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(Extrait.)

Le plus saint des devoirs, celui qu'en traits de flamme
La nature a gravé dans le fond de notre âme,
C'est de chérir l'objet ni nous donna le jour.
Qu'il est doux a remplir ce précepte d'amour !

Voyez ce faible enfant que le trépas menace ;
II ne sent plus ses maux quand sa mère l'embrasse ;
Dans l'âge des erreurs, ce jeune homme fougueux
N'a qu'elle pour ami, dès qu'il est malheureux ;

Ce vieillard qui va perdre un reste de lumière,
Retrouve encore des pleurs en parlant de sa mère.
Bienfait du Créateur, qui daigna nous choisir
Pour première vertu notre plus doux plaisir !

Il fit plus, il voulut qu'une amitié si pure
Fût un bien de l'amour, comme de la nature,
Et que les noeuds d'*****, en doublant nos parents,
Vinssent multiplier nos plus chers sentiments.
Contraint de renoncer à la chevalerie,
Don Quichotte voulut, pour se dédommager,
Mener une plus douce vie,
Et choisit l'état de berger.
Le voilà donc qui prend panetière et houlette,
Le petit chapeau rond garni d'un ruban vert
Sous le menton faisant rosette.
Jugez de la grâce et de l'air
De ce nouveau Tircis ! Sur sa rauque musette
Il s'essaie à charmer l'écho de ces cantons,
Achète au boucher deux moutons,
Prend un roquet galeux, et, dans cet équipage,
Par l'hiver le plus froid qu'on eût vu de longtemps,
Dispersant son troupeau sur les rives du Tage,
Au milieu de la neige il chante le printemps.
Point de mal jusques là : chacun à sa manière
Est libre d'avoir du plaisir.
Mais il vint à passer une grosse vachère ;
Et le pasteur, pressé d'un amoureux désir,
Court et tombe à ses pieds : ô belle Timarette,
Dit-il, toi que l'on voit parmi tes jeunes sœurs
Comme le lis parmi les fleurs,
Cher et cruel objet de ma flamme secrète,
Abandonne un moment le soin de tes agneaux ;
Viens voir un nid de tourtereaux
Que j'ai découvert sur ce chêne.
Je veux te les donner : hélas ! C'est tout mon bien.
Ils sont blancs : leur couleur, Timarette, est la tienne ;
Mais, par malheur pour moi, leur cœur n'est pas le tien.
À ce discours, la Timarette,
Dont le vrai nom était Fanchon,
Ouvre une large bouche, et, d'un œil fixe et bête,
Contemple le vieux Céladon,
Quand un valet de ferme, amoureux de la belle,
Paraissant tout-à-coup, tombe à coups de bâton
Sur le berger tendre et fidèle,
Et vous l'étend sur le gazon.
Don Quichotte criait : arrête,
Pasteur ignorant et brutal ;
Ne sais-tu pas nos lois ? Le cœur de Timarette
Doit devenir le prix d'un combat pastoral :
Chante, et ne frappe pas. Vainement il l'implore ;
L'autre frappait toujours, et frapperait encore,
Si l'on n'était venu secourir le berger
Et l'arracher à sa furie.
Ainsi guérir d'une folie,
Bien souvent ce n'est qu'en changer.
C'est assez, suspendons ma lyre,
Terminons ici mes travaux :
Sur nos vices, sur nos défauts,
J'aurais encor beaucoup à dire ;
Mais un autre le dira mieux.
Malgré ses efforts plus heureux,
L'orgueil, l'intérêt, la folie,
Troubleront toujours l'univers ;
Vainement la philosophie
Reproche à l'homme ses travers,
Elle y perd sa prose et ses vers.
Laissons, laissons aller le monde
Comme il lui plaît, comme il l'entend ;
Vivons caché, libre et content,
Dans une retraite profonde.
Là, que faut-il pour le bonheur ?
La paix, la douce paix du cœur,
Le désir vrai qu'on nous oublie,
Le travail qui sait éloigner
Tous les fléaux de notre vie,
Assez de bien pour en donner,
Et pas assez pour faire envie.
Lorsque le fils d'Alcmène, après ses longs travaux,
Fut reçu dans le ciel, tous les dieux s'empressèrent
De venir au devant de ce fameux héros.
Mars, Minerve, Vénus, tendrement l'embrassèrent.
Junon même lui fit un accueil assez doux.
Hercule transporté les remerciait tous,
Quand Plutus, qui voulait être aussi de la fête,
Vient d'un air insolent lui présenter la main.
Le héros irrité passe en tournant la tête.
Mon fils, lui dit alors Jupin,
Que t'a donc fait ce dieu ? D'où vient que la colère,
À son aspect, trouble tes sens ?
- C'est que je le connais, mon père,
Et presque toujours sur la terre
Je l'ai vu l'ami des méchants.
Mon fils, disait un jour Jupiter à Minos,
Toi qui juges la race humaine,
Explique-moi pourquoi l'enfer suffit à peine
Aux nombreux criminels que t'envoie Atropos.
Quel est de la vertu le fatal adversaire
Qui corrompt à ce point la faible humanité ?
C'est, je crois, l'intérêt. - L'intérêt ? Non, mon père.
- Et qu'est-ce donc ? - l'oisiveté.
Minos, ne pouvant plus suffire
Au fatigant métier d'entendre et de juger
Chaque ombre descendue au ténébreux empire,
Imagina, pour abréger,
De faire faire une balance
Où dans l'un des bassins il mettait à la fois
Cinq ou six morts, dans l'autre un certain poids
Qui déterminait la sentence.
Si le poids s'élevait, alors plus à loisir
Minos examinait l'affaire ;
Si le poids baissait au contraire,
Sans scrupule il faisait punir.
La méthode était sûre, expéditive et claire ;
Minos s'en trouvait bien. Un jour, en même temps,
Au bord du Styx la mort rassemble
Deux rois, un grand ministre, un héros, trois savants.
Minos les fait peser ensemble.
Le poids s'élève, il en met deux,
Et puis trois, c'est en vain ; quatre ne font pas mieux.
Minos, un peu surpris, ôte de la balance
Ces inutiles poids, cherche un autre moyen ;
Et, près de là voyant un pauvre homme de bien
Qui dans un coin obscur attendait en silence,
Il le met seul en contrepoids :
Les six ombres alors s'élèvent à la fois.
La brebis et le chien, de tous les temps amis,
Se racontaient un jour leur vie infortunée.
Ah ! Disait la brebis, je pleure et je frémis
Quand je songe aux malheurs de notre destinée.
Toi, l'esclave de l'homme, adorant des ingrats,
Toujours soumis, tendre et fidèle,
Tu reçois, pour prix de ton zèle,
Des coups et souvent le trépas.
Moi, qui tous les ans les habille,
Qui leur donne du lait, et qui fume leurs champs,
Je vois chaque matin quelqu'un de ma famille
Assassiné par ces méchants.
Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
Victimes de ces inhumains,
Travailler pour eux seuls, et mourir par leurs mains,
Voilà notre destin funeste !
Il est vrai, dit le chien : mais crois-tu plus heureux
Les auteurs de notre misère ?
Va, ma soeur, il vaut encor mieux
Souffrir le mal que de le faire.
Prenez garde, mes fils, côtoyez moins le bord,
Suivez le fond de la rivière ;
Craignez la ligne meurtrière,
Ou l'épervier plus dangereux encor.
C'est ainsi que parlait une carpe de Seine
A de jeunes poissons qui l'écoutaient à peine.
C'était au mois d'avril : les neiges, les glaçons,
Fondus par les zéphyrs, descendaient des montagnes.
Le fleuve, enflé par eux, s'élève à gros bouillons,
Et déborde dans les campagnes.
Ah ! ah ! criaient les carpillons,
Qu'en dis-tu, carpe radoteuse ?
Crains-tu pour nous les hameçons ?
Nous voilà citoyens de la mer orageuse ;
Regarde : on ne voit plus que les eaux et le ciel,
Les arbres sont cachés sous l'onde,
Nous sommes les maîtres du monde,
C'est le déluge universel.
Ne croyez pas cela, répond la vieille mère ;
Pour que l'eau se retire il ne faut qu'un instant :
Ne vous éloignez point, et, de peur d'accident,
Suivez, suivez toujours le fond de la rivière.
Bah ! disent les poissons, tu répètes toujours
Mêmes discours.
Adieu, nous allons voir notre nouveau domaine.
Parlant ainsi, nos étourdis
Sortent tous du lit de la Seine,
Et s'en vont dans les eaux qui couvrent le pays.
Qu'arriva-t-il ? Les eaux se retirèrent,
Et les carpillons demeurèrent ;
Bientôt ils furent pris,
Et frits.
Pourquoi quittaient-ils la rivière ?
Pourquoi ? je le sais trop, hélas !
C'est qu'on se croit toujours plus sage que sa mère
C'est qu'on veut sortir de sa sphère,
C'est, que... c'est que... je ne finirai pas.
Un jour, causant entre eux, différents animaux
Louaient beaucoup le ver à soie.
Quel talent, disaient-ils, cet insecte déploie
En composant ces fils si doux, si fins, si beaux,
Qui de l'homme font la richesse !
Tous vantaient son travail, exaltaient son adresse.
Une chenille seule y trouvait des défauts,
Aux animaux surpris en faisait la critique,
Disait des mais, et puis des si.
Un renard s'écria : messieurs, cela s'explique ;
C'est que madame file aussi.
Une colombe gémissait
De ne pouvoir devenir mère :
Elle avait fait cent fois tout ce qu'il fallait faire
Pour en venir à bout, rien ne réussissait.
Un jour, se promenant dans un bois solitaire,
Elle rencontre en un vieux nid
Un œuf abandonné, point trop gros, point petit,
Semblable aux œufs de tourterelle.
