Amour ? ...
Hélas ! voilà le nom que je tremblais d'entendre.
Mais l'effroi qu'il inspire est un effroi si doux !
Raison, vous n'avez plus de secret à m'apprendre,
Et ce nom, je le sens, m'en a dit plus que vous.
Je ne veux pas dormir. Ô ma chère insomnie !
Quel sommeil aurait ta douceur ?
L'ivresse qu'il accorde est souvent une erreur,
Et la tienne est réelle, ineffable, infinie.
Quel calme ajouterait au calme que je sens ?
Quel repos plus profond guérirait ma blessure ?
Je n'ose pas dormir ; non, ma joie est trop pure ;
Un rêve en distrairait mes sens.

Il me rappellerait peut-être cet orage
Dont tu sais enchanter jusques au souvenir ;
Il me rendrait l'effroi d'un douteux avenir,
Et je dois à ma veille une si douce image !
Un bienfait de l'Amour a changé mon destin :
Oh ! qu'il m'a révélé de touchantes nouvelles !
Son message est rempli ; je n'entends plus ses ailes :
J'entends encor : demain, demain !

Berce mon âme en son absence,
Douce insomnie, et que l'Amour
Demain me trouve, à son retour,
Riante comme l'espérance.
Pour éclairer l'écrit qu'il laissa sur mon cœur,
Sur ce cœur qui tressaille encore,
Ma lampe a ranimé sa propice lueur,
Et ne s'éteindra qu'à l'aurore.

Laisse à mes yeux ravis briller la vérité ;
Écarte le sommeil, défends-moi de tout songe :
Il m'aime, il m'aime encore ! Ô Dieu ! pour quel mensonge
Voudrais-je me soustraire à la réalité ?
Quoi ! ce n'est plus pour lui, ce n'est plus pour l'attendre,
Que je vois arriver ces jours longs et brûlants ?
Ce n'est plus son amour que je cherche à pas lents ?
Ce n'est plus cette voix si puissante, si tendre,
Qui m'implore dans l'ombre, ou que je crois entendre ?
Ce n'est plus rien ? Où donc est tout ce que j'aimais ?
Que le monde est désert ! n'y laissa-t-il personne ?
Le temps s'arrête et dort : jamais l'heure ne sonne.
Toujours vivre, toujours ! on ne meurt donc jamais ?
Est-ce l'éternité qui pèse sur mon âme ?
Interminable nuit, que tu couvres de flamme !
Comme l'oiseau du soir qu'on n'entend plus gémir,
Auprès des feux éteints que ne puis-je dormir !
Car ce n'est plus pour lui qu'en silence éveillée
La muse qui me plaint, assise sur des fleurs,
M'attire dans les bois, sous l'humide feuillée,
Et répand sur mes vers des parfums et des pleurs.
Il ne lit plus mes chants, il croit mon âme éteinte ;
Jamais son cœur guéri n'a soupçonné ma plainte ;
Il n'a pas deviné ce qu'il m'a fait souffrir.
Qu'importe qu'il l'apprenne ? il ne peut me guérir.
J'épargne à son orgueil la volupté cruelle
De juger dans mes pleurs l'excès de mon amour.
Que devrais-je à mes cris ? Sa frayeur ? son retour ?
Sa pitié ? . . . C'est la mort que je veux avant elle.
Tout est détruit : lui-même, il n'est plus le bonheur :
Il brisa son image en déchirant mon cœur.
Me rapporterait-il ma douce imprévoyance,
Et le prisme charmant de l'inexpérience ?
L'amour en s'envolant ne me l'a pas rendu :
Ce qu'on donne à l'amour est à jamais perdu.
Oh ! que la nuit est lente !

De sa lueur tremblante,

Elle attriste l'amour.

J'entends gronder l'orage ;

Il trouble mon courage.

Ne reverront-ils pas le jour

Mes yeux voilés de pleurs d'amour ?


Délire où je me plonge,

Fuyez, jaloux mensonge ;

Pourquoi m'offrir en songe

La douleur dans l'amour ?

Ô moitié de mon âme,

Tes yeux, remplis de flamme,

Reviendront-ils, avec le jour,

Tarir enfin mes pleurs d'amour !