Ah ! Quel bonheur ! S'écria-t-elle :
Je pourrai donc enfin couver,
Et puis nourrir, puis élever
Un enfant qui fera le charme de ma vie !
Tous les soins qu'il me coûtera,
Les tourments qu'il me causera,
Seront encor des biens pour mon âme ravie :
Quel plaisir vaut ces soucis-là ?
Cela dit, dans le nid la colombe établie
Se met à couver l'œuf, et le couve si bien,
Qu'elle ne le quitte pour rien,
Pas même pour manger : l'amour nourrit les mères.
Après vingt et un jours elle voit naître enfin
Celui dont elle attend son bonheur, son destin,
Et ses délices les plus chères.
De joie elle est prête à mourir ;
Auprès de son petit nuit et jour elle veille,
L'écoute respirer, le regarde dormir,
S'épuise pour le mieux nourrir.
L'enfant chéri vient à merveille,
Son corps grossit en peu de temps :
Mais son bec, ses yeux et ses ailes,
Différent fort des tourterelles ;
La mère les voit ressemblants.
À bien élever sa jeunesse
Elle met tous ses soins, lui prêche la sagesse,
Et surtout l'amitié, lui dit à chaque instant :
Pour être heureux, mon cher enfant,
Il ne faut que deux points, la paix avec soi-même,
Puis quelques bons amis dignes de nous chérir.
La vertu de la paix nous fait seule jouir ;
Et le secret pour qu'on nous aime,
C'est d'aimer les premiers, facile et doux plaisir.
Ainsi parlait la tourterelle,
Quand, au milieu de sa leçon,
Un malheureux petit pinson
Échappé de son nid vient s'abattre auprès d'elle.
Le jeune nourrisson à peine l'aperçoit,
Qu'il court à lui : sa mère croit
Que c'est pour le traiter comme ami, comme frère,
Et pour offrir au voyageur
Une retraite hospitalière.
Elle applaudit déjà : mais quelle est sa douleur,
Lorsqu'elle voit son fils, ce fils dont la jeunesse
N'entendit que leçons de vertu, de sagesse,
Saisir le faible oiseau, le plumer, le manger,
Et garder au milieu de l'horrible carnage
Ce tranquille sang froid, assuré témoignage
Que le cœur désormais ne peut se corriger !
Elle en mourut, la pauvre mère.
Quel triste prix des soins donnés à cet enfant !
Mais c'était le fils d'un milan :
Rien ne change le caractère.
Chloé, jeune, jolie, et surtout fort coquette,
Tous les matins, en se levant,
Se mettait au travail, j'entends à sa toilette ;
Et là, souriant, minaudant,
Elle disait à son cher confident
Les peines, les plaisirs, les projets de son âme.
Une abeille étourdie arrive en bourdonnant.
Au secours ! Au secours ! Crie aussitôt la dame :
Venez, Lise, Marton, accourez promptement ;
Chassez ce monstre ailé. Le monstre insolemment
Aux lèvres de Chloé se pose.
Chloé s'évanouit, et Marton en fureur
Saisit l'abeille et se dispose
A l'écraser. Hélas ! Lui dit avec douceur
L'insecte malheureux, pardonnez mon erreur ;
La bouche de Chloé me semblait une rose,
Et j'ai cru... ce seul mot à Chloé rend ses sens.
Faisons grâce, dit-elle, à son aveu sincère :
D'ailleurs sa piqûre est légère ;
Depuis qu'elle te parle, à peine je la sens.
Que ne fait-on passer avec un peu d'encens !
La vérité, toute nue,
Sortit un jour de son puits.
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits ;
Jeune et vieux fuyaient à sa vue.
La pauvre vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
A ses yeux vient se présenter
La fable, richement vêtue,
Portant plumes et diamants,
La plupart faux, mais très brillants.
Eh ! Vous voilà ! Bon jour, dit-elle :
Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La vérité répond : vous le voyez, je gèle ;
Aux passants je demande en vain
De me donner une retraite,
Je leur fais peur à tous : hélas ! Je le vois bien,
Vieille femme n'obtient plus rien.
Vous êtes pourtant ma cadette,
Dit la fable, et, sans vanité,
Partout je suis fort bien reçue :
Mais aussi, dame vérité,
Pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n'est pas adroit : tenez, arrangeons-nous ;
Qu'un même intérêt nous rassemble :
Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
Chez le sage, à cause de vous,
Je ne serai point rebutée ;
A cause de moi, chez les fous
Vous ne serez point maltraitée :
Servant, par ce moyen, chacun selon son goût,
Grâce à votre raison, et grâce à ma folie,
Vous verrez, ma soeur, que partout
Nous passerons de compagnie.
Une fauvette dont la voix
Enchantait les échos par sa douceur extrême
Espéra surpasser le rossignol lui-même,
Et lui fit un défi. L'on choisit dans le bois
Un lieu propre au combat. Les juges se placèrent :
C'étaient le linot, le serin,
Le rouge-gorge et le tarin.
Tous les autres oiseaux derrière eux se perchèrent.
Deux vieux chardonnerets et deux jeunes pinsons
Furent gardes du camp, le merle était trompette.
Il donne le signal : aussitôt la fauvette
Fait entendre les plus doux sons ;
Avec adresse elle varie
De ses accents filés la touchante harmonie,
Et ravit tous les cœurs par ses tendres chansons.
L'assemblée applaudit. Bientôt on fait silence :
Alors le rossignol commence.
Trois accords purs, égaux, brillants,
Que termine une juste et parfaite cadence,
Sont le prélude de ses chants ;
Ensuite son gosier flexible,
Parcourant sans effort tous les tons de sa voix,
Tantôt vif et pressé, tantôt lent et sensible,
Étonne et ravit à la fois.
Les juges cependant demeuraient en balance.
Le linot, le serin, de la fauvette amis,
Ne voulaient point donner de prix :
Les autres disputaient. L'assemblée en silence
Écoutait leurs doctes avis,
Lorsqu'un geai s'écria : victoire à la fauvette !
Ce mot décida sa défaite :
Pour le rossignol aussitôt
L'aréopage ailé tout d'une voix s'explique.
Ainsi le suffrage d'un sot
Fait plus de mal que sa critique.
Une jeune guenon cueillit
Une noix dans sa coque verte ;
Elle y porte la dent, fait la grimace... ah ! Certes,
Dit-elle, ma mère mentit
Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.
Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit !
Elle jette la noix. Un singe la ramasse,
Vite entre deux cailloux la casse,
L'épluche, la mange, et lui dit :
Votre mère eut raison, ma mie :
Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.
Souvenez-vous que, dans la vie,
Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.
Dans le calice d'une fleur
La guêpe un jour voyant l'abeille,
S'approche en l'appelant sa sœur.
Ce nom sonne mal à l'oreille
De l'insecte plein de fierté,
Qui lui répond : nous sœurs ! Ma mie,
Depuis quand cette parenté ?
Mais c'est depuis toute la vie,
Lui dit la guêpe avec courroux :
Considérez-moi, je vous prie :
J'ai des ailes tout comme vous,
Même taille, même corsage ;
Et, s'il vous en faut davantage,
Nos dards sont aussi ressemblants.
Il est vrai, répliqua l'abeille,
Nous avons une arme pareille,
Mais pour des emplois différents.
La vôtre sert votre insolence,
La mienne repousse l'offense ;
Vous provoquez, je me défends.
Une poulette jeune et sans expérience,
En trottant, cloquetant, grattant,
Se trouva, je ne sais comment,
Fort **** du poulailler, berceau de son enfance.
Elle s'en aperçut qu'il était déjà ****.
Comme elle y retournait, voici qu'un vieux renard
A ses yeux troublés se présente.
La pauvre poulette tremblante
Recommanda son âme à Dieu.
Mais le renard, s'approchant d'elle,
Lui dit : hélas ! Mademoiselle,
Votre frayeur m'étonne peu ;
C'est la faute de mes confrères,
Gens de sac et de corde, infâmes ravisseurs,
Dont les appétits sanguinaires
Ont rempli la terre d'horreurs.
Je ne puis les changer, mais du moins je travaille
A préserver par mes conseils
L'innocente et faible volaille
Des attentats de mes pareils.
Je ne me trouve heureux qu'en me rendant utile ;
Et j'allais de ce pas jusques dans votre asile
Pour avertir vos soeurs qu'il court un mauvais bruit,
C'est qu'un certain renard méchant autant qu'habile
Doit vous attaquer cette nuit.
Je viens veiller pour vous. La crédule innocente
Vers le poulailler le conduit :
A peine est-il dans ce réduit,
Qu'il tue, étrangle, égorge, et sa griffe sanglante
Entasse les mourants sur la terre étendus,
Comme fit Diomède au quartier de Rhésus.
Il croqua tout, grandes, petites,
Coqs, poulets et chapons ; tout périt sous ses dents.
La pire espèce de méchants
Est celle des vieux hypocrites.
À Madame De La Briche.

Vous, de qui les attraits, la modeste douceur,
Savent tout obtenir et n'osent rien prétendre,
Vous que l'on ne peut voir sans devenir plus tendre,
Et qu'on ne peut aimer sans devenir meilleur,
Je vous respecte trop pour parler de vos charmes,
De vos talents, de votre esprit...
Vous aviez déjà peur ; bannissez vos alarmes,
C'est de vos vertus qu' il s'agit.
Je veux peindre en mes vers des mères le modèle,
Le sarigue, animal peu connu parmi nous,
Mais dont les soins touchants et doux,
Dont la tendresse maternelle,
Seront de quelque prix pour vous.
Le fond du conte est véritable :
Buffon m'en est garant ; qui pourrait en douter ?
D'ailleurs tout dans ce genre a droit d'être croyable,
Lorsque c'est devant vous qu'on peut le raconter.

Maman, disait un jour à la plus tendre mère
Un enfant péruvien sur ses genoux assis,
Quel est cet animal qui, dans cette bruyère,
Se promène avec ses petits ?