Mais la tardive aurore

Ne brille pas encore,

Et les yeux que j'adore

Sont fermés à l'amour.

L'orage en feu tourmente

Et la nuit et l'amante :

Ô toi, pour qui j'attends le jour,

Me paieras-tu mes pleurs d'amour ?
Je reviens à vos pieds, Marie,

Me sauver du malheur d'aimer :

L'oraison qui m'avait guérie

Ne vaut plus rien pour me calmer.


J'avais oublié de la dire

Le soir qu'Olivier me parla :

Triste, il parle comme on soupire,

Et cette plainte me troubla.


J'en grondai mon âme étonnée :

Vierge des pleurs, vous savez bien

Que je fus trop infortunée

Pour renouer un doux lien !


Et quand cette voix douloureuse

Murmure et se plaint de son sort,

Il faut que je sois bien peureuse

Pour n'oser dire : Parle encor !


Je viens donc essayer d'apprendre

Un secret, vous en avez tant !

Pour qu'il ne puisse me surprendre,

Et qu'il devienne heureux pourtant !


Mais si je dois être guérie,

Sans qu'il y trouve le bonheur,

Il n'est pas d'oraison, Marie,

Que je puisse apprendre par cœur !
Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plume choisie, et blanc ! et fait pour moi !
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi !

Beaucoup, beaucoup d'enfants pauvres et nus, sans mère,
Sans maison, n'ont jamais d'oreiller pour dormir ;
Ils ont toujours sommeil. Ô destinée amère !
Maman ! douce maman ! cela me fait gémir.

Et quand j'ai prié Dieu pour tous ces petits anges
Qui n'ont pas d'oreiller, moi j'embrasse le mien.
Seule, dans mon doux nid qu'à tes pieds tu m'arranges,
Je te bénis, ma mère, et je touche le tien !

Je ne m'éveillerai qu'à la lueur première
De l'aube ; au rideau bleu c'est si *** de la voir !
Je vais dire tout bas ma plus tendre prière :
Donne encore un baiser, douce maman ! Bonsoir !
Aux petits des oiseaux il donne la pâture,
Et sa bonté s'étend sur toute la nature.
Athalie.


Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plume choisie, et blanc ! et fait pour moi !
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi !

Beaucoup, beaucoup d'enfants pauvres et nus, sans mère,
Sans maison, n'ont jamais d'oreiller pour dormir ;
Ils ont toujours sommeil. Ô destinée amère !
Maman ! douce maman ! cela me fait gémir.

Et quand j'ai prié Dieu pour tous ces petits anges
Qui n'ont pas d'oreiller, moi, j'embrasse le mien.
Seule, dans mon doux nid qu'à tes pieds tu m'arranges,
Je te bénis, ma mère, et je touche le tien.

Je ne m'éveillerai qu'à la lueur première
De l'aube ; au rideau bleu c'est si *** de la voir !
Je vais dire tout bas ma plus tendre prière :
Donne encore un baiser, douce maman ! Bonsoir !

PRIÈRE.

Dieu des enfants ! le cœur d'une petite fille,
Plein de prière (écoute !), est ici sous mes mains
On me parle toujours d'orphelins sans famille :
Dans l'avenir, mon Dieu, ne fais plus d'orphelins !

Laisse descendre au soir un ange qui pardonne,
Pour répondre à des voix que l'on entend gémir.
Mets, sous l'enfant perdu que la mère abandonne,
Un petit oreiller qui le fera dormir !
Ma demeure est haute,
Donnant sur les cieux ;
La lune en est l'hôte,
Pâle et sérieux :
En bas que l'on sonne,
Qu'importe aujourd'hui
Ce n'est plus personne,
Quand ce n'est plus lui !

Aux autres cachée,
Je brode mes fleurs ;
Sans être fâchée,
Mon âme est en pleurs ;
Le ciel bleu sans voiles,
Je le vois d'ici ;
Je vois les étoiles
Mais l'orage aussi !

Vis-à-vis la mienne
Une chaise attend :
Elle fut la sienne,
La nôtre un instant ;
D'un ruban signée,
Cette chaise est là,
Toute résignée,
Comme me voilà !
C'est beau la vie
Belle par toi,
De toi suivie,
Toi devant moi !
C'est beau, ma fille,
Ce coin d'azur,
Qui rit et brille,
Sous ton front pur !