Il ressemble au renard. Mon fils, répondit-elle,
Du sarigue c'est la femelle ;
Nulle mère pour ses enfants
N'eut jamais plus d'amour, plus de soins vigilants.
La nature a voulu seconder sa tendresse,
Et lui fit près de l'estomac
Une poche profonde, une espèce de sac,
Où ses petits, quand un danger les presse,
Vont mettre à couvert leur faiblesse.
Fais du bruit, tu verras ce qu' ils vont devenir.
L'enfant frappe des mains ; la sarigue attentive
Se dresse, et, d'une voix plaintive,
Jette un cri ; les petits aussitôt d'accourir,
Et de s'élancer vers la mère,
En cherchant dans son sein leur retraite ordinaire.
La poche s'ouvre, les petits
En un moment y sont blottis,
Ils disparaissent tous ; la mère avec vitesse
S'enfuit emportant sa richesse.
La péruvienne alors dit à l'enfant surpris :
Si jamais le sort t'est contraire,
Souviens-toi du sarigue, imite-le, mon fils :
L'asile le plus sûr est le sein d'une mère.
La mort, reine du monde, assembla certain jour,
Dans les enfers, toute sa cour.
Elle voulait choisir un bon premier ministre
Qui rendît ses états encore plus florissants.
Pour remplir cet emploi sinistre,
Du fond du noir Tartare avancent à pas lents
La fièvre, la goutte et la guerre.
C'étaient trois sujets excellents ;
Tout l'enfer et toute la terre
Rendaient justice à leurs talents.
La mort leur fit accueil. La peste vint ensuite.
On ne pouvait nier qu'elle n'eût du mérite,
Nul n'osait lui rien disputer ;
Lorsque d'un médecin arriva la visite,
Et l'on ne sut alors qui devait l'emporter.
La mort même était en balance :
Mais, les vices étant venus,
Dès ce moment la mort n'hésita plus,
Elle choisit l'intempérance.
Quand la belle Vénus, sortant du sein des mers,
Promena ses regards sur la plaine profonde,
Elle se crut d'abord seule dans l'univers ;
Mais près d'elle aussitôt l'amour naquit de l'onde.
Vénus lui fit un signe, il embrassa Vénus ;
Et, se reconnaissant sans s'être jamais vus,
Tous deux sur un dauphin voguèrent vers la plage.
Comme ils approchaient du rivage,
L'amour, qu'elle portait, s'échappe de ses bras,
Et lance plusieurs traits en criant : terre ! Terre !
Que faites-vous, mon fils ? Lui dit alors sa mère.
Maman, répondit-il, j'entre dans mes états.
Les sots sont un peuple nombreux,
Trouvant toutes choses faciles :
Il faut le leur passer, souvent ils sont heureux ;
Grand motif de se croire habiles.
Un âne, en broutant ses chardons,
Regardait un pasteur jouant, sous le feuillage,
D'une flûte dont les doux sons
Attiraient et charmaient les bergers du bocage.
Cet âne mécontent disait : ce monde est fou !
Les voilà tous, bouche béante,
Admirant un grand sot qui sue et se tourmente
À souffler dans un petit trou.
C'est par de tels efforts qu'on parvient à leur plaire,
Tandis que moi... suffit... allons-nous-en d'ici,
Car je me sens trop en colère.
Notre âne, en raisonnant ainsi,
Avance quelques pas, lorsque sur la fougère
Une flûte oubliée en ces champêtres lieux
Par quelque pasteur amoureux
Se trouve sous ses pieds. Notre âne se redresse,
Sur elle de côté fixe ses deux gros yeux ;
Une oreille en avant, lentement il se baisse,
Applique son naseau sur le pauvre instrument,
Et souffle tant qu'il peut. ô hasard incroyable !
Il en sort un son agréable.
L'âne se croit un grand talent,
Et tout joyeux s'écrie en faisant la culbute :
Eh ! Je joue aussi de la flûte !
Une colombe avait son nid
Tout auprès du nid d'une pie.
Cela s'appelle voir mauvaise compagnie,
D'accord ; mais de ce point pour l'heure il ne s'agit.
Au logis de la tourterelle
Ce n'était qu'amour et bonheur ;
Dans l'autre nid toujours querelle,
Oeufs cassés, tapage et rumeur.
Lorsque par son époux la pie était battue,
Chez sa voisine elle venait,
Là jasait, criait, se plaignait,
Et faisait la longue *****
Des défauts de son cher époux :
Il est fier, exigeant, dur, emporté, jaloux ;
De plus, je sais fort bien qu'il va voir des corneilles ;
Et cent autres choses pareilles
Qu'elle disait dans son courroux.
Mais vous, répond la tourterelle,
Êtes-vous sans défauts ? Non, j'en ai, lui dit-elle ;
Je vous le confie entre nous :
En conduite, en propos, je suis assez légère,
Coquette comme on l'est, par fois un peu colère,
Et me plaisant souvent à le faire enrager :
Mais qu'est-ce que cela ? - C'est beaucoup trop, ma chère :
Commencez par vous corriger ;
Votre humeur peut l'aigrir... qu'appelez-vous, ma mie ?
Interrompt aussitôt la pie :
Moi de l'humeur ! Comment ! Je vous conte mes maux,
Et vous m'injuriez ! Je vous trouve plaisante :
Adieu, petite impertinente ;
Mêlez-vous de vos tourtereaux.
Nous convenons de nos défauts ;
Mais c'est pour que l'on nous démente.
C'en est fait, je quitte le monde ;
Je veux fuir pour jamais le spectacle odieux
Des crimes, des horreurs, dont sont blessés mes yeux.
Dans une retraite profonde,
**** des vices, **** des abus,
Je passerai mes jours doucement à maudire
Les méchants de moi trop connus.
Seule ici bas j'ai des vertus :
Aussi pour ennemi j'ai tout ce qui respire,
Tout l'univers m'en veut ; homme, enfants, animaux,
Jusqu'au plus petit des oiseaux,
Tous sont occupés de me nuire.
Eh ! Qu'ai-je fait pourtant ? ... que du bien. Les ingrats !
Ils me regretteront, mais après mon trépas.
Ainsi se lamentait certaine sauterelle,
Hypocondre et n'estimant qu'elle.
Où prenez-vous cela, ma sœur ?
Lui dit une de ses compagnes :
Quoi ! Vous ne pouvez pas vivre dans ces campagnes
En broutant de ces prés la douce et tendre fleur,
Sans vous embarrasser des affaires du monde ?
Je sais qu'en travers il abonde :
Il fut ainsi toujours, et toujours il sera ;
Ce que vous en direz grand'chose n'y fera.
D'ailleurs où vit-on mieux ? Quant à votre colère
Contre ces ennemis qui n'en veulent qu'à vous,
Je pense, ma sœur, entre nous,
Que c'est peut-être une chimère,
Et que l'orgueil souvent donne ces visions.
Dédaignant de répondre à ces sottes raisons,
La sauterelle part, et sort de la prairie
Sa patrie.
Elle sauta deux jours pour faire deux cents pas.
Alors elle se croit au bout de l'hémisphère,
Chez un peuple inconnu, dans de nouveaux états ;
Elle admire ces beaux climats,
Salue avec respect cette rive étrangère.
Près de là, des épis nombreux
Sur de longs chalumeaux, à six pieds de la terre,
Ondoyants et pressés se balançaient entre eux.
Ah que voilà bien mon affaire !
Dit-elle avec transport : dans ces sombres taillis
Je trouverai sans doute un désert solitaire ;
C'est un asile sûr contre mes ennemis.
La voilà dans le bled. Mais, dès l'aube suivante,
Voici venir les moissonneurs.
Leur troupe nombreuse et bruyante
S'étend en demi-cercle, et, parmi les clameurs,
Les ris, les chants des jeunes filles,
Les épis entassés tombent sous les faucilles,
La terre se découvre, et les bleds abattus
Laissent voir les sillons tout nus.
Pour le coup, s'écriait la triste sauterelle,
Voilà qui prouve bien la haine universelle
Qui partout me poursuit : à peine en ce pays
A-t-on su que j'étais, qu'un peuple d'ennemis
S'en vient pour chercher sa victime.
Dans la fureur qui les anime,
Employant contre moi les plus affreux moyens,
De peur que je n'échappe ils ravagent leurs biens :
Ils y mettraient le feu, s'il était nécessaire.
Eh ! Messieurs, me voilà, dit-elle en se montrant ;
Finissez un travail si grand,
Je me livre à votre colère.
Un moissonneur, dans ce moment,
Par hasard la distingue ; il se baisse, la prend,
Et dit, en la jetant dans une herbe fleurie :
Va manger, ma petite amie.
Chacun de nous souvent connaît bien ses défauts ;
En convenir, c'est autre chose :
On aime mieux souffrir de véritables maux,
Que d'avouer qu'ils en sont cause.
Je me souviens, à ce sujet,
D'avoir été témoin d'un fait
Fort étonnant et difficile à croire :
Mais je l'ai vu ; voici l'histoire.

Près d'un bois, le soir, à l'écart,
Dans une superbe prairie,
Des lapins s'amusaient, sur l'herbette fleurie,
A jouer au colin-maillard.
Des lapins ! direz-vous, la chose est impossible.
Rien n'est plus vrai pourtant : une feuille flexible
Sur les yeux de l'un d'eux en bandeau s'appliquait,
Et puis sous le cou se nouait :
Un instant en faisait l'affaire.
Celui que ce ruban privait de la lumière
Se plaçait au milieu ; les autres alentour
Sautaient, dansaient, faisaient merveilles,
S'éloignaient, venaient tour à tour
Tirer sa queue ou ses oreilles.
Le pauvre aveugle alors, se retournant soudain,
Sans craindre *** au noir, jette au hasard la patte :
Mais la troupe échappe à la hâte,
Il ne prend que du vent, il se tourmente en vain,
Il y sera jusqu'à demain.