C'est beau ton âge,
D'ange et d'enfant,
Voile ou nuage
Qui te défend
Des folles âmes
Qui font souffrir ;
Des tristes flammes
Qui font mourir.

Dieu fit tes charmes ;
Dieu veut ton cœur ;
Tes jours sans larmes,
Tes nuits sans peur ;
Mon jeune lierre,
Monte après moi !
Dans ta prière
Enferme-toi ;

C'est beau, petite,
L'humble chemin
Où je ne quitte
Jamais ta main :
Car dans l'espace,
Aux prosternés
Une voix passe,
Qui dit : « Venez ! »

Tout mal sommeille
Pour ta candeur ;
Tu n'as d'oreille
Que dans ton cœur :
Quel temps ? quelle beure ?
Tu n'en sais rien :
Mais que je pleure,
Tu l'entends bien !
Ah ! ce n'est pas aimer que prendre sur soi-même
De pouvoir vivre ainsi **** de l'objet qu'on aime.
André Chénier.


Malheur à moi ! je ne sais plus lui plaire ;
Je ne suis plus le charme de ses yeux ;
Ma voix n'a plus l'accent qui vient des cieux,
Pour attendrir sa jalouse colère ;
Il ne vient plus, saisi d'un vague effroi,
Me demander des serments ou des larmes.
Il veille en paix, il s'endort sans alarmes :
Malheur à moi !

Las de bonheur, sans trembler pour ma vie,
Insoucieux, il parle de sa mort !
De ma tristesse il n'a plus le remord,
Et je n'ai pas tous les biens qu'il envie !
Hier, sur mon sein, sans accuser ma foi,
Sans les frayeurs que j'ai tant pardonnées,
Il vit des fleurs qu'il n'avait pas données :
Malheur à moi !

Distrait d'aimer, sans écouter mon père,
Il l'entendit me parler d'avenir ;
Je n'en ai plus, s'il n'y veut pas venir.
Par lui je crois, sans lui je désespère ;
Sans lui, mon Dieu ! comment vivrai-je en toi ?
Je n'ai qu'une âme, et c'est par lui qu'elle aime ;
Et lui, mon Dieu, si ce n'est pas toi-même,
Malheur à moi !
J'ai rencontré sur la terre où je passe
Plus d'un abîme où je tombais, seigneur !
Lors, d'un long cri j'appelais dans l'espace
Mon Dieu, mon père, ou quelque ange sauveur.

Doux et penché sur l'abîme funeste,
Un envoyé du tribunal céleste
Venait toujours, fidèle à votre loi :
Qu'il soit béni ! Mon Dieu, payez pour moi.

J'ai rencontré sur la terre où je pleure
Des yeux mouillés de prière et d'espoir :
À leurs regards souvent j'oubliais l'heure ;
Dans ces yeux-là, mon Dieu, j'ai cru vous voir.

Le ciel s'y meut comme dans vos étoiles,
C'est votre livre entr'ouvert et sans voiles,
Ils m'ont appris la charité, la foi.
Qu'ai-je rendu ? Mon Dieu, payez pour moi.

J'ai rencontré sur la terre où je chante
Des coeurs vibrants, juges harmonieux
Muse cachée et qui de peu s'enchante,
Ecoutant bien pour faire chanter mieux.

Divine aumône, adorable indulgence,
Trésor tombé dans ma fière indigence,
Suffrage libre, ambition de roi,
Vous êtes Dieu ! Mon Dieu ! Payez pour moi.

J'ai rencontré jour par jour sur la terre
Des malheureux le troupeau grossissant ;
J'ai vu languir dans son coin solitaire,
Comme un ramier, l'orphelin pâlissant ;

J'ai regardé ces frères de mon âme,
Puis, j'ai caché mes yeux avec effroi ;
Mon coeur nageait dans les pleurs et la flamme :
Regardez-les, mon Dieu ! Donnez pour moi.
À Mademoiselle Louise Crombach.

Vous le saurez ! La vie a des abîmes
Cachés au **** sous d'innombrables fleurs ;
Les rossignols qui chantent à leurs cimes,
Où chantent-ils dans la saison des pleurs ?
Vous le saurez ! La vie a des abîmes
Cachés au **** sous d'innombrables fleurs.

Oui, la jeunesse est le pays des larmes.
Moi, je le sais : j'en viens, je pleure encor,
Le front vibrant de ses feux, de ses charmes,
Le coeur brisé de son dernier accord !
Oui, la jeunesse est le pays des larmes.
Moi je le sais : j'en viens, je pleure encor !

Lorsqu'on finit d'être jeune, on s'arrête :
À tant de jours on veut reprendre un jour ;
Ils sont partis, et l'on penche sa tête.
D'un tel voyage à quand donc le retour ?
Lorsqu'on finit d'être jeune, on s'arrête :
À tant de jours on veut reprendre un jour.

Souffrant tout bas de ses mille blessures,
On croit mourir : on plie, on ne meurt pas !
De tous serpents Dieu guérit les morsures,
Et le dictame est semé sous nos pas.
Souffrant tout bas de ses mille blessures,
On croit mourir : on plie, on ne meurt pas !

Rappelez-vous ce chant d'une glaneuse
Qui s'arrêta pour serrer votre main ;
Et si du sort l'étoile lumineuse
Vous mûrit mieux les épis du chemin,
Rappelez-vous ce chant d'une glaneuse
Qui s'arrêta pour serrer votre main.
Qu'attend-il sur la route

Ce guerrier voyageur ?

L'idole de son cœur,

C'est la gloire, sans doute ?

Mais à Notre-Dame d'Amour

Il priait l'autre jour.


Bien que l'on dût m'attendre,

J'ai ralenti mes pas ;

Mais il priait trop bas ;

Dieu seul pouvait l'entendre.

Ah ! si Notre-Dame d'Amour

Voulait parler un jour !


Ne sait-il de victoire

Qu'en suivant son drapeau ?

Que sert-il d'être beau

Pour n'aimer que la gloire ?

Est-ce bien là, Dame d'Amour,

Son vœu de l'autre jour ?


Un charme m'environne...

Vous qui priez pour nous,

Pourquoi sur vos genoux

Posa-t-il ma couronne ?

Faudra-t-il pas, Dame d'Amour,

Qu'il me la rende un jour ?
Désirer sans espoir,

Regarder sans rien voir,

Se nourrir de ses larmes,

S'en reprocher les charmes,

S'écrier à vingt ans :

« Que j'ai souffert longtemps ! »

Perdre jusqu'à l'envie

De poursuivre la vie :

On me l'a dit un jour,

C'est le vrai mal d'amour.


Dans ses songes secrets,

Revoir les mêmes traits ;

Craindre la ressemblance

Qu'on appelle en silence ;

En frémissant d'aimer,

Apprendre à l'exprimer ;

Pleurer qu'un si doux songe

Soit toujours un mensonge :

On me l'a dit un jour,

C'est le vrai mal d'amour.


S'arracher aux accents,

Que l'on écoute absents ;

Mais, en fuyant l'orage,

Détester son courage ;

Trembler de se guérir,

Le promettre... et mourir ;

Voilà ce qu'on ignore,

Quand on espère encore :

On me l'a dit un jour,

C'est le vrai mal d'amour.
Pour aller en Galice
Expier mes amours,
Demain, sous un cilice,
J'éteindrai mes beaux jours.

Ma fidèle servante,
Ceignez-moi mon manteau ;
Sa couleur représente
La cendre du tombeau.

Adieu ma chevelure,
Tes nœuds sont trop pesants ;
Je rends à la nature
D'inutiles présents.

La joie évanouie
Laisse comme un remord ;
Et, seule dans ma vie,
Je suis triste à la mort.

Ma patronne m'appelle ;
Et, lasse de souffrir,
Je m'en vais auprès d'elle
Achever de mourir.

Sous mes pieds nus, sans doute,
Le chemin sera dur :
Et je vois sur ma route
La demeure d'Arthur.

Penché sur sa fenêtre,
Dira-t-il : « Elle a froid ? »
Et, sans me reconnaître,
Priera-t-il Dieu pour moi ?