Une taupe assez étourdie,
Qui sous terre entendit ce bruit,
Sort aussitôt de son réduit,
Et se mêle dans la partie.
Vous jugez que, n'y voyant pas,
Elle fut prise au premier pas.
Messieurs, dit un lapin, ce serait conscience,
Et la justice veut qu'à notre pauvre sœur
Nous fassions un peu de faveur ;
Elle est sans yeux et sans défense ;
Ainsi je suis d'avis... - Non, répond avec feu
La taupe, je suis prise, et prise de bon jeu ;
Mettez-moi le bandeau. - Très volontiers, ma chère ;
Le voici : mais je crois qu'il n'est pas nécessaire
Que nous serrions le nœud bien fort.
- Pardonnez-moi, monsieur, reprit-elle en colère,
Serrez bien, car j'y vois... Serrez, j'y vois encore.
Une fauvette jeune et belle
S'amusait à chanter tant que durait le jour ;
Sa voisine la tourterelle
Ne voulait, ne savait rien faire que l'amour.
Je plains bien votre erreur, dit-elle à la fauvette ;
Vous perdez vos plus beaux moments :
Il n'est qu'un seul plaisir, c'est d'avoir des amants.
Dites-moi, s'il vous plaît, quelle est la chansonnette
Qui peut valoir un doux baiser.
Je me garderais bien d'oser
Les comparer, répondit la chanteuse :
Mais je ne suis point malheureuse,
J'ai mis mon bonheur dans mes chants.
À ce discours, la tourterelle
En se moquant s'éloigna d'elle.
Sans se revoir elles furent dix ans.
Après ce long espace, un beau jour de printemps,
Dans la même forêt elles se rencontrèrent.
L'âge avait bien un peu dérangé leurs attraits ;
Longtemps elles se regardèrent
Avant que de pouvoir se remettre leurs traits.
Enfin la fauvette polie
S'avance la première : eh ! Bon jour, mon amie,
Comment vous portez-vous ? Comment vont les amants ?
- Ah ! Ne m'en parlez pas, ma chère :
J'ai tout perdu, plaisirs, amis, beaux ans ;
Tout a passé comme une ombre légère.
J'ai cru que le bonheur était d'aimer, de plaire...
Ô souvenir cruel ! ô regrets superflus !
J'aime encore, on ne m'aime plus.
J'ai moins perdu que vous, répondit la chanteuse :
Cependant je suis vieille et je n'ai plus de voix ;
Mais j'aime la musique, et suis encore heureuse
Lorsque le rossignol fait retentir ces bois.
La beauté, ce présent céleste,
Ne peut sans les talents échapper à l'ennui :
La beauté passe, un talent reste,
On en jouit même en autrui.
Un auteur se plaignait que ses meilleurs écrits
Etaient rongés par les souris.
Il avait beau changer d'armoire,
Avoir tous les pièges à rats
Et de bons chats,
Rien n'y faisait : prose, vers, drame, histoire,
Tout était entamé ; les maudites souris
Ne respectaient pas plus un héros et sa gloire,
Ou le récit d'une victoire,
Qu'un petit bouquet à Chloris.
Notre homme au désespoir, et, l'on peut bien m'en croire,
Pour y mettre un auteur peu de chose suffit,
Jette un peu d'arsenic au fond de l'écritoire ;
Puis, dans sa colère, il écrit.
Comme il le prévoyait, les souris grignotèrent,
Et crevèrent.
C'est bien fait, direz-vous ; cet auteur eut raison.
Je suis **** de le croire : il n'est point de volume
Qu'on n'ait mordu, mauvais ou bon ;
Et l'on déshonore sa plume
En la trempant dans du poison.
Par je ne sais quelle aventure,
Un avare, un beau jour, voulant se bien traiter,
Au marché courut acheter
Des pommes pour sa nourriture.
Dans son armoire il les porta,
Les compta, rangea, recompta,
Ferma les doubles tours de sa double serrure,
Et chaque jour les visita.
Ce malheureux, dans sa folie,
Les bonnes pommes ménageait ;
Mais lorsqu'il en trouvait quelqu'une de pourrie,
En soupirant il la mangeait.
Son fils, jeune écolier, faisant fort maigre chère,
Découvrit à la fin les pommes de son père.
Il attrape les clefs, et va dans ce réduit,
Suivi de deux amis d'excellent appétit.
Or vous pouvez juger le dégât qu'ils y firent,
Et combien de pommes périrent.
L'avare arrive en ce moment,
De douleur, d'effroi palpitant.
Mes pommes ! Criait-il : coquins, il faut les rendre,
Ou je vais tous vous faire pendre.
Mon père, dit le fils, calmez-vous, s'il vous plaît ;
Nous sommes d'honnêtes personnes :
Et quel tort vous avons-nous fait ?
Nous n'avons mangé que les bonnes.
Aidons-nous mutuellement,
La charge des malheurs en sera plus légère ;
Le bien que l'on fait à son frère
Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.
Confucius l'a dit ; suivons tous sa doctrine.
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contait le trait suivant.

Dans une ville de l'Asie
Il existait deux malheureux,
L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux.
Ils demandaient au Ciel de terminer leur vie ;
Mais leurs cris étaient superflus,
Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint : il en souffrait bien plus.
L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,
Etait sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l'aimer et pour le conduire.
Un certain jour, il arriva
Que l'aveugle à tâtons, au détour d'une rue,
Près du malade se trouva ;
Il entendit ses cris, son âme en fut émue.
Il n'est tel que les malheureux
Pour se plaindre les uns les autres.
" J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres :
Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.
- Hélas ! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas ;
Vous-même vous n'y voyez pas :
A quoi nous servirait d'unir notre misère ?
- A quoi ? répond l'aveugle ; écoutez. A nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire :
J'ai des jambes, et vous des yeux.
Moi, je vais vous porter ; vous, vous serez mon guide :
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés ;
Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. "
La vipère disait un jour à la sangsue :
Que notre sort est différent !
On vous cherche, on me fuit, si l'on peut on me tue ;
Et vous, aussitôt qu'on vous prend,
**** de craindre votre blessure,
L'homme vous donne de son sang
Une ample et bonne nourriture :
Cependant vous et moi faisons même piqûre.
La citoyenne de l'étang
Répond : oh que nenni, ma chère ;
La vôtre fait du mal, la mienne est salutaire.
Par moi plus d'un malade obtient sa guérison,
Par vous tout homme sain trouve une mort cruelle.
Entre nous deux, je crois, la différence est belle :
Je suis remède, et vous poison.

Cette fable aisément s'explique :
C'est la satire et la critique.
À M. l'abbé Delille.

Ô toi, dont la touchante et sublime harmonie
Charme toujours l'oreille en attachant le cœur,
Digne rival, souvent vainqueur,
Du chantre fameux d'Ausonie,
Delille, ne crains rien, sur mes légers pipeaux
Je ne viens point ici célébrer tes travaux,
Ni dans de faibles vers parler de poésie.
Je sais que l'immortalité
Qui t'est déjà promise au temple de mémoire
T'est moins chère que ta gaîté ;
Je sais que, méritant tes succès sans y croire,
Content par caractère et non par vanité,
Tu te fais pardonner ta gloire
À force d'amabilité :
C'est ton secret, aussi je finis ce prologue.
Mais du moins lis mon apologue ;
Et si quelque envieux, quelque esprit de travers,
Outrageant un jour tes beaux vers,
Te donne assez d'humeur pour t'empêcher d'écrire,
Je te demande alors de vouloir le relire.
Dans une belle nuit du charmant mois de mai,
Un berger contemplait, du haut d'une colline,
La lune promenant sa lumière argentine
Au milieu d'un ciel pur d'étoiles parsemé ;
Le tilleul odorant, le lilas, l'aubépine,
Au gré du doux zéphyr balançant leurs rameaux,
Et les ruisseaux dans les prairies
Brisant sur des rives fleuries
Le cristal de leurs claires eaux.
Un rossignol, dans le bocage,
Mêlait ses doux accents à ce calme enchanteur ;
L'écho les répétait, et notre heureux pasteur,
Transporté de plaisir, écoutait son ramage.
Mais tout-à-coup l'oiseau finit ses tendres sons.
En vain le berger le supplie
De continuer ses chansons.
Non, dit le rossignol, c'en est fait pour la vie ;
Je ne troublerai plus ces paisibles forêts.
N'entends-tu pas dans ce marais
Mille grenouilles coassantes
Qui par des cris affreux insultent à mes chants ?
Je cède, et reconnais que mes faibles accents
Ne peuvent l'emporter sur leurs voix glapissantes.
Ami, dit le berger, tu vas combler leurs vœux ;
Te taire est le moyen qu'on les écoute mieux :
Je ne les entends plus aussitôt que tu chantes.
Un bœuf, un baudet, un cheval,
Se disputaient la préséance.
Un baudet ! direz-vous, tant d'orgueil lui sied mal.
A qui l'orgueil sied-il ? et qui de nous ne pense
Valoir ceux que le rang, les talents, la naissance,
Elèvent au-dessus de nous ?
Le bœuf, d'un ton modeste et doux,
Alléguait ses nombreux services,
Sa force, sa docilité ;
Le coursier, sa valeur, ses nobles exercices ;
Et l'âne son utilité.
Prenons, dit le cheval, les hommes pour arbitres :
En voici venir trois ; exposons-leur nos titres.
Si deux sont d'un avis, le procès est jugé.
Les trois hommes venus, notre bœuf est chargé
D'être le rapporteur ; il explique l'affaire,
Et demande le jugement.
Un des juges choisis, maquignon bas-normand,
Crie aussitôt : La chose est claire,
Le cheval a gagné. Non pas, mon cher confrère,
Dit le second jugeur ; c'était un gros meunier ;
L'âne doit marcher le premier :
Tout autre avis serait d'une injustice extrême.