À mon pèlerinage,
Dieu, prêtez votre appui ;
Et placez un nuage
Entre mon âme et lui !
Ah ! Si j'étais le cher petit enfant
Qu'on aime bien, mais qui pleure souvent,
*** comme un charme,
Sans une larme,
J'écouterais chanter l'heure et le vent...
(Je dis cela pour le petit enfant).

Si je logeais dans ce mouvant berceau,
Pour mériter qu'on m'apporte un cerceau,
Je serais sage
Comme une image,
Et je ferais moins de bruit qu'un oiseau...
(Je dis cela pour l'enfant du berceau).

Ah ! Si j'étais le blanc nourrisson,
Pour qui je fais cette belle chanson,
Tranquille à l'ombre,
Comme au bois sombre,
Je rêverais que j'entends le pinson...
(Je dis cela pour le blanc nourrisson).

Ah ! si j'étais l'ami des blancs poussins
Dormant entre eux, doux et vivants coussins
Sans que je pleure,
J'irais sur l'heure
Faire chorus avec ces petits saints...
(Je dis cela pour l'ami des poussins).

Si le cheval demandait à nous voir,
Riant d'aller nager à l'abreuvoir,
Fermant le gîte,
Je crierais vite :
« Demain l'enfant pourra vous recevoir !... »
(Je dis cela pour l'enfant qu'il vient voir).

Si j'entendais les loups hurler dehors
Bien défendu par les grands et les forts,
Fier comme un homme
Qui fait un somme,
Je répondrais : « Passez, Messieurs, je dors !... »
(Je dis cela pour les loups du dehors).

On n'entendit plus rien dans la maison,
Ni le rouet, ni l'égale chanson ;
La mère ardente,
Fine et prudente,
Fit l'endormie auprès de la cloison,
Et suspendit tout bruit dans la maison.
Mon saint amour ! Mon cher devoir !
Si Dieu m'accordait de te voir,
Ton logis fût-il pauvre et noir,
Trop tendre pour être peureuse,
Emportant ma chaîne amoureuse,
Sais-tu bien qui serait heureuse ?

C'est moi. Pardonnant aux méchants,
Vois-tu ! Les mille oiseaux des champs
N'auraient mes ailes ni mes chants !
Pour te rapprendre le bonheur,
Sans guide, sans haine, sans peur,
J'irais m'abattre sur ton coeur,
Ou mourir de joie à ta porte.
Ah ! Si vers toi Dieu me remporte,
Vivre ou mourir pour toi, qu'importe ?

Mais non ! Rendue à ton amour,
Vois-tu ! Je ne perdrais le jour
Qu'après l'étreinte du retour.
C'est un rêve ! Il en faut ainsi
Pour traverser un long souci.
C'est mon coeur qui bat : le voici,
Il monte à toi comme une flamme !
Partage ce rêve, ô mon âme !
C'est une prière de femme,
C'est mon souffle en ce triste lieu,
C'est le ciel depuis notre adieu :
Prends ! Car c'est ma croyance en Dieu !
Dieu ! créez à sa vie un objet plein de charmes,
Une voix qui réponde aux secrets de sa voix !
Donnez-lui du bonheur, Dieu ! donnez-lui des larmes ;
Du bonheur de le voir j'ai pleuré tant de fois !

J'ai pleuré : mais ma voix se tait devant la sienne ;
Mais tout ce qu'il m'apprend, lui seul l'ignorera ;
Il ne dira jamais : « Soyons heureux, sois mienne ! »
L'aimera-t-elle assez, celle qui l'entendra ?

Celle à qui sa présence ira porter la vie,
Qui sentira son cœur l'atteindre et la chercher,
Qui ne fuira jamais, bien qu'à jamais suivie,
Et dont l'ombre à la sienne osera s'attacher ?

Ils ne feront qu'un seul ! et ces ombres heureuses
Dans les clartés du soir se confondront toujours ;
Ils ne sentiront pas d'entraves douloureuses
Désenchaîner leurs nuits, désenchanter leurs jours !

Qu'il la trouve demain ! Qu'il m'oublie et l'adore !
Demain : à mon courage il reste peu d'instants.
Pour une autre aujourd'hui je peux prier encore ;
Mais . . . Dieu ! vous savez tout : vous savez s'il est temps !
Next page