Oh ! que nenni, dit le troisième,
Fermier de sa paroisse et riche laboureur,
Au bœuf appartient cet honneur.
Quoi ! reprend le coursier, écumant de colère,
Votre avis n'est dicté que par votre intérêt ?
Eh mais ! dit le Normand, par quoi donc, s'il vous plaît ?
N'est-ce pas le code ordinaire ?
Un bonhomme de mes parents,
Que j'ai connu dans mon jeune âge,
Se faisait adorer de tout son voisinage ;
Consulté, vénéré des petits et des grands,
Il vivait dans sa terre en véritable sage.
Il n'avait pas beaucoup d'écus,
Mais cependant assez pour vivre dans l'aisance ;
En revanche force vertus,
Du sens, de l'esprit par-dessus,
Et cette aménité que donne l'innocence.
Quand un pauvre venait le voir,
S'il avait de l'argent, il donnait des pistoles ;
Et s'in n'en avait point, du moins par ses paroles
Il lui rendait un peu de courage et d'espoir.
Il raccommodait les familles,
Corrigeait doucement les jeunes étourdis,
Riait avec les jeunes filles,
Et leur trouvait de bons maris.
Indulgent aux défauts des autres,
Il répétait souvent : n'avons-nous pas les nôtres ?
Ceux-ci sont nés boiteux, ceux-là sont nés bossus,
L'un un peu moins, l'autre un peu plus :
La nature de cent manières
Voulut nous affliger : marchons ensemble en paix ;
Le chemin est assez mauvais
Sans nous jeter encor des pierres.
Or il arriva certain jour
Que notre bon vieillard trouva dans une tour
Un trésor caché sous la terre.
D'abord il n'y voit qu'un moyen
De pouvoir faire plus de bien ;
Il le prend, l'emporte et le serre.
Puis, en réfléchissant, le voilà qui se dit :
Cet or que j 'ai trouvé ferait plus de profit
Si j'en augmentais mon domaine ;
J'aurais plus de vassaux, je serais plus puissant.
Je peux mieux faire encor : dans la ville prochaine
Achetons une charge, et soyons président.
Président ! Cela vaut la peine.
Je n'ai pas fait mon droit ; mais, avec mon argent,
On m'en dispensera, puisque cela s'achète.
Tandis qu'il rêve et qu'il projette,
Sa servante vient l'avertir
Que les jeunes gens du village
Dans la cour du château sont à se divertir.
Le dimanche, c'était l'usage,
Le seigneur se plaisait à danser avec eux.
Oh ! Ma foi, répond-il, j'ai bien d'autres affaires ;
Que l'on danse sans moi. L'esprit plein de chimères,
Il s'enferme tout seul pour se tourmenter mieux.
Ensuite il va joindre à sa somme
Un petit sac d'argent, reste du mois dernier.
Dans l'instant arrive un pauvre homme
Qui tout en pleurs vient le prier
De vouloir lui prêter vingt écus pour sa taille :
Le collecteur, dit-il, va me mettre en prison,
Et n'a laissé dans ma maison
Que six enfants sur de la paille.
Notre nouveau Crésus lui répond durement
Qu'il n'est point en argent comptant.
Le pauvre malheureux le regarde, soupire,
Et s'en retourne sans mot dire.
Mais il n'était pas ****, que notre bon seigneur
Retrouve tout-à-coup son cœur ;
Il court au paysan, l'embrasse,
De cent écus lui fait don,
Et lui demande encor pardon.
Ensuite il fait crier que sur la grande place
Le village assemblé se rende dans l'instant.
On obéit : notre bonhomme
Arrive avec toute sa somme,
En un seul monceau la répand.
Mes amis, leur dit-il, vous voyez cet argent :
Depuis qu'il m'appartient, je ne suis plus le même,
Mon âme est endurcie et la voix du malheur
N'arrive plus jusqu'à mon cœur.
Mes enfants, sauvez-moi de ce péril extrême ;
Prenez et partagez ce dangereux métal ;
Emportez votre part chacun dans votre asile ;
Entre tous divisé, cet or peut être utile ;
Réuni chez un seul, il ne fait que du mal.
Soyons contents du nécessaire
Sans jamais souhaiter de trésors superflus :
Il faut les redouter autant que la misère,
Comme elle ils chassent les vertus.
Un bouvreuil, un corbeau, chacun dans une cage,
Habitaient le même logis.
L'un enchantait par son ramage
La femme, le mari, les gens, tout le ménage :
L'autre les fatiguait sans cesse de ses cris ;
Il demandait du pain, du rôti, du fromage,
Qu'on se pressait de lui porter,
Afin qu'il voulût bien se taire.
Le timide bouvreuil ne faisait que chanter,
Et ne demandait rien : aussi, pour l'ordinaire,
On l'oubliait ; le pauvre oiseau
Manquait souvent de grain et d'eau.
Ceux qui louaient le plus de son chant l'harmonie
N'auraient pas fait le moindre pas
Pour voir si l'auge était remplie.
Ils l'aimaient bien pourtant, mais ils n'y pensaient pas.
Un jour on le trouva mort de faim dans sa cage.
Ah ! Quel malheur ! Dit-on : las ! Il chantait si bien !
De quoi donc est-il mort ? Certes, c'est grand dommage !
Le corbeau crie encore et ne manque de rien.
Autrefois dans Bagdad le calife Almamon
Fit bâtir un palais plus beau, plus magnifique,
Que ne le fut jamais celui de Salomon.
Cent colonnes d'albâtre en formaient le portique ;
L'or, le jaspe, l'azur, décoraient le parvis ;
Dans les appartements embellis de sculpture,
Sous des lambris de cèdre, on voyait réunis
Et les trésors du luxe et ceux de la nature,
Les fleurs, les diamants, les parfums, la verdure,
Les myrtes odorants, les chefs-d'œuvres de l'art,
Et les fontaines jaillissantes
Roulant leurs ondes bondissantes
A côté des lits de brocard.
Près de ce beau palais, juste devant l'entrée,
Une étroite chaumière, antique et délabrée,
D'un pauvre tisserand était l'humble réduit.
Là, content du petit produit
D'un grand travail, sans dette et sans soucis pénibles,
Le bon vieillard, libre, oublié,
Coulait des jours doux et paisibles,
Point envieux, point envié.
J'ai déjà dit que sa retraite
Masquait le devant du palais.
Le vizir veut d'abord, sans forme de procès,
Qu'on abatte la maisonnette ;
Mais le calife veut que d'abord on l'achète.
Il fallut obéir : on va chez l'ouvrier,
On lui porte de l'or. Non, gardez votre somme,
Répond doucement le pauvre homme ;
Je n'ai besoin de rien avec mon atelier :
Et, quant à ma maison, je ne puis m'en défaire ;
C'est là que je suis né, c'est là qu'est mort mon père ;
Je prétends y mourir aussi.
Le calife, s'il veut, peut me chasser d'ici ;
Il peut détruire ma chaumière :
Mais, s'il le fait, il me verra
Venir, chaque matin, sur la dernière pierre
M'asseoir et pleurer ma misère :
Je connais Almamon, son cœur en gémira.
Cet insolent discours excita la colère
Du vizir, qui voulait punir ce téméraire,
Et sur-le-champ raser sa chétive maison.
Mais le calife lui dit : Non,
J'ordonne qu'à mes frais elle soit réparée ;
Ma gloire tient à sa durée :
Je veux que nos neveux, en la considérant,
Y trouvent de mon règne un monument auguste :
En voyant le palais, ils diront : Il fut grand ;
En voyant la chaumière, ils diront : Il fut juste.
Sur le pont-neuf, entouré de badauds,
Un charlatan criait à pleine tête :
Venez, messieurs, accourez faire emplette
Du grand remède à tous les maux :
C'est une poudre admirable
Qui donne de l'esprit aux sots,
De l'honneur aux fripons, l'innocence aux coupables,
Aux vieilles femmes des amants,
Au vieillard amoureux une jeune maîtresse,
Aux fous le prix de la sagesse,
Et la science aux ignorants.
Avec ma poudre, il n'est rien dans la vie
Dont bientôt on ne vienne à bout ;
Par elle on obtient tout, on sait tout, on fait tout ;
C'est la grande encyclopédie.
Vite je m'approchai pour voir ce beau trésor...
C'était un peu de poudre d'or.
Un bon mari, sa femme et deux jolis enfants
Coulaient en paix leurs jours dans le simple ermitage
Où, paisibles comme eux, vécurent leurs parents.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
Cultivaient leur jardin, recueillaient leurs moissons ;
Et le soir, dans l'été, soupant sous le feuillage,
Dans l'hiver, devant leurs tisons,
Ils prêchaient à leurs fils la vertu, la sagesse,
Leur parlaient du bonheur qu'ils procurent toujours.
Le père par un conte égayait ses discours,
La mère par une caresse.
L'aîné de ces enfants, né grave, studieux,
Lisait et méditait sans cesse ;
Le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautait, riait toujours, ne se plaisait qu'aux jeux.
Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,
Assis près d'une table où s'appuyait la mère,
L'aîné lisait Rollin ; le cadet, peu soigneux
D'apprendre les hauts faits des Romains ou des Parthes,
Employait tout son art, toutes ses facultés,
A joindre, à soutenir par les quatre côtés
Un fragile château de cartes.
Il n'en respirait pas d'attention, de peur.
Tout à coup voici le lecteur
Qui s'interrompt. " Papa, dit-il, daigne m'instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérants,
Et d'autres fondateurs d'empire ;
Ces deux noms sont-ils différents ? "
Le père méditait une réponse sage,
Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d'avoir pu parvenir
A placer son second étage,
S'écrie : " Il est fini ! " Son frère, murmurant,
Se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage ;
Et voilà le cadet pleurant.
" Mon fils, répond alors le père,
Le fondateur c'est votre frère,
Et vous êtes le conquérant. "
Un chat sauvage et grand chasseur
S'établit, pour faire bombance,
Dans le parc d'un jeune seigneur
Où lapins et perdrix étaient en abondance.
Là, ce nouveau Nembrod, la nuit comme le jour,
A la course, à l'affût également habile,
Poursuivait, attendait, immolait tour-à-tour
Et quadrupède et volatile.
Les gardes épiaient l'insolent braconnier ;
Mais, dans le fort du bois caché près d'un terrier,
Le drôle trompait leur adresse.
Cependant il craignait d'être pris à la fin,
Et se plaignait que la vieillesse
Lui rendît l'oeil moins sûr, moins fin.
Ce penser lui causait souvent de la tristesse ;
Lorsqu'un jour il rencontre un petit tuyau noir
Garni par ses deux bouts de deux glaces bien nettes :
C'était une de ces lunettes
Faites pour l'opéra, que par hasard, un soir,
Le maître avait perdue en ce lieu solitaire.
Le chat d'abord la considère,
La touche de sa griffe, et de l'extrémité
La fait à petits coups rouler sur le côté,
Court après, s'en saisit, l'agite, la remue,
Etonné que rien n'en sortît.
Il s'avise à la fin d'appliquer à sa vue
Le verre d'un des bouts, c'était le plus petit.
Alors il aperçoit sous la verte coudrette
Un lapin que ses yeux tout seuls ne voyaient pas.
Ah ! Quel trésor ! Dit-il en serrant sa lunette,
Et courant au lapin qu'il croit à quatre pas.
Mais il entend du bruit ; il reprend sa machine,
S'en sert par l'autre bout, et voit dans le lointain
Le garde qui vers lui chemine.
Pressé par la peur, par la faim,
Il reste un moment incertain,
Hésite, réfléchit, puis de nouveau regarde :
Mais toujours le gros bout lui montre **** le garde,
Et le petit tout près lui fait voir le lapin.
Croyant avoir le temps, il va manger la bête ;
Le garde est à vingt pas qui vous l'ajuste au front,
Lui met deux balles dans la tête,
Et de sa peau fait un manchon.

Chacun de nous a sa lunette,
Qu'il retourne suivant l'objet ;
On voit là-bas ce qui déplaît,
On voit ici ce qu'on souhaite.
Philosophes hardis, qui passez votre vie
A vouloir expliquer ce qu'on n'explique pas,
Daignez écouter, je vous prie,
Ce trait du plus sage des chats.
Sur une table de toilette
Ce chat aperçût un miroir ;
Il y saute, regarde, et d'abord pense voir
Un de ses frères qui le guette.
Notre chat veut le joindre, il se trouve arrêté.
Surpris, il juge alors la glace transparente,
Et passe de l'autre côté,
Ne trouve rien, revient, et le chat se présente.
Il réfléchit un peu : de peur que l'animal,
Tandis qu'il fait le tour, ne sorte,
Sur le haut du miroir il se met à cheval,
Deux pattes par ici, deux par là ; de la sorte
Partout il pourra le saisir.
Alors, croyant bien le tenir,
Doucement vers la glace il incline la tête,
Aperçoit une oreille, et puis deux... à l'instant,
A droite, à gauche il va jetant
Sa griffe qu'il tient toute prête :
Mais il perd l'équilibre, il tombe et n'a rien pris.
Alors, sans davantage attendre,
Sans chercher plus longtemps ce qu'il ne peut comprendre,
Il laisse le miroir et retourne aux souris :
Que m'importe, dit-il, de percer ce mystère ?
Une chose que notre esprit,
Après un long travail, n'entend ni ne saisit,
Ne nous est jamais nécessaire.
La prudence est bonne de soi,
Mais la pousser trop **** est une duperie :
L'exemple suivant en fait foi.
Des moineaux habitaient dans une métairie :
Un beau champ de millet, voisin de la maison,
Leur donnait du grain à foison.
Ces moineaux dans le champ passaient toute leur vie,
Occupés de gruger les épis de millet
Le vieux chat du logis les guettait d'ordinaire,
Tournait et retournait ; mais il avait beau faire,
Sitôt qu'il paraissait la bande s'envolait.
Comment les attraper ? Notre vieux chat y songe,
Médite, fouille en son cerveau,
Et trouve un tour tout neuf. II va tremper dans l'eau
Sa patte dont il fait éponge.
Dans du millet en grain aussitôt il la plonge ;
Le grain s'attache tout autour.
Alors à cloche-pied, sans bruit, par un détour,
II va gagner le champ, s'y couche
La patte en l'air et sur le dos,
Ne bougeant non plus qu'une souche :
Sa patte ressemblait à l'épi le plus gros.
L'oiseau s'y méprenait, il approchait sans crainte,
Venait pour becqueter ; de l'autre patte, crac,
Voilà mon oiseau dans le sac.
Il en prit vingt par cette feinte.
Un moineau s'aperçoit du piège scélérat,
Et prudemment fuit la machine ;
Mais dès ce jour il s'imagine
Que chaque épi de grain était patte de chat.
Au fond de son trou solitaire
II se retire, et plus n'en sort,
Supporte la faim, la misère,
Et meurt pour éviter la mort.
Un angora que sa maîtresse
Nourrissait de mets délicats
Ne faisait plus la guerre aux rats ;
Et les rats, connaissant sa bonté, sa paresse,
Allaient, trottaient partout, et ne se gênaient pas.
Un jour, dans un grenier retiré, solitaire,
Où notre chat dormait après un bon festin,
Plusieurs rats viennent dans le grain
Prendre leur repas ordinaire.
L'angora ne bougeait. Alors mes étourdis
Pensent qu'ils lui font peur ; l'orateur de la troupe
Parle des chats avec mépris.
On applaudit fort, on s'attroupe,
On le proclame général.
Grimpé sur un boisseau qui sert de tribunal :
Braves amis, dit-il, courons à la vengeance.
De ce grain désormais nous devons être las,
Jurons de ne manger désormais que des chats :
On les dit excellents, nous en ferons bombance.
À ces mots, partageant son belliqueux transport,
Chaque nouveau guerrier sur l'angora s'élance,
Et réveille le chat qui dort.
Celui-ci, comme on croit, dans sa juste colère,
Couche bientôt sur la poussière
Général, tribuns et soldats.
Il ne s'échappa que deux rats
Qui disaient, en fuyant bien vite à leur tanière :
Il ne faut point pousser à bout
L'ennemi le plus débonnaire ;
On perd ce que l'on tient quand on veut gagner tout.
Un bon père cheval, veuf, et n'ayant qu'un fils,
L'élevait dans un pâturage
Où les eaux, les fleurs et l'ombrage
Présentaient à la fois tous les biens réunis.
Abusant pour jouir, comme on fait à cet âge,
Le poulain tous les jours se gorgeait de sainfoin,
Se vautrait dans l'herbe fleurie,
Galopait sans objet, se baignait sans envie,
Ou se reposait sans besoin.
Oisif et gras à lard, le jeune solitaire
S'ennuya, se lassa de ne manquer de rien ;
Le dégoût vint bientôt ; il va trouver son père :
Depuis longtemps, dit-il, je ne me sens pas bien ;
Cette herbe est malsaine et me tue,
Ce trèfle est sans saveur, cette onde est corrompue,
L'air qu'on respire ici m'attaque les poumons ;
Bref, je meurs si nous ne partons.
Mon fils, répond le père, il s'agit de ta vie,
À l'instant même il faut partir.
Sitôt dit, sitôt fait, ils quittent leur patrie.
Le jeune voyageur bondissait de plaisir :
Le vieillard, moins joyeux, allait un train plus sage ;
Mais il guidait l'enfant, et le faisait gravir
Sur des monts escarpés, arides, sans herbage,
Où rien ne pouvait le nourrir.
Le soir vint, point de pâturage ;
On s'en passa. Le lendemain,
Comme l'on commençait à souffrir de la faim,
On prit du bout des dents une ronce sauvage.
On ne galopa plus le reste du voyage ;
À peine, après deux jours, allait-on même au pas.
Jugeant alors la leçon faite,
Le père va reprendre une route secrète
Que son fils ne connaissait pas,
Et le ramène à sa prairie
Au milieu de la nuit. Dès que notre poulain
Retrouve un peu d'herbe fleurie,
Il se jette dessus : ah ! L'excellent festin !
La bonne herbe ! Dit-il : comme elle est douce et tendre !
Mon père, il ne faut pas s'attendre
Que nous puissions rencontrer mieux ;
Fixons-nous pour jamais dans ces aimables lieux :
Quel pays peut valoir cet asile champêtre ?
Comme il parlait ainsi, le jour vint à paraître :
Le poulain reconnaît le pré qu'il a quitté ;
Il demeure confus. Le père, avec bonté,
Lui dit : mon cher enfant, retiens cette maxime :
Quiconque jouit trop est bientôt dégoûté,
Il faut au bonheur du régime.
Mon frère, sais-tu la nouvelle ?
Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflar vient, dit-on, de manger
Le petit agneau noir, puis la brebis sa mère,
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.
- Serait-il vrai ? - Très vrai, mon frère.
- À qui donc se fier, grands dieux !
C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine ;
Et la nouvelle était certaine.
Mouflar, sur le fait même pris,
N'attendait plus que le supplice ;
Et le fermier voulait qu'une prompte justice
Effrayât les chiens du pays.
La procédure en un jour est finie.
Mille témoins pour un déposent l'attentat :
Récolés, confrontés, aucun d'eux ne varie ;
Mouflar est convaincu du triple assassinat :
Mouflar recevra donc deux balles dans la tête
Sur le lieu même du délit.
À son supplice qui s'apprête
Toute la ferme se rendit.
Les agneaux de Mouflar demandèrent la grâce ;
Elle fut refusée. On leur fit prendre place :
Les chiens se rangèrent près d'eux,
Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse,
Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux.
Tout le monde attendait dans un profond silence.
Mouflar paraît bientôt, conduit par deux pasteurs :
Il arrive ; et, levant au ciel ses yeux en pleurs,
Il harangue ainsi l'assistance :
Ô vous, qu'en ce moment je n'ose et je ne puis
Nommer, comme autrefois, mes frères, mes amis,
Témoins de mon heure dernière,
Voyez où peut conduire un coupable désir !
De la vertu quinze ans j'ai suivi la carrière,
Un faux pas m'en a fait sortir.
Apprenez mes forfaits. Au lever de l'aurore,
Seul, auprès du grand bois, je gardais le troupeau ;
Un loup vient, emporte un agneau,
Et tout en fuyant le dévore.
Je cours, j'atteins le loup, qui, laissant son festin,
Vient m'attaquer : je le terrasse,
Et je l'étrangle sur la place.
C'était bien jusques là : mais, pressé par la faim,
De l'agneau dévoré je regarde le reste,
J'hésite, je balance... à la fin, cependant,
J'y porte une coupable dent :
Voilà de mes malheurs l'origine funeste.
La brebis vient dans cet instant,
Elle jette des cris de mère...
La tête m'a tourné, j'ai craint que la brebis
Ne m'accusât d'avoir assassiné son fils ;
Et, pour la forcer à se taire,
Je l'égorge dans ma colère.
Le berger accourait armé de son bâton.
N'espérant plus aucun pardon,
Je me jette sur lui : mais bientôt on m'enchaîne,
Et me voici prêt à subir
De mes crimes la juste peine.
Apprenez tous du moins, en me voyant mourir,
Que la plus légère injustice
Aux forfaits les plus grands peut conduire d'abord ;
Et que, dans le chemin du vice,
On est au fond du précipice,
Dès qu'on met un pied sur le bord.
Un chien vendu par son maître
Brisa sa chaîne, et revint
Au logis qui le vit naître.
Jugez de ce qu'il devint
Lorsque, pour prix de son zèle,
Il fut de cette maison
Reconduit par le bâton
Vers sa demeure nouvelle.
Un vieux chat, son compagnon,
Voyant sa surprise extrême,
En passant lui dit ce mot :
Tu croyais donc, pauvre sot,
Que c'est pour nous qu'on nous aime !
On en veut trop aux courtisans ;
On va criant partout qu'à l'état inutiles
Pour leur seul intérêt ils se montrent habiles :
Ce sont discours de médisants.
J'ai lu, je ne sais où, qu'autrefois en Syrie
Ce fut un courtisan qui sauva sa patrie.
Voici comment : dans le pays
La peste avait été portée,
Et ne devait cesser que quand le dieu Protée
Dirait là-dessus son avis.
Ce dieu, comme l'on sait, n'est pas facile à vivre :
Pour le faire parler il faut longtemps le suivre,
Près de son antre l'épier,
Le surprendre, et puis le lier,
Malgré la figure effrayante
Qu'il prend et quitte à volonté.
Certain vieux courtisan, par le roi député,
Devant le dieu marin tout-à-coup se présente.
Celui-ci, surpris, irrité,
Se change en noir serpent ; sa gueule empoisonnée
Lance et retire un dard messager du trépas,
Tandis que, dans sa marche oblique et détournée,
Il glisse sur lui-même et d'un pli fait un pas.
Le courtisan sourit : je connais cette allure,
Dit-il, et mieux que toi je sais mordre et ramper.
Il court alors pour l'attraper :
Mais le dieu change de figure ;
Il devient tour-à-tour loup, singe, lynx, renard.
Tu veux me vaincre dans mon art,
Disait le courtisan : mais, depuis mon enfance,
Plus que ces animaux avide, adroit, rusé,
Chacun de ces tours-là pour moi se trouve usé.
Changer d'habit, de mœurs, même de conscience ;
Je ne vois rien là que d'aisé.
Lors il saisit le dieu, le lie,
Arrache son oracle, et retourne vainqueur.
Ce trait nous prouve, ami lecteur,
Combien un courtisan peut servir la patrie.
Sur la rive du Nil un jour deux beaux enfants
S'amusaient à faire sur l'onde,
Avec des cailloux plats, ronds, légers et tranchants,
Les plus beaux ricochets du monde.
Un crocodile affreux arrive entre deux eaux,
S'élance tout-à-coup, happe l'un des marmots,
Qui crie et disparaît dans sa gueule profonde,
L'autre fuit, en pleurant son pauvre compagnon.
Un honnête et digne esturgeon,
Témoin de cette tragédie,
S'éloigne avec horreur, se cache au fond des flots ;
Mais bientôt il entend le coupable amphibie
Gémir et pousser des sanglots :
Le monstre a des remords, dit-il : ô providence,
Tu venges souvent l'innocence ;
Pourquoi ne la sauves-tu pas ?
Ce scélérat du moins pleure ses attentats ;
L'instant est propice, je pense,
Pour lui prêcher la pénitence :
Je m'en vais lui parler. Plein de compassion,
Notre saint homme d'esturgeon
Vers le crocodile s'avance :
Pleurez, lui cria-t-il, pleurez votre forfait ;
Livrez votre âme impitoyable
Au remords, qui des dieux est le dernier bienfait,
Le seul médiateur entre eux et le coupable.
Malheureux, manger un enfant !
Mon cœur en a frémi ; j'entends gémir le vôtre...
Oui, répond l'assassin, je pleure en ce moment
De regret d'avoir manqué l'autre.
Tel est le remords du méchant.
Un gentil écureuil était le camarade,
Le tendre ami d'un beau danois.
Un jour qu'ils voyageaient comme Oreste et Pylade,
La nuit les surprit dans un bois.
En ce lieu point d'auberge ; ils eurent de la peine
À trouver où se bien coucher.
Enfin le chien se mit dans le creux d'un vieux chêne,
Et l'écureuil plus haut grimpa pour se nicher.
Vers minuit, c'est l'heure des crimes,
Longtemps après que nos amis
En se disant bon soir se furent endormis,
Voici qu'un vieux renard affamé de victimes
Arrive au pied de l'arbre, et, levant le museau,
Voit l'écureuil sur un rameau.
Il le mange des yeux, humecte de sa langue
Ses lèvres qui de sang brûlent de s'abreuver ;
Mais jusqu'à l'écureuil il ne peut arriver :
Il faut donc par une harangue
L'engager à descendre ; et voici son discours :
Ami, pardonnez, je vous prie,
Si de votre sommeil j'ose troubler le cours :
Mais le pieux transport dont mon âme est remplie
Ne peut se contenir ; je suis votre cousin
Germain :
Votre mère était sœur de feu mon digne père.
Cet honnête homme, hélas ! à son heure dernière,
M'a tant recommandé de chercher son neveu
Pour lui donner moitié du peu
Qu'il m'a laissé de bien ! Venez donc, mon cher frère,
Venez, par un embrassement,
Combler le doux plaisir que mon âme ressent.
Si je pouvais monter jusqu'aux lieux où vous êtes,
Oh ! J'y serais déjà, soyez-en bien certain.
Les écureuils ne sont pas bêtes,
Et le mien était fort malin ;
Il reconnaît le patelin,
Et répond d'un ton doux : je meurs d'impatience
De vous embrasser, mon cousin ;
Je descends : mais, pour mieux lier la connaissance,
Je veux vous présenter mon plus fidèle ami,
Un parent qui prit soin de nourrir mon enfance ;
Il dort dans ce trou-là : frappez un peu ; je pense
Que vous serez charmé de le connaître aussi.
Aussitôt maître renard frappe,
Croyant en manger deux : mais le fidèle chien
S'élance de l'arbre, le happe,
Et vous l'étrangle bel et bien.
Ceci prouve deux points : d'abord, qu'il est utile
Dans la douce amitié de placer son bonheur ;
Puis, qu'avec de l'esprit il est souvent facile
Au piège qu'il nous tend de surprendre un trompeur.
Sur la corde tendue un jeune voltigeur
Apprenait à danser ; et déjà son adresse,
Ses tours de force, de souplesse,
Faisaient venir maint spectateur.
Sur son étroit chemin on le voit qui s'avance,
Le balancier en main, l'air libre, le corps droit,
Hardi, léger autant qu'adroit ;
Il s'élève, descend, va, vient, plus haut s'élance,
Retombe, remonte en cadence,
Et, semblable à certains oiseaux
Qui rasent en volant la surface des eaux,
Son pied touche, sans qu'on le voie,
À la corde qui plie et dans l'air le renvoie.
Notre jeune danseur, tout fier de son talent,
Dit un jour : à quoi bon ce balancier pesant
Qui me fatigue et m'embarrasse ?
Si je dansais sans lui, j'aurais bien plus de grâce,
De force et de légèreté.
Aussitôt fait que dit. Le balancier jeté,
Notre étourdi chancelle, étend les bras, et tombe.
Il se cassa le nez, et tout le monde en rit.
Jeunes gens, jeunes gens, ne vous a-t-on pas dit
Que sans règle et sans frein tôt ou **** on succombe ?
La vertu, la raison, les lois, l'autorité,
Dans vos désirs fougueux vous causent quelque peine ;
C'est le balancier qui vous gêne,
Mais qui fait votre sûreté.
Un de ces pieux solitaires
Qui, détachant leur cœur des choses d'ici bas,
Font vœu de renoncer à des biens qu'ils n'ont pas.
Pour vivre du bien de leurs frères,
Un dervis en un mot, s'en allait mendiant
Et priant,
Lorsque les cris plaintifs d'une jeune corneille
Par des parents cruels laissée en son berceau,
Presque sans plume encor, vinrent à son oreille.
Notre dervis regarde, et voit le pauvre oiseau
Allongeant sur son nid sa tête demi-nue :
Dans l'instant, du haut de la nue,
Un faucon descend vers ce nid,
Et, le bec rempli de pâture,
Il apporte sa nourriture
À l'orpheline qui gémit.
Ô du puissant Allah providence adorable !
S'écria le dervis : plutôt qu'un innocent
Périsse sans secours, tu rends compatissant
Des oiseaux le moins pitoyable !
Et moi, fils du très-haut, je chercherais mon pain !
Non, par le prophète j'en jure :
Tranquille désormais, je remets mon destin
À celui qui prend soin de toute la nature.
Cela dit, le dervis, couché tout de son long,
Se met à bayer aux corneilles,
De la création admire les merveilles,
De l'univers l'ordre profond.
Le soir vint, notre solitaire
Eut un peu d'appétit en faisant sa prière :
Ce n'est rien, disait-il ; mon souper va venir.
Le souper ne vient point. Allons, il faut dormir ;
Ce sera pour demain. Le lendemain l'aurore
Paraît, et point de déjeuner.
Ceci commence à l'étonner ;
Cependant il persiste encore,
Et croit à chaque instant voir venir son dîner.
Personne n'arrivait ; la journée est finie,
Et le dervis à jeun voyait d'un œil d'envie
Ce faucon qui venait toujours
Nourrir sa pupille chérie.
Tout-à-coup il l'entend lui tenir ce discours :
Tant que vous n'avez pu, ma mie,
Pourvoir vous-même à vos besoins,
De vous j'ai pris de tendres soins ;
À présent que vous voilà grande,
Je ne reviendrai plus. Allah nous recommande
Les faibles et les malheureux :
Mais être faible, ou paresseux,
C'est une grande différence.
Nous ne recevons l'existence
Qu'afin de travailler pour nous ou pour autrui.
De ce devoir sacré quiconque se dispense
Est puni de la providence
Par le besoin ou par l'ennui.
Le faucon dit et part. Touché de ce langage,
Le dervis converti reconnaît son erreur,
Et, gagnant le premier village,
Se fait valet de laboureur.
Enfin le roi lion venait d'avoir un fils ;
Partout dans ses états on se livrait en proie
Aux transports éclatants d'une bruyante joie :
Les rois heureux ont tant d'amis !
Sire lion, monarque sage,
Songeait à confier son enfant bien aimé
Aux soins d'un gouverneur vertueux, estimé,
Sous qui le lionceau fît son apprentissage.
Vous jugez qu'un choix pareil
Est d'assez grande importance
Pour que longtemps on y pense.
Le monarque indécis assemble son conseil :
En peu de mots il expose
Le point dont il s'agit, et supplie instamment
Chacun des conseillers de nommer franchement
Celui qu'en conscience il croit propre à la chose.
Le tigre se leva : sire, dit-il, les rois
N'ont de grandeur que par la guerre ;
Il faut que votre fils soit l'effroi de la terre :
Faites donc tomber votre choix
Sur le guerrier le plus terrible,
Le plus craint après vous des hôtes de ces bois.
Votre fils saura tout s'il sait être invincible.
L'ours fut de cet avis : il ajouta pourtant
Qu'il fallait un guerrier prudent,
Un animal de poids, de qui l'expérience
Du jeune lionceau sût régler la vaillance
Et mettre à profit ses exploits.
Après l'ours, le renard s'explique,
Et soutient que la politique
Est le premier talent des rois ;
Qu'il faut donc un mentor d'une finesse extrême
Pour instruire le prince et pour le bien former.
Ainsi chacun, sans se nommer,
Clairement s'indiqua soi-même :
De semblables conseils sont communs à la cour.
Enfin le chien parle à son tour :
Sire, dit-il, je sais qu'il faut faire la guerre,
Mais je crois qu'un bon roi ne la fait qu'à regret ;
L'art de tromper ne me plaît guère :
Je connais un plus beau secret
Pour rendre heureux l'état, pour en être le père,
Pour tenir ses sujets, sans trop les alarmer,
Dans une dépendance entière ;
Ce secret, c'est de les aimer.
Voilà pour bien régner la science suprême ;
Et, si vous désirez la voir dans votre fils,
Sire, montrez-la lui vous-même.
Tout le conseil resta muet à cet avis.
Le lion court au chien : ami, je te confie
Le bonheur de l'état et celui de ma vie ;
Prends mon fils, sois son maître, et, **** de tout flatteur,
S'il se peut, va former son cœur.
Il dit, et le chien part avec le jeune prince.
D'abord à son pupille il persuade bien
Qu'il n'est point lionceau, qu'il n'est qu'un pauvre
Chien,
Son parent éloigné ; de province en province
Il le fait voyager, montrant à ses regards
Les abus du pouvoir, des peuples la misère,
Les lièvres, les lapins mangés par les renards,
Les moutons par les loups, les cerfs par la panthère,
Partout le faible terrassé,
Le bœuf travaillant sans salaire,
Et le singe récompensé.
Le jeune lionceau frémissait de colère :
Mon père, disait-il, de pareils attentats
Sont-ils connus du roi ? Comment pourraient-ils l'être ?
Disait le chien : les grands approchent seuls du maître,
Et les mangés ne parlent pas.
Ainsi, sans raisonner de vertu, de prudence,
Notre jeune lion devenait tous les jours
Vertueux et prudent ; car c'est l'expérience
Qui corrige, et non les discours.
À cette bonne école il acquit avec l'âge
Sagesse, esprit, force et raison.
Que lui fallait-il davantage ?
Il ignorait pourtant encor qu'il fût lion ;
Lorsqu'un jour qu'il parlait de sa reconnaissance
À son maître, à son bienfaiteur,
Un tigre furieux, d'une énorme grandeur,
Paraissant tout-à-coup, contre le chien s'avance.
Le lionceau plus prompt s'élance,
Il hérisse ses crins, il rugit de fureur,
Bat ses flancs de sa queue, et ses griffes sanglantes
Ont bientôt dispersé les entrailles fumantes
De son redoutable ennemi.
À peine il est vainqueur qu'il court à son ami :
Oh ! Quel bonheur pour moi d'avoir sauvé ta vie !
Mais quel est mon étonnement !
Sais-tu que l'amitié, dans cet heureux moment,
M'a donné d'un lion la force et la furie ?
Vous l'êtes, mon cher fils, oui, vous êtes mon roi,
Dit le chien tout baigné de larmes.
Le voilà donc venu, ce moment plein de charmes,
Où, vous rendant enfin tout ce que je vous dois,
Je peux vous dévoiler un important mystère !
Retournons à la cour, mes travaux sont finis.
Cher prince, malgré moi cependant je gémis,
Je pleure ; pardonnez : tout l'état trouve un père,
Et moi je vais perdre mon fils.
Un pauvre petit grillon
Caché dans l'herbe fleurie
Regardait un papillon
Voltigeant dans la prairie.
L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;
L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ;
Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,
Prenant et quittant les plus belles.
Ah ! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents ! Dame nature
Pour lui fit tout, et pour moi rien.
Je n'ai point de talent, encor moins de figure.
Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas :
Autant vaudrait n'exister pas.
Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d'enfants :
Aussitôt les voilà courants
Après ce papillon dont ils ont tous envie.
Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper ;
L'insecte vainement cherche à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.
L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ;
Un troisième survient, et le prend par la tête :
Il ne fallait pas tant d'efforts
Pour déchirer la pauvre bête.
Oh ! oh ! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde !
Pour vivre heureux, vivons caché.
Il est certains esprits d'un naturel hargneux
Qui toujours ont besoin de guerre ;
Ils aiment à piquer, se plaisent à déplaire,
Et montrent pour cela des talents merveilleux.
Quant à moi, je les fuis sans cesse,
Eussent-ils tous les dons et tous les attributs :
J'y veux de l'indulgence ou de la politesse ;
C'est la parure des vertus.
Un hérisson, qu'une tracasserie
Avait forcé de quitter sa patrie,
Dans un grand terrier de lapins
Vint porter sa misanthropie.
Il leur conta ses longs chagrins,
Contre ses ennemis exhala bien sa bile,
Et finit par prier les hôtes souterrains
De vouloir lui donner asile.
Volontiers, lui dit le doyen :
Nous sommes bonnes gens, nous vivons comme frères,
Et nous ne connaissons ni le tien ni le mien ;
Tout est commun ici : nos plus grandes affaires
Sont d'aller, dès l'aube du jour,
Brouter le serpolet, jouer sur l'herbe tendre :
Chacun, pendant ce temps, sentinelle à son tour,
Veille sur le chasseur qui voudrait nous surprendre ;
S'il l'aperçoit, il frappe, et nous voilà blottis.
Avec nos femmes, nos petits,
Dans la gaîté, dans la concorde,
Nous passons les instants que le ciel nous accorde.
Souvent ils sont prompts à finir ;
Les panneaux, les furets, abrègent notre vie,
Raison de plus pour en jouir.
Du moins par l'amitié, l'amour et le plaisir,
Autant qu'elle a duré nous l'avons embellie :
Telle est notre philosophie.
Si cela vous convient, demeurez avec nous,
Et soyez de la colonie ;
Sinon, faites l'honneur à notre compagnie
D'accepter à dîner, puis retournez chez vous.
À ce discours plein de sagesse,
Le hérisson repart qu'il sera trop heureux
De passer ses jours avec eux.
Alors chaque lapin s'empresse
D'imiter l'honnête doyen
Et de lui faire politesse.
Jusques au soir tout alla bien.
Mais lorsqu'après souper la troupe réunie
Se mit à deviser des affaires du temps,
Le hérisson de ses piquants
Blesse un jeune lapin. Doucement, je vous prie,
Lui dit le père de l'enfant.
Le hérisson, se retournant,
En pique deux, puis trois, et puis un quatrième.
On murmure, on se fâche, on l'entoure en grondant.
Messieurs, s'écria-t-il, mon regret est extrême ;
Il faut me le passer, je suis ainsi bâti,
Et je ne puis pas me refondre.
Ma foi, dit le doyen, en ce cas, mon ami,
Tu peux aller te faire tondre.
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